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L-Altru_extrait

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Pierre-Jean Giannesini<br />

L’<strong>Altru</strong><br />

Roman


L’<strong>Altru</strong>


Pierre-Jean Giannesini<br />

L’<strong>Altru</strong><br />

Roman


« Il faut un père pour donner un nom aux choses. »<br />

Kamel Daoud, Zabor, Actes Sud, 2017.<br />

Je rajouterais : « Il faut aussi une mère. »


titre coura<br />

Mathurin<br />

Mathurin. C’était son prénom. Pas vraiment corse, un peu rétro, un<br />

tantinet malicieux. Huit lettres qui l’habillaient d’une aura d’insouciance.<br />

Apparemment, car cela ne sautait pas aux yeux dans l’immédiat.<br />

Seule une ombre éphémère parcourait parfois son regard.<br />

Nul n’aurait su dire alors quel nuage passait, quelle pluie ruisselait<br />

sur son âme. Ni même quelle profonde nostalgie l’habitait.<br />

Je ressentais son magnétisme comme un appel indéfinissable,<br />

seul à l’entendre. Les autres enfants étaient-ils sourds ? Mathurin<br />

avait un secret bien enfoui. Caché dans les méandres de mes<br />

interrogations. Fort de cette conviction enfantine, ma curiosité<br />

me poussa à prendre de timides devants. Ce ne fut pas simple.<br />

Mathurin savait jouer les avances et les reculs. J’étais le moineau à<br />

qui il jetait des miettes, laissant aux autres l’illusion de les nourrir<br />

de ses extravagances et de son charme.<br />

Il maintenait avec moi cette distance qui rapproche, m’imposant<br />

de rester à l’écart de ses jeux et de ses batailles. Il en ressortait<br />

presque toujours vainqueur. Je me persuadais qu’il ne voulait<br />

pas me voir perdre. C’était la main qu’il me tendait… peut-être.<br />

Pourtant, je ne savais pas comment la saisir.<br />

Il devait loger en ville, vraisemblablement chez des proches<br />

parents. À l’instar des enfants de l’intérieur de l’île. Il ne parlait<br />

jamais de sa famille. Tout juste savait-on qu’elle vivait dans le<br />

Cruzzini, une vallée portant le même nom que son torrent, quasi<br />

oubliée de la modernité de ce xx e siècle. Un village de montagne<br />

7


L’<strong>Altru</strong><br />

perdu au bout d’une route en cul-de-sac. Une région de mauvaise<br />

réputation selon les rumeurs de l’époque. N’étaient-ce que des<br />

ragots ? Mathurin avait ses montagnes dans le corps. Il sentait le<br />

maquis, riait comme un torrent impétueux, se battait à l’image<br />

d’une forêt de pins face au levante. Il savait se taire aussi. Un<br />

silence que j’entendais, une porte qu’il m’entrouvrait sans me faire<br />

entrer dans son univers.<br />

Un montagnard peu exubérant descendu de sa contrée<br />

sauvage. Difficile à apprivoiser, alors que lui-même, sous des apparences<br />

angéliques, savait dompter le plus rétif des collégiens. Il<br />

usait de cette ascendance sans perversité. Tous les élèves en avaient<br />

conscience, lui reconnaissant un charisme sans borne. Une autorité<br />

au visage d’ange, venue semer l’insolite dans la routine du collège.<br />

Mathurin avait beaucoup à offrir. Il donnait sans le savoir.<br />

C’est ce qui le rendait plus grand à mes yeux.<br />

Moi, Mathurin, je fais croire que j’écris les Mémoires d’Hadrien.<br />

Un prétexte qui me dispense d’explications embrouillées. Car ce que<br />

je vais rédiger dans ce calepin est autant un devoir de mémoire que<br />

la quête d’une vérité que l’on a délibérément occultée.<br />

La vérité sur la mort de l’<strong>Altru</strong>, l’Autre, il y a deux ans, le 30 avril<br />

1957, au pied de ce rocher. Loin de sa terre natale qu’il m’avait appris<br />

à aimer. Si semblable à la mienne, disait-il. Il choisissait l’arrivée du<br />

crépuscule pour m’en parler. Dans le silence de nos montagnes à la<br />

tombée du jour. Dans les siennes qu’il me faisait miroiter dans ses<br />

yeux. À demi-mot, presque une confession. Il était plutôt taiseux et<br />

se méfiait du qu’en-dira-t-on. Des sous-entendus acerbes qu’on lui<br />

chuchoterait aussi en lui tournant la tête.<br />

J’ai parcouru sans cesse ce lieu de privation, pour questionner<br />

cette roche millénaire, chercher à savoir ce qu’elle avait vu. Demander<br />

aux pins laricio ce qu’ils avaient entendu. Quelles étaient ses dernières<br />

paroles. S’il avait souffert. S’il s’était vu partir. Où sont allées ses<br />

dernières pensées. Les « pourquoi » d’un tout brutalement sans<br />

lendemain. Je reviens ici chaque fois, à l’écoute d’un mot caché dans<br />

le maquis ou dans le souffle du vent. Dans mes souvenirs aussi. Le<br />

silence est la seule réponse qui me parvient. Je hais ce mutisme lourd<br />

de témoignages. Je l’accepte parfois, car il m’épargne peut-être une<br />

vérité inacceptable.<br />

8


titre coura<br />

J’ai grandi avec ce poids. Chaque jour l’appesantissait un peu<br />

plus, me donnant curieusement plus d’énergie. Je force ma volonté<br />

à ne rien laisser paraître. Ce n’est pas de la comédie, encore moins<br />

de l’hypocrisie. Un mur que je bâtis, non pas pour me cacher, mais<br />

pour m’abriter. Tous autour de moi tentent de le briser. Je leur laisse<br />

l’illusion qu’ils y sont parvenus. Je garde pour moi celle d’être entré<br />

dans leur monde.<br />

Dès que je retourne au village, je pars tôt le matin retrouver ce<br />

rocher. Une masse de granite usée par le temps. Le témoin muet de la<br />

fin d’une existence. Je le caresse, pose mon oreille sur sa couverture de<br />

lichen. Dans sa complexité minérale, je crois entendre battre un cœur.<br />

C’est ma façon de rejeter cette mort et le néant qu’elle a laissé en moi.<br />

Ici à Ajaccio, au contraire, la vie déborde. Garçons et filles des<br />

collèges voisins la croquent à pleines dents. Ils me convient à ce festin<br />

auquel je participe sans réticence. Je joue le jeu de l’invité de marque.<br />

C’est ce qu’ils attendent, et cela me convient. Et puis, quel meilleur<br />

dérivatif que d’entrer dans leur norme ? Je ne cherche pas l’oubli, ce<br />

fossoyeur de la mémoire. Car elle seule est détentrice de l’immortalité.<br />

Mathurin avait la peau légèrement basanée, des yeux en<br />

amande aussi sombres que les boucles de sa chevelure. Sa carrure<br />

athlétique fascinait les collégiennes. Comme les garçons aussi,<br />

admiratifs devant ses performances sportives. Il était bon en tout.<br />

Sciences, littérature, histoire, et déjà, à treize ans, habité de certitudes.<br />

J’eus l’occasion de le tester un jour, en toute innocence :<br />

« Qu’est-ce qui t’importe le plus dans la vie ? »<br />

Son regard s’était planté dans le mien.<br />

« Mes convictions.<br />

– C’est quoi tes convictions ? »<br />

Un nuage est passé rapidement dans son regard : « Je n’en ai<br />

qu’une. Celle que toute chose détient une vérité. »<br />

Que cherchait-il ? Dans quelle quête obscure s’était-il lancé ?<br />

Encore une fois, en un instant, je le découvrais à la fois vulnérable<br />

et volontaire. Il me distillait au compte-goutte cette dualité.<br />

Était-ce intentionnel ? Je voulais m’en persuader, tout en le soupçonnant<br />

de m’éviter, de me tenir à l’écart. Nos rencontres aléatoires<br />

se résumaient à de brèves conversations. Anodines en apparence,<br />

9


L’<strong>Altru</strong><br />

mais à fouiller chaque phrase, j’y trouvais toujours par la suite<br />

l’expression de sa double personnalité.<br />

Je ne cherchais pas à la découvrir. Il avait son secret et le choix<br />

de me le dévoiler ou pas. À la fin des cours, il s’isolait parfois en<br />

s’asseyant au pied du vieux platane de la cour. Il sortait de son<br />

sac à dos un calepin. Nous le regardions alors griffonner avec<br />

application. Les plus hasardeux lui demandaient ce qu’il écrivait.<br />

La même réponse tombait comme un couperet :<br />

« Les Mémoires d’Hadrien.<br />

– C’est ton second prénom ? »<br />

Cela le faisait rire aux éclats.<br />

« Non. Celui d’un empereur romain. »<br />

Quelques années plus tard, j’appris par sa bouche que ce<br />

roman de Marguerite Yourcenar avait été un défi d’enfant qu’il<br />

s’était lancé, et qu’il lui avait fallu des années pour en arriver à<br />

bout. Sur le moment, son manuscrit se résumait pour nous à un<br />

simple griffonnage. N’était-il pas une sorte de magicien, ou de<br />

Zorro ? Capable d’avoir réponse à tout, prêt à se battre pour la<br />

bonne cause. Je savais, moi, que ce qu’il gravait sur son carnet<br />

n’était rien de tout cela. J’en pris connaissance plus tard. Vraiment<br />

bien longtemps après. C’est mon plus grand regret.<br />

Un accident de chasse ou un suicide, avait conclu l’enquête.<br />

« Un banal accident de chasse », avaient cru bon de titrer les journaux.<br />

Une banalité ? Je ne me résolvais pas à ce mot minimaliste.<br />

Comment qualifier ainsi la disparition tragique d’un homme ? Et puis,<br />

cette enquête avait été bâclée. C’était si courant, ce genre de faits<br />

divers. Un de plus dans la longue liste insulaire.<br />

Les gendarmes d’Ajaccio n’aimaient pas trop fouiner dans les<br />

histoires de village. Surtout celles du Cruzzini, de réputation diabolique<br />

et aux habitants rébarbatifs. Les interrogatoires n’avaient rien<br />

donné. Chacun s’était muré dans le silence. Pas question de dévoiler un<br />

indice. Cela n’aurait fait qu’envenimer les vieilles rancunes villageoises.<br />

D’ailleurs, il n’y avait quasiment pas d’indices. Que des présomptions,<br />

auxquelles la maréchaussée s’était accrochée avec empressement,<br />

faute de preuves. « Affaire classée », avait-il été conclu.<br />

10


titre coura<br />

Pas pour moi. Ces deux mots en guise d’épitaphe dorment dans<br />

un dossier vide depuis des années. Je ne saurais attendre l’éternité<br />

pour les dépoussiérer. Il me suffit d’arpenter les chemins rocailleux<br />

de la bergerie, de humer l’odeur du feu de sa cheminée, ou celle des<br />

vieilles reliques ensevelies dans ses recoins pour deviner que la réalité<br />

est tout autre. Je dis « deviner », mais c’est plus que cela. Une certitude<br />

dont je n’arrive pas à me défaire. Quelque chose qui me parle au<br />

fond de moi. Un fil d’Ariane à saisir pour éclairer ma route. Ce n’est<br />

pour l’instant qu’un écheveau à démêler. Je sais que j’y parviendrai.<br />

Je n’ai pas le choix.<br />

Notre berger n’est pas mort d’un banal accident de chasse ni<br />

d’un suicide. Il a été assassiné ! J’ai peur des relents de ce que je crois<br />

être une vendetta. Celle ancestrale de lointains aïeux ? Ou la mienne<br />

maintenant que je sens sourdre malgré moi comme la source d’un<br />

Styx menant aux enfers. Je devrais me raisonner. Ce n’est qu’un vieux<br />

mythe que l’on dit aujourd’hui disparu. Je n’en suis pas si sûr. Notre<br />

histoire regorge de ces récits. Les ancêtres les narrent d’une voix<br />

grave. Leurs visages se durcissent. Leurs mains triturent nerveusement<br />

le passé. Quels ressentiments font-ils remonter à la surface ?<br />

L’oubli n’a pas fait son œuvre. Il me laisse sans clémence un<br />

insondable héritage. C’est pour cela que je ne renoncerai pas.<br />

Mathurin franchissait les degrés scolaires avec une incroyable<br />

facilité. Avec désinvolture et sans arrogance. C’était tout à son<br />

honneur. Il balayait le mépris du mauvais élève à l’égard du meilleur<br />

par une bravade : « Chacun a ses outils pour se construire. Tu<br />

trouveras les tiens un jour. »<br />

Il parlait comme un adulte. Sans condescendance. Pas un mot<br />

de corse comme certains d’entre nous. C’était le seul ostracisme<br />

dont on le blâmait. Cinarca était pourtant son nom de famille,<br />

mais aussi celui d’une ancienne division religieuse, ou pieve, située<br />

au nord d’Ajaccio, et dont le Cruzzini faisait partie. Une Corse<br />

profonde oubliée des guides touristiques. Mathurin Cinarca. Un<br />

patronyme insulaire chargé d’histoire, accolé à un prénom continental<br />

dépourvu d’évocation pour nous.<br />

Le mois d’octobre était celui de la rentrée scolaire. Nous l’attendions<br />

habituellement sans grande impatience. Mais l’arrivée<br />

11


L’<strong>Altru</strong><br />

de rares filles dans nos classes jusque-là masculines nous émoustilla<br />

au plus haut point. La mixité dans les établissements publics<br />

ou privés commençait à peine à percer. Ce n’était pas pour nous<br />

déplaire. Certains parents s’étaient montrés réticents, arguant que<br />

le déshonneur serait au rendez-vous. Un mélange des genres que<br />

ne pratiquaient pas leurs propres parents : sur le cours Napoléon,<br />

hommes et femmes déambulaient traditionnellement sur les trottoirs<br />

opposés. Cela n’empêchait ni les clins d’œil, ni les sifflets<br />

discrets. Combien d’unions s’étaient ainsi conclues en catimini<br />

par-delà la chaussée !<br />

Mathurin avait immédiatement attiré les rares regards féminins.<br />

Son lustre avait franchi les vieilles ruelles de nos collèges<br />

respectifs. Nous avions beau « rouler des mécaniques », rien n’y<br />

faisait. Son sourire seul balayait nos efforts. Cette rivalité d’adolescents<br />

portait déjà le germe de futurs conflits.<br />

Celui de la guerre d’Algérie avait fait brutalement son entrée<br />

sur l’île en mai 1958. Au volant de leurs jeeps, des parachutistes<br />

coiffés d’un béret rouge avaient pris position autour de la préfecture<br />

d’Ajaccio 1 . Nous avions quitté précipitamment le collège pour<br />

assister à cet événement exceptionnel. La foule s’était rassemblée<br />

sur la place du Diamant pour les acclamer. Nous ne cherchions<br />

pas à comprendre. Des affaires d’adultes au sujet d’un pays que<br />

nous ne connaissions pas.<br />

Pourtant, on dit que plus de 100 000 Corses se seraient expatriés<br />

là-bas. Cependant, ils n’avaient pas oublié leur île natale ou<br />

celle de leurs ancêtres. Ils y revenaient chaque été, sur des bateaux<br />

bondés. Le Ville d’Alger et le Ville d’Oran n’accostaient que deux<br />

fois durant la période estivale, sur le quai de la place des Palmiers.<br />

Les Ajacciens se pressaient avec des cris de joie pour accueillir<br />

leurs proches et leurs amis. Les mêmes, peu de semaines après,<br />

agitaient leurs mouchoirs imbibés de larmes lors de leur départ.<br />

Les Corses, dans une grande majorité, plaidaient à cette époque<br />

pour une Algérie française.<br />

12


titre coura<br />

Je suivais ces migrations saisonnières avec peu d’intérêt.<br />

L’Afrique du Nord était pour moi une lointaine contrée où aucun<br />

membre de ma famille n’avait mis les pieds. Mathurin ne montrait<br />

pas la même indifférence. Il m’en voulait de l’afficher. « Qu’est-ce<br />

que tu sais des exilés ? Une mort programmée, loin du soleil de<br />

leur enfance. »<br />

Sa voix s’était cassée, ses yeux s’étaient embués. Pour la<br />

première fois, le rempart s’était fissuré.<br />

Jusqu’à sa mort, il m’avait manifesté son affection avec la réserve<br />

qu’on lui avait imposée. Il n’avait pas le choix. C’était moi qui le poussais<br />

à moins de retenue. Dans ses gestes, dans ses paroles, dans sa<br />

manière un peu fruste de m’embrasser. Il parlait peu, très mal le<br />

français, encore moins le corse. Quelques rares mots dans sa langue<br />

pour donner un nom aux choses. Rien sur son enfance. Lorsque je<br />

lui demandais d’où il venait, il balayait les montagnes de son bras.<br />

Je devinais qu’il venait de loin. Qu’il gardait délibérément dans sa<br />

mémoire les traces de son passé, et du chemin difficile qu’il avait<br />

parcouru jusqu’à nous.<br />

Un inconnu que le destin avait mené ici, sans que je sache<br />

comment. Dans cette bergerie isolée, celle de la Bocca d’Oreccia, un<br />

col perché à près de 1500 mètres d’altitude, entre la vallée du Cruzzini<br />

et celle du Manganellu. De vieux murs en pierre plantés comme une<br />

sentinelle sur la ligne de crête des montagnes séparant le nord et le<br />

sud de l’île. Du dernier hameau perché en haut du village, il fallait bien<br />

quatre heures de marche pour l’atteindre. Pourquoi cet inconnu était-il<br />

resté ici, seul et loin de tout ? « Parce que je veux te voir grandir », me<br />

répondait-il simplement. Sept mots que j’ai gardés précieusement.<br />

Avec ma promesse de grandir aussi pour lui.<br />

Tous les dimanches, mon père, Petr’Anto m’enjoignait de lui<br />

porter sa nourriture pour la semaine. En retour, je descendais la<br />

récolte de lait dans la fromagerie du village. « Nourri, logé ! s’exclamait<br />

Petr’Anto. Il n’a pas à se plaindre. »<br />

Pourtant l’<strong>Altru</strong>, comme il l’appelait, ne se plaignait jamais. Une<br />

fois l’âne bâté et chargé, je grimpais dessus et prenais la sente rocailleuse<br />

montant vers le col. Je soupesais avec ma main les maigres<br />

ballots. Heureux de les avoir alourdis discrètement de mes larcins :<br />

une ou deux miches de pain prélevées dans le pétrin, fruits et<br />

légumes grappillés la nuit dans les jardins. Dans notre propre potager<br />

13


L’<strong>Altru</strong><br />

aussi. Mon père n’y voyait que du feu. Ma mère, Paola Francesca,<br />

n’était pas dupe. Je surprenais un sourire distant, un éclat dans le<br />

bleu de ses yeux. Aucune réprobation. Elle me réconfortait par cette<br />

complicité muette.<br />

À mon départ, elle manifestait quelquefois le désir de m’accompagner.<br />

À sa façon et en silence. Elle caressait longuement la croupe<br />

de l’âne, laissant traîner ses mains sur le pelage gris. Elle fermait<br />

brièvement les yeux. Quelles images faisait-elle défiler devant eux ?<br />

J’étais triste de la voir ainsi, au fil des jours, raviver d’insaisissables et<br />

lointaines évocations.<br />

Puis soudain, elle poussait le bât pour nous faire partir plus vite.<br />

Elle tendait le bras en signe d’au revoir. Je savais que c’était aussi un<br />

bonjour qu’elle adressait à celui qui m’attendait là-haut.<br />

Le sentier grimpait rapidement. Il serpentait selon les sinuosités<br />

du relief, à flanc de montagne, dominant le torrent. J’en connaissais<br />

les moindres détails. Les gués des ruisseaux, les châtaigniers centenaires,<br />

puis la forêt de hêtres. Deux heures après, c’était celle des<br />

pins laricio, avec la halte que je m’imposais. Ici, le rocher marquait la<br />

limite de son territoire. À ses pieds, une source aménagée en abreuvoir<br />

coule toute l’année, à travers un tapis de menthe et marjolaine<br />

sauvages. L’âne en profitait pour boire, avant la longue grimpée des<br />

pentes rocailleuses menant au col.<br />

Après la mort tragique de notre berger, j’ai commencé à marquer<br />

cet endroit d’un monticule de pierres sur lequel j’avais planté une<br />

croix. Ce n’est pas que j’étais atteint de spiritualité. Celle-ci ne m’avait<br />

qu’effleuré à travers les traditionnelles pratiques religieuses. Dans ce<br />

domaine, j’entretenais une hypocrisie à la hauteur des obligations<br />

dévotes auxquelles j’étais astreint. Non, cette croix incarnait toute<br />

la douleur des autres alignées dans les cimetières. Je bâtissais un<br />

mausolée à la hauteur de ma propre douleur. Une tombe vide. Ce n’était<br />

pour moi qu’un devoir de mémoire.<br />

À chacun de mes passages, le monticule prenait de la hauteur.<br />

Il me signifiait l’irréversibilité des destinées. Me faisait goûter l’amertume<br />

de ne pouvoir les changer.<br />

Je repartais, un poids sur l’estomac, persuadé d’entendre le son<br />

des clochettes du troupeau de chèvres lorsque j’arrivais à la bergerie.<br />

Le chien aboyait en courant vers moi. Un vrai chien corse, un cursinu,<br />

que l’<strong>Altru</strong> avait vite adopté. C’était son seul compagnon dans cette<br />

immensité de rocailles.<br />

Dans cette solitude où son maître m’avait fait grandir un peu plus<br />

chaque jour. Encore aujourd’hui alors qu’il n’est plus là.<br />

14


titre coura<br />

En ce mois de juin 1959, la guerre d’Algérie battait son plein. Le<br />

discours du général de Gaulle proposant au peuple algérien l’autodétermination<br />

avait enflammé les esprits. La guerre faisait rage de<br />

l’autre côté de la Méditerranée. Nous l’ignorions. Tout bonnement.<br />

Nos préoccupations d’adolescents étaient ailleurs. Plus matérielles.<br />

Partagées entre l’éveil de notre sexualité et le prochain BEPC.<br />

Mathurin avait passé ce cap avec l’aisance d’un surdoué. Il<br />

ne s’en vantait pas. Il avait mûri plus vite que nous. À quinze<br />

ans, une moustache brune et duveteuse dessinait déjà son sourire.<br />

Assis sous le vieux platane, il continuait d’écrire ce qu’il appelait<br />

toujours « ses Mémoires d’Hadrien ». Appliqué à son écrit, tel un<br />

scribe attelé à sa tâche. De temps en temps, il se levait, arpentait la<br />

cour, semblant chercher sur ses pavés une quelconque inspiration.<br />

À cette occasion, certains s’enhardissaient à lire subrepticement<br />

son calepin. Cela finissait toujours mal. Mathurin les soulevait<br />

par le col de la chemise, les regardait droit dans les yeux : « Ne t’avise<br />

plus de recommencer, sinon, c’est ton carnet que je te ferai avaler ! »<br />

Puis il les jetait à terre, comme un vulgaire sac de châtaignes.<br />

Moi, j’attendais patiemment une invitation de sa part à me faire<br />

entrer dans son secret. Il avait cette aptitude à me la proposer<br />

sans s’engager, en toute subtilité. Par un sourire mesuré, un mot<br />

prudent, un geste négligemment amical. J’attendais ce moment<br />

comme une délivrance. Pour nous deux.<br />

L’été nous avait séparés durant trois mois. Chacun avait<br />

regagné son village de montagne, les ruelles de la vieille ville, ou<br />

encore, pour les plus riches, la maison en bord de mer.<br />

Pour moi, la rue Fesch où habitaient mes parents. Au<br />

deuxième étage d’un immeuble vétuste occupé à son rez-dechaussée<br />

par la mercerie de Saveria. Un escalier raide et sombre<br />

menait à l’habitation. D’un côté, vue sur l’étroite rue et sa<br />

débauche de boutiques animées. De l’autre, vue sur le port et<br />

ses bateaux de pêche. Mon père pouvait alors surveiller le sien à<br />

loisir. Il était pêcheur. L’un des rares à pratiquer la pêche de nuit<br />

au lamparo. Clients et restaurateurs se pressaient le matin sur le<br />

15


L’<strong>Altru</strong><br />

quai à son retour. Sardines et calmars étaient vendus alors en un<br />

rien de temps, prêts à être cuisinés le jour même.<br />

Une activité peu lucrative, tant la saison favorable était<br />

restreinte. Juste deux à trois mois en automne. Nous vivions accrochés<br />

à ces revenus temporaires censés assurer notre existence pour<br />

un certain temps.<br />

En octobre de la même année, nous sommes entrés dans la<br />

cour des « grands ». Je quittais mon collège de la rue Fesch, pour le<br />

lycée du même nom. Vieille bâtisse face à la plage Saint-François,<br />

imbue de l’austérité de l’ancienne maison de jésuites qu’elle était<br />

au début du xix e siècle.<br />

Je retrouvais Mathurin. Les mains balafrées, le visage hâlé par<br />

les travaux des champs. Comme d’habitude après son séjour estival<br />

dans les montagnes. Il ne racontait rien de ce qu’il y faisait. La<br />

vie là-haut ne devait pas l’épargner. Mais je le sentais insouciant,<br />

heureux, toujours disposé à distiller un peu de lui-même.<br />

C’est ce qui m’a fait aimer ces rentrées scolaires que tant<br />

d’autres maudissaient.<br />

J’ai eu mon BEPC avec mention. J’en étais très fier. Le diplôme<br />

avait circulé de main en main. Sa lecture attirait les compliments.<br />

Les admonestations aussi à ceux qui l’avaient raté. La plus ravie était<br />

Angelina. L’institutrice du village plus bas où était l’école. Une débarquée<br />

du continent depuis dix ans, nommée à ce poste l’année où j’entrais<br />

en classe. Elle m’a accompagné durant tout mon cycle primaire.<br />

Une Marseillaise au fort accent, qui tentait tant bien que mal<br />

de diriger sa petite troupe d’écoliers sentant au petit matin le lait de<br />

chèvre et la fougère. Elle logeait au-dessus de l’école, située dans la<br />

maison commune. Elle avait peu à marcher pour arriver en classe.<br />

Contrairement à certains d’entre nous, issus des hameaux perchés à<br />

flanc de montagne. J’étais celui qui venait du plus lointain. Je partais<br />

au lever du soleil au printemps, ou en pleine nuit l’hiver, un sac en toile<br />

de jute sur le dos gonflé d’une bouteille d’encre, de crayons, porteplumes,<br />

gommes, et de mon spuntinu, un casse-croûte que Paola<br />

Francesca me concoctait avec amour. Outils scolaires et nourriture<br />

cohabitaient dans la plus étonnante promiscuité dans ce sac, au grand<br />

16


titre coura<br />

dam d’Angelina. Elle se penchait sur mon cahier en se pinçant le nez,<br />

tant il en émanait d’odeurs de fromage et de charcuterie.<br />

Un beau matin, elle était arrivée avec un livre sous le bras. Un<br />

volume jaunâtre, avec une sorte de couronne en guise de première<br />

de couverture. Elle l’avait posé délicatement sur son bureau. Elle en<br />

lisait quelques pages de temps en temps, durant le silence de nos<br />

devoirs. Elle semblait transportée dans un autre monde, bien plus<br />

merveilleux, me semblait-il, que celui où elle avait atterri.<br />

C’est fort de cette conviction que j’avais décidé d’y entrer moi<br />

aussi. Profitant d’un instant de diversion, j’avais récupéré en douce ce<br />

livre miracle censé ouvrir la porte du paradis. Elle avait très mal pris<br />

cette affaire de vol, en frappant son bureau d’un grand coup de sa<br />

règle plate. Ce bruit nous avait fait sursauter. Le même que celui qui<br />

retentissait sur nos fesses. En moins fort bien sûr. Cependant, elle s’était<br />

montrée magnanime : « Si le coupable se dénonce d’ici à dix minutes,<br />

il ne sera pas puni. Sinon, c’est toute la classe qui le sera ! »<br />

Nous avions baissé la tête. Un silence de mort planait au-dessus.<br />

Les minutes s’étaient écoulées, et je n’avais pas rendu le livre. Peu<br />

après, nous nous étions retrouvés à marcher durant une heure à<br />

quatre pattes, sur les caillasses de la cour.<br />

Ce fut, je crois, la seule fois où les regards réprobateurs des autres<br />

écoliers m’avaient réchauffé le cœur. Ma lâcheté n’avait d’égale que<br />

leur mutisme.<br />

Sitôt à la maison, j’avais ouvert le livre à une page au hasard :<br />

« Quelques hommes avant moi avaient parcouru la Terre : Pythagore,<br />

Platon, une douzaine de sages, et bon nombre d’aventuriers * . » J’ai<br />

replié l’ouvrage. Trop d’illustres inconnus habitaient ces étranges<br />

Mémoires d’Hadrien.<br />

Il me fallait attendre encore pour parcourir cette Terre avec eux.<br />

Deux ans après ce BEPC, nous sommes entrés en classe de<br />

première, avec en perspective l’examen du premier baccalauréat.<br />

Rares étaient les familles modestes à pousser aussi loin leurs<br />

enfants. Celles de la société bourgeoise d’Ajaccio, gros commerçants,<br />

fonctionnaires gradés, propriétaires fonciers, constituaient<br />

l’effectif principal de la classe. Encore très masculine.<br />

* Les textes en italique et soulignés sont des <strong>extrait</strong>s du roman de Marguerite<br />

Yourcenar (Plon, 1951).<br />

17


L’<strong>Altru</strong><br />

Mon père avait accepté ce sacrifice, avec le secret espoir de<br />

ne pas me voir prendre sa suite sur la vieille embarcation de son<br />

propre père. Celui aussi d’élever le rang de la famille dont j’étais<br />

seul héritier. « La pêche ? Un travail sans lendemain. Le bateau<br />

est trop fatigué maintenant. Nous n’aurons jamais assez d’argent<br />

pour en acheter un autre. »<br />

Il me faisait confiance. Laissait notre avenir entre mes mains.<br />

Quant à Mathurin, je ne sais comment il avait réussi à poursuivre<br />

son année scolaire. Lui, encore moins fortuné que moi. Dans<br />

sa lointaine contrée, les activités se transféraient de génération en<br />

génération. Les fils de bergers ou d’agriculteurs devenaient à leur<br />

tour bergers ou agriculteurs. Un patrimoine rural qui ne pouvait<br />

être délaissé. Une tradition qui se perpétuait encore, sacrifiant<br />

par nécessité toute volonté de s’élever au-dessus de sa condition.<br />

Mathurin n’abordait jamais rien qui concernât sa famille. Il<br />

vivait dans deux mondes qui n’interféraient pas. L’un là-haut dans<br />

les montagnes. Un microcosme que je devinais figé dans le passé.<br />

L’autre ici en ville. Une porte en train de s’ouvrir sur l’avenir. Par<br />

laquelle il était entré, en toute aisance, et sans circonspection.<br />

J’avais choisi la filière scientifique. Lui, la littéraire. Ce n’était<br />

pas étonnant. Porté par l’écriture, il avait encore son calepin sous<br />

le bras lorsque je l’ai rencontré. Je l’ai reconnu de loin. Une haute<br />

silhouette, vêtue d’une chemise noire et d’un pantalon bleu,<br />

semblable aux jeans commençant à habiller les jeunes Ajacciens.<br />

Je me suis précipité vers lui. Un grand rire m’accueillit.<br />

« Sciences et Lettres continueront-elles à faire “bon ménage” ? »<br />

Une sympathique invitation à entretenir ce qui n’était encore<br />

pour moi qu’une amitié naissante. Loin d’avoir trouvé sa plénitude.<br />

Il avait changé physiquement, plus rapidement que moi. Une<br />

maturité auréolée de boucles noires, d’un front volontaire, d’une<br />

voix ayant déjà mué. Une voix grave, sans accent, comme si la<br />

Corse l’avait privée de ses intonations naturelles. D’une carrure<br />

d’athlète aussi, auprès de laquelle je me sentais aussi chétif qu’un<br />

cabri face à un bouc.<br />

18


titre coura<br />

L’arrivée d’un groupe de filles avait interrompu ce début<br />

de conversation. Il avait attiré nos regards. Le sien en particulier.<br />

Mathurin avait froncé les sourcils. Un sourire entendu avait<br />

éclairé son visage. Nul doute que la gent féminine ne le laissait<br />

pas indifférent.<br />

J’en étais resté à cette promesse de « bon ménage » entre nos<br />

deux disciplines. Chacun était désormais sur sa branche. Mais<br />

nous restions sur le même arbre. Qu’allions-nous partager avec<br />

ses racines ?<br />

L’entrevue entre mon père et Angelina restera pour moi un<br />

impérissable souvenir. Je la voyais très peu depuis ma scolarisation<br />

au collège à Ajaccio. Quelques rencontres à la fontaine. De brefs<br />

échanges sur la pluie et le beau temps. Et le récurrent questionnement<br />

sur la prochaine récolte de châtaignes. Je sentais cependant<br />

l’institutrice attentive à mon devenir.<br />

Puis un matin, je l’ai vue arriver. Elle montait péniblement la<br />

sente vers notre hameau. Une prouesse pour celle qui boudait la<br />

montagne. Le soleil se levait. Ses rayons effleuraient notre maison. La<br />

dernière à les recevoir après son lever au-dessus de la ligne de crêtes.<br />

Je me suis précipité au-devant d’elle. La première fois qu’elle<br />

venait ici ! Pourquoi ? À seize ans, je n’étais plus l’écolier qu’elle avait<br />

connu. Censé ne plus avoir affaire à elle. « Mathurin, ton père est-il<br />

là ? »<br />

Que lui voulait-elle ? Il détestait cette institutrice, ses manières<br />

citadines. Son accent marseillais surtout. Ignorant que le sien n’avait<br />

rien à lui envier. « Una pinzutta venue semer la bonne parole continentale<br />

sur une terre dont elle ne connaît rien », me proclamait-il<br />

régulièrement. Haut et fort.<br />

« Oui. Il est là, avais-je répliqué à Angelina d’un ton inquiet.<br />

– Tant mieux. Je n’aurai pas marché pour rien. »<br />

Puis elle m’avait posé une question embarrassante.<br />

« Cette lecture a-t-elle été enrichissante ? »<br />

Son air inquisiteur ne laissait planer aucun doute. J’avais pris un<br />

air innocent. Celui de l’écolier d’antan.<br />

« Quelle lecture ?<br />

– Celle du livre disparu mystérieusement il y a quelques années.<br />

Tu étais en CM2. »<br />

19


L’<strong>Altru</strong><br />

J’étais maintenant assez grand pour assumer sans graves conséquences<br />

ce larcin. La réponse m’échappa :<br />

« Je m’étonne que la plupart des hommes aient si peur des<br />

spectres, eux qui acceptent si facilement de parler aux morts dans<br />

leurs songes. »<br />

Une phrase glanée au hasard, qui m’avait frappé, tant elle exprimait<br />

mon vécu. Je me la répétais souvent. La mettant en pratique<br />

en tentant de parler dans mes rêves à celui qui ne m’avait laissé en<br />

héritage que le silence de sa mort.<br />

Angélina m’avait aussitôt embrassé. J’en avais rougi, de plaisir<br />

et de remords.<br />

« Mes premières patries ont été les livres, m’avait-elle répliqué.<br />

Pour toi aussi, je constate. Sinon, tu m’aurais rendu le mien depuis<br />

longtemps. Je te rassure… je l’ai remplacé. »<br />

Hadrien était un empereur esthète et humaniste. Je me sentais<br />

encore trop jeune pour le comprendre.<br />

« Tu es sur le bon chemin, avait ajouté Angelina. Je suis venue<br />

aujourd’hui pour que tu continues sur cette route. »<br />

Petr’Anto l’avait accueillie froidement en lui proposant de s’asseoir<br />

sur le banc en pierre. Pas question de la faire entrer à la maison.<br />

Trop rustique.<br />

L’entrée en matière avait donné le ton :<br />

« M. Cinarca ! Votre fils a bien réussi sa scolarité jusqu’à présent.<br />

Il a droit à l’éducation qu’il mérite. Vous ne serez pas déçu. Je vous<br />

le garantis. »<br />

Je devais entrer en classe de première. Ce que mon père m’avait<br />

refusé. Avec le champ à labourer, les jardins à entretenir, les puits à<br />

désengorger, les châtaigniers à nettoyer, les tâches ne manqueraient<br />

pas. Mon avenir était assuré. J’étais fils unique, donc le successeur<br />

désigné. Ma naissance avait mis un terme à la fécondité prometteuse<br />

de ma mère. Cela ne pouvait être le fait du géniteur. Une évidence<br />

que celui-ci ne manquait pas de me confesser, m’accusant ainsi d’en<br />

être indirectement responsable.<br />

Il ne m’aimait pas. Se montrait imperméable à mes gestes de<br />

tendresse, à la moindre tentative d’un fils en quête d’un lien paternel.<br />

La discussion avait duré des heures. Mon père ne lâchait pas<br />

prise. Le dernier argument d’Angelina l’avait atteint de plein fouet.<br />

Elle l’avait gardé en ultime recours, sûre de son impact. « Que dira le<br />

canton lorsqu’il apprendra qu’un père a refusé que son fils méritant<br />

se hausse pour l’honneur de sa famille ? »<br />

20

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