Luigi Riccoboni, Il liberale per forza / L'italiano ... - irpmf - CNRS
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Preface<br />
<strong>Luigi</strong> <strong>Riccoboni</strong> – 27<br />
[1] J’ai toujours été d’un avis contraire à ce que j’entreprens aujourd’hui, presque malgré<br />
moi. [2] Lorsque je me vis destiné en Italie au bonheur de venir exercer ma profession<br />
à Paris, pour y contribuer au divertissement d’une nation aussi celebre, aussi délicate et<br />
aussi habile dans tous les genres de sciences et de belles lettres, mais sur-tout dans ce qui<br />
concerne le theatre, puisque depuis plusieurs années elle a surpassé de bien loin les Grecs et<br />
les Latins dans la tragedie et dans la comedie, par les ouvrages des fameux Corneille, Racine,<br />
Moliere, et de tant d’autres poëtes, qui par d’excellentes imitations, par des traductions fort<br />
embellies, ou par des poëmes de leur invention, ont acquis au theatre françois une réputation<br />
su<strong>per</strong>ieure à celle de tous les autres: (lors, dis-je, que je me vis destiné à un si grand honneur,<br />
je me fl attai de pouvoir montrer une comedie italienne fort differente de celle que l’on avoit<br />
vûe autrefois en France; inférieure à la verité par le merite <strong>per</strong>sonnel des acteurs (puisque<br />
je n’en amenois aucun qui pût égaler ceux de l’ancienne troupe italienne) mais su<strong>per</strong>ieure<br />
par la qualité des pieces; puisque la comedie n’étoit dans cette ancienne troupe qu’un amas<br />
informe de scenes risibles, qui n’avoient entr’elles aucune liaison, et qui formant une piece<br />
sans aucun dessein, représentoient parfaitement ce monstre que décrit si-bien Horace au<br />
commencement de son Art poëtique.<br />
[3] Mais avant que d’ouvrir le theatre je trouvai que je m’étois trompé en concevant cette<br />
opinion. [4] Tout le monde attendoit des comediens italiens cette espece de comedie que<br />
je blâmois tant, et que tous les gens de lettres desaprouvent. [5] Chacun me disoit que le<br />
public n’attendoit de nous qu’une joye folle et un ris non assujetti aux regles, que le spectacle<br />
italien, auquel il étoit accoutumé, ne lui avoit pas donné d’autre idée, et que je ne devois<br />
pas songer à jouer des comedies de bon goût, puisque la maniere des comediens italiens ne<br />
s’y pouvoit pas accommoder, et qu’elle n’étoit pas propre à la représentation de la bonne<br />
comedie. [6] Cedant à cette prévention generale qui détruisoit le systême que je m’étois<br />
formé, il fallut se rendre, et ne point abandonner le grand objet que je me devois proposer,<br />
qui étoit de chercher à plaire; ainsi je fus contraint de mettre sur le theatre les comedies<br />
les moins régulieres; mais neanmoins assujetties le mieux que je pûs à la bienseance et<br />
aux bonnes mœurs. [7] <strong>Il</strong> est pourtant vrai que je ne pûs voir la réputation de la comedie<br />
italienne <strong>per</strong>due pour toujours; et après les premieres représentations, je présentai au public,<br />
comme pour essayer son goût, deux comedies de ma façon, qui fuerent: La fi lle crue garçon, et<br />
La femme jalouse. [8] La premiere tirée du Secchi; et la seconde entierement de moi. [9] Leur<br />
succès fut tel que j’eus lieu d’en être satisfait, et que je me sentis encouragé à en composer<br />
de nouvelles. Ainsi dans le cours de trois mois je fus en état de donner au public, l’Italien<br />
marié à Paris, Arlequin courtisan, et Lelio et Arlequin ravisseurs malheureux. [10] Mon bonheur<br />
fut si grand, que le public m’en parut satisfait, et ne se plaignit presque que du défaut<br />
d’intelligence de la langue italienne qui l’empêchoit de comprendre parfaitement la suite<br />
de l’intrigue, et de sentir tout le détail des scenes. [11] Le public lui-même me sollicitant de<br />
tous côtez à ce sujet, a bien voulu penser au moyen de faciliter l’intelligence de ces comedies<br />
à tout le monde, et d’en augmenter le succès, en me proposant l’impression des sujets de<br />
nos pieces de theatre dans les deux langues italienne et françoise, travail qui serviroit nonseulement<br />
à l’intelligence de ces comedies, mais encore à la pratique de la langue italienne.<br />
[12] Me voilà donc prêt à remplir les souhaits du public, en commençant à lui donner, par<br />
ce premier volume de notre theatre italien, une preuve de ma soumission pour lui.<br />
© IRPMF, 2008 – Les savoirs des acteurs italiens, collection dirigée par Andrea Fabiano