Vazha-Pshavela 150

Vazha-Pshavela 150 Vazha-Pshavela 150

literaturatmcodneoba.tsu.ge
from literaturatmcodneoba.tsu.ge More from this publisher
04.01.2013 Views

outait avec délice l’herbe aspergée de gouttelettes d’eau sur le flanc de la montagne. Le soleil s’était à demi caché derrière la montagne. Ses rayons pâles prenaient congé des montagnes et des sommets des arbres de la forêt. Dominant son troupeau, un berger revêtu d’un manteau de feutre jouait du chalumeau. Un chien affreux et poilu se tenait à ses côtés. Il suivait d’un œil attentif les déplacements du troupeau, tout en fixant de temps en temps d’un regard affectueux son maître. - Nous voici mal venus dans ces endroits, me dit maman. Tu n’as pas à craindre le berger qui n’a pas d’arme, mais le chien sentira notre odeur et il se peut qu’il se mette à nous poursuivre. Fais demi-tour. Ne le quitte pas des yeux. S’il court vers nous, j’irai au-devant de lui, et tu pourras te cacher dans les herbes. En effet, à notre apparition les moutons s’effarouchèrent et nous fixèrent des yeux. Je me cachai dans les broussailles sans perdre de vue le chien à la queue touffue. Le chien grogna en même temps que les moutons s’effrayèrent. Dressant les oreilles, il s’élança vers nous… Le berger poussa des cris. Je tremblai. Attiré par maman, le chien se dirigea vers elle. Maman glissa, et durant un moment, je la perdis de vue. Les larmes obstruaient ma vue, mon cœur était meurtri. Pauvre maman, si cette maudite bête réussit à s’emparer de toi! Pendant longtemps j’entendis résonner les sabots et les pierres rouler au fond du précipice. Malheur à moi s’il s’est emparé de maman et s’il est en train de la dévorer de ses dents affilées comme des diamants. Le soir arriva. Le berger siffla et rentra les moutons. Le cœur battant, je suivais du regard ses mouvements. Tantôt il frappait les pauvres moutons d’un gros gourdin et tantôt il leur jetait des pierres. L’une d’elles atteignit un petit agneau de mon âge. Le pauvre tomba à la renverse et agita piteusement ses pattes. Le berger gravit la pente et appela son Noiraud. Peu de temps après j’aperçus à l’horizon Noiraud, sa langue ensanglantée pendant de sa gueule, effondré aux pieds de son maître. 26

La frayeur me saisit : s’il se trouvait que sa gueule était tachée du sang de maman ? L’obscurité se fit. On n’entendit plus un bruit. Où était maman ? À supposer qu’elle soit en vie, il se peut qu’elle ne réussisse pas à me retrouver. Peu de temps après j’entendis un bruit assourdi qui ressemblait à la voix de maman. Je lui répondis. Alarmée, maman accourut vers moi. - T’es ici, mon enfant ? N’aie pas peur, ta maman est vivante. Ni le chien, ni le loup ne peuvent rien contre elle… T’es vivant ? me demanda-t-elle. - Je suis vivant, lui répondis-je. Maman me caressa… À qui puis-je adresser mes pleurs et mes supplications ? Qui a le pouvoir de me permettre de regarder encore une fois au fond des yeux de maman, de me replonger dans ses caresses ? Comment faire face à ce chagrin ? Si seulement notre ennemi sanguinaire nous avait tués tous les deux d’un seul coup ? Pourquoi suis-je resté en vie ? La veille, j’avais été heureux d’avoir retrouvé ma consolation pleine de beauté. Qui aurait pu me dire que le lendemain je la perdrais à jamais ? Nous passâmes la nuit à marcher dans les champs. Nous n’avions plus peur. Nous pénétrâmes dans un champ de seigle et nous nous régalâmes. À l’aube nous regagnâmes la forêt. Maudite soit l’aurore de ce jour ! Deux ou trois cerisiers, entourés d’herbe drue, s’élevaient au milieu du champ. Des merles tournoyaient en volée autour d’eux. Une grande animation régnait. Les uns partaient, d’autres venaient s’approvisionner pour leurs petits. Maman me prévint : - Ce n’est pas le moment de se promener. Notre ennemi nous cherche sur le sol mouillé de la pluie. Alors regarde bien de tous les côtés. Ce fut le dernier avertissement de maman. Maman était mal dans sa peau, comme si elle avait le pressentiment de la mort. Elle entamait une feuille sur un arbre, et s’immobilisait aussitôt. Au-dessus de nous, des osiers s’alignaient sur le flanc de la montagne, précédés par trois ou quatre bouleaux élancés. Soudain, comme le tonnerre des cieux, un coup de fusil partit. L’écho de la détonation fit le tour des montagnes et des rochers. Les feuilles des arbres et les 27

outait avec délice l’herbe aspergée de gouttelettes d’eau sur le flanc de la<br />

montagne. Le soleil s’était à demi caché derrière la montagne. Ses rayons pâles<br />

prenaient congé des montagnes et des sommets des arbres de la forêt.<br />

Dominant son troupeau, un berger revêtu d’un manteau de feutre jouait du<br />

chalumeau. Un chien affreux et poilu se tenait à ses côtés. Il suivait d’un œil attentif<br />

les déplacements du troupeau, tout en fixant de temps en temps d’un regard<br />

affectueux son maître.<br />

- Nous voici mal venus dans ces endroits, me dit maman. Tu n’as pas à<br />

craindre le berger qui n’a pas d’arme, mais le chien sentira notre odeur et il se<br />

peut qu’il se mette à nous poursuivre. Fais demi-tour. Ne le quitte pas des yeux.<br />

S’il court vers nous, j’irai au-devant de lui, et tu pourras te cacher dans les<br />

herbes.<br />

En effet, à notre apparition les moutons s’effarouchèrent et nous fixèrent des<br />

yeux. Je me cachai dans les broussailles sans perdre de vue le chien à la queue<br />

touffue. Le chien grogna en même temps que les moutons s’effrayèrent. Dressant<br />

les oreilles, il s’élança vers nous…<br />

Le berger poussa des cris. Je tremblai. Attiré par maman, le chien se dirigea<br />

vers elle. Maman glissa, et durant un moment, je la perdis de vue. Les larmes<br />

obstruaient ma vue, mon cœur était meurtri. Pauvre maman, si cette maudite bête<br />

réussit à s’emparer de toi! Pendant longtemps j’entendis résonner les sabots et<br />

les pierres rouler au fond du précipice.<br />

Malheur à moi s’il s’est emparé de maman et s’il est en train de la dévorer<br />

de ses dents affilées comme des diamants.<br />

Le soir arriva. Le berger siffla et rentra les moutons. Le cœur battant, je<br />

suivais du regard ses mouvements. Tantôt il frappait les pauvres moutons d’un<br />

gros gourdin et tantôt il leur jetait des pierres. L’une d’elles atteignit un petit<br />

agneau de mon âge. Le pauvre tomba à la renverse et agita piteusement ses pattes.<br />

Le berger gravit la pente et appela son Noiraud. Peu de temps après j’aperçus<br />

à l’horizon Noiraud, sa langue ensanglantée pendant de sa gueule, effondré<br />

aux pieds de son maître.<br />

26

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!