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DEUX LETTRES APOCRYPHES DE CALVIN.
(Nous en prenons le texte dans l'édition des Lettres françaises
de M. Bonnet T. II. p. 588 sniv. Voyez Desmolets, Mém. de
litt, et d'histoire P. 1730; d'Artigny Nouv. Mém. X. 428;
Long, Hist, de la réf. et des guerres de religion en Danphiné
P. 1856; Chastel, hist, de la vie de C. par Boisée. Lyon
1875. p. 305; Oapefîgue, Hist, de la réforme etc. H. 43; Bulletin
Vf. 7 sniv. — Nous ne croyons pouvoir mieux faire que
de transcrire tout simplement la note préliminaire de M..
Bonnet, à laquelle nous joindrons quelques petites observations
supplémentaires'.)
On lit dans les Nouveaux mémoires de l'abbé d'Artigny
T. III. p. 313—316: „Un jésuite habile et très-curieux d'anecdotes
littéraires m'a communiqué les deux lettres suivantes
dont M. le marquis du Poët conserve précieusement les originaux.
.. Ces deux lettres où le patriarohe des P. réformés
s'est peint au naturel, lui font si peu d'honneur qu'il n'est
rien que l'on n'ait mis en oeuvre pour les retirer d entre les
mains de M. dn Poët, jusque-là qu'un ministre des Cévennes
ayant demandé à les lire, voulut s'en saisir de force, oe qui
donna lien à une scène un peu vive dont on imagine bien que
les suites ne furent pas à l'avantage du predicant."
Telle est la première mention, légèrement ornée, des deux
fameuses lettres qui, publiées en 1750 par l'abbé d'Artigny,
allaient fournir un sarcasme à Voltaire, et oommencer leurs
succès de scandale dans un chapitre célèbre de L'Essai svr les
moeurs: „Le dernier trait au portrait de Calvin peut se tirer
d'une lettre de sa main qui se conserve encore au château de
la Bastie-Boland près de Montélimart. Elle est adressée au
marquis du Poët, grand chambellan de la reine de Navarre,
et datée du 30 septembre 1561 : „Honneur, gloire et richesses
seront la récompense de vos peines. Surtout ne faites faute
de défaire le pays de ces zélés faquins qui excitent les peuples
à se bander contre nous. Pareils monstres doivent être étouffés
comme je fis icy de Michel Servet, Espagnol. 1 )* Trop avisé
pour reproduire l'indigeste fatras des lettres signalées par l'habile
jésuite, et accueillies sans examen par l'abbé d'Artigny,
mais trop partial pour en discuter la valeur, Voltaire se bornait
à une citation, et il jetait en défi à la Réforme une phrase
de la main de Calvin, contenant un atroce conseil de meurtre
enveloppé dans une allusion cruelle à la mort de Servet.
Ce n'était là que le prélude de la fortune réservée aux deux
pièces, dont la singulière destinée a été de servir tour à tour
les rancunes de l'esprit philosophique du XVIII e siècle contre
l'esprit religieux du XVIe, et les haines d'une école qui ne recule
pas, on le sait, devant l'apologie de l'Inquisition et de la
Saint-Barthélémy, mais qui se voile pieusement la face devant
4272.1) Essai sur les moeurs, C. 1 34.
le bûcher de Servet-, et les inconséquentes rigueurs de la Réforme
à Genève. Les lettres à M. du Poët devaient fournir
une ample matière aux déclamations d'un parti, assez peu
scrupuleux sur le choix des armes contre l'hérésie; il n'a
pas manqué de s'en emparer. Bornons-nous à rappeler qu'on
les retrouve invariablement citées dans un grand nombre
d'écrits de controverse catholique depuis d'Artigny et Bergier
2 ) jusqu'à M. l'abbé Amodru,*) qu'elles ont obtenu les
honneurs dune double mention dans Audin,*) et d'une insertion
littérale dans un des livres les plus prônés de M. Oapefîgue.
5 ) Ajoutons enfin qu'un écrivain du Danphiné, M. Aubenas,
a renouvelé l'accusation, 6 ) reproduite par un savant
historien, M. Lavallée, 7 ) qui n'hésite pas à condamner Calvin
sur la foi de Voltaire.
Telle est l'histoire de ces lettres qui, citées avec une imperturbable
assnrance depuis plus d'un siècle, ont acquis, en
passant de bouche en bouche, une autorité mystérieuse, qui
semble placée au-dessus des débats et des doutes. Ainsi naissent
et se propagent, au gré des passions intéressées à les
répandre, oes mensonges consaorés qui ne sauraient soutenir
le plus léger examen, et dont les plus éclatantes réfutations
peuvent à peine ébranler l'empire. C'est une de oes fraudes
pieuses que nous entreprenons de démasquer pour la première
fois aujourd'hui.
Parmi les seigneurs qui embrassèrent avec le plus d'ardeur
la cause de la Beforme en Danphiné, dans la seconde
moitié du XVIe siècle, il faut compter Louis de Marcel, seigneur
de Barry, Mornans, Saou, baron du Poët, près de Montélimart.
Il unit ses efforts à ceux des principaux gentilhommes
du pays, Montbrun, BlaoonB et Mirabel, ponr obtenir la
liberté de conscience, et rivalisa de bravoure avec eux dans
la défense de Lyon contre l'armée catholique. 8 ) H prit part
anx batailles de Jarnac et de Montcontour, et suivit la fortune
du roi de Navarre à travers toutes les vicissitudes des guerres
civiles. Ses services ne furent pas oubliés, et quand la oause
pour laquelle il avait vaillamment combattu devint triomphante,
il fut nommé successivement chambellan du roi de Navarre,
conseiller d'état, gouverneur de Montélimart, lieutenant-général
2) Dictionnaire théologique, I. 241.
3) La vérité proposée aux catholiques et aux protestants,
Valence 1847. in-18.
4) Vie de Calvin II. 179. 434. 435.
5) Histoire de la Réforme II. 34. 35.
6) Notice historique sur la Ville et le Canton de Valreas
156. 157.
7) Histoire des Français II. 362.
8) D'Aubigné, Hist. univ. t. I. p. 247.