L'Africa romana - UnissResearch - Università degli Studi di Sassari

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402 Jean-Pierre Laporte non à un chasseur (sans voir non plus l'importance de l'anneau qui ne se révèle qu'à l'examen de la série). - Par ailleurs, la stèle d'Abizar a été découverte en 1858, peu après deux stèles romaines «à registres» de Castellum Tule;, en 1855 et 1856 22 . Or ces dernières portaient un registre consacré à la chasse. Comme, dans les conceptions de l'époque, il n'était guère concevable qu'un art autochtone ait pu se développer avant la présence romaine et en dehors de son influence, la stèle d'Abizar ne pouvait etre qu'une image romaine déformée par la barbarie des imitateurs, contemporains ou postérieurs. La chose était tellement évidente qu'elle fut répétée à satiété et que de cette répétition naquit une quasi-certitude. Publiant en 1882 la stèle de Souama (n. 8) qu'il venait de découvrir, Masqueray fut le premier à théoriser clairement ce qui n'était jusque là qu'une évidence2 3 : «Il est permis de supposer que les chefs indigènes prédécesseurs ou contemporains de Nubel ou de FirIIÌus auxquels Rome avait remis le gouvernement de leurs compatriotes dans les montagnes du Djurdjura avaient aimé à se faire représenter avec leurs attributs par les rudes artistes de leurs villages ou que leurs descendants leur aient érigé des pierres commémoratives à l'imitation de celles qui décoraient les tombeaux romains de Bida et de Tubusuptu 24 • Nos monuments méritent d'etre à coté de ceux de Castellum Tulei sur lesquels des principes Kabyles se sont fait inserire des épitaphes en langue latine». Décrivant en 1890 les memes stèles arrivées au Musée d' Alger, DoubI et adopte suivant les pages des partis sensiblement différents. Il remarque d'abord l'aspect autochtone de l'iconographie et du travail: «Ces stèles sont de la plus haute importance pour l'étude du travail purement indigène. La principale est la célèbre stèle d'Abizar, vrai type d'une reuvre berbère dans laquelle ne se retrouve aucune influence des exemples romains, et qui dérive directement des sculptures ou des dessins rupestres du Tell ou du Sahara»2S. Puis il se ravise quelque peu: «Le mot d'àge en effet implique bien moins une date d'exécution, qu'une étape dans l'évolution de l'Art. L'artisan qui a fait la stèle d'Abizar ( ... ) peut etre presque contemporain de celui qui, probablement dans le meme lieu, a fait la stèle [d'époque ro- 22 C.I.L., VIII, 9005 et 9006, voir ci-dessous, p. 416, fig. 7. 23 MASQUERAY, «Bull. Corro Af.», I, 1882, p. 38-41 (p. 41). 24 Bida = Djemaa Saharidj, Tubusuptu = Tiklat. 25 DOUBLET, Musée d'Alger, Catalogue, 1890, p. 31. Datation des stèles libyques figurées de Gronde Kaby/ie 403 maine] provenant d'Abizar, tabula deo mast[--_26. I\1ais comme art, il est originaI indigène et l'autre reproduit, quoique mal, un modèle évidemment romain»27. Enfin, inquiet de sa propre hardiesse, Doublet tente de concilier ce qu'il voit avec la «traditio.n» érudite de son temps: «Ce sont des stèles grossières, figurant sans doute des chefs indigènes, ceux auxquels Rome avait remis l'administration des peuplades de la montagne ... La stèle d'Abizar est un monument capitaI pour l'histoire de l'art antique indigène. Elle représente à l'àge romain la tradition directe de l'art berbère le plus ancien. Les procédés de sculpture, les partis-pris de dessin dont elle témoigne dérivent tout droit de la pratique à laquelle sont dues les grandes sculptures de Hadjar el Khenga, comme celles de Moghar, de Tyout, d'El Hadj Mimoun et de tant de points du Souf et du Sahara»28. La chose paraissait définitivement jugée, mais la question reprend une certaine actualité après la découverte de trois stèles libyques figurées (ici, n. 2, 5 et 7) par Sai"d Boulifa en 1910 et 1911. L'abbé Jean-Baptiste Chabot s'interroge en 1919 29 : «Les stèles libyques au nombre de 23 [en comptant les stèles aniconiques] ont aussi attiré mon attention. Elles proviennent, pour la plupart, des missions de M. Masqueray [en 1882] et Boulifa dans le haut Sebaou en 1905 et 1911. Les stèles de cette provenance diffèrent notablement, par l'aspect extérieur, par leur ornementation et par la forme de quelques caractères, des stèles recueillies en Tunisie et dans la région située à l'est de Constantine. Elles paraissent beaucoup plus récentes; peut-etre conviendrait-il de les appeler kabyles plutot que libyques. On examinera si elles doivent réellement prendre pIace dans une recueil d'inscriptions libyques». En 1921, Gsell pose le problème avec beaucoup plus de netteté, tout en modérant aussitot ses propos30: «Des stèles de la Grande Kabylie représentent des guerriers à pied, ou le plus souvent à cheval, figures que de courtes inscriptions libyques accompagnent. Ces grossières images tracées en un relief très plat, inusité dans Ies milieux romains aux premiers 26 CIL VIII 9007 = 20731. Tabula deo Mast[---J (la quatrième lettre est certainement un T). Cette stèle de facture romaine dédiée à un dieu au nom libyque (préfixe mast-) provient de Kabylie, mais pas nécessairement d'Abizar (cf. BERBRUGGER, «Rev. AfL», VI, 1862, p. 65). Mastan- est un préfixe signifiant «protecteuD>, cf. G. CAMPS, Les derniers rois numides, Massinissa Il et Arabion, dans «BCTH», n.s., fasc. 17 B, 1984, p. 308. 27 DOUBLET, ibidem, p. 69. 28 DOUBLET, ibidem, p. 73. 29 J.B. CHABOT, Rapport sur une mission épigraphique dans l'A/rique du Nord, dans «CRA!», 1919, p. 216. 30 S. GSELL, Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, t. II, 1921, p. 97-98.

404 Jean-Pierre Laporte siècles de notre ère, et qu'on attribuerait volontiers soit à une époque antérieure, soit à une époque plus tardive, s'il ne s'agissait pas d'reuvres d'artisans indigènes qui pouvaient rester fidèles à de vieilles traditions». En 1928, Wuilleumier fait écho à la thèse traditionnelle 31 : «Ces stèles à figuration anthropomorphes, comparées aux gravures rupestres d'Afrique et des Canaries attestent de la survivance de l'art indigène, légèrement influencé par les représentations puniques et romaines». En 1940, Chabot finit par répondre par l'affirmative à sa question de 1919. Il accueille les stèles étudiées dans le Recueil des Inscriptions Libyques 32 , tout en rappelant ses doutes à ce sujet 33 : «Dans l'ensemble, [les stèles du département d'Alger], diffèrent sensiblement de celles que nous avons examinées jusqu'ici [celI es de l'est de l'Algérie], surtout en ce qui concerne les sujets figurés. Peut-etre seraient-elles mieux désignées par le nom de kabyles que par celui de libyques?». La question posée par Gsell en 1921 (avant ou après Rome?) appelle à soutenir deux thèses inverses, qui, conformément aux indications du maitre, font toutes deux l'impasse sur la période romaine proprement dite, sans plus d'explication. En 1972, P .-A. Février défend et illustre l'hypothèse d'une datation basse (V c_ VII e siècles après J. -C.) entre la fin de la domination romaine et la conversion de la région à l'Islam 34 • En 1980, G. Camps expose la position inverse, sans proposer de datation précise 3S • En 1984, avec une courtoisie qui les honore, tous deux donnent cote à cote un résumé des deux thèses en présence 36 • 31 P. WUILLEUMIER, Musée d'Alger, Supplément, p. 16. 32 l.B. CHABOT, RfL, 1940, stèles 843 à 854. 33 l.B. CHABOT, RfL, 1940, p. 184. 34 P .A. FÉVRIER, L'art funéraire et les images de chefs indigènes de la Kabylie antique, dans Actes du [u Congrès d'Etudes des cultures méditerranéennes, 1972, p. 152-159. Malheureusement, P.-A. Février n'a fait qu'une allusion cursive à sa thèse d'une datation basse, et n'a pas mis à jour son argumentation dans son dernier ouvrage, P .-A. FÉVRIER, Approchesdu Maghreb roma.in, t. II, 1990, p. 115 (avec photographique de la stèle d'Abizar, planche 19, avant la page 65). 35 G. CAMPS, Les Berbères, Mémoires et identité, Paris 1980, p. 169. 36 P .-A. FÉVRIER et G. CAMPS, s.v. Abizar dans Encyc/opédie Berbère, t. I, 1984, p. 79-84 et p. 84-86. Datation des stèles libyques figurées de Grande Kabylie 405 La thèse d'une datation basse (ve-VIle s ap. J .-C.) La thèse d'une datation basse (ve-VIle siècles après J .-C.) s'appuie sur un certain no mb re de comparaisons iconographiques et stylistiques, dont les principales sont les suivantes 37 : l) La représentation de la chasse à l'autruche se retro uve sur des mosai'ques de basse époque, par exemple dans une maison du front de mer à Hippone; elle est figurée sur une dalle du djedar A du Djebel Lakhdar. 2) Le bouclier rond est caractéristique de l'armement libyque, on le retrouve par exemple sur la colonne trajane, comme caractéristique des cavaliers maures, et sur des mosai'ques de basse époque. 3) Le geste du cavalier est étroitement lié aux représentations de la chasse des Ille et IVe siècles après J .-C. Par leur intermédiaire, le schéma iconographique se rattache à un courant d'images bien connues, passées du monde hellénistique dans celui de l'Afrique romaine. 4) Schématisation et frontalité: a) «Les pierres d'Abizar et de la Kabylie témoignent d'une telle fidélité à la représentation frontale et médiane que l' on se demandera si cette tendance ne se pIace pas dans le prolongement d'une reuvre comme celle de Diar Mami». b) Schématisation et frontalité se retrouvent dans des exemples divers, par exemple l'image de saint Théodore sur des carreaux en terre cuite byzantins de Tunisie, et sur le dosseret de Daniel à Tigzirt. c) Le traitement de la face se rapproche de celui du personnage gravé sur la tranche du reliquaire de Ksar Sbahi. 5) «L'hypothèse d'une réapparition à la fin de l'Antiquité de formes héritées d'un passé berbère peut donc difficilement etre soutenue; en tout cas elle ne peut reposer sur des arguments stylistiques». Reprenons chacun de ces points: l) Si meme une autruche est représentée sur la stèle d'Abizar (ce qui parait fort douteux), il est clair que les autochtones n'ont pas attendu Rome pour chasser cet animaI, de meme qu'ils Pont chassé bien après que les Romains aient quitté l'Afrique. L'argument ne donne aucun élément de datation. Par ailleurs, cette prétendue autruche (dans laquelle on peut reconnaitre en fait un volatile quelconque) ne se trou- 37 Nous faisons ici la synthèse des principaux arguments énumérés par P .-A. Février dans deux articles: L'art funéraire et les images de chefr; indigènes dans l'Afrique antique, dans Actes du fu Congrès d'Etudes des cultures méditerranéennes d'inj7uence arabo-berbère, Malte, 1972, p. 152-159, et s.v. Abizar, dans Encyc/opédie Berbère, t.I, 1984, p. 79-84.

402 Jean-Pierre Laporte<br />

non à un chasseur (sans voir non plus l'importance de l'anneau qui<br />

ne se révèle qu'à l'examen de la série).<br />

- Par ailleurs, la stèle d'Abizar a été découverte en 1858, peu après deux<br />

stèles romaines «à registres» de Castellum Tule;, en 1855 et 1856 22 .<br />

Or ces dernières portaient un registre consacré à la chasse. Comme,<br />

dans les conceptions de l'époque, il n'était guère concevable qu'un<br />

art autochtone ait pu se développer avant la présence romaine et en<br />

dehors de son influence, la stèle d'Abizar ne pouvait etre qu'une image<br />

romaine déformée par la barbarie des imitateurs, contemporains<br />

ou postérieurs.<br />

La chose était tellement évidente qu'elle fut répétée à satiété et que<br />

de cette répétition naquit une quasi-certitude.<br />

Publiant en 1882 la stèle de Souama (n. 8) qu'il venait de découvrir,<br />

Masqueray fut le premier à théoriser clairement ce qui n'était jusque là<br />

qu'une évidence2 3 : «Il est permis de supposer que les chefs in<strong>di</strong>gènes prédécesseurs<br />

ou contemporains de Nubel ou de FirIIÌus auxquels Rome avait<br />

remis le gouvernement de leurs compatriotes dans les montagnes du<br />

Djurdjura avaient aimé à se faire représenter avec leurs attributs par les<br />

rudes artistes de leurs villages ou que leurs descendants leur aient érigé<br />

des pierres commémoratives à l'imitation de celles qui décoraient les tombeaux<br />

romains de Bida et de Tubusuptu 24 • Nos monuments méritent d'etre<br />

à coté de ceux de Castellum Tulei sur lesquels des principes Kabyles<br />

se sont fait inserire des épitaphes en langue latine».<br />

Décrivant en 1890 les memes stèles arrivées au Musée d' Alger, DoubI<br />

et adopte suivant les pages des partis sensiblement <strong>di</strong>fférents. Il remarque<br />

d'abord l'aspect autochtone de l'iconographie et du travail:<br />

«Ces stèles sont de la plus haute importance pour l'étude du travail<br />

purement in<strong>di</strong>gène. La principale est la célèbre stèle d'Abizar, vrai type<br />

d'une reuvre berbère dans laquelle ne se retrouve aucune influence des<br />

exemples romains, et qui dérive <strong>di</strong>rectement des sculptures ou des dessins<br />

rupestres du Tell ou du Sahara»2S.<br />

Puis il se ravise quelque peu: «Le mot d'àge en effet implique bien<br />

moins une date d'exécution, qu'une étape dans l'évolution de l'Art. L'artisan<br />

qui a fait la stèle d'Abizar ( ... ) peut etre presque contemporain de<br />

celui qui, probablement dans le meme lieu, a fait la stèle [d'époque ro-<br />

22 C.I.L., VIII, 9005 et 9006, voir ci-dessous, p. 416, fig. 7.<br />

23 MASQUERAY, «Bull. Corro Af.», I, 1882, p. 38-41 (p. 41).<br />

24 Bida = Djemaa Saharidj, Tubusuptu = Tiklat.<br />

25 DOUBLET, Musée d'Alger, Catalogue, 1890, p. 31.<br />

Datation des stèles libyques figurées de Gronde Kaby/ie 403<br />

maine] provenant d'Abizar, tabula deo mast[--_26. I\1ais comme art, il est<br />

originaI in<strong>di</strong>gène et l'autre reproduit, quoique mal, un modèle évidemment<br />

romain»27.<br />

Enfin, inquiet de sa propre har<strong>di</strong>esse, Doublet tente de concilier ce<br />

qu'il voit avec la «tra<strong>di</strong>tio.n» éru<strong>di</strong>te de son temps: «Ce sont des stèles<br />

grossières, figurant sans doute des chefs in<strong>di</strong>gènes, ceux auxquels Rome<br />

avait remis l'administration des peuplades de la montagne ... La stèle d'Abizar<br />

est un monument capitaI pour l'histoire de l'art antique in<strong>di</strong>gène.<br />

Elle représente à l'àge romain la tra<strong>di</strong>tion <strong>di</strong>recte de l'art berbère le plus<br />

ancien. Les procédés de sculpture, les partis-pris de dessin dont elle témoigne<br />

dérivent tout droit de la pratique à laquelle sont dues les grandes<br />

sculptures de Hadjar el Khenga, comme celles de Moghar, de Tyout, d'El<br />

Hadj Mimoun et de tant de points du Souf et du Sahara»28.<br />

La chose paraissait définitivement jugée, mais la question reprend<br />

une certaine actualité après la découverte de trois stèles libyques figurées<br />

(ici, n. 2, 5 et 7) par Sai"d Boulifa en 1910 et 1911. L'abbé Jean-Baptiste<br />

Chabot s'interroge en 1919 29 : «Les stèles libyques au nombre de 23 [en<br />

comptant les stèles aniconiques] ont aussi attiré mon attention. Elles proviennent,<br />

pour la plupart, des missions de M. Masqueray [en 1882] et<br />

Boulifa dans le haut Sebaou en 1905 et 1911. Les stèles de cette provenance<br />

<strong>di</strong>ffèrent notablement, par l'aspect extérieur, par leur ornementation<br />

et par la forme de quelques caractères, des stèles recueillies en Tunisie<br />

et dans la région située à l'est de Constantine. Elles paraissent beaucoup<br />

plus récentes; peut-etre conviendrait-il de les appeler kabyles plutot<br />

que libyques. On examinera si elles doivent réellement prendre pIace<br />

dans une recueil d'inscriptions libyques».<br />

En 1921, Gsell pose le problème avec beaucoup plus de netteté, tout<br />

en modérant aussitot ses propos30: «Des stèles de la Grande Kabylie représentent<br />

des guerriers à pied, ou le plus souvent à cheval, figures que<br />

de courtes inscriptions libyques accompagnent. Ces grossières images tracées<br />

en un relief très plat, inusité dans Ies milieux romains aux premiers<br />

26 CIL VIII 9007 = 20731. Tabula deo Mast[---J (la quatrième lettre est certainement<br />

un T). Cette stèle de facture romaine dé<strong>di</strong>ée à un <strong>di</strong>eu au nom libyque (préfixe mast-) provient<br />

de Kabylie, mais pas nécessairement d'Abizar (cf. BERBRUGGER, «Rev. AfL», VI,<br />

1862, p. 65). Mastan- est un préfixe signifiant «protecteuD>, cf. G. CAMPS, Les derniers<br />

rois numides, Massinissa Il et Arabion, dans «BCTH», n.s., fasc. 17 B, 1984, p. 308.<br />

27 DOUBLET, ibidem, p. 69.<br />

28 DOUBLET, ibidem, p. 73.<br />

29 J.B. CHABOT, Rapport sur une mission épigraphique dans l'A/rique du Nord, dans<br />

«CRA!», 1919, p. 216.<br />

30 S. GSELL, Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, t. II, 1921, p. 97-98.

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