Vazha-Pshavela 150

Je m’approchai et, pour commencer, plongeai avec précaution un pied dans
la rivière. Comme l’eau était horriblement froide, je rebondis aussitôt en arrière.
- L’eau est froide, dis-je, et je n’arrive pas à y rester.
- Ce n’est rien, mon enfant, tu dois t’y habituer dès maintenant.
Je rentrai de nouveau dans l’eau, j’y patientai quelque temps, puis en
ressortis. Des bruits nous parvinrent du taillis d’au-dessus.
- Ceux-là ne sont pas dangereux, me dit maman, c’est une femme avec son
enfant. Nos ennemis ne crient pas de la sorte. Pourtant, nous devons toujours
être sur nos gardes. Repassons par les baliveaux, évitons de nous montrer à la
lisière.
Maman me précéda. Aiguillonné par la curiosité, je dissimulai mon corps,
mais je sortis le bout de mon museau de derrière les arbres pour regarder. Au
même instant j’entendis une voix qui montait d’en bas:
- Oh, ma p’tite maman, le loup, le loup !
- N’aie pas peur, mon enfant, mon chéri ! Montre-moi un peu où tu vois le
loup ? demanda la mère à son fils.
Les yeux en larmes, l’enfant me désignait du doigt:
- Ah, mon enfant, ce n’est pas un loup, mais un chevreuil ! De plus, qu’il est
beau !
- Attrapons-le, maman, disait le petit, impatient de courir vers moi.
- Non, chéri, ce serait dommage ! car lui aussi, il doit avoir sa maman ! Tu
t’imagines ce qu’elle pleurerait si son petit venait à disparaître !
Retenant mon souffle, j’écoutai ces propos et je me réjouis d’entendre au
moins une manifestation de compassion. Même, j’aurais aimé apprendre la suite
de la conversation, mais maman se retourna, accourut vers moi et me dit:
- Petit nigaud, tu crois ce qu’ils disent ? As-tu fini de regarder par là ? Suismoi,
et vite ! Ces deux-là signaleront aux chasseurs notre présence, et les chasseurs
ne man queront pas de nous priver à jamais de ce monde.
Pauvre maman, son appréhension allait bientôt se confirmer !
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