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QUI - GALLERIA SAN CARLO MILANO

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dimensions, obéissant au code de communication propre aux arts visuels, différent<br />

et puissant.<br />

L’attachement aux lettres, le fait d’écrire ont fait que l’artiste n’a jamais renoncé à<br />

considérer l’art comme une forme de communication et à interpréter le tableau,<br />

chaque tableau, comme l’aboutissement d’un complexe réseau de références et de<br />

messages. Un art sans objet, un art pour l’art qui ne serait qu’abstraction, exercice<br />

calligraphique, plaisir esthétique ou formel, n’aurait pas de sens pour Arroyo ; par<br />

ailleurs, une peinture qui ne serait qu’objet, s’épuiserait et se laisserait lire tout entière<br />

dans son contenu, en admettant que ce soit possible (et cela ne l’est pas, car ce ne<br />

serait pas une peinture mais un hologramme), serait une bien pauvre chose. Car les<br />

deux dimensions doivent nécessairement s’entrelacer et se recouper en un cercle<br />

vertueux qui en soi devient un style. Et nous voici donc à la culture de masse, la culture<br />

populaire, qui au fil du temps s’est incarnée dans ses tableaux sous forme de différents<br />

personnages (parmi les plus sympathiques, rappelons l’étoile du flamenco Carmen<br />

Amaya qui, à en croire Arroyo, fait frire les sardines en utilisant comme gril improvisé<br />

le sommier du lit du Waldorf Astoria de New York) ; et aujourd’hui elle prend l’aspect<br />

de Fantômas, auquel l’artiste a consacré une bonne partie des tableaux exécutés au<br />

cours des dernières années en prévision de cette exposition. L’impitoyable génie du<br />

mal y est représenté sous plusieurs versions, toujours reconnaissable à son immanquable<br />

masque noir : un masque qui menace, peut-être, l’entourage de la haute couture<br />

(Fantômas chez Balenciaga), ou se profile sur le visage d’un certain monsieur d’Avignon<br />

(est-ce lui ?) ou sur la grimace d’un autre personnage à l’air bourgeois et quelque peu<br />

morne, dû à une autre main. Dans ces derniers tableaux, Arroyo reprend un effet un<br />

vieux jeu des néo-avant-gardes d’inspiration dadaïste, jeu pratiqué avec bonheur et<br />

succès, à la fin des années cinquante, par Jorn, Baj et Spoerri, entre autres. À l’époque<br />

on parlait de “peinture détournée”, aujourd’hui on pourrait utiliser le terme ”appropriations”.<br />

Arroyo, donc, s’est approprié certaines vieilles toiles déjà peintes et y a apposé un<br />

beau masque de Fantômas, un loup inévitablement rétro mais fort actuel, adapté à<br />

notre monde nomade, transformiste, éoniste...<br />

Mais pourquoi Fantômas, pourquoi précisément lui ? Les raisons en sont selon moi<br />

aussi nombreuses que diverses. Il faut tenir compte avant tout de la vieille francophilie<br />

de l’Espagnol Eduardo Arroyo. Dans sa jeunesse, c’est à Paris que l’artiste a campé<br />

son propre portrait d’expatrié, d’émigré, de rebelle, polémique et en colére contre son<br />

pays, alors franquiste. Et même, à un certain point, d’exilé (parmi les titres de ses<br />

tableaux figure en effet le mélancolique et efficace Réflexions sur l’exil), dénigrateur<br />

caustique de la rhétorique de tous les pouvoirs, comme il l’a inlassablement démontré<br />

dans d’innombrables toiles (que l’on songe à Los cuatro dictatores , de 1963).<br />

Pour un jeune homme transgressif et intelligent de sa génération, Paris était peut-être<br />

inévitable. C’est dans le décor de son fleuve et de ses boulevards que l’artiste a situé<br />

son roman de formation, à mi-chemin entre Picasso et Cortázar ; il y a fait ses premiers<br />

pas comme peintre, y a été largement reconnu et y a obtenu ce que l’on peut<br />

véritablement, sans aucun euphémisme, qualifier de succès. Arroyo connaît intimement,<br />

comme seul un étranger peut le faire, Paris, la France et les Français, leurs ombres,<br />

leurs atmosphères et leurs livres. Et ce n’est pas un hasard si, dans un grand tableau,<br />

il en a retracé l’histoire à travers des symboles et des épisodes saillants, avec force<br />

coqs, chemins de fer, saints décapités, vieilles Bretonnes (ou Provençales) et travaux<br />

en cours.<br />

Fantômas est parisien, c’est un mythe littéraire et cinématographique purement français.<br />

Arroyo méprise, ou tout au moins ne prend pas en considération, ses imitations<br />

américaines. L’original est mieux, et c’est de lui, de sa découverte et de son appartenance<br />

qu’il nous parle.<br />

Il y a en outre la trangression de Fantômas, sa vivacité, son intolérance à l’égard de<br />

l’hypocrisie bourgeoise dont Arroyo, provocateur, diffamateur, pourfendeur de sa<br />

peinture et de ses mœ urs, a fait un excellent cheval de bataille, dans sa jeunesse<br />

14<br />

Fantomas, 2005<br />

Olio e ripolin su tela<br />

cm 34,3 x 26,4

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