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Association Jean-Daniel Schoepflin Institut d’Histoire d’Alsace Chantiers historiques en Alsace Jeunes Chercheurs en Histoire de l’Université Marc Bloch de Strasbourg et de l’Université de Haute-Alsace N° 8 2005

Association Jean-Daniel Schoepflin<br />

Institut d’Histoire d’<strong>Alsace</strong><br />

<strong>Chantiers</strong> <strong>historiques</strong><br />

<strong>en</strong> <strong>Alsace</strong><br />

Jeunes Chercheurs <strong>en</strong> Histoire<br />

<strong>de</strong> l’Université Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg<br />

et <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Haute-<strong>Alsace</strong><br />

N° 8<br />

2005


Dami<strong>en</strong> BERNÉ<br />

<strong>Les</strong> sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Strasbourg au Moy<strong>en</strong> Age ........................................ 5<br />

Claire GATTI<br />

L’Hospice <strong>de</strong>s Pauvres Passants <strong>de</strong> Strasbourg à la fin du Moy<strong>en</strong> Age ............. 25<br />

Charles IVAIN<br />

<strong>Les</strong> horizons <strong>de</strong> Mulhouse au Moy<strong>en</strong> Âge (XIIIe-XVe siècles) ........................ 37<br />

Elise DERMINEUR<br />

<strong>Les</strong> <strong>en</strong>jeux <strong>de</strong> l’eau dans le pays belfortain ...................................................... 49<br />

Françoise JOLY<br />

L’honneur à Belfort fin XVIIème-XVIIIème siècles ........................................ 61<br />

Samuel NOTARO<br />

Sorcellerie et représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la nature d’après les procès publiés.................. 67<br />

Alexandre OBRECHT<br />

Le logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s troupes françaises à Colmar <strong>de</strong> 1679 à 1789......................... 75<br />

Anne-Laure STEEGMAN<br />

L’assistance aux pauvres bourgeois <strong>de</strong> Strasbourg : l’exemple <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong><br />

Saint-Marc (2 ème moitié du XVIII ème siècle) .................................................... 83<br />

Flor<strong>en</strong>ce MARGUET<br />

La bibliothèque <strong>de</strong> Nicolas <strong>de</strong> Corberon : un Premier Présid<strong>en</strong>t et ses livres au<br />

début du XVIIIe siècle.................................................................................... 91<br />

Aurélie SCHUPPERT<br />

Tutelle et curatelle au XVIII e siècle à Fort-Louis : procès-verbaux <strong>de</strong>s conseils et<br />

<strong>de</strong>s nominations d’office................................................................................. 99<br />

Virginie LAY<br />

La lutte contre les animaux nuisibles <strong>en</strong> Basse <strong>Alsace</strong> (1750-1850) ............... 111<br />

Joseph SPECKLIN<br />

Le Temple et la Cité G<strong>en</strong>èse <strong>de</strong> trois lieux <strong>de</strong> culte au XIX e siècle : la synagogue,<br />

l’église catholique et le temple allemand <strong>de</strong> Mulhouse (1835-1870).............. 117<br />

Fabi<strong>en</strong> BAUMANN .......................................................................................... 125<br />

Le service <strong>de</strong>s travaux communaux dans le départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin <strong>en</strong>tre 1800 et<br />

1840 ............................................................................................................ 125<br />

Cécile ROTH<br />

La Société pour la Conservation <strong>de</strong>s Monum<strong>en</strong>ts <strong>historiques</strong> et les ruines <strong>de</strong><br />

châteaux forts alsaci<strong>en</strong>s (1855 à 1870).......................................................... 141<br />

Dorothée BOUQUET<br />

Jeune <strong>Alsace</strong>, la politique <strong>de</strong> la jeunesse <strong>de</strong> la résistance ................................ 165<br />

Yann Gaudin<br />

Le départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin <strong>de</strong> 1949 à 1951............................................... 169<br />

Emmanuel MANSUTTI<br />

L’immigration indochinoise à Mulhouse au XXe siècle ...................................... 191<br />

2


Grégory PIERRE<br />

Le ski club Florival du début <strong>de</strong>s années 1960 aux années 1990 : <strong>en</strong>tre<br />

intégration et marginalisation .......................................................................199<br />

3


Dami<strong>en</strong> BERNÉ<br />

<strong>Les</strong> sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Strasbourg au Moy<strong>en</strong> Age<br />

Le portail Sud <strong>de</strong> la cathédrale, où le roi Salomon siège <strong>en</strong> justicier, face au<br />

palais épiscopal ; le gâble du grand portail où s’étag<strong>en</strong>t les puissances terrestres et<br />

célestes ; la gran<strong>de</strong> effigie <strong>de</strong> pierre <strong>de</strong> l’évêque Conrad II, dominant la douane du<br />

haut <strong>de</strong> la Bischofsthor ; les tours du château <strong>de</strong> Dachstein : autant d’exemples<br />

parmi les signes bi<strong>en</strong> visibles <strong>de</strong> leur pouvoir spirituel et politique que les évêques <strong>de</strong><br />

Strasbourg ont multiplié dans leur église, leur ville, leur diocèse, à tous les échelons<br />

<strong>de</strong> leur aire d’influ<strong>en</strong>ce pastorale aussi bi<strong>en</strong> que <strong>de</strong> leur seigneurie. Ces signes-là<br />

sont <strong>de</strong>stinés aux Strasbourgeois, à une époque où le dialogue <strong>en</strong>tre le dét<strong>en</strong>teur <strong>de</strong><br />

l’autorité morale, mais aussi du ban, et ses protégés s’exprime par la forme et la<br />

couleur sur <strong>de</strong>s supports constitutifs <strong>de</strong> l’espace public.<br />

<strong>Les</strong> manifestations emblématiques du pouvoir épiscopal ont une valeur générale,<br />

impropre à r<strong>en</strong>dre compte <strong>de</strong>s nuances et <strong>de</strong>s diverses modalités qui caractéris<strong>en</strong>t ce<br />

dialogue. Le plus souv<strong>en</strong>t, la parole <strong>de</strong> l’évêque est médiatisée par l’acte écrit dans<br />

une forme codifiée qui met <strong>en</strong> jeu le même langage visuel. L’évêque manifeste son<br />

pouvoir <strong>de</strong> ratification <strong>en</strong> donnant forme et couleur à la cire qu’il app<strong>en</strong>d au bas <strong>de</strong><br />

la charte, docum<strong>en</strong>t à valeur probatoire <strong>de</strong>stiné à être lu à haute voix. Son effigie<br />

sigillaire, signe visible <strong>de</strong> sa volonté, prés<strong>en</strong>te sur la pierre l’avantage <strong>de</strong> s’inscrire<br />

dans une dynamique particulière, celle <strong>de</strong> la diffusion <strong>de</strong> l’image épiscopale dans<br />

tous les chartriers du diocèse, sur le support non moins durable qu’est le parchemin.<br />

<strong>Les</strong> sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Strasbourg, reflet précis et auth<strong>en</strong>tique <strong>de</strong>s divers aspects<br />

<strong>de</strong> leur activité, mérit<strong>en</strong>t qu’on s’y arrête.<br />

Méthodologie<br />

D’emblée, il paraît opportun <strong>de</strong> rappeler une précaution méthodologique<br />

évid<strong>en</strong>te, mais que <strong>de</strong> nombreux inv<strong>en</strong>taires thématiques néglig<strong>en</strong>t <strong>de</strong> préciser,<br />

voire perd<strong>en</strong>t <strong>de</strong> vue : la date <strong>de</strong> confection <strong>de</strong> la matrice étant antérieure à tout<br />

scellem<strong>en</strong>t, le type sigillaire voulu par le propriétaire du sceau et gravé par l’orfèvre<br />

ou le sculpteur peut être nettem<strong>en</strong>t plus anci<strong>en</strong> que les empreintes <strong>de</strong> cire<br />

conservées. Cet écart dép<strong>en</strong>d <strong>de</strong> la nature du sigillant, selon qu’il s’agit d’une<br />

personne physique ou morale ; il se réduit lorsque le sceau <strong>en</strong>visagé est employé au


titre d’une charge que chaque titulaire exerce pour une durée limitée, plus ou moins<br />

longue, et avec un sceau qui lui est propre. L’évêque est bi<strong>en</strong> titulaire d’une dignité<br />

qui, si elle est pér<strong>en</strong>ne et indivisible, investit un individu et non un corps collectif.<br />

C’est pourquoi, à la différ<strong>en</strong>ce du Grand Chapitre dont la <strong>de</strong>uxième matrice<br />

connue, ciselée vers 1249 1 à l’imitation <strong>de</strong> la précéd<strong>en</strong>te, est <strong>en</strong>core <strong>en</strong> usage au XV e<br />

siècle, l’évêché <strong>de</strong> Strasbourg change régulièrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sceau : chaque nouveau<br />

titulaire du siège épiscopal fait confectionner une nouvelle matrice à son nom.<br />

Lorsque, comme dans le cas prés<strong>en</strong>t, la distance chronologique <strong>en</strong>tre matrice et<br />

empreintes n’est pas assez importante pour trahir les int<strong>en</strong>tions initiales du sigillant<br />

<strong>en</strong> matière <strong>de</strong> communication (que ce soit par l’image figurative ou héraldique du<br />

champ comme par le signe graphique <strong>de</strong> la lég<strong>en</strong><strong>de</strong> sigillaire), l’apport du sceau est<br />

inappréciable pour observer l’évolution <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tation politique et<br />

symbolique au Moy<strong>en</strong> Age, mais aussi le rapport, toujours délicat à apprécier, <strong>en</strong>tre<br />

conformisme et initiative personnelle.<br />

Pourtant, le travail <strong>de</strong> repérage et <strong>de</strong> classification <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>ts types <strong>de</strong> sceaux<br />

ne permet <strong>de</strong> remplir que très imparfaitem<strong>en</strong>t cet objectif. La constitution d’un<br />

catalogue <strong>de</strong> matrices n’apporte <strong>en</strong> soi aucune information sur leur usage. Et c’est<br />

sur cet aspect <strong>en</strong> appar<strong>en</strong>ce secondaire que l’on souhaite attirer l’att<strong>en</strong>tion. Une<br />

étu<strong>de</strong> sigillographique limitée à une suite d’analyses iconographiques, voire à la<br />

délimitation temporelle <strong>de</strong> l’usage d’une matrice grâce au repérage <strong>de</strong>s occurr<strong>en</strong>ces<br />

extrêmes <strong>de</strong>s empreintes, s’appar<strong>en</strong>te plus à la numismatique qu’à la sigillographie<br />

r<strong>en</strong>ouvelée à laquelle il faudrait idéalem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>dre. Un tel travail occulte <strong>en</strong> effet<br />

plusieurs caractéristiques physiques du sceau qui ne <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t significatives que<br />

par leur rareté ou leur fréqu<strong>en</strong>ce : ainsi la couleur <strong>de</strong> la cire, celle <strong>de</strong> l’attache, le<br />

mo<strong>de</strong> d’app<strong>en</strong>sion ou <strong>en</strong>core l’emplacem<strong>en</strong>t du sceau sur la charte.<br />

Un repérage typologique <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t inutile lorsqu’il s’agit d’esquisser les contours<br />

d’une politique sigillaire, que seul le dépouillem<strong>en</strong>t systématique d’un corpus <strong>de</strong><br />

chartes scellées permet d’appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r. <strong>Les</strong> sceaux constitu<strong>en</strong>t un gisem<strong>en</strong>t dont les<br />

richesses <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t mal connues et qu’il vaut la peine d’exploiter à la lumière <strong>de</strong><br />

métho<strong>de</strong>s nouvelles et d’exig<strong>en</strong>ces réévaluées ; il faut comm<strong>en</strong>cer par rétablir le li<strong>en</strong><br />

ess<strong>en</strong>tiel et organique qui fait <strong>de</strong> la sigillographie une branche <strong>de</strong> la diplomatique 2 .<br />

De fait, c’est dans la prise <strong>en</strong> compte du rapport physique, structurel <strong>en</strong>tre le sceau<br />

et la charte à laquelle il se trouve app<strong>en</strong>du que le docum<strong>en</strong>t délivre l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s<br />

informations exprimées, délibérém<strong>en</strong>t ou non, par le sigillant. Sceau et charte<br />

constitu<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce fait une globalité insécable ; <strong>en</strong> retrancher une partie revi<strong>en</strong>t à<br />

restreindre d’autant la portée <strong>de</strong>s conclusions que l’on peut <strong>en</strong> retirer.<br />

1 Date <strong>de</strong> la première empreinte repérée, app<strong>en</strong>due à la charte AH 1345 ; la <strong>de</strong>rnière<br />

occurr<strong>en</strong>ce relevée du premier type se trouve sur la charte AMS 37 <strong>de</strong> 1247.<br />

2 A ce propos, il est utile <strong>de</strong> se reporter à B. BEDOS-REZAK, Form and or<strong>de</strong>r in Medieval<br />

France, A<strong>de</strong>lshot, 1993 et Medieval id<strong>en</strong>tity : a sign and a concept, dans American historical<br />

review, 2000, p. 1489-1533.<br />

6


Toutes les perspectives que l’on vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> tracer r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sceaux <strong>de</strong>s<br />

évêques <strong>de</strong> Strasbourg au Moy<strong>en</strong> Age particulièrem<strong>en</strong>t signifiante, puisqu’elle a<br />

pour objet une série imparfaitem<strong>en</strong>t connue dans ses mutations typologiques, et<br />

jamais <strong>en</strong>visagée dans sa réalité numérique et matérielle. Or, reconstituer les usages<br />

sigillaires <strong>de</strong> prélats aux prét<strong>en</strong>tions temporelles ambitieuses et contrariées implique<br />

<strong>de</strong> déterminer les variations ponctuelles aussi bi<strong>en</strong> que l’évolution dans la longue<br />

durée <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s d’affirmation diplomatiques <strong>de</strong> la dignité épiscopale. Est-il<br />

possible d’isoler les traits d’une politique sigillaire dans les pratiques <strong>de</strong> la<br />

chancellerie <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Strasbourg ?<br />

7<br />

Bibliographie<br />

Le statut religieux <strong>de</strong> ces personnages conduit à <strong>en</strong>visager les sceaux <strong>de</strong> type<br />

ecclésiastique ou sacerdotal, et plus particulièrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> type épiscopal, un aspect <strong>de</strong><br />

la sigillographie qui n’a inspiré que <strong>de</strong> rares travaux spécifiques au regard <strong>de</strong><br />

l’abondante bibliographie liée aux sceaux <strong>de</strong> villes, <strong>de</strong> souverains ou <strong>de</strong> chevaliers.<br />

Quelques publications anci<strong>en</strong>nes s’attach<strong>en</strong>t à dresser le catalogue <strong>de</strong>s sceaux<br />

d’évêques <strong>de</strong> certains diocèses 1 , mais ces travaux se limit<strong>en</strong>t à une démarche<br />

strictem<strong>en</strong>t iconographique et docum<strong>en</strong>taire; seul l’ouvrage qu’Edouard Poncelet a<br />

consacré <strong>en</strong> 1938 aux sceaux <strong>de</strong>s princes-évêques <strong>de</strong> Liège se distingue par son<br />

ampleur et sa qualité. Auguste Coulon 2 s’est soucié <strong>de</strong> rec<strong>en</strong>ser et définir dans un<br />

but méthodologique le vocabulaire <strong>de</strong> la sigillographie ecclésiastique ; les règles ainsi<br />

arrêtées caractéris<strong>en</strong>t les étu<strong>de</strong>s postérieures, dont celles <strong>de</strong> Marie-Josèphe Gut sur<br />

les sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Châlons et <strong>de</strong> S<strong>en</strong>lis et, plus récemm<strong>en</strong>t, celle <strong>de</strong> Patrick<br />

Demouy sur les sceaux <strong>de</strong>s archevêques <strong>de</strong> Reims 3 .<br />

Quant aux évêques <strong>de</strong> Strasbourg, pourtant sigillants majeurs dans le paysage<br />

diplomatique alsaci<strong>en</strong> , ils n’ont fait l’objet d’aucune recherche approfondie. La<br />

seule étu<strong>de</strong> d’<strong>en</strong>semble qui leur soit consacrée a été publiée <strong>en</strong>tre 1959 et 1960 par<br />

1 Par exemple: J. GAUTHIER, Inv<strong>en</strong>taire <strong>de</strong>s sceaux <strong>de</strong>s archevêques <strong>de</strong> Besançon, dans<br />

Académie <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces, belles-lettres et arts <strong>de</strong> Besançon, 1878, p. 116-161 et 1879, p. 86-<br />

93.<br />

2 A. COULON, Elém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> sigillographie ecclésiastique française, dans V.<br />

CARRIERE, Introduction aux étu<strong>de</strong>s d’histoire ecclésiastique locales, t. II, Paris, 1941,<br />

p. 109-215.<br />

3 P. DEMOUY, <strong>Les</strong> sceaux <strong>de</strong>s archevêques <strong>de</strong> Reims <strong>de</strong>s origines à la fin du XIII e<br />

siècle, dans L’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t religieux <strong>de</strong>s fidèles au Moy<strong>en</strong> Age et jusqu’au concile <strong>de</strong><br />

Tr<strong>en</strong>te, Dijon, 1984 (actes du 109 e congrès national <strong>de</strong>s sociétés savantes, t. 1), p. 687-<br />

720 ; M.-J. GUT, <strong>Les</strong> sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Châlons-sur-Marne <strong>de</strong>s origines à la fin du<br />

XIII e siècle, dans Bulletin philologique et historique, Paris, 1966, p. 699-720 ; <strong>Les</strong><br />

sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> S<strong>en</strong>lis <strong>de</strong>s origines à 1328, dans ibid., Paris, 1970, p. 103-115.


X. Ohresser1 : elle n’évite pas l’écueil du poncif, et se prés<strong>en</strong>te comme une<br />

succession <strong>de</strong> notices <strong>de</strong>scriptives superficielles. Il s’agit <strong>en</strong> fait, pour sa première<br />

partie, d’une reprise développée <strong>de</strong>s remarques formulées <strong>en</strong> marge du premier<br />

volume <strong>de</strong>s Regest<strong>en</strong> <strong>de</strong>r Bischöfe von Strassburg 2 , dans un app<strong>en</strong>dice intitulé<br />

Bemerkung<strong>en</strong> zu d<strong>en</strong> Siegeltafeln. Ces remarques accompagn<strong>en</strong>t une planche<br />

d’illustrations qui établit une typologie <strong>de</strong>s sceaux épiscopaux strasbourgeois,<br />

typologie appelée à servir <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce et qui n’a pas été remise <strong>en</strong> cause ni<br />

complétée <strong>de</strong>puis son élaboration. En dépit <strong>de</strong> ce travail <strong>de</strong> repérage, l’ouvrage<br />

n’<strong>en</strong>visage les sceaux qu’<strong>en</strong> tant que docum<strong>en</strong>t annexes, susceptibles d’apporter <strong>de</strong>s<br />

complém<strong>en</strong>ts d’information à l’analyse <strong>de</strong>s chartes étudiées et, le cas échéant,<br />

d’éclaircir <strong>de</strong>s zones d’ombre textuelles, notamm<strong>en</strong>t lorsque le docum<strong>en</strong>t est un<br />

faux. <strong>Les</strong> notices n’omett<strong>en</strong>t jamais <strong>de</strong> m<strong>en</strong>tionner les sceaux lorsqu’ils exist<strong>en</strong>t,<br />

mais sans s’y attar<strong>de</strong>r outre mesure. <strong>Les</strong> Regest<strong>en</strong>… constitu<strong>en</strong>t donc la base<br />

principale <strong>de</strong> toute investigation dans ce domaine <strong>en</strong> même temps qu’un <strong>en</strong>semble<br />

d’élém<strong>en</strong>ts sigillographiques épars et inexploités.<br />

Des sceaux d’évêques <strong>de</strong> Strasbourg apparaiss<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t dans le rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t<br />

effectué avant 1939 par Charles Wittmer dans les fonds <strong>de</strong>s Archives municipales<br />

<strong>de</strong> Strasbourg 3 . Si toutes les empreintes repérées ont fait l’objet d’une reproduction<br />

photographique, ou tout au moins d’une <strong>de</strong>scription sommaire sous la forme d’une<br />

petite notice, ce catalogue purem<strong>en</strong>t énumératif est à peu près inutilisable : les<br />

sceaux prés<strong>en</strong>tés sont totalem<strong>en</strong>t isolés <strong>de</strong> leur contexte et perd<strong>en</strong>t leur signification.<br />

De plus, Charles Wittmer n’a pu m<strong>en</strong>er son projet initial à bi<strong>en</strong> : son<br />

dépouillem<strong>en</strong>t s’interrompt <strong>en</strong> 1300. Enfin, la plupart <strong>de</strong>s remarques qu’il formule<br />

dans son introduction ne sont valables que pour la collection <strong>de</strong> sceaux <strong>de</strong>s Archives<br />

municipales <strong>de</strong> Strasbourg. François-J. Himly a souligné les car<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> cet ouvrage<br />

dans un article-réquisitoire éclairant qui prés<strong>en</strong>te <strong>en</strong> négatif les caractéristiques<br />

d’une étu<strong>de</strong> sigillographique bi<strong>en</strong> m<strong>en</strong>ée 4 .<br />

8<br />

Sources<br />

<strong>Les</strong> chartes épiscopales strasbourgeoises, et partant les sceaux qui s’y trouv<strong>en</strong>t<br />

app<strong>en</strong>dus, sont réparties <strong>en</strong>tre trois dépôts principaux. Le premier d’<strong>en</strong>tre eux<br />

concerne les séries G (établissem<strong>en</strong>ts religieux séculiers) et H (réguliers) <strong>de</strong>s<br />

1<br />

X. OHRESSER, <strong>Les</strong> anci<strong>en</strong>s évêques <strong>de</strong> Strasbourg dans la sigillographie (1043-1789), dans le<br />

Rapport annuel du collège Saint-Eti<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> Strasbourg, 1959, p. 15-42 et 1960, p. 12-44.<br />

2<br />

A. HESSEL et M. KREBS, Regest<strong>en</strong> <strong>de</strong>r Bischöfe von Strassburg, 1202-1305, II, Innsbruck,<br />

1924. <strong>Les</strong> notices issues <strong>de</strong> cet ouvrage seront désormais citées sous une forme abrégée<br />

repr<strong>en</strong>ant leur numéro : Reg. [n].<br />

3<br />

Ch. WITTMER, Inv<strong>en</strong>taire <strong>de</strong>s sceaux <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Strasbourg (1050-1300),<br />

Strasbourg, 1946.<br />

4<br />

HIMLY F.-J., Quelques élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> sigillographie alsaci<strong>en</strong>ne, compte-r<strong>en</strong>du <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong><br />

Ch. Wittmer, dans la Revue d’<strong>Alsace</strong>, 1947, p. 153-158.


Archives départem<strong>en</strong>tales du Bas-Rhin (ADBR). Le <strong>de</strong>uxième compr<strong>en</strong>d trois<br />

grands fonds, réunis aux Archives municipales <strong>de</strong> Strasbourg : les chartes <strong>de</strong> la ville<br />

<strong>de</strong> Strasbourg (AMS), les archives du chapitre Saint-Thomas (AST : séries A, B et<br />

Histoire ecclésiastique) et <strong>de</strong> l’Hôpital <strong>de</strong> Strasbourg (AH). Le <strong>de</strong>rnier <strong>en</strong>semble se<br />

trouve au G<strong>en</strong>erallan<strong>de</strong>sarchiv Karlsruhe (GLA).<br />

9<br />

Etu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sceaux<br />

Un corpus <strong>de</strong> sceaux n’exprime d’évolutions s<strong>en</strong>sibles que sur une longue<br />

pério<strong>de</strong>. Le parti le plus commo<strong>de</strong> dans le cas <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Strasbourg consiste à<br />

<strong>en</strong>visager <strong>de</strong>ux époques distinctes : la première s’ouvre avec les quelques empreintes<br />

conservées du XII e siècle et pr<strong>en</strong>d fin à la mort <strong>de</strong> Berthold <strong>de</strong> Bucheck (1328-<br />

1353), <strong>de</strong>rnier évêque à ne disposer que d’un sceau à la fois. La secon<strong>de</strong> se<br />

caractérise par l’introduction d’un petit sceau rond appelé sceau secret, utilisé<br />

concurremm<strong>en</strong>t avec le sceau <strong>en</strong> navette traditionnel dit grand sceau. App<strong>en</strong>du à<br />

<strong>de</strong>s actes dont la variété diminue, le sceau secret pr<strong>en</strong>d une importance croissante,<br />

tandis que les usages <strong>de</strong> la chancellerie se normalis<strong>en</strong>t : l’emploi <strong>de</strong> la cire rouge,<br />

l’app<strong>en</strong>sion <strong>de</strong>s sceaux à une cor<strong>de</strong>lette <strong>de</strong> soie pour les actes sol<strong>en</strong>nels, à une<br />

double queue <strong>de</strong> parchemin pour les actes courants se systématis<strong>en</strong>t, tandis que les<br />

formules d’annonce du sceau se fig<strong>en</strong>t. La diversité sigillographique <strong>de</strong>s chartes <strong>de</strong> la<br />

fin du XIV e siècle t<strong>en</strong>d par conséqu<strong>en</strong>t à se restreindre.<br />

D’autre part, la continuité iconographique permise par l’attachem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

évêques au type sacerdotal s’interrompt définitivem<strong>en</strong>t à la mort <strong>de</strong> Guillaume II <strong>de</strong><br />

Diest (1394-1439) : son successeur indirect, Robert <strong>de</strong> Bavière (1440-1478),<br />

remplace la représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> l’évêque sur le grand sceau par celle <strong>de</strong> la Vierge à<br />

l’Enfant <strong>en</strong> majesté. C’est donc <strong>en</strong> 1439 que nous avons choisi <strong>de</strong> clore le champ<br />

chronologique <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong>.<br />

Types et matrices<br />

Une tradition historiographique bi<strong>en</strong> établie attribue au sceau <strong>de</strong> l’évêque<br />

Hermann (1047-1065), plaqué à une charte datée <strong>de</strong> 1061, le titre <strong>de</strong> plus anci<strong>en</strong><br />

sceau épiscopal strasbourgeois conservé 1 . Des recherches paléographiques réc<strong>en</strong>tes<br />

m<strong>en</strong>ées par M. Peter Weiss 2 ont pourtant montré que cette empreinte, d’une<br />

qualité stylistique par ailleurs remarquable, est un faux produit au milieu du XII e<br />

siècle, dans l’<strong>en</strong>tourage <strong>de</strong> l’évêque Burchard (1141-1162). Sur la base <strong>de</strong> ces<br />

mêmes travaux, il apparaît que les trois empreintes conservées <strong>de</strong> Cunon (1100-<br />

1 ADBR – G 13. – <strong>Les</strong> Regest<strong>en</strong>…, d’ordinaire laconiques sur le fait <strong>de</strong>s sceaux, ne manqu<strong>en</strong>t<br />

pas <strong>de</strong> le souligner (Reg. 285) : « Das Siegel ist das älteste erhalt<strong>en</strong>e eines Strassburger<br />

Bischofs. »<br />

2 WEISS (Peter), Frühe Siegelurkund<strong>en</strong> in Schwab<strong>en</strong> (10.-12. Jahrhun<strong>de</strong>rt), Marburg an <strong>de</strong>r<br />

Lahn, 1997 (Elem<strong>en</strong>ta diplomatica, 6), p. 72-75.


1123) sont égalem<strong>en</strong>t l’œuvre <strong>de</strong> faussaires habiles à imiter soit les sceaux <strong>en</strong> usage<br />

dans les évêchés voisins, soit le modèle impérial 1 .<br />

<strong>Les</strong> conclusions <strong>de</strong> P. Weiss boulevers<strong>en</strong>t la vision traditionnelle du corpus <strong>de</strong>s<br />

sceaux épiscopaux. Le déclassem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sceaux <strong>de</strong> Hermann et <strong>de</strong> Cunon intervi<strong>en</strong>t<br />

après celui, établi <strong>de</strong>puis longtemps, du sceau que les clercs <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>tourage <strong>de</strong><br />

Burchard ont voulu faire dater <strong>de</strong> 961, c’est-à-dire <strong>de</strong> l’évêque Udon III (950-965).<br />

On ne trouve donc nulle trace <strong>de</strong> sceau épiscopal avant les premiers actes scellés <strong>en</strong><br />

1133 par Gebhard (1131-1141) 2 . Ri<strong>en</strong> ne permet d’exclure que <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong><br />

Strasbourg ai<strong>en</strong>t disposé d’un sceau avant cette date, mais leur importance politique<br />

et religieuse au XI e siècle n’était pas celle <strong>de</strong>s archevêques <strong>de</strong> Cologne, <strong>de</strong> Reims ou<br />

<strong>de</strong> Besançon, qui ont introduit plus précocem<strong>en</strong>t l’usage du sceau 3 . D’autre part, P.<br />

Weiss fait remarquer qu’il n’a pas r<strong>en</strong>contré <strong>de</strong> sceaux épiscopaux auth<strong>en</strong>tiques <strong>en</strong><br />

Souabe avant le <strong>de</strong>uxième quart du XII e siècle.<br />

De 1133 au milieu du XIII e siècle, les évêques <strong>de</strong> Strasbourg dispos<strong>en</strong>t d’un seul<br />

type <strong>de</strong> sceau qui les représ<strong>en</strong>te munis <strong>de</strong>s attributs <strong>de</strong> leur dignité. Dès l’origine, ils<br />

figur<strong>en</strong>t assis sur le trône épiscopal, mitre <strong>en</strong> tête et crosse à la main. Mais c’est la<br />

consécration épiscopale qui détermine le droit d’user <strong>de</strong>s insignes pontificaux et <strong>de</strong><br />

siéger <strong>en</strong> majesté. Un évêque élu ne reçoit le sacrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’ordination qu’après un<br />

délai plus ou moins long, lié aux circonstances <strong>de</strong> son accession à l’évêché. Ainsi,<br />

Conrad III <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg, élu <strong>en</strong> septembre 1273 avant d’être fait prisonnier et<br />

ret<strong>en</strong>u <strong>en</strong> Lorraine par le duc Ferry III, doit att<strong>en</strong>dre l’année suivante pour être<br />

sacré par ses pairs, au concile <strong>de</strong> Lyon.<br />

Cette distinction établie par le droit canon est observée pour la première fois<br />

dans les pratiques sigillaires strasbourgeoises <strong>en</strong> 1246 4 : l’élu H<strong>en</strong>ri III <strong>de</strong> Stahleck<br />

fait graver un sceau spécifique où il apparaît nu-tête, simplem<strong>en</strong>t revêtu <strong>de</strong> la<br />

dalmatique et <strong>de</strong> l’aube, puisqu’il n’a droit ni à la mitre, ni à la chasuble ; la crosse<br />

fait place à un livre. Ses successeurs Gauthier <strong>de</strong> Geroldseck, H<strong>en</strong>ri IV <strong>de</strong><br />

Geroldseck et Frédéric <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg dispos<strong>en</strong>t à leur tour d’un sceau d’élu ; c’est<br />

probablem<strong>en</strong>t aussi le cas <strong>de</strong> Conrad <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg, mais il n’<strong>en</strong> subsiste aucun<br />

1 ADBR – G 2708/1 (1105), G 2708/2 (1116) et G 2708/3 (1118). A cette échelle (quatre<br />

empreintes et trois types <strong>de</strong> sceaux au total), il ne paraît pas abusif d’évoquer une politique<br />

délibérée <strong>de</strong> r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’évêché et du Grand Chapitre après la crise <strong>de</strong><br />

succession qui a déstabilisé l’Eglise <strong>de</strong> Strasbourg <strong>en</strong>tre 1123 et 1131. Soucieux <strong>de</strong> se<br />

ménager le souti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s chanoines, bénéficiaires <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s actes falsifiés, Burchard<br />

cautionne une réorganisation très libre du patrimoine du Grand Chapitre. – Le terme <strong>de</strong><br />

chancellerie, employé par souci <strong>de</strong> commodité, ne recouvre aucune réalité comparable à<br />

l’organe institutionnel <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes.<br />

2 Udon III : ADBR – G 2707/3 (cf. Reg. 145). Gebhard : ADBR – G 18 et G 19.<br />

3 On conserve un sceau d’Hugues <strong>de</strong> Salins plaqué à un acte <strong>de</strong> 1041 ; à Reims, un sceau <strong>de</strong><br />

l’archevêque Gui I er remonte à 1053, mais un acte <strong>de</strong> 1040 porte <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> scellem<strong>en</strong>t.<br />

4 AST B.II.3 du 19 mars 1246, qui n’apparaît pas dans les Siegeltafeln <strong>de</strong>s Regest<strong>en</strong> <strong>de</strong>r<br />

Bischöfe von Strassburg, ni du coup dans OHRESSER, op. cit.<br />

10


11<br />

témoignage. La plupart <strong>de</strong>s premiers sceaux d’élu <strong>de</strong> la région sont tout à fait<br />

contemporains : Lutold <strong>de</strong> Röteln, évêque <strong>de</strong> Bâle, et Jacques <strong>de</strong> Lorraine, évêque<br />

<strong>de</strong> Metz, précèd<strong>en</strong>t <strong>de</strong> peu H<strong>en</strong>ri <strong>de</strong> Stahleck, respectivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1238 et 1239 1 .<br />

Jean III <strong>de</strong> Ligny (1366-1371) innove <strong>en</strong> se faisant représ<strong>en</strong>ter <strong>en</strong> prière aux pieds<br />

<strong>de</strong> la Vierge à l’Enfant. Guillaume <strong>de</strong> Diest, <strong>en</strong>fin, transgresse la norme <strong>en</strong><br />

apparaissant paré <strong>de</strong> la chasuble, <strong>de</strong> la crosse et <strong>de</strong> la mitre avant sa consécration.<br />

Le statut d’élu est transitoire et les sceaux d’élu sont voués à un usage éphémère :<br />

leur brève durée <strong>de</strong> vie implique un nombre d’empreintes peu élevé. C’est pourquoi<br />

il n’<strong>en</strong> reste bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t aucune trace. L’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> telles empreintes antérieures à<br />

1246 dans les fonds d’archives ne signifie pas qu’elles n’ont pas existé : dans une<br />

charte scellée le 25 février 1205 2 , H<strong>en</strong>ri II <strong>de</strong> Vering<strong>en</strong> est désigné comme electus<br />

dans la suscription. Le sceau est tombé, mais il s’agissait peut-être d’un sceau d’élu,<br />

d’autant que H<strong>en</strong>ri II aurait eu tout le loisir <strong>de</strong> l’utiliser, lui qui, élu peu après le 29<br />

octobre 1202, a dû att<strong>en</strong>dre 1207 pour recevoir la consécration épiscopale, à S<strong>en</strong>s 3 .<br />

La longévité du sceau d’évêque consacré n’est pas toujours supérieure à celle du<br />

sceau d’élu : on constate plusieurs exemples <strong>de</strong> changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> matrice <strong>en</strong> cours<br />

d’épiscopat, mais aussi d’usage simultané <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux matrices différ<strong>en</strong>tes. Dans les<br />

<strong>de</strong>ux cas, la <strong>de</strong>uxième matrice ne diffère <strong>de</strong> la première que par d’infimes variations<br />

qui affect<strong>en</strong>t surtout les proportions <strong>de</strong> l’effigie gravée : l’évêque a intérêt à<br />

maint<strong>en</strong>ir la continuité iconographique <strong>de</strong> son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tation symbolique.<br />

Un tel remplacem<strong>en</strong>t peut s’expliquer par le bris accid<strong>en</strong>tel, le vol ou la perte <strong>de</strong> la<br />

première matrice, mais aussi par l’évolution du goût et l’adaptation à <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s<br />

stylistiques. Entre Gebhard (1131-1141) et H<strong>en</strong>ri III <strong>de</strong> Stahleck (1245-1260),<br />

tous les évêques dont on conserve <strong>de</strong>s sceaux ont disposé, successivem<strong>en</strong>t ou<br />

simultaném<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux matrices <strong>de</strong> type épiscopal différ<strong>en</strong>tes ; seul Jean I er <strong>de</strong><br />

Dirpheim (1306-1328) r<strong>en</strong>ouvelle <strong>en</strong>suite son sceau <strong>en</strong> cours d’épiscopat. Frédéric<br />

I er <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg (1299-1305) a même possédé <strong>de</strong>ux sceaux d’élu successifs.<br />

Conrad III <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg innove <strong>en</strong> employant un contre-sceau à partir <strong>de</strong><br />

1280. Après lui, Frédéric <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg et Jean <strong>de</strong> Dirpheim adopt<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t<br />

cette pratique, qui <strong>de</strong>meure cep<strong>en</strong>dant marginale et très ponctuelle ; elle est<br />

d’ailleurs abandonnée dès 1314. L’usage du contre-sceau se sera maint<strong>en</strong>u moins<br />

<strong>de</strong> tr<strong>en</strong>te-cinq ans.<br />

1 Metz : G. CAHEN, Catalogue <strong>de</strong>s sceaux <strong>de</strong>s Archives départem<strong>en</strong>tales <strong>de</strong> la Moselle, t.<br />

III : sceaux ecclésiastiques, Saint-Juli<strong>en</strong>-lès-Metz, 1992 : sceau n° 1869 ; Bâle :<br />

R. WACKERNAGEL et R. THOMMEN, Abbildung<strong>en</strong> oberrheinischer Siegel, erste Reihe<br />

annexées à l’Urkund<strong>en</strong>buch <strong>de</strong>r Stadt Basel, t. I (751-1267), Bâle, 1890 : n° 8 (UB I n°<br />

148).<br />

2 ADBR – G 36.<br />

3 Voir Reg. 754 et LEVRESSE R.-P., <strong>Les</strong> origines <strong>de</strong> l’officialité épiscopale <strong>de</strong> Strasbourg au<br />

XIII e siècle dans Archives <strong>de</strong> l’Eglise d’<strong>Alsace</strong>, 1986, p. 22.


12<br />

L’épiscopat <strong>de</strong> Berthold II <strong>de</strong> Bucheck (1328-1353) se caractérise par une<br />

stabilité sigillaire inhabituelle, puisque ce prélat ne scelle durant un quart <strong>de</strong> siècle<br />

qu’avec une seule et même matrice : il n’emploie plus <strong>de</strong> contre-sceau, et pas <strong>en</strong>core<br />

<strong>de</strong> sceau secret. De fait, Jean II <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg est le premier évêque <strong>de</strong> Strasbourg<br />

à disposer d’un sceau secret <strong>de</strong>stiné à un usage indép<strong>en</strong>dant : le premier exemplaire<br />

rec<strong>en</strong>sé est app<strong>en</strong>du à une charte <strong>de</strong> 1359 1 . Tous ses successeurs conserveront la<br />

possibilité d’utiliser, concurremm<strong>en</strong>t avec le sceau traditionnel à l’effigie <strong>de</strong> l’évêque<br />

qualifié <strong>de</strong> sigillum magnum 2 ou gros ingesigel 3 , ce petit sceau rond <strong>de</strong> type<br />

héraldique, sigillum secretum. Seul Jean III <strong>de</strong> Ligny semble ne pas <strong>en</strong> avoir possédé<br />

; quant à Burchard <strong>de</strong> Lutzelstein (1393-1394), à l’épiscopat écourté, il n’a pas eu le<br />

temps <strong>de</strong> faire ciseler <strong>de</strong> grand sceau, comme Conrad IV <strong>de</strong> Busnang (1439-1440).<br />

Frédéric II est le premier à changer <strong>de</strong> sceau secret <strong>en</strong> cours d’épiscopat ; Guillaume<br />

<strong>de</strong> Diest (1394-1439) l’imite à l’occasion <strong>de</strong> sa consécration tardive, <strong>en</strong> 1417, mais<br />

le changem<strong>en</strong>t concerne aussi le grand sceau.<br />

Le sceau à l’effigie <strong>de</strong> l’évêque disparaît après Guillaume <strong>de</strong> Diest, remplacé par<br />

la représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la Vierge à l’Enfant sur le trône <strong>de</strong> majesté, surmontant un écu<br />

aux armes du prélat. Ce schéma permet <strong>de</strong> conserver la matrice d’un évêque à<br />

l’autre puisqu’il suffit <strong>de</strong> retailler les armoiries : l’adoption d’un type hagiologique<br />

aligne le sceau épiscopal sur le modèle <strong>de</strong> la dévotion mariale qui caractérise, <strong>de</strong>puis<br />

la première moitié du XIII e siècle, les sceaux du Grand Chapitre et <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong><br />

Strasbourg.<br />

La haute valeur symbolique du sceau motive <strong>en</strong> certains <strong>en</strong>droits un usage<br />

significatif : la matrice d’un évêque défunt est détruite ou <strong>en</strong>fermée dans son<br />

tombeau pour éviter les usages frauduleux. Il semble qu’un principe <strong>de</strong> précaution<br />

ait toujours été observé à Strasbourg, puisque aucun cas <strong>de</strong> scellem<strong>en</strong>t illégal à la<br />

faveur d’un interrègne n’a été relevé à ce jour ; par ailleurs, aucune matrice<br />

épiscopale strasbourgeoise ne subsiste aujourd’hui dans les collections. En revanche,<br />

la mise hors circulation systématique <strong>de</strong> la matrice d’un anci<strong>en</strong> évêque n’a pas<br />

toujours empêché la production <strong>de</strong> faux scellés jusqu’à un <strong>de</strong>mi-siècle après la<br />

disparition du prélat : les bénéfices att<strong>en</strong>dus <strong>de</strong> la falsification d’un acte ont incité<br />

les faussaires à parfaire la crédibilité <strong>de</strong> leur contrefaçon <strong>en</strong> réalisant d’après les<br />

empreintes conservées <strong>de</strong>s matrices fidèles à l’original 4 .<br />

Forme et taille<br />

A l’origine, le sceau épiscopal strasbourgeois adopte une forme ron<strong>de</strong> dont le<br />

diamètre, qui ne dépasse pas 76 millimètres, <strong>de</strong>meure relativem<strong>en</strong>t stable jusqu’à<br />

l’abandon <strong>de</strong> cette forme <strong>en</strong>tre 1146, date <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière empreinte circulaire<br />

1 ADBR – G 710/1.<br />

2 ADBR – G 3542/8 (1333), G 1502/2 (1340), AST B.VII.3 (1344).<br />

3 ADBR – G 122/3 (1343), AMS 1339 (1350).<br />

4 Karlsruhe, GLA 15/15 (Reg. 784) et GLA 15/16 (Reg. 823).


13<br />

repérée, et 1183, date <strong>de</strong> l’apparition du premier sceau adoptant la forme dite « <strong>en</strong><br />

navette » 1 . Ce profil oblong est adapté à l’évolution du type épiscopal : l’évêque,<br />

représ<strong>en</strong>té <strong>en</strong> buste selon l’usage primitif, est assis à partir <strong>de</strong> 1133 2 ; bi<strong>en</strong>tôt, le<br />

développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s dim<strong>en</strong>sions <strong>de</strong> l’effigie et l’influ<strong>en</strong>ce exercée par <strong>de</strong>s sceaux<br />

d’évêques contemporains étir<strong>en</strong>t le sceau sur un axe vertical. Cette t<strong>en</strong>dance<br />

s’acc<strong>en</strong>tue au cours du XIII e siècle, et culmine avec le sceau <strong>de</strong> Frédéric <strong>de</strong><br />

Licht<strong>en</strong>berg (1299-1305), qui mesure 84 millimètres <strong>de</strong> haut pour 55 millimètres<br />

<strong>de</strong> large. Au XIV e , siècle, les sceaux prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t une forme <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus effilée :<br />

Frédéric II <strong>de</strong> Blank<strong>en</strong>heim possè<strong>de</strong> la navette la plus aiguë (85 x 47 millimètres).<br />

<strong>Les</strong> sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Strasbourg sont globalem<strong>en</strong>t comparables par leur<br />

taille à ceux <strong>de</strong> leurs homologues, par exemple bâlois ou messins. Quant aux élus, à<br />

l’exception <strong>de</strong> Guillaume <strong>de</strong> Diest, ils utilis<strong>en</strong>t un sceau dont les dim<strong>en</strong>sions sont<br />

plus mo<strong>de</strong>stes que celles du sceau d’évêque consacré.<br />

Couleurs <strong>de</strong> cire<br />

Tous les sceaux conservés jusqu’<strong>en</strong> 1185 <strong>en</strong>viron sont blanchâtres. Le premier<br />

sceau coloré, d’un rouge lie-<strong>de</strong>-vin, a été app<strong>en</strong>du <strong>en</strong>tre 1185 et 1189 par H<strong>en</strong>ri I er<br />

<strong>de</strong> Has<strong>en</strong>burg (ou Asuel) à une confirmation <strong>de</strong> privilège octroyée à l’abbaye<br />

cisterci<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> Baumgart<strong>en</strong> 3 . La cire vermeille, qui apparaît sous Conrad <strong>de</strong><br />

Hunebourg <strong>en</strong> 1196, app<strong>en</strong>due à une autre confirmation <strong>de</strong> privilèges <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong><br />

l’abbaye <strong>de</strong> Hoh<strong>en</strong>bourg 4 , s’impose dans les usages <strong>de</strong> la chancellerie épiscopale vers<br />

1220-1222 5 sans pour autant supplanter la cire blanchâtre, que l’on mêle cep<strong>en</strong>dant<br />

à <strong>de</strong>s colorants rouges qui lui donn<strong>en</strong>t un aspect rosâtre. <strong>Les</strong> couleurs rouge et<br />

blanche ainsi que leurs dérivés sont employées presque exclusivem<strong>en</strong>t jusqu’<strong>en</strong><br />

1242, date <strong>de</strong> l’apparition <strong>de</strong> la cire verte 6 ; celle-ci concernera près d’une empreinte<br />

sur cinq au milieu du XIII e siècle. Ce qui paraît marginal au regard du<br />

développem<strong>en</strong>t rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’emploi <strong>de</strong> cires vierges ou mêlées <strong>de</strong> poix, qui prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

une teinte plus ou moins brune, avec un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> translucidité variable : on les<br />

1<br />

ADBR – G 2708/7 (1146) et G 26 (1183). Cette abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> repères intermédiaires<br />

compromet toute t<strong>en</strong>tative d’isoler le mom<strong>en</strong>t du passage <strong>de</strong> la forme ron<strong>de</strong> à la forme<br />

oblongue, du moins <strong>de</strong> reconstituer une chronologie plus précise <strong>de</strong> l’évolution du type<br />

épiscopal strasbourgeois. A Bâle, l’évêque Adalbéron <strong>de</strong> Frobourg possè<strong>de</strong> un sceau <strong>en</strong><br />

navette dès 1135 (BUB I n° 26 ; Abbildung<strong>en</strong> oberrheinischer Siegel, planche I, fig. 2).<br />

2<br />

ADBR – G 18 (1133).<br />

3<br />

ADBR – G 29.<br />

4<br />

ADBR – G 31. Il semble que l’abbaye ait fourni la cire <strong>en</strong> cette occasion : on <strong>en</strong> retrouve la<br />

teinte rouge brique caractéristique dans un sceau app<strong>en</strong>du par l’abbesse Herra<strong>de</strong> à une<br />

donation <strong>en</strong> faveur du monastère datant, d’après Spach, <strong>de</strong> 1178 (ADBR – G 22). Quoi<br />

qu’il <strong>en</strong> soit, l’abbaye du Mont-Sainte-Odile est le premier sigillant à employer la cire<br />

vermeille dans le diocèse <strong>de</strong> Strasbourg, au moins quarante ans avant l’évêque.<br />

5<br />

AST B.VI.3, AH 22, ADBR – G 2759/1.<br />

6<br />

AH 1362.


<strong>en</strong>contre <strong>de</strong> manière sporadique dès l’époque <strong>de</strong> Berthold I er 1 ; elles représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

déjà plus du tiers <strong>de</strong>s empreintes sous H<strong>en</strong>ri III.<br />

Mais le phénomène le plus remarquable semble lié à l’emploi <strong>de</strong> la couleur<br />

rouge. Dès lors que la cire vermeille apparaît, elle se charge progressivem<strong>en</strong>t d’une<br />

valeur particulière qu’il est difficile d’interpréter <strong>en</strong> l’abs<strong>en</strong>ce d’emploi hiérarchisé<br />

<strong>de</strong>s couleurs, mais dont l’importance relative pr<strong>en</strong>d s<strong>en</strong>s à la lumière <strong>de</strong>s<br />

événem<strong>en</strong>ts. Sous les épiscopats <strong>de</strong> Berthold <strong>de</strong> Teck et H<strong>en</strong>ri <strong>de</strong> Stahleck, alors<br />

que le pouvoir politique <strong>de</strong>s évêques atteint son apogée, les sceaux <strong>de</strong> cire rouge<br />

représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t du quart à la moitié <strong>de</strong>s empreintes. En revanche, l’épiscopat troublé<br />

<strong>de</strong> Gauthier <strong>de</strong> Geroldseck (1260-1263) est préjudiciable à l’activité sigillaire <strong>de</strong> la<br />

chancellerie strasbourgeoise : si la quantité <strong>de</strong> chartes scellées émises atteint <strong>de</strong>s<br />

sommets, la qualité du scellage diminue nettem<strong>en</strong>t tandis que la remise <strong>en</strong> cause du<br />

pouvoir temporel <strong>de</strong> l’évêque <strong>en</strong>traîne un appauvrissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la variété <strong>de</strong>s couleurs<br />

dont les effets se ress<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant presque <strong>de</strong>ux déc<strong>en</strong>nies.<br />

C’est l’<strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t constaté pour la cire verte qui marque, <strong>en</strong>tre 1265 et 1305,<br />

la réapparition <strong>de</strong> la couleur sigillaire. Cette mo<strong>de</strong> s’affaiblit rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong> l’espace<br />

d’un épiscopat, celui <strong>de</strong> Jean <strong>de</strong> Dirpheim, avant <strong>de</strong> disparaître presque<br />

complètem<strong>en</strong>t à partir <strong>de</strong> 1330. La <strong>de</strong>rnière empreinte <strong>de</strong> cire verte repérée est<br />

app<strong>en</strong>due à un acte <strong>de</strong> 1353 2 . Cette couleur aura donc été utilisée <strong>de</strong> 1242 à 1353,<br />

soit à peine plus d’un siècle.<br />

Mais la couleur rouge retrouve à la même époque la faveur <strong>de</strong>s évêques, après<br />

une éclipse d’une tr<strong>en</strong>taine d’années, <strong>en</strong>tre 1258 et 1289, liée à la révolte <strong>de</strong>s<br />

Strasbourgeois et prolongée par les usages circonspects d’H<strong>en</strong>ri <strong>de</strong><br />

Geroldseck (1263-1273). C’est à une époque tardive, au XV e siècle, que la couleur<br />

rouge t<strong>en</strong>dra à signifier la souveraineté du sigillant dans les pays d’Empire, mais il<br />

n’est pas certain que les évêques du XIII e siècle se souci<strong>en</strong>t déjà d’affirmer leurs<br />

prérogatives <strong>en</strong> scellant avec <strong>de</strong> la cire vermeille. Toutefois, la disparition brutale <strong>de</strong><br />

cette couleur au mom<strong>en</strong>t où le ban épiscopal s’affaiblit à Strasbourg n’est pas<br />

anodine, ni d’ailleurs sa réintroduction par l’<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ant Conrad III <strong>de</strong><br />

Licht<strong>en</strong>berg : c’est avec ce prélat que l’évêché <strong>de</strong> Strasbourg r<strong>en</strong>oue avec sa politique<br />

d’ext<strong>en</strong>sion territoriale.<br />

Après une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> raréfaction <strong>de</strong> la cire vermeille dans la première moitié du<br />

XIV e siècle, l’introduction du sceau secret par Jean <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg <strong>en</strong> 1359 3 , associé<br />

systématiquem<strong>en</strong>t à la couleur rouge, garantit sa survie. Il faut att<strong>en</strong>dre <strong>en</strong>core un<br />

quart <strong>de</strong> siècle pour voir un évêque app<strong>en</strong>dre à nouveau un grand sceau <strong>de</strong> cire<br />

rouge : Frédéric <strong>de</strong> Blank<strong>en</strong>heim r<strong>en</strong>oue <strong>en</strong> 1385 avec l’usage abandonné <strong>en</strong> 1343<br />

1<br />

Par exemple AH 1344/1 et 2 (1230). Le premier sceau <strong>de</strong> cire brune, ADHR 5 G 23, date<br />

<strong>de</strong> 1212.<br />

2<br />

ADBR – G 4714/8.<br />

3<br />

ADBR – G 710/1, première occurr<strong>en</strong>ce repérée du contre-sceau <strong>de</strong> Jean II <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg.<br />

14


15<br />

par Berthold <strong>de</strong> Bucheck 1 . Cet usage <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t exclusif avec Guillaume <strong>de</strong> Diest.<br />

Désormais, la cire brune ou naturelle caractérise plutôt les sceaux du Grand<br />

Chapitre, tandis que la ville <strong>de</strong> Strasbourg scelle <strong>de</strong> préfér<strong>en</strong>ce avec <strong>de</strong> la cire verte.<br />

Attaches<br />

La majorité <strong>de</strong>s sceaux strasbourgeois jusqu’à Burchard I er sont rivés au bas du<br />

parchemin ; la <strong>de</strong>rnière empreinte repérée apposée selon ce procédé date <strong>de</strong> 1146 2 .<br />

Le sceau sur double queue <strong>de</strong> parchemin fait son apparition sous l’évêque Gebhard,<br />

au bas d’une charte <strong>de</strong> 1137 ; la même année, un sceau est app<strong>en</strong>du sur lacs <strong>de</strong> soie<br />

rouge 3 . Burchard I er adopte assez rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t ces nouveaux usages qui finiss<strong>en</strong>t par<br />

supplanter l’<strong>en</strong>combrant sceau rivé, après une courte phase d’usage concurr<strong>en</strong>t.<br />

L’introduction du sceau p<strong>en</strong>dant sur les actes épiscopaux alsaci<strong>en</strong>s est tardive par<br />

rapport à ce qui s’est déjà fait ailleurs. L’attachem<strong>en</strong>t strasbourgeois au sceau rivé<br />

s’inscrit dans un contexte plus général <strong>de</strong> conservatisme qui permet <strong>de</strong> compr<strong>en</strong>dre<br />

égalem<strong>en</strong>t la persistance <strong>de</strong> la forme ron<strong>de</strong> jusque dans le troisième quart du XII e<br />

siècle. Cette double persistance explique qu’aucun sceau <strong>en</strong> navette ne soit plaqué :<br />

il semble qu’à Strasbourg, le passage à la forme oblongue et l’adoption <strong>de</strong>s attaches<br />

p<strong>en</strong>dantes soi<strong>en</strong>t simultanés et complém<strong>en</strong>taires.<br />

<strong>Les</strong> attaches dites <strong>de</strong> fantaisie, composées <strong>de</strong> fils <strong>de</strong> soie aux couleurs variées se<br />

multipli<strong>en</strong>t à partir <strong>de</strong> l’épiscopat <strong>de</strong> H<strong>en</strong>ri <strong>de</strong> Has<strong>en</strong>bourg. Cette exubérance<br />

s’atténue peu à peu dans la secon<strong>de</strong> moitié du XIII e siècle, et l’ère <strong>de</strong>s lacs <strong>de</strong> soie<br />

s’achève vers 1290. La simple queue <strong>de</strong> parchemin fait son apparition <strong>en</strong> 1233 : ce<br />

dispositif basique et fragile est réservé au début à <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> petites dim<strong>en</strong>sions et<br />

d’importance limitée. Il ne se répand réellem<strong>en</strong>t qu’à partir <strong>de</strong> l’épiscopat <strong>de</strong><br />

Gauthier <strong>de</strong> Geroldseck. Enfin, si l’attache la plus répandue dans la secon<strong>de</strong> moitié<br />

du XIII e siècle est la double queue <strong>de</strong> parchemin, les cor<strong>de</strong>lettes <strong>de</strong> lin ou <strong>de</strong><br />

chanvre sont très communes durant tout le siècle et sont utilisées avec prédilection<br />

par la chancellerie épiscopale jusqu’<strong>en</strong> 1260. Au XIV e siècle, les habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

scellem<strong>en</strong>t sont simplifiées : la double queue <strong>de</strong> parchemin est l’attache universelle<br />

que l’on adapte à tous les types <strong>de</strong> chartes, quel que soit leur cont<strong>en</strong>u.<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s attaches est indissociable <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s cires. Ces <strong>de</strong>ux élém<strong>en</strong>ts et leur<br />

combinaison sont rarem<strong>en</strong>t le fruit du hasard, aussi importe-t-il <strong>de</strong> déterminer si<br />

l’association d’un type d’attache à un type <strong>de</strong> cire est susceptible <strong>de</strong> résulter d’une<br />

politique <strong>de</strong> scellem<strong>en</strong>t délibérée. Quelles conclusions l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />

diplomatique d’un sceau d’évêque peut-il permettre <strong>de</strong> tirer quant aux habitu<strong>de</strong>s et<br />

au mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la chancellerie épiscopale ? Le choix <strong>de</strong>s cires est-il<br />

1 1343 : ADBR – G 122/5 ; 1385 : ADBR – G 4219/10bis.<br />

2 ADBR – G 2708/7.<br />

3 Respectivem<strong>en</strong>t ADBR – D 50/1 et H 541/1.


uniquem<strong>en</strong>t conditionné par <strong>de</strong>s facteurs conjoncturels, c’est-à-dire par <strong>de</strong>s<br />

questions <strong>de</strong> prix, <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> disponibilité <strong>de</strong> telle ou telle couleur ?<br />

On est t<strong>en</strong>té <strong>de</strong> supposer a priori qu’à chaque type d’acte correspond un mo<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> scellem<strong>en</strong>t particulier, avec telle couleur <strong>de</strong> cire et telle attache. Parmi les actes<br />

épiscopaux, les plus sol<strong>en</strong>nels sont promulgués – et donc scellés – dans le cadre<br />

traditionnel du syno<strong>de</strong> diocésain. On ne conserve malheureusem<strong>en</strong>t que <strong>de</strong>ux<br />

exemples <strong>de</strong> tels actes dont le sceau épiscopal subsiste, l’un <strong>de</strong> février 1251, l’autre<br />

<strong>de</strong> novembre 1252. <strong>Les</strong> exemples antérieurs ont été perdus ou bi<strong>en</strong> leur sceau est<br />

tombé 1 ; les <strong>de</strong>ux empreintes conservées sont <strong>de</strong> cire verte, la première sur lacs <strong>de</strong><br />

soie rouge et la secon<strong>de</strong> sur cor<strong>de</strong>lette <strong>de</strong> soie verte.<br />

On observe un souci formel semblable dans les statuts ou confirmations <strong>de</strong><br />

statuts <strong>de</strong>mandées par les abbés ou prieurs réformateurs. Ceux que Conrad III<br />

accor<strong>de</strong> au couv<strong>en</strong>t strasbourgeois <strong>de</strong>s Pénit<strong>en</strong>tes <strong>de</strong> sainte Ma<strong>de</strong>leine, à quatre<br />

reprises au cours <strong>de</strong> l’année 1281, sont tous <strong>de</strong> cire verte sur lacs <strong>de</strong> soie rouges 2 .<br />

Plus tard, le même évêque réforme énergiquem<strong>en</strong>t le chapitre <strong>de</strong> Haslach : <strong>en</strong> 1289,<br />

la lettre épiscopale <strong>en</strong>joignant au doy<strong>en</strong> <strong>de</strong> convoquer les chanoines au syno<strong>de</strong> qui<br />

doit régler la question, est pourvue d’un sceau <strong>de</strong> cire rouge sur ruban <strong>de</strong> lin blanc ;<br />

quant au statut qui <strong>en</strong> résulte l’année suivante, il prés<strong>en</strong>te les sceaux <strong>de</strong> l’évêque, du<br />

prévôt et du chapitre <strong>de</strong> Haslach, <strong>de</strong> cire vermeille sur lacs <strong>de</strong> soie rouges, jaunes et<br />

verts 3 .<br />

Un autre groupe <strong>de</strong> chartes se <strong>de</strong>ssine avec <strong>de</strong>s contours très nets : celui <strong>de</strong>s<br />

confirmations <strong>de</strong>s statuts et privilèges du chapitre Saint-Thomas <strong>de</strong> Strasbourg,<br />

dont les chanoines savai<strong>en</strong>t obt<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> l’évêque les garanties les plus fermes pour<br />

préserver leurs droits. Ri<strong>en</strong> qu’<strong>en</strong>tre 1219 et 1250, <strong>en</strong> l’espace d’une tr<strong>en</strong>taine<br />

d’années, l’établissem<strong>en</strong>t se voit octroyer cinq chartes pourvues d’un sceau <strong>de</strong> cire<br />

rouge, tantôt sur lacs <strong>de</strong> soie rouges et jaunes, ou bi<strong>en</strong> rouges et verts, tantôt, plus<br />

simplem<strong>en</strong>t, sur cor<strong>de</strong>lette <strong>de</strong> lin 4 . Mais <strong>en</strong> dépit <strong>de</strong> l’appar<strong>en</strong>te homogénéité <strong>de</strong><br />

certains <strong>en</strong>sembles <strong>de</strong> chartes quant au choix <strong>de</strong> scellem<strong>en</strong>t, on peut tout au plus<br />

parler <strong>de</strong> t<strong>en</strong>dances liées à l’importance d’un type d’actes.<br />

16<br />

Lég<strong>en</strong><strong>de</strong>s et formules d’annonce <strong>de</strong>s sceaux<br />

Tous les sceaux <strong>de</strong> la série strasbourgeoise comport<strong>en</strong>t une lég<strong>en</strong><strong>de</strong> disposée sur<br />

un seul rang, le plus souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux filets simples ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux lignes <strong>de</strong><br />

grènetis. Elle suit un modèle stable, peu original mais efficace, établi dès le XII e<br />

siècle : le nom <strong>de</strong> l’évêque, au nominatif, est sobrem<strong>en</strong>t suivi <strong>de</strong> la qualité du<br />

sigillant : « DEI GRATIA ARGENTINENSIS EPISCOPVS ». La formule,<br />

1 Par exemple ADHR – 27 H 7/1 <strong>de</strong> novembre 1209 : data Arg<strong>en</strong>tine in synodo nostro.<br />

2 AST Hist. eccl. I.118 à I.121.<br />

3 ADBR – G 5220/3 (1289) et G 5220/5-5a (1290).<br />

4 AST B.VI.3 (1219), B.VIII.2 (1225), B.I.3 (1230), B.II.3 (1246) et B.II.5 (1250).


17<br />

<strong>de</strong>meure inchangée jusqu’<strong>en</strong> 1246. Au-<strong>de</strong>là, on relève quelques variantes sans<br />

conséqu<strong>en</strong>ces telle que l’adoption d’une tournure au génitif induite par l’insertion<br />

dans la lég<strong>en</strong><strong>de</strong> du mot « SIGILLVM » suivi du nom du possesseur du sceau. Jean<br />

I er étoffe la lég<strong>en</strong><strong>de</strong> sigillaire <strong>en</strong> s’intitulant « ARGENTINENSIS ECCLESIE<br />

EPISCOPVS » ; Berthold II, Jean II, Jean III et Lambert suiv<strong>en</strong>t cet exemple,<br />

abandonné <strong>en</strong>suite par Frédéric II et ses successeurs. Berthold II crée à son tour un<br />

précéd<strong>en</strong>t <strong>en</strong> complétant la formule propitiatoire : « GRACIA DEI ET<br />

APOSTOLICE SEDIS » ; seuls Lambert et Frédéric II l’imiteront. Guillaume <strong>de</strong><br />

Diest revi<strong>en</strong>t à la formule du début du XIII e siècle. La <strong>de</strong>stination du contre-sceau<br />

est annoncée dans la lég<strong>en</strong><strong>de</strong> : « SECRETVM » est suivi du nom <strong>de</strong> l’évêque au<br />

génitif. Pour le sceau secret, cette formule est reprise et complétée : « SIGILLVM<br />

SECRETVM [prénom au génitif] EPISCOPI ARGENTINENSIS ».<br />

L’annonce du scellem<strong>en</strong>t dans le texte <strong>de</strong> la charte est un usage presque aussi<br />

anci<strong>en</strong> que l’emploi du sceau. Le seul terme employé par la chancellerie pour<br />

désigner un sceau, dans les lég<strong>en</strong><strong>de</strong>s sigillaires comme dans le texte <strong>de</strong>s chartes, est<br />

sigillum (<strong>en</strong> allemand, ingesigel) ; cet usage ne varie pas, <strong>de</strong>s origines jusqu’à la fin<br />

<strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> considérée.<br />

On observe une évolution <strong>de</strong> la formule d’annonce au fil du temps. Si les<br />

tournures vari<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t selon le rédacteur <strong>de</strong> la charte, <strong>en</strong> l’abs<strong>en</strong>ce d’un<br />

modèle figé d’annonce aux XII e et XIII e siècles, le s<strong>en</strong>s général reste le même : nos<br />

vero ean<strong>de</strong>m confirmationem nostri sigilli inpressione iure nostro insignimus<br />

(1133) ; ut nostra supradicta concessio esset firma et inconvulsa, hanc cartam<br />

fecimus scribi et nostri sigilli impressione insigniri (1134). La formule t<strong>en</strong>d par la<br />

suite à se stabiliser et à s’abréger : in huius rei memoriam, in cuius rei evid<strong>en</strong>tiam<br />

atque testimonium premissorum, … pres<strong>en</strong>tem cedulam damus (…) sigillo nostro<br />

communitam (1246), pres<strong>en</strong>tes litteras sigilli nostri munimine duximus roborandas<br />

(1251), pres<strong>en</strong>ti pagine nostrum app<strong>en</strong>dimus sigillum (1258). Au XV e siècle, la<br />

formule d’annonce se fige dans une tournure plus systématique : et in huius rei<br />

testimonium pres<strong>en</strong>tes litteras nostri pontificalis sigilli fecimus app<strong>en</strong>sione<br />

communiri, même si <strong>de</strong> légères variantes <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t possibles : in quorum omnium<br />

et singulorum premissorum testimonium pres<strong>en</strong>tes litteras fecimus sub nostri sigilli<br />

episcopalis app<strong>en</strong>sione communiri.<br />

La lég<strong>en</strong><strong>de</strong> doit être considérée comme une garantie <strong>de</strong>stinée à éviter les<br />

scellem<strong>en</strong>ts frauduleux ou inadaptés. Il arrive néanmoins, pour <strong>de</strong>s raisons qui<br />

n’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t pas la bonne foi du sigillant, que l’annonce d’un sceau ne correspon<strong>de</strong><br />

pas à l’empreinte qui se trouve app<strong>en</strong>due à la charte. Ainsi, H<strong>en</strong>ri IV scelle, à la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s parties contractantes, un accord conclu le 28 avril 1264 <strong>en</strong>tre la ville


<strong>de</strong> Strasbourg et Werner <strong>de</strong> Balbronn 1 . Il emploie pour cela son sceau d’élu, alors<br />

que le texte <strong>de</strong> la charte le désigne comme évêque consacré, bischof, et non comme<br />

urwelte (erwählte Bischof). Il est probable que l’évêque consacré ne disposait pas<br />

<strong>en</strong>core <strong>de</strong> sa nouvelle matrice <strong>de</strong> sceau lorsque l’acte a été émis 2 . Ce g<strong>en</strong>re<br />

d’anomalie est dû au caractère temporaire que peut revêtir un office et à la rapidité<br />

<strong>de</strong>s changem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> statut ; la l<strong>en</strong>teur <strong>de</strong> la confection d’une matrice est difficile à<br />

évaluer, mais ce facteur semble être <strong>en</strong>tré <strong>en</strong> ligne <strong>de</strong> compte dans le cas <strong>en</strong>visagé.<br />

18<br />

Lieux <strong>de</strong> scellem<strong>en</strong>t et variations <strong>de</strong> l’activité sigillaire<br />

<strong>Les</strong> modalités d’utilisation et <strong>de</strong> conservation <strong>de</strong> la matrice du sceau épiscopal<br />

strasbourgeois sont obscures. On peut supposer que là où se trouve l’évêque, se<br />

trouve le sceau <strong>de</strong> l’évêque. Au XII e siècle, les actes sont émis et scellés <strong>en</strong> sa<br />

prés<strong>en</strong>ce : <strong>en</strong> effet, il lui revi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>r les syno<strong>de</strong>s diocésains et les cours <strong>de</strong><br />

justice 3 , et d’<strong>en</strong> corroborer les actes par son sceau. S’il t<strong>en</strong>d <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus à<br />

déléguer ses fonctions judiciaires, la pleine et <strong>en</strong>tière validité <strong>de</strong> l’empreinte <strong>de</strong> cire<br />

dép<strong>en</strong>d <strong>en</strong>core, à ce qu’il semble, <strong>de</strong> la prés<strong>en</strong>ce physique du prélat au mom<strong>en</strong>t du<br />

scellem<strong>en</strong>t.<br />

Rares sont les docum<strong>en</strong>ts à m<strong>en</strong>tionner le lieu <strong>de</strong> rédaction et <strong>de</strong> scellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

la charte : sur un total <strong>de</strong> cinquante dont le texte précise le lieu d’émission <strong>en</strong>tre<br />

1201 et 1262, tr<strong>en</strong>te-trois ont été données à Strasbourg, siège <strong>de</strong> l’évêché : datum<br />

Arg<strong>en</strong>tine, apud Arg<strong>en</strong>tinam, in civitate Arg<strong>en</strong>tin<strong>en</strong>si, in claustro maioris ecclesie,<br />

in palatio nostro Arg<strong>en</strong>tine. Ces docum<strong>en</strong>ts permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> localiser le sceau<br />

épiscopal à Strasbourg avec une remarquable mais peu surpr<strong>en</strong>ante continuité ; <strong>de</strong><br />

fait, ce sont les dix-sept exceptions qui permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> conclure que le sceau suit<br />

l’évêque dans ses déplacem<strong>en</strong>ts, ainsi à Dachstein (apud Tabech<strong>en</strong>stein ou<br />

Dabich<strong>en</strong>stein), résid<strong>en</strong>ce épiscopale. Plus tard, aux XIV e et XV e siècle, alors que<br />

l’évêque rési<strong>de</strong> hors <strong>de</strong> Strasbourg, <strong>de</strong> nombreuses chartes sont scellées à Molsheim<br />

ou à Saverne. Plus rares <strong>en</strong>core sont les déplacem<strong>en</strong>ts sur le lieu <strong>de</strong> <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> la<br />

charte, comme à Rosheim, apud Rodisheim ante valvas ecclesie inferioris. Lorsque<br />

Gauthier <strong>de</strong> Geroldseck se réfugie à Dachstein <strong>en</strong> mai-juin 1261, nulle charte<br />

épiscopale n’est plus émise à Strasbourg. On peut <strong>en</strong> déduire que la chancellerie,<br />

petit groupe <strong>de</strong> clercs lettrés proche du prélat qui compr<strong>en</strong>d peut-être un gar<strong>de</strong> du<br />

sceau, est aussi mobile que son maître.<br />

1<br />

AMS 152 (1264). – wir Heinrich von gottes gnad<strong>en</strong> <strong>de</strong>r bischof von Strazburg verjeh<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s, daz wir unser ingesigele hab<strong>en</strong> durch <strong>de</strong>r vorg<strong>en</strong>ant<strong>en</strong> herr<strong>en</strong> bete an dis<strong>en</strong> brief<br />

geheiss<strong>en</strong> h<strong>en</strong>k<strong>en</strong> zeime urkun<strong>de</strong>.<br />

2<br />

La première empreinte issue <strong>de</strong> la matrice d’évêque consacré date du 7 juin 1264 (AST<br />

B.I.7).<br />

3 e<br />

Voir LEVRESSE R.-P., <strong>Les</strong> origines <strong>de</strong> l’officialité épiscopale <strong>de</strong> Strasbourg au XIII<br />

siècle dans Archives <strong>de</strong> l’Eglise d’<strong>Alsace</strong>, 1986, p. 12.


19<br />

Dans la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s cas, c’est la chancellerie <strong>de</strong> l’évêché qui produit les<br />

chartes auxquelles est app<strong>en</strong>du le sceau épiscopal, c’est elle <strong>en</strong>core qui fournit et la<br />

cire, et les attaches qui serviront aux autres sigillants. Le sceau épiscopal est<br />

fréquemm<strong>en</strong>t associé, dès l’origine, au sceau du Grand Chapitre, qui apparaît vers<br />

1185 1 ; sur quatre-c<strong>en</strong>t-cinquante chartes épiscopales scellées rec<strong>en</strong>sées <strong>en</strong>tre 1182<br />

et 1353, c<strong>en</strong>t-quatorze <strong>en</strong> sont munies, soit une sur quatre. Le corpus <strong>de</strong>s sceaux<br />

capitulaires prés<strong>en</strong>te <strong>de</strong> ce fait un profil très proche <strong>de</strong> celui du corpus <strong>de</strong>s sceaux<br />

d’évêques. Il semble qu’un même groupe <strong>de</strong> clercs ait la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sceaux, et<br />

que la chancellerie du chapitre cathédral ne fasse qu’un avec celle <strong>de</strong> l’évêque. Dans<br />

ces conditions, il n’est pas étonnant <strong>de</strong> voir, sur les trois quarts <strong>de</strong>s chartes<br />

communes aux <strong>de</strong>ux sigillants, le représ<strong>en</strong>tant du Grand Chapitre employer la<br />

même cire que l’évêque. Reste tout <strong>de</strong> même un quart d’empreintes diverg<strong>en</strong>tes par<br />

leur couleur, ce qui empêche <strong>de</strong> systématiser l’id<strong>en</strong>tité que l’on vi<strong>en</strong>t d’<strong>en</strong>trevoir.<br />

Ces diverg<strong>en</strong>ces t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à se multiplier à l’extrême fin du XIII e et au début du XIV e<br />

siècle, signe révélateur <strong>de</strong> l’indép<strong>en</strong>dance croissante du chapitre cathédral.<br />

L’évolution quantitative du corpus <strong>de</strong>s sceaux épiscopaux est étroitem<strong>en</strong>t liée<br />

aux aléas <strong>de</strong> la situation politique. La première moitié du XIII e siècle est caractérisée<br />

par une augm<strong>en</strong>tation l<strong>en</strong>te mais régulière du nombre d’empreintes, jusqu’au pic <strong>de</strong><br />

l’activité sigillaire sous H<strong>en</strong>ri III <strong>de</strong> Stahleck. Ce paroxysme correspond à l’apogée<br />

du pouvoir épiscopal, à la veille <strong>de</strong> la prise d’autonomie <strong>de</strong>s Strasbourgeois : H<strong>en</strong>ri<br />

III, prélat énergique et déterminé, s’efforce <strong>de</strong> m<strong>en</strong>er à bi<strong>en</strong> l’œuvre <strong>de</strong><br />

restructuration <strong>de</strong>s instances judiciaires <strong>de</strong> l’évêché <strong>en</strong>tamée par son prédécesseur,<br />

afin <strong>de</strong> répondre à la multiplication <strong>de</strong>s affaires qui relèv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sa compét<strong>en</strong>ce du<br />

fait l’ext<strong>en</strong>sion continue <strong>de</strong>s territoires attachés à la m<strong>en</strong>se épiscopale.<br />

La crise politique qui agite l’épiscopat <strong>de</strong> Gauthier provoque l’effondrem<strong>en</strong>t<br />

qualitatif et quantitatif <strong>de</strong> l’activité sigillaire à l’époque <strong>de</strong> son successeur. L’activité<br />

pastorale <strong>de</strong> l’évêque se rétracte lorsque son pouvoir temporel est fragilisé ou que la<br />

question militaire pr<strong>en</strong>d le pas : les confirmations <strong>de</strong> fondations, arbitrages et<br />

statuts, qui constitu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> temps normal les affaires courantes <strong>de</strong> l’activité<br />

diplomatique <strong>de</strong> l’évêché, sont relégués au second plan. Dans ces conditions peu<br />

favorables à l’épanouissem<strong>en</strong>t d’une politique sigillaire, et plus généralem<strong>en</strong>t à<br />

l’exercice normal <strong>de</strong>s attributions spirituelles <strong>de</strong> l’évêque, la variété <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

scellem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong>s couleurs <strong>de</strong> sceaux se restreint. La fréqu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> scellem<strong>en</strong>t ne<br />

diminue qu’<strong>en</strong>suite, sous le coup d’une certaine désorganisation <strong>de</strong> la chancellerie<br />

épiscopale. Cette t<strong>en</strong>dance négative s’inverse un temps sous l’effet <strong>de</strong>s m<strong>en</strong>ées<br />

ambitieuses <strong>de</strong> Conrad <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg, tant dans le domaine religieux que dans le<br />

domaine temporel. Mais à plus long terme, les émissions <strong>de</strong> sceaux se stabilis<strong>en</strong>t à<br />

un niveau bas.<br />

1 ADBR – G 2705/5 (1185-1190) ; ADBR – G 27 et ADHR – 11 H 2/8 (1185, tombés).


20<br />

Iconographie<br />

<strong>Les</strong> sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Strasbourg ne prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong> caractères<br />

iconographiques novateurs : ils s’inscriv<strong>en</strong>t dans la tradition du sceau sacerdotal et<br />

les ornem<strong>en</strong>ts liturgiques <strong>de</strong>s prélats sont souv<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>tés avec minutie. Parmi<br />

les principales originalités <strong>de</strong> la série, relevons que le rational, parem<strong>en</strong>t peu<br />

fréqu<strong>en</strong>t qui recouvre la poitrine, pr<strong>en</strong>d la forme d’un <strong>de</strong>mi-disque orné <strong>de</strong><br />

guillochis sur le sceau <strong>de</strong> Conrad <strong>de</strong> Hunebourg 1 , d’un trilobe chargé <strong>de</strong> cabochons<br />

sur le sceau <strong>de</strong> Conrad <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg. Tous les évêques du XII e siècle prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> la main gauche un livre ouvert, qui fait place au XIII e siècle à la crosse, tandis<br />

que la main droite, désormais libre, esquisse un geste <strong>de</strong> bénédiction. La transition<br />

<strong>en</strong>tre le livre et la main bénissante s’opère sous Conrad <strong>de</strong> Hunebourg :<br />

abandonnant le livre ouvert, il ti<strong>en</strong>t un phylactère sur lequel on peut lire les mots<br />

PAX VOBIS. Le message <strong>de</strong> cette ban<strong>de</strong>role préfigure le geste <strong>de</strong> bénédiction qui<br />

figera la main droite <strong>de</strong> tous ses successeurs, à l’exception <strong>de</strong> H<strong>en</strong>ri <strong>de</strong> Geroldseck,<br />

qui prés<strong>en</strong>te un livre fermé.<br />

Quant au contre-sceau, son type n’est pas défini avec précision. Conrad III<br />

choisit d’y faire représ<strong>en</strong>ter une tête mitrée <strong>de</strong> profil, d’une finesse et d’une fermeté<br />

d’exécution exceptionnelles à Strasbourg à cette époque; les traits du visage<br />

évoqu<strong>en</strong>t davantage une médaille romaine qu’un sceau médiéval. Il y a tout lieu <strong>de</strong><br />

p<strong>en</strong>ser que Conrad III réutilise une intaille antique maquillée <strong>en</strong> contre-sceau<br />

épiscopal par l’adjonction d’une lég<strong>en</strong><strong>de</strong> appropriée, mais aussi d’une mitre qui<br />

s’adapte d’ailleurs médiocrem<strong>en</strong>t au profil. Après lui, Frédéric <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg<br />

adopte un contre-sceau héraldique, mais Jean <strong>de</strong> Dirpheim revi<strong>en</strong>t à une formule<br />

plus traditionnelle avec l’effigie d’un évêque <strong>en</strong> buste prés<strong>en</strong>tant un livre ouvert.<br />

L’élém<strong>en</strong>t iconographique le plus remarquable <strong>de</strong>s sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong><br />

Strasbourg est le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tation assis. Cette spécificité qui, <strong>en</strong> soi, n’est pas<br />

une rareté, est exceptionnelle par sa perman<strong>en</strong>ce et sa longévité : à aucun mom<strong>en</strong>t,<br />

un prélat strasbourgeois consacré ne se fait représ<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>bout, ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> prière au<br />

pied d’un saint selon le type <strong>de</strong> dévotion qui se répand au XIV e siècle. Ce choix va à<br />

l’<strong>en</strong>contre, par exemple, <strong>de</strong>s usages <strong>de</strong>s évêchés français 2 . En revanche, les évêques<br />

1 A. Coulon m<strong>en</strong>tionne le sceau d’un évêque <strong>de</strong> Metz contemporain <strong>de</strong> Conrad <strong>de</strong><br />

Hunebourg, Bertrand, qui prés<strong>en</strong>te égalem<strong>en</strong>t un rational (ou surhuméral). Voir A.<br />

COULON, op. cit., p. 133, note 1.<br />

2 Douët d’Arcq a décrit l’évolution générale du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tation épiscopal dans le<br />

royaume <strong>de</strong> France : « La représ<strong>en</strong>tation assise que nous avons vue paraître pour la première<br />

fois <strong>en</strong> l’an 1067 [sceau <strong>de</strong> l’archevêque <strong>de</strong> Bourges Richard] fait place à la représ<strong>en</strong>tation<br />

<strong>de</strong>bout p<strong>en</strong>dant tout le XIII e siècle, pour reparaître au XIV e , mais alors plutôt sur les sceaux<br />

d’archevêques. Un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers sceaux d’évêque à représ<strong>en</strong>tation assise est celui <strong>de</strong> Geoffroi,<br />

évêque <strong>de</strong> Meaux, <strong>de</strong> 1209 [n° 6700], et l’un <strong>de</strong>s premiers <strong>de</strong> leur réapparition est celui <strong>de</strong><br />

Pierre <strong>de</strong> Savoie, archevêque <strong>de</strong> Lyon, <strong>de</strong> l’an 1312 [n° 6321]. » L.-Cl. DOUËT D’ARCQ,<br />

op. cit., p. LX.


21<br />

<strong>de</strong> Metz et <strong>de</strong> Bâle <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t fidèles, comme leur homologue strasbourgeois, au<br />

type assis. Auguste Coulon fournit un début d’explication à ce phénomène : « Le<br />

[type assis] s’efface au XIII e siècle <strong>de</strong>vant le type <strong>de</strong>bout, il est toutefois conservé par<br />

<strong>de</strong>s patriarches, <strong>de</strong>s primats, <strong>de</strong>s prélats <strong>de</strong> la région germanique et certains évêques<br />

<strong>de</strong> l’est <strong>de</strong> la France, feudataires <strong>de</strong> l’empire. » 1 . On constate donc un attachem<strong>en</strong>t<br />

local à la représ<strong>en</strong>tation du prélat sur son trône, qui semble davantage liée à une<br />

préfér<strong>en</strong>ce esthétique qu’à l’expression d’une prét<strong>en</strong>tion politique.<br />

Conclusion<br />

Le corpus médiéval <strong>de</strong>s sceaux <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Strasbourg prés<strong>en</strong>te un certain<br />

nombre <strong>de</strong> caractères originaux, mais il sort peu <strong>de</strong> l’ordinaire : les évêques n’ont <strong>en</strong><br />

règle générale pas eu le souci <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s usages particuliers <strong>en</strong> matière <strong>de</strong><br />

scellem<strong>en</strong>t, si l’on excepte <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>tatives qui correspond<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s mom<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />

réaffirmation et <strong>de</strong> réassurance du pouvoir épiscopal, tel que le règne <strong>de</strong> Conrad III<br />

<strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg (1273-1299). On décèle bi<strong>en</strong>, ici et là, une volonté <strong>de</strong><br />

normalisation <strong>de</strong>s pratiques à travers l’emploi <strong>de</strong> couleurs <strong>de</strong> cire et d’attaches<br />

sélectionnées, mais il faut y voir davantage l’effet d’influ<strong>en</strong>ces diverses, une sorte <strong>de</strong><br />

mimétisme sigillaire, qu’une politique délibérée. <strong>Les</strong> usages sigillaires <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong><br />

Strasbourg ne contredis<strong>en</strong>t pas la règle générale 2 : ils n’ont ri<strong>en</strong> d’absolu ni <strong>de</strong><br />

définitif. De sorte que, là où l’on croit déceler les premiers signes d’une volonté <strong>de</strong><br />

rationalité, on n’observe <strong>en</strong> réalité que la manifestation plus ou moins affirmée et<br />

durable d’une mo<strong>de</strong> passagère.<br />

Le faible avancem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s recherches dans ce domaine, <strong>en</strong> France comme <strong>en</strong><br />

Allemagne, et l’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> synthèses pouvant servir <strong>de</strong> support à <strong>de</strong>s comparaisons,<br />

n’a pas permis d’insérer la série épiscopale strasbourgeoise dans un réseau <strong>de</strong><br />

pratiques plus large. Néanmoins, l’étroitesse <strong>de</strong>s rapports constatés <strong>en</strong>tre l’activité<br />

sigillaire <strong>de</strong>s évêques et leur <strong>de</strong>stin politique suffit à convaincre <strong>de</strong> la valeur<br />

historique du docum<strong>en</strong>t sigillaire.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Georges Bischoff<br />

1 Ibid., p. 128, note 2. L’auteur m<strong>en</strong>tionne les sceaux <strong>de</strong>s archevêques <strong>de</strong> Cologne Engelbert<br />

von Berg <strong>en</strong> 1216 et Conrad <strong>de</strong> Hochstadt <strong>en</strong> 1243, Arch. nat., Collection <strong>de</strong> Lorraine, n os<br />

245 et 711.<br />

2 A partir du règne <strong>de</strong> Philippe Auguste, la chancellerie royale française fait exception <strong>en</strong><br />

usant d’un jeu <strong>de</strong> couleurs codifié. Voir A. GIRY, Manuel <strong>de</strong> diplomatique, Paris, 1894, p.<br />

643.


1<br />

1<br />

Berthold I er <strong>de</strong> Teck, type I<br />

ADHR 11 H 2/8 (1225)<br />

22<br />

H<strong>en</strong>ri III <strong>de</strong> Stahleck, type I<br />

AH 1345 (1249)


H<strong>en</strong>ri IV <strong>de</strong> Geroldseck<br />

AST Hist. eccl. II.15 (1270)<br />

Jean I er <strong>de</strong> Dirpheim, type II<br />

AST B.VIII.6 (1319)<br />

23<br />

Conrad III <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg<br />

ADBR G 5220/5 (1290)<br />

Jean II <strong>de</strong> Licht<strong>en</strong>berg<br />

ADBR G 1601/6 (1358)


Claire GATTI<br />

L’Hospice <strong>de</strong>s Pauvres Passants <strong>de</strong><br />

Strasbourg à la fin du Moy<strong>en</strong> Age<br />

Aux XIV e et XV e siècles, le r<strong>en</strong>ouveau <strong>de</strong> la ferveur religieuse s’accompagne d’un<br />

essor <strong>de</strong>s pèlerinages d’autant plus important que l’amélioration <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong><br />

circulation facilite les déplacem<strong>en</strong>ts. Strasbourg, par sa situation géographique, est<br />

un lieu <strong>de</strong> passage quasi obligé pour les pèlerins, plus particulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core après<br />

la construction <strong>en</strong> 1388 d’un pont sur le Rhin, le seul avant Bâle. V<strong>en</strong>ant du nord<br />

et <strong>de</strong> l’est <strong>de</strong> l’Europe aussi bi<strong>en</strong> que du sud et se r<strong>en</strong>dant tant vers l’Allemagne que<br />

vers Rome ou Saint-Jacques-<strong>de</strong>-Compostelle, <strong>de</strong> nombreux voyageurs travers<strong>en</strong>t<br />

ainsi la ville chaque jour. Ils vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t s’ajouter à la foule <strong>de</strong> pauvres g<strong>en</strong>s jetés sur les<br />

routes par les difficultés <strong>de</strong>s temps, peste, famine et misère <strong>de</strong> manière générale, et<br />

par l’espoir <strong>de</strong> trouver ailleurs <strong>de</strong> meilleures conditions <strong>de</strong> vie. La charité chréti<strong>en</strong>ne<br />

dicte aux établissem<strong>en</strong>ts religieux d’héberger ces pauvres passants mais cela se révèle<br />

vite insuffisant, les couv<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la ville n’étant pas adaptés à une telle <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />

D’autres institutions charitables pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le relais, tel le Grand Hôpital <strong>de</strong><br />

Strasbourg, mais l’arrivée quotidi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> voyageurs occasionne <strong>de</strong>s troubles dans<br />

son fonctionnem<strong>en</strong>t. Il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t donc urg<strong>en</strong>t <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s structures plus<br />

appropriées, <strong>de</strong>stinées spécifiquem<strong>en</strong>t à l’accueil <strong>de</strong>s pèlerins et pauvres voyageurs,<br />

telles qu’il <strong>en</strong> existe déjà ailleurs <strong>en</strong> Europe et <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>, à Colmar notamm<strong>en</strong>t.<br />

Strasbourg voit ainsi la création <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ces établissem<strong>en</strong>ts au XIV e siècle, réunis<br />

<strong>en</strong> un seul à la fin <strong>de</strong> ce même siècle. Ils sont appelés El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberg<strong>en</strong> <strong>en</strong> vieil<br />

allemand, « Hospices <strong>de</strong>s Pauvres passants » 1 .<br />

1 Avec la réunion <strong>de</strong>s Archives hospitalières à la ville au début du XX e siècle, les institutions<br />

charitables strasbourgeoises au Moy<strong>en</strong> Age ont fait l’objet d’étu<strong>de</strong>s qui rest<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s<br />

référ<strong>en</strong>ces : GOLDBERG (Martha), Das Arm<strong>en</strong>- und Krank<strong>en</strong>wes<strong>en</strong> <strong>de</strong>r mittelalterlich<strong>en</strong><br />

Straßburg, Strasbourg, 1909 ; WINCKELMANN (Otto), Das Fürsorgewes<strong>en</strong> <strong>de</strong>r Stadt Straßburg<br />

vor und nach <strong>de</strong>r Reformation bis zum <strong>de</strong>s Ausgang <strong>de</strong>s sechzehnt<strong>en</strong> Jahrhun<strong>de</strong>rts, t. 1, Leipzig,<br />

1922. Si elles abord<strong>en</strong>t le cas <strong>de</strong>s El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberg<strong>en</strong>, elles ne port<strong>en</strong>t toutefois pas<br />

spécifiquem<strong>en</strong>t sur ces établissem<strong>en</strong>ts.


L’un d’<strong>en</strong>tre eux apparaît pour la première fois dans un testam<strong>en</strong>t daté du 26<br />

juillet 1349 ; il se trouve au sud <strong>de</strong> la ville, rue Sainte-Elisabeth (Elisabeth<strong>en</strong>strasse).<br />

Sa création est sans doute le fait d’un prêtre, Oettelin <strong>de</strong> Ut<strong>en</strong>heim, qui <strong>en</strong> est<br />

égalem<strong>en</strong>t l’économe. L’établissem<strong>en</strong>t s’installe <strong>en</strong>suite rue du Marché-aux-Vins (an<br />

<strong>de</strong>m Winmercket) 1 , après l’acquisition d’une maison cédée par le banquier<br />

strasbourgeois Johann Merswin <strong>en</strong> 1359. Un second Hospice est m<strong>en</strong>tionné dans<br />

les sources : situé rue du Faubourg-<strong>de</strong>-Pierre (an <strong>de</strong>r Steinstrasse), il est réuni à<br />

l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge <strong>de</strong> la rue du Marché-aux-Vins <strong>en</strong>tre 1374 et 1379, où il <strong>de</strong>meure<br />

jusqu’à son transfert <strong>en</strong> 1534 dans l’anci<strong>en</strong> couv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s Augustins rue Saint-Michel.<br />

C’est cette pério<strong>de</strong>, du milieu du XIV e siècle au début du XVI e siècle, qui fait<br />

l’objet <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong>. Celle-ci s’inscrit dans un contexte <strong>de</strong> r<strong>en</strong>ouveau <strong>de</strong> l’histoire<br />

<strong>de</strong> l’assistance. En effet, <strong>de</strong>puis quelques années, l’aspect purem<strong>en</strong>t institutionnel <strong>de</strong><br />

l’histoire hospitalière jusque là privilégié est délaissé au profit <strong>de</strong> son aspect social.<br />

<strong>Les</strong> sources relatives aux Hospices <strong>de</strong>s Pauvres passants <strong>de</strong> Strasbourg, et <strong>en</strong><br />

particulier son règlem<strong>en</strong>t intérieur, permett<strong>en</strong>t d’abor<strong>de</strong>r le sujet sous ces <strong>de</strong>ux<br />

aspects. Etudier une telle institution implique <strong>en</strong> effet <strong>de</strong> s’interroger à la fois sur<br />

son fonctionnem<strong>en</strong>t au quotidi<strong>en</strong> - qui sont les personnes hébergées et quel est<br />

l’accueil qui leur est réservé – et sur son organisation sur le plan institutionnel – qui<br />

compose le personnel <strong>de</strong> l’Hospice et quel est le rôle respectif <strong>de</strong> chacun. L’aspect<br />

économique ne doit pas non plus être négligé : accueillir chaque jour <strong>de</strong>s pauvres<br />

voyageurs sans leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> participation financière nécessite une organisation<br />

rigoureuse afin <strong>de</strong> percevoir régulièrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s rev<strong>en</strong>us.<br />

La fondation <strong>de</strong>s El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberg<strong>en</strong> <strong>de</strong> Strasbourg intervi<strong>en</strong>t à un mom<strong>en</strong>t où<br />

les autorités urbaines, laïques, t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong> mettre la main sur les institutions<br />

charitables <strong>de</strong> la ville. Ce mouvem<strong>en</strong>t a débuté au XIV e siècle et concerne aussi bi<strong>en</strong><br />

le Grand Hôpital que l’Œuvre Notre-Dame ou la Léproserie. Il semblerait que les<br />

Hospices <strong>de</strong>s Pauvres passants n’échapp<strong>en</strong>t pas à cette volonté. Si ces institutions<br />

intéress<strong>en</strong>t tant la ville, c’est qu’elles possèd<strong>en</strong>t un patrimoine foncier et une fortune<br />

propre qui échapp<strong>en</strong>t à la fiscalité urbaine. <strong>Les</strong> autorités t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t alors <strong>de</strong> les<br />

contrôler : c’est ce processus <strong>de</strong> mainmise que cherche notamm<strong>en</strong>t à cerner la<br />

prés<strong>en</strong>te étu<strong>de</strong> grâce à l’analyse <strong>de</strong>s diverses sources.<br />

26<br />

Sources et métho<strong>de</strong>s<br />

Prés<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s sources<br />

<strong>Les</strong> sources concernant les El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberg<strong>en</strong> strasbourgeoises sont multiples.<br />

Elles sont conservées aux Archives municipales <strong>de</strong> Strasbourg dans la série AH,<br />

1 A l’emplacem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’actuel n°46 selon SEYBOTH (Adolphe), Strasbourg historique et<br />

pittoresque <strong>de</strong>puis son origine jusqu’<strong>en</strong> 1870, Strasbourg, 1894.


27<br />

Archives hospitalières, réunies au début du XX e siècle aux Archives <strong>de</strong> la ville. Le<br />

principal problème posé par ces sources est celui <strong>de</strong> la compréh<strong>en</strong>sion : elles sont <strong>en</strong><br />

effet rédigées <strong>en</strong> latin ou <strong>en</strong> vieil allemand, la langue vulgaire étant utilisée dans les<br />

<strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s afin d’éviter toute incertitu<strong>de</strong>, donc toute contestation, à leur<br />

sujet.<br />

Le fonds compr<strong>en</strong>d le règlem<strong>en</strong>t intérieur <strong>de</strong> l’Hospice <strong>de</strong>s Pauvres passants, die<br />

Ord<strong>en</strong>unge <strong>de</strong>r Ell<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberg<strong>en</strong> 1 . Rédigé dans la secon<strong>de</strong> moitié du XV e siècle ce<br />

docum<strong>en</strong>t <strong>en</strong> vieil allemand, <strong>en</strong> partie inédit, témoigne du fonctionnem<strong>en</strong>t au<br />

quotidi<strong>en</strong> <strong>de</strong> l’institution 2 . Par sa date <strong>de</strong> rédaction, il ne concerne dans les faits que<br />

l’Hospice <strong>de</strong> la rue du Marché-aux-Vins, mais ses directives peuv<strong>en</strong>t sans doute être<br />

ét<strong>en</strong>dues aux établissem<strong>en</strong>ts antérieurs <strong>de</strong> la rue Sainte-Elisabeth et <strong>de</strong> celle du<br />

Faubourg-<strong>de</strong>-Pierre. Il r<strong>en</strong>d compte <strong>de</strong> l’accueil tant matériel que spirituel offert<br />

aux voyageurs et décrit les attributions <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong>s membres du personnel <strong>de</strong><br />

l’établissem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>puis les administrateurs et l’économe jusqu’aux domestiques.<br />

Toutefois, comme pour toute mise <strong>en</strong> pratique d’un texte théorique, il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

rester prud<strong>en</strong>t puisque l’application <strong>de</strong> ce règlem<strong>en</strong>t ne peut être vérifiée dans les<br />

faits.<br />

La majeure partie <strong>de</strong>s sources concernant l’Hospice sont <strong>de</strong>s chartes relatives aux<br />

transactions effectuées par son économe ; elles couvr<strong>en</strong>t la pério<strong>de</strong> 1349-1524.<br />

Deux cartulaires les complèt<strong>en</strong>t : ils rassembl<strong>en</strong>t la majorité <strong>de</strong>s contrats conclus à<br />

partir <strong>de</strong>s années 1430 et expliqu<strong>en</strong>t que les chartes <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> 1430-1524 sont<br />

nettem<strong>en</strong>t minoritaires par rapport à celles <strong>de</strong>s déc<strong>en</strong>nies précéd<strong>en</strong>tes 3 . S’y ajout<strong>en</strong>t<br />

quelques plaintes et jugem<strong>en</strong>ts relatifs à <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> voisinage ou à <strong>de</strong>s<br />

réparations effectuées sur <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s appart<strong>en</strong>ant à l’établissem<strong>en</strong>t. Grâce à une grille<br />

<strong>de</strong> lecture rigoureuse et à une exploitation systématique, <strong>de</strong>s informations tant<br />

d’ordre économique – reconstituer le temporel <strong>de</strong> l’Hospice, évaluer ses rev<strong>en</strong>us –<br />

que social – id<strong>en</strong>tifier les personnes <strong>en</strong> relation avec lui, donateurs, débir<strong>en</strong>tiers ou<br />

v<strong>en</strong><strong>de</strong>urs, ainsi qu’établir la succession <strong>de</strong> ses dirigeants au cours <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong><br />

étudiée – ont pu être tirées <strong>de</strong> ces chartes. Si cette analyse a nécessité la lecture <strong>de</strong><br />

près <strong>de</strong> cinq c<strong>en</strong>ts d’<strong>en</strong>tre elles dans le but <strong>de</strong> déterminer la date <strong>de</strong> création <strong>de</strong>s<br />

Hospices, seules 264 ont finalem<strong>en</strong>t été utiles pour l’étu<strong>de</strong> du temporel <strong>de</strong><br />

1 AMS, 1 AH 219 A. Ce règlem<strong>en</strong>t n’est pas daté mais il fait état du passage <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux à trois<br />

Pfleger à la tête <strong>de</strong> l’Hospice. Un autre docum<strong>en</strong>t (AMS, 1 AH 222 A) date ce changem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> 1464, ce qui placerait la rédaction du règlem<strong>en</strong>t dans la secon<strong>de</strong> moitié du XV e siècle.<br />

2 Otto Winckelmann, op. cit., t.2, p. 52-54, donne une transcription partielle <strong>de</strong> ce<br />

règlem<strong>en</strong>t : il s’attache à la partie concernant l’accueil <strong>de</strong>s pèlerins à leur arrivée, et à celle<br />

relative aux repas.<br />

3 AMS, 1 AH 1107 P et 1 AH 1110 P. Au vu <strong>de</strong> l’ampleur du fonds, ils n’ont pu cep<strong>en</strong>dant<br />

être exploités faute <strong>de</strong> temps. <strong>Les</strong> conclusions tirées <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong>s chartes <strong>de</strong> la première<br />

pério<strong>de</strong> (du milieu du XIV e siècle aux années 1430) ne doiv<strong>en</strong>t donc pas être ét<strong>en</strong>dues<br />

hâtivem<strong>en</strong>t à l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong>.


l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge et <strong>de</strong>s personnes qui intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans son financem<strong>en</strong>t 1 . Ces<br />

docum<strong>en</strong>ts sont pour l’ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong>s contrats <strong>de</strong> v<strong>en</strong>te et <strong>de</strong> location conclus <strong>de</strong>vant<br />

l’officialité et par le biais <strong>de</strong>squels l’institution s’est constitué un patrimoine foncier<br />

et l’exploite ; il s’agit égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> constitutions <strong>de</strong> r<strong>en</strong>te grâce auxquelles les<br />

dirigeants <strong>de</strong> l’Hospice font fructifier le capital pour <strong>en</strong>suite investir les bénéfices<br />

dans la terre. Leur exploitation a donné naissance à une base <strong>de</strong> données qui est le<br />

fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong>.<br />

28<br />

Rec<strong>en</strong>ser les personnes <strong>en</strong> relation avec l’Hospice<br />

<strong>Les</strong> contrats sont <strong>en</strong> effet riches <strong>de</strong> r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts quant aux individus et<br />

institutions – établissem<strong>en</strong>ts charitables ou religieux – dont ils font m<strong>en</strong>tion. Ils<br />

cit<strong>en</strong>t ainsi d’une part le nom <strong>de</strong>s contractants, leur profession ainsi que leur lieu <strong>de</strong><br />

résid<strong>en</strong>ce et d’origine quand il ne s’agit pas <strong>de</strong> Strasbourg, d’autre part celui <strong>de</strong> la<br />

personne représ<strong>en</strong>tant l’Hospice ainsi que sa fonction, l’économe dans la plupart<br />

<strong>de</strong>s cas. Le problème majeur r<strong>en</strong>contré au cours <strong>de</strong> cette analyse concerne la<br />

profession <strong>de</strong>s personnes m<strong>en</strong>tionnées. <strong>Les</strong> docum<strong>en</strong>ts étant parfois sil<strong>en</strong>cieux à ce<br />

sujet, il faut alors recourir aux informations relatives à leur <strong>en</strong>tourage, et <strong>en</strong>core cela<br />

n’est-il pas toujours possible. Sur les 237 chartes examinées pour déterminer<br />

l’activité professionnelle <strong>de</strong>s personnes <strong>en</strong> relation avec l’Hospice, 174 individus ou<br />

institutions ont été id<strong>en</strong>tifiés, auxquels il faut ajouter 43 cives Arg<strong>en</strong>tin<strong>en</strong>ses<br />

(bourgeois <strong>de</strong> Strasbourg) et 66 personnes dont la profession est inconnue, soit 109<br />

individus pour lesquels <strong>de</strong>s lacunes exist<strong>en</strong>t.<br />

Certains contrats sont conclus par <strong>de</strong>s femmes et, lorsqu’il ne s’agit pas <strong>de</strong><br />

religieuses, le métier indiqué est bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t celui <strong>de</strong> leur père ou <strong>de</strong> leur mari<br />

puisqu’elles apparaiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant que fille et/ou épouse. L’ass<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur mari<br />

ou <strong>de</strong> l’économe <strong>de</strong> l’établissem<strong>en</strong>t où elles se sont retirées leur est indisp<strong>en</strong>sable<br />

pour effectuer une transaction. Il ne leur est <strong>en</strong> effet pas permis <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong> leurs<br />

bi<strong>en</strong>s, même s’ils leur sont propres, car elles ne peuv<strong>en</strong>t légalem<strong>en</strong>t s’<strong>en</strong> porter<br />

garantes ainsi que le stipule le s<strong>en</strong>atus-consulte velléi<strong>en</strong> 2 . Pour l’analyse <strong>de</strong>s<br />

docum<strong>en</strong>ts, l’activité du père a été privilégiée par rapport à celle du mari lorsque<br />

toutes <strong>de</strong>ux sont connues ; elles sont par ailleurs bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t id<strong>en</strong>tiques. Dans la<br />

société médiévale, il est <strong>en</strong> effet fréqu<strong>en</strong>t que les mariages cré<strong>en</strong>t ou r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

alliances <strong>en</strong>tre personnes exerçant la même activité afin d’éviter toute dispersion <strong>de</strong>s<br />

savoir-faire et pour accroître la fortune familiale. Il est donc pertin<strong>en</strong>t <strong>de</strong> s’appuyer<br />

sur <strong>de</strong> telles informations pour étudier le milieu professionnel dont sont issus,<br />

personnellem<strong>en</strong>t ou non, les individus m<strong>en</strong>tionnés dans les chartes. <strong>Les</strong> curatores,<br />

tuteurs d’<strong>en</strong>fants mineurs au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la transaction ou agissant au nom <strong>de</strong><br />

personnes abs<strong>en</strong>tes, ont été comptabilisés au titre <strong>de</strong> personne issue <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>tourage.<br />

1 Car elles seules m<strong>en</strong>tionn<strong>en</strong>t les Hospices <strong>de</strong>s Pauvres passants pour la pério<strong>de</strong> étudiée.<br />

2 Ce s<strong>en</strong>atus-consulte déclare nul et non av<strong>en</strong>u tout cautionnem<strong>en</strong>t donné par une femme.


29<br />

Quant à l’origine géographique <strong>de</strong> ces individus, le choix du lieu d’origine du<br />

père semble le plus probant. Mais malgré ce choix, l’interrogation <strong>de</strong>meure pour les<br />

109 individus déjà r<strong>en</strong>contrés lors <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’origine professionnelle, ce qui<br />

représ<strong>en</strong>te un nombre relativem<strong>en</strong>t important au vu <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>semble 1 .<br />

Id<strong>en</strong>tifier les dirigeants <strong>de</strong> l’Hospice<br />

En ce qui concerne les dirigeants <strong>de</strong> l’Hospice, les administrateurs plus que les<br />

économes, l’id<strong>en</strong>tification a été facilitée par l’importance que certains <strong>de</strong> ces<br />

personnages ont eue dans la vie politique strasbourgeoise. Nombre <strong>de</strong> Pfleger sont<br />

<strong>en</strong> effet issus du Conseil <strong>de</strong> Strasbourg, et plus particulièrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la Chambre <strong>de</strong>s<br />

XV, qui est <strong>en</strong> charge <strong>de</strong>s affaires financières et administratives, à partir <strong>de</strong> la<br />

première moitié du XV e siècle. En s’attachant pour chacune <strong>de</strong>s chartes à relever<br />

systématiquem<strong>en</strong>t la date <strong>de</strong> leur prés<strong>en</strong>ce à la tête <strong>de</strong> l’Hospice et <strong>en</strong> procédant<br />

<strong>en</strong>suite à un recoupem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s informations, il a été possible d’établir leur succession<br />

à la direction <strong>de</strong> l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge. Une liste dressée au XVII e siècle donne par<br />

ailleurs le nom <strong>de</strong> ces différ<strong>en</strong>ts personnages ainsi que la date <strong>de</strong> leur <strong>en</strong>trée <strong>en</strong><br />

fonction 2 ; à quelques imprécisions <strong>de</strong> date près, les informations qu’elle conti<strong>en</strong>t se<br />

vérifi<strong>en</strong>t à l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s sources.<br />

Estimer le patrimoine foncier <strong>de</strong> l’Hospice et ses rev<strong>en</strong>us<br />

Après avoir id<strong>en</strong>tifié les différ<strong>en</strong>tes sortes <strong>de</strong> contrats, j’ai relevé le type <strong>de</strong> bi<strong>en</strong><br />

et la somme échangés . Ceci a notamm<strong>en</strong>t permis <strong>de</strong> dresser une carte du<br />

patrimoine foncier <strong>de</strong> l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge <strong>en</strong>tre 1349 et 1430 <strong>en</strong>viron, la difficulté<br />

étant cette fois <strong>de</strong> trouver la correspondance <strong>en</strong>tre le nom <strong>de</strong>s villages cités dans les<br />

sources et ceux <strong>de</strong>s villages actuels dans la mesure où leur orthographe a pu varier<br />

ou le village disparaître. Des incertitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t toutefois au sujet du temporel<br />

<strong>de</strong> l’Hospice puisque l’intégrité du fonds n’est pas assurée : il n’est <strong>en</strong> effet pas<br />

impossible que <strong>de</strong>s chartes ai<strong>en</strong>t disparu bi<strong>en</strong> que le règlem<strong>en</strong>t requiert la mise <strong>en</strong><br />

place <strong>de</strong> règles <strong>de</strong> conservation strictes. En outre, malgré l’étu<strong>de</strong> systématique <strong>de</strong>s<br />

transactions cont<strong>en</strong>ues dans les chartes, l’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> registres <strong>de</strong> comptes <strong>de</strong>meure<br />

problématique pour déterminer avec exactitu<strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong>s sommes et la<br />

nature <strong>de</strong>s terres échangées ou acquises par l’économe <strong>de</strong> l’Hospice. Ces registres<br />

ont pourtant existé puisque le règlem<strong>en</strong>t intérieur <strong>de</strong> l’Hospice <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />

l’économe d’<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir et qu’un « brouillon » ou une forme <strong>de</strong> « p<strong>en</strong>se-bête » nous est<br />

parv<strong>en</strong>u, concernant les dép<strong>en</strong>ses <strong>en</strong> chapon, pain et vian<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’année 1457 3 .<br />

1<br />

<strong>Les</strong> pourc<strong>en</strong>tages cités par la suite ne ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas compte <strong>de</strong> ces personnes et ne<br />

considèr<strong>en</strong>t que 174 individus et institutions.<br />

2<br />

AMS, 1 AH 222 A.<br />

3<br />

AMS, 1 AH 1057 A.


30<br />

<strong>Les</strong> principaux résultats<br />

Une approche sociale : la vie au quotidi<strong>en</strong> à l’Hospice<br />

Le règlem<strong>en</strong>t intérieur <strong>de</strong> l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge est une source primordiale aussi<br />

bi<strong>en</strong> pour la connaissance <strong>de</strong> son fonctionnem<strong>en</strong>t que pour celle <strong>de</strong> ses hôtes. Il<br />

précise ainsi que les portes <strong>de</strong> l’Hospice ne sont pas ouvertes aux « m<strong>en</strong>diants » et<br />

que seuls sont acceptés les « pauvres g<strong>en</strong>s et pèlerins, partant ou rev<strong>en</strong>ant d’un<br />

pèlerinage proche ou lointain, qu’ils soi<strong>en</strong>t homme ou femme, jeune garçon ou<br />

jeune fille » et les « pauvres prêtres et écoliers » 1 . Leur arrivée à l’Hospice et leur<br />

accueil par le Bilgerknecht, « valet <strong>de</strong>s pèlerins » est décrite <strong>en</strong> détail. Çà et là<br />

apparaiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s indications sur les bâtim<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l’Hospice <strong>de</strong> la rue du Marchéaux-Vins,<br />

sans que ne soit toutefois m<strong>en</strong>tionnée la chapelle qu’ils abrit<strong>en</strong>t. La date<br />

<strong>de</strong> fondation <strong>de</strong> celle-ci n’est d’ailleurs pas connue avec certitu<strong>de</strong> mais les chartes<br />

permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la situer dans la déc<strong>en</strong>nie 1360-1370.<br />

L’analyse du règlem<strong>en</strong>t permet égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> dégager quelques thèmes relatifs à<br />

la vie quotidi<strong>en</strong>ne à l’Hospice, qu’il s’agisse du repas, du coucher ou <strong>en</strong>core <strong>de</strong> la<br />

religion. Concernant les repas, une gran<strong>de</strong> précision est <strong>de</strong> mise : le docum<strong>en</strong>t<br />

indique quels sont les m<strong>en</strong>us selon les jours, maigres ou non, et selon les hôtes,<br />

adultes ou <strong>en</strong>fants. On remarque par ailleurs qu’<strong>en</strong> dépit <strong>de</strong> la volonté d’offrir à<br />

tous le meilleur accueil possible, une distinction s’opère <strong>en</strong>tre les personnes aisées et<br />

celles qui le sont moins. Un repas plus conséqu<strong>en</strong>t et du vin <strong>en</strong> plus gran<strong>de</strong> quantité<br />

doiv<strong>en</strong>t ainsi être servis « aux prêtres et à toute personne honorable fréqu<strong>en</strong>tant<br />

l’établissem<strong>en</strong>t ». Au mom<strong>en</strong>t du coucher, hommes et femmes sont conduits dans<br />

<strong>de</strong>s chambres séparées, les <strong>en</strong>fants accompagnant leur mère. L’importance accordée<br />

à la literie et à sa propreté est pat<strong>en</strong>te : les personnes risquant <strong>de</strong> salir leur lit se<br />

voi<strong>en</strong>t ainsi attribuer une couche <strong>de</strong> paille, strobette. Cette gran<strong>de</strong> valeur accordée<br />

au lit est courante au Moy<strong>en</strong> Age : il représ<strong>en</strong>te <strong>en</strong> effet un bi<strong>en</strong> précieux et<br />

recherché qui fait <strong>de</strong> lui le legs par excell<strong>en</strong>ce. <strong>Les</strong> El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberg<strong>en</strong> <strong>en</strong> ont ainsi<br />

reçu trois au XIV e siècle.<br />

La religion est omniprés<strong>en</strong>te dans le quotidi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s hôtes <strong>de</strong> cette institution<br />

charitable. Au mom<strong>en</strong>t du repas et du coucher, ils sont t<strong>en</strong>us <strong>de</strong> remercier par <strong>de</strong>s<br />

prières, Pater Noster et Ave Maria, les bi<strong>en</strong>faiteurs <strong>de</strong> l’Hospice qui, grâce à leurs<br />

dons, lui permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> fonctionner. Certaines <strong>de</strong> ces donations intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t suite<br />

à la promulgation <strong>en</strong> 1362 par le pape d’une charte accordant quarante jours<br />

d’indulg<strong>en</strong>ce aux bi<strong>en</strong>faiteurs <strong>de</strong> l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge 2 .<br />

Une approche sociologique : les interlocuteurs <strong>de</strong> l’Hospice<br />

1 AMS, 1 AH 219 A.<br />

2 AMS, 1 AH 221 U.


31<br />

<strong>Les</strong> personnes <strong>en</strong> relation avec l’Hospice ne sont cep<strong>en</strong>dant pas uniquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

donateurs et <strong>de</strong>s testateurs espérant faire le salut <strong>de</strong> leur âme par leurs bonnes<br />

œuvres. On compte égalem<strong>en</strong>t parmi elles <strong>de</strong>s locataires et <strong>de</strong>s débir<strong>en</strong>tiers, ainsi<br />

que <strong>de</strong>s personnes qui v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t tout ou partie <strong>de</strong> leurs bi<strong>en</strong>s, le plus souv<strong>en</strong>t un<br />

champ. Chacune effectue avec l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge les transactions que lui autorise<br />

l’importance <strong>de</strong> sa fortune ou que lui dict<strong>en</strong>t ses convictions : un noble ou un<br />

marchand fortuné est ainsi plus <strong>en</strong>clin à faire un don qu’un charp<strong>en</strong>tier par<br />

exemple, <strong>de</strong> même que les testam<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong> l’Hospice sont avant tout rédigés<br />

par <strong>de</strong>s ecclésiastiques.<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’origine sociale et professionnelle <strong>de</strong> ces individus offre un reflet <strong>de</strong><br />

la société strasbourgeoise <strong>de</strong> la fin du Moy<strong>en</strong> Age. Membres <strong>de</strong> familles aisées<br />

côtoi<strong>en</strong>t ainsi <strong>de</strong>s anonymes <strong>de</strong> condition plus mo<strong>de</strong>ste. Ce sont toutefois les g<strong>en</strong>s<br />

<strong>de</strong> métiers qui prédomin<strong>en</strong>t avec 62% du total, et parmi eux les maraîchers, près <strong>de</strong><br />

19 % <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s personnes r<strong>en</strong>contrées dans les chartes. Vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite les<br />

Activités professionnelles <strong>de</strong>s personnes <strong>en</strong> relation avec l'Hospice<br />

Métiers <strong>de</strong> bouche<br />

4,6%<br />

Métiers manuels<br />

5,2%<br />

Boulangers<br />

5,7%<br />

Marchands<br />

8,6%<br />

Ecclésiastiques<br />

13,2%<br />

Tailleurs<br />

4,6%<br />

Tisserands<br />

4,0%<br />

Bateliers<br />

3,4%<br />

Chevaliers<br />

2,9%<br />

Juristes<br />

2,9%<br />

Ecuyers<br />

14,9%<br />

Chirurgi<strong>en</strong>s-barbiers<br />

2,9%<br />

Aubergistes<br />

1,1%<br />

Institutions<br />

6,9%<br />

Maraîchers<br />

19,0%<br />

Pour réaliser ce graphique, 237 chartes ont été étudiées. Elles concern<strong>en</strong>t 174 individus ou institutions. Il faut<br />

y ajouter 43 cives (bourgeois) et 66 personnes dont la profession est inconnue et qui n’ont pas été pris <strong>en</strong>


nobles qui, écuyers et chevaliers confondus, représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t près <strong>de</strong> 18% du total, et<br />

les ecclésiastiques, un peu plus <strong>de</strong> 13%. Toutes ces personnes sont originaires <strong>de</strong> la<br />

région, et plus précisém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la rive gauche du Rhin, dans un rayon d’<strong>en</strong>viron 10 à<br />

20 km autour <strong>de</strong> Strasbourg. Un seul individu habite sur la rive droite, à Zell am<br />

Harmersbach, près <strong>de</strong> G<strong>en</strong>g<strong>en</strong>bach, à <strong>en</strong>viron 20 km <strong>de</strong> Strasbourg. Quelques uns<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> plus loin : Spire, Worms ou <strong>en</strong>core Fribourg-<strong>en</strong>-Brisgau.<br />

L’Hospice conclut par ailleurs <strong>de</strong>s contrats avec <strong>de</strong>s institutions charitables et <strong>de</strong>s<br />

établissem<strong>en</strong>ts religieux. Comme dans le cas <strong>de</strong> l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge, ces personnes<br />

morales sont représ<strong>en</strong>tées par l’économe qui gère leur fortune. Douze sont<br />

m<strong>en</strong>tionnées dans les sources : sept couv<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Strasbourg ou <strong>de</strong> ses <strong>en</strong>virons<br />

proches qui effectu<strong>en</strong>t surtout <strong>de</strong>s échanges <strong>de</strong> terres avec l’Hospice, mais aussi<br />

l’Œuvre Notre-Dame, <strong>de</strong>s chapitres, un béguinage situé dans la Stampfesgasse 1 et<br />

l’Hospice <strong>de</strong>s Pauvres passants <strong>de</strong> Colmar. Il est à ce titre intéressant <strong>de</strong> constater<br />

que les hospices <strong>de</strong> Colmar et <strong>de</strong> Strasbourg <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s relations foncières,<br />

bi<strong>en</strong> qu’il faille relativiser ce li<strong>en</strong> dont seule une charte fait état 2 .<br />

Une approche institutionnelle : les dirigeants <strong>de</strong> l’Hospice et le rapport avec les<br />

autorités urbaines<br />

Le règlem<strong>en</strong>t énumère les membres du personnel <strong>de</strong> l’Hospice et leur fonction.<br />

A la tête <strong>de</strong> l’établissem<strong>en</strong>t se trouv<strong>en</strong>t les Pfleger ou gubernatores, administrateurs,<br />

d’abord au nombre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux – l’un issu <strong>de</strong>s rangs <strong>de</strong>s Constofeler, patrici<strong>en</strong>s, l’autre<br />

<strong>de</strong> ceux <strong>de</strong>s Hantwerker, g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> métier – puis <strong>de</strong> trois à partir <strong>de</strong> 1464, un<br />

Hantwerker s’ajoutant aux <strong>de</strong>ux hommes déjà <strong>en</strong> place. <strong>Les</strong> faits prouv<strong>en</strong>t que cette<br />

proportion a été respectée, <strong>en</strong> tout cas durant la pério<strong>de</strong> étudiée. Cette répartition<br />

est révélatrice <strong>de</strong> la montée <strong>en</strong> puissance du patriciat au cours du XV e siècle. Elle est<br />

<strong>en</strong> effet id<strong>en</strong>tique à celle existant au Conseil <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong>puis la Dachsteiner Krieg<br />

<strong>en</strong> 1419 et la réduction d’un tiers <strong>de</strong> la représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s Constofeler au Conseil :<br />

<strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong>s membres sont <strong>de</strong>s Hantwerker, le tiers restant <strong>de</strong>s Constofeler.<br />

Membres du Conseil <strong>de</strong> Strasbourg, ce sont d’anci<strong>en</strong>s ou <strong>de</strong> futurs Ammeister ou<br />

Stettmeister, quand ils ne cumul<strong>en</strong>t pas cette fonction avec celle d’administrateur 3 .<br />

Ce poste semble recherché puisqu’il existe <strong>de</strong>s cas où, à la mort <strong>de</strong> son père Pfleger,<br />

un fils repr<strong>en</strong>d la charge <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue vacante : tel est le cas <strong>de</strong> Andreas Trach<strong>en</strong>fels qui<br />

succè<strong>de</strong> à son père Materne mort <strong>en</strong> 1491. Placé directem<strong>en</strong>t sous les<br />

administrateurs et nommé par les XXI, l’économe ou int<strong>en</strong>dant, désigné du terme<br />

<strong>de</strong> Schaffner, procurator ou <strong>en</strong>core negotiorum gestor, « s’occupe <strong>de</strong>s affaires » <strong>de</strong><br />

l’Hospice, c’est-à-dire <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong> sa fortune et donc <strong>de</strong> toute opération<br />

financière le concernant. Ce poste est toujours confié à <strong>de</strong>s prêtres bi<strong>en</strong> que ri<strong>en</strong><br />

dans le règlem<strong>en</strong>t ne l’impose.<br />

1<br />

L’actuelle rue Hannong.<br />

2<br />

AMS, 1 AH 381 U.<br />

3<br />

La plupart d’<strong>en</strong>tre eux sont cités dans la thèse <strong>de</strong> ALIOTH (Martin), Grupp<strong>en</strong> an <strong>de</strong>r Macht,<br />

Bâle, 1988.<br />

32


33<br />

Une analyse <strong>de</strong>s fonctions dévolues précisém<strong>en</strong>t aux administrateurs <strong>de</strong><br />

l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge et à son économe met <strong>en</strong> lumière le processus <strong>de</strong> mainmise <strong>de</strong> la<br />

ville sur cette institution charitable. <strong>Les</strong> administrateurs ont avant tout un rôle <strong>de</strong><br />

direction <strong>de</strong> l’établissem<strong>en</strong>t, ils sont par conséqu<strong>en</strong>t chargés <strong>de</strong> la surveillance <strong>de</strong>s<br />

questions financières traitées par l’économe. Toute transaction opérée par le<br />

Schaffner nécessite <strong>en</strong> effet leur accord, ainsi que le rappelle le Stadtrecht <strong>de</strong> 1322 1<br />

et comme c’est le cas pour les autres institutions charitables <strong>de</strong> la ville. L’économe<br />

doit <strong>en</strong>suite agir conformém<strong>en</strong>t à leurs instructions et leur r<strong>en</strong>dre compte tous les<br />

mois au s<strong>en</strong>s propre comme au s<strong>en</strong>s figuré. <strong>Les</strong> administrateurs sont <strong>en</strong> effet<br />

responsables du contrôle <strong>de</strong>s registres <strong>de</strong> comptes t<strong>en</strong>us par l’int<strong>en</strong>dant. La<br />

vérification a lieu chaque fois qu’ils l’estim<strong>en</strong>t nécessaire et au moins une fois par an<br />

selon un protocole très précis décrit avec soin dans le règlem<strong>en</strong>t. <strong>Les</strong> Pfleger<br />

constitu<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce fait une véritable autorité <strong>de</strong> tutelle pour le Schaffner. Ils sont par<br />

ailleurs eux-mêmes soumis au contrôle du Conseil <strong>de</strong> la ville dont ils sont issus :<br />

<strong>de</strong>ux conseillers assist<strong>en</strong>t ainsi à la reddition annuelle <strong>de</strong>s comptes. Aucune affaire<br />

financière concernant l’Hospice ne peut alors échapper au Conseil : la mainmise <strong>de</strong>s<br />

autorités urbaines pour contrôler une fortune et <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s qui échapp<strong>en</strong>t à sa<br />

fiscalité est bi<strong>en</strong> réelle.<br />

Des domestiques <strong>en</strong>gagés par l’économe et dép<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> lui complèt<strong>en</strong>t le<br />

personnel <strong>de</strong> l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge, chacun se voyant attribuer <strong>de</strong>s fonctions bi<strong>en</strong><br />

précises. Ainsi le Bilgerknecht, « valet <strong>de</strong>s pèlerins », les accueille-t-il à leur arrivée<br />

tandis que les Gesin<strong>de</strong>, g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> maison et servantes, s’occup<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’int<strong>en</strong>dance :<br />

approvisionnem<strong>en</strong>t et préparation <strong>de</strong>s repas, surveillance du bétail, <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s<br />

prés <strong>de</strong> l’Hospice ou <strong>en</strong>core coupe du bois font partie <strong>de</strong> leurs tâches quotidi<strong>en</strong>nes.<br />

La Meisterin ou maîtresse <strong>de</strong> maison, bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t la femme <strong>de</strong> l’économe, veille à<br />

la bonne marche générale et à la propreté <strong>de</strong> l’établissem<strong>en</strong>t, notamm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

literie. Enfin, un secrétaire ou Schriber secon<strong>de</strong> l’économe qui lui abandonne les<br />

tâches subalternes. Le personnel domestique est t<strong>en</strong>u par serm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> dénoncer<br />

directem<strong>en</strong>t aux administrateurs toute mauvaise gestion ou malversation <strong>de</strong><br />

l’économe. Le contrôle <strong>de</strong>s autorités urbaines se fait ainsi à tous les niveaux.<br />

Une approche économique : la constitution d’un patrimoine<br />

foncier 2<br />

N’exigeant pas <strong>de</strong> contrepartie financière <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s voyageurs à qui il offre<br />

l’hospitalité, l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge doit se tourner vers la générosité <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>faiteurs<br />

pour trouver les ressources nécessaires à son fonctionnem<strong>en</strong>t. Cep<strong>en</strong>dant, pour<br />

assurer <strong>de</strong>s rev<strong>en</strong>us réguliers à l’institution, la constitution d’un patrimoine foncier<br />

est nécessaire. L’économe utilise pour ce faire différ<strong>en</strong>ts types <strong>de</strong> transactions dont<br />

1 Urkund<strong>en</strong>buch IV, p. 144. Stadtrecht VI., 1322. (§ 387).<br />

2 <strong>Les</strong> chiffres donnés sont issus <strong>de</strong> l’exploitation <strong>de</strong>s chartes datant ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

pério<strong>de</strong> 1349-1430 ; certaines d’<strong>en</strong>tre elles sont toutefois ultérieures à 1430 et couvr<strong>en</strong>t une<br />

pério<strong>de</strong> qui s’ét<strong>en</strong>d jusqu’<strong>en</strong> 1524 .


34<br />

la plus évid<strong>en</strong>te, l’achat <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s, est aussi la principale, avec près <strong>de</strong> 23% <strong>de</strong>s<br />

transactions effectuées. Ces bi<strong>en</strong>s sont <strong>en</strong>suite exploités <strong>en</strong> faire-valoir direct ou par<br />

fermage, ce <strong>de</strong>rnier, plus r<strong>en</strong>table, s’imposant peu à peu. Le Schaffner conclut donc<br />

<strong>de</strong>s contrats <strong>de</strong> fermage par lesquels il concè<strong>de</strong> à bail une terre à un individu qui<br />

peut la cultiver pour son propre compte à condition <strong>de</strong> verser chaque année à<br />

l’Hospice <strong>de</strong>s re<strong>de</strong>vances fixes, <strong>de</strong>s c<strong>en</strong>s. La durée <strong>de</strong>s baux est variable. Parmi les<br />

baux temporaires, ceux d’une durée <strong>de</strong> neuf ans sont les plus nombreux. Mais dans<br />

l’<strong>en</strong>semble ce sont les baux perpétuels, plus avantageux, qui domin<strong>en</strong>t : tr<strong>en</strong>te et un<br />

sur un total <strong>de</strong> quarante-trois actes r<strong>en</strong>contrés. La plupart <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s concernés par<br />

ce type <strong>de</strong> transaction se trouv<strong>en</strong>t dans Strasbourg ou dans un rayon <strong>de</strong> 15 km<br />

autour <strong>de</strong> la ville, distances qui permett<strong>en</strong>t les déplacem<strong>en</strong>ts nécessaires tant à<br />

l’économe, pour définir les modalités du contrat et surveiller le patrimoine, qu’au<br />

locataire qui doit pouvoir effectuer le versem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s re<strong>de</strong>vances à l’Hospice.<br />

Quelques-uns sont plus éloignés, ét<strong>en</strong>dant l’influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge à plus<br />

<strong>de</strong> 20 km <strong>de</strong> la ville, ainsi à Erstein, Weyersheim ou Gottesheim 1 .<br />

En ville, l’Hospice possè<strong>de</strong> avant tout <strong>de</strong>s maisons, quelques cours et <strong>de</strong>s jardins.<br />

L’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> ces bi<strong>en</strong>s ne représ<strong>en</strong>te cep<strong>en</strong>dant que 10,9% du total <strong>de</strong> ses<br />

possessions, la plupart étant situés à la campagne, 60,4%, et les 26,7% restant dans<br />

les faubourgs. En ville les re<strong>de</strong>vances sont <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t mais, du fait <strong>de</strong> l’implantation<br />

surtout rurale <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s, ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> céréales, l’institution perçoit<br />

avant tout <strong>de</strong>s c<strong>en</strong>s <strong>en</strong> nature. Dans ce cas, une partie <strong>de</strong>s grains est utilisée pour la<br />

consommation <strong>de</strong>s hôtes <strong>de</strong> l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge, le reste est mis <strong>en</strong> réserve pour être<br />

rev<strong>en</strong>du lorsque le prix du grain est plus élevé. Cela témoigne d’un réel souci <strong>de</strong><br />

faire fructifier le patrimoine. <strong>Les</strong> bénéfices <strong>en</strong>grangés fourniss<strong>en</strong>t le capital<br />

nécessaire non seulem<strong>en</strong>t à l’achat d’autres bi<strong>en</strong>s mais aussi à la constitution <strong>de</strong><br />

r<strong>en</strong>tes, cette <strong>de</strong>rnière transaction permettant par ailleurs <strong>de</strong> contourner<br />

l’interdiction formulée par l’Eglise du prêt à intérêt. Il s’agit <strong>en</strong> effet, sous couvert<br />

d’un achat <strong>de</strong> r<strong>en</strong>te annuelle assise sur <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s immobiliers, d’avancer une certaine<br />

somme à un « emprunteur », le crédir<strong>en</strong>tier, qui s’<strong>en</strong>gage <strong>en</strong> contrepartie à la<br />

rembourser par le versem<strong>en</strong>t d’une r<strong>en</strong>te ; la somme avancée correspondrait alors au<br />

prix d’achat <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s. <strong>Les</strong> bi<strong>en</strong>s sur lesquels la r<strong>en</strong>te est assignée sont mis <strong>en</strong> gage<br />

par le débir<strong>en</strong>tier qui <strong>en</strong> est propriétaire, l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge dans ce cas. Si le<br />

débir<strong>en</strong>tier ne parvi<strong>en</strong>t pas à rembourser la somme due à l’Hospice, ce <strong>de</strong>rnier est<br />

<strong>en</strong> droit <strong>de</strong> saisir les bi<strong>en</strong>s sur lesquels la r<strong>en</strong>te a été gagée et peut ainsi asseoir son<br />

influ<strong>en</strong>ce sur <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s immobiliers situés pour la plupart à la campagne . Là aussi,<br />

les champs <strong>de</strong> céréales sont majoritaires et représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t près <strong>de</strong> 77% <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s<br />

<strong>en</strong>gagés. Le taux d’intérêt pratiqué par l’Hospice est conforme aux taux <strong>de</strong> l’époque,<br />

<strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 5%, mais atteint parfois 7%, ainsi <strong>en</strong> 1387, voire 7,89% <strong>en</strong> 1391, à<br />

un mom<strong>en</strong>t où l’économie connaît une crise notable <strong>en</strong>traînant une hausse du prix<br />

<strong>de</strong> l’arg<strong>en</strong>t.<br />

1 Cf. carte.


35<br />

On a pu observer que parmi les g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> métier, la corporation <strong>de</strong>s maraîchers<br />

était celle qui effectuait le plus <strong>de</strong> transactions avec l’Hospice, la moitié d’<strong>en</strong>tre elles<br />

étant <strong>de</strong>s v<strong>en</strong>tes <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s. La forte prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ces jardiniers s’explique par les<br />

mutations <strong>de</strong> l’urbanisme strasbourgeois. A partir du milieu du XIV e siècle, la ville<br />

s’ét<strong>en</strong>d <strong>en</strong> effet au nord-ouest vers Ko<strong>en</strong>igshoff<strong>en</strong> et Kag<strong>en</strong>eck et à l’est vers la<br />

Krut<strong>en</strong>au. Ces terres gagnées sur les marais ont pu être acquises par les g<strong>en</strong>s <strong>de</strong><br />

métier car leur valeur était faible à l’origine. Certaines ont été dévolues aux cultures<br />

maraîchères, d’autres sont restées inoccupées. Selon le rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 1444,<br />

Ko<strong>en</strong>igshoff<strong>en</strong> et la Krut<strong>en</strong>au sont majoritairem<strong>en</strong>t habités par <strong>de</strong>s jardiniers. Pour<br />

<strong>de</strong>s raisons diverses, notamm<strong>en</strong>t l’augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s prix <strong>de</strong>s terrains suite à<br />

l’évolution <strong>de</strong> l’emprise urbaine, les propriétaires se <strong>de</strong>ssaisiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leurs terres.<br />

Ceci explique par ailleurs que les quartiers nouvellem<strong>en</strong>t intégrés figur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tête<br />

<strong>de</strong>s transactions effectuées dans les faubourgs <strong>de</strong> la Strasbourg : Ko<strong>en</strong>igshoff<strong>en</strong><br />

domine largem<strong>en</strong>t avec 60,1% <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s, par ailleurs majoritairem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s jardins,<br />

suivi par Kag<strong>en</strong>eck, 12,5%, et la Krut<strong>en</strong>au, 6,7%. Ce faisant, l’Hospice acquiert <strong>de</strong>s<br />

bi<strong>en</strong>s dont la valeur ne peut que croître du fait <strong>de</strong> l’ext<strong>en</strong>sion <strong>de</strong> la ville.<br />

Grâce à la constitution d’un patrimoine foncier et à une gestion efficace,<br />

l’Hospice <strong>de</strong>s Pauvres passants parvi<strong>en</strong>t à surmonter les crises frum<strong>en</strong>taires <strong>de</strong> la fin<br />

du XV e siècle et du début du XVI e siècle. Le rôle <strong>de</strong>s économes dans ce succès est à<br />

souligner. Certains d’<strong>en</strong>tre eux, Amand Medici notamm<strong>en</strong>t qui occupe ce poste<br />

<strong>en</strong>tre 1471 et 1481 1 , sont plus que <strong>de</strong> simples clercs et possèd<strong>en</strong>t une réelle<br />

compét<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> gestion 2 . L’institution bénéficie <strong>de</strong> cette compét<strong>en</strong>ce<br />

puisque les sommes d’arg<strong>en</strong>t perçues sont <strong>en</strong> partie réinvesties dans l’achat <strong>de</strong> terres<br />

et <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s, accroissant et consolidant ainsi son influ<strong>en</strong>ce. Par ailleurs, la Réforme<br />

épargne relativem<strong>en</strong>t l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge qui subsiste sans trop <strong>de</strong> difficultés jusqu’à<br />

la fin du XVI e siècle, alors même que les autres institutions charitables<br />

strasbourgeoises sont touchées <strong>de</strong> plein fouet. <strong>Les</strong> autorités urbaines ne peuv<strong>en</strong>t<br />

donc qu’être intéressées par l’influ<strong>en</strong>ce et la fortune <strong>de</strong> cet établissem<strong>en</strong>t qu’elles<br />

cherch<strong>en</strong>t alors à contrôler. C’est ce que cette étu<strong>de</strong> a eu pour ambition <strong>de</strong> mettre<br />

<strong>en</strong> lumière.<br />

Elle montre par ailleurs que les contrats <strong>de</strong> donation, <strong>de</strong> location ou <strong>en</strong>core <strong>de</strong><br />

constitutions <strong>de</strong> r<strong>en</strong>te peuv<strong>en</strong>t être exploités <strong>de</strong> manière très riche. Le rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s personnes <strong>en</strong> relation avec l’Hospice comme l’esquisse d’une carte <strong>de</strong>s<br />

possessions <strong>de</strong> l’El<strong>en</strong>d<strong>en</strong>herberge et <strong>de</strong> sa zone d’influ<strong>en</strong>ce autour <strong>de</strong> Strasbourg<br />

s’inscriv<strong>en</strong>t dans l’histoire plus générale <strong>de</strong> la ville et <strong>de</strong> l’époque. Elles <strong>en</strong> sont le<br />

1 Il se peut qu’il ait été <strong>en</strong> poste plus longtemps mais cette pério<strong>de</strong> est la seule qui a pu être<br />

établie avec certitu<strong>de</strong> à partir <strong>de</strong>s sources à notre disposition.<br />

2 Voir à ce sujet l’article <strong>de</strong> RAPP (Francis) et VOGT (Jean), « A la recherche d’une gestion<br />

raisonnée <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong> mainmorte. Un mémoire soumis par l’économe <strong>de</strong> l’Hospice <strong>de</strong>s<br />

Pauvres passants à son autorité <strong>de</strong> tutelle (1477) », Revue d’<strong>Alsace</strong>, n° 119 (1993), p. 75-85.<br />

Amand Medici est membre <strong>de</strong> la corporation <strong>de</strong>s marchands <strong>de</strong> grains <strong>de</strong>puis 1474 et a donc<br />

pu connaître les pratiques <strong>de</strong> cette profession.


eflet, révélant les dynamiques existant au sein <strong>de</strong> la ville, les mécanismes du<br />

pouvoir et les <strong>en</strong>jeux du contrôle d’une telle institution. Une exploitation <strong>de</strong>s<br />

sources plus tardives reste toutefois toujours à effectuer, notamm<strong>en</strong>t l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s<br />

cartulaires pour la fin du XV e siècle qui permettrait d’avoir une vue d’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong><br />

l’évolution du temporel <strong>de</strong> l’Hospice comme <strong>de</strong> ses rev<strong>en</strong>us. Une étu<strong>de</strong> comparative<br />

<strong>de</strong> la gestion et <strong>de</strong> la politique foncière <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>ts économes pourrait par ailleurs<br />

<strong>en</strong> être tirée. L’évolution <strong>de</strong> l’établissem<strong>en</strong>t après la Réforme et <strong>de</strong>s changem<strong>en</strong>ts<br />

qui ont pu <strong>en</strong> résulter constitue une autre piste <strong>de</strong> recherche. L’Hospice <strong>de</strong>s Pauvres<br />

passants <strong>de</strong> Strasbourg n’a donc pas <strong>en</strong>core livré tous ses secrets…<br />

36<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Georges Bischoff


Charles IVAIN<br />

37<br />

<strong>Les</strong> horizons <strong>de</strong> Mulhouse au Moy<strong>en</strong> Âge (XIIIe-XVe<br />

siècles)<br />

Mulhouse est une ville, au Moy<strong>en</strong> Âge, une organisation complexe dont la<br />

nature ne ressemble à aucune autre.<br />

Une ville ne se limite pas à son territoire, cité et faubourgs inclus, ni à ses<br />

habitants, qu'ils soi<strong>en</strong>t bourgeois ou manants. Une cité est un <strong>en</strong>semble <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

élém<strong>en</strong>ts, un symbole <strong>de</strong> puissance, ce qui <strong>en</strong> fait une <strong>en</strong>tité qui, dans une certaine<br />

mesure, se p<strong>en</strong>se par le biais <strong>de</strong> ses habitants et <strong>de</strong> ses institutions. L'idéologie, les<br />

buts et le développem<strong>en</strong>t historique <strong>de</strong> la ville influ<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t ses rapports<br />

avec ce qui n'est pas elle.<br />

Mulhouse n'échappe pas à cette t<strong>en</strong>dance, aussi ses horizons ne peuv<strong>en</strong>t se<br />

concevoir que dans un s<strong>en</strong>s plus vivant, plus personnel, incluant les horizons<br />

théoriques et m<strong>en</strong>taux.<br />

Ainsi nous pr<strong>en</strong>drons le terme ‘’horizon’’ dans le s<strong>en</strong>s le plus large possible, <strong>en</strong><br />

l'ét<strong>en</strong>dant aux concepts <strong>de</strong> "perspective" ou <strong>de</strong> "relation" (économiques, religieuses<br />

ou politiques) pour les croiser aux rapports <strong>de</strong> dép<strong>en</strong>dance <strong>en</strong>tre la ville et les<br />

différ<strong>en</strong>ts interv<strong>en</strong>ants extérieurs, à tous les niveaux, qu'ils soi<strong>en</strong>t institutionnels ou<br />

humains, alliés ou <strong>en</strong>nemis, personnels ou voulus par un <strong>en</strong>semble.<br />

Mulhouse était, dès 1308, une ville impériale et donc, dans un premier temps,<br />

nous étudierons les relations <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ues <strong>en</strong>tre Mulhouse et la structure politique<br />

dont elle dép<strong>en</strong>dait : les représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong> l'Empire, le roi, le bailli impérial et les<br />

autres villes.<br />

D'autre part, nous t<strong>en</strong>terons d'<strong>en</strong>visager les horizons mulhousi<strong>en</strong>s liés aux<br />

conflits <strong>de</strong> la ville avec son voisinage, compr<strong>en</strong>ant le Sundgau, le Haut Rhin, la<br />

Souabe et la Bourgogne.<br />

Cette étu<strong>de</strong> s’appuie sur le Cartulaire <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Mulhouse, édité par Xavier<br />

Mossmann, dont le dépouillem<strong>en</strong>t systématique a permis la création d’un corpus <strong>de</strong><br />

près <strong>de</strong> 750 actes <strong>de</strong> natures diverses, recouvrant les XIIIe, XIVe et XVe siècles.


38<br />

Mulhouse et ses relations au sein du Saint-Empire Romain<br />

Germanique<br />

La naissance <strong>de</strong> Mulhouse <strong>en</strong> tant que ville portait les traces <strong>de</strong> la volonté<br />

impériale et la prédisposait à <strong>de</strong>s relations particulières avec le Saint-Empire.<br />

Dès la date <strong>de</strong> 1308, la ville <strong>de</strong> Mulhouse bénéficie du statut privilégié <strong>de</strong> ville<br />

impériale, lui garantissant <strong>de</strong> manière durable une certaine liberté. Le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong><br />

Mulhouse se situe dans l’espace impérial qui <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t, sinon le premier horizon <strong>de</strong><br />

Mulhouse, du moins son horizon politique le plus direct.<br />

<strong>Les</strong> tissus relationnels <strong>en</strong>tre Mulhouse et l’Empire<br />

En <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ant ville impériale, Mulhouse se retrouve logiquem<strong>en</strong>t imbriquée dans<br />

un système complexe. De fait la ville <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ait diverses relations avec la hiérarchie<br />

impériale, relations dép<strong>en</strong>dant directem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sa proximité avec les différ<strong>en</strong>ts<br />

membres <strong>de</strong> cette hiérarchie.<br />

<strong>Les</strong> li<strong>en</strong>s <strong>de</strong> Mulhouse avec l’Empereur : un horizon lointain et ponctuel<br />

Dès 1308, Mulhouse ne se reconnaissait plus d’autre maître que le souverain <strong>de</strong><br />

l’Empire qui, par là même, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ait le premier horizon mulhousi<strong>en</strong>, ou du moins<br />

l’un <strong>de</strong>s plus importants. Pour la durée <strong>de</strong> son règne, l’empereur exerce une<br />

véritable tutelle sur la ville, celle-ci s’accompagne naturellem<strong>en</strong>t d’exig<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong><br />

droits sur la communauté mais implique <strong>en</strong> contrepartie certains <strong>de</strong>voirs. La<br />

plupart <strong>de</strong>s relations <strong>en</strong>tre le roi et la ville découlai<strong>en</strong>t directem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ces droits et<br />

<strong>de</strong>voirs.<br />

Mulhouse <strong>de</strong>vait surtout s‘acquitter <strong>de</strong> <strong>de</strong>voirs militaires ainsi que <strong>de</strong> taxes.<br />

La fonction impériale étant traditionnellem<strong>en</strong>t itinérante, l’une <strong>de</strong>s principales<br />

tâches <strong>de</strong> la ville était certainem<strong>en</strong>t d’accueillir le souverain lors <strong>de</strong> ses déplacem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>. Le roi était accompagné d’une suite lors <strong>de</strong> ses déplacem<strong>en</strong>ts, composée<br />

<strong>de</strong> personnages puissants et influ<strong>en</strong>ts. Cette mise <strong>en</strong> relation ponctuelle <strong>de</strong> la cité et<br />

<strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la suite impériale contribuait à ouvrir pour Mulhouse <strong>de</strong> nouveaux<br />

horizons, souv<strong>en</strong>t bénéfiques.<br />

De son côté l’empereur, <strong>en</strong> tant que seigneur <strong>de</strong> Mulhouse, était seul à pouvoir<br />

augm<strong>en</strong>ter et légitimer officiellem<strong>en</strong>t les droits <strong>de</strong> la ville et ainsi accroître la liberté<br />

<strong>de</strong> ses sujets. La ville, <strong>en</strong> tant qu’<strong>en</strong>tité aspirant à plus d’indép<strong>en</strong>dance, voyait dans<br />

les libertés accordées le seul véritable moteur <strong>de</strong> sa vitalité et <strong>de</strong> sa fidélité.<br />

Il faut bi<strong>en</strong> constater que ‘’l’horizon empereur’’ évolue au courant <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong><br />

étudiée. Avant le XIV e siècle, la correspondance du souverain avec la ville est très<br />

rare (<strong>en</strong> <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s cas particuliers <strong>de</strong> Frédéric Barberousse et <strong>de</strong> Rodolphe <strong>de</strong><br />

Habsbourg, qui avai<strong>en</strong>t l’un comme l’autre <strong>de</strong>s rapports privilégiés à la ville, il ne<br />

<strong>de</strong>meure qu’une dizaine d’actes faisant état <strong>de</strong> relations <strong>en</strong>tre le souverain et<br />

Mulhouse). Dès le XIVe siècle les relations <strong>de</strong> Mulhouse avec le souverain<br />

s’int<strong>en</strong>sifi<strong>en</strong>t (une soixantaine d’actes <strong>en</strong> témoign<strong>en</strong>t). Pour ce qui est du XVe


39<br />

siècle, la situation semble plus confuse, les crises m<strong>en</strong>açant la ville se multiplièr<strong>en</strong>t<br />

du fait <strong>de</strong> l’attitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s visées du souverain. Ainsi le maître <strong>de</strong> l’Empire, horizon<br />

politique privilégié <strong>de</strong> la ville, <strong>en</strong> ouvrait une multitu<strong>de</strong> d’autres par les sollicitations<br />

liées à leurs relations.<br />

Le bailli : un horizon plus proche<br />

Horizon immédiatem<strong>en</strong>t lié à l’empereur, le bailli était le principal maillon <strong>de</strong> la<br />

chaîne <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t permettant au souverain <strong>de</strong> s’assurer <strong>de</strong> la fidélité <strong>de</strong>s<br />

villes. Dans les faits, sa principale fonction était <strong>de</strong> s’acquitter à la place du<br />

souverain <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier <strong>en</strong>vers ses fidèles et surtout <strong>de</strong> s’assurer que<br />

lesdits fidèles s’acquittai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s leurs. Son activité primordiale s'exerçait donc<br />

au nom du roi, sur les diverses prérogatives <strong>de</strong> celui-ci. Il se plaçait ainsi comme<br />

interlocuteur privilégié <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Mulhouse quant aux droits et <strong>de</strong>voirs dus<br />

respectivem<strong>en</strong>t par et au souverain. Dans les domaines militaires, financiers et<br />

judiciaires, le bailli pouvait se substituer à l'empereur. Certes la fonction du bailli<br />

était fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> veiller aux intérêts du roi sur ses terres, mais cette<br />

<strong>de</strong>rnière eut t<strong>en</strong>dance à s'ét<strong>en</strong>dre aux propres intérêts <strong>de</strong>s villes. En certaines<br />

occasions les villes impériales nourrissai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> véritables relations <strong>de</strong> confiance avec<br />

leur bailli.<br />

Le bailli était l'un <strong>de</strong>s horizons liés à l'Empire les plus prés<strong>en</strong>ts dans la vie <strong>de</strong>s<br />

villes impériales.<br />

<strong>Les</strong> autres villes impériales<br />

Si l'on considère les actes ayant trait aux relations <strong>de</strong> Mulhouse avec l'Empire, il<br />

apparaît que les autres villes impériales y sont représ<strong>en</strong>tées ou pour le moins<br />

énoncées dans près <strong>de</strong> 90% <strong>de</strong>s cas.<br />

Par définition, les villes impériales étai<strong>en</strong>t soumises à un même maître, le roi.<br />

Par là même, elles se trouvai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> relation dans la même dép<strong>en</strong>dance.<br />

<strong>Les</strong> points communs <strong>de</strong> leurs statuts faisai<strong>en</strong>t naturellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ces villes les<br />

interlocutrices privilégiées <strong>de</strong> Mulhouse. Jouissant <strong>de</strong>s mêmes droits et <strong>de</strong>voirs, elles<br />

se rapprochèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core davantage.<br />

La plupart <strong>de</strong>s alliances que Mulhouse contracta au cours <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> étudiée<br />

se sont faites avec d'autres villes impériales. Sur l'ét<strong>en</strong>due <strong>de</strong>s XIV e et XV e siècles,<br />

une tr<strong>en</strong>taine d'alliances se décidèr<strong>en</strong>t, où la ville se retrouvait associée à ses<br />

homologues.<br />

Outre les alliances directem<strong>en</strong>t générées par elles, les villes impériales, <strong>en</strong> tant<br />

que dép<strong>en</strong>dantes <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> l'empereur, se trouvai<strong>en</strong>t imbriquées dans celles<br />

voulues par leur maître (Landfried<strong>en</strong>).<br />

De manière très concrète, par le jeu <strong>de</strong>s alliances voulues par les villes ou le<br />

souverain, par la pratique régulière <strong>de</strong>s échanges <strong>de</strong> "bons procédés", ou <strong>de</strong> manière<br />

indirecte par la prés<strong>en</strong>ce du roi chez l'une d'<strong>en</strong>tre elles, les villes impériales se


trouvai<strong>en</strong>t unies. <strong>Les</strong> li<strong>en</strong>s que cré<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s aspirations et <strong>de</strong>s besoins communs leurs<br />

donnèr<strong>en</strong>t une habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> gestion collective <strong>de</strong>s problèmes.<br />

Pour autant, les relations que Mulhouse nourrissait avec ses consoeurs n'étai<strong>en</strong>t<br />

véritablem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nature répétées et profon<strong>de</strong>s que dans le cadre géographique <strong>de</strong><br />

l'Oberrhein (surtout la rive gauche).<br />

<strong>Les</strong> horizons mulhousi<strong>en</strong>s particuliers liés au Saint Empire<br />

Mulhouse se positionnait dans l'Empire, garant <strong>de</strong> ses droits, <strong>de</strong>stinataire <strong>de</strong> ses<br />

<strong>de</strong>voirs, principal horizon <strong>de</strong> la ville. Dans cette secon<strong>de</strong> phase <strong>de</strong> notre recherche,<br />

nous tâcherons <strong>de</strong> compr<strong>en</strong>dre quels horizons pouvai<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t être générés par<br />

les cas particuliers liés directem<strong>en</strong>t aux prérogatives impériales. Ainsi, les paix<br />

provinciales, les <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>ts et l'alliance <strong>de</strong>s villes impériales d'<strong>Alsace</strong> composant la<br />

Décapole sont autant <strong>de</strong> pistes particulières.<br />

<strong>Les</strong> "Landfried<strong>en</strong>"<br />

<strong>Les</strong> Landfried<strong>en</strong> (paix provinciales) étai<strong>en</strong>t organisées le plus souv<strong>en</strong>t par le<br />

souverain selon le principe du regroupem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> diverses forces politiques am<strong>en</strong>ées à<br />

se discipliner. Elles liai<strong>en</strong>t les signataires par serm<strong>en</strong>t dans un cadre géographique<br />

déterminé et pour une durée limitée dans le temps. <strong>Les</strong> villes trouvai<strong>en</strong>t<br />

naturellem<strong>en</strong>t une place dans ces alliances.<br />

Ces paix générai<strong>en</strong>t une alliance <strong>en</strong>tre différ<strong>en</strong>tes forces et différ<strong>en</strong>ts pouvoirs,<br />

seigneuriaux comme urbains, qui pour un temps laissai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> côté les antagonismes<br />

les plus profondém<strong>en</strong>t ancrés. Elles créai<strong>en</strong>t ainsi pour Mulhouse <strong>de</strong>s horizons<br />

particuliers et qui ne se retrouvai<strong>en</strong>t guère par ailleurs. Dans ces paix il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

noter la prépondérance <strong>de</strong>s villes libres et impériales comme signataires (Strasbourg,<br />

Bâle, Obernai, Kaysersberg, Turkheim, Rosheim, Hagu<strong>en</strong>au, Wissembourg,<br />

Colmar, Sélestat, Munster). <strong>Les</strong> Landfried<strong>en</strong> correspondai<strong>en</strong>t à un cadre<br />

géographique restreint mais <strong>en</strong>globant outre l'Oberrhein dans sa totalité, le duché<br />

d'Autriche, <strong>en</strong> tant que tel, dans certains rares cas.<br />

<strong>Les</strong> mises <strong>en</strong> gage <strong>de</strong> la prévôté<br />

Le roi ne t<strong>en</strong>ait pas la ville matériellem<strong>en</strong>t mais y percevait divers droits<br />

particuliers, y avait certaines propriétés et dét<strong>en</strong>ait certains offices. Ainsi pouvait-il<br />

<strong>en</strong>gager ses droits sur la cité à l'un <strong>de</strong> ses créanciers, <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t lucratif pour celuici,<br />

avantageux pour le roi mais contraignant pour la ville. La taille, le tribut et le<br />

banvin <strong>de</strong> la ville compt<strong>en</strong>t parmi ces prérogatives, mais leur <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t ne posait<br />

pas autant <strong>de</strong> difficultés ou <strong>de</strong> restrictions pour la ville que celui <strong>de</strong> l'office <strong>de</strong> sa<br />

prévôté.<br />

L'un <strong>de</strong>s aspects prédominants <strong>de</strong> la volonté mulhousi<strong>en</strong>ne au courant <strong>de</strong>s trois<br />

siècles <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong> est sans doute sa volonté <strong>de</strong> gagner sa liberté. Dans cette<br />

optique, les libertés garanties par les franchises se trouvai<strong>en</strong>t indirectem<strong>en</strong>t<br />

contestées par cet ultime moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> coercition royale qu'était l'<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t.<br />

40


41<br />

La prise <strong>en</strong> main <strong>de</strong>s offices <strong>de</strong> la ville et <strong>de</strong>s droits du souverain par un<br />

"étranger" était vue avec la plus vive animosité par la communauté mulhousi<strong>en</strong>ne.<br />

Car, à la différ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’empereur lointain, l’<strong>en</strong>gagiste était sur place afin <strong>de</strong> se<br />

rembourser.<br />

Mulhouse réussit, <strong>en</strong> 1457, à racheter l’office <strong>de</strong> sa prévôté, se mettant par là<br />

même <strong>en</strong> position plus confortable.<br />

La Décapole<br />

L'alliance <strong>de</strong>s villes impériales d'<strong>Alsace</strong> (Hagu<strong>en</strong>au, Wissembourg, Colmar,<br />

Sélestat, Obernai, Rosheim, Mulhouse, Turkheim, Kaysersberg et Munster) dite<br />

‘’Décapole’’ au XVIe siècle a été mise <strong>en</strong> place par Charles IV <strong>en</strong> 1354.<br />

<strong>Les</strong> interv<strong>en</strong>tions <strong>de</strong> la Décapole <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong> Mulhouse fur<strong>en</strong>t fort peu<br />

nombreuses et <strong>en</strong> aucun cas <strong>de</strong> l'ordre d'une ai<strong>de</strong> militaire directe ou d'un souti<strong>en</strong><br />

armé. La ville <strong>de</strong> Mulhouse n'eut recours qu'<strong>en</strong> <strong>de</strong>ux occasions à l'alliance.<br />

L'inexist<strong>en</strong>ce d'ai<strong>de</strong> directe ou armée p<strong>en</strong>dant le XIVe siècle ne peut <strong>en</strong> aucun cas<br />

être prise comme un indice d'inefficacité <strong>de</strong> l'alliance ou <strong>de</strong> r<strong>en</strong>oncem<strong>en</strong>t, les<br />

occasions <strong>de</strong> prouver sa fiabilité pur<strong>en</strong>t manquer dans le relatif climat <strong>de</strong> sécurité<br />

d'alors. Plus troublante est l'abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la Décapole dans le siècle suivant, où les<br />

difficultés fur<strong>en</strong>t nombreuses, ét<strong>en</strong>dues et graves. Certes les villes <strong>de</strong> Colmar et<br />

Sélestat participèr<strong>en</strong>t aux ai<strong>de</strong>s souhaitées par Mulhouse mais à titre explicitem<strong>en</strong>t<br />

‘’amical’’. On compr<strong>en</strong>d alors que, dès les premiers véritables heurts du XV e siècle,<br />

Mulhouse dédaigna l'alliance pour se tourner vers les puissants cantons confédérés,<br />

et principalem<strong>en</strong>t Berne et Soleure.<br />

L'alliance comptait comme un horizon mulhousi<strong>en</strong> tout à fait particulier et<br />

unique. Liée directem<strong>en</strong>t à l'Empire, au souverain, au bailli provincial comme aux<br />

villes impériales d'<strong>Alsace</strong>, la Décapole perdait la vitalité attachée aux alliances<br />

formées par les seules cités et au sein <strong>de</strong>squelles il n'était aucun élém<strong>en</strong>t extérieur <strong>en</strong><br />

mesure d'interv<strong>en</strong>ir directem<strong>en</strong>t. Par sa prise <strong>en</strong> main par l'empereur et la<br />

codification éminemm<strong>en</strong>t préparée <strong>en</strong> but <strong>de</strong> garantir la fidélité à l'Empire,<br />

l'alliance se trouvait contrôlée dans sa structure, ses choix et sa volonté.<br />

Force est <strong>de</strong> constater une évolution générale t<strong>en</strong>dant à un progressif<br />

éloignem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la ville par rapport à l'Empire, une t<strong>en</strong>tative continue <strong>de</strong> se séparer<br />

<strong>de</strong> la tutelle royale. Au courant du XIIIe siècle le problème se posait d’une manière<br />

particulière dans la mesure ou la ville oscillait <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux maîtres : le roi, maître<br />

d’un Empire convalesc<strong>en</strong>t, voire alors <strong>en</strong> voie <strong>de</strong> déliquesc<strong>en</strong>ce, et l’évêque <strong>de</strong><br />

Strasbourg, qui profitait <strong>de</strong> cette faiblesse du trône pour ét<strong>en</strong>dre avec vigueur ses<br />

possessions. Dans ce contexte, la ville préféra la tutelle impériale à celle du prélat.<br />

Tout le XIIIe siècle fut placé sous les auspices <strong>de</strong> la lutte <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux puissances,<br />

l'Empire fut préféré comme étant une garantie <strong>de</strong> libertés, car horizon plus lointain.<br />

Nous pouvons noter qu'après la prépondérance <strong>de</strong>s relations d'ordre<br />

ecclésiastique du XIIIe siècle, la majeure partie <strong>de</strong>s horizons mulhousi<strong>en</strong>s du XIVe<br />

se rattach<strong>en</strong>t à l'Empire et ses ag<strong>en</strong>ts. La ville se trouvait <strong>en</strong>core après 1308 dans


une situation <strong>de</strong> ballottage. Son attachem<strong>en</strong>t à l'Empire n'était guère suffisamm<strong>en</strong>t<br />

anci<strong>en</strong> pour être déterminé. Dans un premier temps il fallait donc que la ville<br />

s'affirme dans l'<strong>en</strong>semble impérial. Le plus grand nombre <strong>de</strong>s relations avec<br />

l'Empire et ses maillons se manifest<strong>en</strong>t alors au courant <strong>de</strong> ce siècle (près d’un acte<br />

sur <strong>de</strong>ux y fait allusion). Ainsi, ce n'est pas un hasard si les alliances inter villes<br />

portant la marque spécifique <strong>de</strong> l'affirmation par Mulhouse <strong>de</strong> son attachem<strong>en</strong>t à<br />

l'Empire fur<strong>en</strong>t contractées au XIV e siècle. Ce n’est pas un hasard non plus si les<br />

interv<strong>en</strong>tions du bailli ou du roi fur<strong>en</strong>t les plus nombreuses et pour <strong>de</strong>s motifs<br />

relativem<strong>en</strong>t divers au courant <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>.<br />

Par contre, le XVe siècle marque la fin directem<strong>en</strong>t observable du l<strong>en</strong>t processus<br />

relations <strong>en</strong>tre Mulhouse et les autres représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong> l’Empire. Mulhouse préféra<br />

se rapprocher <strong>de</strong>s villes libres et <strong>de</strong> la confédération helvétique, qui l’aidèr<strong>en</strong>t, alors<br />

que les crises voyai<strong>en</strong>t les horizons <strong>de</strong> l’Empire l’abandonner.<br />

42<br />

<strong>Les</strong> relations <strong>de</strong> Mulhouse avec son voisinage<br />

Si l’Empire au s<strong>en</strong>s politique fut sans doute le premier horizon politique pour la<br />

ville, la position géographique <strong>de</strong> Mulhouse semble avoir été le principal et plus<br />

important vecteur <strong>de</strong> relations pour la cité.<br />

Dans les faits, ce ne fut que rarem<strong>en</strong>t que les horizons mulhousi<strong>en</strong>s se<br />

détachèr<strong>en</strong>t du cadre ét<strong>en</strong>du <strong>de</strong> son voisinage, l’<strong>Alsace</strong>, le Palatinat et la Suisse.<br />

La maison d’Autriche, le premier horizon <strong>de</strong> voisinage<br />

Sans conteste, le plus important interv<strong>en</strong>ant du voisinage mulhousi<strong>en</strong> fut la<br />

maison d’Autriche succédant <strong>de</strong> l’Empire (les ‘’Pays Antérieurs’’ étant confiés à une<br />

branche ca<strong>de</strong>tte). La position particulière <strong>de</strong> la petite ville impériale, <strong>en</strong>clavée dans<br />

les possessions autrichi<strong>en</strong>nes, faisait naturellem<strong>en</strong>t naître <strong>de</strong>s relations diverses <strong>en</strong>tre<br />

elle et les représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong>s intérêts autrichi<strong>en</strong>s. Dans un périmètre d’une vingtaine<br />

<strong>de</strong> kilomètres aux al<strong>en</strong>tours <strong>de</strong> la ville, les vassaux autrichi<strong>en</strong>s composai<strong>en</strong>t la<br />

majeure partie <strong>de</strong>s contacts mulhousi<strong>en</strong>s.<br />

Sur une importante pério<strong>de</strong> s’ét<strong>en</strong>dant du XIIIe siècle à la première déc<strong>en</strong>nie du<br />

XVe siècle, les rapports <strong>de</strong> Mulhouse avec la maison d’Autriche semblai<strong>en</strong>t passer<br />

majoritairem<strong>en</strong>t par le biais <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong> landgrave (comte provincial) , échue au<br />

duc.<br />

Au titre <strong>de</strong> présid<strong>en</strong>t du tribunal provincial, le duc constituait un horizon<br />

judicaire parfaitem<strong>en</strong>t intégré, <strong>en</strong> principe, à l’Empire, et la souveraineté <strong>de</strong> sa cour<br />

ne pouvait être remise <strong>en</strong> cause directem<strong>en</strong>t par la ville.<br />

Voyant avec raison dans cette juridiction un frein à leurs libertés, les<br />

Mulhousi<strong>en</strong>s la contestèr<strong>en</strong>t par l’intermédiaire du roi. Afin <strong>de</strong> ne plus être soumis<br />

au landgrave, les Mulhousi<strong>en</strong>s eur<strong>en</strong>t recours au souverain, à même <strong>de</strong> limiter<br />

<strong>en</strong>core l’emprise donnée au tribunal par ses prédécesseurs.


43<br />

<strong>Les</strong> souverains successifs ne refusèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> aucun cas d’ai<strong>de</strong>r la ville contre le<br />

landgrave, qui am<strong>en</strong>uisait l’emprise <strong>de</strong> l’Empire sur la cité, tant au niveau pratique<br />

que symbolique. Après plus d’un siècle <strong>de</strong> tractations, Mulhouse n’avait plus à<br />

craindre la juridiction landgraviale.<br />

L’évolution <strong>de</strong>s rapports <strong>en</strong>tre la maison d’Autriche et Mulhouse<br />

Rodolphe <strong>de</strong> Habsbourg avait beaucoup contribué à r<strong>en</strong>dre actifs les horizons <strong>de</strong><br />

la ville. En collaborant au détachem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la ville d’avec l’évêque <strong>de</strong> Strasbourg, il<br />

l’avait aidée à franchir le cap la séparant <strong>de</strong> l’Empire.<br />

Mais les successeurs <strong>de</strong> Rodolphe ne persistèr<strong>en</strong>t pas bi<strong>en</strong> longtemps dans la voie<br />

<strong>de</strong> l’<strong>en</strong>trai<strong>de</strong>. La correspondance mulhousi<strong>en</strong>ne montre bi<strong>en</strong> que les relations sont<br />

peu nombreuses <strong>en</strong>tre l’Autriche et Mulhouse pour le XIVe siècle, mais il convi<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> préciser que, si la première moitié du siècle efface presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t l’Autriche<br />

du paysage, la secon<strong>de</strong> voit une montée conséqu<strong>en</strong>te <strong>de</strong> la fréqu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s<br />

communications.<br />

Le XV e siècle fut une pério<strong>de</strong> d’aggravation <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>sions <strong>en</strong>tre la ville et<br />

l’Autriche, un temps <strong>de</strong> multiplication <strong>de</strong>s contacts <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux <strong>en</strong>tités. Du rang<br />

d’horizon prés<strong>en</strong>t et important, l’Autriche passa au rang d’horizon prépondérant.<br />

Le conflit <strong>en</strong>tre Mulhouse et la maison d’Autriche ne cessa <strong>de</strong> croître jusqu’<strong>en</strong><br />

1467, date à laquelle éclata une guerre ouverte <strong>en</strong>tre la ville et l’Autriche, guerre qui<br />

dura une année.<br />

<strong>Les</strong> principaux interv<strong>en</strong>ants autrichi<strong>en</strong>s dans l’exist<strong>en</strong>ce mulhousi<strong>en</strong>ne<br />

Au début du XV e siècle, le danger lié à l’ingér<strong>en</strong>ce du tribunal provincial était<br />

écarté, mais il <strong>de</strong>meurait <strong>en</strong>core <strong>de</strong> nombreux li<strong>en</strong>s unissant la ville à la maison<br />

d’Autriche. Entourant le territoire <strong>de</strong> la ville, l’Autriche <strong>de</strong>meurait un horizon<br />

primordial. Sans aucun doute le duc d’Autriche était le seigneur territorial qui avait<br />

le plus d’influ<strong>en</strong>ce sur Mulhouse. Enclavée dans ses possessions et surtout celles <strong>de</strong><br />

ses vassaux, la ville trouvait <strong>en</strong> la personne du duc le principal interlocuteur<br />

immédiat. <strong>Les</strong> villages, villes et châteaux <strong>de</strong>s al<strong>en</strong>tours étai<strong>en</strong>t tous, peu ou prou,<br />

soumis à la dép<strong>en</strong>dance du duc, et Mulhouse <strong>de</strong>vait nécessairem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s<br />

rapports avec ses voisins. En tant que suzerain, le Habsbourg interv<strong>en</strong>ait<br />

directem<strong>en</strong>t dans la politique <strong>de</strong> ses vassaux et donc indirectem<strong>en</strong>t dans l’exist<strong>en</strong>ce<br />

mulhousi<strong>en</strong>ne.<br />

Cette domination du duc <strong>en</strong> faisait le principal interlocuteur <strong>de</strong> la ville et <strong>de</strong> ses<br />

alliés pour régler un problème insoluble avec l’un <strong>de</strong> ses vassaux. Cet état <strong>de</strong> fait<br />

explique l’irrégularité caractérisant leurs rapports, tributaires d’élém<strong>en</strong>ts extérieurs.<br />

De fait, il est logique que les contacts avérés <strong>en</strong>tre le duc et la ville soi<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> plus<br />

nombreux au XV e siècle qu’antérieurem<strong>en</strong>t.<br />

Dans le cadre <strong>de</strong>s relations <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ues <strong>en</strong>tre la ville et la maison d’Autriche,<br />

bi<strong>en</strong> plus que le duc lui-même, son bailli, chargé <strong>de</strong> l’administration <strong>de</strong> ses<br />

possessions <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>, était un interlocuteur important pour Mulhouse. La


fréqu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s communications l’atteste. Ce ne fut pas dans ce rôle d’émissaire du<br />

duc que le bailli s’imposa aux Mulhousi<strong>en</strong>s, mais plutôt dans le rôle <strong>de</strong> porte-parole<br />

<strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong>s vassaux autrichi<strong>en</strong>s que lui conférait son titre d’administrateur.<br />

L’interv<strong>en</strong>tion du bailli, tout <strong>en</strong> étant avérée dès le XIV e siècle, ne pr<strong>en</strong>d <strong>de</strong><br />

proportions importantes que pour le XV e siècle. Alors que les conflits avec<br />

l’Autriche se multipli<strong>en</strong>t, le bailli se substitue presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t à son maître,<br />

avec qui Mulhouse n’avait que peu <strong>de</strong> rapports directs.<br />

Si les t<strong>en</strong>sions fur<strong>en</strong>t sans doute très prés<strong>en</strong>tes assez tôt, la proximité ne pouvait<br />

permettre une opposition et une démarcation constante. Cernée <strong>de</strong> toute part par<br />

les vassaux autrichi<strong>en</strong>s, Mulhouse <strong>de</strong>vait <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s relations commerciales<br />

régulières avec les villages soumis à l’Autriche. Même si aucun docum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> notre<br />

corpus n’<strong>en</strong> fait directem<strong>en</strong>t état, il paraît raisonnable d’<strong>en</strong>visager que les foires et<br />

marchés mulhousi<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t fréqu<strong>en</strong>tés par <strong>de</strong>s vassaux autrichi<strong>en</strong>s, tout comme la<br />

réciproque est vraie.<br />

L’influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’Autriche ne se limita pourtant pas aux rapports <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>us <strong>en</strong>tre<br />

Mulhouse et les représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong> la maison d’Autriche, qu’ils fuss<strong>en</strong>t bons ou<br />

mauvais.<br />

<strong>Les</strong> rapports <strong>de</strong> Mulhouse avec sa voisine eur<strong>en</strong>t une influ<strong>en</strong>ce directe sur les<br />

alliances <strong>de</strong> la ville impériale, ses rapprochem<strong>en</strong>ts et la plupart <strong>de</strong>s crises qui la<br />

secouèr<strong>en</strong>t. Ainsi Mulhouse, Berne et Soleure se rapprochèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> vertu d’une<br />

animosité commune <strong>en</strong>vers l’Autriche qui posait problème aux uns comme aux<br />

autres. Plus <strong>en</strong>core, la maison d’Autriche fut à l’origine <strong>de</strong>s incursions étrangères du<br />

XVe siècle, dont les fâcheuses répercussions modifièr<strong>en</strong>t durablem<strong>en</strong>t la structure<br />

même <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Mulhouse. Que ce soit l’incursion <strong>de</strong>s Armagnacs <strong>de</strong> 1444,<br />

appelés par le duc d’Autriche, ou l’occupation du territoire alsaci<strong>en</strong> par Charles le<br />

Téméraire, l’Autriche était la responsable directe <strong>de</strong>s conflits mulhousi<strong>en</strong>s.<br />

<strong>Les</strong> incursions non impériales dans la vie mulhousi<strong>en</strong>ne<br />

Dès le XIVe siècle, voire antérieurem<strong>en</strong>t, Mulhouse eut <strong>de</strong>s relations avec les<br />

villes voisines <strong>de</strong> Belfort, Montbéliard et Besançon. Pour autant ces relations ne<br />

fur<strong>en</strong>t sans doute que peu nombreuses et peu importantes pour la cité impériale,<br />

qui nourrissait davantage <strong>de</strong> rapports avec les provinces germanophones <strong>de</strong><br />

l’Empire.<br />

La première incursion notable d’‘’étrangers’’ dans les horizons mulhousi<strong>en</strong>s<br />

apparaît au milieu du XIVe siècle avec l’incursion <strong>de</strong>s Anglais <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>. Au courant<br />

du XVe siècle, à <strong>de</strong>ux reprises, Mulhouse eut à déplorer <strong>de</strong>s interv<strong>en</strong>tions<br />

extérieures d’ampleur radicalem<strong>en</strong>t autre que précé<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t. En 1444 les<br />

Armagnacs, conduits par le Dauphin <strong>de</strong> France, pénétrèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> <strong>en</strong> direction<br />

<strong>de</strong> Bâle et <strong>de</strong>s Suisses pour s’y ancrer durablem<strong>en</strong>t. Dans les années 1470, ce fut le<br />

puissant duc <strong>de</strong> Bourgogne, Charles le Téméraire, qui prit durablem<strong>en</strong>t position sur<br />

le sol alsaci<strong>en</strong>. Cette <strong>de</strong>rnière incursion étrangère fut un mom<strong>en</strong>t charnière dans la<br />

<strong>de</strong>stinée mulhousi<strong>en</strong>ne et ses horizons.<br />

44


45<br />

<strong>Les</strong> Armagnacs<br />

<strong>Les</strong> difficultés intervinr<strong>en</strong>t tardivem<strong>en</strong>t, alors que les Français, <strong>de</strong> retour du siège<br />

<strong>de</strong> Bâle que le duc d’Autriche leur avait <strong>de</strong>mandé, occupai<strong>en</strong>t les terres alsaci<strong>en</strong>nes<br />

pour s’installer chez leurs alliés autrichi<strong>en</strong>s. Mulhouse était isolée et ne pouvait<br />

compter que sur ses propres forces pour faire face au danger. Il paraît évid<strong>en</strong>t que la<br />

ville eut à subir diverses répercussions économiques, politiques et sociales liées à<br />

l’invasion. Durant cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> troubles, ni les villes impériales, ni les confédérés<br />

helvétiques, ni même Bâle ne fur<strong>en</strong>t d’une quelconque ai<strong>de</strong> pour Mulhouse. Leurs<br />

propres difficultés, la crainte <strong>de</strong> répercussions, voire même l’indiffér<strong>en</strong>ce<br />

paralysai<strong>en</strong>t le système relationnel à un niveau jamais égalé.<br />

La principale donnée qui ressort <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s horizons mulhousi<strong>en</strong>s durant<br />

l’invasion <strong>de</strong>s Armagnacs est un isolem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la ville et une abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ses horizons<br />

habituels.<br />

L'interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s Bourguignons<br />

L’interv<strong>en</strong>tion la plus notable d’horizons étrangers dans l’exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> Mulhouse<br />

advint <strong>en</strong> 1469, avec l’occupation <strong>de</strong>s terres autrichi<strong>en</strong>nes <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> par le duc <strong>de</strong><br />

Bourgogne, Charles le Téméraire, à qui le duc d’Autriche avait <strong>en</strong>gagé ses<br />

possessions. Enclave impériale située au c<strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s possessions habsbourgeoises, la<br />

ville subissait les coups <strong>de</strong> son voisinage. La Bourgogne <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ait ce nouveau<br />

voisinage, horizon se détachant radicalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce qui avait été auparavant.<br />

Sur la pério<strong>de</strong> 1469-1474, "l'horizon bourguignon" se substituait <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partie à<br />

"l'horizon autrichi<strong>en</strong>". Repr<strong>en</strong>ant une donne préalablem<strong>en</strong>t établie, le duc<br />

transposait un modèle <strong>de</strong> relations et <strong>de</strong> rapports prédéfinis dans le but avoué<br />

d’accé<strong>de</strong>r <strong>en</strong>fin à la création d’un royaume <strong>de</strong> Bourgogne, royaume dans lequel<br />

Mulhouse <strong>de</strong>vait être comprise.<br />

Ne pouvant se permettre <strong>de</strong> changer l'organisation du territoire d'une manière<br />

radicale, il reprit à son compte, mais <strong>en</strong> les mo<strong>de</strong>rnisant, les structures préexistantes,<br />

qui avai<strong>en</strong>t assuré à son prédécesseur une gestion relativem<strong>en</strong>t efficace <strong>de</strong><br />

son territoire. Ensisheim, capitale <strong>de</strong>s Vorlän<strong>de</strong> auparavant lieu <strong>de</strong> r<strong>en</strong>contre<br />

obligatoire <strong>de</strong>s représ<strong>en</strong>tants mulhousi<strong>en</strong>s avec ceux <strong>de</strong> la maison d'Autriche, fut<br />

conservée <strong>en</strong> tant que chef-lieu du positionnem<strong>en</strong>t bourguignon <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>. <strong>Les</strong><br />

membres <strong>de</strong> la Rég<strong>en</strong>ce gardèr<strong>en</strong>t, dans le premier temps <strong>de</strong> l'occupation du<br />

territoire, la place et le rôle qui étai<strong>en</strong>t leur, mais le <strong>de</strong>stinataire <strong>de</strong>s prestations<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ait le duc <strong>de</strong> Bourgogne, ce qui <strong>en</strong> soi changeait tout <strong>de</strong> la donne<br />

préalablem<strong>en</strong>t acceptée par tous.<br />

A partir <strong>de</strong> cet instant, les horizons autrichi<strong>en</strong>s n'exist<strong>en</strong>t plus ou se sont modifiés<br />

<strong>en</strong> horizons bourguignons.<br />

A l’instar <strong>de</strong>s baillis autrichi<strong>en</strong>s ou impériaux, le rôle <strong>de</strong> Pierre <strong>de</strong> Hag<strong>en</strong>bach<br />

consistait à faire valoir les droits <strong>de</strong> son maître et à <strong>en</strong> être le porte-parole tant<br />

auprès <strong>de</strong>s ses vassaux que <strong>de</strong> ses <strong>en</strong>nemis. Le principal interlocuteur <strong>de</strong> la ville pour<br />

ce qui est <strong>de</strong>s nouveaux horizons bourguignons et <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s horizons autrichi<strong>en</strong>s


fut sans conteste ce nouveau représ<strong>en</strong>tant <strong>de</strong>s intérêts bourguignons, qui comptait<br />

bi<strong>en</strong> integrer Mulhouse aux terres <strong>de</strong> son maître. Aucune <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s utilisées par<br />

le bailli ne poussa la ville à choisir le duc comme son nouveau maître, ni à troquer<br />

l'Empire contre la Bourgogne au niveau <strong>de</strong> ses horizons.<br />

<strong>Les</strong> Suisses<br />

Au courant du XV e siècle apparut clairem<strong>en</strong>t pour Mulhouse un nouvel allié <strong>en</strong><br />

la confédération helvétique.<br />

Bâle<br />

Incluse dans le diocèse <strong>de</strong> Bâle, Mulhouse dép<strong>en</strong>dait au spirituel <strong>de</strong> l'évêque <strong>de</strong><br />

cette ville. Ce <strong>de</strong>rnier intervint certainem<strong>en</strong>t dans la vie mulhousi<strong>en</strong>ne, <strong>en</strong> tant que<br />

son premier horizon ecclésiastique influ<strong>en</strong>t.<br />

Le rôle spirituel du prélat s'effaça rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la vie mulhousi<strong>en</strong>ne au profit<br />

d'un second rôle, autant sinon plus important. En tant qu'évêque <strong>en</strong> terre<br />

d'Empire, le prélat était un prince temporel, attaché à ses possessions au même titre<br />

que tout autre. La ville <strong>de</strong> Bâle, située à proximité <strong>de</strong> Mulhouse, avait <strong>de</strong>s rapports<br />

privilégiés avec sa voisine. La position exc<strong>en</strong>trée <strong>de</strong> Mulhouse, éloignée <strong>de</strong> ses<br />

voisines impériales, eut pour effet un rapprochem<strong>en</strong>t avec Bâle.<br />

Dans une certaine mesure le rapprochem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s Suisses avec Mulhouse se fit <strong>en</strong><br />

gran<strong>de</strong> partie avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bâle. Au XVI e siècle, alors que la rupture <strong>en</strong>tre les<br />

confédérés et Mulhouse semblait consommée, l'interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> Bâle permit une<br />

réconciliation, et plus <strong>en</strong>core une alliance.<br />

<strong>Les</strong> cantons confédérés, instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la survie mulhousi<strong>en</strong>ne<br />

Que ce fut contre le duc d'Autriche ou celui <strong>de</strong> Bourgogne, les confédérés ne<br />

manquai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> aucune occasion <strong>de</strong> v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> ai<strong>de</strong> à la petite ville impériale,<br />

permettant à Mulhouse <strong>de</strong> se sortir <strong>de</strong> situations désespérées. Berne et Soleure<br />

fur<strong>en</strong>t les principales alliées <strong>de</strong> Mulhouse au XV e siècle, et la Confédération<br />

certainem<strong>en</strong>t le premier horizon mulhousi<strong>en</strong>.<br />

Berne et Soleure<br />

L'alliance <strong>de</strong> 1466 ne concernait que Berne et Soleure, ce qui <strong>en</strong> fit les<br />

interv<strong>en</strong>antes amicales les plus importantes et régulières auprès <strong>de</strong> Mulhouse, sur<br />

une durée <strong>de</strong> 25 ans.<br />

En fait, les <strong>de</strong>ux confédérés intervinr<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t pour v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> ai<strong>de</strong> à<br />

Mulhouse, que ce soit lors <strong>de</strong> la guerre contre la maison d'Autriche ou dans les<br />

démêlés avec la Bourgogne. Sans doute, la survie <strong>de</strong> Mulhouse dans ces <strong>de</strong>ux<br />

situations précaires dut elle tout aux oeuvres <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux alliées. Pourtant, même si<br />

leurs interv<strong>en</strong>tions fur<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t conjointes, il apparaît que les <strong>de</strong>ux villes <strong>de</strong> Berne<br />

et Soleure n'eur<strong>en</strong>t pas exactem<strong>en</strong>t les mêmes relations avec Mulhouse. La<br />

46


47<br />

principale ai<strong>de</strong> bernoise fut apportée dans le domaine <strong>de</strong> la diplomatie et <strong>de</strong> la<br />

médiation. L’implication <strong>de</strong> Berne consistait <strong>en</strong> un rôle d'intermédiaire <strong>en</strong>tre<br />

Mulhouse et les confédérés. Ainsi, les déboires <strong>de</strong> la ville étai<strong>en</strong>t connus <strong>de</strong>s<br />

confédérés par l’<strong>en</strong>tremise <strong>de</strong> Berne, <strong>de</strong> même que les décisions <strong>de</strong>s confédérés<br />

étai<strong>en</strong>t connues à Mulhouse principalem<strong>en</strong>t par l’intermédiaire <strong>de</strong> Berne.<br />

Le rôle <strong>de</strong> Soleure dans l'exist<strong>en</strong>ce mulhousi<strong>en</strong>ne diffère <strong>en</strong> bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s points <strong>de</strong><br />

celui que la ville avait, semble-t-il, attribué à Berne. Mulhouse sollicitait Soleure<br />

dans les cas ou une interv<strong>en</strong>tion directe était souhaitée. Ainsi les délégations<br />

mulhousi<strong>en</strong>nes qui se déplaçai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> but <strong>de</strong> former une alliance avec les cantons<br />

confédérés se r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t majoritairem<strong>en</strong>t auprès <strong>de</strong> Soleure, <strong>en</strong> qui la cité impériale<br />

avait dès les premiers instants r<strong>en</strong>contré une alliée pot<strong>en</strong>tielle. Pourtant, si ce rôle<br />

d'interv<strong>en</strong>ant direct resta <strong>en</strong>core observable après la défaite du duc d'Autriche et les<br />

difficultés avec la Bourgogne, un changem<strong>en</strong>t fut opéré, qui fit <strong>de</strong> Soleure le<br />

premier intermédiaire <strong>de</strong> Mulhouse auprès <strong>de</strong>s confédérés et réciproquem<strong>en</strong>t.<br />

Force est <strong>de</strong> reconnaître que les relations <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ues par Mulhouse sont<br />

radicalem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tes d’un siècle à l’autre, <strong>de</strong> par leurs formes et leur nature<br />

profon<strong>de</strong>.<br />

<strong>Les</strong> horizons voulus par Mulhouse évoluai<strong>en</strong>t au rythme <strong>de</strong> ses aspirations et<br />

suivai<strong>en</strong>t tous une même direction : la voie <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong> libertés.<br />

Au XIII e siècle, la tutelle impériale fut supportée d’autant plus facilem<strong>en</strong>t par<br />

Mulhouse <strong>en</strong> ce qu’elle pouvait ouvrir à plus <strong>de</strong> liberté que celle <strong>de</strong> l’évêque <strong>de</strong><br />

Strasbourg. Peut-être la ville serait-elle restée au prélat si celui-ci avait représ<strong>en</strong>té<br />

une tutelle laissant une place à la liberté ou, pour le moins, s’il n’avait bafoué les<br />

droits <strong>de</strong> Mulhouse. Pour ce qui est du XIV e siècle, nous avons souligné le<br />

rapprochem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Mulhouse avec chaque maillon <strong>de</strong> la structure politique<br />

impériale. Cette <strong>de</strong>rnière offrait un abri conv<strong>en</strong>able contre les visées <strong>de</strong>s <strong>en</strong>nemis <strong>de</strong><br />

la ville et lui permit <strong>de</strong> garantir ses droits et libertés. Dès le XV e siècle, les crises<br />

avai<strong>en</strong>t démontré l’isolem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Mulhouse, qui ne pouvait espérer <strong>de</strong> souti<strong>en</strong> ni du<br />

souverain, souv<strong>en</strong>t directem<strong>en</strong>t concerné, ni du bailli, ni <strong>de</strong>s villes impériales, qui<br />

ne pouvai<strong>en</strong>t agir sans l’accord <strong>de</strong> leur maître. L’effacem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s horizons impériaux<br />

<strong>en</strong> avait prouvé ‘’l’inutilité’’, aussi Mulhouse se rapprocha-t-elle <strong>de</strong>s confédérés<br />

helvétiques, confédérés qui, quant à eux, ne fir<strong>en</strong>t pas défaut à la ville impériale. Il<br />

<strong>en</strong> résulte un décalage <strong>de</strong>s horizons mulhousi<strong>en</strong>s du Nord vers l’Est et le Sud. En<br />

somme, les horizons <strong>de</strong> la ville n’étai<strong>en</strong>t choisis qu’<strong>en</strong> ce qu’ils offrai<strong>en</strong>t liberté,<br />

protection et appui à Mulhouse <strong>en</strong> cas <strong>de</strong> crise.<br />

Une <strong>de</strong>rnière observation: Mulhouse s’est créé une id<strong>en</strong>tité <strong>de</strong> ville par la<br />

communication avec d’autres <strong>en</strong>sembles. Par l’image que r<strong>en</strong>voyai<strong>en</strong>t ces<br />

interv<strong>en</strong>ants, Mulhouse put, par l’intermédiaire <strong>de</strong> ses bourgeois et institutions, se<br />

r<strong>en</strong>dre compte <strong>de</strong> ce qu’elle était et surtout <strong>de</strong> ce qu’elle n’était pas. D’une certaine<br />

manière, l’histoire <strong>de</strong> Mulhouse peut être <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>visagée sous l’angle <strong>de</strong>s<br />

influ<strong>en</strong>ces, fastes ou néfastes, qu’eur<strong>en</strong>t ses horizons politiques et économiques.<br />

Directeur <strong>de</strong> maîtrise: Mme Odile Kammerer, Université <strong>de</strong> Haute-<strong>Alsace</strong>


Elise DERMINEUR<br />

<strong>Les</strong> <strong>en</strong>jeux <strong>de</strong> l’eau dans le pays belfortain<br />

Parmi les nouveaux thèmes <strong>de</strong> recherche <strong>en</strong> histoire rurale à l’époque mo<strong>de</strong>rne,<br />

nous trouvons l’eau. En tant qu’élém<strong>en</strong>t naturel, l’eau est étudiée sous <strong>de</strong>s formes<br />

très variées au même titre que l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, ou <strong>en</strong>core la forêt. L’importance<br />

<strong>de</strong> l’eau est telle que les histori<strong>en</strong>s l’ont plus ou moins délaissée considérant ses<br />

<strong>en</strong>jeux et ses formes comme faisant partie intégrante du champ <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> la<br />

campagne. <strong>Les</strong> gran<strong>de</strong>s monographies rurales n’ont su consacrer qu’une place<br />

mo<strong>de</strong>ste à un sujet qui apparaît comme innovant.<br />

Prés<strong>en</strong>tation<br />

Nous avons étudié l’eau dans le pays belfortain aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le<br />

choix <strong>de</strong> l’espace géographique est idéal. En effet, la région est située dans une zone<br />

humi<strong>de</strong>, parcourue par <strong>de</strong> nombreux cours d’eau et recouverte <strong>de</strong> c<strong>en</strong>taines<br />

d’étangs. Ce que nous appelons le pays belfortain est cet espace 1 <strong>en</strong>tre l’extrême sud<br />

<strong>de</strong>s Vosges, du Ballon d’<strong>Alsace</strong>, à l’amorce <strong>de</strong>s plateaux du Jura. Cette partie <strong>de</strong> la<br />

Haute <strong>Alsace</strong> est caractérisée par son appart<strong>en</strong>ance géographique à la « région <strong>de</strong>s<br />

mille étangs », typique du Sundgau alsaci<strong>en</strong>. Nous <strong>en</strong> retrouvons plus <strong>de</strong> six c<strong>en</strong>ts<br />

actuellem<strong>en</strong>t (soit 2% <strong>de</strong> la surface totale du Territoire <strong>de</strong> Belfort 2 ), dont plusieurs<br />

ont une origine médiévale. Ils sont répartis <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s catégories : la zone<br />

montagneuse et sous-vosgi<strong>en</strong>ne et la partie méridi<strong>en</strong>ne. Ce sont les <strong>de</strong>ux zones <strong>de</strong><br />

conc<strong>en</strong>tration massive d’étangs, d’autres sont dispersés ça et là. La plupart <strong>de</strong> ces<br />

étangs sont l’œuvre <strong>de</strong>s hommes.<br />

<strong>Les</strong> cours d’eau se trouv<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> grand nombre dans le pays belfortain.<br />

Plusieurs rivières pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur source sur les versants <strong>de</strong>s Vosges et s’écoul<strong>en</strong>t du<br />

nord au sud. D’autres vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Suisse. Toutes alim<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t la Saône qui se jette<br />

elle-même dans le Rhône. La rivière principale est la Savoureuse qui naît dans les<br />

Vosges à 1200mètres d’altitu<strong>de</strong>. Elle parcourt près <strong>de</strong> 40 kilomètres. Son débit<br />

1<br />

Cela forme un couloir <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 40 kilomètres du nord au sud et d’<strong>en</strong>viron 25 kilomètres<br />

d’ouest <strong>en</strong> est.<br />

2<br />

Soit <strong>en</strong>viron 1200 hectares.


api<strong>de</strong>, son caractère capricieux, son large lit, <strong>en</strong> font un cours d’eau que l’on<br />

apprécie et que l’on redoute à la fois.<br />

Signalons que la toponymie nous a mis sur la piste <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> l’eau dans<br />

la région avec <strong>de</strong>s villages comme Larivière, Froi<strong>de</strong>fontaine, ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>core Lepuix.<br />

Tous ces élém<strong>en</strong>ts nous ont am<strong>en</strong>é à élaborer quelques réflexions sur les rapports<br />

<strong>en</strong>tre les hommes <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Régime et l’eau. En effet, la question <strong>de</strong> l’impact <strong>de</strong><br />

cet élém<strong>en</strong>t sur tout un système d’agriculture, <strong>de</strong> préindustrialisation, d’économie<br />

d’Anci<strong>en</strong> Régime est importante. Il apparaît clairem<strong>en</strong>t que l’eau suscite <strong>de</strong>s <strong>en</strong>jeux<br />

capitaux. La première phase <strong>de</strong> cette réflexion s’élabore naturellem<strong>en</strong>t autour <strong>de</strong><br />

l’utilisation <strong>de</strong> l’eau par tous les habitants <strong>de</strong> l’espace belfortain. Nous avons là un<br />

panel <strong>de</strong> diverses activités <strong>de</strong> nature différ<strong>en</strong>te : <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> meunerie à la pêche,<br />

<strong>en</strong> passant par l’incontournable utilisation <strong>de</strong> l’eau dans l’agriculture, sans oublier<br />

les activités industrielles naissantes et, <strong>en</strong>fin, l’utilisation <strong>de</strong> l’eau au village et au<br />

sein <strong>de</strong> la famille. Tous les domaines <strong>de</strong> l’histoire rurale sont concernés. <strong>Les</strong> sources<br />

sont égalem<strong>en</strong>t très variées.<br />

En nous interrogeant sur l’usage <strong>de</strong> l’eau, la question <strong>de</strong> sa gestion vi<strong>en</strong>t<br />

spontaném<strong>en</strong>t. Dans une société d’Anci<strong>en</strong> Régime où tout est sous contrôle étroit,<br />

l’eau n’échappe ni à la réglem<strong>en</strong>tation, ni à la surveillance et à l’appropriation <strong>de</strong>s<br />

autorités. <strong>Les</strong> abus et les frau<strong>de</strong>s liés à l’utilisation <strong>de</strong> l’eau sont nombreux. La<br />

gestion, <strong>de</strong>uxième facteur <strong>de</strong> conflits et d’abus, <strong>de</strong>meure très imparfaite et inégale.<br />

50<br />

<strong>Les</strong> <strong>en</strong>jeux <strong>de</strong> l’eau<br />

Comm<strong>en</strong>t et dans quels buts utilise-t-on l’eau dans le pays belfortain ?<br />

Le rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s établissem<strong>en</strong>ts sur l’eau réalisé par le subdélégué <strong>de</strong><br />

l’int<strong>en</strong>dance d’<strong>Alsace</strong>, Noblat, <strong>en</strong> 1773 1 est à la base <strong>de</strong> notre <strong>en</strong>quête. Ce<br />

docum<strong>en</strong>t exceptionnel permet <strong>de</strong> connaître les différ<strong>en</strong>ts établissem<strong>en</strong>ts installés<br />

sur l’eau comme les moulins, les foulons, les ribes, ou <strong>en</strong>core les forges.<br />

Apparaiss<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t dans ce docum<strong>en</strong>t la date d’implantation quand elle est<br />

connue, la rivière permettant d’actionner leurs tournants , le nom <strong>de</strong>s propriétaires<br />

et, parfois, quelques comm<strong>en</strong>taires du subdélégué Noblat. Cela a permis <strong>de</strong><br />

construire toute une série <strong>de</strong> cartes représ<strong>en</strong>tant l’importance <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong><br />

construction hydraulique dans le pays belfortain. Ces données recoupées avec<br />

d’autres sources comme <strong>de</strong>s baux <strong>de</strong> moulin trouvés principalem<strong>en</strong>t dans les<br />

archives <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong> Reinach 2 ou dans les papiers du subdélégué <strong>de</strong> l’int<strong>en</strong>dance<br />

d’<strong>Alsace</strong> 3 , nous donn<strong>en</strong>t un aperçu non seulem<strong>en</strong>t du paysage façonné par l’eau et<br />

1<br />

ADHR C 1273, moulins.<br />

2<br />

Série 108 J <strong>de</strong>s archives départem<strong>en</strong>tales du Haut Rhin à Colmar.<br />

3<br />

Sous série 21 J du fonds Metz-Noblat <strong>en</strong>treposé dans les archives départem<strong>en</strong>tales du<br />

Territoire <strong>de</strong> Belfort


51<br />

ses dérivations faites par l’homme, mais aussi <strong>de</strong> son utilisation. Le paysage qui<br />

apparaît alors est un paysage où les moulins abond<strong>en</strong>t. Ainsi, ce ne sont pas moins<br />

<strong>de</strong> 76 moulins que nous retrouvons dans le pays belfortain 1 . La Savoureuse <strong>en</strong> porte<br />

à elle seule 19, soit un tous les <strong>de</strong>ux kilomètres !<br />

Nous retrouvons là une spécificité propre aux régions d’étangs. En effet, certains<br />

<strong>de</strong> ces moulins sont alim<strong>en</strong>tés par <strong>de</strong>s étangs importants.<br />

<strong>Les</strong> <strong>en</strong>jeux <strong>de</strong> l’eau<br />

Région relativem<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> pourvue <strong>en</strong> eau, le pays belfortain regorge égalem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> minerais dans ses <strong>en</strong>trailles. L’équation <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux facteurs donne naissance à<br />

une symbiose parfaite <strong>en</strong>tre ces ressources <strong>de</strong> la terre et l’utilisation <strong>de</strong> l’eau. On<br />

compte <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ries <strong>de</strong> mines, <strong>de</strong>s martinets hydrauliques 2 , <strong>de</strong>s clouteries, et aussi<br />

<strong>de</strong>s lavoirs à mines. L’eau actionne ici les soufflets <strong>de</strong>s forges, répète là un<br />

mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> bascule qui ne pourrait se faire à bras d’homme. Sa force est l’<strong>en</strong>jeu<br />

ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> ces industries.<br />

Dans un espace où l’agriculture ne connaît pas, et <strong>de</strong> loin, le niveau du reste <strong>de</strong><br />

la province d’<strong>Alsace</strong>, la métallurgie apparaît comme le secteur majeur <strong>de</strong> cette<br />

économie. Dans ce domaine, l’importance <strong>de</strong> l’eau apparaît égalem<strong>en</strong>t. En 1757, le<br />

sieur Dietrich, désireux d’augm<strong>en</strong>ter les forges du Jägerthal, déclare que les forges<br />

<strong>de</strong> Belfort produis<strong>en</strong>t le meilleur fer <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> 3 .<br />

Foulons et ribes<br />

En plus <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux secteurs <strong>de</strong> pointe que sont la meunerie et la métallurgie,<br />

nous retrouvons d’autres <strong>en</strong>treprises se servant <strong>de</strong> la force <strong>de</strong> l’eau : l’activité textile,<br />

par exemple, avec ses foulons et ses ribes. Si celles-ci serv<strong>en</strong>t à écraser les graines <strong>de</strong><br />

lin et <strong>de</strong> chanvre sous les roues <strong>en</strong> pierre tournant grâce à l’eau, les foulons, eux,<br />

opèr<strong>en</strong>t la trituration répétée <strong>de</strong>s draps pour les décrasser et les feutrer. Il est à noter<br />

que le foulon peut servir pour les draps et pour le chanvre et le lin. Or les<br />

r<strong>en</strong><strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> chanvre <strong>de</strong> la province province sont très élevés 4 . Cette activité n’est<br />

pas forcém<strong>en</strong>t la plus r<strong>en</strong>table mais elle <strong>de</strong>meure tout <strong>de</strong> même indisp<strong>en</strong>sable, tout<br />

comme les huileries, vitales pour les habitants et aussi pour la garnison <strong>de</strong>s soldats<br />

stationnés dans la ville ou dans le reste <strong>de</strong> l’<strong>Alsace</strong>.<br />

Paradoxalem<strong>en</strong>t, seules <strong>de</strong>ux scieries sont actionnées par la force hydraulique,<br />

alors que la région possè<strong>de</strong> une gran<strong>de</strong> d<strong>en</strong>sité <strong>de</strong> forêts.<br />

1 Pour une surface totale d’<strong>en</strong>viron 620km².<br />

2 Sorte <strong>de</strong> gros marteau actionné par un bras hydraulique.<br />

3 Cité par Hoffmann, L’<strong>Alsace</strong> au dix-huitième siècle au point <strong>de</strong> vue historique, judiciaire,<br />

administratif, économique, intellectuel, social et religieux, 1906.<br />

4 Hoffmann, L’<strong>Alsace</strong> au dix-huitième siècle au point <strong>de</strong> vue historique, judiciaire,<br />

administratif, économique, intellectuel, social et religieux, 1906.


L’irrigation<br />

Mais l’eau occupe égalem<strong>en</strong>t une gran<strong>de</strong> place dans la vie pastorale et les paysans<br />

<strong>en</strong> ont beaucoup besoin. En effet, la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s terres du pays belfortain<br />

sont irriguées, <strong>en</strong> raison du climat capricieux, les sécheresses n’étant pas seulem<strong>en</strong>t<br />

un phénomène météorologique contemporain. Même si la pluviométrie <strong>de</strong> la zone<br />

est forte, elle n’est pas suffisante pour les cultivateurs du XVIIe et du XVIIIe siècle.<br />

L’irrigation est attestée <strong>de</strong>puis fort longtemps 1 et l’int<strong>en</strong>dant <strong>en</strong> souligne toute<br />

l’importance : « l’arrosem<strong>en</strong>t et l’amélioration <strong>de</strong>s prairies sont non seulem<strong>en</strong>t du<br />

bi<strong>en</strong> public, mais aussy du service du Roy par l’augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s fourrages pour sa<br />

cavalerie et l’Industrie du cultivateur pour l’augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s productions mérite<br />

d’être favorisé autant que possible 2 . » Ainsi, les terrains <strong>en</strong> bordure <strong>de</strong> cours d’eau<br />

bénéfici<strong>en</strong>t amplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce traitem<strong>en</strong>t. Traitem<strong>en</strong>t complexe tout <strong>de</strong> même,<br />

puisqu’il implique <strong>de</strong>s constructions servant à faciliter l’écoulem<strong>en</strong>t et à <strong>en</strong><br />

contrôler le débit. Des digues <strong>de</strong> ret<strong>en</strong>ue, <strong>de</strong>s empellem<strong>en</strong>ts, <strong>de</strong>s reversoirs sont ainsi<br />

conçus, <strong>de</strong> façon rudim<strong>en</strong>taire certes, mais un effort d’ingéniosité se développe tout<br />

<strong>de</strong> même. Quand les aménagem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>mand<strong>en</strong>t trop d’investissem<strong>en</strong>ts financiers,<br />

on voit se réunir plusieurs particuliers, voisins <strong>de</strong> prairies, pour payer la dép<strong>en</strong>se.<br />

Une question <strong>de</strong>meure : ces systèmes d’irrigation sont-ils efficaces ? Le subdélégué<br />

Noblat dans son rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 1773 apporte un élém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> réponse. Il note au<br />

sujet du village <strong>de</strong> Chaux : « les prés y sont forts bons, c'est-à-dire ceux le long <strong>de</strong> la<br />

Savoureuse et peuv<strong>en</strong>t rapporter 13 à 18 quintaux <strong>de</strong> foin par fauchées. <strong>Les</strong> autres<br />

sont mauvais et n’<strong>en</strong> rapport<strong>en</strong>t que sept à huit 3 . »<br />

La pêche<br />

L’utilisation <strong>de</strong> l’eau concerne égalem<strong>en</strong>t l’exploitation <strong>de</strong>s rivières et <strong>de</strong>s étangs.<br />

<strong>Les</strong> rivières belfortaines ne port<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong> bateaux et <strong>en</strong>core moins <strong>de</strong> pêcheurs<br />

professionnels. Pourtant, la pêche reste un moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> subsistance bi<strong>en</strong> commo<strong>de</strong>, et<br />

nous <strong>en</strong> retrouvons les traces dans <strong>de</strong> nombreux actes. <strong>Les</strong> sources principales pour<br />

mettre <strong>en</strong> lumière ces activités sont les cahiers <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s -chasse et pêche <strong>de</strong>s<br />

seigneurs. Ceux-ci not<strong>en</strong>t les flagrants délits <strong>de</strong> pêche dans les rivières et même les<br />

étangs. <strong>Les</strong> techniques <strong>de</strong> pêche rest<strong>en</strong>t relativem<strong>en</strong>t simples : filets, paniers, ligne,<br />

et il semblerait que les rivières belfortaines regorg<strong>en</strong>t <strong>de</strong> poissons. Dans un<br />

mémoire, malheureusem<strong>en</strong>t anonyme 4 , « sur le cours <strong>de</strong> la Savoureuse et son<br />

ét<strong>en</strong>due » daté <strong>de</strong> 1750, rédigé à Altkirch, l’auteur nous appr<strong>en</strong>d beaucoup <strong>de</strong><br />

1 En effet, elle est déjà connue <strong>de</strong>s Egypti<strong>en</strong>s dans l’Antiquité voir Forbes RJ, Studies in<br />

anci<strong>en</strong>t technology, volume 2 : irrigation et drainage, Leid<strong>en</strong>, E.J. Brill, 1955.<br />

2 Acte <strong>de</strong> 1778 C 1280 ADHR Vourv<strong>en</strong>ans et Brebotte.<br />

3 ADTB 21 J 1/2, dénombrem<strong>en</strong>t Noblat, 1773.<br />

4 C 1270 ADHR la Savoureuse.<br />

52


53<br />

choses sur le peuplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce cours d’eau mais égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s autres rivières<br />

voisines et <strong>de</strong>s ruisseaux. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong>s espèces aquatiques foisonn<strong>en</strong>t.<br />

La pêche <strong>de</strong>s étangs est différ<strong>en</strong>te. En effet, l’étang belfortain, comme beaucoup<br />

d’autres d’ailleurs, semble exclusivem<strong>en</strong>t conçu pour récolter les fruits <strong>de</strong> la pêche :<br />

poissons blancs, brochets, et surtout la carpe, qui est le poisson régional par<br />

excell<strong>en</strong>ce. Dans le rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t Noblat <strong>de</strong> 1773 1 , le décompte <strong>de</strong>s carpes pêchées<br />

atteint le nombre <strong>de</strong> 94000 (pour <strong>en</strong>viron 20000 habitants) par pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> pêche.<br />

Ce nombre approximatif pourrait être revu à la hausse car les pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> pêche<br />

vari<strong>en</strong>t d’un étang à un autre : tous les ans pour certains avec <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> repos,<br />

tous les trois ans pour les autres. Ce nombre étonnant s’explique par le grand<br />

nombre d’étangs <strong>de</strong> la région, <strong>en</strong>viron six c<strong>en</strong>ts à l’époque. Il existe égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

expertises d’étangs qui nous r<strong>en</strong>seign<strong>en</strong>t mieux sur les pêches qu’on y pratiquait, sur<br />

leurs propriétaires et surtout sur leur <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> 2 . Au vu <strong>de</strong> ce foisonnem<strong>en</strong>t piscicole,<br />

le commerce <strong>de</strong> la carpe semble incontournable : une dizaine d’habitants <strong>de</strong> Chaux<br />

<strong>en</strong> font leur commerce et part<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>dre leurs poissons jusqu’à Colmar 3 .<br />

Utilisation domestique<br />

Le <strong>de</strong>rnier aspect <strong>de</strong> cette utilisation <strong>de</strong> l’eau rési<strong>de</strong> dans son utilité pour un<br />

village et pour une famille. Ici, l’architecture nous met sur la piste. En effet, les<br />

lavoirs, les fontaines publiques, les puits à balancier 4 sont <strong>en</strong>core visibles dans les<br />

villages. La plupart date <strong>de</strong>s XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. L’eau apparaît ici<br />

est dans une fonction vitale : le lavoir permet <strong>de</strong> laver le linge, mais offre aussi un<br />

<strong>en</strong>droit pour se réunir, surtout pour les femmes du village. <strong>Les</strong> puits et fontaines<br />

sont autant <strong>de</strong> points d’eau utilisés <strong>en</strong> commun.<br />

Pourtant, <strong>de</strong>s puits particuliers sembl<strong>en</strong>t exister, les auges <strong>en</strong> pierre <strong>de</strong>vant<br />

quelques maisons <strong>en</strong> sont <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s signes. <strong>Les</strong> sources à ce sujet sont difficiles à<br />

trouver.<br />

Le docteur Cavlhan, mé<strong>de</strong>cin militaire <strong>de</strong> Belfort, préconise l’usage <strong>de</strong> l’eau <strong>de</strong><br />

la région dans <strong>de</strong>s « bains domestiques 5 » pour <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s atteints <strong>de</strong> maux divers,<br />

comme les rhumatismes par exemple. Dans son mémoire, il parle d’ailleurs<br />

longuem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s caractéristiques médicales et <strong>de</strong>s vertus thérapeutiques <strong>de</strong> l’eau<br />

belfortaine. L’eau <strong>de</strong> la région a d’ailleurs <strong>de</strong>s vertus qui vont au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s simples<br />

considérations et traitem<strong>en</strong>ts médicaux. Elle semble revêtue <strong>de</strong> pouvoirs magiques.<br />

1<br />

21 J ½ Dénombrem<strong>en</strong>t Noblat 1773.<br />

2<br />

Comme par exemple l’expertise <strong>de</strong> 1773 <strong>de</strong>s étangs <strong>de</strong> la seigneurie <strong>de</strong> Belfort : 1 J 28/1<br />

ADTB expertise d’étangs.<br />

3<br />

21J1 ADTB dénombrem<strong>en</strong>t.<br />

4<br />

Nous pouvons <strong>en</strong> trouver un à Vescemont daté du XVIIIe siècle, mais les plus anci<strong>en</strong>s, sans<br />

doute d’origine hongroise, sont ceux <strong>de</strong> Croix, le premier <strong>de</strong> 1660, les <strong>de</strong>ux autres <strong>de</strong> 1774.<br />

5<br />

II 4/5 AMB « mémoire sur le sol, les eaux, et l’air <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Belfort par le docteur<br />

Cavhlan, mé<strong>de</strong>cin à l’hopital militaire » XVIIIe siècle.


En divers <strong>en</strong>droits, on relève <strong>de</strong>s pèlerinages « hydro-thérapeutiques ». La fontaine<br />

Saint-Léger <strong>de</strong> Montbouton et la fontaine Sainte-Odile à Chavannes-les-Grands<br />

sont réputées pour le traitem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s maladies oculaires. Au XVIe siècle, <strong>de</strong>s auges<br />

étai<strong>en</strong>t placées <strong>de</strong>vant la source <strong>de</strong> Saint-Dizier. On y baignait alors les mala<strong>de</strong>s<br />

m<strong>en</strong>taux <strong>en</strong> vue, là <strong>en</strong>core, <strong>de</strong> les guérir.<br />

L’utilisation <strong>de</strong> l’eau est très diversifiée et, dans <strong>de</strong> nombreux domaines, elle<br />

apparaît comme indisp<strong>en</strong>sable à la vitalité économique du pays belfortain. Mais il<br />

ne faut pas oublier que la société d’Anci<strong>en</strong> Régime est rigi<strong>de</strong> <strong>en</strong> ce qui concerne le<br />

droit, la liberté, les règlem<strong>en</strong>ts et la loi : ri<strong>en</strong> ne doit échapper au contrôle <strong>de</strong>s<br />

autorités. La question <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong> l’eau apparaît donc comme primordiale.<br />

54<br />

Comm<strong>en</strong>t gère t-on l’eau dans le pays belfortain aux XVIIe et<br />

XVIIIe siècle ?<br />

Un cours d’eau apparti<strong>en</strong>t au seigneur s’il n’est pas navigable. Dans le cas du<br />

pays belfortain, le seigneur haut justicier est le propriétaire mais aussi « l’aménageur<br />

du réseau hydrologique 1 » c'est-à-dire qu’il déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> la construction ou non <strong>de</strong>s<br />

établissem<strong>en</strong>ts sur l’eau, <strong>de</strong> l’irrigation (<strong>en</strong> principe) et <strong>de</strong> la réglem<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la<br />

pêche. Comme dans cette région, nous sommes confrontés à une petite mosaïque<br />

seigneuriale, il faut délimiter avec minutie les frontières <strong>de</strong>s droits seigneuriaux pour<br />

savoir qui possè<strong>de</strong> et qui gère. Pourtant la propriété d’un cours d’eau ne donne pas<br />

beaucoup <strong>de</strong> privilèges même si le seigneur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une contrepartie à l’utilisation<br />

<strong>de</strong> l’eau pour toute activité nécessitant un apport hydraulique.Pour un moulin par<br />

exemple, la somme due est spécifiée dans le bail. Ce droit n’apparaît pas comme<br />

écrasant, peut-être pour respecter la bonne marche <strong>de</strong> l’économie belfortaine. En<br />

aliénant ce droit, le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’industrie est permis. Le seigneur qui<br />

possè<strong>de</strong> <strong>en</strong>core le droit <strong>de</strong> pêche au nom <strong>de</strong> la propriété <strong>de</strong>s cours d’eau, se montre<br />

plus rigoureux à cet égard. En effet, rares sont les docum<strong>en</strong>ts permettant une pêche<br />

complète et libre pour les habitants. Sur ce terrain, ils sont plutôt confrontés à <strong>de</strong>s<br />

interdits qu’ils contourn<strong>en</strong>t sans trop <strong>de</strong> difficultés.<br />

Mais le seigneur n’est pas le seul à déci<strong>de</strong>r au sujet <strong>de</strong>s rivières. L’int<strong>en</strong>dant<br />

s’immisce <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus dans ces questions <strong>de</strong> gestion au nom du bi<strong>en</strong> et <strong>de</strong><br />

l’utilité publics, surtout au XVIIIe siècle. Il peut alors contrôler l’irrigation, ce qui a<br />

une influ<strong>en</strong>ce sur les cultures pour la garnison. Il peut égalem<strong>en</strong>t surveiller le niveau<br />

<strong>de</strong>s eaux et parer aux inondations, très courantes dans la région. Son principal atout<br />

dans ce domaine est le service <strong>de</strong>s Ponts et Chaussées d’<strong>Alsace</strong> et pour Belfort, son<br />

inspecteur. Celui-ci agit directem<strong>en</strong>t sur le terrain, son supérieur, l’inspecteur<br />

principal, se trouvant à Colmar. Ce <strong>de</strong>rnier obéit lui-même au directeur du service<br />

<strong>de</strong> Strasbourg. C’est cet inspecteur belfortain qui vérifie et contrôle les<br />

1 J-M Dereix, La gestion <strong>de</strong> l’eau et <strong>de</strong>s zones humi<strong>de</strong>s <strong>en</strong> Brie (fin <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Régime-fin du<br />

XIXe siècle), l’Harmattan, Paris, 2001.


55<br />

établissem<strong>en</strong>ts sur l’eau, les aménagem<strong>en</strong>ts d’irrigation et qui reçoit les plaintes <strong>de</strong>s<br />

mécont<strong>en</strong>ts dans ce domaine. <strong>Les</strong> seigneurs apparaiss<strong>en</strong>t donc <strong>en</strong> retrait par rapport<br />

à l’int<strong>en</strong>dant qui impose ses choix sans consultation du seigneur. <strong>Les</strong> gar<strong>de</strong>s-chasse<br />

et pêche, même seigneuriaux, favoris<strong>en</strong>t le travail <strong>de</strong> l’int<strong>en</strong>dant qui trouve là un<br />

relais <strong>de</strong> justice fort bon marché. Cette immixtion dans les affaires seigneuriales<br />

n’est pas seulem<strong>en</strong>t propre au domaine hydrologique mais concerne <strong>en</strong>core d’autres<br />

domaines : l’int<strong>en</strong>dant se substitue au seigneur pour assoir le pouvoir royal.<br />

Même si la gestion <strong>de</strong>s cours d’eau paraît bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>cadrée, elle connaît certaines<br />

limites. A comm<strong>en</strong>cer par le financem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s aménagem<strong>en</strong>ts publics pour éviter<br />

tout risque d’inondation par exemple. Faute d’arg<strong>en</strong>t, les communautés villageoises<br />

sont mises à contribution , par exemple par le biais <strong>de</strong> la corvée. On note égalem<strong>en</strong>t<br />

un énorme problème d’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>, les riverains néglig<strong>en</strong>t les abords <strong>de</strong> leurs terrains<br />

qu’ils <strong>de</strong>vrai<strong>en</strong>t nettoyer et <strong>de</strong> nombreuses plaintes à ce sujet afflu<strong>en</strong>t sur le bureau<br />

<strong>de</strong> l’int<strong>en</strong>dant et chez le seigneur. Cette néglig<strong>en</strong>ce est cause d’inondation et<br />

d’étouffem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s espèces aquatiques. <strong>Les</strong> aléas climatiques sont aussi à pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong><br />

compte au niveau <strong>de</strong> la gestion, mais là, seule la fatalité est <strong>de</strong> mise. <strong>Les</strong> habitants<br />

s’<strong>en</strong> plaign<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t. Enfin, la pollution et les maladies dues aux<br />

néglig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> et <strong>de</strong>s paysans, les eaux stagnantes, doiv<strong>en</strong>t être prises <strong>en</strong><br />

compte par les autorités mais souv<strong>en</strong>t, ces problèmes rest<strong>en</strong>t très locaux.<br />

Il existe plusieurs types d’étangs 1 dans le pays belfortain : les étangs appart<strong>en</strong>ant<br />

à un seigneur ou une communauté d’habitants et les étangs privés. On observe<br />

qu’ici les seigneurs sont plus <strong>en</strong>clins à s’occuper <strong>de</strong> la gestion et <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

leurs étangs puisque ceux-ci sont sources d’<strong>en</strong>richissem<strong>en</strong>t. De plus, la carpe reste<br />

un mets très apprécié <strong>de</strong> la petite noblesse belfortaine 2 . Ainsi, ils s’<strong>en</strong> occup<strong>en</strong>t par<br />

le biais d’ag<strong>en</strong>ts mandatés par leurs soins auprès <strong>de</strong>s plans d’eau. Des expertises à ce<br />

sujet nous sont parv<strong>en</strong>ues. Elles nous apport<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts sur les détails<br />

techniques, elles nous prouv<strong>en</strong>t aussi combi<strong>en</strong> les seigneurs sont attachés à bi<strong>en</strong><br />

surveiller et <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir leurs étangs. La plupart du temps, ceux-ci sont donnés <strong>en</strong><br />

bail à ferme à <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> la région chargés d’y monter la gar<strong>de</strong> et d’<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre<br />

soin. En ce qui concerne les étangs privés, les sources se font plus rares, mais nous<br />

savons qu’ils exist<strong>en</strong>t même s’il est impossible d’<strong>en</strong> mesurer leur importance. Leur<br />

surveillance semble ,elle aussi, avoir été très étroite.<br />

1 <strong>Les</strong> étangs belfortains ont été étudiés notamm<strong>en</strong>t par R. Boigeol, dans son article<br />

recherches <strong>historiques</strong> sur les étangs et la pêche dans le Territoire <strong>de</strong> Belfort, in <strong>Les</strong> zones<br />

humi<strong>de</strong>s du territoire <strong>de</strong> Belfort, marais, tourbières, étangs, association belfortaine <strong>de</strong><br />

protection <strong>de</strong> la nature, Belfort, 1986.<br />

2 Il semble <strong>en</strong> effet que la petite noblesse belfortaine soit fort attachée à la carpe, car les<br />

étangs seigneuriaux sont <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>us avec rigueur et la part <strong>de</strong> la pêche qui revi<strong>en</strong>t au seigneur<br />

est très importante, car nous pouvons le constater pour les Reinach 108 J ADHR.


56<br />

Conflits et abus relevant <strong>de</strong> l’utilisation et <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong> l’eau :<br />

difficultés <strong>de</strong> communication, <strong>de</strong> pouvoir et d’intérêts<br />

Au vu <strong>de</strong> ces données, il nous a semblé logique d’interroger les sources sur la<br />

combinaison <strong>en</strong>tre l’utilisation et la gestion <strong>de</strong> l’eau pour les habitants du pays<br />

belfortain aux XVIIe et XVIIIe siècles. En effet, la société d’Anci<strong>en</strong> Régime étant<br />

fondée sur le pouvoir, la domination, le profit et la survie, les abus et les conflits<br />

sont inévitables. C'est-à-dire que l’eau n’est pas un bi<strong>en</strong> qui se partage facilem<strong>en</strong>t.<br />

Ainsi, on se chamaille, on se bagarre avec plus ou moins <strong>de</strong> viol<strong>en</strong>ce pour se<br />

l’attribuer, on contourne les règles, on m<strong>en</strong>t pour assurer sa survie. Nous voyons<br />

dès lors apparaître <strong>de</strong>s litiges <strong>en</strong>tre divers groupes sociaux et d’intérêt. <strong>Les</strong> sources<br />

consultées ont fait apparaître <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>sions <strong>en</strong>tre les groupes suivants :<br />

Litige <strong>en</strong>tre un seigneur et l’int<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> la province<br />

Litige <strong>en</strong>tre une communauté villageoise/un ou <strong>de</strong>s particulier(s) avec un<br />

meunier<br />

Litige <strong>en</strong>tre une communauté villageoise/ un ou <strong>de</strong>s particulier(s) avec un<br />

seigneur<br />

Litige <strong>en</strong>tre particuliers<br />

Litige <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux communautés villageoises<br />

Litige lié à l’exploitation <strong>de</strong>s étangs : seigneur et fermier ; seigneur et fermier<br />

contre paysans/villageois<br />

Bi<strong>en</strong> sûr, la proportion <strong>de</strong> conflits <strong>de</strong> ce modèle varie selon les cas. <strong>Les</strong><br />

oppositions <strong>en</strong>tre un seigneur et un int<strong>en</strong>dant apparaiss<strong>en</strong>t peu, curieusem<strong>en</strong>t. Le<br />

motif du litige est la propriété d’un cours d’eau et surtout le pouvoir <strong>de</strong> décision qui<br />

s’y rattache. L’int<strong>en</strong>dant est placé <strong>en</strong> position <strong>de</strong> force. Mais le seigneur s’oppose<br />

égalem<strong>en</strong>t aux paysans et aux communautés villageoises. Dans ces cas là, le seigneur<br />

contestataire est souv<strong>en</strong>t un industriel dont le besoin <strong>en</strong> eau <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> concurr<strong>en</strong>ce<br />

avec celui <strong>de</strong>s paysans. Il met <strong>en</strong> avant la prérogative seigneuriale <strong>de</strong> la propriété <strong>de</strong>s<br />

eaux pour faire pression sur les groupes paysans qui rest<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t impuissants, car<br />

même si ceux-ci recou<strong>en</strong>rt à <strong>de</strong> plus hautes autorités comme l’int<strong>en</strong>dant ou le<br />

Conseil souverain <strong>de</strong> Colmar, on privilégie les industries <strong>en</strong> plein développem<strong>en</strong>t au<br />

XVIIIe siècle. Mais là <strong>en</strong>core, les cas ne sont pas très nombreux, du moins pas assez<br />

pour <strong>en</strong> tirer <strong>de</strong>s conclusions générales.<br />

Par contre, nous avons une pléia<strong>de</strong> d’actes juridiques concernant les méfaits <strong>de</strong>s<br />

meuniers. Beaucoup <strong>de</strong> leurs voisins se plaign<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur habitu<strong>de</strong> à hausser les<br />

écluses <strong>de</strong> leur moulin afin <strong>de</strong> faire rouler plus vite les tournants <strong>de</strong> celui-ci 1 . Si le<br />

meunier voit là un moy<strong>en</strong> commo<strong>de</strong> <strong>de</strong> s’<strong>en</strong>richir, les riverains eux sont inondés par<br />

ce trop plein d’eau, et les récoltes <strong>en</strong> pâtiss<strong>en</strong>t. La cohabitation <strong>en</strong>tre paysans et<br />

meuniers est difficile <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles et l’utilisation <strong>de</strong> l’eau par ces <strong>de</strong>ux groupes<br />

1 L’eau arrive avec plus <strong>de</strong> force dans la roue du moulin si le meunier élève les écluses <strong>de</strong><br />

celui-ci et peut ainsi travailler mieux et plus vite.


57<br />

n’est qu’un facteur <strong>de</strong> plus aggravant la situation. A l’inverse, les plaintes <strong>de</strong>s<br />

meuniers contre les paysans sont vraim<strong>en</strong>t très minoritaires. Il s’agit plutôt <strong>de</strong><br />

réclamations après <strong>de</strong>s dégâts causés par ces riverains <strong>en</strong> colère qui se v<strong>en</strong>g<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

agissem<strong>en</strong>ts du meunier. Ces représailles paysannes ont souv<strong>en</strong>t lieu la nuit.<br />

Il peut arriver égalem<strong>en</strong>t que <strong>de</strong>ux communautés d’habitants <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> conflit<br />

pour une rivière ou un ruisseau, surtout dans <strong>de</strong>s régions moins bi<strong>en</strong> pourvues<br />

comme le début du plateau jurassi<strong>en</strong>. Nous <strong>de</strong>vons toutefois souligner que ces cas<br />

rest<strong>en</strong>t très localisés. Par contre, les conflits <strong>en</strong>tre particuliers sont monnaie<br />

courante. On se dispute pour l’arrosage <strong>de</strong>s prés, pour un aménagem<strong>en</strong>t<br />

hydraulique irrégulier désavantageant l’une ou l’autre <strong>de</strong>s parties, pour un nettoyage<br />

négligé. La liste est longue et chaque cas est différ<strong>en</strong>t. <strong>Les</strong> sources que nous avons ne<br />

reflèt<strong>en</strong>t sans doute qu’une petite partie <strong>de</strong> la réalité. En ce qui concerne les sources,<br />

il s’agit <strong>de</strong> la série B <strong>de</strong>s archives départem<strong>en</strong>tales du Territoire <strong>de</strong> Belfort, <strong>de</strong>s séries<br />

seigneuriales, mais surtout <strong>de</strong>s séries <strong>de</strong> l’int<strong>en</strong>dance <strong>en</strong>treposées à Colmar.<br />

Enfin, il faut signaler les litiges sur les étangs. Ils peuv<strong>en</strong>t concerner un seigneur<br />

et son fermier à propos <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> ou <strong>de</strong> la pêche. C’est le cas du fermier <strong>de</strong> la<br />

baronne <strong>de</strong> Reinach <strong>en</strong> 1730. Il a <strong>en</strong> charge le grand étang <strong>de</strong> Chavannes sur<br />

l’étang. La baronne omet <strong>de</strong> lui donner sa part <strong>de</strong> la pêche et le fermier a bi<strong>en</strong> du<br />

mal à faire valoir ses droits 1 . Des heurts ont égalem<strong>en</strong>t lieu <strong>en</strong>tre les propriétaires<br />

<strong>de</strong>s étangs et les paysans, car l’étang est un réservoir pot<strong>en</strong>tiel d’eau pour les<br />

animaux. En pâturant, il arrive aussi que les animaux abîm<strong>en</strong>t les bords.<br />

Tous ces litiges divis<strong>en</strong>t les divers groupes qui utilis<strong>en</strong>t l’eau. Ces luttes<br />

intestines révèl<strong>en</strong>t que l’eau est un besoin vital pour tous. L’économie d’une région<br />

et la vie <strong>de</strong> la campagne <strong>en</strong> dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t.<br />

Sur le terrain, l’inspecteur <strong>de</strong>s Ponts et Chaussées peut être victime <strong>de</strong> paysans<br />

rusés, qui l’insult<strong>en</strong>t, l’accus<strong>en</strong>t <strong>de</strong> favoritisme et qui remett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cause ses<br />

décisions quand celles-ci n’abond<strong>en</strong>t pas dans leur s<strong>en</strong>s. En fait, tout ce qui touche<br />

à la libre jouissance <strong>de</strong>s eaux est détourné <strong>de</strong> manière plus ou moins viol<strong>en</strong>te. On se<br />

moque <strong>de</strong>s lois et <strong>de</strong>s règlem<strong>en</strong>ts, après tout, le pouvoir du seigneur ou <strong>de</strong><br />

l’int<strong>en</strong>dant semble loin et l’inspecteur <strong>de</strong>s Ponts et Chaussées est débordé.<br />

Qui est am<strong>en</strong>é à <strong>en</strong>freindre la loi ? Tous ceux qui utilis<strong>en</strong>t l’eau d’une manière<br />

ou d’une autre. La palette est large : paysans, meuniers, foulonniers, maître <strong>de</strong>s<br />

forges, villageois <strong>de</strong> toutes sortes, fermiers <strong>de</strong>s étangs ; hommes, femmes, <strong>en</strong>fants,<br />

jeunes et vieux. Que font-ils ? Certains pratiqu<strong>en</strong>t l’irrigation sans autorisation,<br />

d’autres se font remarquer par <strong>de</strong>s constructions irrégulières sur l’eau, le non-respect<br />

<strong>de</strong>s ordonnances, le détournem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s eaux, le braconnage <strong>de</strong>s rivières et <strong>de</strong>s étangs.<br />

En établissant cette liste, on se r<strong>en</strong>d bi<strong>en</strong> compte que ces problèmes ne dat<strong>en</strong>t pas<br />

<strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Régime. Nous pouvons supposer que dès qu’on a comm<strong>en</strong>cé à utiliser<br />

l’eau les conflits, les abus et la délinquance hydraulique sont apparus. <strong>Les</strong> sources<br />

dont nous disposons sont très éparses. Il faut consulter <strong>de</strong> nombreux actes<br />

1 108 J 220/232 ADHR archives <strong>de</strong> la famille Reinach.


juridiques issus <strong>de</strong> l’Int<strong>en</strong>dance, <strong>de</strong>s archives seigneuriales ou communales pour<br />

pouvoir mesurer l’int<strong>en</strong>sité <strong>de</strong> cette délinquance qui peut aller du simple oubli <strong>de</strong> la<br />

loi, fréquemm<strong>en</strong>t évoqué, à la viol<strong>en</strong>ce physique. On utilise couramm<strong>en</strong>t les<br />

m<strong>en</strong>songes, la ruse et la duperie. <strong>Les</strong> exemples à ce sujet ne manqu<strong>en</strong>t pas. <strong>Les</strong><br />

paysans sont souv<strong>en</strong>t cités à ce sujet. Notons que pour le braconnage, il est plus<br />

difficile <strong>de</strong> m<strong>en</strong>tir car le coupable est pris la main dans le sac ou le filet dans<br />

l’eau…<strong>Les</strong> meuniers, les seigneurs, les particuliers, les bourgeois <strong>de</strong> la ville et bi<strong>en</strong><br />

sûr les habitants <strong>de</strong>s campagnes, font très souv<strong>en</strong>t preuve <strong>de</strong> mauvaise foi.<br />

Certains actes s’appar<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t à du vandalisme, du sabotage. <strong>Les</strong> paysans<br />

apparaiss<strong>en</strong>t très souv<strong>en</strong>t dans ce g<strong>en</strong>re <strong>de</strong> délit et dans les affaires <strong>de</strong> viol<strong>en</strong>ce<br />

physique. <strong>Les</strong> sources ne sont pas très bavar<strong>de</strong>s sur ce g<strong>en</strong>re <strong>de</strong> délinquance. Nous<br />

avons néanmoins l’exemple d’une femme qui frappe les ouvriers qui sont <strong>en</strong> train<br />

<strong>de</strong> détruire l’ouvrage illégalem<strong>en</strong>t construit par son mari <strong>en</strong> 1732 à Delle. Le bailli a<br />

décrété la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> l’empellem<strong>en</strong>t par <strong>de</strong>s ouvriers aux frais du délinquant.<br />

Mais sa femme ne l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d pas <strong>de</strong> cette oreille. Elle comm<strong>en</strong>ce par jeter <strong>de</strong>s pierres<br />

aux travailleurs, et finit par les molester à coup <strong>de</strong> pelle 1 . Ceux-ci, apeurés, cour<strong>en</strong>t<br />

à gran<strong>de</strong>s <strong>en</strong>jambées chez le bailli et se plaign<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce mauvais traitem<strong>en</strong>t.<br />

58<br />

Conclusion<br />

Ainsi, l’eau est un élém<strong>en</strong>t indissociable <strong>de</strong> la vie belfortaine. Au quotidi<strong>en</strong><br />

comme dans l’économie <strong>de</strong> la région, elle occupe une place importante. Cela<br />

explique les t<strong>en</strong>sions <strong>en</strong>tre les divers groupes d’utilisateurs ou <strong>de</strong> gestionnaires.<br />

L’ eau est omniprés<strong>en</strong>te dans la vie <strong>de</strong> tous les jours. C’est bi<strong>en</strong> simple, elle est<br />

partout, sous diverses formes. Elle <strong>en</strong>globe <strong>de</strong> nombreux aspects si bi<strong>en</strong> que son<br />

étu<strong>de</strong> nécessite l’utilisation <strong>de</strong> sources variées et abondantes. On ne trouve <strong>en</strong> effet<br />

aucun fonds constitué concernant ce sujet. Certains docum<strong>en</strong>ts ne permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

relever que quelques indices qui nous mett<strong>en</strong>t peu à peu sur la voie. <strong>Les</strong> docum<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong> l’Int<strong>en</strong>dance constitu<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant une charp<strong>en</strong>te soli<strong>de</strong> pour ce travail, tout<br />

comme l’importante sous série 21 J <strong>de</strong>s ADTB. Mais ces informations ne suffis<strong>en</strong>t<br />

pas et doiv<strong>en</strong>t être impérativem<strong>en</strong>t complétées par <strong>de</strong>s sources secondaires comme<br />

les sources seigneuriales. Le fonds <strong>de</strong> la famille Reinach (108 J ADHR) ti<strong>en</strong>t une<br />

gran<strong>de</strong> place. Curieusem<strong>en</strong>t, les archives <strong>de</strong> la famille Mazarin n’ont pas été d’un<br />

très grand secours. <strong>Les</strong> archives <strong>de</strong>s communes à Belfort (série E) et celles <strong>de</strong> la série<br />

B <strong>de</strong> la justice permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> remédier à tous ces manques.<br />

<strong>Les</strong> <strong>en</strong>jeux sembl<strong>en</strong>t clairs, l’eau fait vivre. Elle fait vivre par son utilisation<br />

domestique. Que serait la vie <strong>de</strong> la paysanne sans facilité d’accès à ce trésor ? Elle<br />

fait vivre par ses facultés physiques : si les prés sont bi<strong>en</strong> nourris, le fourrage se v<strong>en</strong>d<br />

très bi<strong>en</strong> à la garnison et ailleurs. L’eau permet donc <strong>de</strong> s’<strong>en</strong>richir. Il <strong>en</strong> va <strong>de</strong> même<br />

pour les forges qui puis<strong>en</strong>t leur énergie sur les nombreuses rivières. Enfin n’oublions<br />

pas ici l’importance du poisson, dans un pays catholique. En plus, le poisson<br />

1 ADHR 33 E dépôt DD1, écluses et digues à Delle.


59<br />

s’exporte bi<strong>en</strong>. Il <strong>en</strong> résulte un développem<strong>en</strong>t économique important pour le pays<br />

belfortain, pauvre terre agricole, qui doit sa survie économique à cette ressource<br />

primordiale.<br />

La Révolution française marque un tournant indiscutable. <strong>Les</strong> cours d’eau sont<br />

libres, les étangs seigneuriaux v<strong>en</strong>dus. La gestion se fait alors plus souple. Mais, il<br />

n’<strong>en</strong> <strong>de</strong>meure pas moins que <strong>de</strong>s conflits subsist<strong>en</strong>t, les nouvelles autorités du<br />

district s’<strong>en</strong> charg<strong>en</strong>t alors.<br />

Mais le grand changem<strong>en</strong>t est sans aucun doute, l’avènem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la machine à<br />

vapeur, nouvelle force motrice. Celle-ci va faire disparaître peu à peu le rôle<br />

primordial <strong>de</strong> l’eau. Mais son remplacem<strong>en</strong>t dans les industries est assez l<strong>en</strong>t. Il y a<br />

<strong>de</strong>s moulins à eau jusqu’au milieu du XXe siècle. N’oublions pas l’utilisation <strong>de</strong><br />

l’<strong>en</strong>grais qui révolutionne l’agriculture mo<strong>de</strong>rne et qui atténue là aussi le rôle <strong>de</strong><br />

l’eau sans toutefois l’exclure.<br />

Mais comm<strong>en</strong>t ne pas p<strong>en</strong>ser à l’eau dans notre quotidi<strong>en</strong> ? <strong>Les</strong> viol<strong>en</strong>ts orages<br />

qui gonfl<strong>en</strong>t les cours d’eau nous rappell<strong>en</strong>t chaque année le danger <strong>de</strong> ces rivières<br />

tranquilles. <strong>Les</strong> énormes barrages hydrauliques approvisionn<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core une partie<br />

<strong>de</strong> la planète <strong>en</strong> électricité, comme <strong>en</strong> Chine. Et ces images d’Afrique où les<br />

villageois vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> plusieurs kilomètres faire leur ravitaillem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> eau à la seule<br />

source ou seul puits <strong>de</strong>s <strong>en</strong>virons. Et <strong>en</strong>core, toutes ces espèces <strong>de</strong> poissons<br />

m<strong>en</strong>acées <strong>de</strong> disparition à cause <strong>de</strong> la pollution. Aujourd’hui comme hier, l’eau est<br />

primordiale, indisp<strong>en</strong>sable et incontournable. <strong>Les</strong> exemples peuv<strong>en</strong>t se multiplier à<br />

l’infini. <strong>Les</strong> autorités <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t compte, le ministère <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t surveille<br />

<strong>de</strong> près ces questions et les stratégies <strong>de</strong> développem<strong>en</strong>t durable s’<strong>en</strong> souci<strong>en</strong>t<br />

égalem<strong>en</strong>t. En préservant l’eau, on préserve l’économie mais aussi et surtout la vie.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Jean-Michel Boehler.`


Françoise JOLY<br />

L’honneur à Belfort fin XVIIème-XVIIIème siècles<br />

Valeur fondam<strong>en</strong>tale dans les sociétés anci<strong>en</strong>nes, l’honneur est une notion<br />

complexe qui n’a fait l’objet que <strong>de</strong> quelques étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s histori<strong>en</strong>s <strong>de</strong><br />

l’Anci<strong>en</strong> Régime et <strong>de</strong>s anthropologues. Si la nécessité d’une histoire <strong>de</strong> l’honneur<br />

s’est imposée dès 1949, avec L. Halkin, il faut att<strong>en</strong>dre les travaux d’Arlette<br />

Jouanna, d’Yves Castan et <strong>de</strong> François Billacois pour avoir une approche plus<br />

précise et plus fiable <strong>de</strong> cette valeur à laquelle Julian Pitt Rivers et Hassane Ajerar<br />

redonn<strong>en</strong>t toute sa place. L’honneur apparaît, dans ces recherches, au cœur <strong>de</strong> la<br />

valorisation extrême <strong>de</strong>s vertus nobiliaires, malgré les écarts <strong>en</strong>tre l’idéal et les<br />

réalités ; on le retrouve aussi tant dans les impératifs <strong>de</strong> la morale professionnelle<br />

que dans la normativité imposée aux femmes par la puissance masculine…<br />

La polysémie du terme amène à réfléchir à la définition même du mot<br />

« honneur ». Souv<strong>en</strong>t, les dictionnaires littéraires <strong>de</strong>s XVIIème et XVIIIème siècles<br />

insist<strong>en</strong>t sur les thèmes du respect, du mérite et notamm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la vertu. Tout <strong>en</strong><br />

introduisant dans la définition <strong>de</strong> l’Encyclopédie la notion d’utilité sociale <strong>de</strong> David<br />

Hume (considérant qu’un individu est honorable lorsque celui-ci est utile à la<br />

société), Di<strong>de</strong>rot souligne égalem<strong>en</strong>t que l’honneur est « l’estime <strong>de</strong> nous-même et<br />

le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t du droit que nous avons à l’estime <strong>de</strong>s autres, parce que nous ne nous<br />

sommes point écartés <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> la vertu, et que nous nous s<strong>en</strong>tons la force <strong>de</strong><br />

les suivre1 ». La conduite vertueuse serait donc le chemin m<strong>en</strong>ant à<br />

l’honneur…Apparaît alors la difficile articulation, voire même l’opposition, <strong>en</strong>tre<br />

un honneur lié à la naissance, dit honneur-préséance, et un honneur lié au mérite,<br />

dit honneur-vertu. Cep<strong>en</strong>dant, les valeurs et les définitions reconnues par les élites<br />

<strong>de</strong>s XVIIème et XVIIIème siècles correspond<strong>en</strong>t-elles aux représ<strong>en</strong>tations <strong>de</strong><br />

l’honneur dans le peuple ou à ses pratiques?<br />

1 DIDEROT (dir.), Encyclopédie ou dictionnaire raisonné <strong>de</strong>s Sci<strong>en</strong>ces <strong>de</strong>s Arts et <strong>de</strong>s Métiers,<br />

article « Honneur », tome 8, Neufchâtel, 1751-1780, p.288.


C’est à travers l’exemple <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> Belfort et <strong>de</strong>s villages <strong>de</strong> son bailliage<br />

que l’on a cherché à compr<strong>en</strong>dre l’importance <strong>de</strong> cette éthique dans le quotidi<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

cette communauté et les règles tacites auxquelles elle répond. <strong>Les</strong> questions <strong>de</strong> la<br />

représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> l’honneur dans une population ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t composée<br />

d’artisans et <strong>de</strong> marchands est donc au cœur <strong>de</strong> la recherche qui a été m<strong>en</strong>ée.<br />

L’objectif a été <strong>de</strong> compr<strong>en</strong>dre les valeurs d’une société, ses co<strong>de</strong>s et les<br />

comportem<strong>en</strong>ts qui se rattach<strong>en</strong>t à un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t dont l’importance préoccupe<br />

chacun <strong>de</strong> ses membres.<br />

Sources<br />

Afin <strong>de</strong> m<strong>en</strong>er à bi<strong>en</strong> cette recherche, nous nous sommes ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t appuyé<br />

sur les sources judiciaires. Dans un premier temps, nous avons donc dépouillé dans<br />

la série B <strong>de</strong>s archives départem<strong>en</strong>tales du Territoire <strong>de</strong> Belfort tous les actes dits<br />

« actes <strong>de</strong> réparation d’honneur ». Ces 53 actes provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

seigneurie du Val <strong>de</strong> Rosemont (68% <strong>de</strong>s actes). Par ailleurs, il y avait 4 actes <strong>de</strong><br />

réparation d’honneur dans <strong>de</strong>s conductions <strong>en</strong> feuille, classées dans la série E <strong>de</strong>s<br />

actes notariés. Rédigé par le greffier, l’acte <strong>de</strong> réparation d’honneur est codifié, la<br />

procédure étant toujours id<strong>en</strong>tique : l’accusé doit dire <strong>de</strong>vant témoins, ou écrire sur<br />

un acte notarié, qu’il reconnaît l’homme qu’il a injurié pour « homme <strong>de</strong> bi<strong>en</strong> et<br />

d’honneur » et qu’il se rep<strong>en</strong>t d’avoir terni sa réputation. Selon l’acte, les<br />

r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts apportés vari<strong>en</strong>t : le sexe et le lieu <strong>de</strong> résid<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s acteurs sont <strong>de</strong>s<br />

élém<strong>en</strong>ts toujours prés<strong>en</strong>ts au début <strong>de</strong> l’acte ; certains peuv<strong>en</strong>t aussi m<strong>en</strong>tionner la<br />

profession <strong>de</strong>s parties, leur situation familiale, le lieu du conflit et son contexte, les<br />

termes utilisés, les justifications apportées par l’accusé, les am<strong>en</strong><strong>de</strong>s infligées, etc.<br />

Ensuite, nous avons étudié les registres d’audi<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux tribunaux différ<strong>en</strong>ts :<br />

ceux du bailliage et ceux du Magistrat et <strong>de</strong> la Prévôté <strong>de</strong> la ville (compr<strong>en</strong>ant les<br />

audi<strong>en</strong>ces du jeudi et celles dites du samedi). Nous avons relevé toutes les affaires<br />

où le plaignant <strong>de</strong>man<strong>de</strong> explicitem<strong>en</strong>t réparation d’honneur, ainsi que les affaires<br />

dans lesquelles il est <strong>de</strong>mandé que l’accusé soit reconnu père <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>fant <strong>de</strong> la<br />

plaignante . En effet, les plaintes <strong>de</strong>s femmes ayant mis au mon<strong>de</strong> un <strong>en</strong>fant<br />

illégitime et réclamant la reconnaissance du père <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>fant s’inscriv<strong>en</strong>t directem<strong>en</strong>t<br />

au cœur <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> l’honneur féminin. Ces audi<strong>en</strong>ces relèv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

procédure accusatoire. Lors <strong>de</strong>s audi<strong>en</strong>ces publiques le juge a un rôle passif, les<br />

parties doiv<strong>en</strong>t produire <strong>de</strong>s preuves, faire auditionner <strong>de</strong>s témoins. Souv<strong>en</strong>t la<br />

s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce est r<strong>en</strong>due le jour même. La série B étant très abondante, il a fallu procé<strong>de</strong>r<br />

par sondage. Nous avons décidé <strong>de</strong> traiter la fin du XVIIème siècle car à cette<br />

pério<strong>de</strong> la population semble être particulièrem<strong>en</strong>t procédurière et nous disposons<br />

<strong>de</strong> nombreuses affaires ; nous avons donc traité la pério<strong>de</strong> 1690/1694, pério<strong>de</strong><br />

d’ailleurs où les registres <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t plus complets et cohér<strong>en</strong>ts. Ensuite ces<br />

audi<strong>en</strong>ces ont fait l’objet d’une étu<strong>de</strong> par tranche <strong>de</strong> 25 ans afin <strong>de</strong> disposer d’un<br />

fond cohér<strong>en</strong>t et assez représ<strong>en</strong>tatif ; ont donc été dépouillées les années<br />

62


63<br />

1720/1724, 1750/1754, 1780/1784. <strong>Les</strong> années 1770/1774 étant <strong>de</strong>s années où la<br />

société française accuse une forte crise si l’on <strong>en</strong> juge par l’évolution <strong>de</strong> la<br />

criminalité dans plusieurs provinces du royaume. Nous avons aussi dépouillé cette<br />

pério<strong>de</strong> afin <strong>de</strong> vérifier si une évolution analogue se produit dans le comportem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s Belfortains. Enfin, ces audi<strong>en</strong>ces ont été dépouillées sur une durée <strong>de</strong> cinq<br />

années car les registres ne sont pas toujours complets et les affaires peuv<strong>en</strong>t se<br />

prolonger sur un peu plus d’une année. Ces audi<strong>en</strong>ces constitu<strong>en</strong>t finalem<strong>en</strong>t un<br />

corpus <strong>de</strong> 249 affaires. A ce corpus il faut ajouter une feuille volante <strong>de</strong> 1786<br />

trouvée dans les pièces <strong>de</strong> procédures diverses qui est une plainte, prononcée par un<br />

avocat, suivie d’une s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce immédiate <strong>de</strong>vant les prévôt et Magistrat <strong>de</strong> Belfort,<br />

docum<strong>en</strong>t qui aurait donc pu se trouver dans un registre d’audi<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la ville.<br />

Enfin, aux archives municipales <strong>de</strong> Belfort nous avons relevé <strong>de</strong>ux affaires<br />

d’infantici<strong>de</strong> dans la série FF. On dispose pour ces affaires <strong>de</strong> 1688 et <strong>de</strong> 1689, <strong>de</strong><br />

la procédure inquisitoire complète : l’information, la mise <strong>en</strong> accusation,<br />

l’interrogatoire, le recollem<strong>en</strong>t, la confrontation et le jugem<strong>en</strong>t. Il n’a pas été<br />

possible <strong>de</strong> retrouver la trace d’affaires criminelles <strong>de</strong> ce type pour le XVIIIème<br />

siècle puisque ces <strong>de</strong>rnières relèv<strong>en</strong>t du Conseil Souverain d’<strong>Alsace</strong> qui siège alors à<br />

Colmar.<br />

Métho<strong>de</strong><br />

Ce corpus <strong>de</strong> sources (304 affaires d’honneur et 2 procès pour infantici<strong>de</strong>) a été<br />

d’abord soumis aux métho<strong>de</strong>s quantitatives. <strong>Les</strong> sources, aussi précieuses soi<strong>en</strong>telles,<br />

prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s lacunes et <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t incomplètes. <strong>Les</strong> statistiques tirées <strong>de</strong> ces<br />

sources doiv<strong>en</strong>t donc être considérées comme <strong>de</strong>s indications, l’étu<strong>de</strong> m<strong>en</strong>ée ne<br />

pouvant prét<strong>en</strong>dre à l’exhaustivité. De plus, tous les conflits liés à l’honneur n’ont<br />

pas été portés <strong>de</strong>vant un tribunal. Nombre d’<strong>en</strong>tre eux <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t se régler par <strong>de</strong>s<br />

arrangem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>tre particuliers ou par la viol<strong>en</strong>ce… <strong>Les</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong>s<br />

conflits rest<strong>en</strong>t difficiles à cerner dans cette étu<strong>de</strong> : les conclusions exig<strong>en</strong>t donc<br />

d’être tirées avec prud<strong>en</strong>ce.<br />

A cette recherche quantitative s’ajoute une approche qualitative qui permet <strong>de</strong><br />

mieux nous rapprocher <strong>de</strong>s protagonistes. En effet, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la statistique qui<br />

consiste à niveler les comportem<strong>en</strong>ts, il s’agit d’apprécier l’unicité, l’originalité et<br />

l’intérêt <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong> ces affaires <strong>de</strong> la fin du XVIIème siècle à la veille <strong>de</strong> la<br />

Révolution Française.<br />

Etu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la notion d’honneur<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cette notion d’honneur à partir <strong>de</strong>s affaires judiciaires, amène à<br />

définir cette valeur complexe, sa violation ainsi que les différ<strong>en</strong>tes formes <strong>de</strong><br />

l’affront. Puis, il est ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> réfléchir à la codification du vocabulaire <strong>de</strong> l’injure<br />

ainsi qu’aux particularités sociologiques qui s’y rattach<strong>en</strong>t. Enfin, nous avons traité


<strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>ts moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> déf<strong>en</strong>se dont dispose la société afin <strong>de</strong> rétablir un honneur<br />

fragilisé.<br />

Dim<strong>en</strong>sion sociale<br />

Il ressort <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> plusieurs points ess<strong>en</strong>tiels dont notamm<strong>en</strong>t la dim<strong>en</strong>sion<br />

sociale <strong>de</strong> l’honneur. Il apparaît <strong>en</strong> effet que l’éthique <strong>de</strong> l’honneur est une<br />

composante sociale soli<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t ancrée dans les m<strong>en</strong>talités et ce, même dans une<br />

petite communauté qui se compose uniquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> personnes non nobles. Nous<br />

avons démontré à travers les sources que l’honneur n’est pas lié à la naissance mais à<br />

un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> dignité inhér<strong>en</strong>t à chaque individu. Il révèle une certaine <strong>en</strong>vie<br />

d’être reconnu et <strong>de</strong> se faire respecter. L’honneur dép<strong>en</strong>d avant tout du regard <strong>de</strong>s<br />

autres, <strong>de</strong> l’estime qui est portée par les autres membres <strong>de</strong> la communauté :<br />

l’honneur est un li<strong>en</strong> humain. C’est un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qui permet d’exister. Ces<br />

hommes et femmes, qu’ils soi<strong>en</strong>t artisans, domestiques ou autre, se s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t investis<br />

d’un bi<strong>en</strong> qu’ils doiv<strong>en</strong>t préserver <strong>de</strong> la moindre atteinte car déf<strong>en</strong>dre son honneur<br />

est un <strong>de</strong>voir. En effet la perte <strong>de</strong> l’honneur symbolise la perte <strong>de</strong> la vie sociale et <strong>de</strong><br />

toute considération. La déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> l’honneur est égalem<strong>en</strong>t ess<strong>en</strong>tielle car elle<br />

n’<strong>en</strong>gage pas seulem<strong>en</strong>t celui qui a été l’objet d’un affront. En effet, et c’est là un<br />

autre point ess<strong>en</strong>tiel, l’honneur a une dim<strong>en</strong>sion collective. C’est un cim<strong>en</strong>t<br />

communautaire et non une valeur strictem<strong>en</strong>t individuelle. Le plus souv<strong>en</strong>t cette<br />

dim<strong>en</strong>sion collective se reflète dans le symbole du sang et du nom, c’est-à-dire <strong>de</strong> la<br />

famille.<br />

Le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’honneur<br />

S’il n’existe pas <strong>de</strong> co<strong>de</strong> écrit <strong>de</strong> l’honneur <strong>en</strong> France, il n’<strong>en</strong> n’existe pas moins<br />

une véritable codification implicite connue <strong>de</strong> tous. Dans les affaires d’honneur, on<br />

relève toujours l’importance et la force <strong>de</strong> la parole. La parole provoque, humilie,<br />

salit, agresse. Elle règne et chacun se trouve <strong>en</strong> situation <strong>de</strong> vulnérabilité face à elle ;<br />

les honneurs et déshonneurs se font et se défont au gré <strong>de</strong> ces mots et <strong>de</strong> ces<br />

rumeurs. La parole est créatrice mais aussi <strong>de</strong>structrice, elle dirige les opinions, elle<br />

accor<strong>de</strong> l’estime, la considération, tout comme elle peut les salir ou les annihiler. Il<br />

faut souligner égalem<strong>en</strong>t l’importance du lieu <strong>de</strong> l’affront, car plus celui-ci est<br />

public (comme le cabaret), et plus l’affront est inacceptable. En effet, si l’affront est<br />

public, l’injurié doit déf<strong>en</strong>dre son honneur, faire preuve <strong>de</strong> courage et oser se<br />

mesurer à celui qui vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> le provoquer : sinon il est mis à l’écart <strong>de</strong> la<br />

communauté car un rapport <strong>de</strong> supériorité s’est alors imposé à ses dép<strong>en</strong>s.<br />

L’honneur et le sexe<br />

A partir <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la codification <strong>de</strong> l’injure, nous avons constaté un champ<br />

lexical propre à chaque sexe. En effet, l’honneur, qu’il soit au masculin ou au<br />

féminin se conjugue différemm<strong>en</strong>t. L’honneur <strong>de</strong>s femmes est lié au foyer et à<br />

64


65<br />

l’intimité, principalem<strong>en</strong>t à leur vie sexuelle. Cet honneur féminin ti<strong>en</strong>t un rôle<br />

ess<strong>en</strong>tiel car il est la clef <strong>de</strong> l’honneur <strong>de</strong> toute une famille ; l’honneur <strong>de</strong>s hommes<br />

dép<strong>en</strong>d donc du comportem<strong>en</strong>t vertueux <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> leur famille dont ils sont<br />

responsables. L’honneur d’un homme est quant à lui surtout lié à sa vie<br />

professionnelle ou à sa vie économique et matérielle. Cette différ<strong>en</strong>ciation repr<strong>en</strong>d<br />

le rôle <strong>de</strong> chacun dans la communauté : la femme s’occupe du foyer et <strong>de</strong> la<br />

procréation, elle doit être vertueuse ; l’homme, qui est am<strong>en</strong>é à une vie sociale plus<br />

large par ses activités tournées à l’extérieur, se doit d’être honnête et fidèle à la<br />

parole donnée.<br />

La déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> l’honneur<br />

Déf<strong>en</strong>dre son honneur est une préoccupation majeure qui impose une vigilance<br />

<strong>de</strong> tous les instants à chaque membre <strong>de</strong> la communauté. La déf<strong>en</strong>se d’un honneur<br />

mis <strong>en</strong> danger a pour objectif le rétablissem<strong>en</strong>t d’un équilibre social qui a été<br />

perturbé. Le dédommagem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la victime vise donc à la réintégrer dans la<br />

communauté. <strong>Les</strong> procédés utilisés pour déf<strong>en</strong>dre son honneur sont divers mais le<br />

rôle <strong>de</strong> la parole reste là <strong>en</strong>core ess<strong>en</strong>tiel, les excuses publiques étant le moy<strong>en</strong> le<br />

plus fréquemm<strong>en</strong>t utilisé. Le recours aux instances judiciaires représ<strong>en</strong>te <strong>en</strong> général<br />

un <strong>de</strong>rnier recours lorsque toute t<strong>en</strong>tative <strong>de</strong> règlem<strong>en</strong>t du conflit a auparavant<br />

échoué. La justice, par ses s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ces, semble rechercher l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te et la conciliation et<br />

non la v<strong>en</strong>geance : solutions d’ailleurs les mieux adaptées à ses moy<strong>en</strong>s limités.<br />

Résultats<br />

<strong>Les</strong> résultats <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> ne sont que partiels,. Il serait nécessaire <strong>de</strong><br />

poursuivre cette recherche dans les archives notariales et ecclésiastiques afin d’y<br />

rechercher les traces <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> tels conflits. Il peut être tout aussi intéressant<br />

d’effectuer une même étu<strong>de</strong> dans une pério<strong>de</strong> différ<strong>en</strong>te afin <strong>de</strong> mieux cerner<br />

l’évolution <strong>de</strong> ce s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> dignité.<br />

Entre le XVIème et le XVIIIème siècle, on observerait ainsi l’évolution d’une<br />

valeur sociale qui a d’abord été une vertu, caractérisée par la capacité <strong>de</strong> se<br />

conformer à <strong>de</strong>s usages, à <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t et qui est définitivem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue, dans l’affaiblissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s contrôles sociaux sur les individus, un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />

que l’on a <strong>de</strong> son propre mérite face au jugem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sa consci<strong>en</strong>ce.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Alain J ; Lemaître


Samuel NOTARO<br />

Sorcellerie et représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la nature d’après les procès<br />

publiés<br />

Depuis les lointaines étu<strong>de</strong>s sur la sorcellerie <strong>de</strong> Jules Michelet 1 et d’Auguste<br />

Stoeber 2 pour le cas spécifique alsaci<strong>en</strong>, on ne compte plus les publications relatives<br />

à la sorcellerie. <strong>Les</strong> procès <strong>de</strong> sorcellerie alsaci<strong>en</strong>s, qui ont fait l’objet d’étu<strong>de</strong>s<br />

générales dans la <strong>de</strong>uxième partie du XIXe siècle 3 , regorg<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core d’élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />

la m<strong>en</strong>talité et <strong>de</strong> la vie quotidi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>s hommes du XVIe et du XVIIe siècles.<br />

Etudier les procès <strong>de</strong> sorcellerie publiés sous l’angle <strong>de</strong> la représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la nature<br />

revêtira donc un double intérêt : inciter à une relecture <strong>de</strong>s sources (<strong>en</strong> faisant<br />

moins l’histoire du mécanisme <strong>de</strong> sorcellerie que celle <strong>de</strong> la sorcière, c’est à dire<br />

l’étu<strong>de</strong> du contexte et du cadre <strong>de</strong> vie où vit cette <strong>de</strong>rnière…) et dresser un tableau<br />

actuel <strong>de</strong>s diverses publications <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> (<strong>de</strong>puis Reuss, pas d’étu<strong>de</strong> à l’échelle<br />

régionale mais <strong>de</strong>s monographies locales…)<br />

<strong>Les</strong> procès, qui eur<strong>en</strong>t lieu <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> aux XVI ème et XVII ème siècles, serviront<br />

donc <strong>de</strong> base à une réflexion plus globale sur un aspect qui n’est pas propre au<br />

mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la sorcellerie : la nature. Dans une région ravagée à cette époque par la<br />

rigueur du climat, la guerre <strong>de</strong> Tr<strong>en</strong>te Ans, les épidémies et autres crises <strong>de</strong><br />

subsistances, la nature peut jouer un rôle c<strong>en</strong>tral dans la vie <strong>de</strong> tous les jours : les<br />

récoltes ou le bois <strong>de</strong>s forêts, qui permet <strong>de</strong> se chauffer, <strong>en</strong> sont les principaux<br />

exemples.<br />

1 Jules MICHELET, La Sorcière, Paris, 1966.<br />

2 Auguste STOEBER, „Die Hex<strong>en</strong>prozesse in Elsass, beson<strong>de</strong>rs im 16. und im Anfange<br />

<strong>de</strong>s 17.Jahrhun<strong>de</strong>rts“, dans Alsatia, Jahrbuch für elsassicher Geschichte..., Mulhouse,<br />

1856-1857, p.285-338.<br />

3 Elles sont <strong>de</strong>ux, l’une <strong>en</strong> allemand et l’autre <strong>en</strong> français et rest<strong>en</strong>t les seules monographies<br />

complètes sur le sujet à ce jour : cf. Auguste STOEBER, op. cit. et Rodolphe REUSS, La<br />

sorcellerie au XVIe et au XVIIe siècle particulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>, d'après <strong>de</strong>s docum<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> partie<br />

inédits, éd. du Rhin, Steinbrunn-le-Haut, 1987.


68<br />

<strong>Les</strong> concepts <strong>de</strong> « nature » et <strong>de</strong> « représ<strong>en</strong>tation »<br />

Précisons d’abord ce que l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par le terme <strong>de</strong> « nature ». L’opposition<br />

par rapport à l’homme et son action peut être intéressante, le naturel étant dans ce<br />

cas tout ce qui n’est pas maîtrisé et transformé par l’homme. Or exclure les<br />

élém<strong>en</strong>ts naturels issus <strong>de</strong>s activités agricoles, et d’une manière générale toutes les<br />

ressources que l’homme peut maîtriser à cette époque, conduirait à ne traiter qu’une<br />

partie du problème.<br />

La nature peut alors s’<strong>en</strong>visager comme l’<strong>en</strong>semble du mon<strong>de</strong> physique, et donc<br />

<strong>en</strong> trois dim<strong>en</strong>sions : terrestre, sous-terrain et aéri<strong>en</strong>. Entr<strong>en</strong>t donc dans cette<br />

acception toutes les formes naturelles liées au mon<strong>de</strong> minéral, végétal et au climat.<br />

La sorcellerie serait, quant à elle, un moy<strong>en</strong> pour maîtriser la nature élém<strong>en</strong>taire.<br />

Est-il possible <strong>de</strong> définir le naturel par une opposition au surnaturel au travers <strong>de</strong><br />

simples procès ? Le terme <strong>de</strong> « représ<strong>en</strong>tation » vise à souligner le rôle d’une<br />

certaine conception <strong>de</strong> la nature dans ce mécanisme <strong>de</strong> sorcellerie, conception qui<br />

peut s’observer selon différ<strong>en</strong>tes approches.<br />

La lecture simple <strong>de</strong>s procès fait apparaître une frontière très mince <strong>en</strong>tre<br />

naturel et surnaturel et permet <strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> lumière une vision totalem<strong>en</strong>t<br />

différ<strong>en</strong>te <strong>de</strong> celle d’aujourd’hui. Cette vision pose, dans un second temps, un<br />

certain nombre <strong>de</strong> questions sous-jac<strong>en</strong>tes : la sorcellerie serait-elle une explication<br />

<strong>de</strong>s phénomènes qui sort<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’ordinaire ? Cela pose le problème <strong>de</strong>s<br />

connaissances sur la nature à l’époque mo<strong>de</strong>rne. Est-ce la vision d’une élite<br />

intellectuelle proche <strong>de</strong> l’Eglise ou une véritable conception populaire que l’on<br />

retrouve dans ces docum<strong>en</strong>ts ? Vouloir à tout prix se limiter à une question, dont<br />

on connaît déjà la réponse, paraît cep<strong>en</strong>dant une erreur : Robert Muchembled<br />

n’écrit-il pas que « l’univers m<strong>en</strong>tal <strong>de</strong>s hommes du XVI eme siècle ne laissait aucune<br />

place au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l’impossible, pas plus qu’à une distinction claire <strong>en</strong>tre le naturel et<br />

ce que nous appelons le surnaturel » 1 . L’intérêt rési<strong>de</strong>rait alors davantage dans la<br />

t<strong>en</strong>tative d’id<strong>en</strong>tification <strong>de</strong>s origines <strong>de</strong> ces conceptions « naturelles » et pose tout<br />

le problème <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s croyances, surtout lorsque l’on observe une<br />

focalisation <strong>de</strong> la nature autour <strong>de</strong> la personne du diable. Elém<strong>en</strong>ts savants à mettre<br />

au compte notamm<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s juges inquisiteurs, eux-mêmes influ<strong>en</strong>cés par les<br />

démonologues, (mais pas seulem<strong>en</strong>t, comme le montr<strong>en</strong>t les idées sur la<br />

désacralisation <strong>de</strong> la nature, germées dans l’esprit <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins) et traits <strong>de</strong><br />

m<strong>en</strong>talités propres aux campagnes alsaci<strong>en</strong>nes, témoins d’une époque autorisant <strong>de</strong><br />

tels débor<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts judiciaires ; la tâche visant à démêler ces <strong>de</strong>ux visions s’avère<br />

difficile, sinon impossible quand on se souvi<strong>en</strong>t que les auditions et les<br />

1 Cf. Robert MUCHEMBLED, Une histoire du diable. XIIe- XXe siècles, éd. du<br />

Seuil, Paris, 2000, p.109. L’auteur r<strong>en</strong>voie quant à lui à l’ouvrage <strong>de</strong> Luci<strong>en</strong><br />

FEBVRE, Le problème <strong>de</strong> l’incroyance au 16ème siècle. La religion <strong>de</strong> Rabelais, Paris,<br />

Albin Michel, 1968, p.407.[1ère éd. 1942].


69<br />

interrogatoires ne sont pas transcrits « <strong>en</strong> direct ». Ils font souv<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> effet, l’objet<br />

d’une reformulation par l’ag<strong>en</strong>t à la sol<strong>de</strong> <strong>de</strong>s juges quelques jours plus tard, d’où<br />

un certain décalage possible, voire probable, <strong>en</strong>tre ce qui a réellem<strong>en</strong>t été dit au<br />

cours <strong>de</strong> ces procès et les textes qui nous sont parv<strong>en</strong>us, parfois déformés <strong>de</strong> surcroît<br />

par les sources mises à contribution.<br />

Des sources tronquées<br />

Ce travail se fon<strong>de</strong> sur les transcriptions et étu<strong>de</strong>s déjà parues sur la sorcellerie<br />

alsaci<strong>en</strong>ne, du fait <strong>de</strong> la difficulté d’appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r les sources originales <strong>en</strong> allemand,<br />

écrites <strong>en</strong> cursive gothique et manuscrites <strong>de</strong> surcroît. Quand cela est précisé, le<br />

r<strong>en</strong>voi aux sources originales est toutefois indiqué afin <strong>de</strong> faciliter la tâche <strong>de</strong> futures<br />

recherches.<br />

Le panel <strong>de</strong> sources s’ét<strong>en</strong>d sur une cinquantaine <strong>de</strong> procès retranscrits et vingt<strong>de</strong>ux<br />

étu<strong>de</strong>s sur <strong>de</strong>s cas locaux <strong>de</strong> sorcellerie <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>, datés, pour l’<strong>en</strong>semble, <strong>de</strong><br />

1571 à 1683. Distinguons les transcriptions <strong>de</strong> procès originaux qui permett<strong>en</strong>t<br />

d’appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r la véritable t<strong>en</strong>eur <strong>de</strong>s docum<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s ne r<strong>en</strong>dant pas<br />

forcém<strong>en</strong>t compte <strong>de</strong> la formulation exacte <strong>de</strong>s propos.<br />

En effet l’échantillon <strong>de</strong> transcriptions 1 s’ét<strong>en</strong>d sur cinquante-quatre procédures<br />

assez bi<strong>en</strong> réparties sur l’<strong>en</strong>semble du territoire alsaci<strong>en</strong>. Signalons aussi l’apport<br />

important d’Auguste Stöber <strong>en</strong> la matière, par ses quelques dix-huit transcriptions<br />

<strong>de</strong> procès. Ces transcriptions sont, bi<strong>en</strong> sûr, inégales : certaines ne livr<strong>en</strong>t que la<br />

condamnation, ce qui dans le cadre <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> n’est pas très intéressant.<br />

D’autres n’indiqu<strong>en</strong>t que les aveux ou au mieux les interrogatoires s’y rapportant.<br />

<strong>Les</strong> plus intéressants sont bi<strong>en</strong> sûr ceux qui repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la procédure complète :<br />

dénonciations, témoignages, interrogatoires, aveux et verdict. Or la t<strong>en</strong>eur <strong>de</strong> ces<br />

transcriptions n’est pas seulem<strong>en</strong>t due à la qualité <strong>de</strong>s travaux proposés, mais aussi<br />

et surtout à ce qu’il subsiste <strong>de</strong>s docum<strong>en</strong>ts originaux. <strong>Les</strong> exemples les plus fournis<br />

<strong>en</strong> la matière, outre les procès du val <strong>de</strong> Lièpvre sont ceux rapportés par Edmond<br />

Bapst dans l’annexe <strong>de</strong> son ouvrage sur les sorcières <strong>de</strong> Bergheim. <strong>Les</strong> travaux <strong>de</strong><br />

Maurice Boesch pour Ingersheim, Wilhem Beemelmans pour Ensisheim, François<br />

Lechner pour Hagu<strong>en</strong>au et d’Auguste Stöber pour l’<strong>Alsace</strong> <strong>en</strong> général comport<strong>en</strong>t<br />

égalem<strong>en</strong>t une multitu<strong>de</strong> d’élém<strong>en</strong>ts dignes d’intérêt.<br />

S’agissant <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s ne prés<strong>en</strong>tant pas <strong>de</strong> transcriptions directes <strong>de</strong>s procès,<br />

l’anci<strong>en</strong>ne analyse d’Edmond Bapst <strong>de</strong> la sorcellerie à Bergheim (1929) <strong>de</strong>meure<br />

une référ<strong>en</strong>ce pour la mine d’informations qu’elle conti<strong>en</strong>t, puisée dans une<br />

tr<strong>en</strong>taine <strong>de</strong> procès <strong>de</strong> 1582 à 1673. Parmi les vingt-<strong>de</strong>ux étu<strong>de</strong>s prises <strong>en</strong> compte,<br />

les exemples <strong>de</strong> la sorcellerie hagu<strong>en</strong>ovi<strong>en</strong>ne et les analyses effectuées par Yvette<br />

Beck pour la moy<strong>en</strong>ne <strong>Alsace</strong>, Marc Brignon pour le pays <strong>de</strong> Salm, Louis Schlaefli<br />

1 Maryse SIMON, <strong>Les</strong> affaires <strong>de</strong> sorcellerie dans le Val <strong>de</strong> Liepvre (XVIè-XVIIè siècle,<br />

Thèse nouveau régime, Strasbourg 2003.


pour la région <strong>de</strong> Molsheim ou Jean-Michel Boehler pour la région d’Obernai<br />

permett<strong>en</strong>t une assez bonne représ<strong>en</strong>tation géographique pour le Bas-Rhin.<br />

S’agissant du Haut-Rhin, Guebwiller, Niffer ou Riquewihr complèt<strong>en</strong>t le champ<br />

d’étu<strong>de</strong> déjà occupé par le val <strong>de</strong> Villé.<br />

Ce préambule pourra expliquer les év<strong>en</strong>tuels oublis, déformations et<br />

inexactitu<strong>de</strong>s par rapport aux docum<strong>en</strong>ts originaux ; il peut égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> résulter<br />

<strong>de</strong>s déséquilibres (sur-représ<strong>en</strong>tation ou sous-représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> tel ou tel élém<strong>en</strong>t,<br />

notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce qui concerne le val <strong>de</strong> Lièpvre). L’échantillon ret<strong>en</strong>u ne pourra<br />

donc proposer ni une lecture quantitative détaillée, ni une étu<strong>de</strong> lexicale exhaustive,<br />

certaines étu<strong>de</strong>s ne r<strong>en</strong>dant pas forcém<strong>en</strong>t compte <strong>de</strong>s termes exacts rec<strong>en</strong>sés dans<br />

les originaux <strong>de</strong>s procès.<br />

70<br />

La vision <strong>de</strong> la nature : neutre ou agissante ?<br />

Comm<strong>en</strong>t donc <strong>en</strong>visager la nature au travers <strong>de</strong>s procès <strong>de</strong> sorcellerie alsaci<strong>en</strong>s ?<br />

La métho<strong>de</strong> la plus simple et la plus cohér<strong>en</strong>te sera <strong>de</strong> suivre le cheminem<strong>en</strong>t<br />

chronologique du procès.<br />

La nature semble toujours se manifester au départ par une certaine neutralité,<br />

teintée toutefois d’un soupçon <strong>de</strong> crainte : c’est notamm<strong>en</strong>t le cas du lieu <strong>de</strong><br />

r<strong>en</strong>contre avec le diable. Le premier contact se déroule presque toujours dans un<br />

lieu isolé ayant pour cadre la nature : la forêt, le pré, le chemin, la grotte sont ainsi<br />

énumérés <strong>de</strong> même que le champ, la vigne ou le jardin. Or, loin d’être<br />

systématique, l’évocation <strong>de</strong> la nature peut être une simple toile <strong>de</strong> fond, dénuée <strong>de</strong><br />

connotation maléfique ou bénéfique. S’agissant <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> sabbat, il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

noter l’extrême diversité <strong>de</strong> ces lieux <strong>de</strong> réunion : si l’échantillon ne permet pas<br />

l’exhaustivité, on dénombre, à partir <strong>de</strong> ce panel, 185 <strong>en</strong>droits différ<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong><br />

et 203 si l’on compte les lieux <strong>de</strong> sabbat lorrains et allemands. La plupart du temps,<br />

cette nature est marquée par son altitu<strong>de</strong> relative face au village (ex.: Boll<strong>en</strong>berg,<br />

Schneeberg, Bastberg, etc.). Elle peut être égalem<strong>en</strong>t une forêt, un pré, un<br />

marécage, mais n’est jamais très éloignée du théâtre <strong>de</strong>s méfaits <strong>de</strong> la sorcière. Mais<br />

pourquoi ces lieux plutôt que d’autres ? Répondre à cette question est assez difficile,<br />

c’est t<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> dresser les principales caractéristiques <strong>de</strong> ces lieux, moy<strong>en</strong>nant un<br />

brassage d’élém<strong>en</strong>ts empruntés à une culture pagano-chréti<strong>en</strong>ne combinée à la<br />

consci<strong>en</strong>ce d’une nature non maîtrisée. Au travers <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> sabbat, on saisit donc<br />

un rapport à l’espace totalem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> nos jours.<br />

D’autres élém<strong>en</strong>ts (le champ, la forêt, l’eau et les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> locomotion pour<br />

aller au sabbat) sont à ranger dans cette thématique d’une nature neutre, ouverte<br />

cep<strong>en</strong>dant sur <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s inconnus. Il convi<strong>en</strong>t là <strong>de</strong> distinguer les champs et<br />

forêts liés à la r<strong>en</strong>contre ou le sabbat et ceux qui sont extérieurs au mécanisme <strong>de</strong> la<br />

sorcellerie puisque leurs « attributs m<strong>en</strong>taux » diffèr<strong>en</strong>t quelque peu. En d’autres<br />

termes, par <strong>de</strong>s exemples précis, on voit que la nature, au départ relativem<strong>en</strong>t<br />

maîtrisée, peut vite se transformer <strong>en</strong> une nature exceptionnelle ouverte sur


71<br />

l’imaginaire et l’extraordinaire par <strong>de</strong>s facteurs propices à ce mécanisme <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée :<br />

l’obscurité, la voie aéri<strong>en</strong>ne (qui à l’époque relève <strong>en</strong>core du fantasme), la liturgie<br />

chréti<strong>en</strong>ne et autres superstitions populaires sont <strong>de</strong>s données à ne pas négliger.<br />

L’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong> scène diabolique marque une rupture ess<strong>en</strong>tielle <strong>de</strong> la vision <strong>de</strong> la<br />

nature, qui paraît subordonnée totalem<strong>en</strong>t à la volonté du diable. Ce <strong>de</strong>rnier, dont<br />

les représ<strong>en</strong>tations diverses et variées ont été étudiées par ailleurs 1 (6), comporte un<br />

certain nombre d’attributs <strong>en</strong> li<strong>en</strong> avec la nature : sa principale caractéristique est<br />

d’être assimilé au v<strong>en</strong>t, parfois affublé <strong>de</strong> l’adjectif peu louable <strong>de</strong> « mauvais », qui<br />

peut éclairer à certains égards les conceptions médicales et symboliques <strong>de</strong> l’époque.<br />

Une autre caractéristique du diable est sa «nature froi<strong>de</strong>». Inclure cette donnée peut<br />

prêter à discussion puisqu’il est fait référ<strong>en</strong>ce davantage aux attributs sexuels du<br />

Malin qu’à un quelconque li<strong>en</strong> avec la nature elle-même. Or le fait que non<br />

seulem<strong>en</strong>t le diable puisse avoir une action sur le climat (gel <strong>de</strong>s récoltes, etc…),<br />

mais aussi et surtout que son apparition aille, dans certains procès, <strong>de</strong> pair avec un<br />

refroidissem<strong>en</strong>t manifeste <strong>de</strong> l’espace, on peut légitimem<strong>en</strong>t se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si le froid<br />

n’est pas une caractéristique diabolique. D’autres représ<strong>en</strong>tations <strong>en</strong> li<strong>en</strong> avec la<br />

nature peuv<strong>en</strong>t être relevées, le diable peut ainsi être décrit comme un vieux tronc<br />

d’arbre ou une colonne <strong>de</strong> fumée, avoir une langue <strong>de</strong> feu…<br />

Or si le diable est parfois assimilé à la nature, intégrée à la personnalité<br />

diabolique, cette <strong>de</strong>rnière reste souv<strong>en</strong>t perçue comme un simple instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ses<br />

méfaits, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s le Malin <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t « prince <strong>de</strong> la Nature ». Cette action s’opère<br />

selon diverses modalités : le climat peut changer ( à la différ<strong>en</strong>ce du maléfice <strong>de</strong>s<br />

sorcières, nul besoin <strong>de</strong> potion, ongu<strong>en</strong>t ou autre recours à la magie ou quelque<br />

invocation que ce soit). D’autre part cette action sur le climat peut s’opérer à<br />

n’importe quel mom<strong>en</strong>t (contrairem<strong>en</strong>t à la sorcière qui réalise ses méfaits souv<strong>en</strong>t<br />

après le sabbat ). <strong>Les</strong> particularités <strong>de</strong> certains lieux peuv<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t être<br />

désignés par leur origine diabolique : un trou dans la roche, « un bois pourri »…<br />

Enfin la nature est étroitem<strong>en</strong>t liée au Malin lors du sabbat, avec d’une part les<br />

élém<strong>en</strong>ts qui <strong>en</strong>treront dans la composition <strong>de</strong>s ongu<strong>en</strong>ts et potions <strong>de</strong> la sorcière<br />

(dans lesquels la nature, omniprés<strong>en</strong>te et subordonnée au diable, revêt une charge<br />

magique Il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> distinguer <strong>en</strong>tre, d’une part, l’origine diabolique <strong>de</strong> ces<br />

ongu<strong>en</strong>ts, actifs <strong>en</strong> tant que tels quand le diable est là et, d’autre part, leur<br />

utilisation maléfique par la sorcière.<br />

Par ailleurs, la nature que revêt le diable est ce que nous appellerions une nature<br />

viciée : <strong>de</strong>s pommes avariées, du bois mort évoqu<strong>en</strong>t l’idée <strong>de</strong> mort <strong>en</strong>tourant la<br />

personnalité du diable et constitu<strong>en</strong>t l’inversion même du symbolisme chréti<strong>en</strong>,<br />

avec <strong>de</strong>s apports prov<strong>en</strong>ant d’autres croyances (cf. le dictionnaire comparé <strong>de</strong>s<br />

religions <strong>de</strong> Mircea Elia<strong>de</strong>). Ces élém<strong>en</strong>ts sont aussi révélateurs d’une ignorance et<br />

1 Voir Robert MUCHEMBLED , op. cit., et Maryse SIMON, « <strong>Les</strong> animaux du<br />

diable.Animalité et sorcellerie dans le Val <strong>de</strong> Liepvre (1570-1630) », Histoire et Sociétés<br />

rurales, 17, 2002, p. 63-89


d’une méconnaissance du mon<strong>de</strong> naturel, faisant la part belle au surnaturel et au<br />

merveilleux, chose qu’on retrouve dans l’évocation d’autres élém<strong>en</strong>ts postérieurs au<br />

sabbat.<br />

Le li<strong>en</strong> « criminel » <strong>en</strong>tre le diable et la sorcière (outre le délit sexuel) fait la part<br />

belle aux ressources naturelles. Il se concrétise par le faux arg<strong>en</strong>t (la bouse <strong>de</strong> vache,<br />

les feuilles mortes ou le crottin <strong>de</strong> cheval), les potions (qui ne sont pas livrées<br />

uniquem<strong>en</strong>t au sabbat contrairem<strong>en</strong>t à une idée reçue, où elles n’ont pas d’action<br />

surnaturelle) et la fameuse baguette magique (faite le plus souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> bois <strong>de</strong><br />

noisetier ou <strong>de</strong> coudrier et aux vertus magiques bi<strong>en</strong> connues, – même si on ne se<br />

r<strong>en</strong>d pas forcém<strong>en</strong>t au sabbat sur une baguette.).<br />

Après le passage du diable, la neutralité n’est plus <strong>de</strong> mise : la nature <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t<br />

agissante, soit <strong>de</strong> manière maléfique, comme le montr<strong>en</strong>t les nombreux méfaits <strong>de</strong>s<br />

sorcières, soit <strong>de</strong> manière bénéfique puisqu’elle peut aussi guérir. Comm<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>visager les méfaits <strong>de</strong>s sorcières <strong>en</strong> terme naturels ? Tout d’abord le moy<strong>en</strong> :<br />

l’ongu<strong>en</strong>t, quand il est détaillé est fait à base <strong>de</strong> plantes, <strong>de</strong> glands ou <strong>de</strong> racines<br />

(voire <strong>de</strong> sang ou d’urine), ou est souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> couleur verte, la couleur naturelle par<br />

excell<strong>en</strong>ce. Ensuite le maléfice principal, à savoir la production d’intempéries.<br />

Contrairem<strong>en</strong>t aux calamités climatiques diaboliques proprem<strong>en</strong>t dites, la sorcière<br />

doit préparer la grêle, le brouillard ou l’orage par d’étranges mixtures, composées<br />

d’ongu<strong>en</strong>ts, <strong>de</strong> feuilles d’arbres ou même d’<strong>en</strong>fants. Le climat, <strong>en</strong> proie aux forces<br />

surnaturelles (<strong>en</strong>tre l’« anticyclone divin » et la « dépression diabolique ») est un<br />

<strong>en</strong>jeu pour la sorcière qui t<strong>en</strong>d naturellem<strong>en</strong>t vers le maximum d’effet. Enfin une<br />

conséqu<strong>en</strong>ce directe <strong>de</strong> ces intempéries sur la nature se manifeste par l’atteinte aux<br />

bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong> la terre. En effet, l’un <strong>de</strong>s buts principaux <strong>de</strong> la production <strong>de</strong> mauvais<br />

temps est <strong>de</strong> nuire aux récoltes (la vigne et les arbres fruitiers principalem<strong>en</strong>t). Ici<br />

cette représ<strong>en</strong>tation du procès <strong>de</strong> sorcellerie traduit non seulem<strong>en</strong>t une<br />

méconnaissance <strong>de</strong>s choses du climat mais surtout une volonté d’explication (non<br />

rationnelle) marquée par la recherche d’un bouc-émissaire : la sorcière.<br />

Mais la nature n’a pas que <strong>de</strong>s attraits négatifs sous les mains <strong>de</strong> la sorcière :<br />

cette <strong>de</strong>rnière peut très facilem<strong>en</strong>t se muer <strong>en</strong> guérisseuse, aux moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> mélanges<br />

d’herbes ou <strong>de</strong> feuilles séchées (dont les variétés sont rarem<strong>en</strong>t ou incorrectem<strong>en</strong>t<br />

m<strong>en</strong>tionnées) qui r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t aux conceptions médicales <strong>de</strong> l’époque. La nature,<br />

vivier d’ingrédi<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> toutes sortes, exerce- t-elle, selon les conceptions <strong>de</strong> l’époque,<br />

une action véritable ou est-ce le charisme et la personnalité <strong>de</strong> la sorcière qui lui<br />

confère ces propriétés curatives ? <strong>Les</strong> qualités bénéfiques <strong>de</strong> certaines plantes comme<br />

le sureau (attesté dans un procès à Freland <strong>en</strong> 1619) sont connues <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>, mais<br />

l’emploi <strong>de</strong> certaines formules magiques, ou l’utilisation <strong>de</strong> rites étranges,<br />

soulign<strong>en</strong>t une utilisation plus magique que naturelle <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s.<br />

Cela conduit à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si une telle vision <strong>de</strong>s caractéristiques naturelles<br />

n’est pas simplem<strong>en</strong>t le fruit d’une méconnaissance sci<strong>en</strong>tifique générale dans les<br />

campagnes. L’idée que se font les contemporains <strong>de</strong>s plantes qui les <strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t peut<br />

conduire par exemple à l’absorption involontaire <strong>de</strong> drogues hallucinogènes, à<br />

72


73<br />

guérir ou à faire mourir. Outre les problèmes inévitables d’id<strong>en</strong>tification <strong>de</strong>s<br />

variétés, (qu’est ce que le « courion » ou la « chermeline » ?), existe- t-il <strong>de</strong>s plantes<br />

spécifiques à la sorcellerie alsaci<strong>en</strong>ne ? S’il <strong>en</strong> existait <strong>en</strong> général dans les traités<br />

savants (selon le mé<strong>de</strong>cin allemand Jean Wier ou d’autres), le datura, la ciguë, la<br />

belladone ou le pavot font une apparition plus qu’épisodique dans les procès<br />

alsaci<strong>en</strong>s, moins par leur abs<strong>en</strong>ce réelle que par la méconnaissance <strong>de</strong> leurs effets ou<br />

la crainte <strong>de</strong>s témoins qui risqu<strong>en</strong>t à leur tour d’être soupçonnés <strong>de</strong> les utiliser.<br />

Et si le rôle <strong>de</strong> la nature était ailleurs ? Et si tout ce mon<strong>de</strong> chargé d’emprunts<br />

fréqu<strong>en</strong>ts au surnaturel et au merveilleux n’était dû qu’aux hallucinations nées<br />

d’une consommation, plus ou moins involontaire (cf. les plantes hallucinogènes et<br />

leurs dérivés comme le seigle) que le fruit délibéré <strong>de</strong> s’éva<strong>de</strong>r du quotidi<strong>en</strong>, d’une<br />

certaine nature.<br />

Que conclure <strong>de</strong> tout cela ? S’il est souv<strong>en</strong>t difficile <strong>de</strong> saisir l’origine exacte <strong>de</strong><br />

ces différ<strong>en</strong>tes conceptions, faites d’élém<strong>en</strong>ts chréti<strong>en</strong>s (la volonté d’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s croyances est bi<strong>en</strong> prés<strong>en</strong>te par la représ<strong>en</strong>tation du diable) et <strong>de</strong> superstitions<br />

populaires traditionnelles ; ces élém<strong>en</strong>ts s’<strong>en</strong>tremêl<strong>en</strong>t malgré la volonté savante <strong>de</strong><br />

cristalliser les procès autour <strong>de</strong> la personne du diable et <strong>de</strong> la sorcière, et d’opérer <strong>de</strong><br />

fait une « désacralisation <strong>de</strong> la nature ». Ce résultat n’est d’ailleurs pas une<br />

spécificité alsaci<strong>en</strong>ne, on la retrouve dans d’autres régions <strong>de</strong> l’Empire et même à<br />

l’échelle europé<strong>en</strong>ne. D’ailleurs le morcellem<strong>en</strong>t politique alsaci<strong>en</strong> aux XVIe et<br />

XVIIè siècles ne semble pas avoir joué dans les représ<strong>en</strong>tations <strong>de</strong> la nature. On<br />

peut donc parler d’une culture occid<strong>en</strong>tale commune face au fait <strong>de</strong> sorcellerie.<br />

De là, on peut affirmer sans risque que ce type <strong>de</strong> conception <strong>de</strong> la nature est<br />

une donnée très importante dans l’exist<strong>en</strong>ce même du phénomène <strong>de</strong> sorcellerie. Le<br />

fait que les procès <strong>de</strong> sorcellerie <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t moins fréqu<strong>en</strong>ts dès les années 1640-<br />

1650 (1683 : <strong>de</strong>rnier procès <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>), soit bi<strong>en</strong> avant le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

météorologie, <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine «mo<strong>de</strong>rne» ou les progrès agricoles s<strong>en</strong>sibles <strong>de</strong>s XIXè<br />

et XXè siècles, ce qui montre que la représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la nature n’est pas le seul<br />

facteur m<strong>en</strong>tal qui conduit à la sorcellerie. En effet, comm<strong>en</strong>t concevoir la t<strong>en</strong>ue<br />

d’un procès <strong>de</strong> sorcellerie aujourd’hui, <strong>en</strong> accusant par exemple sa voisine qui vous<br />

aurait servi une tisane, avant que le village ne soit frappé d’un orage et vous d’une<br />

forte grippe ?<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Jean-Michel Boehler


Alexandre OBRECHT<br />

Le logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s troupes françaises à Colmar <strong>de</strong> 1679 à<br />

1789<br />

Historique<br />

Au début <strong>de</strong> l’été 1673, le marquis <strong>de</strong> Vaubrun est chargé par Louvois <strong>de</strong><br />

s’emparer <strong>de</strong> Colmar sans coup férir. Il doit détacher le marquis <strong>de</strong> Coulanges avec<br />

500 cavaliers, camper dans les <strong>en</strong>virons immédiats et verrouiller toutes les issues. Le<br />

22 août, Coulanges s’installe près du pont <strong>de</strong> Horbourg, aux portes <strong>de</strong> la ville. Peu<br />

<strong>de</strong> jours après, le roi vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>. Il doit passer près <strong>de</strong> la ville ou s’y arrêter pour<br />

se r<strong>en</strong>dre à Brisach. Colmar doit retirer les canons <strong>de</strong>s remparts et annuler la<br />

prestation du serm<strong>en</strong>t qui m<strong>en</strong>tionne la fidélité à l’empereur. Le lundi 28 août,<br />

Louvois arrive <strong>de</strong>vant Colmar, le Magistrat vi<strong>en</strong>t à sa r<strong>en</strong>contre pour le saluer.<br />

Coulanges est prés<strong>en</strong>t avec ses cavaliers qui se retir<strong>en</strong>t, font volte-face et s’élanc<strong>en</strong>t<br />

vers la porte <strong>de</strong> Brisach. Ils forc<strong>en</strong>t le passage et pénètr<strong>en</strong>t dans la ville, et au galop,<br />

occup<strong>en</strong>t les carrefours, les portes, les édifices principaux. <strong>Les</strong> officiers se font<br />

remettre les clefs <strong>de</strong>s portes, <strong>de</strong>s tours, <strong>de</strong>s magasins d’armes. <strong>Les</strong> bourgeois, atterrés,<br />

s’<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t dans leurs maisons.<br />

Le l<strong>en</strong><strong>de</strong>main, <strong>de</strong>s troupes nombreuses d’infanterie font leur <strong>en</strong>trée, les<br />

bourgeois doiv<strong>en</strong>t livrer leurs armes. <strong>Les</strong> forts remparts élevés vers la fin du XVIè<br />

siècle sont démantelés : s’y affair<strong>en</strong>t soldats, paysans <strong>de</strong>s <strong>en</strong>virons, mineurs v<strong>en</strong>us <strong>de</strong><br />

Sainte-Marie-aux-Mines, et même <strong>de</strong>s paysans du Sundgau. <strong>Les</strong> travaux <strong>de</strong><br />

démolition continu<strong>en</strong>t sans relâche. Près <strong>de</strong> 4000 hommes y sont employés. <strong>Les</strong><br />

bourgeois contribu<strong>en</strong>t à ce travail : Ruzé leur fait savoir que, si 1000 d’<strong>en</strong>tre eux<br />

apportai<strong>en</strong>t leur ai<strong>de</strong>, il déchargerait la Ville <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong> 2000 hommes <strong>de</strong><br />

troupes. Car Colmar est rempli <strong>de</strong> soldats qui viv<strong>en</strong>t aux dép<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s habitants et<br />

dont le comportem<strong>en</strong>t laisse à désirer. Le Magistrat est accusé d’avoir<br />

traîtreusem<strong>en</strong>t livré la ville aux Français, d’avoir pactisé avec eux, <strong>de</strong> vouloir la ruine


définitive <strong>de</strong> la cité et <strong>de</strong> ses libertés. Ainsi Colmar, ville ouverte, perd son<br />

indép<strong>en</strong>dance séculaire et doit accepter la domination française 1 .<br />

Dans les mois qui suiv<strong>en</strong>t, la guerre comman<strong>de</strong> la politique. Colmar est une<br />

ville occupée qui souffre, dans sa vie quotidi<strong>en</strong>ne comme dans ses finances et dans<br />

son commerce, <strong>de</strong> la prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s troupes et du développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s opérations<br />

militaires. <strong>Les</strong> réquisitions <strong>de</strong> fournitures diverses pleuv<strong>en</strong>t sur les bourgeois. En<br />

automne 1674, les Impériaux pass<strong>en</strong>t le pont <strong>de</strong> Kehl et <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t l’<strong>Alsace</strong>. Le 17<br />

novembre, le grand électeur Frédéric Guillaume arrive à Colmar. Il est accueilli par<br />

les Colmari<strong>en</strong>s comme un libérateur. Or, rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t, surgiss<strong>en</strong>t d’amères<br />

réclamations. <strong>Les</strong> maisons sont surpeuplées <strong>de</strong> soldats. Mais après la bataille <strong>de</strong><br />

Turckheim (5 janvier 1675), Tur<strong>en</strong>ne <strong>en</strong>tre à Colmar. Cep<strong>en</strong>dant le maréchal<br />

épargne la ville et ne la frappe d’aucune sanction. Le sort <strong>de</strong> la guerre tourne <strong>en</strong><br />

faveur <strong>de</strong> la France. <strong>Les</strong> négociations, comm<strong>en</strong>cées dans la ville hollandaise <strong>de</strong><br />

Nimègue, aboutiss<strong>en</strong>t à la paix le 5 février 1679, « par lequel le roi prét<strong>en</strong>d que la<br />

souveraineté sur toute l’<strong>Alsace</strong> luy a été cédée parce qu’on n’<strong>en</strong> a pas stipulé la<br />

restitution à l’Empire. 2 » <strong>Les</strong> dispositions du traité <strong>de</strong> Münster sont maint<strong>en</strong>ues.<br />

Aussi, <strong>en</strong> septembre 1679, les villes <strong>de</strong> la Décapole doiv<strong>en</strong>t prêter serm<strong>en</strong>t<br />

d’obéissance et <strong>de</strong> fidélité au roi <strong>de</strong> France. Colmar essaie <strong>de</strong> prêter serm<strong>en</strong>t à<br />

l’empereur, une <strong>de</strong>rnière fois, mais la prés<strong>en</strong>ce militaire française la dissua<strong>de</strong>. En<br />

1680, l’ordre est donné d’<strong>en</strong>lever les anci<strong>en</strong>nes armoiries aux portes et aux édifices<br />

publics. L’aigle impérial disparaît, les fleurs <strong>de</strong> lys triomph<strong>en</strong>t. C’est le début <strong>de</strong> la<br />

pério<strong>de</strong> française pour Colmar qui voit s’opérer dans la ville d’importantes<br />

transformations. Principale cité <strong>de</strong> Haute <strong>Alsace</strong> et <strong>de</strong> la Décapole, c’est à juste titre<br />

que Colmar apparaît alors comme l’un <strong>de</strong>s <strong>en</strong>jeux majeurs <strong>de</strong> la politique royale sur<br />

les frontières <strong>de</strong> l’Est, avant l’aboutissem<strong>en</strong>t que représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t la capitulation <strong>de</strong><br />

Strasbourg et la constitution <strong>de</strong> la province d’<strong>Alsace</strong> (1681). D’où la détermination<br />

<strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la Couronne à obt<strong>en</strong>ir d’abord par la force, puis à garantir par diverses<br />

mesures administratives, la soumission <strong>de</strong> la cité.<br />

<strong>Les</strong> opérations <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Tr<strong>en</strong>te ans et <strong>de</strong> la conquête française <strong>en</strong> Haute<br />

<strong>Alsace</strong> ayant affirmé le rôle <strong>de</strong> place militaire <strong>de</strong> Colmar, première ville <strong>de</strong> la région<br />

par son importance et la plus proche du bastion rhénan <strong>de</strong> Brisach, il est normal<br />

que la vieille cité conserve cette fonction au sein <strong>de</strong> la province réorganisée par<br />

l’administration royale. Dans un premier temps cep<strong>en</strong>dant, les troupes rev<strong>en</strong>ues à<br />

Colmar à la faveur du coup <strong>de</strong> force militaire <strong>de</strong> 1673 rest<strong>en</strong>t placées durant une<br />

dizaine d’années sous l’autorité du gouverneur <strong>de</strong> Brisach. Toutefois dès le mois<br />

d’octobre 1680, est crée un "majorat" <strong>de</strong> Colmar, fonction confiée par le baron <strong>de</strong><br />

Monclar à son ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> camp, Nicolas Mavette <strong>de</strong> Lorgerie. D’une toute autre portée<br />

1<br />

Histoire <strong>de</strong> Colmar, ouvrage collectif publié sous la direction <strong>de</strong> Georges LIVET, Toulouse,<br />

éd. Privat, 1983.<br />

2<br />

Félix-H<strong>en</strong>ri-Joseph CHAUFFOUR dit le Syndic, Chronique <strong>de</strong> Colmar, publiée par<br />

André WALTZ, 1903.<br />

76


77<br />

apparaît alors, <strong>en</strong> janvier 1683, l’installation <strong>de</strong> Jacques d’Anastasy, lieut<strong>en</strong>antcolonel<br />

au régim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> V<strong>en</strong>dôme, <strong>en</strong> qualité <strong>de</strong> gouverneur <strong>de</strong> Colmar avec<br />

juridiction sur les autres places <strong>de</strong> la région. Désormais, à la veille d’être promue<br />

chef-lieu <strong>de</strong> subdélégation civile, l’anci<strong>en</strong>ne cité impériale pr<strong>en</strong>d officiellem<strong>en</strong>t rang<br />

parmi les villes <strong>de</strong> garnison françaises et accueille le comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t militaire <strong>de</strong> la<br />

Haute <strong>Alsace</strong>, seule circonscription territoriale à représ<strong>en</strong>ter à la fois l’héritière <strong>de</strong><br />

l’anci<strong>en</strong> landgraviat et l’ancêtre du futur départem<strong>en</strong>t. En outre, les attributions du<br />

gouverneur sont élargies à la population civile <strong>de</strong> la cité, où il est notamm<strong>en</strong>t chargé<br />

<strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r tant aux habitants qu’aux g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> guerre. Autour <strong>de</strong> ce personnage<br />

c<strong>en</strong>tral s’organise progressivem<strong>en</strong>t l’administration militaire <strong>de</strong> la cité et <strong>de</strong> la<br />

région : s’install<strong>en</strong>t ainsi à Colmar le nouveau major <strong>de</strong> la place, le commissaire <strong>de</strong>s<br />

guerres <strong>en</strong> Haute <strong>Alsace</strong>, le commissaire régional d’artillerie, le contrôleur <strong>de</strong><br />

l’hôpital royal militaire, le commissaire provincial <strong>de</strong>s poudres et salpêtres avec ses<br />

commis chargés <strong>de</strong> l’exploitation <strong>de</strong> la poudrerie royale établie sur le canal du<br />

Logelbach.<br />

La garnison est <strong>en</strong> revanche très fluctuante et ne dispose pas <strong>en</strong>core <strong>de</strong> casernes,<br />

après plusieurs projets avortés <strong>de</strong> construction. Tout au long du XVIIIè siècle<br />

succèd<strong>en</strong>t ainsi les troupes <strong>de</strong> passage cantonnées dans la banlieue ou pr<strong>en</strong>ant leurs<br />

quartiers d’hiver chez l’habitant. Cette cohabitation forcée, avec son cortège <strong>de</strong><br />

réquisitions <strong>de</strong> fourrages et <strong>de</strong> livraisons <strong>de</strong> subsistances, pose parfois d’épineux<br />

problèmes débouchant à l’occasion sur <strong>de</strong> véritables émeutes opposant les citadins<br />

aux soldats, ainsi <strong>en</strong> 1772 et <strong>en</strong> 1785 1 .<br />

La troupe peut se montrer extrêmem<strong>en</strong>t nombreuse par rapport à la population<br />

globale. Colmar, contrairem<strong>en</strong>t à Strasbourg, est un cas assez particulier. Le<br />

logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s soldats se trouve ni dans un campem<strong>en</strong>t, ni dans une caserne, mais<br />

chez les bourgeois <strong>de</strong> la ville. Tout l’intérêt du sujet se trouve dans ce point. Il ne<br />

s’agit pas d’étudier la troupe <strong>en</strong> elle-même mais d’essayer d’analyser la troupe<br />

lorsqu’elle est <strong>en</strong> contact direct avec les habitants. L’historique dressé plus haut<br />

dévoile les nouveautés que les Colmari<strong>en</strong>s ont eu à subir. <strong>Les</strong> bourgeois doiv<strong>en</strong>t<br />

accueillir <strong>de</strong>s soldats dans leurs maisons. Soldats qui sont ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

étrangers tant par la position politique qu’avait pris la Ville que par la barrière<br />

linguistique. Grâce à ce sujet, nous abordons l’univers colmari<strong>en</strong> tant d’un point <strong>de</strong><br />

vue social que économique, mais aussi politique, ou <strong>en</strong>core judiciaire. Le fond <strong>de</strong><br />

notre thème est la relation qui a existé <strong>en</strong>tre les bourgeois et les soldats. Il s’agit <strong>de</strong><br />

voir comm<strong>en</strong>t s’est passé la cohabitation forcée <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux <strong>en</strong>tités aussi éloignées<br />

l’une <strong>de</strong> l’autre. Mais aussi le poids du logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la troupe sur les Colmari<strong>en</strong>s.<br />

1<br />

Histoire <strong>de</strong> Colmar, ouvrage collectif publié sous la direction <strong>de</strong> Georges LIVET, Toulouse,<br />

éd. Privat, 1983.


78<br />

Sources et plan<br />

<strong>Les</strong> sources dépouillées se conc<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t principalem<strong>en</strong>t dans le fonds <strong>de</strong>s archives<br />

municipales <strong>de</strong> Colmar, dont l’ess<strong>en</strong>tiel se trouve dans la série EE qui traite <strong>de</strong>s<br />

affaires militaires. Le cont<strong>en</strong>u <strong>de</strong> cette série est très important tant par sa quantité<br />

que par son intérêt. Notre pério<strong>de</strong> d’étu<strong>de</strong> est <strong>de</strong> 110 ans et les docum<strong>en</strong>ts amassés<br />

sont nombreux (<strong>de</strong> EE 144 à EE 276). La difficulté a été <strong>de</strong> ne pas se perdre dans<br />

cette multitu<strong>de</strong> d’informations. <strong>Les</strong> docum<strong>en</strong>ts sont <strong>de</strong> nature diverse (inv<strong>en</strong>taires,<br />

livraisons <strong>de</strong> fourrages, règlem<strong>en</strong>ts, correspondances etc.), mais les lettres <strong>en</strong>tre<br />

l’int<strong>en</strong>dant et le Magistrat recèl<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nombreux r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts. La série BB qui<br />

conti<strong>en</strong>t tous les docum<strong>en</strong>ts propres aux affaires communales a été aussi d’une<br />

gran<strong>de</strong> importance pour compr<strong>en</strong>dre la machine administrative colmari<strong>en</strong>ne.<br />

D’autres sources ont pu ai<strong>de</strong>r au développem<strong>en</strong>t du sujet, elles sont pour la plupart<br />

m<strong>en</strong>tionnées à la fin du mémoire. <strong>Les</strong> chroniques <strong>de</strong> l’époque nous permett<strong>en</strong>t<br />

d’avoir un regard différ<strong>en</strong>t, celui <strong>de</strong>s contemporains. Elles sont cep<strong>en</strong>dant à utiliser<br />

avec précaution. Pour citer les plus célèbres qui sont imprimés : le Hausbuch von<br />

Dominicus Schmutz, Burger von Colmar 1 ainsi que la Chronique <strong>de</strong> Colmar <strong>de</strong><br />

Félix-H<strong>en</strong>ri-Joseph Chauffour 2 .<br />

De toutes ces sources, nous avons pu tirer un plan qui n’est pas <strong>de</strong>s plus<br />

originaux mais qui s’inscrit dans une démarche logique. Il nous faut analyser les<br />

aspects généraux du logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s troupes, avec l’arrivée dans la ville puis les<br />

principes du logem<strong>en</strong>t. Dans une <strong>de</strong>uxième partie, il a été intéressant <strong>de</strong> voir la<br />

relation <strong>en</strong>tre armée et population avec tout ce que cela implique, coût financier<br />

mais aussi coût social, avec les aspects difficiles <strong>de</strong> la cohabitation. Enfin dans une<br />

troisième partie plus réduite, nous allons étudier ce qui aurait pu être une solution :<br />

la construction <strong>de</strong> casernes.<br />

Aspects généraux<br />

Dans cette première partie, il nous sera donné <strong>de</strong> voir les différ<strong>en</strong>tes modalités<br />

d’accueil <strong>de</strong>s soldats <strong>de</strong> sa Majesté. La série EE <strong>de</strong>s Archives municipales <strong>de</strong><br />

Colmar 3 est ici notre source principale, elle nous permet d’étudier la v<strong>en</strong>ue <strong>de</strong>s<br />

soldats sous trois aspects différ<strong>en</strong>ts. En premier lieu, l’arrivée <strong>de</strong> la troupe dans la<br />

ville puis son installation avec sa vie au quotidi<strong>en</strong>, et <strong>en</strong>fin le logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s gradés.<br />

Il faut noter un élém<strong>en</strong>t assez important : la différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre le passage <strong>de</strong> la<br />

troupe qui loge à Colmar quelques jours et la troupe qui s’installe pour son quartier<br />

1<br />

Hausbuch von Dominicus SCHMUTZ, Burger von Colmar, publié par J. SEE, Colmar,<br />

1878.<br />

2<br />

Félix-H<strong>en</strong>ri-Joseph CHAUFFOUR dit le Syndic, Chronique <strong>de</strong> Colmar, publiée par<br />

André WALTZ, 1903.<br />

3<br />

L. SITTLER, R. WERTZ, Inv<strong>en</strong>taire <strong>de</strong>s Archives <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Colmar antérieur à 1790,<br />

série EE, affaires militaires, Colmar, 1955.


79<br />

d’hiver dans la cité. La distinction <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux est difficile à appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r dans les<br />

archives. Heureusem<strong>en</strong>t pour nous les modalités du logem<strong>en</strong>t sont les mêmes, ce<br />

qui permet d’étudier les <strong>de</strong>ux situations. Georges Livet souligne que les troupes <strong>de</strong><br />

passage peuv<strong>en</strong>t être aussi cantonnées dans la banlieue 1 .<br />

Le poids du logem<strong>en</strong>t<br />

La prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’armée dans une ville apporte <strong>de</strong> nombreuses dép<strong>en</strong>ses et peut<br />

apporter <strong>de</strong> nombreuses difficultés à celle-ci. Il nous faut voir les différ<strong>en</strong>ts aspects<br />

du poids du logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la troupe dans une petite cité qu’est Colmar. La ville<br />

connaît un développem<strong>en</strong>t original <strong>de</strong> sa population tout au long du XVIIIème, du<br />

fait <strong>de</strong>s nouvelles conditions politiques et religieuses et notamm<strong>en</strong>t, dans la gran<strong>de</strong><br />

pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> reconstruction qui suit le « tragique XVIIè ». Exsangue après la guerre <strong>de</strong><br />

Tr<strong>en</strong>te ans, la ville, qui compte 7142 habitants <strong>en</strong> 1697, passe à 9023 habitants <strong>en</strong><br />

1709, à 11280 <strong>en</strong> 1773, et à 13396 <strong>en</strong> 1790 2 . Cette croissance, à défaut d’être<br />

régulière, constitue un progrès sans précéd<strong>en</strong>t dans l’histoire locale. Colmar reste<br />

cep<strong>en</strong>dant une petite bourga<strong>de</strong> qui doit assumer la prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> forces militaires très<br />

coûteuses.<br />

Nous avons vu <strong>en</strong> trois points comm<strong>en</strong>t se passe cette prés<strong>en</strong>ce militaire avec<br />

tout d’abord le coût pour la Ville (le Magistrat) puis le coût pour la population et<br />

<strong>en</strong>fin <strong>en</strong> quoi cette cohabitation est difficile et pose <strong>de</strong> nombreux problèmes.<br />

Une solution : le casernem<strong>en</strong>t<br />

La <strong>de</strong>uxième partie permet <strong>de</strong> voir les difficultés <strong>de</strong> la cohabitation au quotidi<strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>s bourgeois et <strong>de</strong>s soldats. Le XVIIIème siècle voit la r<strong>en</strong>aissance d’une nouvelle<br />

théorie : le casernem<strong>en</strong>t. La troupe doit se retrouver seule pour diverses raisons<br />

d’ordre pratique. A Colmar, la raison évid<strong>en</strong>te est <strong>de</strong> décharger la population du<br />

poids du logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> guerre. Le Magistrat n’a <strong>de</strong> cesse <strong>de</strong> pousser à la<br />

réalisation <strong>de</strong> ces bâtim<strong>en</strong>ts militaires. Il est suivi par l’int<strong>en</strong>dant qui compr<strong>en</strong>d bi<strong>en</strong><br />

les avantages <strong>de</strong> celles-ci. Une fois <strong>de</strong> plus la série EE nous livre le maximum<br />

d’informations, mais <strong>en</strong> nous offrant un point <strong>de</strong> vue très limité sur le sujet. Il faut<br />

donc signaler que cette partie a été étudiée beaucoup plus rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t. L’analyse va<br />

porter sur les projets <strong>de</strong> casernes qu’a connu Colmar. Ils sont au nombre <strong>de</strong> trois. A<br />

noter aussi qu’il s’agit plus ou moins dans les trois cas d’un projet très proche.<br />

1 Histoire <strong>de</strong> Colmar, ouvrage collectif publié sous la direction <strong>de</strong> Georges LIVET, éd. Privat,<br />

Toulouse, 1983, p.127, J.M. SCHMITT.<br />

2 Histoire <strong>de</strong> Colmar, ouvrage collectif publié sous la direction <strong>de</strong> Georges LIVET, Toulouse,<br />

éd. Privat, 1983, p.167, G. BRAUENER


80<br />

Conclusion<br />

En conclusion, le logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s troupes à Colmar laisse apparaître <strong>de</strong>ux aspects :<br />

la volonté royale d’imposer une discipline stricte à la troupe et le désarroi <strong>de</strong>s<br />

bourgeois colmari<strong>en</strong>s. A travers tous les docum<strong>en</strong>ts examinés, il ressort que les<br />

habitants ont eu à supporter la prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s soldats. La ville est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue française,<br />

avec tout ce que cela implique. Le Magistrat a dû s’adapter aux dispositions <strong>de</strong><br />

Versailles, et a contribué <strong>de</strong> manière très forte à l’installation française. La Ville a<br />

mis <strong>en</strong> place <strong>de</strong>s nouveaux postes pour accueillir les soldats ; le quartier-maître et le<br />

commissaire aux revues <strong>en</strong> sont les symboles. La troupe, <strong>de</strong> garnison ou <strong>de</strong> passage,<br />

<strong>en</strong>traîne <strong>de</strong>s frais considérables. L’Int<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>man<strong>de</strong> fréquemm<strong>en</strong>t à la Ville <strong>de</strong><br />

montrer <strong>de</strong> la bonne volonté et <strong>de</strong> cesser <strong>de</strong> se plaindre.<br />

<strong>Les</strong> autorités <strong>de</strong> la Ville ont toute une population <strong>de</strong>rrière eux. <strong>Les</strong> bourgeois<br />

doiv<strong>en</strong>t recevoir dans leurs maisons <strong>de</strong>s soldats qui leur sembl<strong>en</strong>t étrangers. Ils le<br />

sont pour une majorité <strong>de</strong> la population, tant par la langue que par la religion. Le<br />

cantonnem<strong>en</strong>t apparaît d’autant plus injuste qu’il n’est pas partagé par tous. <strong>Les</strong><br />

différ<strong>en</strong>tes exemptions laiss<strong>en</strong>t un goût amer à la partie la plus mo<strong>de</strong>ste <strong>de</strong> la<br />

population. La prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’armée peut <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir tellem<strong>en</strong>t insupportable, que les<br />

bourgeois excédés, manifest<strong>en</strong>t leur désarroi.<br />

Il faut souligner que les soldats ne se ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas aussi bi<strong>en</strong> que le laisserait<br />

croire les règlem<strong>en</strong>ts qui les concern<strong>en</strong>t. La détermination du roi à maint<strong>en</strong>ir<br />

l’armée dans une discipline stricte laisse peu <strong>de</strong> place aux s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts et aux<br />

lam<strong>en</strong>tations <strong>de</strong>s Colmari<strong>en</strong>s. La prés<strong>en</strong>ce d’un gouverneur dans la ville donne du<br />

poids aux soldats, et le Magistrat a <strong>de</strong>s fois du mal à se faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre.<br />

<strong>Les</strong> requêtes colmari<strong>en</strong>nes pour avoir <strong>de</strong>s casernes sont restées lettre morte.<br />

Paradoxalem<strong>en</strong>t, l’int<strong>en</strong>dant souhaite <strong>de</strong>s casernes pour astreindre la troupe, mais<br />

ne les finance pas. La situation <strong>de</strong>s bourgeois ne semble pas déranger outre mesure<br />

le gouvernem<strong>en</strong>t. Ainsi, p<strong>en</strong>dant toute notre pério<strong>de</strong>, les bourgeois, surtout les plus<br />

mo<strong>de</strong>stes, log<strong>en</strong>t un ou plusieurs soldats. La Révolution, avec son flot <strong>de</strong> réformes,<br />

apporte la solution pour tous ces habitants qui sont heureux <strong>de</strong> se débarrasser <strong>de</strong>s<br />

militaires.<br />

La première caserne est un gr<strong>en</strong>ier d’abondance réaménagé qui servait à la<br />

garnison d’une longueur <strong>de</strong> 40 mètres et d’une largeur <strong>de</strong> 32,50 mètres. Désormais<br />

l’infanterie l’occupe 1 . A 200 mètres <strong>de</strong> là, l’anci<strong>en</strong> couv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s Dominicaines,<br />

connaît aussi <strong>de</strong>s transformations. Suite à la sécularisation <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s ecclésiastiques,<br />

le couv<strong>en</strong>t d’Unterlind<strong>en</strong> connaît le même sort que bi<strong>en</strong> d’autres édifices religieux.<br />

<strong>Les</strong> bâtim<strong>en</strong>ts conv<strong>en</strong>tuels, dans un bon état <strong>de</strong> conservation, sont d’abord affectés<br />

à l’hébergem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s prisonniers <strong>de</strong> guerre (octobre 1792), serv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite d’hôpital<br />

militaire (août 1793). Enfin, ils sont affectés <strong>en</strong> 1795 au quatrième escadron <strong>de</strong><br />

lanciers, qui quitt<strong>en</strong>t les lieux <strong>en</strong> 1847, lorsque leur nouvelle caserne est achevée 2 .<br />

1<br />

AMC, 21 A 5/9 28 I/K<br />

.


81<br />

<strong>Les</strong> Colmari<strong>en</strong>s reçoiv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Paris, ce que Versailles n’a pas voulu leur accor<strong>de</strong>r.<br />

La fin du logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s troupes chez eux.<br />

L’abondance <strong>de</strong>s sources m’a donné l’occasion <strong>de</strong> me retrouver face à face avec<br />

une masse <strong>de</strong> docum<strong>en</strong>ts. Le type du sujet permet <strong>de</strong> voir la relation <strong>en</strong>tre la troupe<br />

et la population dans une ville <strong>de</strong> passage comme Colmar. Le contexte est<br />

important. L’intérêt majeur <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> est d’essayer d’imaginer une famille et<br />

surtout ce qu’elle ress<strong>en</strong>t quand elle doit accueillir un ou <strong>de</strong>ux soldats, voire plus.<br />

Au cœur <strong>de</strong> la réflexion se trouve la perception <strong>de</strong>s contemporains.<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> la problématique, il a été <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du dès le début qu’il ne<br />

s’agirait pas d’une histoire militaire <strong>de</strong> type classique mais plutôt d’une histoire <strong>de</strong>s<br />

m<strong>en</strong>talités. L’axe principal a été <strong>de</strong> voir la relation soldats/population tout <strong>en</strong><br />

essayant <strong>de</strong> voir quelle est la position du Magistrat dans cette situation. Ce qui a<br />

conduit à une <strong>de</strong>uxième réflexion sur les changem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l’armée, notamm<strong>en</strong>t avec<br />

l’adoption d’une discipline plus sévère. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux thèmes sont liés car l’armée émet<br />

<strong>de</strong>s règlem<strong>en</strong>ts, <strong>en</strong>tre autres, pour éviter qu’elle ne se comporte mal.<br />

<strong>Les</strong> problèmes ont été <strong>de</strong> différ<strong>en</strong>te nature : celui <strong>de</strong> l’abondance <strong>de</strong>s sources,<br />

qui par leur trop grand nombre, m’a obligé à passer la majorité <strong>de</strong> mon temps <strong>de</strong><br />

recherche aux archives <strong>de</strong> Colmar et celui <strong>de</strong> leur croisem<strong>en</strong>t. Il manque égalem<strong>en</strong>t<br />

un exam<strong>en</strong> minutieux du fonds <strong>de</strong> l’Int<strong>en</strong>dance, mais aussi l’analyse du fonds aux<br />

services <strong>historiques</strong> <strong>de</strong> l’armée <strong>de</strong> terre. La difficulté a été <strong>de</strong> transcrire <strong>de</strong>s lettres <strong>en</strong><br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t. Il a fallu essayer <strong>de</strong> voir comm<strong>en</strong>t le logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s troupes est perçu par<br />

la population sil<strong>en</strong>cieuse à partir <strong>de</strong> docum<strong>en</strong>ts administratifs. De plus, les lettres<br />

colmari<strong>en</strong>nes ont une nette t<strong>en</strong>dance à acc<strong>en</strong>tuer les difficultés, tandis que<br />

l’int<strong>en</strong>dant cherche à les minimiser.<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mon sujet a permis un étalage <strong>de</strong>s sources à propos <strong>de</strong> la question<br />

militaire. Resterait à abor<strong>de</strong>r la question <strong>de</strong> la fourniture <strong>de</strong>s soldats et d’établir une<br />

liste précise <strong>de</strong>s régim<strong>en</strong>ts prés<strong>en</strong>ts dans la ville. On pourrait voir égalem<strong>en</strong>t<br />

comm<strong>en</strong>t les officiers et les notables tiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s li<strong>en</strong>s, notamm<strong>en</strong>t par le mariage.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Jean-Michel Boehler<br />

1 B. GATINEAU, Unterlind<strong>en</strong> <strong>de</strong> Colmar, un couv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> dominicaines dans le musée,<br />

Strasbourg, 1999/2000, 84 pages dactylographiées.


Anne-Laure STEEGMAN<br />

L’assistance aux pauvres bourgeois <strong>de</strong> Strasbourg :<br />

l’exemple <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc<br />

(2 ème moitié du XVIII ème siècle)<br />

Prés<strong>en</strong>tation du sujet<br />

Historique<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc nous a permis dans un premier temps <strong>de</strong><br />

combler un vi<strong>de</strong> dans l’historiographie <strong>de</strong> l’assistance dans la ville <strong>de</strong> Strasbourg à<br />

l’époque mo<strong>de</strong>rne. En effet, le système d’assistance strasbourgeois repose sur trois<br />

piliers, constitués par l’Hôpital <strong>de</strong>s bourgeois, étudié par Agnès Goldbach-<br />

Lutt<strong>en</strong>bacher <strong>en</strong> 1968, la Maison <strong>de</strong>s Enfants Trouvés, traitée par Elisabeth<br />

Sablayrolles <strong>en</strong> 1975, et la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc. D’autres établissem<strong>en</strong>ts, plus<br />

ou moins affiliés à ces trois structures, exist<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t, et n’ont pas tous donné<br />

lieu à <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s. Parmi ceux-ci, nous trouvons le Blatterhaus, le Bos<strong>en</strong>haus, la<br />

Maison <strong>de</strong>s Orphelins, la Maison <strong>de</strong>s Pauvres, la Chambres <strong>de</strong>s Aumônes.<br />

La fondation <strong>de</strong> Saint-Marc est une création relativem<strong>en</strong>t réc<strong>en</strong>te par rapport<br />

aux autres fondations <strong>de</strong> la ville. En effet, son origine, <strong>en</strong> tant que fondation à but<br />

charitable, ne remonte qu’à 1523 ou 1525. Pourtant, l’exist<strong>en</strong>ce d’une institution<br />

portant le nom <strong>de</strong> Saint-Marc apparaît bi<strong>en</strong> avant. Dès 1182, le doy<strong>en</strong> du Chapitre<br />

<strong>de</strong> Saint-Thomas fon<strong>de</strong> à l’extérieur <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Strasbourg (sur l’actuel terrain du<br />

C<strong>en</strong>tre Administratif <strong>de</strong> la CUS, place <strong>de</strong> l’Etoile) une chapelle dédiée à saint Marc,<br />

ainsi qu’un petit hôpital, pour accueillir probablem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s pèlerins et <strong>de</strong>s voyageurs<br />

mala<strong>de</strong>s. De nombreuses maisons et couv<strong>en</strong>ts étai<strong>en</strong>t bâtis hors les murs <strong>de</strong> la ville.<br />

L’établissem<strong>en</strong>t du couv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Saint-Marc est concédé aux Dominicains, et<br />

transféré <strong>en</strong> 1230 à l’est <strong>de</strong> la future porte <strong>de</strong> l’Hôpital.<br />

La crainte d’une invasion bourguignonne <strong>en</strong> 1475 pousse le Sénat <strong>de</strong> la Ville à<br />

détruire pour <strong>de</strong>s raisons stratégiques un certain nombre d’établissem<strong>en</strong>ts extramuros,<br />

dont cinq couv<strong>en</strong>ts : Saint-Marc, Saint-Jean, Sainte-Ma<strong>de</strong>leine, Saint-<br />

Nicolas-aux-On<strong>de</strong>s, Sainte-Agnès. En 1477, un nouveau couv<strong>en</strong>t est érigé <strong>en</strong> ville<br />

pour les religieuses <strong>de</strong> Saint-Marc et <strong>de</strong> Saint-Jean, sur un terrain situé <strong>en</strong>tre


84<br />

l’actuelle rue Kuhn et le quai Saint-Jean. En 1518, le couv<strong>en</strong>t est détaché <strong>de</strong><br />

l’obédi<strong>en</strong>ce dominicaine et soumis à l’évêque. Dès l’introduction <strong>de</strong> la Réforme à<br />

Strasbourg, <strong>en</strong> 1525, le couv<strong>en</strong>t est remis au Magistrat <strong>de</strong> la ville et ses rev<strong>en</strong>us sont<br />

<strong>de</strong>stinés à promouvoir le bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s pauvres. Finalem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> 1529, le couv<strong>en</strong>t Saint-<br />

Marc est affecté à l’Aumône. C’est dorénavant à la municipalité que revi<strong>en</strong>t la<br />

responsabilité <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> aux pauvres. L’interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la force politique se fait <strong>de</strong><br />

façon précoce, que ce soit à Nuremberg <strong>en</strong> 1522, à Strasbourg <strong>en</strong> 1523, mais<br />

égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Flandre, à Ypres, <strong>en</strong> 1525.<br />

La fondation <strong>de</strong> Saint-Marc peut être considérée comme un exemple <strong>de</strong> l’impact<br />

<strong>de</strong> la Réforme, une « <strong>en</strong>fant <strong>de</strong> la Réforme ». Une première aumônerie est installée<br />

dans un bâtim<strong>en</strong>t appelé zum Trübel (Au Raisin), sur le Vieux-marché-aux-vins.<br />

Elle s’installe par la suite dans le couv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Saint-Marc et Saint-Jean. De cette<br />

aumônerie dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t l’Hôpital <strong>de</strong>s Teigneux et l’Hôpital <strong>de</strong>s Syphilitiques à partir<br />

<strong>de</strong> 1526. Le Magistrat augm<strong>en</strong>te les dotations <strong>de</strong>s établissem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> leur attribuant<br />

la majeure partie <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s et rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong>s couv<strong>en</strong>ts et congrégations supprimés. Une<br />

part non négligeable <strong>en</strong> revi<strong>en</strong>t à l’Aumône Saint-Marc. L’administration <strong>de</strong><br />

l’assistance publique s’installe alors dans les bâtim<strong>en</strong>ts conv<strong>en</strong>tuels <strong>de</strong> Saint-Marc,<br />

quai Saint-Jean, et y reste jusqu’<strong>en</strong> 1687, date <strong>de</strong> son déménagem<strong>en</strong>t rue <strong>de</strong>s<br />

Gr<strong>en</strong>iers.<br />

Au XVII è siècle, la fondation connaît quelques difficultés, notamm<strong>en</strong>t<br />

financières. Avec le rattachem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Strasbourg à la France <strong>en</strong> 1681, notre<br />

fondation s’inscrit dans une politique d’assistance française, commune à tout le<br />

royaume. Au cours <strong>de</strong> ce siècle, elle se détache égalem<strong>en</strong>t du couv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Saint-Jean<br />

et déménage près <strong>de</strong> l’Hôpital <strong>de</strong>s bourgeois, rue <strong>de</strong>s Gr<strong>en</strong>iers, dans les bâtim<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong> l’Hospice <strong>de</strong>s Syphilitiques (le Blatterhaus).<br />

Au XVIII è siècle s’opère une réorganisation <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>tes fondations <strong>de</strong> la ville.<br />

En 1701, le Conseil d’Etat ordonne la réunion à l’Hôpital <strong>de</strong>s Bourgeois <strong>de</strong> la<br />

Maladrerie/Léproserie, <strong>de</strong> l’Hôpital <strong>de</strong>s Pauvres Passants et <strong>de</strong> l’hospice Sainte-<br />

Barbe. En 1737, c’est le Magistrat, cette fois qui réunit l’administration du<br />

Blatterhaus (Hospice <strong>de</strong>s Syphiliyiques) à celle <strong>de</strong> Saint-Marc. Cette situation<br />

perdure jusqu’<strong>en</strong> 1789. Le Magistrat crée égalem<strong>en</strong>t d’autres établissem<strong>en</strong>ts à<br />

vocation charitable, comme la Chambre d’Aumône et l’Hôpital <strong>de</strong>s Pauvres. De<br />

1764 à 1791, l’<strong>Alsace</strong> bénéficie d’un véritable budget pour <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre une<br />

politique efficace à l’égard <strong>de</strong> la m<strong>en</strong>dicité et pour favoriser le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

distribution d’aumônes. Ce siècle voit, <strong>en</strong> quelque sorte, la consécration <strong>de</strong> la<br />

fondation <strong>de</strong> Saint-Marc, considérée souv<strong>en</strong>t comme l’« une <strong>de</strong>s principales<br />

fondations pieuses <strong>de</strong> la ville ».<br />

1789 marque une césure politique majeure, ainsi qu’une cassure dans le<br />

domaine <strong>de</strong> l’indig<strong>en</strong>ce. Aidés sous Louis XVI, les pauvres ne disparaiss<strong>en</strong>t pas avec<br />

la Révolution. <strong>Les</strong> difficultés <strong>de</strong> subsistance sont pour beaucoup dans les « causes »<br />

<strong>de</strong> l’exaspération qui produit les événem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> 1789. « Causes » et forces du début<br />

<strong>de</strong> la Révolution, ces pauvres ne trouvant pas leur place dans le nouveau projet <strong>de</strong>


85<br />

société établi par les premiers révolutionnaires. Ils <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t vite « insupportables »<br />

à leurs yeux, au point que l’on cherche par différ<strong>en</strong>ts moy<strong>en</strong>s à les r<strong>en</strong>dre<br />

inexistants. La Révolution porte <strong>en</strong> elle cette volonté et considère l’indig<strong>en</strong>ce<br />

comme une conséqu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la faillite du système d’assistance <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Régime.<br />

Admettre qu’elle existe <strong>en</strong>core, qu’elle n’a pas disparu avec l’anci<strong>en</strong> système<br />

politique, revi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque sorte à reconnaître le nouveau régime aussi<br />

« incompét<strong>en</strong>t » que ses prédécesseurs. <strong>Les</strong> révolutionnaires, s’ils veul<strong>en</strong>t légitimer<br />

leur action, doiv<strong>en</strong>t faire mieux que ceux qu’ils ont chassés et le traitem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette<br />

indig<strong>en</strong>ce représ<strong>en</strong>te un <strong>de</strong>s facteurs <strong>de</strong> leur force. La critique <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Régime et<br />

<strong>de</strong> sa politique sociale est vive.<br />

La Révolution pose dès lors les bases <strong>de</strong> l’assistance publique, qu’elle <strong>en</strong>visage<br />

comme un droit pour les indig<strong>en</strong>ts. En juin 1790, elle met <strong>en</strong> place un Comité <strong>de</strong><br />

M<strong>en</strong>dicité. Ce comité est persuadé, selon Elisabeth Sablayrolles, que la misère<br />

provi<strong>en</strong>t principalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la disproportion <strong>de</strong>s besoins par rapport aux moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong><br />

travail. Il lance ainsi un programme <strong>de</strong> mise au travail <strong>de</strong>s pauvres vali<strong>de</strong>s. <strong>Les</strong><br />

pauvres bourgeois <strong>de</strong> Strasbourg, qui sont l’objet <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong>, ne sont que très<br />

peu concernés par ce cas <strong>de</strong> figure, dans la mesure où la très gran<strong>de</strong> majorité d’<strong>en</strong>tre<br />

eux dispose d’un emploi. <strong>Les</strong> progrès que la Révolution induit sont indéniables,<br />

mais se sold<strong>en</strong>t par un échec, constaté plus tard <strong>en</strong> partie par les nombreuses<br />

<strong>en</strong>quêtes <strong>en</strong>treprises par le Comité <strong>de</strong> M<strong>en</strong>dicité. Ce n’est qu’<strong>en</strong> 1793, avec la<br />

nouvelle constitution (constitution par ailleurs jamais appliquée), que les pauvres<br />

dispos<strong>en</strong>t <strong>de</strong> libertés civiles reconnues et officialisées. Ils n’<strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t jamais<br />

bénéficié jusqu’alors. Cette constitution proclame pour la première fois les droits<br />

« sociaux ». <strong>Les</strong> secours publics sont considérés comme « une <strong>de</strong>tte sacrée », « la<br />

société doit la subsistance aux citoy<strong>en</strong>s malheureux, soit <strong>en</strong> leur procurant du<br />

travail, soit <strong>en</strong> assurant les moy<strong>en</strong>s d’exister à ceux qui sont hors d’état <strong>de</strong><br />

travailler » 1 .<br />

La fondation <strong>de</strong> Saint-Marc évolue considérablem<strong>en</strong>t du fait <strong>de</strong> la Révolution.<br />

Elle subit <strong>de</strong> nombreuses pertes et notamm<strong>en</strong>t celle <strong>de</strong> l’administration du<br />

Blatterhaus dès 1789. Elle se trouve elle-même réunie, à partir du 22 brumaire <strong>de</strong><br />

l’an V, à l’administration <strong>de</strong>s Hospices Civils Réunis. Par la suite, la fondation <strong>de</strong><br />

Saint-Marc est soumise à la tutelle d’une Commission administrative. Le service<br />

<strong>de</strong>s aumônes <strong>de</strong> la fondation se retrouve ainsi rattaché à une autre institution<br />

d’assistance publique, le Bureau <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>faisance, crée <strong>en</strong> l’an XIII, et dont on<br />

connaît l’exist<strong>en</strong>ce dans <strong>de</strong> nombreuses autres villes. Il ne nous faut pas oublier que<br />

la Révolution apporte avec elle un nombre croissant <strong>de</strong> personnes à assister.<br />

Dorénavant, manants et bourgeois ne sont plus considérés comme <strong>de</strong>ux groupes<br />

distincts. La fondation doit ainsi s’occuper <strong>de</strong> tous les pauvres, sans différ<strong>en</strong>ciation<br />

sociale.<br />

1 Article 21 <strong>de</strong> la Constitution <strong>de</strong> 1793, in <strong>Les</strong> constitutions <strong>de</strong> la France <strong>de</strong>puis 1789,<br />

prés<strong>en</strong>tées par J. Go<strong>de</strong>chot, Paris, 1979, p. 82.


Sujets abordés<br />

Notre étu<strong>de</strong> a permis <strong>de</strong> constater que l’assistance n’était pas uniquem<strong>en</strong>t<br />

réservée aux « g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> ri<strong>en</strong> ». L’exemple <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc élargit <strong>en</strong><br />

quelque sorte la définition souv<strong>en</strong>t mise <strong>en</strong> avant du pauvre vagabond ou m<strong>en</strong>diant,<br />

et <strong>de</strong> son assistance. Notre sujet recadre ainsi l’image souv<strong>en</strong>t commune du pauvre,<br />

montrant que le pauvre peut se retrouver dans une catégorie sociale privilégiée, et<br />

qu’il n’est pas nécessairem<strong>en</strong>t un marginal.<br />

Histoire urbaine<br />

L’un <strong>de</strong>s intérêts majeurs du sujet rési<strong>de</strong> dans le fait qu’il nous a permis<br />

d’abor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nombreux paramètres d’étu<strong>de</strong>s. Nous avons ainsi pu, au fil <strong>de</strong> notre<br />

analyse, faire <strong>de</strong> l’histoire urbaine, par l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’emplacem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la fondation<br />

dans la ville, <strong>de</strong> son impact spatial. Il s’agit, dans cette étu<strong>de</strong> urbaine, <strong>de</strong> retracer<br />

autant que possible l’historique <strong>de</strong> la fondation jusqu’à la Révolution française. Ces<br />

fonctions se définiss<strong>en</strong>t au fur et à mesure, tout comme son ancrage dans la ville.<br />

Une telle étu<strong>de</strong> nous a am<strong>en</strong>ée à nous intéresser à Strasbourg et à son histoire,<br />

délimitant le sujet dans l’espace. L’organisation du territoire urbain, par l’exemple<br />

<strong>de</strong> ces différ<strong>en</strong>ts établissem<strong>en</strong>ts, semble importante à étudier. Néanmoins, une telle<br />

étu<strong>de</strong> ne peut se limiter à ce seul cadre spatial. En effet, nous avons été am<strong>en</strong>ée à<br />

ét<strong>en</strong>dre l’espace géographique à l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> l’<strong>Alsace</strong> et à une partie <strong>de</strong><br />

l’Allemagne actuelle, notamm<strong>en</strong>t pour l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s possessions et <strong>de</strong><br />

l’approvisionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la fondation. L’espace est égalem<strong>en</strong>t ét<strong>en</strong>du à l’<strong>en</strong>semble du<br />

territoire français, dans la mesure où cette fondation s’inscrit <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus dans<br />

un projet global <strong>de</strong> lutte contre la m<strong>en</strong>dicité, et d’une politique d’assistance.<br />

Histoire politique<br />

Notre sujet nous a permis égalem<strong>en</strong>t d’abor<strong>de</strong>r la question <strong>de</strong> l’assistance d’un<br />

point <strong>de</strong> vue politique. Nous y avons étudié les rapports <strong>en</strong>tre la fondation et le<br />

Magistrat, <strong>en</strong>tre le Magistrat et le pouvoir royal puis révolutionnaire, et ainsi, <strong>en</strong>tre<br />

la fondation et ces pouvoirs. En effet, les directeurs <strong>de</strong> la fondation, création du<br />

Magistrat <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Strasbourg, doiv<strong>en</strong>t suivre une optique politique qui va<br />

bi<strong>en</strong> au-<strong>de</strong>là du simple souhait municipal, <strong>en</strong> s’inscrivant bi<strong>en</strong> plus dans une<br />

politique à l’échelle nationale. L’aspect politique d’une telle fondation transparaît<br />

égalem<strong>en</strong>t dans la pério<strong>de</strong> que nous avons choisi d’étudier. Cette pério<strong>de</strong>, qui<br />

recouvre la secon<strong>de</strong> moitié du XVIII ème siècle, est marquée par <strong>de</strong> multiples troubles<br />

politiques, dont le plus important est celui <strong>de</strong> la Révolution française. <strong>Les</strong> causes<br />

politiques d’un tel événem<strong>en</strong>t peuv<strong>en</strong>t être abordées à travers l’analyse <strong>de</strong> la<br />

fondation <strong>de</strong> Saint-Marc. Notre fondation est dép<strong>en</strong>dante d’un nombre important<br />

d’autorités que nous avons étudiées. Notre analyse politique <strong>de</strong> la question <strong>de</strong><br />

l’assistance nous a permis d’abor<strong>de</strong>r la question <strong>de</strong> la place du pauvre au sein <strong>de</strong> la<br />

86


p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong>s Lumières et dans la société que souhait<strong>en</strong>t mettre <strong>en</strong> place les<br />

révolutionnaires.<br />

87<br />

Histoire économique<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc abor<strong>de</strong> égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s questions<br />

économiques. Le volet économique <strong>de</strong> notre analyse recouvre différ<strong>en</strong>ts aspects.<br />

Nous avons analysé le fonctionnem<strong>en</strong>t interne <strong>de</strong> cette fondation, <strong>en</strong> observant les<br />

rapports <strong>en</strong>tre les différ<strong>en</strong>ts employés, <strong>en</strong>tre les employés et les assistés. Il s’agit<br />

égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> savoir comm<strong>en</strong>t une telle fondation, qui distribue du pain aux<br />

pauvres bourgeois <strong>de</strong> la ville, arrive à se procurer les grains qui lui sont nécessaires.<br />

Ainsi, la t<strong>en</strong>tative <strong>de</strong> reconstitution du patrimoine foncier <strong>de</strong> cet établissem<strong>en</strong>t,<br />

comparé avec le plus grand propriétaire terri<strong>en</strong> <strong>de</strong> Strasbourg, l’Hôpital <strong>de</strong>s<br />

bourgeois, nous a permis <strong>de</strong> constater que ses terres se situ<strong>en</strong>t dans l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la<br />

Basse-<strong>Alsace</strong>, suivant <strong>de</strong>s implantations que nous avons analysées. Nous avons t<strong>en</strong>té<br />

<strong>de</strong> voir ce que cette fondation tirait <strong>de</strong> ses terres (grains, vin, bois), et plus<br />

particulièrem<strong>en</strong>t, comm<strong>en</strong>t elle utilisait les grains <strong>de</strong> ses terres. Nous avons t<strong>en</strong>té <strong>de</strong><br />

mettre <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce le fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la boulangerie, pièce maîtresse <strong>de</strong> la<br />

fondation <strong>de</strong> Saint-Marc. En quelque sorte, nous avons étudié le chemin parcouru<br />

par les grains, « <strong>de</strong>s semis aux fournils ». Notre étu<strong>de</strong> économique a permis<br />

d’abor<strong>de</strong>r la question <strong>de</strong> l’approvisionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc, et <strong>de</strong><br />

manière générale <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Strasbourg. L’approvisionnem<strong>en</strong>t amène à analyser<br />

une question d’organisation sociale et d’idéologie. L’aspect économique repose<br />

égalem<strong>en</strong>t sur l’analyse <strong>de</strong> la gestion d’une telle institution. Comm<strong>en</strong>t les employés<br />

sont-ils rémunérés ? La fondation arrive-t-elle à maint<strong>en</strong>ir un budget équilibré, alors<br />

que les difficultés économiques se font <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus s<strong>en</strong>tir ? Nous avons <strong>en</strong>fin<br />

choisi d’étudier, par l’analyse <strong>de</strong>s professions exercées par nos pauvres bourgeois,<br />

l’importance <strong>de</strong>s activités économiques <strong>de</strong> la ville.<br />

Histoire sociale<br />

L’analyse <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc nous a conduit à abor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s questions<br />

sociales. Nous avons analysé les aumônes, tant <strong>en</strong> pain qu’<strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t, touchées, par<br />

semaine, par trimestre ou à l’extraordinaire, par les bourgeois, certains étudiants,<br />

certains prisonniers, et <strong>de</strong>s pauvres d’autres établissem<strong>en</strong>ts. Nous nous sommes<br />

évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> plus attachée à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pauvres bourgeois, <strong>en</strong> t<strong>en</strong>tant <strong>de</strong> savoir<br />

qui ils étai<strong>en</strong>t, ce qu’ils touchai<strong>en</strong>t, et pour quelles raisons. Nous avons souligné le<br />

fait que ces bourgeois, et cela peut relever du paradoxe, possédai<strong>en</strong>t par ailleurs un<br />

certain statut social. En effet, la juxtaposition <strong>de</strong>s termes « assistance », « pauvres »<br />

et « bourgeois » peut étonner. Dans les nombreuses étu<strong>de</strong>s sur cette partie <strong>de</strong> la<br />

population qui t<strong>en</strong>d à <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir une classe à part <strong>en</strong>tière, peu d’histori<strong>en</strong>s s’attach<strong>en</strong>t<br />

à abor<strong>de</strong>r la question <strong>de</strong> la pauvreté d’une classe <strong>en</strong> pleine expansion. Il faut<br />

rappeler que la bourgeoisie constitue un groupe qui, dans sa gran<strong>de</strong> majorité, t<strong>en</strong>te


<strong>de</strong> se rapprocher <strong>de</strong> l’idéal social qu’elle s’est fixée, la noblesse. Or, les bourgeois que<br />

nous avons repérés se trouv<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> loin <strong>de</strong> cet idéal. Ils se rapproch<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> plus<br />

<strong>de</strong>s classes populaires urbaines, <strong>de</strong> par les professions qu’ils exerc<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> par leur<br />

situation familiale, ou <strong>en</strong>core <strong>de</strong> par leur statut d’assistés. Ils constitu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque<br />

sorte la frange inférieure <strong>de</strong> la bourgeoisie, frange souv<strong>en</strong>t rejetée, et pourtant<br />

majoritaire. Une partie consacrée à l’étu<strong>de</strong> sociale <strong>de</strong> la question a permis d’analyser<br />

les mécanismes influant sur les distributions <strong>de</strong>s aumônes <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> la fondation,<br />

<strong>de</strong> voir quels sont les paramètres ret<strong>en</strong>us par les directeurs pour fixer les ai<strong>de</strong>s. Nous<br />

avons <strong>en</strong>trepris <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s analytiques, par sondages, <strong>de</strong> pauvres assistés. L’analyse<br />

<strong>de</strong> leur situation familiale (savoir s’il s’agit <strong>de</strong> couples, <strong>de</strong> familles nombreuses, <strong>de</strong><br />

célibataires), <strong>de</strong> leurs âges, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> secours qu’ils pouvai<strong>en</strong>t toucher, <strong>de</strong> leur<br />

situation professionnelle (savoir à quelle corporation ils appart<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t, quels métiers<br />

ils pratiquai<strong>en</strong>t), <strong>de</strong> leur lieu <strong>de</strong> naissance, a ainsi été <strong>en</strong>treprise. Cette analyse nous<br />

a permis <strong>de</strong> considérer ces assistés comme <strong>de</strong>s personnes et non comme <strong>de</strong>s<br />

« objets » recevant <strong>de</strong>s aumônes. En effet, la difficulté <strong>de</strong> notre sujet d’étu<strong>de</strong> rési<strong>de</strong><br />

dans cet aspect, puisque les pauvres, bi<strong>en</strong> qu’ils constitu<strong>en</strong>t une proportion non<br />

négligeable dans la société d’Anci<strong>en</strong> Régime, sont égalem<strong>en</strong>t ceux qui sont les<br />

moins prés<strong>en</strong>ts dans les sources d’archives. N’ayant que très rarem<strong>en</strong>t la parole, ils<br />

n’apparaiss<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t qu’indirectem<strong>en</strong>t dans les sources.<br />

Histoire <strong>de</strong> l’alim<strong>en</strong>tation<br />

Ce sujet nous a permis d’abor<strong>de</strong>r l’histoire <strong>de</strong> l’alim<strong>en</strong>tation, par l’analyse<br />

spécifique <strong>de</strong> la boulangerie <strong>de</strong> la fondation. Nous avons ainsi rappelé l’importance<br />

<strong>de</strong>s boulangers et du pain dans cette société. Nous avons t<strong>en</strong>té <strong>de</strong> reconstituer<br />

l’organisation <strong>de</strong> la boulangerie, les techniques <strong>de</strong> panification, les types <strong>de</strong> pains<br />

proposés par cette fondation aux pauvres bourgeois. Nous avons analysé les<br />

distributions effectuées, et essayé d’analyser le contrôle et l’exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> cette<br />

boulangerie. Nous avons ainsi démontré le li<strong>en</strong> existant <strong>en</strong>tre la pauvreté, le pain et<br />

l’assistance.<br />

Histoire <strong>de</strong>s m<strong>en</strong>talités<br />

Enfin, l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cette fondation nous a permis d’analyser, <strong>en</strong> filigrane, <strong>de</strong>s<br />

mécanismes relevant <strong>de</strong>s m<strong>en</strong>talités <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> ce siècle. Nous avons vu les<br />

différ<strong>en</strong>ts regards qui sont portés sur ces pauvres, notamm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s acteurs<br />

politiques. L’analyse <strong>de</strong>s pains proposés par la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc permet<br />

égalem<strong>en</strong>t d’abor<strong>de</strong>r les questions <strong>de</strong> m<strong>en</strong>talité : <strong>en</strong> effet, il s’agit d’étudier quels<br />

sont ces pains distribués, pain blanc et pain noir. La couleur du pain et l’image<br />

qu’elle véhicule révèle beaucoup sur les m<strong>en</strong>talités <strong>de</strong> la société mo<strong>de</strong>rne.<br />

88


89<br />

Problématiques<br />

Notre travail est construit autour <strong>de</strong> cinq questions, qui ont constitué notre<br />

problématique. Nous nous sommes <strong>de</strong>mandé comm<strong>en</strong>t fonctionne une telle<br />

institution. Comm<strong>en</strong>t elle est gérée : comm<strong>en</strong>t arrive-t-elle à se maint<strong>en</strong>ir, tout <strong>en</strong><br />

subv<strong>en</strong>ant aux besoins croissants <strong>de</strong> pauvres <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus nombreux ? Quels sont<br />

les rapports <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>us <strong>en</strong>tre la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc et le pouvoir politique <strong>de</strong><br />

la fin <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> régime et <strong>de</strong> la Révolution ? Comm<strong>en</strong>t est perçu le pauvre durant<br />

le siècle <strong>de</strong>s Lumières, durant la Révolution, y a-t-il eu évolution <strong>de</strong> cette<br />

perception ? Quelle est l’utilité réelle <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> Saint-Marc ?<br />

Sources utilisées<br />

<strong>Les</strong> sources ont été importantes dans le choix du sujet, puisque nous voulions<br />

travailler ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t sur <strong>de</strong>s sources archivistiques.<br />

Nous souhaitions au départ travailler sur un sujet relevant <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong><br />

l’alim<strong>en</strong>tation (histoire du pain, <strong>de</strong>s boulangers, image et importance du pain dans<br />

la société d’Anci<strong>en</strong> Régime). N’ayant ri<strong>en</strong> trouvé <strong>de</strong> conséqu<strong>en</strong>t, nous nous sommes<br />

rabattu sur ce sujet, qui n’avait jamais donné lieu à aucune étu<strong>de</strong>. Mais la fondation<br />

<strong>de</strong> Saint-Marc ne comporte-t-elle pas <strong>en</strong> son sein une boulangerie ?<br />

Notre travail <strong>de</strong> recherche n’a été effectué qu’aux Archives municipales <strong>de</strong><br />

Strasbourg. S’y trouve un fonds complet et spécifique sur cette fondation, coté 2<br />

AH. Ce fonds a été déposé aux Archives municipales <strong>en</strong> 1960, mais n’a été traité<br />

qu’<strong>en</strong> 2003. Nous l’avons étudié dans sa quasi totalité. Nous avons égalem<strong>en</strong>t<br />

utilisé l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s séries <strong>de</strong>s AMS : séries II, III, IV, V, VI, VII, VIII, XI. La<br />

série <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong> l’hôpital, 1 AH, nous a égalem<strong>en</strong>t été utile, ainsi que la série<br />

AA. Enfin, les fonds révolutionnaires et post-révolutionnaires, 71 MW, 72 MW et<br />

76 MW, ont aussi été consultés. Nous avons aussi travaillé sur <strong>de</strong>s sources<br />

manuscrites et imprimées (1 MR et 2 MR).<br />

Le cadre chronologique que nous avons choisi nous a été dicté par les sources<br />

archivistiques. En effet, à partir <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> moitié du XVIIIème siècle, nous<br />

sommes <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> sources plus ou moins continues et régulières, même si sur<br />

certains points, tels que l’étu<strong>de</strong> du budget ou l’étu<strong>de</strong> analytique <strong>de</strong>s pauvres assistés,<br />

il a été nécessaire <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r par sondages. Dans ce cadre chronologique, les<br />

sources sont majoritairem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> français.<br />

Nous avons égalem<strong>en</strong>t choisi <strong>de</strong> travailler sur une bibliographie que nous<br />

souhaitions la plus complète possible. Nous avons ainsi établi une bibliographie<br />

large, incluant l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s thèmes que nous souhaitions abor<strong>de</strong>r.


90<br />

Problèmes r<strong>en</strong>contrés<br />

Au cours <strong>de</strong> notre recherche, nous avons r<strong>en</strong>contré trois problèmes majeurs.<br />

Le premier d’<strong>en</strong>tre eux fut le temps que nous avons pu consacrer à la<br />

consultation <strong>de</strong>s sources. <strong>Les</strong> archives fermant <strong>en</strong> janvier 2004 – pour raison <strong>de</strong><br />

déménagem<strong>en</strong>t -, nous n’avons pu les consulter que dans un temps relativem<strong>en</strong>t<br />

réduit. Ceci pose bi<strong>en</strong> évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t la question <strong>de</strong> l’exhaustivité du sujet.<br />

Le second problème r<strong>en</strong>contré repose dans le fait que ce sujet n’avait jamais été<br />

traité, le fonds relatif à cette fondation n’ayant été consultable qu’à partir <strong>de</strong> l’année<br />

2003. Nous n’avons donc pu nous appuyer sur aucune véritable étu<strong>de</strong> préalable.<br />

Enfin, le sujet <strong>en</strong> lui-même nous a posé problème : nous avons choisi d’étudier<br />

une catégorie <strong>de</strong> la population qui a peu eu l’occasion d’avoir la parole, et <strong>de</strong> laisser<br />

<strong>de</strong> traces directes. De plus, notamm<strong>en</strong>t lors <strong>de</strong>s recherches bibliographiques,<br />

l’association pauvres-bourgeois s’est avérée problématique : les histori<strong>en</strong>s <strong>de</strong> la<br />

bourgeoisie au XVIII ème siècle se sont bi<strong>en</strong> plus intéressés à la partie montante <strong>de</strong><br />

cette partie <strong>de</strong> la population, partie t<strong>en</strong>dant à se rapprocher <strong>de</strong> la noblesse, laissant à<br />

l’écart cette frange minime que sont les pauvres ; inversem<strong>en</strong>t, les histori<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s<br />

pauvres se sont bi<strong>en</strong> plus intéressés à analyser les marginaux, c’est-à-dire les<br />

vagabonds et les m<strong>en</strong>diants, laissant <strong>de</strong> côté ces pauvres privilégiés, qui constitu<strong>en</strong>t<br />

sans doute une particularité strasbourgeoise.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Jean-Michel Boehler


Flor<strong>en</strong>ce MARGUET<br />

La bibliothèque <strong>de</strong> Nicolas <strong>de</strong> Corberon : un Premier<br />

Présid<strong>en</strong>t et ses livres au début du XVIIIe siècle<br />

«Un mon<strong>de</strong> pris dans un miroir qui <strong>en</strong> a l’épaisseur infinie, la variété et<br />

l’imprévisibilité 1 ». Quoi <strong>de</strong> plus fascinant pour un histori<strong>en</strong> que d’étudier une<br />

bibliothèque ! Surtout qu’aucun travail <strong>de</strong> ce type n’a été réalisé à ce jour sur le<br />

Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong>.<br />

De fait, ce travail pionnier d’histoire culturelle repose sur l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’inv<strong>en</strong>taire<br />

<strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> Monsieur le Premier Prési 2 d<strong>en</strong>t du Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong>, dressé le<br />

22 novembre 1700.<br />

Ma recherche s’est structurée autour <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux volets principaux. Le premier volet<br />

concerne le propriétaire <strong>de</strong>s livres, Monsieur Nicolas <strong>de</strong> Corberon. Le <strong>de</strong>uxième<br />

analyse le cont<strong>en</strong>u <strong>de</strong> la bibliothèque.<br />

Pour réaliser ce travail <strong>de</strong> recherche, j’ai utilisé la métho<strong>de</strong> quantitative et<br />

qualitative. J’ai égalem<strong>en</strong>t confronté mes résultats avec d’autres bibliothèques<br />

privées du milieu parlem<strong>en</strong>taire <strong>de</strong> son temps. Pour cette étu<strong>de</strong> comparative, je me<br />

suis particulièrem<strong>en</strong>t appuyée sur l’ouvrage <strong>de</strong> LIVET Georges et WILSDORF<br />

Nicole, Le Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong> au XVII ème siècle, les traités <strong>de</strong> Westphalie et<br />

les lieux <strong>de</strong> mémoires, Colmar,1997, ainsi que sur la thèse d’AUBERT Gauthier, Le<br />

présid<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Robi<strong>en</strong>, g<strong>en</strong>tilhomme et savant dans la Bretagne <strong>de</strong>s Lumières,<br />

R<strong>en</strong>nes, 2001.<br />

Nicolas <strong>de</strong> Corberon (1653-1729)<br />

<strong>Les</strong> sources disponibles aux Archives départem<strong>en</strong>tales du Haut-Rhin sont<br />

lacunaires pour la simple raison que Monsieur <strong>de</strong> Corberon est parisi<strong>en</strong> d’origine.<br />

1 SARTRE Maurice, <strong>Les</strong> mots, Paris,1978.<br />

2


Pour remédier à ce handicap, je me suis donc appuyée sur <strong>de</strong>s ouvrages<br />

d’histori<strong>en</strong>s locaux comme ceux <strong>de</strong> Jean-Luc Eich<strong>en</strong>laub et <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Muller sans<br />

oublier ,bi<strong>en</strong> sûr, la biographie réalisée par Lucie Roux qui a dressé dans les années<br />

soixante les docum<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>trés par voies extraordinaires relatifs à la famille<br />

Corberon-Bruges. Mais le revers <strong>de</strong> la médaille, c’est que ces ouvrages sont tout<br />

particulièrem<strong>en</strong>t élogieux. Il a donc fallu pr<strong>en</strong>dre un peu <strong>de</strong> distance.<br />

Nicolas-Augustin <strong>de</strong> Corberon est un homme né au cœur du royaume le 10<br />

janvier 1653. C’est un g<strong>en</strong>tilhomme issu d’une vieille famille bourguignonne<br />

«pépinière du conseil administratif <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Régime 1 ». Il est le fils <strong>de</strong> Françoise<br />

Courcier et <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> <strong>de</strong> Corberon, conseiller-trésorier <strong>de</strong>s Ligues <strong>de</strong> Suisse, puis<br />

conseiller-secrétaire <strong>en</strong> chef <strong>de</strong> la Cour <strong>de</strong>s Ai<strong>de</strong>s. Un grand flou règne sur sa<br />

jeunesse, sur son éducation et sur ses étu<strong>de</strong>s. On sait qu’il a fait «<strong>de</strong> soli<strong>de</strong>s et <strong>de</strong><br />

brillantes étu<strong>de</strong>s classiques 2 », ce qui n’a ri<strong>en</strong> d’original sous l’Anci<strong>en</strong> Régime.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, il a dû être un étudiant particulièrem<strong>en</strong>t brillant. En effet, il est très<br />

jeune lorsqu’il s’inscrit à la faculté <strong>de</strong> Droit à Paris. Il n’a pas seize ans révolus<br />

comme le requiert la législation <strong>en</strong> vigueur puisqu’il est avocat au Barreau <strong>de</strong> Paris<br />

<strong>en</strong> 1669. De plus, il a d’excell<strong>en</strong>tes relations. Il doit, <strong>en</strong> effet, le tournant <strong>de</strong> sa<br />

carrière à Louvois, marquis et ministre <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Louis XIV, car il est nommé<br />

Conseiller et Procureur général du Roi au Parlem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Metz <strong>en</strong> 1684. Ce<br />

Parlem<strong>en</strong>t est alors une compagnie dont le ressort est l’un <strong>de</strong>s plus ét<strong>en</strong>dus du<br />

royaume. Certes, il est brillant, il jouit d’excell<strong>en</strong>tes relations, mais il lui manque la<br />

richesse. C’est effectivem<strong>en</strong>t pour <strong>de</strong>s raisons financières que Nicolas quitte Paris<br />

pour pr<strong>en</strong>dre ses gra<strong>de</strong>s <strong>en</strong> province. <strong>Les</strong> offices y sont effectivem<strong>en</strong>t moins onéreux<br />

que ceux <strong>de</strong> la capitale. Cela le poursuivra jusqu’à la fin <strong>de</strong> ses jours puisqu’à son<br />

décès <strong>en</strong> 1729, ses <strong>en</strong>fants n’admett<strong>en</strong>t sa succession que sous bénéfice d’un<br />

inv<strong>en</strong>taire <strong>de</strong> peur (qu’elle) ne soit plus qu’onéreuse que profitable 3 ». De fait, une<br />

attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> désintéressem<strong>en</strong>t le caractérise. La confiance que lui accor<strong>de</strong> le roi<br />

constitue sa seule et unique récomp<strong>en</strong>se.<br />

Comme il est compét<strong>en</strong>t et bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> cour, Louis XIV le désigne alors le 24 avril<br />

1700 à la Première Présid<strong>en</strong>ce du Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong>. P<strong>en</strong>dant vingt-trois<br />

ans, il va remplir les différ<strong>en</strong>tes missions que le roi lui a assignées : celle d’organiser<br />

la compagnie établie à Colmar <strong>de</strong>puis1698, celle <strong>de</strong> faire pénétrer la culture<br />

française et surtout celle <strong>de</strong> bâtir l’unité juridique <strong>de</strong> la province. Ses services vont<br />

être appréciés aussi bi<strong>en</strong> par le service c<strong>en</strong>tral que par les officiers du Conseil. En<br />

témoign<strong>en</strong>t les nombreuses lettres d’honneurs qui figur<strong>en</strong>t sur son inv<strong>en</strong>taire après -<br />

1 ROUX Lucie (sous la direction <strong>de</strong> WILSDORF Christian),Inv<strong>en</strong>taire <strong>de</strong> la sous-série 1J :<br />

collection CORBERON-BRUGES, Colmar,1965, p.11.<br />

2 LIVET Georges et WILSDORF Nicole, Le Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong> au XVII ème siècle, les<br />

traités <strong>de</strong> Westphalie et les lieux <strong>de</strong> mémoire, Colmar,1998.<br />

3 ADHR 4 E 67 Colmar : Inv<strong>en</strong>taire et estimation <strong>de</strong> la succession <strong>de</strong> feu Nicolas <strong>de</strong><br />

Corberon.<br />

92


93<br />

décès et le fait que ses pairs vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t chaque année à son domicile lui souhaiter sa<br />

fête 1 .<br />

A partir <strong>de</strong> 1700, sa carrière s’<strong>en</strong>lise pourtant. En 1723, il ne sera élevé qu’à la<br />

dignité <strong>de</strong> conseiller d’Etat alors qu’il aurait pu espérer plus, l’int<strong>en</strong>dance par<br />

exemple. Deux explications peuv<strong>en</strong>t être avancées. D’une part, Monsieur <strong>de</strong><br />

Corberon n’a plus cherché ou n’a plus réussi à se faire <strong>de</strong> nouveaux alliés à la Cour<br />

une fois Louvois décédé <strong>en</strong> 1691. D’autre part, originaire <strong>de</strong> la vieille France, il ne<br />

s’est jamais fait à Colmar. Il l’écrit lui-même <strong>en</strong> 1706 «dans un pays comme celuyci<br />

au milieu <strong>de</strong> l’Allemagne je suis seul français 2 ».<br />

L’<strong>Alsace</strong> est pour lui une province étrangère par la langue, la religion, la culture,<br />

etc. A Colmar, il souffre d’<strong>en</strong>nui et d’isolem<strong>en</strong>t. D’<strong>en</strong>nui ,d’abord, puisque aucune<br />

institution culturelle et intellectuelle française n’a <strong>en</strong>core été fondée. D’isolem<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>suite car son cercle <strong>de</strong> sociabilité est très restreint. Il est constitué <strong>de</strong> quelques<br />

officiers parisi<strong>en</strong>s résidant dans le même quartier que lui, <strong>de</strong> ses cinq <strong>en</strong>fants et <strong>de</strong> sa<br />

vieille servante, madame Caquey.<br />

De fait, Monsieur le Premier se retranche dans son travail, surtout que quelques<br />

mois après son installation à Colmar, son épouse, Ma<strong>de</strong>leine, meurt <strong>en</strong> couches le 8<br />

juillet 1700. A partir <strong>de</strong> là, son quotidi<strong>en</strong> est fait d’austères journées au Palais avec<br />

comme principale compagnie ses livres <strong>de</strong> droit. Mais, il n’hésite pas non plus à<br />

faire d’incessants voyages à Paris <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s vacances du Conseil, ce qui exaspère<br />

surtout le Magistrat <strong>de</strong> la ville.<br />

Ce s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’isolem<strong>en</strong>t lui pèse d’autant plus puisqu’il a aimé voyager durant<br />

sa jeunesse. Deux voyages lointains l’ont <strong>en</strong> effet conduit <strong>en</strong> Asie, d’abord, sur les<br />

bords du Gange. Une telle <strong>de</strong>stination est exceptionnelle pour les contemporains.<br />

Le <strong>de</strong>uxième, plus traditionnel pour son époque, l’a conduit <strong>en</strong> Laponie <strong>en</strong><br />

compagnie du poète Regnard et du g<strong>en</strong>tilhomme Picard, <strong>de</strong> Fercourt.<br />

La bibliothèque <strong>de</strong> Monsieur le Premier présid<strong>en</strong>t<br />

La source<br />

La bibliothèque <strong>de</strong> Monsieur <strong>de</strong> Corberon nous est uniquem<strong>en</strong>t connue par un<br />

inv<strong>en</strong>taire manuscrit <strong>de</strong> tr<strong>en</strong>te et une pages rédigé par Desprez,«imprimeur et<br />

libraire ordinaire du roi <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Paris 3 ». Ce docum<strong>en</strong>t se trouve dans une<br />

minute notariale conservée aux archives départem<strong>en</strong>tales <strong>de</strong> la Char<strong>en</strong>te sous la cote<br />

1 FF 37(7) : A Monsieur le Premier pour la fête <strong>de</strong> Saint-Nicolas.<br />

2 BURCKARD François, Le Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong> au XVIIIème siècle, représ<strong>en</strong>tant du<br />

roi et déf<strong>en</strong>seur <strong>de</strong> la province, Colmar,1998, p.204.<br />

3 ADC E 531 : Inv<strong>en</strong>taire <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> Monsieur Nicolas <strong>de</strong> Corberon, le Premier présid<strong>en</strong>t<br />

du Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong> fait le 22 novembre 1700 au bas duquel est l’estimation faite<br />

par Desprez, le libraire du roi à Paris.


E 531, mais il a aussi été microfilmé aux archives départem<strong>en</strong>tales du Haut-Rhin à<br />

Colmar sous la cote Mi 616 (B 1-15). <strong>Les</strong> circonstances <strong>de</strong> sa rédaction serai<strong>en</strong>t<br />

liées à <strong>de</strong>s difficultés financières, puisque, <strong>en</strong> 1700, la vie <strong>de</strong> Monsieur Nicolas est<br />

marquée par <strong>de</strong>ux événem<strong>en</strong>ts importants : sa nomination à la présid<strong>en</strong>ce du<br />

Conseil souverain d’une part et d’autre part, par un fait douloureux, le décès <strong>de</strong> son<br />

épouse, Ma<strong>de</strong>leine, qui lui occasionne <strong>de</strong>s frais funéraires.<br />

Même si cet inv<strong>en</strong>taire est soigné, et qu’il précise le nombre <strong>de</strong> volumes, la<br />

langue dans laquelle sont imprimés les ouvrages et l’estimation globale <strong>de</strong> la<br />

bibliothèque, ce docum<strong>en</strong>t pose <strong>de</strong>s problèmes spécifiques qui doiv<strong>en</strong>t être<br />

correctem<strong>en</strong>t estimés.<br />

En effet, cette liste <strong>de</strong> livres n’est qu’une simple énumération <strong>de</strong>scriptive qui cite<br />

les livres rangés sur les rayons <strong>de</strong> la bibliothèque selon leur format.<br />

En outre, les m<strong>en</strong>tions <strong>de</strong>s ouvrages rest<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t allusives. Le nom <strong>de</strong><br />

l’auteur, le lieu et la date d’impression ne sont pas toujours indiqués. Quant aux<br />

titres, même s’ils ne sont pas déformés, ils sont tous, à quelques exceptions près,<br />

incomplets voire tronqués.<br />

Malgré ces limites, l’inv<strong>en</strong>taire livre toutefois une moisson suffisante<br />

d’informations culturelles à condition bi<strong>en</strong> sûr d’utiliser la métho<strong>de</strong> quantitative et<br />

qualitative.<br />

Dans un premier temps, j’ai donc analysé la structure <strong>de</strong> la bibliothèque <strong>en</strong><br />

utilisant la métho<strong>de</strong> quantitative car compter les livres est un geste immédiatem<strong>en</strong>t<br />

accepté 1 . Mais cette métho<strong>de</strong> permet juste <strong>de</strong> tracer <strong>de</strong>s frontières, <strong>en</strong> aucun cas on<br />

ne peut <strong>en</strong> tir 2 er <strong>de</strong>s certitu<strong>de</strong>s absolues. A ce titre, il ne faut pas être dupe <strong>en</strong><br />

croyant que la bibliothèque inv<strong>en</strong>toriée recèle tous les livres. De là, l’étu<strong>de</strong><br />

qualitative reste elle aussi incomplète et ouverte à <strong>de</strong> nombreuses hypothèses. Elle<br />

n’offre que <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts partiels sur les goûts et les curiosités <strong>de</strong> Monsieur <strong>de</strong><br />

Corberon, d’autant plus qu’il n’a pas lu tous les livres qui garnissai<strong>en</strong>t sa<br />

bibliothèque.<br />

Malgré tout, cette bibliothèque privée reste une aubaine. Elle révèle un<br />

panorama <strong>de</strong> ce que pouvait être la culture intellectuelle et le <strong>de</strong>gré d’originalité <strong>en</strong><br />

matière <strong>de</strong> lecture d’un <strong>de</strong>s membres du Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong> au tout début<br />

du XVIII ème siècle.<br />

94<br />

L’importance, l’origine et la vitalité <strong>de</strong> la bibliothèque<br />

Monsieur <strong>de</strong> Corberon possè<strong>de</strong> 1140 titres et 1456 volumes <strong>en</strong> 1700. La<br />

comparaison avec quelques propriétaires <strong>de</strong> livres du Conseil souverain et d’ailleurs<br />

m’a permis d’évaluer l’importance relative <strong>de</strong> cette collection. Au terme <strong>de</strong> ces<br />

1 LE GOFF Jacques et NORA Pierre (sous la direction <strong>de</strong>), «Le livre, un changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

perspective», in Faire <strong>de</strong> l’histoire, Tome III : Nouveaux objets, Gallimard, Paris,1986,<br />

p.156-178.<br />

2


95<br />

comparaisons, une constatation s’impose : si la bibliothèque <strong>de</strong> Monsieur le<br />

Premier est <strong>de</strong> taille exceptionnelle à l’échelle locale, elle ne l’est plus à l’échelle du<br />

royaume. De fait, Monsieur <strong>de</strong> Corberon déti<strong>en</strong>t une bibliothèque d’importance<br />

moy<strong>en</strong>ne qui r<strong>en</strong>ferme néanmoins un important capital culturel. Capital culturel<br />

qu’il doit <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partie à ses ancêtres, c’est <strong>en</strong> tout cas ce que révèle l’étu<strong>de</strong><br />

chronologique <strong>de</strong> la collection.<br />

Une v<strong>en</strong>tilation par format <strong>de</strong>s ouvrages m’a aussi permis <strong>de</strong> voir que cette<br />

bibliothèque était loin d’être <strong>en</strong>combrée d’in-folio. Seules les catégories du droit et<br />

<strong>de</strong> la jurisprud<strong>en</strong>ce, <strong>de</strong>s dictionnaires et <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong>s arts sont sur-représ<strong>en</strong>tées<br />

dans ce domaine. De fait, Monsieur <strong>de</strong> Corberon est un liseur qui privilégie<br />

simultaném<strong>en</strong>t une lecture plus facile, au moins par la taille <strong>de</strong>s ouvrages, et <strong>de</strong>s<br />

éditions peu coûteuses.<br />

Ensuite, la v<strong>en</strong>tilation par lieu d’édition a mis <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce le profil géographique<br />

<strong>de</strong> la collection. Cette <strong>de</strong>rnière est avant tout française et au sein <strong>de</strong> cette<br />

production, la masse imposante <strong>de</strong>s livres parisi<strong>en</strong>s affirme le triomphe <strong>de</strong> Paris<br />

comme capitale intellectuelle sur un semis provincial <strong>de</strong> petits c<strong>en</strong>tres d’édition. La<br />

gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s ouvrages édités à l’étranger provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

Provinces-Unies et <strong>de</strong>s pays germaniques.<br />

Enfin, l’analyse <strong>de</strong> la répartition <strong>de</strong>s livres d’après la langue révèle l’attachem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> Monsieur le Premier au latin, qui est pourtant <strong>en</strong> perte <strong>de</strong> vitesse <strong>de</strong>puis le XVIe<br />

siècle. Mais il n’est pas pour autant un conservateur <strong>de</strong> la culture. En effet, sa<br />

bibliothèque témoigne d’un essor considérable <strong>de</strong>s langues nationales. Le français<br />

reste <strong>en</strong> tête, l’itali<strong>en</strong>, l’espagnol et l’anglais suiv<strong>en</strong>t loin <strong>de</strong>rrière alors que<br />

l’allemand est paradoxalem<strong>en</strong>t abs<strong>en</strong>t.<br />

Cont<strong>en</strong>u et caractères <strong>de</strong> la bibliothèque<br />

L’id<strong>en</strong>tification <strong>de</strong>s ouvrages s’est faite à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> dictionnaires 1 et <strong>de</strong> catalogues<br />

<strong>de</strong> bibliothèques 2 sans oublier les travaux faisant autorité dans l’histoire du livre 3 .<br />

<strong>Les</strong> titres reconnus ont été classés <strong>en</strong> adoptant les métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> classem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

librairie <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Régime ( théologie, droit, histoire, belles-lettres et sci<strong>en</strong>ces et<br />

les arts) afin d’éviter d’une part, le péché <strong>de</strong> l’anachronisme et d’autre part, pour<br />

r<strong>en</strong>dre possible <strong>de</strong>s comparaisons <strong>en</strong>tre plusieurs collections. Toutefois, une certaine<br />

distance s’impose afin <strong>de</strong> faire apparaître <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>dances que ce représ<strong>en</strong>tant du<br />

1 BRUNET Jean-Charles, Manuel du libraire et <strong>de</strong> l’amateur <strong>de</strong>s livres, G<strong>en</strong>ève,1990.<br />

Pour la rubrique du droit l’ouvrage suivant m’a beaucoup aidée : CAMUS et DUPIN,<br />

Lettres sur la profession d’avocat et bibliothèque choisie <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> droit qu’il est utile <strong>de</strong><br />

connaître et d’acquérir, Paris, 1805, Tome I et II.<br />

2 <strong>Les</strong> catalogues <strong>de</strong> la Bibliothèque Nationale et <strong>de</strong> la Washington Library.<br />

3MARTIN H<strong>en</strong>ri-Jean, Livre, pouvoir et société à Paris (1598-1701), G<strong>en</strong>ève,1984, Tome I<br />

et II JOLLY Clau<strong>de</strong> (dir.), <strong>Les</strong> bibliothèques privées à Paris au milieu du XVIIIème siècle,<br />

Paris,1978.


96<br />

mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la justice ne discernait pas ou discernait mal à l’époque mais que le recul<br />

du temps autorise à pr<strong>en</strong>dre. <strong>Les</strong> livres y sont donc répartis <strong>en</strong> 8 gran<strong>de</strong>s catégories,<br />

elles-mêmes divisées <strong>en</strong> sous- catégories : théologie et religion ; droit et<br />

jurisprud<strong>en</strong>ce ; histoire, politique et géographie ; sci<strong>en</strong>ces et arts ; belles-lettres ;<br />

périodiques et journaux ; dictionnaires ; divers.<br />

Au terme <strong>de</strong> ce classem<strong>en</strong>t, on s’aperçoit que la collection est riche et variée et<br />

que son cont<strong>en</strong>u est différ<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s autres bibliothèques <strong>de</strong> ses collègues du Conseil<br />

souverain et <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Christophe-Paul <strong>de</strong> Robi<strong>en</strong>. Trois caractères peuv<strong>en</strong>t être<br />

ainsi mis <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce. Tout d’abord, le caractère professionnel est clairem<strong>en</strong>t<br />

affirmé. <strong>Les</strong> livres <strong>de</strong> droit <strong>en</strong> form<strong>en</strong>t la base. S’y s’ajout<strong>en</strong>t les livres d’histoire, <strong>de</strong><br />

belles-lettres et <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> théologi<strong>en</strong>s polémistes. Vu le maquis juridique<br />

qu’est l’<strong>Alsace</strong>, les multiples manuels <strong>de</strong> droit ( 25,9% <strong>en</strong> tout) et <strong>de</strong> jurisprud<strong>en</strong>ce<br />

(28% <strong>en</strong> tout) lui sont d’un grand secours . Dans la rubrique du droit, il est aussi<br />

fort intéressant <strong>de</strong> souligner l’importance relative pour l’époque <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> droit<br />

international et <strong>de</strong> droit étranger public (6%). Cette connaissance <strong>de</strong> la situation<br />

politique <strong>de</strong> la France au sein <strong>de</strong>s puissances europé<strong>en</strong>nes n’est donc pas sans li<strong>en</strong><br />

avec sa désignation et son mainti<strong>en</strong> <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>. La rubrique histoire se prés<strong>en</strong>te<br />

quant à elle comme un complém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ses connaissances juridiques et comme une<br />

base <strong>de</strong> raisonnem<strong>en</strong>t. De plus, c’est uniquem<strong>en</strong>t dans ce fonds qu’apparaît<br />

l’Allemagne tant dans sa dim<strong>en</strong>sion géographique qu’historique.<br />

<strong>Les</strong> ouvrages <strong>de</strong>s belles-lettres n’ont pas pour vocation <strong>de</strong> distraire le Premier<br />

Présid<strong>en</strong>t. Ils lui serv<strong>en</strong>t à bi<strong>en</strong> s’exprimer ce qui ne saurait nous étonner vu<br />

l’importance du discours dans son milieu. De fait, <strong>de</strong> nombreux ouvrages <strong>de</strong><br />

rhétorique et <strong>de</strong>s traités <strong>de</strong> littérature (57% <strong>en</strong> tout) s’align<strong>en</strong>t sur les rayons <strong>de</strong> la<br />

bibliothèque. Enfin, même si Monsieur <strong>de</strong> Corberon est pieux, il est davantage<br />

tourné vers la dim<strong>en</strong>sion temporelle <strong>de</strong> la religion axée sur le débat et la r<strong>en</strong>contre<br />

que vers son aspect spirituel. <strong>Les</strong> théologi<strong>en</strong>s polémistes se taill<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t la<br />

plus belle part <strong>de</strong> la rubrique avec un pourc<strong>en</strong>tage <strong>de</strong> 33,7% .<br />

Caractère <strong>en</strong>cyclopédique<br />

Monsieur Nicolas <strong>de</strong> Corberon s’intéresse à tout. C’est ce qui ressort lorsqu’on<br />

regar<strong>de</strong> même sans <strong>en</strong>trer dans les détails le classem<strong>en</strong>t effectué. Il y a dans cette<br />

bibliothèque <strong>de</strong> multiples manifestations d’une gran<strong>de</strong> curiosité. Par exemple, il<br />

possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>s dictionnaires anglais, arabe, hébreu, espagnol et itali<strong>en</strong>. Sa bibliothèque<br />

r<strong>en</strong>ferme égalem<strong>en</strong>t un Coran. <strong>Les</strong> livres <strong>de</strong> géographie et d’histoire illustr<strong>en</strong>t<br />

égalem<strong>en</strong>t cette dim<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>cyclopédique.<br />

A côté <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> géographie traitant <strong>de</strong> l’Antiquité, Monsieur <strong>de</strong><br />

Corberon a <strong>de</strong>s atlas plus mo<strong>de</strong>rnes et surtout <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> voyages <strong>de</strong> toutes les<br />

parties du mon<strong>de</strong>. L’histoire complète ce goût pour l’exotique : l’histoire <strong>de</strong>s<br />

«monarchies hors d’Europe» représ<strong>en</strong>te 4% <strong>en</strong> tout. Cela peut paraître mo<strong>de</strong>ste,<br />

mais cela n’<strong>en</strong> est pas moins significatif d’un élargissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’univers


géographique, qui est manifeste à partir du XVI ème . Toutefois, les principaux c<strong>en</strong>tres<br />

d’intérêt rest<strong>en</strong>t l’histoire française et europé<strong>en</strong>ne.<br />

97<br />

Caractère paradoxal : <strong>en</strong>tre tradition et mo<strong>de</strong>rnité<br />

La bibliothèque semble avant tout être celle d’un homme qui, sans ignorer les<br />

canons <strong>de</strong> son temps, ne s’y plie pas toujours et préfère acquérir <strong>de</strong>s livres fidèles à<br />

la tradition et à l’autorité. L’influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la R<strong>en</strong>aissance est nette, alors que parmi<br />

les ouvrages relatifs au Grand Siècle, peu d’ouvrages concern<strong>en</strong>t le jansénisme ou la<br />

crise <strong>de</strong> consci<strong>en</strong>ce europé<strong>en</strong>ne. Monsieur le Premier est donc attristé et effrayé par<br />

les profon<strong>de</strong>s mutations idéologiques qui prépar<strong>en</strong>t les Lumières. Il l’est d’autant<br />

plus qu’ <strong>en</strong> tant qu’officier du roi dans une province fraîchem<strong>en</strong>t conquise, il doit<br />

une <strong>en</strong>tière soumission à son Roi.<br />

Conclusion<br />

La culture <strong>de</strong> Monsieur Nicolas <strong>de</strong> Corberon est digne <strong>de</strong> celle d’un magistrat.<br />

Elle est profondém<strong>en</strong>t juridique et historico-politique. Sa bibliothèque est donc<br />

avant tout une bibliothèque <strong>de</strong> travail, même si <strong>de</strong> multiples indices révèl<strong>en</strong>t la<br />

gran<strong>de</strong> curiosité <strong>de</strong> son propriétaire.<br />

Ces conclusions ne représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t qu’un <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> ce que pouvait être la<br />

culture d’un magistrat du Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong>. Il serait intéressant <strong>de</strong><br />

poursuivre l’<strong>en</strong>quête au sein <strong>de</strong> cette institution pour pouvoir confronter nos<br />

résultats.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Alain. J Lemaître


Aurélie SCHUPPERT<br />

Tutelle et curatelle au XVIII e siècle à Fort-Louis : procès-<br />

verbaux <strong>de</strong>s conseils et <strong>de</strong>s nominations d’office<br />

La tutelle et la curatelle constitu<strong>en</strong>t un sujet peu étudié par les histori<strong>en</strong>s, alors<br />

que les cas <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong> curatelle sont très fréqu<strong>en</strong>ts dans la société d’Anci<strong>en</strong><br />

Régime. En effet, cette pério<strong>de</strong> est marquée par un fort taux <strong>de</strong> mortalité qui<br />

<strong>en</strong>traîne une séparation précoce <strong>de</strong>s couples et, par conséqu<strong>en</strong>t, un nombre<br />

important d’orphelins. Le par<strong>en</strong>t survivant doit se préoccuper alors <strong>de</strong> la gestion du<br />

patrimoine que ses <strong>en</strong>fants hérit<strong>en</strong>t du par<strong>en</strong>t prédécédé. C’est <strong>en</strong> vue <strong>de</strong> la gestion<br />

<strong>de</strong> ce patrimoine que l’on <strong>en</strong>tame une procédure à la fois juridique et sociale :<br />

l’ouverture d’une tutelle ou d’une curatelle. Car, pour repr<strong>en</strong>dre l’expression <strong>de</strong><br />

Sylvie Perrier, « la clé <strong>de</strong> voûte <strong>de</strong> la tutelle <strong>de</strong>s mineurs, c’est le patrimoine » 1 . La<br />

mise sous tutelle vise à protéger les orphelins <strong>de</strong> père, <strong>de</strong> mère ou <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tant<br />

qu’ils sont mineurs. Quant à la mise sous curatelle, elle s’applique à <strong>de</strong>s catégories<br />

<strong>de</strong> personnes et <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s multiples mais précises.<br />

Sources<br />

Le choix <strong>de</strong> Fort-Louis comme cadre d’étu<strong>de</strong> donne lieu à la première étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> et permet d’abor<strong>de</strong>r une société particulière à<br />

bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s égards. Un fonds quasi-complet 2 <strong>de</strong> 793 procès-verbaux <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong><br />

tutelle et <strong>de</strong> nominations d’office classés dans les cotes 6E33/186, 6E33/187,<br />

6E33/188, 6E33/189, 6E33/190 et 6E33/191 aux Archives départem<strong>en</strong>tales du<br />

Bas-Rhin constitue notre source pour étudier la tutelle et la curatelle<br />

fortlouisi<strong>en</strong>nes. Avec ces procès-verbaux qui se situ<strong>en</strong>t <strong>en</strong> amont <strong>de</strong> la procédure<br />

tutélaire, c’est une <strong>de</strong>s premières fois que l’on se p<strong>en</strong>che sur l’ouverture <strong>de</strong> la tutelle<br />

1 e e<br />

PERRIER Sylvie, La tutelle <strong>de</strong>s mineurs <strong>en</strong> France, XVII -XVIII siècles : famille, patrimoine,<br />

<strong>en</strong>fance, Paris, 1996, p. 6.<br />

2<br />

D’après l’inv<strong>en</strong>taire <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s actes du greffe <strong>de</strong> la Prévôté <strong>de</strong> Fort-Louis classé<br />

dans la cote 6E33/185, seuls <strong>de</strong>ux actes sont manquants.


100<br />

et <strong>de</strong> la curatelle alors que les comptes <strong>de</strong> tutelle, qui, eux, constitu<strong>en</strong>t la <strong>de</strong>rnière<br />

étape <strong>de</strong> la procédure, sont bi<strong>en</strong> davantage étudiés par les histori<strong>en</strong>s s’intéressant à<br />

la transmission du patrimoine.<br />

Afin <strong>de</strong> bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre qu’on abor<strong>de</strong> un cas particulier avec le choix <strong>de</strong> Fort-<br />

Louis comme lieu d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s procès-verbaux <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong><br />

nominations d’office, il convi<strong>en</strong>t tout d’abord <strong>de</strong> prés<strong>en</strong>ter cette ville dans toute son<br />

originalité. Dans un <strong>de</strong>uxième temps, il s’agit <strong>de</strong> s’intéresser aux procédures<br />

juridiques, au fonctionnem<strong>en</strong>t et aux acteurs <strong>de</strong> la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle. Cet<br />

arrière-plan théorique est nécessaire avant <strong>de</strong> se p<strong>en</strong>cher sur la pratique <strong>de</strong> la mise<br />

sous tutelle et sous curatelle à Fort-Louis. Pour finir, les procès-verbaux et les<br />

nominations d’office donn<strong>en</strong>t la possibilité <strong>de</strong> saisir les relations sociales et<br />

familiales qui uniss<strong>en</strong>t les membres du conseil, le tuteur, le curateur et le subrogétuteur<br />

à l’orphelin et au défunt.<br />

Situation historique, géographique et politique <strong>de</strong> Fort-Louis<br />

La fondation <strong>de</strong> Fort-Louis 1 s’explique par les t<strong>en</strong>sions qui s’exerc<strong>en</strong>t à la<br />

frontière alsaci<strong>en</strong>ne <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux puissances militaires, le Royaume <strong>de</strong> France et le<br />

Saint-Empire romain germanique. Lorsqu’est signé le 9 juillet 1686 le pacte<br />

définissant la Ligue d’Augsbourg <strong>en</strong>tre l’Empereur, l’Espagne, la Suè<strong>de</strong> et l’Electeur<br />

<strong>de</strong> Bavière, Louis XIV compr<strong>en</strong>d qu’il est m<strong>en</strong>acé par la déclaration d’une guerre<br />

aussitôt que l’Autriche aura réussi à battre ses <strong>en</strong>nemis sur la frontière ori<strong>en</strong>tale et<br />

qu’il lui faut se constituer une tête <strong>de</strong> pont sur le Rhin. Tara<strong>de</strong>, ingénieur <strong>en</strong> chef<br />

du roi à Strasbourg, propose le site <strong>de</strong> Gis<strong>en</strong>heim pour construire cette tête <strong>de</strong> pont,<br />

site qui joint la rive alsaci<strong>en</strong>ne du Rhin à celle du margraviat <strong>de</strong> Ba<strong>de</strong>, à huit lieues<br />

au nord <strong>de</strong> Strasbourg. Vauban, malgré ses rétic<strong>en</strong>ces, doit se plier aux ordres du roi<br />

<strong>de</strong> fortifier Gis<strong>en</strong>heim qui pr<strong>en</strong>d le nom <strong>de</strong> Fort-Louis <strong>en</strong> l’honneur du roi Louis<br />

XIV ; les travaux ne dur<strong>en</strong>t pas moins <strong>de</strong> dix ans. Fort-Louis complète ainsi le<br />

système déf<strong>en</strong>sif <strong>de</strong> la frontière nord-est du Royaume, avec ses trois forts, le « Fort<br />

Carré », le « Fort <strong>Alsace</strong> » et le « Fort Marquisat ». Fort-Louis abrite une garnison<br />

forte <strong>de</strong> 2000 hommes à certaines pério<strong>de</strong>s, avec lesquels cohabite la communauté<br />

civile, dont les membres sont attirés à Fort-Louis par leur <strong>en</strong>vie <strong>de</strong> faire fortune <strong>en</strong><br />

ravitaillant la garnison et par les privilèges que leur accor<strong>de</strong> Louis XIV. Ainsi<br />

1 L’histoire <strong>de</strong> Fort-Louis nous est parv<strong>en</strong>ue grâce à trois auteurs : BLATTNER Jean-<br />

François, Fort-Louis, Monographie d’un petit village ou le <strong>de</strong>stin d’une ville <strong>de</strong> Louis XIV, 5<br />

vol., Hagu<strong>en</strong>au, 1980-1983, BRENET Charles, La guerre <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> ou historique <strong>de</strong>s places <strong>de</strong><br />

guerre <strong>de</strong> Landau, Wissembourg, Lauterbourg, Licht<strong>en</strong>berg, Petite-Pierre, Fort-Louis, Strasbourg,<br />

Kehl, Schlestadt, Vieux et Neuf-Brisach, Fort-Mortier, Huningue et Belfort, Issoudun, 1889 et<br />

SIEFFERT Archangelus, Fort-Louis, Geschichte von Festung, Stadt und Dorf, Hei<strong>de</strong>lberg,<br />

1935.<br />

.


101<br />

arriv<strong>en</strong>t à Fort-Louis <strong>de</strong>s colons <strong>de</strong> multiples horizons géographiques, <strong>de</strong> Picardie,<br />

du Pays <strong>de</strong> Ba<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Suisse, <strong>de</strong> Paris, <strong>de</strong> Bretagne, du Midi et <strong>de</strong> Corse et qui n’ont<br />

aucune attache sur place puisque Fort-Louis est une création ex nihilo. Au sein <strong>de</strong><br />

cette population, on trouve beaucoup <strong>de</strong> marchands, d’artisans, <strong>de</strong> personnes<br />

exerçant dans les métiers du textile et <strong>de</strong> l’alim<strong>en</strong>tation. Mais les conditions <strong>de</strong> vie<br />

ne sont pas toujours clém<strong>en</strong>tes. Au début, la garnison, nombreuse, permet à la<br />

population locale <strong>de</strong> vivre <strong>de</strong> son travail, mais lorsque le champ <strong>de</strong> bataille s’éloigne,<br />

logiquem<strong>en</strong>t les troupes suiv<strong>en</strong>t le mouvem<strong>en</strong>t et les débouchés pour les vivres<br />

produits à Fort-Louis baiss<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t. S’ajout<strong>en</strong>t à cela les mauvaises<br />

conditions d’hygiène et l’insalubrité du site, dues au fait que Fort-Louis se situe<br />

dans une zone marécageuse. Cela ne favorise pas l’installation définitive d’immigrés<br />

et <strong>en</strong>traîne un taux <strong>de</strong> mortalité élevé.<br />

Fort-Louis est l’une <strong>de</strong>s quatre villes royales d’<strong>Alsace</strong>. Le roi y installe son<br />

administration française et c’est le prévôt royal qui prési<strong>de</strong> la prévôté, qui y r<strong>en</strong>d la<br />

justice, qui fait office <strong>de</strong> chef <strong>de</strong> police et qui contrôle la gestion communale. Il est<br />

secondé pour ce qui est <strong>de</strong>s affaires civiles par le procureur du roi, par un conseil<br />

composé du bourgmestre et <strong>de</strong> quatre conseillers municipaux, par un greffiernotaire<br />

royal et par un huissier royal.<br />

On a vu que la création <strong>de</strong> Fort-Louis est due à la situation conflictuelle <strong>de</strong><br />

l’époque. Certes, la place forte participe à la Guerre <strong>de</strong> la Ligue d’Augsbourg et doit<br />

faire face à un siège durant l’hiver 1705-1706, mais <strong>en</strong>suite son rôle militaire<br />

s’affaiblit. Fort-Louis gar<strong>de</strong> cep<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> son passé militaire le quadrillage régulier<br />

et symétrique <strong>de</strong>s rues ainsi que <strong>de</strong>s noms <strong>de</strong> rue évocateurs (rue Saint - Louis, rue<br />

Bourbon).<br />

Notre sujet d’étu<strong>de</strong> concerne donc une société créée <strong>de</strong> toute pièce et bi<strong>en</strong><br />

différ<strong>en</strong>te <strong>de</strong> la société rurale alsaci<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> l’époque. C’est cette microsociété<br />

originale qu’il nous faut appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r.<br />

Le cadre spatial et historique étant bi<strong>en</strong> défini, il est possible maint<strong>en</strong>ant<br />

d’abor<strong>de</strong>r la tutelle et la curatelle sous un angle juridique.<br />

Prés<strong>en</strong>tation juridique <strong>de</strong> la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle<br />

La tutelle<br />

La tutelle est une pratique pluriséculaire qui pr<strong>en</strong>d sa source dans le droit<br />

romain. Elle arrive <strong>en</strong> force <strong>en</strong> France à la fin du XIII e siècle pour acquérir <strong>de</strong>s<br />

formes presque définitives au milieu du XIV e siècle. Le vocable tutelle du latin<br />

tutela recouvre une idée stable au fil <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong> protection <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s et <strong>de</strong> la<br />

personne <strong>de</strong>s mineurs orphelins tout <strong>en</strong> s’articulant autour <strong>de</strong> procédures qui<br />

évolu<strong>en</strong>t au cours <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong>. Est considéré mineur à Fort-Louis celui qui n’a pas<br />

<strong>en</strong>core atteint l’âge <strong>de</strong> 25 ans. <strong>Les</strong> pays <strong>de</strong> droit écrit compt<strong>en</strong>t trois sortes <strong>de</strong><br />

tutelle : la tutelle testam<strong>en</strong>taire « qui est déférée à quelqu’un dans un testam<strong>en</strong>t par


102<br />

celui qui a droit <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s tuteurs » 1 , la tutelle légitime « qui est déférée au plus<br />

proche par<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s <strong>en</strong>fans au défaut <strong>de</strong> la tutelle testam<strong>en</strong>taire » 2 et la tutelle dative<br />

qui est déférée par « le juge du domicile <strong>de</strong>s pupilles » 3 . Dans la France coutumière<br />

dont fait partie Fort-Louis, seule la tutelle dative est <strong>en</strong> usage. Cep<strong>en</strong>dant, la France<br />

coutumière permet la tutelle légitime et la tutelle testam<strong>en</strong>taire à condition qu’elles<br />

soi<strong>en</strong>t confirmées par un juge ; <strong>en</strong> fait, les tutelles légitimes et testam<strong>en</strong>taires sont<br />

déguisées <strong>en</strong> tutelle dative.<br />

La procédure tutélaire compte plusieurs étapes. L’ouverture <strong>de</strong> la tutelle a lieu<br />

lorsqu’un mineur hérite d’un patrimoine, qu’il lui vi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> son par<strong>en</strong>t prédécédé,<br />

cas <strong>de</strong> loin le plus fréqu<strong>en</strong>t, ou d’une autre source, car il faut charger un tiers <strong>de</strong> la<br />

gestion <strong>de</strong> ce patrimoine. On peut aussi nommer un tuteur à un mineur <strong>en</strong> procès,<br />

ce tuteur servant <strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tant légal. La procédure comm<strong>en</strong>ce lorsque l’un <strong>de</strong>s<br />

proches, appelé requérant, prés<strong>en</strong>te une requête au juge pour signaler l’exist<strong>en</strong>ce<br />

d’un mineur nécessitant une mise sous tutelle. Soit ce proche <strong>de</strong>man<strong>de</strong> la réunion<br />

d’un conseil <strong>de</strong> tutelle pour élire un tuteur et un subrogé-tuteur au mineur, cas dans<br />

lequel le serg<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ville <strong>en</strong>voie une lettre d’assignation aux membres du conseil,<br />

soit il propose que le juge lui <strong>en</strong> nomme d’office. Le premier acte du tuteur est <strong>de</strong><br />

faire dresser l’inv<strong>en</strong>taire <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s du défunt sous la surveillance du subrogé-tuteur.<br />

Cet acte est important car il détermine le début <strong>de</strong> la gestion tutélaire. L’inv<strong>en</strong>taire<br />

terminé, le tuteur doit procé<strong>de</strong>r à la v<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s meubles <strong>de</strong> ses pupilles.<br />

P<strong>en</strong>dant la durée <strong>de</strong> la tutelle, le tuteur perçoit les rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong>s mineurs, effectue les<br />

réparations nécessaires sur les bi<strong>en</strong>s, paie les charges et les impôts et pourvoit à<br />

l’éducation <strong>de</strong>s pupilles. La tutelle peut être interrompue par plusieurs événem<strong>en</strong>ts.<br />

Evi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t la mort du mineur met fin immédiatem<strong>en</strong>t à la tutelle. Si le tuteur<br />

meurt, s’il s’abs<strong>en</strong>te ou <strong>en</strong>core s’il est <strong>de</strong>stitué pour quelque raison que ce soit, on<br />

procè<strong>de</strong> à une nouvelle élection. La tutelle se termine <strong>de</strong> plein droit dans la France<br />

coutumière lorsque le pupille a atteint l’âge <strong>de</strong> 25 ans, majorité légale. Quant à<br />

l’émancipation, suite au mariage par exemple, elle fait aussi sortir le mineur <strong>de</strong><br />

tutelle. Pour finir, le remariage <strong>de</strong> la mère l’empêche <strong>de</strong> conserver sa fonction <strong>de</strong><br />

tutrice. La <strong>de</strong>rnière étape <strong>de</strong> la procédure rési<strong>de</strong> dans la reddition <strong>de</strong>s comptes où<br />

l’on trouve les chapitres <strong>de</strong> recettes, les chapitres <strong>de</strong> dép<strong>en</strong>ses et finalem<strong>en</strong>t les<br />

chapitres <strong>de</strong> reprises où sont inscrites les <strong>de</strong>ttes récupérables. Certes, la reddition <strong>de</strong>s<br />

comptes clôt officiellem<strong>en</strong>t la tutelle, mais le pupille dispose <strong>de</strong> dix ans à partir <strong>de</strong><br />

sa majorité pour protester contre les actes réalisés par le tuteur qui lui port<strong>en</strong>t tort.<br />

1 FERRIERE Clau<strong>de</strong>-Joseph (<strong>de</strong>), Dictionnaire <strong>de</strong> droit et <strong>de</strong> pratique cont<strong>en</strong>ant l’explication<br />

<strong>de</strong>s termes <strong>de</strong> droit, d’ordonnances, <strong>de</strong> coutumes et <strong>de</strong> pratique, avec les juridictions du royaume,<br />

Paris, 1762, p. 1051 (éd. orig. Paris, 1734).<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid. p. 1052.


103<br />

La curatelle<br />

Dans le cas général, la curatelle vi<strong>en</strong>t compléter la tutelle pour assurer la<br />

continuité dans la gestion du patrimoine <strong>de</strong>s personnes majeures mais incapables <strong>de</strong><br />

se gérer elles-mêmes. Ainsi, on nomme <strong>de</strong>s tuteurs aux prodigues et aux<br />

dém<strong>en</strong>ts. Mais la curatelle peut aussi s’adresser à <strong>de</strong>s mineurs, mineurs sortis <strong>de</strong><br />

tutelle suite à une émancipation, mineurs <strong>en</strong>core sous tutelle lorsqu’ils ont <strong>de</strong>s<br />

actions à m<strong>en</strong>er contre leur tuteur, mineurs proches <strong>de</strong> leur majorité ou <strong>en</strong>core<br />

mineurs non orphelins qui bénéfici<strong>en</strong>t d’un legs. Une situation extrême se prés<strong>en</strong>te<br />

quand une femme est <strong>en</strong>ceinte au mom<strong>en</strong>t du décès <strong>de</strong> son mari : on nomme alors<br />

un curateur au posthume aussi appelé curateur au v<strong>en</strong>tre, qui agit au nom <strong>de</strong><br />

l’<strong>en</strong>fant à naître pour déf<strong>en</strong>dre ses intérêts. Cette curatelle pr<strong>en</strong>d fin à la naissance<br />

du posthume à qui on désigne alors un tuteur. On nomme égalem<strong>en</strong>t un curateur à<br />

un abs<strong>en</strong>t, c’est-à-dire à un individu qui a quitté la région <strong>en</strong> y laissant ses bi<strong>en</strong>s ou<br />

dans les affaires criminelles à un accusé sourd et muet ou refusant <strong>de</strong> répondre et au<br />

cadavre <strong>de</strong> celui qui a été tué <strong>en</strong> duel ou qui est décédé coupable <strong>de</strong> lèse-majesté.<br />

Dans la curatelle ad lites, le curateur est chargé <strong>de</strong> s’occuper d’une succession qui<br />

suscite <strong>de</strong>s contestations. Certaines curatelles ne concern<strong>en</strong>t que <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s, telles la<br />

curatelle aux bi<strong>en</strong>s vacants, c’est-à-dire aux bi<strong>en</strong>s d’un défunt qui n’a laissé aucun<br />

héritier, aux bi<strong>en</strong>s déguerpis à cause <strong>de</strong>s charges qui pès<strong>en</strong>t sur eux, aux bi<strong>en</strong>s<br />

délaissés par le possesseur car la personne à laquelle il a acheté ces bi<strong>en</strong>s avait sur eux<br />

une hypothèque dont il n’avait pas connaissance au jour <strong>de</strong> la v<strong>en</strong>te ou <strong>en</strong>core aux<br />

bi<strong>en</strong>s saisis réellem<strong>en</strong>t.<br />

Sont interdits <strong>de</strong>s charges tutélaires les évêques, les moines, les interdits et les<br />

femmes, exceptées les mères et les aïeules car elles bénéfici<strong>en</strong>t d’un privilège spécial<br />

fondé sur l’affection qu’elles ont pour leurs <strong>en</strong>fants et petits-<strong>en</strong>fants. En revanche,<br />

les mères tutrices convolant <strong>en</strong> secon<strong>de</strong>s noces sont déchargées <strong>de</strong> leur fonction. Si<br />

ces individus sont exclus d’office <strong>de</strong>s charges, d’autres, pourtant jugés capables <strong>de</strong><br />

les assumer, peuv<strong>en</strong>t s’<strong>en</strong> excuser s’ils ont au moins cinq <strong>en</strong>fants vivants, s’ils sont<br />

déjà chargés <strong>de</strong> trois tutelles ou curatelles, s’ils n’ont point <strong>de</strong> domicile dans le lieu<br />

où résid<strong>en</strong>t les pupilles, s’ils ont plus <strong>de</strong> soixante-dix ans, s’ils ont perdu la vue ou<br />

<strong>en</strong>core s’ils sont atteints d’une maladie. De plus, certaines professions exempt<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s charges tutélaires, comme celle <strong>de</strong> conseiller d’une cour souveraine.<br />

La pratique <strong>de</strong> la mise sous tutelle et sous curatelle à Fort-Louis<br />

<strong>Les</strong> coutumes <strong>de</strong> Fort-Louis, qui nous parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t grâce à l’Anci<strong>en</strong> statutaire<br />

d’<strong>Alsace</strong> ou recueil <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> notoriété 1 , ne conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aucun article fixant les<br />

conditions <strong>de</strong> la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle. Tout au plus, trouvons nous <strong>de</strong>ux articles<br />

1 Anci<strong>en</strong> statutaire d’<strong>Alsace</strong> ou recueil <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> notoriété fournis <strong>en</strong> 1738 et 1739 à M <strong>de</strong><br />

Corberon, conseiller d’Etat, Premier présid<strong>en</strong>t du Conseil souverain d’<strong>Alsace</strong>, sur les statuts, us et<br />

coutumes locales <strong>de</strong> cette province, Colmar, 1825.


104<br />

dans les Ordonnances d’<strong>Alsace</strong> 1 concernant les tutelles et les curatelles dans<br />

l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la province, l’un étant un règlem<strong>en</strong>t daté du 17 février 1674 « qui<br />

ordonne que les mineurs seront pourvus <strong>de</strong> tuteurs », l’autre un règlem<strong>en</strong>t daté du<br />

25 juin 1678 concernant la reddition <strong>de</strong>s comptes <strong>de</strong> tutelle. Mais ces articles<br />

n’appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> concret sur le fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle.<br />

En revanche, les procès-verbaux <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong> nominations d’office <strong>de</strong><br />

Fort-Louis révèl<strong>en</strong>t la procédure <strong>de</strong> mise sous tutelle et sous curatelle.<br />

<strong>Les</strong> 793 procès-verbaux se partag<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux catégories : 448 procès-verbaux <strong>de</strong><br />

conseils <strong>de</strong> tutelle et 345 procès-verbaux <strong>de</strong> nominations d’office. P<strong>en</strong>chons-nous<br />

d’abord sur les procès-verbaux <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong> tutelle. Ils sont établis par le greffier<br />

selon un certain modèle. L’<strong>en</strong>-tête indique la date, l’heure et les officiers <strong>de</strong> justice<br />

prés<strong>en</strong>ts, à savoir le prévôt et le procureur du roi. Ensuite sont prés<strong>en</strong>tés la personne<br />

ou les bi<strong>en</strong>s qui nécessit<strong>en</strong>t une tutelle ou une curatelle. S’il s’agit d’un mineur<br />

orphelin, on donne son nom, le nom <strong>de</strong> ses père et mère, la profession <strong>de</strong> son père<br />

et on indique s’il est orphelin <strong>de</strong> père, <strong>de</strong> mère ou <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. En revanche, on ne<br />

trouve guère la m<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> son âge. S’il s’agit d’un majeur, on explique pourquoi il<br />

a besoin d’un curateur et bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t son âge nous est donné. Enfin, s’il s’agit <strong>de</strong><br />

bi<strong>en</strong>s, on précise les raisons <strong>de</strong> leur mise sous curatelle. Suit la liste <strong>de</strong>s membres<br />

prés<strong>en</strong>ts au conseil dont le nombre oscille <strong>en</strong>tre cinq et douze à Fort-Louis. La<br />

moy<strong>en</strong>ne se situe à 7,27 membres par conseil. A titre <strong>de</strong> comparaison, Maurice<br />

Gard<strong>en</strong> compte <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne 11,97 membres dans les conseils lyonnais <strong>en</strong>tre 1741<br />

et 1755. Cette liste <strong>de</strong>s membres fait m<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> leur profession, <strong>de</strong> leur lieu <strong>de</strong><br />

résid<strong>en</strong>ce et évoque parfois un év<strong>en</strong>tuel li<strong>en</strong> <strong>de</strong> par<strong>en</strong>té avec le pupille ou le défunt.<br />

Après avoir prêté serm<strong>en</strong>t, ces membres délibèr<strong>en</strong>t et r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t leur verdict. Soit<br />

l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s membres émet un choix unanime, ce qui est le cas le plus fréqu<strong>en</strong>t,<br />

soit il y a diverg<strong>en</strong>ce et c’est celui qui obti<strong>en</strong>t le plus <strong>de</strong> voix qui est élu. En général,<br />

le prévôt et le procureur confirm<strong>en</strong>t l’élu dans sa fonction et par conséqu<strong>en</strong>t ne font<br />

qu’assurer un service d’<strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>t. L’élu doit alors prêter serm<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

« fidèlem<strong>en</strong>t et <strong>en</strong> consci<strong>en</strong>ce s’acquitter <strong>de</strong>s fonctions ». <strong>Les</strong> signatures <strong>de</strong> tous les<br />

participants scell<strong>en</strong>t l’acte. Quant aux procès-verbaux <strong>de</strong> nominations d’office, ils<br />

sont égalem<strong>en</strong>t rédigés par le greffier. <strong>Les</strong> nominations d’office ne nécessit<strong>en</strong>t pas la<br />

réunion d’un conseil puisque le prévôt nomme la personne qui semble le mieux<br />

conv<strong>en</strong>ir. Dans l’acte, on prés<strong>en</strong>te le nommé <strong>en</strong> indiquant son nom, son prénom, sa<br />

profession, son domicile et son li<strong>en</strong> <strong>de</strong> par<strong>en</strong>té avec le pupille s’il y <strong>en</strong> a un.<br />

Evi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, l’id<strong>en</strong>tité du pupille mineur ou majeur ou <strong>de</strong>s précisions sur les bi<strong>en</strong>s<br />

<strong>en</strong> question sont m<strong>en</strong>tionnées. L’acte est signé par le prévôt, le procureur et le<br />

nouveau nommé après que ce <strong>de</strong>rnier a prêté serm<strong>en</strong>t. Quelques données chiffrées<br />

1 Ordonnances d’<strong>Alsace</strong>, Recueil <strong>de</strong>s édits, déclarations, lettres pat<strong>en</strong>tes, arrêts du Conseil d’Etat et<br />

du Conseil Souverain d’<strong>Alsace</strong>, ordonnances et règlem<strong>en</strong>ts concernant cette province, avec <strong>de</strong>s<br />

observations par M. du Boug, premier présid<strong>en</strong>t du Conseil Souverain d’<strong>Alsace</strong>, 2 t., Colmar,<br />

1775.


105<br />

peuv<strong>en</strong>t être intéressantes ; sur les 610 tuteurs r<strong>en</strong>contrés dans les actes, 395 sont<br />

élus et 80 <strong>de</strong>s 193 curateurs sont élus.<br />

Il a été possible <strong>de</strong> tirer beaucoup <strong>de</strong> r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> ces actes, <strong>de</strong> les<br />

compléter grâce aux requêtes et aux lettres d’assignation, pour finalem<strong>en</strong>t faire un<br />

bilan complet <strong>de</strong> la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle fortlouisi<strong>en</strong>nes. On sait que la tutelle et<br />

la curatelle concern<strong>en</strong>t ceux qui ont un patrimoine à protéger. En effet, force est <strong>de</strong><br />

constater que la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s pères <strong>de</strong>s pupilles exerce dans les métiers <strong>de</strong><br />

l’alim<strong>en</strong>tation, <strong>de</strong> l’artisanat, du textile et du commerce. Ils apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t donc à<br />

une certaine catégorie sociale. Par rapport aux cas <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong> curatelle évoqués<br />

dans la prés<strong>en</strong>tation juridique, on constate que Fort-Louis ne connaît pas tous les<br />

cas <strong>de</strong> figure. Ainsi manque la curatelle aux prodigues, aux dém<strong>en</strong>ts, aux mineurs<br />

sous tutelle qui ont <strong>de</strong>s actions à m<strong>en</strong>er contre leur tuteur lorsqu’on ne leur a pas<br />

désigné <strong>de</strong> subrogé-tuteur, aux mineurs émancipés, aux bi<strong>en</strong>s saisis réellem<strong>en</strong>t, à un<br />

accusé sourd et muet ou refusant <strong>de</strong> parler et à un cadavre. Quant à la curatelle aux<br />

bi<strong>en</strong>s déguerpis, elle existe à Fort-Louis, même si cette expression n’est pas<br />

employée dans les actes. En effet, il semble qu’on confon<strong>de</strong> dans une seule et même<br />

catégorie la curatelle à une succession vacante et la curatelle aux bi<strong>en</strong>s déguerpis.<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s actes donne égalem<strong>en</strong>t la possibilité d’appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r les cas <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>stitutions et d’excuses. <strong>Les</strong> motifs fortlouisi<strong>en</strong>s <strong>de</strong> <strong>de</strong>stitution sont nombreux :<br />

mauvaise gestion, détournem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s mineurs, incapacité, insolvabilité,<br />

remariages et intéressem<strong>en</strong>t personnel. Mais parfois, il peut arriver que ces<br />

personnes <strong>de</strong>stituées repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leurs fonctions. En revanche, on ne trouve pas <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>stitution <strong>de</strong> tuteur ou <strong>de</strong> curateur suite à leur <strong>en</strong>trée dans les ordres sacrés, suite à<br />

une inimitié capitale <strong>en</strong>tre eux et le père <strong>de</strong>s pupilles, suite à la corruption <strong>de</strong>s<br />

membres <strong>de</strong>s conseils, suite au manquem<strong>en</strong>t du tuteur à son <strong>de</strong>voir d’établissem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> l’inv<strong>en</strong>taire ou <strong>en</strong>core suite à une mauvaise éducation <strong>de</strong>s pupilles. Quant aux<br />

excuses, qui sont les moy<strong>en</strong>s qu’un tuteur, curateur ou subrogé-tuteur a pour<br />

s’exempter <strong>de</strong> sa fonction, elles sont très variées, <strong>en</strong>tre les problèmes <strong>de</strong> santé, les<br />

<strong>en</strong>fants à charge, l’indig<strong>en</strong>ce, l’éloignem<strong>en</strong>t, l’emploi et les privilèges. Mais ne<br />

figur<strong>en</strong>t pas les excuses suivantes : être déjà <strong>en</strong> charge <strong>de</strong> trois tutelles ou curatelles,<br />

avoir cinq <strong>en</strong>fants, avoir plus <strong>de</strong> soixante-dix ans, avoir perdu la vue, exercer une<br />

carrière militaire ou certaines professions, <strong>en</strong>trer dans les ordres sacrés <strong>en</strong> tant que<br />

prêtre, diacre ou soudiacre.<br />

Enfin, ces actes révèl<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s traits propres à Fort-Louis. Effectivem<strong>en</strong>t, le<br />

remariage du veuf l’empêche une fois sur <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> rester tuteur <strong>de</strong> ses <strong>en</strong>fants alors<br />

que dans le reste du royaume, il semble que le remariage ne constitue un obstacle<br />

que pour la veuve qui désirerait <strong>de</strong>meurer tutrice <strong>de</strong> ses <strong>en</strong>fants. Autre<br />

caractéristique <strong>de</strong> Fort-Louis, le critère d’alphabétisation. La <strong>de</strong>stitution du tuteur<br />

qui ne sait ni lire ni écrire témoigne du fait qu’habite à Fort-Louis une population


106<br />

particulière, d’un niveau social relativem<strong>en</strong>t élevé. Ce qui ressort égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

actes, c’est la prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’unique subrogée-tutrice 1 .<br />

Finalem<strong>en</strong>t, les procès-verbaux <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong> nominations d’office,<br />

bi<strong>en</strong> plus que <strong>de</strong> montrer la pratique <strong>de</strong> la mise sous tutelle et sous curatelle,<br />

permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> pénétrer une microsociété et <strong>en</strong> constitu<strong>en</strong>t le reflet.<br />

<strong>Les</strong> relations sociales et familiales<br />

<strong>Les</strong> procès-verbaux <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong> nominations d’office <strong>de</strong> Fort-<br />

Louis permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> pénétrer une société particulière. En effet, ils nous amèn<strong>en</strong>t à<br />

r<strong>en</strong>contrer un certain nombre <strong>de</strong> personnes : les membres <strong>de</strong>s conseils, les tuteurs,<br />

les subrogés-tuteurs ou les curateurs. Ces personnes sont <strong>de</strong>s par<strong>en</strong>ts et <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong>s<br />

orphelins et apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au réseau <strong>de</strong> solidarité <strong>de</strong>s pupilles. En relevant les li<strong>en</strong>s<br />

<strong>de</strong> par<strong>en</strong>té qui uniss<strong>en</strong>t les membres <strong>de</strong>s conseils, les tuteurs, les subrogés-tuteurs,<br />

les curateurs à l’orphelin, ainsi que leur profession, on observe que ces personnes<br />

sont représ<strong>en</strong>tatives d’une microsociété dont on peut étudier les relations familiales.<br />

Ces personnes apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aussi à un certain milieu socio-professionnel.<br />

Il est intéressant d’évaluer la place qu’occupe la par<strong>en</strong>té au sein <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong><br />

tutelle à Fort-Louis. Sur les 3257 membres, seuls 348 sont <strong>de</strong>s par<strong>en</strong>ts, soit 10,68<br />

%. Cela signifie qu’<strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne, on ne compte même pas un par<strong>en</strong>t par conseil. A<br />

titre comparatif, Maurice Gard<strong>en</strong> 2 aboutit à 50 % <strong>de</strong> par<strong>en</strong>ts dans les conseils<br />

lyonnais. On note que les mères représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t la catégorie <strong>de</strong> par<strong>en</strong>ts la plus<br />

importante dans les conseils, soit plus d’un tiers <strong>de</strong>s par<strong>en</strong>ts, alors que les pères ne<br />

sont qu’au nombre <strong>de</strong> 33. <strong>Les</strong> 114 oncles occup<strong>en</strong>t la <strong>de</strong>uxième place. La prés<strong>en</strong>ce<br />

<strong>de</strong> cousins et beaux-pères se fait remarquer, ainsi que celle <strong>de</strong>s beaux-frères et <strong>de</strong>s<br />

frères. Pourquoi les par<strong>en</strong>ts représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t-ils à peine 10 % <strong>de</strong>s membres ? Fort-Louis<br />

est une création ex nihilo <strong>de</strong> Louis XIV qui y attire <strong>de</strong>s habitants v<strong>en</strong>us <strong>de</strong> multiples<br />

horizons géographiques par le biais <strong>de</strong> privilèges. Ainsi, les individus qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

s’y installer se retrouv<strong>en</strong>t écartés <strong>de</strong> leurs proches dans un lieu où ils n’ont aucune<br />

racine. <strong>Les</strong> procès-verbaux sont donc bi<strong>en</strong> le reflet d’une microsociété. Il est<br />

légitime <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si on donne tout <strong>de</strong> même la priorité aux par<strong>en</strong>ts pour<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir tuteur, subrogé-tuteur ou curateur. En fait, les par<strong>en</strong>ts représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t 48,69<br />

% <strong>de</strong>s tuteurs ; ils ne sont donc pas majoritaires. Parmi les 297 par<strong>en</strong>ts tuteurs, on<br />

trouve <strong>en</strong> tête 162 mères, 54 oncles et 44 pères. La part <strong>de</strong>s subrogés-tuteurs<br />

par<strong>en</strong>ts est <strong>en</strong>core moins importante que celle <strong>de</strong>s tuteurs par<strong>en</strong>ts puisqu’elle ne<br />

s’élève qu’à 16,61 %. C’est là la conséqu<strong>en</strong>ce directe <strong>de</strong> la faible ét<strong>en</strong>due du réseau<br />

<strong>de</strong> par<strong>en</strong>té. En effet, la nomination d’un subrogé-tuteur se fait <strong>en</strong> général <strong>en</strong> même<br />

temps que celle du tuteur ; si un par<strong>en</strong>t est nommé tuteur, il y a peu <strong>de</strong> chance<br />

1 Ce terme n’existe nulle part ailleurs au féminin.<br />

2 GARDEN Maurice, « <strong>Les</strong> relations familiales dans la France du XVIII e siècle : une source,<br />

les conseils <strong>de</strong> tutelle », dans <strong>Les</strong> actes notariés, source <strong>de</strong> l’histoire sociale XVI e -XIX e siècles (coll.<br />

Strasbourg, mars 1978), Strasbourg, 1979, p. 179.


107<br />

qu’un autre par<strong>en</strong>t soit <strong>en</strong>core disponible pour assumer la charge <strong>de</strong> subrogé-tuteur.<br />

<strong>Les</strong> par<strong>en</strong>ts subrogés-tuteurs sont principalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s oncles, ce qui paraît logique<br />

puisqu’ils sont les par<strong>en</strong>ts les plus prés<strong>en</strong>ts dans les conseils juste <strong>de</strong>rrière les mères.<br />

Le cas <strong>de</strong>s curateurs est <strong>en</strong>core plus flagrant car seuls 8,29 % <strong>de</strong>s curateurs sont <strong>de</strong>s<br />

par<strong>en</strong>ts. Bi<strong>en</strong> sûr, le faible réseau <strong>de</strong> par<strong>en</strong>té est une explication constante mais il ne<br />

suffit pas ici. En effet, un curateur par<strong>en</strong>t ne peut être nommé que lorsqu’il s’agit <strong>de</strong><br />

mettre sous curatelle une personne, ce qui limite les possibilités étant donné qu’on<br />

désigne souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s curateurs à <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s.<br />

Si les par<strong>en</strong>ts sont minoritaires dans les conseils et dans les trois différ<strong>en</strong>tes<br />

charges, il paraît légitime <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quels sont les autres membres <strong>de</strong>s conseils<br />

et les titulaires <strong>de</strong>s charges. Qui se cache <strong>de</strong>rrière le terme « amis » ?<br />

Pour répondre à cette question, il est intéressant <strong>de</strong> se p<strong>en</strong>cher sur la situation<br />

socio-professionnelle <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle. Vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t largem<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> tête les métiers <strong>de</strong> l’alim<strong>en</strong>tation, principalem<strong>en</strong>t les boulangers, les bouchers et<br />

les cabaretiers, qui regroup<strong>en</strong>t 29,51 % <strong>de</strong>s membres. Suiv<strong>en</strong>t les 538 artisans et les<br />

492 marchands-négociants, représ<strong>en</strong>tant respectivem<strong>en</strong>t 16,52 % et 15,11 % <strong>de</strong>s<br />

membres. 11,82 % <strong>de</strong>s membres oeuvr<strong>en</strong>t dans le domaine du textile. En fait, on<br />

constate que les professions, qui fabriqu<strong>en</strong>t et v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les produits <strong>de</strong> première<br />

nécessité, la nourriture et les vêtem<strong>en</strong>ts, qui particip<strong>en</strong>t à la construction et à<br />

l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong> la ville et fourniss<strong>en</strong>t aux habitants <strong>de</strong>s objets utiles quotidi<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t,<br />

sont prés<strong>en</strong>tes <strong>en</strong> force. Il s’agit <strong>de</strong> satisfaire les besoins <strong>de</strong> la société civile et surtout<br />

<strong>de</strong> la société militaire. Quant au personnel administratif, composé <strong>de</strong> bourgmestres,<br />

<strong>de</strong> greffiers, <strong>de</strong> conseillers au Magistrat, il est bi<strong>en</strong> représ<strong>en</strong>té dans les conseils. <strong>Les</strong><br />

actes nous permett<strong>en</strong>t donc <strong>de</strong> r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> contact avec les individus qui dirig<strong>en</strong>t la<br />

ville. Nous r<strong>en</strong>controns bi<strong>en</strong> évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la société militaire. <strong>Les</strong><br />

jardiniers et les laboureurs sont peu nombreux, ce qui nous conforte dans nos<br />

propos, puisque Fort-Louis, contrairem<strong>en</strong>t à la société alsaci<strong>en</strong>ne du XVIII e siècle,<br />

ne pratique pas une forte activité agricole. On constate que bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t les<br />

membres du conseil apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au même milieu social que le défunt. Le réseau<br />

<strong>de</strong> solidarité ne se limite donc pas à la famille mais <strong>en</strong>globe les relations<br />

professionnelles. <strong>Les</strong> personnes exerçant les métiers <strong>de</strong> l’alim<strong>en</strong>tation assum<strong>en</strong>t<br />

19,02 % <strong>de</strong>s charges <strong>de</strong> tuteur, les artisans 13,93 % et les marchands-négociants<br />

9,02 % à égalité avec les métiers du textile. On retrouve la même hiérarchie chez les<br />

subrogés-tuteurs mais elle est bouleversée chez les curateurs où les artisans<br />

représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t 23,83 % <strong>de</strong>s curateurs, les métiers <strong>de</strong> l’alim<strong>en</strong>tation 21,24 % et le<br />

personnel administratif atteint 16,06 %, <strong>de</strong>vant les marchands-négociants et les<br />

métiers du textile. On peut tirer un bilan général <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ant compte <strong>de</strong>s trois<br />

charges. 22,58 % <strong>de</strong> celles-ci sont assumées par <strong>de</strong>s personnes exerçant <strong>de</strong>s métiers<br />

<strong>de</strong> l’alim<strong>en</strong>tation. <strong>Les</strong> artisans n’occup<strong>en</strong>t pas moins <strong>de</strong> 19,54 % <strong>de</strong>s fonctions. <strong>Les</strong><br />

personnes exerçant dans le textile et les marchands-négociants <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> charge<br />

respectivem<strong>en</strong>t à 14,24 % et à 14,00 %. Il est désormais légitime <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

pourquoi les charges tutélaires sont majoritairem<strong>en</strong>t occupées par les personnes


108<br />

exerçant ces professions. En fait, on constate simplem<strong>en</strong>t que globalem<strong>en</strong>t la<br />

proportion que représ<strong>en</strong>te chaque groupe socio-professionnel aux trois fonctions <strong>de</strong><br />

la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle correspond à la part qu’il représ<strong>en</strong>te dans les conseils.<br />

Cela nous amène à dire que la préfér<strong>en</strong>ce n’est pas accordée à un groupe socioprofessionnel<br />

plus qu’à un autre.<br />

Finalem<strong>en</strong>t, par l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s relations professionnelles et familiales, les procèsverbaux<br />

<strong>de</strong> conseils <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong> nominations d’office sont le reflet <strong>de</strong> la société<br />

fortlouisi<strong>en</strong>ne. On pourrait p<strong>en</strong>ser ne trouver dans les conseils que <strong>de</strong>s personnes<br />

d’un milieu social élevé et qu’il est impossible d’appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r une partie <strong>de</strong> la<br />

population fortlouisi<strong>en</strong>ne non concernée par la tutelle et la curatelle. En fait, il est<br />

légitime d’émettre l’hypothèse que, dans son <strong>en</strong>semble, la société fortlouisi<strong>en</strong>ne,<br />

parce qu’elle revêt un aspect artificiel, correspond aux catégories sociales concernées<br />

par la tutelle et la curatelle.<br />

A première vue, l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s procès-verbaux <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong><br />

nominations d’office nous amène à p<strong>en</strong>ser qu’il s’agit d’un sujet juridique.<br />

D’ailleurs, on ne peut pas passer outre la prés<strong>en</strong>tation juridique <strong>de</strong> la tutelle et <strong>de</strong> la<br />

curatelle pour bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre le processus. Mais cette étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s procèsverbaux<br />

permet d’aller bi<strong>en</strong> au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’aspect juridique et nous dévoile une<br />

microsociété fort particulière, au s<strong>en</strong>s où l’on décèle dans les actes certains <strong>de</strong>s traits<br />

originaux <strong>de</strong> la place forte. La caractéristique la plus marquante <strong>de</strong> Fort-Louis<br />

perceptible dans les actes est, sans le moindre doute, la faible ét<strong>en</strong>due du réseau <strong>de</strong><br />

par<strong>en</strong>té, conséqu<strong>en</strong>ce directe du fait que la ville est une création ex nihilo. Autre<br />

caractéristique fortlouisi<strong>en</strong>ne : le remariage du père peut <strong>en</strong>traîner sa <strong>de</strong>stitution <strong>de</strong><br />

la charge tutélaire qu’il exerce alors que dans le reste du royaume le père peut rester<br />

tuteur tout <strong>en</strong> convolant <strong>en</strong> secon<strong>de</strong>s noces.<br />

L’intérêt du sujet rési<strong>de</strong> dans le fait que pour la première fois on peut faire une<br />

étu<strong>de</strong> quantitative <strong>de</strong> la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle à partir d’un fonds complet à <strong>de</strong>ux<br />

actes près. On peut donc prés<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>s données exactes, <strong>de</strong>s chiffres précis et <strong>de</strong>s<br />

statistiques représ<strong>en</strong>tatives <strong>de</strong> la réalité. Ainsi, grâce au dépouillem<strong>en</strong>t complet <strong>de</strong>s<br />

procès-verbaux, on peut relever tous les cas <strong>de</strong> tutelles et <strong>de</strong> curatelles existant à<br />

Fort-Louis et indiquer les cas <strong>de</strong> figure qui ne s’y produis<strong>en</strong>t pas. Mais une étu<strong>de</strong><br />

quantitative dans le cadre d’une microsociété prés<strong>en</strong>te un intérêt <strong>en</strong>core plus grand<br />

car on parvi<strong>en</strong>t à pénétrer cette société. On se familiarise avec les individus que l’on<br />

r<strong>en</strong>contre à plusieurs reprises dans les actes et, à force, on mémorise leur id<strong>en</strong>tité.<br />

On peut croiser les actes afin <strong>de</strong> compléter les données <strong>de</strong>s uns par celles <strong>de</strong>s autres<br />

et il est possible <strong>de</strong> dénombrer les fois où un même individu est désigné à une<br />

fonction. Ainsi, l’étu<strong>de</strong> d’un fonds complet dans une microsociété offre l’avantage<br />

<strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> avant <strong>de</strong>s aspects inédits.<br />

Il est dommage et regrettable que les histori<strong>en</strong>s n’ai<strong>en</strong>t pas davantage recours<br />

aux procès-verbaux <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong> nominations d’office sous un autre<br />

angle que celui <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la tutelle et <strong>de</strong> la curatelle. Certes, ces procès ne


109<br />

constitu<strong>en</strong>t pas la source idéale pour faire l’étu<strong>de</strong> d’une société, mais ils permett<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> compléter efficacem<strong>en</strong>t les registres paroissiaux et notariaux lacunaires.<br />

SOURCES IMPRIMEES<br />

FERRIERE Clau<strong>de</strong>-Joseph (<strong>de</strong>), Dictionnaire <strong>de</strong> droit et <strong>de</strong> pratique cont<strong>en</strong>ant<br />

l’explication <strong>de</strong>s termes <strong>de</strong> droit, d’ordonnances, <strong>de</strong> coutumes et <strong>de</strong> pratique, avec<br />

les juridictions du royaume, nvelle éd., 2 t., Paris, 1762 (éd. orig. Paris, 1734).<br />

GILLET Jean, Nouveau traité <strong>de</strong>s tutelles et <strong>de</strong>s curatelles avec une paraphrase<br />

et un comm<strong>en</strong>taire sur l’Edit <strong>de</strong>s Mariages clan<strong>de</strong>stins et sur celuy <strong>de</strong>s secon<strong>de</strong>s<br />

nôces, Paris, 1686 (éd. orig. Paris, 1613).<br />

MESLE Jean, Traité <strong>de</strong>s minorités, tutelles et curatelles ; <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s<br />

gardi<strong>en</strong>s, <strong>de</strong> la puissance paternelle, <strong>de</strong> la gar<strong>de</strong> et patronages féodaux, <strong>de</strong> la<br />

continuation <strong>de</strong> communauté à l’égard <strong>de</strong>s mineurs et droits qu’ils y ont, <strong>de</strong>s <strong>en</strong>fans<br />

mineurs et majeurs, <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong>s mineurs par rapport aux fiefs, bénéfices<br />

eclésiastiques, mariages, alim<strong>en</strong>s et <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s mineurs, <strong>en</strong>fans légitimes ou<br />

naturels avec les réglem<strong>en</strong>s et arrêts interv<strong>en</strong>us sur ce sujet, conformem<strong>en</strong>t aux<br />

différ<strong>en</strong>tes coutumes et aux divers usages du royaume, Paris, 1752 (éd. orig. Paris,<br />

1735).<br />

Ordonnances d’<strong>Alsace</strong>, Recueil <strong>de</strong>s édits, déclarations, lettres pat<strong>en</strong>tes, arrêts du<br />

Conseil d’Etat et du Conseil Souverain d’<strong>Alsace</strong>, ordonnances et règlem<strong>en</strong>ts<br />

concernant cette province, avec <strong>de</strong>s observations par M. <strong>de</strong> Boug, premier présid<strong>en</strong>t<br />

du Conseil Souverain d’<strong>Alsace</strong>, 2 t., Colmar, 1775.<br />

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE<br />

BARDET Jean-Pierre, « <strong>Les</strong> procès-verbaux <strong>de</strong> tutelle : une source pour la<br />

démographie historique », dans Mesurer et compr<strong>en</strong>dre, mélanges offerts à Jacques<br />

Dûpaquier, Paris, 1993, p. 1-21.<br />

BAULANT Micheline, « La famille <strong>en</strong> miettes : sur un aspect <strong>de</strong> la démographie<br />

du XVII e siècle », Annales ESC, vol. 27, n° 2, 1972, p. 959-968.<br />

BLATTNER Jean-François, Fort-Louis, Monographie d’un petit village ou le<br />

<strong>de</strong>stin d’une ville <strong>de</strong> Louis XIV, 5 vol., Hagu<strong>en</strong>au, 1980-1983.<br />

GARDEN Maurice, « <strong>Les</strong> relations familiales dans la France du XVIII e siècle :<br />

une source, les conseils <strong>de</strong> tutelle », dans <strong>Les</strong> actes notariés, source <strong>de</strong> l’histoire<br />

sociale XVI e -XIX e siècles, (coll. Strasbourg, mars 1978), Strasbourg, 1979, p. 173-<br />

186.<br />

PERRIER Sylvie, La tutelle <strong>de</strong>s mineurs <strong>en</strong> France, XVII e -XVIII e siècles :<br />

famille, patrimoine, <strong>en</strong>fance, thèse, Université <strong>de</strong> Paris VIII, 1996.<br />

Directeur <strong>de</strong> recherches J-M . Boehler


Virginie LAY<br />

La lutte contre les animaux nuisibles <strong>en</strong> Basse <strong>Alsace</strong><br />

(1750-1850)<br />

Au XVIIIè siècle, siècle <strong>de</strong> la « révolution agricole », la lutte contre fléaux <strong>de</strong><br />

toute sorte fait partie intégrante <strong>de</strong>s progrès réalisés dans l’agriculture. Pour mesurer<br />

les effets <strong>de</strong> l’éradication <strong>de</strong>s nuisibles, le temps et les sources disponibles nous ont<br />

conduit à choisir comme bornes chronologiques à notre étu<strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> 1780-<br />

1850 et à circonscrire cette <strong>de</strong>rnière à la seule Basse <strong>Alsace</strong>. Avec une population <strong>de</strong><br />

306 000 habitants <strong>en</strong> 1789, dont près <strong>de</strong> 90% <strong>de</strong> ruraux, celle-ci porte le poids<br />

démographique le plus important <strong>de</strong> la province d’<strong>Alsace</strong>. Nous avons donc étudié<br />

les actes émanant <strong>de</strong>s diverses autorités, les recueils, sci<strong>en</strong>tifiques ou littéraires,<br />

consacrés aux moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> lutte contre les animaux dits nuisibles et divers écrits<br />

rédigés par les membres <strong>de</strong>s comices et <strong>de</strong>s académies à l’int<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s cultivateurs .<br />

Mais s’agit-il <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stes paysans ou <strong>de</strong> riches laboureurs ? Autrem<strong>en</strong>t dit, la lutte<br />

contre les animaux nuisibles finit-elle par <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir un thème fédérateur visant à<br />

transgresser les différ<strong>en</strong>ces sociales ? Compte t<strong>en</strong>u <strong>de</strong> l’analphabétisme et <strong>de</strong><br />

l’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> traces écrites dans la transmission <strong>de</strong>s savoirs ancestraux, certaines <strong>de</strong><br />

ces sources ne nous r<strong>en</strong>seign<strong>en</strong>t-elles pas davantage sur le rôle <strong>de</strong> l’Etat que sur<br />

l’initiative <strong>de</strong>s individus ?<br />

Notre objectif n’est pas <strong>de</strong> dresser un inv<strong>en</strong>taire <strong>de</strong>s animaux nuisibles : on se<br />

reportera aux travaux <strong>de</strong> Hammer qui l’ a fait <strong>en</strong> 1806 au nom <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s<br />

Sci<strong>en</strong>ces, Agriculture et Arts <strong>de</strong> Strasbourg. Il s’agit, au contraire, d’établir les<br />

« responsabilités » <strong>de</strong>s protagonistes, dans la secon<strong>de</strong> moitié du XVIIIè et au début<br />

du XIXè siècle et <strong>de</strong> dégager l’évolution <strong>de</strong>s techniques utilisées.<br />

Le cadre <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong> est un pays <strong>de</strong> polyculture prospère, aux r<strong>en</strong><strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts<br />

relativem<strong>en</strong>t élevés par rapport à ceux obt<strong>en</strong>us dans le reste du royaume, à<br />

l’impressionnant morcellem<strong>en</strong>t du sol et au faire-valoir direct dominant. Il faut<br />

donc déf<strong>en</strong>dre au mieux ces cultures contre les agressions extérieures, qu’elles soi<strong>en</strong>t<br />

d’origine météorologique ou animale. La t<strong>en</strong>eur <strong>en</strong> eau du sol peut, <strong>en</strong> quelques<br />

semaines, compromettre les récoltes à v<strong>en</strong>ir. Gelées, orages, grêles, qui ne se<br />

limit<strong>en</strong>t pas aux seules zones marécageuses <strong>de</strong>s Rieds et aux avant-monts vosgi<strong>en</strong>s,


112<br />

peuv<strong>en</strong>t provoquer à tout mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s difficultés <strong>de</strong> production et <strong>de</strong> subsistance.<br />

<strong>Les</strong> aléas du temps – pluies excessives et sécheresse catastrophique selon les années –<br />

sont d’ailleurs à l’origine <strong>de</strong> la prolifération <strong>de</strong>s « animaux nuisibles », expression<br />

qui apparaît dans l’Encyclopédie <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot : multiplication <strong>de</strong>s souris par temps<br />

sec et <strong>de</strong> vers par temps humi<strong>de</strong>.<br />

Se profil<strong>en</strong>t donc <strong>de</strong>ux catégories d’ « <strong>en</strong>nemis <strong>de</strong>s cultures », les rongeurs et les<br />

insectes. Au nombre <strong>de</strong>s premiers, la souris, le campagnol, le hamster, la taupe. <strong>Les</strong><br />

autres nuis<strong>en</strong>t aux animaux domestiques (pou du pigeon, taon), aux forêts<br />

(capricorne, phalène du bouleau), au produit <strong>de</strong>s champs et <strong>de</strong>s jardins (ch<strong>en</strong>ille,<br />

puceron, hanneton, sauterelle, perce-oreille), aux réserves <strong>de</strong>s gr<strong>en</strong>iers<br />

(charançon)… Le charançon s’installe dans les recoins <strong>de</strong>s gr<strong>en</strong>iers, dans les tas <strong>de</strong><br />

blé ou d’orge. Ainsi, <strong>en</strong> 1771, les gr<strong>en</strong>iers à blé <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Strasbourg ont vu<br />

gâcher plus du tiers <strong>de</strong> la récolte, ce qui a conduit les autorités, pour ne pas pr<strong>en</strong>dre<br />

le risque <strong>de</strong> perdre la totalité <strong>de</strong> la moisson, <strong>de</strong> répartir les réserves <strong>en</strong>tre plusieurs<br />

gr<strong>en</strong>iers. La ch<strong>en</strong>ille, quant à elle, ravage les champs <strong>de</strong> trèfle, <strong>de</strong> fèves, <strong>de</strong> chanvre,<br />

<strong>de</strong> pavot, compromettant récoltes pour les hommes et fourrage pour le bétail. <strong>Les</strong><br />

uns et les autres sont <strong>de</strong>s animaux <strong>de</strong> très petite taille, bi<strong>en</strong> différ<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s gros<br />

prédateurs : les loups, nombreux et m<strong>en</strong>açants <strong>en</strong> 1722 <strong>en</strong>core, sont <strong>de</strong> moins <strong>en</strong><br />

moins nombreux par la suite et le <strong>de</strong>rnier ours est abattu dans la vallée <strong>de</strong> Munster<br />

vers 1750/1760.<br />

Mais les dégâts causés aux cultures sont sans rapport avec la taille <strong>de</strong> l’animal :<br />

<strong>en</strong> 1822, ils sont estimés à plus <strong>de</strong> dix millions <strong>de</strong> francs pour l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la<br />

province et, <strong>en</strong> 1832, celle-ci perd la moitié <strong>de</strong> ses récoltes suite à la seule invasion<br />

<strong>de</strong>s campagnols. Longtemps pourtant, <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s archaïques sont mis <strong>en</strong> œuvre.<br />

Dans un premier temps, le recours religieux est la réponse à tous les maux. Un<br />

recueil <strong>de</strong> 1739, mais dont on peut p<strong>en</strong>ser qu’il est toujours utilisé dans la secon<strong>de</strong><br />

moitié du siècle, réalisé par l’épiscopat <strong>de</strong> Bâle (Rituale basili<strong>en</strong>se juxta romanum<br />

Pauli V et Urbani VIII Pontif. Max. reformatum), conti<strong>en</strong>t un exemple type :<br />

« B<strong>en</strong>edictio Aquae contra Vermes, Mures, Locustas, Aves et alia noxia animaliae ».<br />

Ce recours s’avérant insuffisant, on <strong>en</strong> arrive à utiliser <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s d’une efficacité<br />

plus immédiate. Il s’agit <strong>de</strong> laisser certains animaux, eux-mêmes pourchassés pour le<br />

danger qu’ils représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t, pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> charge la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> ch<strong>en</strong>illes, taupes, rats<br />

et autres souris. Certains d’<strong>en</strong>tre eux, prédateurs et carnassiers, font <strong>de</strong> ces nuisibles<br />

leur repas favori.<br />

L’emploi d’outils <strong>de</strong> la vie courante, telles les houes et les herses, est dépassé par<br />

l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> nouvelles techniques et on voit l’agriculture s’inspirer <strong>de</strong><br />

connaissances sci<strong>en</strong>tifiques reposant notamm<strong>en</strong>t sur la chimie. Ainsi <strong>de</strong>s appâts sont<br />

élaborés à partir <strong>de</strong> produits chimiques, voire pharmaceutiques, <strong>de</strong> composition <strong>de</strong><br />

plus <strong>en</strong> plus « chimique » et <strong>de</strong> moins <strong>en</strong> moins « naturelle ». De nouvelles plantes,<br />

plus résistantes à certains nuisibles sont introduites, directem<strong>en</strong>t inspirées <strong>de</strong>s<br />

progrès <strong>de</strong> la botanique : c’est ainsi que la « betterave champêtre » est c<strong>en</strong>sée<br />

prés<strong>en</strong>ter nombre d’avantages. De nouvelles machines, plus sophistiquées et plus


113<br />

<strong>en</strong>combrantes, sont inv<strong>en</strong>tées. Ces techniques ne sont pas forcém<strong>en</strong>t propres au<br />

territoire français, la proximité <strong>de</strong> l’Allemagne, patrie <strong>de</strong> la chimie, faisant <strong>de</strong><br />

l’<strong>Alsace</strong> un creuset d’influ<strong>en</strong>ces.<br />

Néanmoins c’est l’Etat lui-même qui, dans ces circonstances, se fait l’initiateur<br />

<strong>de</strong> la lutte contre les nuisibles. Le contexte <strong>de</strong> la physiocratie, pour laquelle<br />

l’ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong>s rev<strong>en</strong>us du royaume doiv<strong>en</strong>t être issus <strong>de</strong> l’agriculture, n’est sans<br />

doute pas étranger à la multiplication <strong>de</strong>s initiatives s’appuyant sur <strong>de</strong>s décisions<br />

officielles. Bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t, ce sont <strong>de</strong>s sociétés savantes et, parmi elles, la Société <strong>de</strong>s<br />

Sci<strong>en</strong>ces, Agriculture et Arts du Bas-Rhin qui test<strong>en</strong>t les métho<strong>de</strong>s nouvelles avant<br />

que ces <strong>de</strong>rnières ne soi<strong>en</strong>t appliquées à plus gran<strong>de</strong> échelle. Ces métho<strong>de</strong>s doiv<strong>en</strong>t<br />

permettre <strong>de</strong> lutter efficacem<strong>en</strong>t et rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t contre les animaux nuisibles et<br />

« trouver un moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> les faire crever », comme l’affirme brutalem<strong>en</strong>t le maire <strong>de</strong><br />

Truchtersheim, tout <strong>en</strong> employant <strong>de</strong>s techniques à la portée du plus simple<br />

paysan. La mise <strong>en</strong> œuvre <strong>de</strong> ces techniques suit alors l’évolution <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces à<br />

l’époque mo<strong>de</strong>rne.<br />

On relève une certaine spécificité <strong>de</strong> ces métho<strong>de</strong>s <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> l’espèce que<br />

l’on cherche à anéantir, même s’il peut exister <strong>de</strong>s « passerelles » <strong>en</strong>tre certaines<br />

d’<strong>en</strong>tre elles. Ainsi les techniques employées pour supprimer les taupinières et les<br />

fourmilières accus<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre elles une gran<strong>de</strong> similitu<strong>de</strong>. Quoi qu’il <strong>en</strong> soit, dans la<br />

plupart <strong>de</strong>s cas, hormis pour l’usage d’outils, la mort <strong>de</strong> l’animal n’intervi<strong>en</strong>t pas du<br />

premier coup, mais nécessite souv<strong>en</strong>t une secon<strong>de</strong> interv<strong>en</strong>tion. Or, face à une<br />

invasion importante <strong>de</strong> nuisibles, le fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir multiplier les gestes conduit à<br />

rechercher davantage d’efficacité et à utiliser <strong>de</strong> nouveaux procédés. Mais il faut se<br />

gar<strong>de</strong>r d’<strong>en</strong> créer <strong>de</strong>s plus performantes alors même que personne ne pourrait les<br />

employer. Il reste que la majeure partie <strong>de</strong> ces remè<strong>de</strong>s, qu’il s’agisse d’appâts<br />

spécifiques, <strong>de</strong> « machines » nouvelles ou du simple savoir-faire du taupier, ne sont<br />

pas inv<strong>en</strong>tées par les paysans eux-mêmes. L’initiative, signe d’une recherche<br />

constante pour éradiquer les animaux nuisibles, revi<strong>en</strong>t aux érudits français ou<br />

étrangers.<br />

Car, grâce à un réseau <strong>de</strong> correspondants, la lutte pr<strong>en</strong>d une dim<strong>en</strong>sion<br />

nationale ou internationale et à la vitesse <strong>de</strong> propagation du mal répond la célérité<br />

<strong>de</strong> la réaction. S’installe alors une véritable relation <strong>de</strong> coopération, voire <strong>de</strong><br />

solidarité, transc<strong>en</strong>dant les frontières. Par sa situation géographique, l’<strong>Alsace</strong><br />

bénéficie ainsi <strong>de</strong> bon nombre d’influ<strong>en</strong>ces v<strong>en</strong>ues <strong>de</strong> l’Europe du Nord, qu’elles<br />

soi<strong>en</strong>t belges ou alleman<strong>de</strong>s. Car c’est bel et bi<strong>en</strong> aux idées v<strong>en</strong>ues d’Allemagne<br />

qu’on accor<strong>de</strong> le plus <strong>de</strong> crédit. L’<strong>Alsace</strong> <strong>de</strong> la fin du XVIIIè siècle, au conflu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

influ<strong>en</strong>ces françaises et rhénanes, bénéficie à la fois <strong>de</strong> la physiocratie française et <strong>de</strong><br />

l’ Experim<strong>en</strong>talökonomie alleman<strong>de</strong>, ce qui lui permet <strong>de</strong> faire figure <strong>de</strong> pionnier<br />

<strong>en</strong> matière <strong>de</strong> progrès dans les sci<strong>en</strong>ces agricoles et les techniques agraires.<br />

L’interv<strong>en</strong>tionnisme étant <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus préconisé <strong>de</strong> part et d’autre du Rhin, les<br />

municipalités et l’Etat ont intérêt, par ces techniques, non seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> faire le<br />

bonheur du petit cultivateur, mais aussi <strong>de</strong> produire davantage avec moins <strong>de</strong> pertes


114<br />

et <strong>de</strong> v<strong>en</strong>dre plus. Justifie cette ingér<strong>en</strong>ce toute mauvaise récolte qui <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drerait<br />

une disette et, par conséqu<strong>en</strong>t, l’instabilité économique et politique.<br />

Que pourrai<strong>en</strong>t faire les paysans seuls face à ces fléaux ? Ont-ils consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />

l’<strong>en</strong>jeu ou n’y voi<strong>en</strong>t-ils pas qu’une fatalité impossible à conjurer ? Manquant <strong>de</strong><br />

moy<strong>en</strong>s financiers et privés <strong>de</strong> l’accès aux techniques les plus élaborées, ils ont<br />

besoin d’un relais au niveau <strong>de</strong>s instances supérieures. Depuis la naissance d’une<br />

véritable administration, dont l’apogée correspond à l’ère napoléoni<strong>en</strong>ne, et la<br />

représ<strong>en</strong>tation du pouvoir au niveau local, c’est l’Etat qui part <strong>en</strong> guerre contre les<br />

animaux nuisibles : <strong>de</strong> véritables politiques sont mises <strong>en</strong> place, à grand r<strong>en</strong>fort<br />

d’ai<strong>de</strong>s aux cultivateurs, mais aussi <strong>de</strong> sanctions à leur <strong>en</strong>contre. Sous l’Anci<strong>en</strong><br />

Régime, l’Empire ou la Restauration, ce sont <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus les autorités<br />

administratives locales qui intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t. Car, si l’on excepte les fonds <strong>de</strong> quelques<br />

gran<strong>de</strong>s familles <strong>de</strong> la noblesse « éclairée », qui ont clairem<strong>en</strong>t consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />

l’insuffisance <strong>de</strong>s récoltes face à la pression démographique, nous ne disposons que<br />

<strong>de</strong> rares témoignages. Cette petite noblesse locale, dont les Rathsamhaus<strong>en</strong><br />

constitu<strong>en</strong>t une figure emblématique, sait qu’il faut produire davantage, <strong>en</strong> limitant<br />

les facteurs <strong>de</strong> risque, pour pouvoir nourrir mieux et v<strong>en</strong>dre plus. La recherche <strong>de</strong><br />

l’intérêt personnel se dissimule sans doute <strong>de</strong>rrière l’affirmation <strong>de</strong> valeurs telles que<br />

le bi<strong>en</strong>-être général et la liberté. Après les récoltes <strong>de</strong> 1788/1789, qui ont été<br />

qualifiées a posteriori <strong>de</strong> catastrophiques, il apparaît nécessaire d’agir par tous les<br />

moy<strong>en</strong>s, répression comprise : le temps <strong>de</strong>s bons conseils est révolu ; le laboureur<br />

doit accomplir certains gestes sous peine <strong>de</strong> sanctions financières. La répression<br />

s’inscrit dans le cadre d’une procédure légale et pénale. On invoque <strong>de</strong>s articles du<br />

Co<strong>de</strong> civil <strong>en</strong> cas <strong>de</strong> non respect <strong>de</strong>s obligations. Mais ce n’est pas la Préfecture, pas<br />

davantage que l’Int<strong>en</strong>dance d’hier, qui indique les remè<strong>de</strong>s : ces instances n’ont pas<br />

la moindre compét<strong>en</strong>ce quant à la prolifération ou à la voracité <strong>de</strong>s animaux et<br />

doiv<strong>en</strong>t avoir recours à <strong>de</strong>s sociétés locales qui décid<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s à utiliser et<br />

<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t leurs membres, parfois <strong>de</strong>puis Paris, vérifier, tester, étudier. C’est ainsi que<br />

la Société <strong>de</strong>s Sci<strong>en</strong>ces, Agriculture et Arts <strong>de</strong> Strasbourg met au point quatre<br />

« appareils pour la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s souris , un par canton. <strong>Les</strong> inv<strong>en</strong>teurs locaux<br />

bénéfici<strong>en</strong>t ainsi d’un relais au niveau national. Quoi qu’il <strong>en</strong> soit, la lutte contre<br />

les animaux nuisibles répond à une prise <strong>de</strong> consci<strong>en</strong>ce v<strong>en</strong>ue <strong>de</strong>s élites et il est<br />

difficile <strong>de</strong> faire croire aux cultivateurs que les mesures proposées sont vraim<strong>en</strong>t<br />

utiles, d’autant que les frais à <strong>en</strong>gager constitu<strong>en</strong>t un frein à leur emploi. Comm<strong>en</strong>t<br />

faire accepter à ces <strong>de</strong>rniers l’utilisation <strong>de</strong> « pilules empoisonnées » ou <strong>de</strong> « graines<br />

ars<strong>en</strong>iquées », si ce n’est <strong>en</strong> leur démontrant, sur le terrain, leur indiscutable<br />

efficacité (par le rapport quantitatif <strong>en</strong>tre animaux éliminés et animaux initialem<strong>en</strong>t<br />

prés<strong>en</strong>ts) et <strong>en</strong> organisant <strong>de</strong>s distributions gratuites ? La constatation n’a du<br />

paradoxe que l’appar<strong>en</strong>ce : même si les paysans <strong>en</strong> sont les premières victimes,<br />

l’initiative d’une lutte contre les nuisibles ne vi<strong>en</strong>t pas d’eux.


115<br />

D’ailleurs, l’action individuelle se révèle inefficace. On fait appel à <strong>de</strong>s<br />

exécutants spécialisés comme le taupier. Maîtrisant l’art d’éliminer les taupes au<br />

moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> techniques <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus perfectionnées, il est embauché à l’initiative<br />

<strong>de</strong>s autorités municipales et non <strong>de</strong>s particuliers. Deux commissaires du Conseil<br />

municipal <strong>de</strong> Strasbourg le nomm<strong>en</strong>t et il doit, à ce titre, r<strong>en</strong>dre compte <strong>de</strong> son<br />

activité. Apparaît ainsi officiellem<strong>en</strong>t une « charge » <strong>de</strong> taupier qui, par expéri<strong>en</strong>ce<br />

cumulée, se transmettra <strong>de</strong> père <strong>en</strong> fils. Le poids <strong>de</strong> sa rémunération n’<strong>en</strong> pèse pas<br />

moins sur l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la communauté rurale.<br />

En s’appuyant sur la reconnaissance morale dont bénéfici<strong>en</strong>t les gros<br />

cultivateurs, parfois seuls à utiliser les « appareils » et à accepter les pertes <strong>de</strong> temps<br />

et <strong>de</strong> main d’œuvre qu’impliqu<strong>en</strong>t les nouveautés, les membres <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s<br />

Sci<strong>en</strong>ces, Agriculture et Arts <strong>en</strong> font les instrum<strong>en</strong>ts privilégiés <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s<br />

préconisées. Progressivem<strong>en</strong>t, le recours à l’émulation vise à diffuser <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s<br />

« plus simples, moins coûteuses et plus rationnelles » alliant facilité et rapidité<br />

d’exécution, mais le jour <strong>de</strong> leur « démocratisation » n’est pas <strong>en</strong>core arrivé.<br />

Notre étu<strong>de</strong>, qui a pu apparaître au départ comme étroitem<strong>en</strong>t thématique, est<br />

<strong>en</strong> réalité tributaire <strong>de</strong> tout un contexte : il a fallu recourir à l’histoire politique et<br />

administrative, au mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s idées sci<strong>en</strong>tifiques et à l’évolution <strong>de</strong>s m<strong>en</strong>talités.<br />

Différ<strong>en</strong>tes perspectives se dégag<strong>en</strong>t dès lors. Alors que les cultivateurs alsaci<strong>en</strong>s<br />

préfèr<strong>en</strong>t s’<strong>en</strong> remettre à Dieu, bon nombre d’inv<strong>en</strong>teurs et <strong>de</strong> savants réalis<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

expéri<strong>en</strong>ces fondées sur la raison : alors qu’ils n’ont que très rarem<strong>en</strong>t un contact<br />

avec le mon<strong>de</strong> rural, ils <strong>en</strong> font leur domaine <strong>de</strong> prédilection. Il n’est pas étonnant,<br />

dans ces conditions, <strong>de</strong> trouver tant <strong>de</strong> produits issus <strong>de</strong>s découvertes <strong>de</strong> la chimie<br />

et <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> la physique. Bi<strong>en</strong> avant le passage, aux al<strong>en</strong>tours <strong>de</strong> 1840,<br />

d’une agriculture « primitive » à une agriculture « sci<strong>en</strong>tifique », le paysan alsaci<strong>en</strong><br />

se sert <strong>de</strong> poisons et d’appâts pour lutter contre les souris, taupes, rats et<br />

campagnols. La proximité <strong>de</strong> l’Allemagne, patrie <strong>de</strong> Liebig et pays pionnier <strong>en</strong><br />

matière <strong>de</strong> chimie, y est sans doute pour quelque chose. Ainsi, très vite, la sci<strong>en</strong>ce<br />

semble « rattraper » la nature et la chimie à outrance sera à l’origine <strong>de</strong> nouveaux<br />

problèmes. Comme nous nous posons <strong>de</strong>s questions légitimes sur les conséqu<strong>en</strong>ces<br />

<strong>de</strong> l’emploi <strong>de</strong> certains OGM, les cultivateurs <strong>de</strong> l’époque faisai<strong>en</strong>t, eux, les frais <strong>de</strong><br />

nouvelles métho<strong>de</strong>s chimiques dont le danger ne leur était pas <strong>en</strong>core connu.<br />

Sources manuscrites :<br />

Archives départem<strong>en</strong>tales du Bas-Rhin 63 J (Archives <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s Sci<strong>en</strong>ces,<br />

Agriculture et Arts <strong>de</strong> Strasbourg, puis du Bas-Rhin, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue Société académique<br />

du Bas-Rhin, dont le Mémoire sur l’agriculture du départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin <strong>de</strong><br />

Frédéric Louis Hammer, 1807) et 3 M 1082 (administration préfectorale).<br />

Archives municipales <strong>de</strong> Strasbourg AA 2301 (administration municipale,<br />

1771).


116<br />

Sources imprimées :<br />

QUESNAY (François), Tableau économique, Paris, 1756-1759.<br />

YOUNG (Arthur), Voyages <strong>en</strong> France, 1787, 1788 et 1789, Paris, éd. H. Sée,<br />

1976.<br />

Bibliographie sommaire :<br />

BEAUR (Gérard), Histoire agraire <strong>de</strong> la France au XVIIIè siècle, Paris, 2000.<br />

BOEHLER (Jean-Michel), « La petite culture <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> au XVIIIè siècle »,<br />

Histoire et sociétés rurales, 4, 1995, p. 69-103.<br />

LIVET (Georges), Deux siècles d’histoire d’une société savante : la Société<br />

académique du Bas-Rhin (1799-1999), Strasbourg, 2001<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Jean-Michel Boehler


Joseph SPECKLIN<br />

Le Temple et la Cité<br />

G<strong>en</strong>èse <strong>de</strong> trois lieux <strong>de</strong> culte au XIX e siècle : la synagogue, l’église<br />

catholique et le temple allemand <strong>de</strong> Mulhouse (1835-1870)<br />

Malgré une formulation qui peut paraître conceptuelle et abstraite, la question<br />

du rapport <strong>en</strong>tre le Temple et la Cité reflète une problématique bi<strong>en</strong> concrète, celle<br />

<strong>de</strong> l’inscription <strong>de</strong> projets d’édifices cultuels dans une infrastructure, le cadre<br />

urbain, et dans une superstructure, le cadre social. Ce <strong>de</strong>rnier terme ne doit pas être<br />

réduit à <strong>de</strong> simples rapports <strong>de</strong> forces économiques, évid<strong>en</strong>ts dans une ville<br />

industrielle comme Mulhouse, mais il doit égalem<strong>en</strong>t inclure les relations<br />

interconfessionnelles, souv<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>dues, inhér<strong>en</strong>tes à un contexte socio-confessionnel<br />

original.<br />

Héritiers du patriciat <strong>de</strong> l’anci<strong>en</strong>ne république calviniste, les industriels<br />

protestants dominai<strong>en</strong>t l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong>s outils <strong>de</strong> production <strong>de</strong> la<br />

cité <strong>en</strong> un système que les histori<strong>en</strong>s ont qualifié <strong>de</strong> « fabricantocratique ». Leur<br />

temple, installé <strong>de</strong>puis la Réforme dans l’ancestrale église paroissiale Saint Eti<strong>en</strong>ne<br />

(XII e -XV e siècles) dont il avait conservé le vocable, était implanté sur la principale<br />

place <strong>de</strong> la vieille ville (place <strong>de</strong> la Réunion), à proximité immédiate du symbole du<br />

pouvoir protestant, l’hôtel <strong>de</strong> ville.<br />

Interdits <strong>de</strong> résid<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> ville <strong>de</strong>puis la fin du XVI e siècle, juifs et catholiques<br />

obtinr<strong>en</strong>t le droit <strong>de</strong> s’y installer et d’y célébrer librem<strong>en</strong>t leur culte dès la<br />

« Réunion » <strong>de</strong> Mulhouse à la France (1798). Alors que les premiers <strong>de</strong>meurèr<strong>en</strong>t<br />

toujours une infime minorité (jamais supérieure à 3 % <strong>de</strong> la population totale), les<br />

rangs <strong>de</strong>s catholiques fur<strong>en</strong>t quant à eux considérablem<strong>en</strong>t élargis par l’afflux <strong>de</strong> la<br />

main d’œuvre employée dans les industries <strong>de</strong> l’agglomération. Cette croissance<br />

démographique expon<strong>en</strong>tielle et favorable aux catholiques les r<strong>en</strong>dit<br />

numériquem<strong>en</strong>t majoritaires après 1835.<br />

La notabilité protestante conserva cep<strong>en</strong>dant sa place prédominante au sein <strong>de</strong> la<br />

cité jusqu’à l’annexion prussi<strong>en</strong>ne.


118<br />

Durant cette pério<strong>de</strong> d’<strong>en</strong>viron 35 ans, la municipalité fut confrontée à la<br />

nécessité <strong>de</strong> remédier à l’insuffisance <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> culte <strong>de</strong>s trois confessions<br />

prés<strong>en</strong>tes <strong>en</strong> ville <strong>en</strong> dirigeant ou <strong>en</strong> assistant l’édification <strong>de</strong> trois nouveaux temples<br />

dont la conception fut confiée à l’architecte municipal Jean-Baptiste Schacre (1808-<br />

1876).<br />

Dans la mesure où nous avons abordé la question <strong>de</strong> la g<strong>en</strong>èse <strong>de</strong> ces trois<br />

monum<strong>en</strong>ts sous l’angle <strong>de</strong> l’action <strong>de</strong> la commune et <strong>de</strong> ses édiles, notre principale<br />

source d’investigation a été constituée par les docum<strong>en</strong>ts produits et recueillis par la<br />

municipalité, conservés aux Archives municipales <strong>de</strong> Mulhouse, et principalem<strong>en</strong>t<br />

les registres <strong>de</strong>s délibérations du conseil municipal dont nous avons réalisé le<br />

dépouillem<strong>en</strong>t systématique pour la pério<strong>de</strong> 1835 - 1870. Nous avons croisé et<br />

complété cette source primordiale par les informations plus précises et plus<br />

techniques cont<strong>en</strong>ues dans les dossiers <strong>de</strong> construction <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts municipaux.<br />

<strong>Les</strong> lieux <strong>de</strong> culte au XIXe siècle<br />

La synagogue<br />

La synagogue <strong>de</strong> Mulhouse, édifiée <strong>de</strong> 1847 à 1849, résulte <strong>de</strong> trois<br />

objectifs concourants : pallier à l’insuffisance <strong>de</strong> l’édifice cultuel précéd<strong>en</strong>t, remédier<br />

à la scission <strong>de</strong>s fidèles et affirmer la place <strong>de</strong> la communauté israélite au sein <strong>de</strong> la<br />

cité.<br />

La synagogue installée <strong>en</strong> 1821 dans un bâtim<strong>en</strong>t anodin <strong>de</strong> la rue Sainte Claire<br />

avait été conçue pour une communauté d’<strong>en</strong>viron 400 membres et offrait moins <strong>de</strong><br />

130 places. L’augm<strong>en</strong>tation constante du nombre <strong>de</strong> fidèles (<strong>en</strong>viron un millier vers<br />

1839) remit bi<strong>en</strong> vite cette capacité d’accueil <strong>en</strong> question et nécessita la recherche<br />

<strong>de</strong> solutions urg<strong>en</strong>tes. Cette situation délicate fut aggravée par l’exist<strong>en</strong>ce d’une<br />

scission assez profon<strong>de</strong> au sein <strong>de</strong> la communauté. D’un côté, le rabbin Dreyfus<br />

regroupait autour <strong>de</strong> lui les israélites libéraux tandis que, <strong>de</strong> l’autre côté, l’influ<strong>en</strong>te<br />

famille Wahl constituait le noyau dur <strong>de</strong> la fraction traditionaliste <strong>de</strong> la<br />

communauté. Après une âpre lutte d’influ<strong>en</strong>ce qui atteignit son paroxysme <strong>en</strong><br />

1836, lors d’une rixe surv<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> pleine cérémonie religieuse, les Wahl ouvrir<strong>en</strong>t<br />

un oratoire particulier qui concurr<strong>en</strong>çait directem<strong>en</strong>t la synagogue officielle.<br />

Ce pénible état <strong>de</strong> chose, contraire à l’esprit <strong>de</strong> la législation napoléoni<strong>en</strong>ne,<br />

nuisait à la dignité du culte et stigmatisait une communauté israélite dont les<br />

membres notables aspirai<strong>en</strong>t au contraire à une élévation sociale soulignée par la<br />

construction d’un édifice cultuel dûm<strong>en</strong>t intégré à l’espace monum<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> la cité.<br />

Un projet <strong>de</strong> construction fut donc monté dès 1839 par une commission<br />

nommée par les représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong> la communauté et étroitem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>cadrée par la<br />

municipalité.<br />

Ce premier projet, rédigé par l’architecte municipal Dufau, échoua face à<br />

l’opposition d’une partie <strong>de</strong> la communauté (et notamm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Baruch Wahl) <strong>en</strong>


119<br />

désaccord avec le choix <strong>de</strong> l’emplacem<strong>en</strong>t. Ce <strong>de</strong>rnier, contigu à l’emplacem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

nouveaux abattoirs municipaux du Bollwerk, risquait <strong>en</strong> effet <strong>de</strong> voir la dignité du<br />

culte atteinte par l’activité bruyante et impure <strong>de</strong> cet établissem<strong>en</strong>t.<br />

Il fallut att<strong>en</strong>dre 1846 pour que le projet soit exhumé et repris pratiquem<strong>en</strong>t<br />

dans les mêmes termes. L’emplacem<strong>en</strong>t choisi était constitué <strong>de</strong> la cour <strong>de</strong> l’anci<strong>en</strong><br />

hospice civil (r<strong>en</strong>due disponible par le transfert <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier dans <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts<br />

neufs au quai du Fossé). Proche <strong>de</strong> la synagogue <strong>de</strong> 1821, il prés<strong>en</strong>tait <strong>en</strong> outre le<br />

double avantage d’une vaste ét<strong>en</strong>due libre et d’une situation <strong>en</strong> amont du réseau<br />

hydrographique urbain, ce qui r<strong>en</strong>dait possible l’installation future d’un bain rituel<br />

(mikvé).<br />

Principalem<strong>en</strong>t financée par la communauté elle-même (au moy<strong>en</strong> d’une<br />

souscription ainsi que <strong>de</strong> la v<strong>en</strong>te <strong>de</strong> l’anci<strong>en</strong> bâtim<strong>en</strong>t et <strong>de</strong>s places du nouveau),<br />

l’opération fut subv<strong>en</strong>tionnée et <strong>en</strong>cadrée très étroitem<strong>en</strong>t par la municipalité dont<br />

l’architecte-voyer, Jean-Baptiste Schacre, était d’ailleurs l’auteur du projet.<br />

Malgré la faillite puis la fuite <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur ainsi que la crise <strong>de</strong> 1848, les<br />

travaux <strong>en</strong>tamés <strong>en</strong> mars 1847 fur<strong>en</strong>t achevés à l’automne 1849 et la synagogue put<br />

être inaugurée le 13 décembre <strong>de</strong> cette même année.<br />

L’église catholique et le temple<br />

Interpellée dès 1836 par le curé Lutz et le conseil <strong>de</strong> fabrique sur l’insuffisance<br />

<strong>de</strong> l’anci<strong>en</strong>ne église <strong>de</strong>s Franciscains, cédée intégralem<strong>en</strong>t aux catholiques <strong>en</strong> 1810<br />

puis rénovée <strong>en</strong>tre 1811 et 1815 pour t<strong>en</strong>ir lieu d’église paroissiale, la municipalité<br />

fut longtemps rétic<strong>en</strong>te à placer la construction d’une nouvelle église catholique<br />

parmi ses objectifs prioritaires.<br />

Soucieuse <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong> l’émulation la plus large possible afin d’être <strong>en</strong> mesure<br />

<strong>de</strong> satisfaire cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le mom<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>u, la municipalité organisa <strong>en</strong> 1840 un<br />

grand concours international dont le programme invitait les architectes <strong>de</strong> France,<br />

<strong>de</strong> Suisse et <strong>de</strong>s Etats allemands à concevoir non seulem<strong>en</strong>t un projet pour une<br />

nouvelle église catholique mais aussi un projet <strong>de</strong> temple neuf ainsi qu’un plan <strong>de</strong><br />

restauration <strong>de</strong> l’anci<strong>en</strong> temple. La question <strong>de</strong> la construction d’une nouvelle église<br />

catholique et celle <strong>de</strong> la reconstruction ou <strong>de</strong> la restauration du temple protestant<br />

fur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet longtemps insérées dans un même objectif édilitaire, celui <strong>de</strong>s<br />

« églises ».<br />

Malgré la participation <strong>de</strong> 24 architectes (sur 58 à s’être manifestés, parmi<br />

lesquels <strong>de</strong>s grands noms tels que Emile Boeswillwald, Gustave Klotz, Louis-<br />

Auguste Boileau, Johann Claudius von Lassaulx ou Ferdinand Stadler) et la<br />

collaboration officieuse du conseil <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts civils <strong>de</strong> Paris, cette longue et<br />

coûteuse compétition n’eût guère <strong>de</strong> résultats probants et l’architecte parisi<strong>en</strong><br />

d’origine belfortaine Louis-Michel Boltz fut plutôt choisi par défaut et sous<br />

l’influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> protecteurs haut placés.<br />

<strong>Les</strong> projets <strong>de</strong> Boltz pour la nouvelle église et le temple, amoindris par les<br />

difficultés financières <strong>de</strong> la commune, fur<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite complètem<strong>en</strong>t balayés par la


120<br />

crise <strong>de</strong> 1848 et l’annulation pure et simple <strong>de</strong>s crédits municipaux <strong>de</strong>stinés aux<br />

« églises ».<br />

La pério<strong>de</strong> correspondant au mandat municipal d’Emile Koechlin [1848 -<br />

1852] fut marquée par une crise persistante <strong>en</strong>tre la municipalité, majoritairem<strong>en</strong>t<br />

protestante, et la fabrique catholique. Cette <strong>de</strong>rnière, confrontée à l’ajournem<strong>en</strong>t<br />

illimité <strong>de</strong> tout projet <strong>de</strong> construction <strong>en</strong> raison <strong>de</strong> la situation budgétaire <strong>de</strong> la<br />

municipalité, choisit alors <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> contournem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> créant un comité<br />

chargé <strong>de</strong> récolter <strong>de</strong>s fonds et d’acquérir un terrain. Cette <strong>de</strong>rnière opération ayant<br />

été m<strong>en</strong>ée à l’insu <strong>de</strong> la mairie, une crise <strong>de</strong> confiance assez profon<strong>de</strong> ternit les<br />

rapports <strong>en</strong>tre les représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong>s catholiques et les édiles protestants. Contrainte,<br />

par la faute du comité catholique, <strong>de</strong> relancer le projet <strong>de</strong> construction, la<br />

municipalité organisa un nouveau concours <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux architectes uniquem<strong>en</strong>t : le<br />

parisi<strong>en</strong> Pierre-Charles Dusillion et le belfortain Diogène Poisat.<br />

Malgré la victoire du projet Poisat, qui séduisit particulièrem<strong>en</strong>t les catholiques<br />

par l’emploi du style ogival, Dusillion se vit attribuer la comman<strong>de</strong> à la suite <strong>de</strong> la<br />

méfiance manifestée par les <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs à l’égard du projet <strong>de</strong> son rival.<br />

Basé sur <strong>de</strong>s impératifs d’économie liés à la conjoncture défavorable <strong>de</strong> l’époque,<br />

les plans <strong>de</strong> Dusillion et leur mo<strong>de</strong> d’exécution (par étapes différées suivant les<br />

ressources disponibles) n’eur<strong>en</strong>t jamais l’aval <strong>de</strong>s catholiques, dont les représ<strong>en</strong>tants<br />

avai<strong>en</strong>t officieusem<strong>en</strong>t eu recours au directeur <strong>de</strong> l’administration <strong>de</strong>s Cultes,<br />

Auguste Nicolas, pour obt<strong>en</strong>ir la désignation d’un nouvel architecte et d’un<br />

nouveau projet, tandis qu’Emile Koechlin t<strong>en</strong>tait <strong>de</strong> leur imposer les plans et <strong>de</strong>vis<br />

élaborés par Dusillion. Ces <strong>de</strong>rniers n’ayant pas convaincu les autorités supérieures,<br />

le projet d’église <strong>en</strong> était toujours au même sta<strong>de</strong> au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong><br />

fonction <strong>de</strong> la nouvelle municipalité présidée par Joseph Koechlin-Schlumberger<br />

[1852 - 1863]. Ce <strong>de</strong>rnier, assez bi<strong>en</strong> disposé <strong>en</strong>vers les catholiques, décida d’ouvrir<br />

un nouveau concours <strong>en</strong>tre Dusillion et Schacre et imposa bi<strong>en</strong>tôt l’emploi du<br />

« style gothique simple ». Dusillion ayant choisi <strong>de</strong> se retirer <strong>de</strong> la compétition, la<br />

rédaction du projet fut confiée à l’architecte municipal. <strong>Les</strong> plans <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier<br />

ayant reçu un accueil assez défavorable auprès du comité <strong>de</strong>s Inspecteurs généraux<br />

<strong>de</strong>s édifices diocésains, il fallut att<strong>en</strong>dre le printemps 1855 pour que les travaux<br />

puiss<strong>en</strong>t être <strong>en</strong>trepris. Alors que le délai d’achèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers avait été<br />

initialem<strong>en</strong>t porté au mois <strong>de</strong> mai 1858, <strong>de</strong>s retards s’accumulèr<strong>en</strong>t, notamm<strong>en</strong>t à<br />

cause <strong>de</strong> modifications <strong>de</strong>s plans <strong>en</strong> cours d’exécution, et l’édifice fut finalem<strong>en</strong>t<br />

livré au culte <strong>en</strong> novembre 1860.<br />

Envisagée <strong>de</strong>puis 1814, la reconstruction du temple protestant allemand 1 ,<br />

vétuste et insalubre, suscita un débat passionné <strong>en</strong>tre 1835 et 1850. Alors que<br />

certains notables protestants, tels que le chroniqueur Mathieu Mieg ou l’industriel<br />

11 La qualification <strong>de</strong> « temple allemand » distingue cet édifice, où le pasteur prêchait <strong>en</strong><br />

langue germanique, du temple Saint Jean ou « temple français », où le culte réformé était<br />

célébré <strong>en</strong> langue française.


121<br />

Jean Zuber père, préconisai<strong>en</strong>t une restauration scrupuleuse <strong>de</strong> l’anci<strong>en</strong> édifice<br />

médiéval <strong>en</strong> ménageant la tour du clocher et le chœur gothique, d’autres<br />

souhaitai<strong>en</strong>t qu’il soit intégralem<strong>en</strong>t reconstruit.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier parti, fondé notamm<strong>en</strong>t sur <strong>de</strong>s considérations urbanistiques,<br />

hygiénistes et fonctionnelles, fut privilégié par la municipalité qui décida, <strong>en</strong> 1850,<br />

après d’âpres débats, <strong>de</strong> reconstruire intégralem<strong>en</strong>t l’édifice <strong>en</strong> utilisant la<br />

profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la place Lambert (connexe à la place <strong>de</strong> la Réunion) et <strong>en</strong> plaçant son<br />

porche perp<strong>en</strong>diculairem<strong>en</strong>t à celui <strong>de</strong> l’hôtel <strong>de</strong> ville. L’anci<strong>en</strong> temple fut donc<br />

condamné à la démolition qui survint <strong>en</strong> 1858 (pour la nef, les bas-côtés et le<br />

chœur) et 1868 (pour le clocher, conservé jusqu’à l’achèvem<strong>en</strong>t du nouveau). Cette<br />

disparition d’un témoin monum<strong>en</strong>tal et fondam<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la ville fut à<br />

l’origine <strong>de</strong> la naissance d’une consci<strong>en</strong>ce patrimoniale mêlant considérations<br />

archéologiques, <strong>historiques</strong> et s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts civiques.<br />

Un concours fut organisé dès 1850 <strong>en</strong>tre Dusillion et Félix Fries, le premier<br />

imaginant un projet néo-r<strong>en</strong>aissance c<strong>en</strong>sé s’harmoniser avec le style <strong>de</strong> l’hôtel <strong>de</strong><br />

ville, tandis que le second proposait une architecture néo-romane plus austère et,<br />

partant, plus conforme avec les préceptes calvinistes. Ce <strong>de</strong>rnier parti fut adopté par<br />

la municipalité et le consistoire réformé local mais sa rédaction fut confiée à<br />

Dusillion, Fries ayant refusé la proposition qui lui avait été faite <strong>de</strong> s’associer avec<br />

son confrère parisi<strong>en</strong>. L’arrivée <strong>de</strong> Koechlin-Schlumberger aux affaires municipales<br />

eut les mêmes conséqu<strong>en</strong>ces que pour l’église catholique : le projet du temple fut<br />

redéfini lors d’un nouveau concours puis confié à l’architecte municipal.<br />

Le projet définitif, élaboré par Schacre <strong>en</strong> 1855 après un premier essai<br />

infructueux, s’inspirait largem<strong>en</strong>t -et ouvertem<strong>en</strong>t- du système inauguré à l’église<br />

St-Eugène <strong>de</strong> Paris par l’architecte Boileau : les galeries <strong>en</strong> fer flanquant la nef<br />

<strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t êtres sout<strong>en</strong>ues par <strong>de</strong> fines colonnes <strong>en</strong> fonte. Adjugé et <strong>en</strong>trepris <strong>en</strong><br />

1858, ce projet fut profondém<strong>en</strong>t modifié trois ans plus tard, alors que l’édifice<br />

était <strong>en</strong> cours <strong>de</strong> réalisation. L’achèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’église catholique (1860) avait <strong>en</strong><br />

effet s<strong>en</strong>sibilisé le public protestant à la trop gran<strong>de</strong> ressemblance stylistique qui<br />

existait <strong>en</strong>tre les formes extérieures <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux temples chréti<strong>en</strong>s. Il fut donc décidé<br />

que les flèches <strong>de</strong>s tourelles d’angle et du clocher serai<strong>en</strong>t surélevées et pourvues <strong>de</strong><br />

structures ajourées <strong>en</strong> pierre <strong>de</strong> taille <strong>de</strong>stinées à rehausser la monum<strong>en</strong>talité <strong>de</strong><br />

l’édifice tout <strong>en</strong> apposant un décor architectural luxueux au volume simple et<br />

fonctionnel <strong>de</strong> l’espace cultuel réformé.<br />

Près d’une dizaine d’années fut <strong>en</strong>core nécessaire pour achever le nouveau<br />

temple, qui fut certes livré au culte dès le 1 er novembre 1866 mais ne fut totalem<strong>en</strong>t<br />

achevé qu’<strong>en</strong>tre 1869 et 1870.<br />

La question du style<br />

Loin d’être le résultat gratuit d’un libre jeu <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ces, la démarche<br />

historiciste propre à l’architecture publique du XIX e siècle était située à la


122<br />

converg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> considérations et <strong>de</strong> paramètres contraignants et multiples. <strong>Les</strong><br />

styles architecturaux <strong>de</strong>s trois édifices résult<strong>en</strong>t par conséqu<strong>en</strong>t non seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

choix esthétiques soumis aux débats artistiques et aux int<strong>en</strong>tions <strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tation<br />

mais égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> contraintes matérielles ou financières.<br />

Malgré un financem<strong>en</strong>t assuré à plus <strong>de</strong> 80 % par la communauté israélite et le<br />

statut privé du nouveau temple israélite, la subv<strong>en</strong>tion municipale <strong>de</strong> 15 000 francs<br />

accordée <strong>en</strong> vertu <strong>de</strong> la loi du 18 juillet 1837 servit à légitimer une interv<strong>en</strong>tion<br />

importante <strong>de</strong> l’édilité mulhousi<strong>en</strong>ne dans les choix stylistiques et ornem<strong>en</strong>taux<br />

appliqués à l’architecture classique (probablem<strong>en</strong>t héritée du projet <strong>de</strong> 1839) <strong>de</strong> la<br />

nouvelle synagogue. Elle réussit ainsi à imposer l’édification d’une coupole qui ne<br />

fut cep<strong>en</strong>dant jamais réalisée suite aux difficultés que r<strong>en</strong>contra le chantier <strong>de</strong><br />

construction dès l’automne 1847 (faillite et fuite <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur Louis Carlé).<br />

D’autres élém<strong>en</strong>ts sont révélateurs <strong>de</strong> la volonté, plus municipale que<br />

communautaire, <strong>de</strong> faire transparaître la « judéité » <strong>de</strong> l’édifice au moy<strong>en</strong> d’élém<strong>en</strong>ts<br />

architecturaux (acrotères figurant les tables mosaïques, bas-reliefs représ<strong>en</strong>tant la<br />

m<strong>en</strong>ora salomonique …) qui font allusion à l’image « hiramique » du Temple <strong>de</strong><br />

Jérusalem issue <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong>s conceptions maçonniques communes à l’élite<br />

dirigeante mulhousi<strong>en</strong>ne et à l’architecte Schacre.<br />

Par<strong>en</strong>t pauvre du double projet dit « <strong>de</strong>s églises », la nouvelle église catholique<br />

ne pouvait qu’être conçue et réalisée selon <strong>de</strong>s principes d’économies. Ces <strong>de</strong>rniers<br />

provoquèr<strong>en</strong>t une t<strong>en</strong>sion paralysante <strong>en</strong>tre une municipalité désireuse <strong>de</strong> limiter les<br />

coûts au détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s proportions et <strong>de</strong> n’exécuter les travaux que par tranches<br />

différées et une communauté catholique désireuse <strong>de</strong> disposer d’un édifice vaste et<br />

monum<strong>en</strong>tal. La proposition néogothique <strong>de</strong> Diogène Poisat (1851) avait certes<br />

séduit le public catholique et les dirigeants protestants mais le risque <strong>de</strong><br />

dépassem<strong>en</strong>t du <strong>de</strong>vis estimatif, inhér<strong>en</strong>t à la nouveauté <strong>de</strong> ce style, avait motivé son<br />

rejet au profit <strong>de</strong> l’adoption d’un projet éclectique plaquant <strong>de</strong>s motifs pittoresques<br />

inspirés par le Moy<strong>en</strong>-Âge tardif sur une structure classique assez traditionnelle.<br />

Ce projet, élaboré par l’architecte parisi<strong>en</strong> Dusillion, se heurta à la double<br />

opposition <strong>de</strong>s catholiques mulhousi<strong>en</strong>s, qui refusai<strong>en</strong>t sa réalisation tronquée et<br />

échelonnée, et <strong>de</strong>s organes administratifs du contrôle architectural, qui dénoncèr<strong>en</strong>t<br />

son éclectisme fantaisiste contraire à l’unité <strong>de</strong> style prônée par l’école<br />

« archéologique » omniprés<strong>en</strong>te dans les administrations <strong>de</strong>puis les années 1840 et<br />

notamm<strong>en</strong>t au sein du comité <strong>de</strong>s Inspecteurs généraux <strong>de</strong>s édifices diocésains.<br />

Comme cette <strong>de</strong>rnière institution, établie auprès du ministère <strong>de</strong> l’Instruction<br />

publique et <strong>de</strong>s Cultes <strong>en</strong> 1853, avait un rôle consultatif déterminant dans<br />

l’attribution <strong>de</strong>s secours gouvernem<strong>en</strong>taux, elle était <strong>en</strong> mesure d’imposer les<br />

conceptions architecturales <strong>de</strong> ses membres, principalem<strong>en</strong>t issus <strong>de</strong>s rangs <strong>de</strong><br />

l’école « archéologique » et du courant rationaliste initié par Labrouste.<br />

C’est pourquoi Viollet-le-Duc, théorici<strong>en</strong> et chef <strong>de</strong> file <strong>de</strong> ce mouvem<strong>en</strong>t<br />

architectural, fut am<strong>en</strong>é à jouer un rôle important dans la conception <strong>de</strong> la nouvelle<br />

église Saint- Eti<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> tant que rapporteur du projet mulhousi<strong>en</strong> auprès du comité


123<br />

<strong>de</strong>s diocésains. Son opposition au projet produit par Schacre, dont il trouvait les<br />

plans trop éclectiques et les solutions architectoniques défectueuses, am<strong>en</strong>a le maire<br />

<strong>de</strong> Mulhouse à <strong>en</strong>voyer l’architecte municipal auprès du célèbre architecte parisi<strong>en</strong>,<br />

afin qu’un compromis viable puisse être établi.<br />

L’influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> Viollet-le-Duc est ainsi manifeste dans l’architecture <strong>de</strong> l’église<br />

Saint-Eti<strong>en</strong>ne, caractérisée par <strong>de</strong>s dispositions sobres et logiques faisant référ<strong>en</strong>ce à<br />

la pureté idéalisée du gothique « primitif » <strong>de</strong> l’époque <strong>de</strong> Philippe-Auguste, tandis<br />

que le contrebutem<strong>en</strong>t au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> simples contreforts plutôt que d’arc-boutants<br />

relève d’un impératif <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s coûts.<br />

Longtemps <strong>de</strong>stiné à un traitem<strong>en</strong>t architectural néo-roman ou -selon les termes<br />

<strong>de</strong> l’époque- « byzantin », conforme à un impératif <strong>de</strong> sobriété propre au culte<br />

calviniste, le nouveau temple reçut paradoxalem<strong>en</strong>t une architecture néogothique<br />

particulièrem<strong>en</strong>t exubérante et inspirée d’exemples régionaux du gothique tardif du<br />

XIV e siècle.<br />

La solution <strong>de</strong> ce paradoxe rési<strong>de</strong> <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux étapes <strong>de</strong> redéfinition du projet,<br />

initiées toutes <strong>de</strong>ux par la municipalité présidée par Joseph Koechlin-Schlumberger.<br />

Le premier revirem<strong>en</strong>t s’opéra vers la fin <strong>de</strong> l’année 1852 : l’<strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t du<br />

public mulhousi<strong>en</strong> pour l’architecture « ogivale » ayant été pris <strong>en</strong> compte par la<br />

municipalité lors <strong>de</strong> la redéfinition du projet d’église catholique, les protestants ne<br />

comptèr<strong>en</strong>t pas être <strong>en</strong> reste et obtinr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la mairie que le projet néo-roman ou<br />

« byzantin » porté par l’architecte Dusillion soit annulé au profit d’une nouvelle<br />

compétition dont le programme (1853) imposerait le style « ogival ».<br />

Le second revirem<strong>en</strong>t survint au cours <strong>de</strong> la construction, <strong>en</strong> 1861 :<br />

l’achèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’église catholique ayant excité une certaine volonté <strong>de</strong> sur<strong>en</strong>chère<br />

monum<strong>en</strong>tale <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> la communauté protestante, la pierre <strong>de</strong> taille fut<br />

am<strong>en</strong>ée à remplacer le bois et l’ardoise <strong>de</strong>s flèches à l’extérieur ainsi que le métal <strong>de</strong>s<br />

galeries et <strong>de</strong>s colonnes à l’intérieur. Ces coûteuses modifications eur<strong>en</strong>t une gran<strong>de</strong><br />

influ<strong>en</strong>ce sur les dispositions <strong>de</strong> l’édifice qui, <strong>de</strong> l’avis d’un contemporain, « y perdit<br />

ses proportions ». Ces <strong>de</strong>rnières fur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t augm<strong>en</strong>tées, portant<br />

ainsi la flèche <strong>en</strong> d<strong>en</strong>telle <strong>de</strong> pierre du clocher à une hauteur avoisinant c<strong>en</strong>t mètres.<br />

Il s’agissait <strong>en</strong> effet, aux yeux <strong>de</strong>s protestants mulhousi<strong>en</strong>s, <strong>de</strong> dominer la ligne<br />

d’horizon <strong>de</strong> la cité et <strong>de</strong> réaffirmer leur place au sein d’une société industrielle <strong>en</strong><br />

profond bouleversem<strong>en</strong>t.<br />

Un grand projet urbain et social<br />

Longtemps abandonné à <strong>de</strong>s initiatives particulières plus ou moins <strong>en</strong>cadrées, le<br />

développem<strong>en</strong>t urbain <strong>de</strong> Mulhouse fut durablem<strong>en</strong>t marqué par l’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> toute<br />

programmation édilitaire, <strong>de</strong> tout projet d’<strong>en</strong>semble.<br />

Dès le début du Second empire, la municipalité mit <strong>en</strong> place une politique<br />

urbanistique philanthropique, hygiéniste et saint-simoni<strong>en</strong>ne, faisant <strong>en</strong>trer<br />

Mulhouse dans son « cycle haussmanni<strong>en</strong> ». Loin <strong>de</strong> constituer une facette parmi


124<br />

d’autres <strong>de</strong> cette politique, la construction <strong>de</strong>s « églises » constitua au contraire un<br />

élém<strong>en</strong>t moteur <strong>de</strong> l’haussmannisation <strong>de</strong> la ville.<br />

L’implantation <strong>de</strong> la nouvelle église catholique <strong>en</strong>tre le vieux noyau urbain<br />

médiéval et la « nouvelle ville » industrielle et bourgeoise constituée par les<br />

faubourgs Sud <strong>de</strong> l’agglomération fut ainsi l’occasion <strong>de</strong> relier plus efficacem<strong>en</strong>t ces<br />

<strong>de</strong>ux espaces <strong>en</strong> créant <strong>de</strong>s percées qui valorisèr<strong>en</strong>t le nouvel édifice au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

perspectives monum<strong>en</strong>tales et fonctionnelles tout <strong>en</strong> augm<strong>en</strong>tant l’emprise <strong>de</strong>s<br />

espaces publics dans un quartier résid<strong>en</strong>tiel originellem<strong>en</strong>t conçu selon <strong>de</strong>s logiques<br />

individuelles. De même, la reconstruction du temple constitua une t<strong>en</strong>tative<br />

d’am<strong>en</strong><strong>de</strong>m<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> rénovation d’un tissu urbain c<strong>en</strong>tral vétuste et insalubre. La<br />

reprise <strong>en</strong> main du cadre urbain par la municipalité fut par conséqu<strong>en</strong>t portée par<br />

les projets d’édifices cultuels.<br />

Ces <strong>de</strong>rniers fur<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t légitimés par un impératif <strong>de</strong> moralisation et<br />

d’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s classes laborieuses nées <strong>de</strong> l’industrialisation. Cette politique<br />

nécessitait bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du la mise <strong>en</strong> place d’équipem<strong>en</strong>ts cultuels efficaces et<br />

s’accomplissait dès leur édification, l’organisation <strong>de</strong> grands chantiers <strong>de</strong><br />

construction ayant été perçue comme une œuvre philanthropique <strong>de</strong> mobilisation<br />

<strong>de</strong>s ouvriers dans un objectif d’utilité publique et, partant, comme la première étape<br />

<strong>de</strong> l’œuvre civilisatrice et progressiste <strong>de</strong> moralisation <strong>de</strong> la société mulhousi<strong>en</strong>ne.<br />

L’édification <strong>de</strong> nouveaux lieux <strong>de</strong> culte fut donc au c<strong>en</strong>tre d’un vaste<br />

programme édilitaire qui visait à améliorer et à rénover profondém<strong>en</strong>t les<br />

infrastructures et les superstructures mulhousi<strong>en</strong>nes, à apporter <strong>de</strong>s solutions<br />

monum<strong>en</strong>tales aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>tes communautés tout <strong>en</strong> assurant le<br />

mainti<strong>en</strong> d’une nécessaire harmonie interconfessionnelle indissociable d’un<br />

ambitieux projet <strong>de</strong> société.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Marie-Claire Vitoux et Bernard Jacqué


Fabi<strong>en</strong> BAUMANN<br />

Le service <strong>de</strong>s travaux communaux dans le départem<strong>en</strong>t du<br />

Bas-Rhin <strong>en</strong>tre 1800 et 1840<br />

<strong>Les</strong> différ<strong>en</strong>ts préfets du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont mis <strong>en</strong> place au XIXème<br />

siècle un service spécifique <strong>de</strong>s travaux communaux : dans la Bas-Rhin, un réseau<br />

d’architectes d’arrondissem<strong>en</strong>t sous la direction d’un architecte départem<strong>en</strong>tal ;<br />

dans le Haut-Rhin, <strong>de</strong>s architectes agréés et un architecte <strong>en</strong> chef à Colmar. Ces<br />

<strong>de</strong>ux services ont fonctionné avec plusieurs remaniem<strong>en</strong>ts jusqu’<strong>en</strong> 1870 et ont<br />

largem<strong>en</strong>t contribué à l’importante politique <strong>de</strong> travaux publics <strong>de</strong>s municipalités<br />

alsaci<strong>en</strong>nes.<br />

De nombreuses monographies d’architectes <strong>de</strong>vrai<strong>en</strong>t voir le jour pour<br />

saisir l’importance <strong>de</strong> leurs travaux et l’apport architectural spécifique à chaque<br />

circonscription. Jusqu’alors, le nom <strong>de</strong>s architectes et l’indication <strong>de</strong> leurs<br />

constructions figurai<strong>en</strong>t dans les seules monographies communales m<strong>en</strong>ées sans<br />

trop <strong>de</strong> soins et écrites sans recours à un croisem<strong>en</strong>t complet <strong>de</strong>s fonds d’archives,<br />

sans analyse artistique systématique. Il nous a paru intéressant – et nécessaire – <strong>de</strong><br />

combler cette lacune et <strong>de</strong> contribuer à la mise <strong>en</strong> lumière <strong>de</strong> ce patrimoine trop<br />

longtemps négligé, par un mémoire <strong>de</strong> maîtrise consacré à un architecte dans un<br />

arrondissem<strong>en</strong>t-type – celui <strong>de</strong> Sélestat – avec Charles-Théodore Kuhlmann (1801-<br />

1840) 1 . L’abondance <strong>de</strong>s sources d’archives et la connaissance <strong>de</strong> la zone<br />

géographique, malgré la disparition partielle <strong>de</strong> son œuvre, ont égalem<strong>en</strong>t été les<br />

motifs <strong>de</strong> ce choix.<br />

Nous nous bornerons ici à prés<strong>en</strong>ter le service <strong>de</strong>s travaux communaux et<br />

son évolution <strong>de</strong>s les premières déc<strong>en</strong>nies du XIXème siècle, comme base d’étu<strong>de</strong><br />

pour toute monographie d’architecte public.<br />

1 Fabi<strong>en</strong> Baumann, <strong>Les</strong> villages d’<strong>Alsace</strong> moy<strong>en</strong>ne au début du XIXème siècle. Le travail <strong>de</strong><br />

l’architecte Charles Théodore Kuhlmann (1801-1840), mémoire dactylographié <strong>de</strong> maîtrise, 2<br />

tomes, UMB, Strasbourg, 2004.


126<br />

Etat <strong>de</strong>s lieux avant la mise <strong>en</strong> place <strong>de</strong> l’arrêté <strong>de</strong> 1827<br />

<strong>Les</strong> travaux communaux <strong>de</strong>puis 1800 : la stagnation<br />

La Révolution avait mis un terme aux chantiers <strong>de</strong> construction p<strong>en</strong>dant près<br />

d’une déc<strong>en</strong>nie, <strong>en</strong>tre 1790 et 1800. Sous le Consulat et l’Empire, le retour à un<br />

régime plus stable permit une réorganisation du service. Un arrêté du préfet du 14<br />

messidor <strong>en</strong> X (1801) c<strong>en</strong>tralise <strong>en</strong>tre les mains <strong>de</strong> l’ingénieur <strong>en</strong> chef <strong>de</strong>s Ponts et<br />

Chaussées la surveillance <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> toute nature. L’arrêté préfectoral du 28<br />

octobre 1810 1 charge les ingénieurs <strong>de</strong>s Ponts et Chaussées <strong>de</strong> l’inspection <strong>de</strong>s<br />

édifices communaux et du suivi <strong>de</strong> leur édification.<br />

Durant cette pério<strong>de</strong>, le nombre <strong>de</strong>s constructions est très réduit : notons<br />

l’achèvem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1808 <strong>de</strong> l’église d’Epfig comm<strong>en</strong>cée au début <strong>de</strong> la Révolution. La<br />

seule construction d’<strong>en</strong>vergure est celle <strong>de</strong> l’église <strong>de</strong> Krautergersheim <strong>en</strong> 1815.<br />

Gr<strong>en</strong><strong>de</strong>lbruch et Marckolsheim <strong>en</strong>visag<strong>en</strong>t déjà la reconstruction <strong>de</strong> leurs lieux <strong>de</strong><br />

culte. <strong>Les</strong> gran<strong>de</strong>s villes <strong>en</strong> revanche, possédant leurs propres services d’architectes,<br />

ont une activité plus importante. A Strasbourg, l’aménagem<strong>en</strong>t du parc <strong>de</strong><br />

l’Orangerie avec le Pavillon Joséphine et la reconstruction du théâtre municipal<br />

figur<strong>en</strong>t parmi les grands projets <strong>de</strong> l’époque.<br />

<strong>Les</strong> guerres <strong>de</strong> l’Empire <strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t la dispersion et l’aliénation partielle du<br />

patrimoine communal pour l’effort <strong>de</strong> guerre, puis la chute du régime par les<br />

invasions <strong>de</strong> 1814 et 1815 voi<strong>en</strong>t l’installation <strong>de</strong>s armées d’occupation<br />

autrichi<strong>en</strong>nes p<strong>en</strong>dant plusieurs années et <strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t l’<strong>en</strong><strong>de</strong>ttem<strong>en</strong>t croissant <strong>de</strong>s<br />

communes déjà affaiblies financièrem<strong>en</strong>t. Cette situation empêche la réforme<br />

immédiate et la mise <strong>en</strong> place d’un service d’architecture pourtant <strong>de</strong>mandée par le<br />

ministre <strong>de</strong> l’Intérieur dès 1816. <strong>Les</strong> travaux dans les arrondissem<strong>en</strong>ts continu<strong>en</strong>t<br />

d’être confiés aux ingénieurs d’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s Ponts et Chaussées, situation qui<br />

subsiste jusqu’<strong>en</strong> 1822.<br />

La nomination d’un architecte départem<strong>en</strong>tal<br />

La décision du ministre <strong>de</strong> l’Intérieur du 23 janvier 1822 retire aux ingénieurs<br />

<strong>de</strong>s Ponts et Chaussées la direction <strong>de</strong>s travaux civils. Le conseil général du Bas-<br />

Rhin délibère à ce sujet le 10 septembre 1822 et propose la nomination d’un<br />

architecte départem<strong>en</strong>tal. Le préfet Vaulchier, par arrêté du 17 octobre 1822 2 , crée<br />

1<br />

F. Igersheim, <strong>Alsace</strong> illustrée, Jardin foudroyé, Paysage contemplé. La fabrique <strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>ts.<br />

L’<strong>Alsace</strong> et ses histori<strong>en</strong>s (1680-1914), mémoire dactylographié d’habilitation, 3 tomes, UMB,<br />

Strasbourg, 2002.<br />

2<br />

ADBR, 6N6. Arrêté du 17 octobre 1822 : nomination <strong>de</strong> Reiner comme architecte<br />

départem<strong>en</strong>tal.


127<br />

un poste d’architecte du départem<strong>en</strong>t et y nomme François Reiner 1 , secondé <strong>de</strong> son<br />

fils Franz comme suppléant. L’arrêté est approuvé par le ministre <strong>de</strong> l’Intérieur le<br />

28 janvier 1823.<br />

L’architecte qui rési<strong>de</strong> à Strasbourg doit s’occuper <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts<br />

départem<strong>en</strong>taux (préfecture, sous-préfectures, prisons, tribunaux, etc.). <strong>Les</strong><br />

communes doiv<strong>en</strong>t s’adresser au préfet pour l’<strong>en</strong>voi <strong>de</strong> l’architecte sur place.<br />

L’arrêté <strong>de</strong> 1822 autorise cep<strong>en</strong>dant l’architecte départem<strong>en</strong>tal à nommer dans<br />

chaque arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s architectes qui assureront la surveillance et la direction<br />

<strong>de</strong>s travaux, <strong>en</strong> conformité avec les projets et avant métrages rédigés. Reiner<br />

s’<strong>en</strong>toure donc <strong>de</strong> nombreux collaborateurs. Son principal représ<strong>en</strong>tant dans<br />

l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Sélestat est l’architecte <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Sélestat, Louis Marie<br />

Rivaud. On le retrouve « délégué <strong>de</strong> l’architecte du départem<strong>en</strong>t », responsable <strong>de</strong><br />

nombreux travaux dans l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s communes jusqu’<strong>en</strong> 1827. L’architecte<br />

départem<strong>en</strong>tal jouissait d’un traitem<strong>en</strong>t fixe <strong>de</strong> 2000 francs et d’une remise <strong>de</strong> 5%<br />

sur l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s travaux dépassant 3000 francs. <strong>Les</strong> projets <strong>de</strong> construction sont<br />

tous soumis à l’exam<strong>en</strong> du conseil <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts civils dép<strong>en</strong>dant du ministère <strong>de</strong><br />

l’Intérieur pour approbation.<br />

L’augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s travaux : vers un nouveau système…<br />

Sous la Restauration, l’<strong>en</strong><strong>de</strong>ttem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s communes t<strong>en</strong>d peu à peu à s’atténuer,<br />

ce qui favorise le regain d’intérêt porté à l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> et à la construction<br />

d’établissem<strong>en</strong>ts communaux. Dans les communes les plus riches, <strong>de</strong>s constructions<br />

s’élèv<strong>en</strong>t. Ce mouvem<strong>en</strong>t s’accélère aussi pour l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong> la voirie.<br />

Dans l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Sélestat, l’église d’Els<strong>en</strong>heim est construite <strong>en</strong>tre 1826<br />

et 1827, l’église catholique <strong>de</strong> Barr est aménagée dans une aile <strong>de</strong> l’anci<strong>en</strong>ne caserne<br />

<strong>en</strong> 1825-1826, celle <strong>de</strong> Fouchy est agrandie <strong>en</strong> 1826-1827, <strong>en</strong>fin celle <strong>de</strong><br />

Gr<strong>en</strong><strong>de</strong>lbruch est construite <strong>en</strong>tre 1826 et 1828.<br />

A cela s’ajout<strong>en</strong>t plusieurs écoles : celles d’Epfig <strong>en</strong> 1823-1824, <strong>de</strong> Goxwiller<br />

<strong>en</strong>tre 1824 et 1826, <strong>de</strong> Hutt<strong>en</strong>heim <strong>en</strong> 1824-1825 et l’école <strong>de</strong>s filles <strong>de</strong><br />

Meistratzheim <strong>en</strong> 1826-1827. Relevons <strong>en</strong>core le presbytère <strong>de</strong> Ros<strong>en</strong>willer <strong>en</strong><br />

1824-1825, la maison commune <strong>de</strong> Hutt<strong>en</strong>heim dont le projet remonte au 26<br />

janvier 1827 et plusieurs maisons forestières à Rosheim, Gr<strong>en</strong><strong>de</strong>lbruch, etc.<br />

Kuhlmann réalise d’ailleurs la réception <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Meistratzheim les 27<br />

novembre 1827 et 10 mai 1831, celles <strong>de</strong> l’église <strong>de</strong> Fouchy le 11 juin 1829 et <strong>de</strong> la<br />

maison commune <strong>de</strong> Hutt<strong>en</strong>heim le 31 octobre 1829.<br />

Outre d’importants travaux <strong>de</strong> réparations, ces exemples <strong>de</strong> constructions<br />

témoign<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’importance accrue que pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les travaux dans le départem<strong>en</strong>t.<br />

1 T. Rieger, art. « Reiner », NDBA, 31, 1998. Né <strong>en</strong> 1762 à Strasbourg, il est professeur <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ssin à l’école d’artillerie <strong>de</strong> Strasbourg puis <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t architecte au début du XIXème siècle,<br />

succédant à Jean-Jacques Schuler comme architecte du Palais Royal (Palais Rohan) <strong>en</strong> 1817.


128<br />

Selon le préfet, l’action du service était efficace mais il ne pouvait plus suffire. 1<br />

L’architecte départem<strong>en</strong>tal ne pouvait plus superviser <strong>de</strong> Strasbourg <strong>de</strong>s projets<br />

aussi nombreux dans une zone aussi vaste. Diverses ordonnances royales<br />

augm<strong>en</strong>tant ses attributions, <strong>en</strong> particulier pour la tutelle sur les communes, le<br />

préfet peut procé<strong>de</strong>r à la réforme du service. Relève <strong>de</strong> lui et <strong>de</strong> lui seul, les projets<br />

<strong>de</strong> constructions n’excédant pas la somme <strong>de</strong> 20 000 francs, conformém<strong>en</strong>t à<br />

l’article 4 <strong>de</strong> l’ordonnance du 8 août 1821. Cette responsabilité nouvelle contribue<br />

gran<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t à mettre <strong>en</strong> place le système <strong>de</strong> l’arrêté <strong>de</strong> 1827.<br />

L’arrêté <strong>de</strong> 1827 sur les travaux communaux<br />

La mise <strong>en</strong> place du nouveau service <strong>de</strong>s travaux communaux repose sur l’arrêté<br />

préfectoral d’Esmangart du 14 février 1827. Il jette les bases d’une organisation<br />

neuve avec un personnel qualifié.<br />

La nomination d’un architecte voyer dans chaque arrondissem<strong>en</strong>t<br />

La mesure la plus importante décidée par le préfet est la nomination d’un<br />

architecte voyer dans chaque arrondissem<strong>en</strong>t (art. 1). Cet architecte doit être<br />

responsable à la fois <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts communaux mais égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la voirie (travaux<br />

<strong>de</strong>s chemins et fossés). Ils sont attachés <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t à l’administration pour leur<br />

service. <strong>Les</strong> articles 6 et 7 fix<strong>en</strong>t l’organisation <strong>de</strong> leur service : chaque architecte est<br />

t<strong>en</strong>u d’employer au moins <strong>de</strong>ux ag<strong>en</strong>ts secondaires qui l’ai<strong>de</strong>ront dans ses tâches et<br />

qui seront à leur charge. L’architecte n’a le droit d’exercer aucune autre activité ni<br />

<strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre congé sans l’accord <strong>de</strong> l’administration. Si sa conduite ou ses travaux ne<br />

convi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas, il peut être révoqué par elle. <strong>Les</strong> fonctions <strong>de</strong> l’architecte sont très<br />

diversifiées. Il est chargé <strong>de</strong> la rédaction <strong>de</strong>s projets <strong>de</strong> réparations ou <strong>de</strong><br />

constructions neuves, et est t<strong>en</strong>u <strong>de</strong> faire une tournée trimestrielle générale dans son<br />

arrondissem<strong>en</strong>t afin <strong>de</strong> reconnaître l’état <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts communaux. Il doit <strong>en</strong>voyer<br />

un rapport complet chaque mois sur l’état <strong>de</strong>s travaux <strong>en</strong> cours pour y indiquer<br />

l’avancée <strong>de</strong>s constructions (art. 10), ainsi que <strong>de</strong> conseiller les communes sur les<br />

problèmes <strong>de</strong> voirie ou <strong>de</strong> salubrité (art. 11). Plusieurs états <strong>de</strong> situation <strong>de</strong>s travaux<br />

communaux sont conservés pour Sélestat ; ils résum<strong>en</strong>t avec précision sous forme<br />

<strong>de</strong> tableau l’avancée <strong>de</strong>s chantiers <strong>de</strong> constructions. 2<br />

Le système repose <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partie sur la volonté d’économie <strong>de</strong>s autorités.<br />

L’architecte jouit d’un traitem<strong>en</strong>t annuel <strong>de</strong> 1500 francs, payé par les communes<br />

proportionnellem<strong>en</strong>t à leurs rev<strong>en</strong>us, ainsi que <strong>de</strong>s honoraires calculés sur le<br />

montant <strong>de</strong>s travaux réalisés. Pour toute construction ou ouvrage d’art, il percevra<br />

pour les premiers 15000 francs 5% d’honoraires, puis 4% pour les sommes <strong>en</strong>tre<br />

1 Recueil officiel <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> la préfecture du départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin, (1827), 28, Strasbourg,<br />

1828. Circulaire du préfet du 14 février 1827 aux sous-préfets et aux maires, p. 37 et passim.<br />

2 ADBR, 390D409. Etats <strong>de</strong> situation <strong>de</strong>s travaux communaux <strong>en</strong>tre 1831 et 1833.


129<br />

15000 et 25000 francs, <strong>en</strong>fin 3% pour les sommes au-<strong>de</strong>là. Pour l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s<br />

travaux <strong>de</strong> voirie, seul 1% d’honoraires lui sont accordés (art. 4). C’est une<br />

économie importante par rapport au système précédant où l’architecte<br />

départem<strong>en</strong>tal percevait 5% d’honoraires pour tous les travaux, quelqu’<strong>en</strong> soit le<br />

montant. Notons <strong>en</strong> <strong>de</strong>rnier lieu que l’activité <strong>de</strong>s architectes voyers ne s’ét<strong>en</strong>d pas<br />

aux villes qui possèd<strong>en</strong>t leur propre service d’architectes municipaux. En 1827, il<br />

s’agit <strong>de</strong> Saverne, Strasbourg, Hagu<strong>en</strong>au, Sélestat et Wissembourg. L’architecte<br />

municipal y exerce ses fonctions selon le règlem<strong>en</strong>t défini par chaque municipalité,<br />

tel Louis Rivaud <strong>en</strong> place à Sélestat <strong>de</strong>puis 1823.<br />

<strong>Les</strong> candidats qui se font connaître <strong>en</strong> préfecture pour briguer un poste<br />

d’architecte d’arrondissem<strong>en</strong>t doiv<strong>en</strong>t être soumis à un exam<strong>en</strong> qui constate leurs<br />

capacités, et le cas échéant les départage. La date <strong>de</strong> l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s candidats est fixée<br />

par le préfet au 16 mai 1827 <strong>de</strong> 9 heures du matin à 4 heures <strong>de</strong> l’après-midi <strong>en</strong><br />

préfecture. 1 Il s’agit d’un écrit relatif à l’élaboration d’un projet <strong>de</strong> construction. Le<br />

l<strong>en</strong><strong>de</strong>main, les mêmes candidats sont examinés par une commission sur leurs<br />

connaissances théoriques et pratiques.<br />

François Reiner, l’architecte départem<strong>en</strong>tal, est exempté <strong>de</strong> cet exam<strong>en</strong> et<br />

conserve son poste. Il est affecté à l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Strasbourg. Après avoir<br />

soumis diverses pièces justificatives sur ses aptitu<strong>de</strong>s, Charles Théodore Kuhlmann<br />

est égalem<strong>en</strong>t disp<strong>en</strong>sé d’exam<strong>en</strong> et officiellem<strong>en</strong>t nommé architecte voyer <strong>de</strong><br />

l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Sélestat le 25 mai 1827. Après avoir été examinés le 19 mai<br />

1827, Justini<strong>en</strong> Thiebert est nommé dans l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Saverne et Louis<br />

Martin Zégowitz dans celui <strong>de</strong> Wissembourg. Le 23 septembre 1828, un arrêté<br />

supplém<strong>en</strong>taire nomme H<strong>en</strong>ri Joseph César Samain architecte voyer <strong>de</strong><br />

l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Strasbourg pour les travaux communaux. 2 Chacun <strong>de</strong>s<br />

architectes est invité à se prés<strong>en</strong>ter au sous-préfet <strong>de</strong> sa circonscription pour y être<br />

installé et faire une première tournée dans l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s communes pour son<br />

établissem<strong>en</strong>t. Ils <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> fonction le 1 er juin 1827, et Kuhlmann le 27 juin<br />

1827. Le préfet leur accor<strong>de</strong> une in<strong>de</strong>mnité <strong>de</strong> 125 francs pour frais <strong>de</strong> déplacem<strong>en</strong>t<br />

et d’établissem<strong>en</strong>t. 3 En 1834, Justini<strong>en</strong> Thiebert est remplacé par Aloyse Maestlé au<br />

poste d’architecte voyer <strong>de</strong> l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Saverne.<br />

La création d’une commission <strong>de</strong>s travaux communaux<br />

L’arrêté du 14 février 1827 avait décidé dans son article 3 la formation d’une<br />

commission chargée <strong>de</strong> l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s candidats aux postes d’architectes voyers. Mais<br />

1<br />

ADBR, 4K28. Registre manuscrit <strong>de</strong>s arrêtés du préfet (1827). Arrêté préfectoral du 2 mai<br />

1827.<br />

2<br />

ADBR, 4K29. Registre manuscrit <strong>de</strong>s arrêtés du préfet (1828). Arrêté préfectoral du 23<br />

septembre 1828.<br />

3<br />

ADBR, 4K28. Registre manuscrit <strong>de</strong>s arrêtés du préfet (1827). Arrêté préfectoral du 28<br />

juin 1827.


130<br />

son article 9 élargit ses compét<strong>en</strong>ces à l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s projets <strong>de</strong>s architectes. La<br />

circulaire du 14 février 1827 adressée aux maires est précise. Cette commission<br />

« composée d’ingénieurs et d’architectes instruits, d’un tal<strong>en</strong>t exercé, qui l’éclairât<br />

sur les constructions, sur les questions d’art soumises à son approbation ou à sa<br />

décision » doit lui fournir « les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> rejeter les projets vicieux, mal conçus ou<br />

<strong>de</strong> mauvais goût ». Seuls d’autres architectes et ingénieurs sont susceptibles <strong>de</strong> juger<br />

le travail d’un <strong>de</strong> leurs confrères, non pas les simples fonctionnaires <strong>de</strong>s bureaux <strong>de</strong><br />

la préfecture.<br />

La création officielle <strong>de</strong> la commission remonte donc au 20 février 1827 1 et sa<br />

première réunion a lieu le 5 juillet 1827. Il est précisé qu’elle se réunira au moins<br />

une fois par mois à l’hôtel <strong>de</strong> la préfecture à Strasbourg pour délibérer sur les projets<br />

d’architectes. Mais <strong>en</strong> outre, elle doit aussi donner un premier avis sur les projets<br />

dépassant 20000 francs qui doiv<strong>en</strong>t remonter à Paris pour exam<strong>en</strong> par le conseil <strong>de</strong>s<br />

bâtim<strong>en</strong>ts civils, afin d’éviter les retards dans les réalisations. Le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la commission départem<strong>en</strong>tale est simple et ne connaîtra pas <strong>de</strong><br />

changem<strong>en</strong>t ultérieur. Après avoir obt<strong>en</strong>u l’approbation du conseil municipal<br />

concerné et le r<strong>en</strong>voi par le sous-préfet, les pièces composant le projet sont adressées<br />

<strong>en</strong> préfecture et transmises à un membre <strong>de</strong> la commission. Ce membre est chargé<br />

d’étudier le projet dans ses détails et d’<strong>en</strong> émettre un rapport complet sur sa<br />

conv<strong>en</strong>ance. Lors <strong>de</strong> la réunion, les autres membres, après avoir pris connaissance<br />

<strong>de</strong>s pièces, débatt<strong>en</strong>t et propos<strong>en</strong>t au préfet l’approbation ou le rejet. L’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

ces rapports et avis témoigne d’une confiance totale du préfet. A une seule occasion,<br />

relative au projet d’école <strong>de</strong>s garçons d’Obernai, le préfet r<strong>en</strong>once à appliquer les<br />

avis <strong>de</strong> la commission du fait <strong>de</strong> l’opposition <strong>de</strong> la municipalité et <strong>de</strong> l’architecte <strong>de</strong><br />

modifier l’alignem<strong>en</strong>t. 2 Une copie <strong>de</strong> la délibération est transmise à l’architecte<br />

auteur du projet qui se doit <strong>de</strong> conformer son projet à l’avis <strong>de</strong> la commission.<br />

Le rôle <strong>de</strong> la commission est donc important, car <strong>de</strong> nombreuses réalisations<br />

port<strong>en</strong>t la marque <strong>de</strong>s jugem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s architectes qui la compos<strong>en</strong>t, s’inspirant <strong>de</strong> la<br />

notion <strong>de</strong> « bon goût architectural » qui règne à l’époque.<br />

De ce fait, l’architecte adapte au fur et à mesure ses projets selon les vœux<br />

exprimés, ce qui lui évite <strong>de</strong> recomm<strong>en</strong>cer son travail. Mais les membres <strong>de</strong> la<br />

commission n’ont pour la plupart aucune idée précise du site sur lequel un édifice<br />

doit être implanté ni <strong>de</strong> la topographie exacte <strong>de</strong> la commune, ce qui oblige la<br />

commission à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus <strong>de</strong> plans-masses indiquant la d<strong>en</strong>sité du<br />

bâti. Cet état <strong>de</strong>s choses provoque une délibération du conseil général dans sa<br />

session <strong>de</strong> 1834.<br />

1<br />

ADBR, 4K28. Registre manuscrit <strong>de</strong>s arrêtés du préfet (1827). Arrêté préfectoral du 20<br />

février 1827.<br />

2<br />

Voir le récit sur la construction <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong>s garçons d’Obernai dans la cinquième partie.


131<br />

La composition <strong>de</strong> la commission <strong>en</strong> 1827 est la suivante 1 : le préfet<br />

(Esmangart), présid<strong>en</strong>t ; le secrétaire général <strong>de</strong> la préfecture ; Kern, conseiller <strong>de</strong><br />

préfecture ; Schmitt, secrétaire ; Husson, ingénieur <strong>en</strong> chef <strong>de</strong>s Ponts et Chaussées ;<br />

Défontaine, ingénieur <strong>en</strong> chef <strong>de</strong>s travaux du Rhin ; Reiner, architecte du<br />

départem<strong>en</strong>t ; Villot, architecte <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Strasbourg et W<strong>en</strong>ger, <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur<br />

<strong>de</strong>s fortifications. En 1840, la composition a légèrem<strong>en</strong>t changé. 2 Nous y trouvons<br />

ainsi le préfet (Sers), présid<strong>en</strong>t ; Kern, doy<strong>en</strong> du conseil <strong>de</strong> préfecture ; Poncet,<br />

conseiller <strong>de</strong> préfecture ; Pitois, secrétaire et chef <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième division <strong>de</strong> la<br />

préfecture ; Couturat, ingénieur <strong>en</strong> chef <strong>de</strong>s travaux du Rhin ; Schwilgué, ingénieur<br />

<strong>en</strong> chef <strong>de</strong>s Ponts et Chausseés ; Doré, ingénieur ordinaire <strong>de</strong>s Ponts et Chaussées à<br />

Strasbourg ; Klotz, architecte du départem<strong>en</strong>t ; Reiner, anci<strong>en</strong> architecte du<br />

départem<strong>en</strong>t et Villot, architecte <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Strasbourg. La place <strong>de</strong>s architectes<br />

au côté <strong>de</strong>s ingénieurs et employés <strong>de</strong> bureau <strong>de</strong> la préfecture y est prépondérante.<br />

Reiner, Villot, Couturat, Doré puis Klotz sont les membres auxquels ont fait la plus<br />

souv<strong>en</strong>t appel comme rapporteurs <strong>de</strong>s projets.<br />

La volonté <strong>de</strong> poursuivre les réformes <strong>en</strong> vue d’augm<strong>en</strong>ter le nombre <strong>de</strong>s<br />

architectes<br />

Le fonctionnem<strong>en</strong>t du système mis <strong>en</strong> place est relativem<strong>en</strong>t satisfaisant et<br />

connaît un succès grandissant. Le nombre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vis produits par les architectes<br />

augm<strong>en</strong>te <strong>de</strong> manière significative. A Sélestat, Kuhlmann rédige par exemple 68<br />

projets <strong>de</strong> travaux <strong>en</strong> 1829, 82 <strong>en</strong> 1830, 88 <strong>en</strong> 1831 et 147 <strong>en</strong> 1832. 3 En raison<br />

d’une correspondance <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus importante <strong>en</strong>tre architectes, maires et souspréfets<br />

dans les travaux <strong>de</strong> chemins communaux, le préfet autorise les communes à<br />

traiter directem<strong>en</strong>t avec l’architecte pour les diverses affaires <strong>en</strong> leur accordant <strong>en</strong><br />

1834 une franchise postale, c'est-à-dire une exemption <strong>de</strong> taxe. 4 <strong>Les</strong> architectes<br />

doiv<strong>en</strong>t être désignés par l’appellation <strong>de</strong> commissaires voyers.<br />

Le tarif <strong>de</strong>s honoraires défini dans l’arrêté <strong>de</strong> 1827 n’a pas bi<strong>en</strong> été compris, ni<br />

par les municipalités, ni par les architectes. Dans sa circulaire du 20 décembre<br />

1829 5 , Esmangart clarifie les choses pour éviter les abus, <strong>en</strong> particulier <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s<br />

architectes qui n’hésit<strong>en</strong>t pas à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s honoraires <strong>de</strong> 5% pour les travaux<br />

inférieurs à 300 francs, les travaux d’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> divers ou la réception d’ouvrages. Or,<br />

1<br />

Préfecture du Bas-Rhin, Annuaire du départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin, année 1828, Strasbourg,<br />

1828.<br />

2<br />

Préfecture du Bas-Rhin, Annuaire du départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin, année 1840, Strasbourg,<br />

1840.<br />

3<br />

ADBR, 1N97. Rapport <strong>de</strong> Kuhlmann du 25 octobre 1839 adressé au préfet.<br />

4<br />

Recueil officiel <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> la préfecture du départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin, (1834), 35, Strasbourg,<br />

1835. Circulaire préfectorale du 28 août 1834 adressée aux maires, modifiée le 22 novembre<br />

1834.<br />

5<br />

Recueil officiel <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> la préfecture du départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin, (1829), 30, Strasbourg,<br />

1830, p. 282.


132<br />

cette pratique est illégale : l’architecte doit viser les mémoires <strong>de</strong>s ouvriers et<br />

procé<strong>de</strong>r aux réceptions sans percevoir <strong>de</strong> remise. Pour les frais <strong>de</strong> déplacem<strong>en</strong>t,<br />

l’autorité déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur accor<strong>de</strong>r une in<strong>de</strong>mnité égale à 6 francs pour chaque<br />

vacation <strong>de</strong> trois heures à une distance <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux myriamètres (un myriamètre<br />

correspond à dix kilomètres) et 4,50 francs pour chaque myriamètre<br />

supplém<strong>en</strong>taire.<br />

Mais très tôt déjà, <strong>de</strong>s voix s’élèv<strong>en</strong>t pour une libéralisation du système et<br />

l’augm<strong>en</strong>tation du nombre d’architectes. <strong>Les</strong> délibérations annuelles émises par le<br />

conseil général sont significatives et propos<strong>en</strong>t une organisation nouvelle. <strong>Les</strong><br />

critiques les plus vives s’adress<strong>en</strong>t contre le système <strong>de</strong>s remises accordées aux<br />

architectes. En effet, le rapport du 2 ème bureau lors <strong>de</strong> la séance du 22 août 1827 1 les<br />

accuse <strong>de</strong> faire passer leur intérêt personnel avant le <strong>de</strong>voir <strong>en</strong> augm<strong>en</strong>tant les<br />

dép<strong>en</strong>ses tandis que le rapport <strong>de</strong> ce même bureau <strong>en</strong> date du 14 mai 1831 2 relatif<br />

aux travaux communaux, tout <strong>en</strong> félicitant le travail m<strong>en</strong>é par la commission <strong>de</strong>s<br />

travaux communaux, passe <strong>en</strong> revue l’« hégémonie » exercée successivem<strong>en</strong>t par les<br />

ingénieurs <strong>de</strong>s ponts et chaussées, l’architecte départem<strong>en</strong>tal et les architectes<br />

voyers :<br />

« <strong>Les</strong> projets soumis à l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong> cette commission sont ceux <strong>de</strong> MM. les<br />

architectes voyers qui ont le monopole <strong>de</strong>s constructions communales. Ce monopole est<br />

contraire aux principes <strong>de</strong> la liberté <strong>de</strong> la commune, <strong>de</strong>s efforts <strong>de</strong> l’homme vers toutes<br />

les améliorations sociales. Il blesse égalem<strong>en</strong>t les communes et dans leurs droits et dans<br />

leurs intérêts. […] Cet état <strong>de</strong> choses provoque les récriminations <strong>de</strong> ceux qui réclam<strong>en</strong>t<br />

la liberté pour les arts, l’occasion <strong>de</strong> se produire pour le tal<strong>en</strong>t, l’émancipation pour les<br />

communes qui doiv<strong>en</strong>t être guidées et non dominées par ceux auxquels l’administration<br />

supérieure délègue une partie <strong>de</strong> ses attributions. »<br />

Dans les <strong>de</strong>ux cas, le conseil général est favorable à l’augm<strong>en</strong>tation du<br />

traitem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s architectes mais souhaite supprimer toute remise.<br />

La délibération du 24 juillet 1834 3 va beaucoup plus loin. Le 3 ème bureau<br />

propose <strong>en</strong> effet la suppression du poste d’architecte départem<strong>en</strong>tal <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u inutile à<br />

ses yeux du fait <strong>de</strong> la création <strong>de</strong>s architectes d’arrondissem<strong>en</strong>t et la répartition <strong>de</strong><br />

son traitem<strong>en</strong>t à ces architectes, la création d’architectes agréés pour un ou plusieurs<br />

cantons et la possibilité du recours aux d’architectes libres. Mais aucun <strong>de</strong> ces vœux<br />

n’aboutit, avant la mise <strong>en</strong> place du service <strong>de</strong>s chemins vicinaux.<br />

1 ADBR, 1N44. Conseil Général <strong>de</strong> 1827, séance du 22 août 1827.<br />

2 ADBR, 1N52. Conseil Général <strong>de</strong> 1831, séance du 14 mai 1831.<br />

3 ADBR, 1N67. Conseil Général <strong>de</strong> 1834, séance du 24 juillet 1834.


133<br />

<strong>Les</strong> arrêtés <strong>de</strong> 1836 et 1837 sur le service <strong>de</strong>s chemins vicinaux et le<br />

remaniem<strong>en</strong>t du service<br />

Répondant aux besoins <strong>de</strong>mandés par l’augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s travaux et la mise <strong>en</strong><br />

place d’un service neuf consacré à l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s chemins vicinaux, l’administration<br />

crée par ses arrêtés <strong>de</strong> 1836 et 1837 un personnel spécifique.<br />

La création d’un service <strong>de</strong>s chemins vicinaux <strong>en</strong>globant le service <strong>de</strong>s<br />

travaux communaux<br />

L’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s chemins communaux et vicinaux qui apparaît comme une part<br />

primordiale du service <strong>de</strong> l’architecte, est régulièrem<strong>en</strong>t négligé malgré le zèle <strong>de</strong>s<br />

responsables. Le préfet <strong>de</strong>man<strong>de</strong> déjà <strong>en</strong> 1828 une surveillance plus active sur ces<br />

travaux 1 tandis qu’<strong>en</strong> 1830, il se plaint du mauvais état <strong>de</strong>s chemins <strong>en</strong> prescrivant à<br />

ces ag<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> multiplier leurs tournées. 2 D’un autre côté, le service <strong>de</strong>s travaux<br />

communaux, bi<strong>en</strong> que produisant <strong>de</strong> bons résultats, est doté d’un personnel<br />

insuffisant pour la multiplicité <strong>de</strong>s besoins. 3 La formation d’un service nouveau est<br />

<strong>en</strong>fin prévue par la loi sur les chemins vicinaux du 21 mai 1836 dont l’article 11<br />

prescrit 4 :<br />

« Le préfet pourra nommer <strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts voyers. Leur traitem<strong>en</strong>t sera fixé par le conseil<br />

général. Ce traitem<strong>en</strong>t sera prélevé sur les fonds affectés aux travaux. <strong>Les</strong> ag<strong>en</strong>ts voyers<br />

prêteront serm<strong>en</strong>t ; ils auront le droit <strong>de</strong> constater les contrav<strong>en</strong>tions et délits, et d’<strong>en</strong><br />

dresser <strong>de</strong>s procès-verbaux. »<br />

Dans sa session <strong>de</strong> 1836, le conseil général exprime sa satisfaction à l’idée <strong>de</strong><br />

remanier le service <strong>de</strong>s travaux communaux et <strong>de</strong> créer un service relatif aux<br />

chemins vicinaux. <strong>Les</strong> articles <strong>de</strong> l’arrêté <strong>de</strong> 1827 qui ne sont pas <strong>en</strong> contradiction<br />

avec le nouveau système sont conservés. Par ailleurs, l’article 45 <strong>de</strong> la loi du 18<br />

juillet 1837 qui modifie partiellem<strong>en</strong>t la procédure <strong>de</strong>s travaux communaux, porte<br />

à 30 000 F le seuil exigé pour l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s projets <strong>de</strong> construction par le conseil <strong>de</strong>s<br />

batim<strong>en</strong>ts civils et leur approbation par le ministre <strong>de</strong> l’Intérieur.<br />

L’arrêté préfectoral portant organisation du service <strong>de</strong>s chemins vicinaux a été<br />

pris le 23 décembre 1836 par Choppin d’Arnouville, celui relatif aux travaux<br />

communaux du 31 décembre 1836 reproduit les articles importants relatifs aux<br />

changem<strong>en</strong>ts dans le service.<br />

La nouveauté introduite par ces arrêtés est la création du corps hiérarchisé <strong>de</strong>s<br />

ag<strong>en</strong>ts voyers. Dans chaque arrondissem<strong>en</strong>t, un ag<strong>en</strong>t voyer inspecteur a sous ses<br />

ordres un nombre variable d’ag<strong>en</strong>ts voyers conducteurs eux-mêmes répartis <strong>en</strong> trois<br />

1<br />

ADBR, 390D 655. Lettre du préfet du 28 avril 1828 au sous-préfet <strong>de</strong> Sélestat.<br />

2<br />

ADBR, 390D655. Lettre du préfet du 3 juillet 1830 au sous-préfet <strong>de</strong> Sélestat.<br />

3<br />

Recueil officiel <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> la préfecture du départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin (1837), 38, Strasbourg,<br />

1838. Circulaire aux maires du 18 mars 1837 relative aux travaux communaux, p. 71.<br />

4<br />

Op. cit. Loi du 21 mai 1836 sur les chemins vicinaux, transmise aux maires par circulaire<br />

du 4 juin 1836.


134<br />

classes. Avant la signature <strong>de</strong> ces arrêtés, les sous-préfets et architectes ont été<br />

consultés par le préfet sur les besoins du service et l’importance <strong>de</strong>s nouvelles<br />

subdivisions à créer dans les arrondissem<strong>en</strong>ts.<br />

Il s’agit donc d’un remaniem<strong>en</strong>t considérable puisque la mise <strong>en</strong> place du service<br />

<strong>de</strong>s chemins vicinaux prescrit sa fusion avec celui <strong>de</strong>s travaux communaux : ils ont<br />

tous <strong>de</strong>ux un personnel commun. La circulaire préfectorale du 18 mars 1837,<br />

relative aux travaux communaux, nous <strong>en</strong> donne les raisons : il s’agit d’opérer la<br />

suppression du traitem<strong>en</strong>t fixe et <strong>de</strong>s remises sur les travaux financés par les<br />

prestations <strong>en</strong> nature dont jouissai<strong>en</strong>t les architectes voyers, et <strong>de</strong> prévoir un<br />

traitem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong>s honoraires moins élevés pour les nouveaux ag<strong>en</strong>ts voyers, ce qui<br />

assure aux communes et à l’administration une importante économie. Le préfet fait<br />

<strong>en</strong>suite un arrêté <strong>de</strong> 146 articles sur les chemins vicinaux et leur <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> le 19<br />

juillet 1837, diffusé par une circulaire du 5 août 1837.<br />

La formation d’un nouveau personnel : les ag<strong>en</strong>ts voyers conducteurs…<br />

La loi du 21 mai 1836 sur les chemins vicinaux et l’arrêté du préfet du 23<br />

décembre 1836 aboutiss<strong>en</strong>t à la création du corps <strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts voyers, dont les ag<strong>en</strong>ts<br />

voyers dits conducteurs, au nombre <strong>de</strong> 20 dans le départem<strong>en</strong>t. Ces ag<strong>en</strong>ts doiv<strong>en</strong>t<br />

être âgés <strong>de</strong> 21 ans minimum et justifier <strong>de</strong> leurs connaissances. Subdivisés <strong>en</strong> trois<br />

classes, leur traitem<strong>en</strong>t fixe est variable : l’ag<strong>en</strong>t <strong>de</strong> première classe touche 1200<br />

francs, celui <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième classe 1000 francs, celui <strong>de</strong> troisième classe 800 francs.<br />

Placés sous l’autorité <strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts voyers inspecteurs, leur rôle principal est la<br />

surveillance <strong>de</strong>s chemins vicinaux, <strong>de</strong> leurs travaux, et la constatation <strong>de</strong>s délits<br />

commis sur les chemins dans le cadre d’une circonscription équival<strong>en</strong>t <strong>en</strong>viron à<br />

<strong>de</strong>ux cantons, définie par le préfet.<br />

Dans le domaine <strong>de</strong>s travaux communaux, ces ag<strong>en</strong>ts second<strong>en</strong>t l’ag<strong>en</strong>t voyer<br />

inspecteur dans leur circonscription et perçoiv<strong>en</strong>t 1% <strong>de</strong> la somme <strong>de</strong> 3,5%<br />

d’honoraires. Leur prés<strong>en</strong>ce dans chaque chef-lieu <strong>de</strong> circonscription permet<br />

d’éviter à l’inspecteur <strong>de</strong>s déplacem<strong>en</strong>ts onéreux. Le 1 er septembre 1836, le conseil<br />

général vote les fonds nécessaires pour assurer leur traitem<strong>en</strong>t fixe.<br />

<strong>Les</strong> candidats sollicitant un poste d’ag<strong>en</strong>t voyer conducteur avant le 1 er<br />

décembre 1836 sont examinés par une commission spéciale et doiv<strong>en</strong>t subir un<br />

exam<strong>en</strong> théorique sur leurs connaissances (<strong>de</strong>ssin d’un ordre d’architecture, projet<br />

d’un pont <strong>en</strong> charp<strong>en</strong>te d’une seule travée, celui d’un pont <strong>en</strong> maçonnerie et d’un<br />

corps <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>), selon l’arrêté préfectoral du 12 novembre 1836. L’administration<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> aussi à l’architecte voyer <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts sur la moralité <strong>de</strong>s candidats.<br />

A cette occasion, on appr<strong>en</strong>d la candidature du Georges Kretz, délégué <strong>de</strong><br />

Kuhlmann, pour l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Sélestat, qui se porte candidat au poste<br />

d’ag<strong>en</strong>t voyer conducteur.<br />

Après concertation avec les architectes et les sous-préfets dans chaque<br />

arrondissem<strong>en</strong>t, le préfet détermine les circonscriptions pour le départem<strong>en</strong>t dans<br />

un arrêté du 30 janvier 1837 et nomme aux postes d’ag<strong>en</strong>ts voyers conducteurs par


135<br />

arrêté du 31 janvier 1837. <strong>Les</strong> ag<strong>en</strong>ts sont alors invités à prêter serm<strong>en</strong>t au tribunal<br />

<strong>de</strong> première instance <strong>de</strong> leur arrondissem<strong>en</strong>t et à se prés<strong>en</strong>ter au sous-préfet, à<br />

l’ag<strong>en</strong>t voyer inspecteur et à prés<strong>en</strong>ter leur commission au maire <strong>de</strong> sa commune <strong>de</strong><br />

résid<strong>en</strong>ce et au juge <strong>de</strong> paix.<br />

…sous la direction d’un ag<strong>en</strong>t voyer inspecteur<br />

L’ag<strong>en</strong>t voyer inspecteur apparaît donc comme le pivot du service, tout comme<br />

l’architecte voyer dans le système <strong>de</strong> 1827. Responsable <strong>de</strong>s travaux sur les chemins<br />

vicinaux et les travaux communaux <strong>en</strong> général, il <strong>en</strong> rédige les projets, <strong>en</strong> surveille<br />

l’exécution et procè<strong>de</strong> à la réception <strong>de</strong>s ouvrages. <strong>Les</strong> ag<strong>en</strong>ts voyers conducteurs<br />

qui sont sous les ordres <strong>de</strong> l’inspecteur vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans son bureau pour y recevoir<br />

leur ordre <strong>de</strong> mission et annoncer l’avancée <strong>de</strong>s travaux. Le traitem<strong>en</strong>t fixe <strong>de</strong><br />

l’ag<strong>en</strong>t voyer inspecteur est <strong>de</strong> 2000 francs (3000 francs pour celui <strong>de</strong><br />

l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Strasbourg) et il perçoit <strong>de</strong>s honoraires <strong>de</strong> 2,5% <strong>de</strong>s 3,5% sur<br />

les travaux communaux. <strong>Les</strong> travaux inférieurs à 300 francs ainsi que les apports<br />

mobiliers (statues, tableaux, horloges, orgues et cloches) ne peuv<strong>en</strong>t faire l’objet<br />

d’honoraires, exceptés le montant <strong>de</strong>s frais <strong>de</strong> voyage pour exam<strong>en</strong> et réceptions.<br />

<strong>Les</strong> projets reçus mais non exécutés sont susceptibles <strong>de</strong> 1,5% <strong>de</strong> remise.<br />

L’inspecteur est égalem<strong>en</strong>t astreint à une tournée trimestrielle générale dans<br />

l’arrondissem<strong>en</strong>t pour y constater l’état <strong>de</strong> situation <strong>de</strong>s travaux et <strong>de</strong> consigner<br />

dans un rapport tous les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts obt<strong>en</strong>us concernant le zèle et l’aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

ag<strong>en</strong>ts voyers conducteurs.<br />

<strong>Les</strong> autorités décid<strong>en</strong>t <strong>de</strong> conserver l’anci<strong>en</strong> personnel <strong>de</strong>s architectes voyers<br />

pour assurer les fonctions d’ag<strong>en</strong>ts voyers inspecteurs, <strong>en</strong> raison <strong>de</strong> leur expéri<strong>en</strong>ce<br />

et <strong>de</strong> leurs capacités après une dizaine d’années <strong>de</strong> fonctions. Ainsi, l’arrêté du 31<br />

décembre 1836 nomme comme ag<strong>en</strong>ts provisoires à compter du 1 er janvier 1837<br />

Maestlé, Kuhlmann, Samain et Zégowitz dans leurs arrondissem<strong>en</strong>ts respectifs.<br />

Leur nomination définitive est arrêtée le 26 mars 1837 après un exam<strong>en</strong> sur leurs<br />

connaissances dans la voirie. Ils sont invités à prêter serm<strong>en</strong>t au tribunal <strong>de</strong><br />

première instance du chef-lieu d’arrondissem<strong>en</strong>t.<br />

Le préfet Sers finit par nommer le 11 décembre 1838 Schwilgué comme ag<strong>en</strong>t<br />

voyer <strong>en</strong> chef à compter du 1 er janvier 1839 avec un traitem<strong>en</strong>t annuel <strong>de</strong> 4000<br />

francs. <strong>Les</strong> ag<strong>en</strong>ts voyer inspecteurs sont placés sous sa direction.<br />

La séparation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux services <strong>de</strong> la voirie et <strong>de</strong>s travaux communaux<br />

<strong>en</strong> 1839 et 1840<br />

La fusion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux services, malgré les économies réalisées par l’administration<br />

pour le traitem<strong>en</strong>t du personnel, ne peut subsister longtemps <strong>en</strong> raison <strong>de</strong> la


136<br />

surcharge <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts voyers inspecteurs, responsables <strong>de</strong>s travaux<br />

communaux et <strong>de</strong> la voirie.<br />

L’impossibilité <strong>de</strong> maint<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>ux services <strong>en</strong> un seul<br />

<strong>Les</strong> débuts difficiles du service<br />

La correspondance préfectorale témoigne <strong>de</strong>s difficultés r<strong>en</strong>contrées. Répondant<br />

le 19 octobre 1837 à une lettre du préfet, le sous-préfet <strong>de</strong> Sélestat, Amand<br />

Blanchard, exprime ainsi ses réserves 1 :<br />

« Je p<strong>en</strong>se qu’il sera conv<strong>en</strong>able <strong>de</strong> réunir les conducteurs à Sélestat p<strong>en</strong>dant l’hiver<br />

pour y travailler sous la surveillance et la responsabilité immédiate <strong>de</strong> leur chef. C’est un<br />

service nouvellem<strong>en</strong>t organisé qui laisse peut-être quelque chose à désirer mais qui<br />

pourra par la suite atteindre le but d’utilité qu’on s’est proposé <strong>en</strong> l’organisant ».<br />

Le préfet <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux sous-préfets <strong>de</strong> t<strong>en</strong>ir le plus <strong>de</strong> confér<strong>en</strong>ces verbales<br />

possibles avec les ag<strong>en</strong>ts voyers inspecteurs plutôt que <strong>de</strong> recourir aux rapports<br />

écrits, mais <strong>de</strong> prescrire la résid<strong>en</strong>ce perman<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts voyers conducteurs dans<br />

le chef-lieu d’arrondissem<strong>en</strong>t (1 er et 6 novembre 1837). La surveillance et le zèle <strong>de</strong><br />

ces <strong>de</strong>rniers apparaît comme prioritaire pour les autorités : les mutations fréqu<strong>en</strong>tes<br />

<strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts dans le départem<strong>en</strong>t et l’instabilité <strong>de</strong> leurs postes témoign<strong>en</strong>t d’un<br />

mauvais fonctionnem<strong>en</strong>t. L’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Sélestat ne se distingue guère avec<br />

<strong>de</strong>s abs<strong>en</strong>ces répétées et <strong>de</strong>s manquem<strong>en</strong>ts au service. L’inspecteur, qui ne pouvait<br />

guère compter sur son personnel, consacre la moitié <strong>de</strong> son temps <strong>en</strong> déplacem<strong>en</strong>ts<br />

et les affaires n’étai<strong>en</strong>t pas traitées avec le soin désirable. Ne pouvant donc plus<br />

assurer son service correctem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis quelques mois, Kuhlmann préfère<br />

démissionner <strong>de</strong> son poste au début <strong>de</strong> l’année 1838. Sa décision est sans doute une<br />

protestation adressée à l’administration afin qu’elle réagisse par rapport à une<br />

situation <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue ingérable.<br />

En acceptant sa démission le 6 février 1838 tout <strong>en</strong> le conservant comme<br />

architecte <strong>de</strong>s communes, Sers reconnaît la gravité <strong>de</strong> la situation et fait un premier<br />

pas vers la séparation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux services 2 :<br />

« L’expéri<strong>en</strong>ce a prouvé que le cumul <strong>de</strong>s fonctions d’ag<strong>en</strong>t voyer et celle<br />

d’architecte <strong>de</strong>s communes est préjudiciable à l’un et à l’autre <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux services et<br />

mon int<strong>en</strong>tion est <strong>de</strong> les séparer à mesure que les circonstances le permettront. La<br />

démission <strong>de</strong> Mr. Kuhlmann, sous ce rapport, est un bi<strong>en</strong> ».<br />

Dans le domaine <strong>de</strong>s travaux communaux, <strong>de</strong> nombreuses réclamations se sont<br />

élevées <strong>en</strong> raison du manque <strong>de</strong> surveillance <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s architectes lors <strong>de</strong>s<br />

travaux <strong>de</strong> constructions, <strong>en</strong>traînant toutes sortes d’irrégularités et malfaçons <strong>de</strong> la<br />

part <strong>de</strong>s <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs. Cet état <strong>de</strong>s choses est dû au manque <strong>de</strong> temps dont dispose<br />

les architectes ; aussi, le préfet, par une circulaire du 15 novembre 1838,<br />

1 ADBR, 390D379. Lettre du sous-préfet du 19 octobre 1837 au préfet.<br />

2 ADBR, 390D379. Lettre du préfet du 6 février 1838 au sous-préfet.


137<br />

recomman<strong>de</strong> aux maires une surveillance r<strong>en</strong>forcée <strong>de</strong> leur part et <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> toute<br />

la municipalité pour éviter les abus et les malfaçons.<br />

<strong>Les</strong> étu<strong>de</strong>s préliminaires m<strong>en</strong>ées par le préfet <strong>en</strong> vue d’une réorganisation du service<br />

L’arrêté préfectoral du 6 mars 1839 marque une première étape dans la<br />

séparation <strong>de</strong>s services et la nomination d’un architecte départem<strong>en</strong>tal assisté d’un<br />

architecte délégué dans chaque arrondissem<strong>en</strong>t.<br />

En att<strong>en</strong>dant une décision plus précise, le préfet octroie une remise <strong>de</strong> 5%<br />

(3,5% pour l’architecte délégué et 1,5% pour l’architecte départem<strong>en</strong>tal) pour les<br />

travaux communaux. Cette décision mécont<strong>en</strong>te le conseil général qui, durant sa<br />

session <strong>de</strong> 1839, réitère sa proposition <strong>de</strong> suppression <strong>de</strong>s honoraires d’architectes. 1<br />

Cette opposition systématique du conseil général aux remises accordées aux<br />

architectes <strong>en</strong>courage le préfet à lancer une vaste étu<strong>de</strong> sur les besoins du service et<br />

les produits <strong>de</strong>s honoraires perçus <strong>de</strong>puis dix ans par ces ag<strong>en</strong>ts. Elle nécessite la<br />

collaboration <strong>de</strong>s architectes dont l’administration sollicite les informations.<br />

Kuhlmann <strong>en</strong>voie le 25 octobre 1839 un rapport très précis accompagné <strong>de</strong>s<br />

statistiques sur l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s projets rédigés <strong>en</strong>tre 1829 et 1838 et sur les besoins<br />

<strong>de</strong> son service. 2 Le préfet s’<strong>en</strong>quiert égalem<strong>en</strong>t auprès <strong>de</strong>s receveurs municipaux sur<br />

le montant total <strong>de</strong>s remises accordées aux architectes durant une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> dix ans<br />

dans chaque arrondissem<strong>en</strong>t. <strong>Les</strong> résultats obt<strong>en</strong>us serviront <strong>de</strong> base aux maxima<br />

prévus dans la réorganisation du service et <strong>de</strong>s attributions <strong>de</strong>s architectes par<br />

l’arrêté du 9 janvier 1840.<br />

Cet arrêté pose les bases durables du service <strong>de</strong>s travaux communaux. Il conserve<br />

le mo<strong>de</strong> antérieur <strong>de</strong> rétributions <strong>de</strong>s architectes composé d’un traitem<strong>en</strong>t fixe<br />

variable pour l’architecte départem<strong>en</strong>tal et les architectes d’arrondissem<strong>en</strong>t,<br />

complété par les honoraires <strong>de</strong>s travaux. D’après les statistiques qu’il avait réunies,<br />

le préfet fixe, article 3, un quota d’honoraires à ne pas dépasser pour chaque<br />

arrondissem<strong>en</strong>t : 10000 francs pour l’architecte du départem<strong>en</strong>t, y compris 6000<br />

francs <strong>de</strong> frais <strong>de</strong> bureau, d’ag<strong>en</strong>ts et <strong>de</strong> tournées, 8000 francs pour l’architecte <strong>de</strong><br />

l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Sélestat, etc. La différ<strong>en</strong>ce notable par rapport aux systèmes<br />

précéd<strong>en</strong>ts est la mise <strong>en</strong> place d’un contrôle strict <strong>de</strong>s honoraires par le préfet (art.<br />

3-6). Le montant correspondant aux 5% d’honoraires partagés à hauteur <strong>de</strong> 3,75%<br />

pour l’architecte d’arrondissem<strong>en</strong>t et 1,25% pour l’architecte départem<strong>en</strong>tal pour<br />

les travaux dépassant 300 francs sont consignés dans un registre pour éviter les<br />

multiples abus <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s architectes. Mais les dispositions <strong>de</strong> l’arrêté ne sont pas<br />

applicables aux services d’architecture municipaux, comme Strasbourg, Hagu<strong>en</strong>au<br />

et Sélestat.<br />

1 ADBR, 1N88. Conseil Général <strong>de</strong> 1839, séance du 7 septembre 1839.<br />

2 ADBR, 1N97. Rapport <strong>de</strong> Kuhlmann adressé au préfet le 25 octobre 1839.


138<br />

Le rapport du préfet à la session du conseil général <strong>de</strong> 1840 précise les raisons<br />

qui l’ont détourné à supprimer les remises 1 :<br />

« J’ai fait faire <strong>de</strong>s recherches très ét<strong>en</strong>dues sur ce qui a été dép<strong>en</strong>sé par le passé pour<br />

les honoraires d’architectes, alors que ces ag<strong>en</strong>ts réunissai<strong>en</strong>t la voirie aux édifices<br />

communaux. Il a été reconnu pour l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Schlestadt par exemple qu’il a<br />

été payé pour cette cause, année moy<strong>en</strong>ne, <strong>de</strong>puis dix ans, 8534,40 francs. Un relevé<br />

très consci<strong>en</strong>cieux fait par un architecte que la mort a <strong>en</strong>levé trop tôt à cet<br />

arrondissem<strong>en</strong>t, porte la moy<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>s dix <strong>de</strong>rnières années à 8030 francs. <strong>Les</strong> cinq<br />

années qui ont précédé cette déca<strong>de</strong> n’avai<strong>en</strong>t pas dépassé 5000 francs. En fixant donc<br />

pour l’av<strong>en</strong>ir à 8000 francs le maximum à atteindre par les honoraires, il y a plutôt lieu<br />

<strong>de</strong> craindre qu’il ne sera pas atteint puisqu’il faut distraire la part affér<strong>en</strong>te aux travaux<br />

<strong>de</strong> voirie désormais confiés à d’autres ag<strong>en</strong>ts. […] J’ai voulu attacher les architectes à un<br />

service pénible sans doute, mais honorable, non par l’espérance <strong>de</strong> la fortune qu’ils<br />

n’acquerront pas au service du départem<strong>en</strong>t mais par la perspective d’une exist<strong>en</strong>ce<br />

assurée qui suffira à <strong>de</strong>s hommes honnêtes voulant obt<strong>en</strong>ir et mériter l’estime à laquelle<br />

leurs tal<strong>en</strong>ts et leur probité leur donneront droit. »<br />

<strong>Les</strong> « architectes d’arrondissem<strong>en</strong>t » sous la direction d’un architecte du<br />

départem<strong>en</strong>t<br />

Un architecte départem<strong>en</strong>tal aux fonctions plus ét<strong>en</strong>dues<br />

Plusieurs fois m<strong>en</strong>acé jusqu’<strong>en</strong> 1837 par les voeux du conseil général, le poste<br />

d’architecte du départem<strong>en</strong>t est conservé par le préfet et voit ses attributions<br />

élargies. François Reiner père, âgé <strong>de</strong> 75 ans, est mis à la retraire fin 1837. 2 De ce<br />

fait, le conseil général lui vote un secours <strong>de</strong> 1000 francs pour les services r<strong>en</strong>dus. 3<br />

Or, Reiner n’avait que très peu participé à l’activité <strong>de</strong>s architectes voyers <strong>en</strong>tre<br />

1827 et 1837, excepté au sein <strong>de</strong> la commission <strong>de</strong>s travaux communaux où il<br />

continue à exercer une influ<strong>en</strong>ce jusqu’<strong>en</strong> 1843. Pour les travaux départem<strong>en</strong>taux<br />

dans les arrondissem<strong>en</strong>ts, il avait d’ailleurs délégué ses fonctions à d’autres<br />

architectes.<br />

Comme Franz Reiner avait refusé <strong>de</strong> succé<strong>de</strong>r à son père, dès 1838, le préfet<br />

nomme à titre provisoire à la direction <strong>de</strong> l’architecture départem<strong>en</strong>tale, un jeune<br />

architecte <strong>en</strong> pleine asc<strong>en</strong>sion, Gustave Klotz. 4 Le poste est définitivem<strong>en</strong>t créé par<br />

1 ADBR, 1N99. Conseil Général <strong>de</strong> 1840. Séance du 5 septembre 1840.<br />

2 ADBR, 6N6. Lettre du préfet du 10 septembre 1837.<br />

3 ADBR, 1N88. Conseil Général <strong>de</strong> 1837. Séance du 10 septembre 1837.<br />

4 T. Rieger, art. « Klotz », in NDBA, 1993. Gustave Klotz est né à Strasbourg <strong>en</strong> 1810. Après<br />

ses étu<strong>de</strong>s secondaires à Strasbourg, il étudie à l’école <strong>de</strong>s Beaux-arts <strong>de</strong> Paris. Dans sa ville<br />

natale, il se fait connaître dès 1836 lors du concours d’aménagem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s prom<strong>en</strong>a<strong>de</strong>s<br />

publiques et fut nommé par le maire Lacombe architecte <strong>de</strong> l’Oeuvre Notre-dame <strong>en</strong> 1837,<br />

poste qu’il conserve jusqu’à sa mort surv<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> 1880, après avoir achevé la tour <strong>de</strong> croisée<br />

qui porte son nom. Il obti<strong>en</strong>t le poste d’architecte départem<strong>en</strong>tal dès 1838, puis <strong>en</strong> 1844, il


139<br />

l’arrêté du 6 mars 1839, qui élargit considérablem<strong>en</strong>t ses fonctions : l’article 2 lui<br />

accor<strong>de</strong> le droit <strong>de</strong> se réserver les projets importants dont il veut se charger (comme<br />

la halle aux blés <strong>de</strong> Sélestat) et d’examiner l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s projets réalisés par les<br />

architectes dans le départem<strong>en</strong>t, percevant 1,5% d’honoraires (art. 5). L’architecte<br />

d’arrondissem<strong>en</strong>t, quant à lui, est placé sous son autorité propre (art. 4). L’arrêté du<br />

9 janvier 1840 ne fait que confirmer la place prépondérante <strong>de</strong> l’architecte<br />

départem<strong>en</strong>tal avec une légère baisse <strong>de</strong> ses honoraires sur les travaux dans les<br />

arrondissem<strong>en</strong>ts (1,25% au lieu <strong>de</strong> 1,5%).<br />

Des architectes d’arrondissem<strong>en</strong>t chargés uniquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts communaux<br />

Mais l’arrêté du 6 mars 1839, article 4, prescrit aussi la nomination d’un<br />

architecte délégué à l’architecte départem<strong>en</strong>tal dans chaque arrondissem<strong>en</strong>t.<br />

Jusqu’alors, les ag<strong>en</strong>ts voyers inspecteurs pouvai<strong>en</strong>t aspirer à exercer cette<br />

délégation. On a vu que Kuhlmann à Sélestat, pourtant démissionnaire comme<br />

ag<strong>en</strong>t voyer, a été maint<strong>en</strong>u <strong>en</strong> 1838 comme architecte <strong>de</strong>s travaux communaux.<br />

Mais la nomination définitive <strong>de</strong>s architectes délégués, pr<strong>en</strong>ant désormais le titre<br />

d’« architecte d’arrondissem<strong>en</strong>t », remonte à l’arrêté du 9 janvier 1840, titre et<br />

fonctions que pr<strong>en</strong>d Kuhlmann. Maestlé reste architecte <strong>de</strong> l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

Saverne, Zégowitz est nommé pour l’arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Strasbourg <strong>en</strong><br />

remplacem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Samain qui opta pour les travaux <strong>de</strong> la vicinalité et Albert Haas<br />

remplace Zégowitz à Wissembourg. 1<br />

L’arrêté précise la nature <strong>de</strong>s attributions <strong>de</strong> ces architectes : projets <strong>de</strong><br />

constructions <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts communaux, surveillance et réception <strong>de</strong>s travaux,<br />

travaux d’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s mêmes bâtim<strong>en</strong>ts, abornem<strong>en</strong>t et partage <strong>de</strong>s propriétés<br />

communales autres que <strong>de</strong>s forêts, levée du plan <strong>de</strong>s propriétés dont les communes<br />

propos<strong>en</strong>t l’acquisition ou la v<strong>en</strong>te, réception <strong>de</strong> pompes à inc<strong>en</strong>dies, orgues,<br />

cloches, croix, tableaux, portes et mobilier <strong>en</strong> général.<br />

En sont exclues les attributions <strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts voyers qui feront l’objet d’un nouvel<br />

arrêté. Celles-ci compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le reconnaissance <strong>de</strong>s chemins ruraux, la construction<br />

<strong>de</strong> pavés, rigoles, ponts, aqueducs sur les chemins, la vérification <strong>de</strong>s plans<br />

d’alignem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s villes et <strong>de</strong>s villages, les alignem<strong>en</strong>ts partiels dans les rues,<br />

l’expertise <strong>de</strong>s dommages causés aux propriétés particulières par suite du<br />

changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> niveau <strong>de</strong>s chemins, l’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>en</strong> concession <strong>de</strong>s<br />

terrains communaux bordant un chemin vicinal, rural ou une rue et le curage <strong>de</strong>s<br />

cours d’eau non navigables ni flottables.<br />

Dans la pratique, l’architecte d’arrondissem<strong>en</strong>t est appelé à travailler étroitem<strong>en</strong>t<br />

avec l’architecte du départem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lui proposant les esquisses ou avant projets <strong>de</strong><br />

partage la charge avec Charles Morin jusqu’<strong>en</strong> 1850, l’administration le révoquant par ses<br />

qualités <strong>de</strong> commanditaire du journal socialiste Le Démocrate du Rhin.<br />

1 Recueil officiels <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> la préfecture du départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin (1840), 41, 1841.<br />

Arrêté préfectoral du 9 janvier 1840.


140<br />

constructions. De plus, les honoraires perçus sont partagés <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux ag<strong>en</strong>ts, à<br />

raison <strong>de</strong> 3,75% sur 5% pour l’architecte d’arrondissem<strong>en</strong>t.<br />

Conclusion<br />

L’effort <strong>de</strong> construction publique mo<strong>de</strong>rne, qui va <strong>en</strong> un siècle et <strong>de</strong>mi provoquer<br />

la mutation <strong>de</strong>s villages, comm<strong>en</strong>ce aux l<strong>en</strong><strong>de</strong>mains <strong>de</strong> la Révolution et <strong>de</strong> l’Empire<br />

qui a fondé les cadres <strong>de</strong> l’administration locale. La monarchie <strong>de</strong> Juillet allait<br />

achever l’œuvre <strong>en</strong> dotant l’administration locale <strong>de</strong> conseils élus exprimant la<br />

volonté <strong>de</strong>s populations. R<strong>en</strong>dus à la paix après 1815, préfets et sous-préfets<br />

peuv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>fin s’occuper à loisir d’administration locale d’autant que les moy<strong>en</strong>s<br />

financiers, <strong>en</strong>core bi<strong>en</strong> réduits par les crises, sont désormais consacrés aux œuvres <strong>de</strong><br />

paix. Aux grands projets pris <strong>en</strong> charge par le Ministère <strong>de</strong> l’Intérieur et son Conseil<br />

<strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts civils, répondront les projets <strong>de</strong>s villages pris <strong>en</strong> charge par les préfets<br />

et leurs services <strong>de</strong>s travaux communaux.<br />

Ce service, tel que nous l’avons prés<strong>en</strong>té pour le début du XIXème siècle, est une<br />

création <strong>de</strong> 1827, malgré la nomination d’un architecte départem<strong>en</strong>tal <strong>en</strong> 1822. On<br />

t<strong>en</strong>te <strong>en</strong>suite à le réformer, <strong>en</strong> le fusionnant avec le service <strong>de</strong> la vicinalité <strong>en</strong> 1836,<br />

mais <strong>en</strong> fin <strong>de</strong> compte, la séparation définitive <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux services est <strong>en</strong>gagée <strong>en</strong><br />

1839. Dans chacun <strong>de</strong> ces services, l’architecte voyer, l’ag<strong>en</strong>t voyer inspecteur, <strong>en</strong>fin<br />

l’architecte d’arrondissem<strong>en</strong>t ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène <strong>en</strong> assurant un contrôle<br />

complet <strong>en</strong> matière d’édifices publics.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : François IGERSHEIM


Cécile ROTH<br />

La société pour la conservation <strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>ts<br />

<strong>historiques</strong> et les ruines <strong>de</strong> châteaux forts alsaci<strong>en</strong>s<br />

(1855 à 1870)<br />

Le château fort alsaci<strong>en</strong> est un monum<strong>en</strong>t historique paradoxal. Au contraire <strong>de</strong><br />

tous les autres monum<strong>en</strong>ts bâtis, que l’on s’efforce d’<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> l’état, et souv<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> restaurer, pour éviter qu’il ne tombe <strong>en</strong> ruine, c’est déjà une ruine. Il faut donc<br />

la conserver à l’état <strong>de</strong> ruine !!! La ruine, on <strong>en</strong> connaissait le caractère évocateur<br />

<strong>de</strong>puis le XVIIIè siècle, où l’on <strong>en</strong> édifie dans les parcs et jardins. Dans la plupart<br />

<strong>de</strong>s cas il s’agit <strong>de</strong> ruines antiques, très peu <strong>de</strong> ruines médiévales. Avec la<br />

réhabilitation du Moy<strong>en</strong> Âge, après la Révolution, l’age romantique réhabilite aussi<br />

les ruines du Moy<strong>en</strong> Age dans leur cadre <strong>de</strong> nature, moutiers isolés, châteaux forts<br />

nécessairem<strong>en</strong>t « couverts <strong>de</strong> lierre » comme les décriv<strong>en</strong>t Schweighaeuser et<br />

Golbéry, qui <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un grand nombre dans les lithographies qui illustr<strong>en</strong>t<br />

leurs « Antiquités <strong>de</strong> l’<strong>Alsace</strong> » <strong>de</strong> 1828. Golbéry se montre conséqu<strong>en</strong>t dans ses<br />

propositions <strong>de</strong> classem<strong>en</strong>t comme monum<strong>en</strong>ts <strong>historiques</strong> haut-rhinois: il y inclut<br />

<strong>de</strong>s ruines <strong>de</strong> châteaux forts. On n’<strong>en</strong> trouve pas dans les classem<strong>en</strong>ts bas-rhinois.<br />

Pourtant, dès <strong>en</strong> 1855 et la fondation <strong>de</strong> la Société pour la Conservation <strong>de</strong>s<br />

Monum<strong>en</strong>ts <strong>historiques</strong>, la ruine <strong>de</strong> château fort pr<strong>en</strong>d une place importante dans<br />

les préoccupations <strong>de</strong>s experts et amateurs réunis.<br />

La Société pour la Conservation <strong>de</strong>s Monum<strong>en</strong>ts <strong>historiques</strong> et sa<br />

doctrine<br />

La doctrine <strong>de</strong> la société relative à ses interv<strong>en</strong>tions est clairem<strong>en</strong>t affichée dès la<br />

création <strong>de</strong> la société. L’article premier <strong>de</strong>s statuts énonce :<br />

« La Société a pour but la conservation <strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>ts <strong>historiques</strong> d'<strong>Alsace</strong>. A cet effet,<br />

elle les recherche, <strong>en</strong> constate l'état, <strong>en</strong> provoque la conservation <strong>en</strong> interv<strong>en</strong>ant auprès <strong>de</strong>


142<br />

l'Etat, <strong>de</strong>s communes ou <strong>de</strong>s particuliers, afin, d'obt<strong>en</strong>ir les mesures nécessaires pour <strong>en</strong><br />

prév<strong>en</strong>ir la ruine. Au besoin, elle ai<strong>de</strong> à ces mesures par <strong>de</strong>s subv<strong>en</strong>tions, <strong>de</strong>s frais <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> ou<br />

<strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> consolidation qu'elle fait exécuter elle-même. Dans aucun cas elle<br />

n'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> consolidation qu'elle fait exécuter elle-même.<br />

Si ces ressources le lui permett<strong>en</strong>t, elle pourra faire l'acquisition d'objets d'art, tels que<br />

bas-reliefs, statuettes, vases, ust<strong>en</strong>siles, inscriptions, etc., relatifs à l'histoire <strong>de</strong> l'<strong>Alsace</strong>, et les<br />

réunira dans un musée ».<br />

Une mission <strong>de</strong> simple préservation<br />

Ces statuts poursuiv<strong>en</strong>t la p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong> Mérimée qui déclarait : « qu’on n’ajoutât<br />

ri<strong>en</strong> à ce que le temps nous a laissé, qu’on se bornât à nettoyer et à consoli<strong>de</strong>r » ou<br />

même du romantique Victor Hugo : « <strong>Les</strong> consoli<strong>de</strong>r, les empêcher <strong>de</strong> tomber, c’est<br />

tout ce qu’on doit se permettre. »<br />

La mission <strong>de</strong> la société était principalem<strong>en</strong>t, du moins au début <strong>de</strong> son action,<br />

<strong>de</strong> s'opposer à la démolition d'édifices témoins du passé historique <strong>de</strong> la région.<br />

Ainsi, dès 1856, concernant les châteaux d’Ottrott, l’architecte Ringeis<strong>en</strong> regrette :<br />

« Ces <strong>de</strong>ux manoirs, dit l'architecte, quoique à l'état <strong>de</strong> ruines, sont <strong>en</strong>core d'une<br />

conservation qui leur permettra <strong>de</strong> braver p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> longues années les atteintes du temps,<br />

pourvu que la main <strong>de</strong>s hommes ne vi<strong>en</strong>ne pas accélérer leur <strong>de</strong>struction. Malheureusem<strong>en</strong>t<br />

on n'aperçoit que trop son action. Ainsi, pour satisfaire sans doute à quelques exig<strong>en</strong>ces<br />

mo<strong>de</strong>rnes, on a <strong>en</strong>levé les jambages et les <strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s baies le plus à portée <strong>de</strong> la main,<br />

et il <strong>en</strong> est résulté que la maçonnerie adjac<strong>en</strong>te n'étant plus ret<strong>en</strong>ue par les arêtes ou par<br />

l'appareil qu'elles supportai<strong>en</strong>t, s'est successivem<strong>en</strong>t détachée et a formé <strong>de</strong>s brèches et <strong>de</strong>s<br />

lézar<strong>de</strong>s qui se manifest<strong>en</strong>t quelques fois sur <strong>de</strong>s pans <strong>en</strong>tiers <strong>de</strong> murs, dans toute leur<br />

hauteur. Ces mutilations non seulem<strong>en</strong>t compromett<strong>en</strong>t la solidité <strong>de</strong>s murailles, mais<br />

quelques autres <strong>en</strong>core qui sont d'une haute importance au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l'art. » 1<br />

Mais peu à peu, la Société s'intéressa à leur conservation <strong>en</strong> interv<strong>en</strong>ant auprès<br />

<strong>de</strong>s collectivités (Etat, communes) et <strong>de</strong>s propriétaires particuliers pour "prév<strong>en</strong>ir <strong>de</strong><br />

la ruine".<br />

Ses actions peuv<strong>en</strong>t être une simple s<strong>en</strong>sibilisation, mais le plus souv<strong>en</strong>t, elle<br />

propose le classem<strong>en</strong>t d'édifices sur la liste <strong>de</strong>s MH, sollicite <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong><br />

conservation auprès <strong>de</strong>s propriétaires, et cherche le financem<strong>en</strong>t.<br />

La société veille plusieurs fois à ce que sa politique d’interv<strong>en</strong>tion soit respectée.<br />

Ainsi, par exemple <strong>en</strong> 1861, « M. Ringeis<strong>en</strong>, qui avait examiné le <strong>de</strong>vis prés<strong>en</strong>té par M.<br />

Ortlieb, architecte à Colmar, pour les travaux à <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre aux châteaux d'Eguisheim,<br />

donne lecture <strong>de</strong> son rapport. "<strong>Les</strong> travaux proposés, paraiss<strong>en</strong>t conçus d'après la métho<strong>de</strong><br />

adoptée par la société, qui consiste à consoli<strong>de</strong>r et à conserver, <strong>de</strong> la manière la plus simple,<br />

toutes les parties <strong>de</strong>s édifices, intéressantes au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l'art et <strong>de</strong> l'histoire, <strong>en</strong> évitant<br />

surtout toute innovation, susceptible d'<strong>en</strong> modifier le caractère primitif. » » 2<br />

1 BSCMHA, 1 er volume, 1 ère série, 09/06/1856<br />

2 BSCMHA, 1 er volume, 2 ème série, séance du 1er juillet 1861


143<br />

La séance suivante: « Ringeis<strong>en</strong> se déclare satisfait <strong>de</strong> ce qui a été m<strong>en</strong>é à bonne fin et<br />

indique ce qui semble <strong>de</strong>voir <strong>en</strong>core être exécuté. Selon lui, le château d'Eguisheim, très<br />

intéressant au point <strong>de</strong> vue archéologique, ne <strong>de</strong>vra être <strong>en</strong>trepris qu'avec beaucoup <strong>de</strong><br />

circonspection, et surtout, ne recevoir aucune addition, pratique que ri<strong>en</strong> ne saurait justifier.<br />

Il est ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> se borner à certains travaux <strong>de</strong> consolidation qu'il indique, et qui, ne seront<br />

pas fort coûteux. » 1 "<br />

Cette doctrine sera longtemps la si<strong>en</strong>ne ; <strong>en</strong> 1879, suite à une visite au<br />

Scho<strong>en</strong>eck, M. Ringeis<strong>en</strong> affirme :<br />

« M. Mérian nous a mis <strong>en</strong> communication avec M. le gar<strong>de</strong> général <strong>de</strong>s forêts<br />

particulières <strong>de</strong> ces messieurs, chargé <strong>de</strong> diriger ces travaux. Ils ont parus bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre<br />

l'importance <strong>de</strong> leur mission et le scrupule avec lequel doiv<strong>en</strong>t être traitées toutes les parties à<br />

consoli<strong>de</strong>r, <strong>de</strong> manière à ne pas <strong>en</strong> altérer le caractère » 2<br />

La nature <strong>de</strong>s travaux <strong>en</strong>trepris<br />

<strong>Les</strong> travaux se limit<strong>en</strong>t donc <strong>en</strong> général à une simple conservation <strong>de</strong> l’existant<br />

<strong>de</strong> façon à pouvoir transmettre ces sites aux générations futures dans le même état<br />

qu’ils les ont reçu. En outre, les membres <strong>de</strong> la société, souv<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>sibles à<br />

l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t pittoresque <strong>de</strong> la ruine, sembl<strong>en</strong>t vouloir aussi conserver cet aspect.<br />

Ils regrett<strong>en</strong>t même que l’Ort<strong>en</strong>bourg, particulièrem<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u ne soit pas<br />

plus <strong>en</strong>vahi par la végétation : « les contours sont-ils un peu ari<strong>de</strong>s, et quelques<br />

traces <strong>de</strong> végétation <strong>en</strong> augm<strong>en</strong>terai<strong>en</strong>t l’effet artistique » 3 .<br />

De même, après avoir évoqué la dégradation progressive <strong>de</strong> la toiture du château<br />

d’Andlau, M. Ringeis<strong>en</strong> conclu :<br />

« Il serait utile <strong>de</strong> visiter d’abord, et <strong>de</strong> protéger au besoin leur sommet, afin d’empêcher<br />

les murs <strong>de</strong> se détériorer par l’action <strong>de</strong>s pluies et du v<strong>en</strong>t ; mais cette découverte n’est pas à<br />

regretter, à mon s<strong>en</strong>s, et sa reconstruction serait une dép<strong>en</strong>se inutile qui n’ajouterait ni à<br />

l’effet, ni à la conservation <strong>de</strong>s tours. » 4 , l’effet <strong>de</strong>s travaux sur l’allure <strong>de</strong> la ruine<br />

semblant être un critère à la restauration.<br />

L’architecte Ringeis<strong>en</strong>, le principal architecte oeuvrant pour la société, se souci<br />

régulièrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> conserver l’allure pittoresque <strong>de</strong>s châteaux, comme au Dreistein<br />

<strong>en</strong> 1861 :<br />

« Mais la végétation est si luxuriante ; cet aspect si inopiné <strong>de</strong> ruines importantes au<br />

milieu <strong>de</strong> forêts qui ne les laiss<strong>en</strong>t apercevoir que lorsqu’on les touche, prédispose le visiteur à<br />

<strong>de</strong>s s<strong>en</strong>sations si imprévues, que l’on est à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, si, pour le plaisir <strong>de</strong> reconnaître <strong>de</strong>s<br />

dispositions primitives, il est bi<strong>en</strong> nécessaire <strong>de</strong> se priver <strong>de</strong> cet aspect pittoresque que le temps<br />

a créé autour <strong>de</strong> ces ruines <strong>en</strong> comp<strong>en</strong>sation <strong>de</strong>s formes qu’il leur a <strong>en</strong>levées. » 5<br />

1 BSCMHA, 1 er volume, 2 ème série, séance du 5 août 1861<br />

2 BSCMHA, 11 ème volume, 2 ème série, séance du 4 août 1879<br />

3 BSCMHA, 2 ème volume, 1 ère série, 03/08/1857<br />

4 BSCMHA, 27/10/1859<br />

5 BSCMHA, 4 ème volume, 2 ème série, 03/06/1861


144<br />

De même, concernant le Saint Ulrich, l’intérêt pittoresque <strong>de</strong> la ruine est relevé<br />

à plusieurs reprises, notamm<strong>en</strong>t dans le rapport <strong>de</strong> 1858, rédigé par Ringeis<strong>en</strong> 1 :<br />

<strong>Les</strong> rajouts ultérieurs « ne prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> bi<strong>en</strong> intéressant sous le rapport <strong>de</strong> l’art ;<br />

et , si ce n’était l’effet pittoresque <strong>de</strong> leurs d<strong>en</strong>telures vues <strong>de</strong> loin, elles laisserai<strong>en</strong>t peu à<br />

regretter »<br />

L’architecte Ringeis<strong>en</strong> dans ses différ<strong>en</strong>ts rapports reflète bi<strong>en</strong> le courant <strong>de</strong><br />

p<strong>en</strong>sée majoritaire <strong>de</strong> la société, partagé <strong>en</strong>tre une simple conservation et <strong>de</strong>s élans<br />

romantiques.<br />

Le financem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> la SCMHA<br />

Au besoin, la SCMHA peut apporter ses propres subv<strong>en</strong>tions.<br />

<strong>Les</strong> recettes<br />

La SCMHA peut accor<strong>de</strong>r une ai<strong>de</strong> pour la conservation d'un édifice car elle<br />

bénéficie <strong>de</strong> recettes propres.<br />

Dans ses statuts, il est précisé:<br />

"Art. 5: <strong>Les</strong> ressources <strong>de</strong> la Société se compos<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s et rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong> toute nature et<br />

du produit:<br />

1°) Des cotisations annuelles<br />

2°) Des dons et legs dont l'acceptation est autorisée<br />

3°) Des subv<strong>en</strong>tions qui peuv<strong>en</strong>t lui être accordées par l'Etat, les départem<strong>en</strong>ts et les villes<br />

du Haut et Bas-Rhin."<br />

Ainsi, <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> la SCMHA jusqu'<strong>en</strong> 1869 les départem<strong>en</strong>ts ont versé<br />

tous les ans 1000 francs à la société.<br />

Par ailleurs, chaque membre <strong>de</strong> la société verse une cotisation annuelle <strong>de</strong> 10<br />

francs. Cette somme est fixée par l'article 7 du règlem<strong>en</strong>t intérieur. La somme<br />

obt<strong>en</strong>ue par ce moy<strong>en</strong> fluctue donc selon les années. Ainsi <strong>en</strong> 1857, la société<br />

obti<strong>en</strong>t 172 cotisations, <strong>en</strong> 1861: 360, pour plafonner <strong>en</strong> 1870 à 436 membres.<br />

Après 1870, les subv<strong>en</strong>tions départem<strong>en</strong>tales sont maint<strong>en</strong>ues. En effet, le<br />

présid<strong>en</strong>t a sollicité et accepté la subv<strong>en</strong>tion départem<strong>en</strong>tale du Bas Rhin 2 . Le<br />

Conseil général du Haut Rhin, verse lui aussi 500F..<br />

Un dossier d'archives au ADHR 3 , retrace les subv<strong>en</strong>tions accordées par le<br />

départem<strong>en</strong>t à travers les votes du Bezirkstag à partir <strong>de</strong> 1890. De 1890 à 1913,<br />

400M sont accordés chaque année à la société sur le chapitre 11, art. 4. En 1899,<br />

une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> avait été formulée pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r une augm<strong>en</strong>tation à 1000M,<br />

s'appuyant sur la comparaison avec d'autres sociétés d'histoire. Cette augm<strong>en</strong>tation<br />

1 BSCMHA, 3 ème volume, 1 ère série, 03/04/1858<br />

2 IGERSHEIM (François), <strong>Alsace</strong> illustrée, jardin foudroyé, paysage contemplé. La fabrique <strong>de</strong>s<br />

monum<strong>en</strong>ts ou l'<strong>Alsace</strong> et ses histori<strong>en</strong>s (1680 -1914), thèse d'habilitation à diriger <strong>de</strong>s<br />

recherches, Strasbourg, UMB, 2002<br />

3 ADHR 8AL1/10237: subv<strong>en</strong>tion à la SCMHA <strong>de</strong> Strasbourg


145<br />

a été refusée lors <strong>de</strong> l'assemblée <strong>en</strong> novembre 1899, officiellem<strong>en</strong>t par manque <strong>de</strong><br />

moy<strong>en</strong> pour l'année suivante.<br />

En 1914, la subv<strong>en</strong>tion est augm<strong>en</strong>tée <strong>de</strong> 100M et passe donc à 500M.<br />

Ce dossier d'archives nous informe quelques fois sur l'utilisation partielle <strong>de</strong> la<br />

somme. Ainsi, <strong>en</strong> 1902, 196,75M sont <strong>de</strong>stinés aux châteaux d'Eguisheim, ou <strong>en</strong><br />

1911, carrém<strong>en</strong>t la totalité <strong>de</strong> la subv<strong>en</strong>tion au château du Wineck, dont la société<br />

est propriétaire. En revanche, <strong>en</strong> 1904, 200M sont réservés à la cloche <strong>de</strong><br />

Zell<strong>en</strong>berg, donc autant d'arg<strong>en</strong>t qui ne peut être attribué à la conservation <strong>de</strong>s<br />

châteaux forts.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, il faut noter que la société bénéficie à l'époque alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

subv<strong>en</strong>tions extraordinaires, <strong>de</strong>stinées à r<strong>en</strong>flouer le déficit <strong>de</strong> la société. En effet, à<br />

plusieurs reprises, <strong>en</strong> plus <strong>de</strong>s habituelles subv<strong>en</strong>tions départem<strong>en</strong>tales <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

départem<strong>en</strong>ts, elle bénéficie d'une subv<strong>en</strong>tion extraordinaire <strong>de</strong> 867M <strong>en</strong> 1886; <strong>en</strong><br />

outre, elle reçoit <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'Etat et <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Strasbourg à partir <strong>de</strong> 1901.<br />

Le budget <strong>de</strong> la SCMHA est donc limité, et doit donc être contrôlé. Tous les<br />

ans, le trésorier expose les différ<strong>en</strong>tes recettes et dép<strong>en</strong>ses pour les publications, ou<br />

ai<strong>de</strong>s à la conservation <strong>de</strong> monum<strong>en</strong>ts.<br />

Des fonds <strong>de</strong> concours<br />

La somme <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> conservation n'est jamais financée <strong>en</strong> totalité par la<br />

SCMHA. Il s'agit d'<strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t lorsqu'un propriétaire cons<strong>en</strong>t à interv<strong>en</strong>ir sur<br />

sa propriété. C'est le cas <strong>de</strong>s châteaux d'Ort<strong>en</strong>bourg et <strong>de</strong> Ramstein, propriété du<br />

Baron Favier, qui a reçu 200F. pour chacun <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux châteaux <strong>en</strong> 1865 ou<br />

<strong>en</strong>core pour le château du Landsberg <strong>de</strong> 1859 à 1869, propriété <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong><br />

Turckheim qui y fait effectuer <strong>de</strong> nombreux travaux d'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>. Souv<strong>en</strong>t, les<br />

propriétaires rechign<strong>en</strong>t à <strong>en</strong>gager <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t pour l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong> leur château, car il<br />

s'agit bi<strong>en</strong> sûr d'investissem<strong>en</strong>t à perte pour eux. La SCMHA propose alors son<br />

concours financier, <strong>en</strong> général à la hauteur <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong> la somme globale. La<br />

société exige <strong>en</strong> outre un <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t écrit du propriétaire, dans lequel il "s'<strong>en</strong>gage à<br />

laisser à la construction son caractère <strong>de</strong> monum<strong>en</strong>t public" 1 . Dans certains cas, elle<br />

doit pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> charge une partie plus importante, comme par exemple pour le<br />

château <strong>de</strong> Morimont <strong>en</strong> 1865 où elle investit 1300F., contre une simple promesse<br />

<strong>de</strong> don <strong>de</strong> 300F. par le propriétaire Aron Meyer. Cette expéri<strong>en</strong>ce n'a pas été<br />

reconduite, d'autant plus que le propriétaire a <strong>en</strong>suite fermé ses portes aux membres<br />

<strong>de</strong> la société. 2<br />

1 BSCMHA, volume 12, 2 ème série, séance du 20 juin 1883.<br />

2 BSCMHA, volume 12, 2 ème série, séance du 20 juin 1883: "La société a fait <strong>de</strong> tristes<br />

expéri<strong>en</strong>ces, par exemple pour les souterrains <strong>de</strong> Morimont, où elle a dép<strong>en</strong>sé<br />

6000fr. Le propriétaire les a convertis <strong>en</strong> caves, dont l'<strong>en</strong>trée même à M.<br />

Quiquerez, qui s'était le plus dévoué à la restauration du monum<strong>en</strong>t."


146<br />

L'action <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong>s ruines <strong>de</strong> châteaux-forts<br />

<strong>Les</strong> premiers travaux <strong>de</strong> la SCMHA: <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong>s châteaux<br />

<strong>Les</strong> premiers travaux <strong>en</strong>trepris par la SCMHA ont concerné <strong>de</strong>s châteaux.<br />

Durant la première année d'activité <strong>de</strong> la société, <strong>en</strong> 1856, les seuls travaux <strong>de</strong><br />

conservations réalisés ont eu lieu sur <strong>de</strong>s châteaux. En effet, dans les dép<strong>en</strong>ses <strong>de</strong> la<br />

société, sous la ligne "les allocations pour travaux <strong>de</strong> consolidation aux monum<strong>en</strong>ts<br />

<strong>historiques</strong>", on retrouve :<br />

"<strong>Les</strong> opérations <strong>de</strong> consolidations faites au château <strong>de</strong> Hohko<strong>en</strong>igsbourg: 520fc<br />

De moindres travaux du même g<strong>en</strong>re faits au châteaux <strong>de</strong> Rathsamhaus<strong>en</strong>:<br />

67,25fc"<br />

De même <strong>en</strong> 1857, les dép<strong>en</strong>ses <strong>de</strong> conservation ont été réservées au Haut<br />

Ko<strong>en</strong>igsbourg, soit 810F. au total.<br />

Lors <strong>de</strong> l'assemblée générale <strong>de</strong> la SCMHA du 27 octobre 1859, les comptes <strong>de</strong><br />

1858 sont prés<strong>en</strong>tés, avec comme seules dép<strong>en</strong>ses <strong>de</strong> conservation, 1020F. consacrés<br />

au Haut Ko<strong>en</strong>igsbourg.<br />

Signalons tout <strong>de</strong> même que lors <strong>de</strong> ces années, le versem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la subv<strong>en</strong>tion<br />

départem<strong>en</strong>tale <strong>de</strong> 500 F. était <strong>de</strong>stiné à ce château.<br />

Lors <strong>de</strong> cette même assemblée, M. Ringeis<strong>en</strong>, expose les différ<strong>en</strong>ts travaux<br />

réalisés <strong>en</strong> 1859. Nous pouvons constater que les sites se diversifi<strong>en</strong>t, mais rest<strong>en</strong>t<br />

pour la plupart <strong>de</strong>s châteaux: Le Hohko<strong>en</strong>igsbourg, 500F., Ribeauvillé, 500F.,<br />

Landsberg, 300F., Andlau, 200F., Guirbad<strong>en</strong>, 400F., et Nie<strong>de</strong>rmunster, 200F..<br />

En 1860, 500 F. sont à nouveau consacrés au Hohko<strong>en</strong>igsbourg, 400F. au<br />

Guirbad<strong>en</strong>, 200F. pour le Ni<strong>de</strong>ck, 500F. pour le St Ulrich, et 300F. pour le<br />

château d'Andlau, soit un total <strong>de</strong> 1900F., sur 2795F. au total pour les travaux <strong>de</strong><br />

conservation. La proportion baisse donc, au profit <strong>de</strong> Nie<strong>de</strong>rmunster, <strong>de</strong> la chapelle<br />

St Jacques, et les bains <strong>de</strong> Mackwiller. L'année suivante, les châteaux conserv<strong>en</strong>t la<br />

plus grosse partie du budget, mais la somme la plus importante est consacrée aux<br />

bains <strong>de</strong> Mackwiller et il vi<strong>en</strong>t s'ajouter un financem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> fouilles archéologiques.<br />

Ainsi, les châteaux comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à perdre leur suprématie dans les sommes <strong>de</strong>stinées<br />

normalem<strong>en</strong>t à l'<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s Monum<strong>en</strong>ts Historiques.<br />

Le Haut Ko<strong>en</strong>igsbourg: le premier château<br />

Le Haut Ko<strong>en</strong>igsbourg a été le premier château auquel s'est intéressé la SCMHA.<br />

Dès la <strong>de</strong>uxième séance générale, t<strong>en</strong>ue le 11 février 1856, le présid<strong>en</strong>t, Louis Spach<br />

évoque le Haut Ko<strong>en</strong>igsbourg et "pr<strong>en</strong>dra la liberté <strong>de</strong> donner lecture, par extrait,<br />

d'un travail historique sur le château <strong>de</strong> Haut-Ko<strong>en</strong>igsbourg" 1<br />

1 BSCMHA, 1 er volume, 1 ère série, séance du 11 février 1856.


147<br />

Lors <strong>de</strong> la séance du 7 juillet 1856,<br />

"M. le baron Favier <strong>en</strong>tre dans quelques détails sur l'état <strong>de</strong> dégradation du château <strong>de</strong><br />

Hohko<strong>en</strong>igsbourg. Il p<strong>en</strong>se que 300fr. employés annuellem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant une dizaine d'années,<br />

pour jeter du béton dans les lézar<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s voûtes, pour consoli<strong>de</strong>r la base <strong>de</strong> plusieurs parties <strong>de</strong><br />

l'édifice, là où <strong>de</strong>s pierres <strong>en</strong> ont été arrachées, pourrai<strong>en</strong>t servir à conserver <strong>en</strong>core p<strong>en</strong>dant<br />

longtemps dans son état prés<strong>en</strong>t cette ruine historique" 1 .<br />

Ainsi, après étu<strong>de</strong> sur place par l'architecte Ringeis<strong>en</strong>, 300francs sont accordés sur<br />

les fonds départem<strong>en</strong>taux <strong>en</strong> 1856. En 1857, 500 francs y sont consacrés sur les<br />

fonds du départem<strong>en</strong>t, et la société accor<strong>de</strong> 300francs sur ses propres fonds.<br />

Le premier mémoire publié dans le premier volume <strong>de</strong>s BSCMHA a été consacré<br />

au Haut Ko<strong>en</strong>igsbourg. Il a été rédigé par le présid<strong>en</strong>t Louis Spach lui même et ne<br />

fait pas moins <strong>de</strong> 32 pages. Ce mémoire, comme les autres publiés par la suite a une<br />

vocation très sci<strong>en</strong>tifique. Louis Spach retrace l'histoire du château à partir <strong>de</strong><br />

sources. Cep<strong>en</strong>dant, à la fin <strong>de</strong> ce mémoire, l'archiviste se laisse aller à la rêverie et<br />

affirme son souhait <strong>de</strong> reconstruire le château:<br />

" Et maint<strong>en</strong>ant, Messieurs, qu'un tribut a été payé à l'histoire, au passé, à la réalité,<br />

permettez, qu'une minute soit consacrée au rêve. Je sais que le vœu que je vais émettre n'est<br />

point réalisable et ne sera point réalisé, car les exig<strong>en</strong>ces matérielles <strong>de</strong> chaque jour sont trop<br />

gran<strong>de</strong>s pour laisser place à la fantaisie… Mais s'il est loisible parfois <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s<br />

châteaux <strong>en</strong> Espagne, pourquoi ne pas élever, pourquoi ne pas restaurer, dans la p<strong>en</strong>sée, sur<br />

<strong>de</strong>s assises <strong>en</strong>core <strong>de</strong>bout, un magnifique château princier "au haut <strong>de</strong> la pyrami<strong>de</strong><br />

gigantesque dont les premiers chaînons <strong>de</strong>s Vosges form<strong>en</strong>t le soubassem<strong>en</strong>t" 2 .<br />

Figurez vous un seul instant, Messieurs, le Hohko<strong>en</strong>igsbourg relevé <strong>de</strong> ses ruines, et<br />

transformé non <strong>en</strong> château fort contre l'<strong>en</strong>nemi, mais <strong>en</strong> pacifique musée du moy<strong>en</strong> âge…<br />

quelle afflu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> prom<strong>en</strong>eurs français et étrangers!… quel pèlerinage d'artistes, <strong>de</strong> poètes,<br />

<strong>de</strong> p<strong>en</strong>seurs vers cet asile rouvert au culte du passé! Quel concert d'admiration <strong>de</strong> tous et <strong>de</strong><br />

chacun, <strong>en</strong> planant, du haut <strong>de</strong>s balcons ou <strong>de</strong>s parapets rétablis, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ce beau pays,<br />

que nous appelons avec quelque orgueil légitime notre <strong>Alsace</strong> (…)"<br />

Notons cep<strong>en</strong>dant que cet exposé lyrique a été une exception. Louis Spach, ou les<br />

autres membres <strong>de</strong> la SCMHA, bi<strong>en</strong> trop rationnels, ne se sont plus jamais permis<br />

<strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s discours aussi utopiques, sachant que les finances ne le permettrai<strong>en</strong>t<br />

pas, et que ce rêve est contraire aux doctrines <strong>de</strong> conservation <strong>de</strong> la société.<br />

Ils ont bi<strong>en</strong> vite réalisé que <strong>de</strong>s simples travaux <strong>de</strong> consolidation étai<strong>en</strong>t déjà très<br />

compliqués et nécessitai<strong>en</strong>t beaucoup d'investissem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> temps et <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t, et que<br />

conserver tous les châteaux était déjà une mission quasi impossible, et que par<br />

conséqu<strong>en</strong>t, les restaurer n'était pas à la disposition <strong>de</strong>s hommes.<br />

Tout au long <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> étudiée, le Hohko<strong>en</strong>igsbourg a bénéficié <strong>de</strong> l'intérêt<br />

<strong>de</strong> la SCMHA 3 . On remarque que l'intérêt est décroissant mais qu'il persiste,<br />

contrairem<strong>en</strong>t à d'autres châteaux, où l'intérêt est plus ponctuel, lors d'une<br />

1 BSCMHA, 1 er volume, 1 ère série, séance du 7 juillet 1856<br />

2 Louis Spach cite l'Encyclopédie <strong>de</strong>s G<strong>en</strong>s du Mon<strong>de</strong><br />

3 voir tableau <strong>en</strong> annexe: répartition <strong>de</strong>s travaux sur les châteaux <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong>s tomes


148<br />

publication d'un mémoire ou d'une campagne <strong>de</strong> travaux. En effet, à partir <strong>de</strong><br />

1864, la SCMHA s'appuie sur la ville <strong>de</strong> Sélestat, nouvelle propriétaire du<br />

Hohko<strong>en</strong>igsbourg, p<strong>en</strong>sant que l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> serait fait plus régulièrem<strong>en</strong>t que lors <strong>de</strong><br />

la propriété privée (jusqu'alors, le château était propriété <strong>de</strong> M. Manheimer.).<br />

Au total, <strong>en</strong> 1882, 8783,85 francs ont été dép<strong>en</strong>sés par la société pour la<br />

conservation du Hohko<strong>en</strong>igsbourg.<br />

Comm<strong>en</strong>t l’on monte un dossier<br />

proposition par un membre ou un correspondant<br />

<strong>Les</strong> premières propositions d'interv<strong>en</strong>tions se sont faites par le présid<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

société, Louis Spach, concernant le Hohko<strong>en</strong>igsbourg, comme vu précé<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t,<br />

ou par le Préfet du Bas-Rhin lui-même, concernant les châteaux d'Ottrott: le<br />

Lützelbourg et le Rathsamhaus<strong>en</strong> la même année.<br />

<strong>Les</strong> membres <strong>de</strong> la SCMHA ont <strong>en</strong>suite fait profiter leurs homologues <strong>de</strong>s<br />

observations faites lors <strong>de</strong> leurs excursions. Leur champ d'action est donc divisé<br />

selon leur origine géographique, mais aussi selon leur spécialité. Ainsi, MM.<br />

Ringeis<strong>en</strong> 1 , Favier s'attard<strong>en</strong>t-ils volontiers sur les châteaux, alors que MM. De<br />

Ring 2 ou Nicklès 3 s'intéress<strong>en</strong>t plutôt aux monum<strong>en</strong>ts antiques. Le colonel Morlet 4<br />

1 Antoine Ringeis<strong>en</strong>, (1811-1889) Architecte. Il arriva à Sélestat <strong>en</strong> 1840, où il faut<br />

architecte <strong>de</strong> l'arrondissem<strong>en</strong>t et le resta jusqu'à peu avant sa mort. Il surveilla et dirigea les<br />

travaux <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts publics et <strong>de</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts cultuels <strong>de</strong>s communes <strong>de</strong> l'arrondissem<strong>en</strong>t.<br />

Membre très actif <strong>de</strong> la SCMHA. NDBA, Hubert Meyer, p. 3228.<br />

2 Maximili<strong>en</strong> <strong>de</strong> Ring (1799-1873), passionné pour l'archéologie et l'histoire <strong>de</strong> l'art, fut<br />

nommé <strong>en</strong> 1844 correspondant du Ministère <strong>de</strong> l'Instruction publique pour la préparation<br />

du Corpus <strong>de</strong>s inscriptions latines et <strong>en</strong> 1853, il <strong>de</strong>vint correspondant du comité <strong>de</strong>s travaux<br />

<strong>historiques</strong>. Il fut égalem<strong>en</strong>t correspondant <strong>de</strong> l'Institut archéologique français <strong>de</strong> Rome. En<br />

tant que <strong>de</strong>ssinateur et peintre <strong>de</strong> paysages, il effectua d'innombrables vues <strong>de</strong> paysages et <strong>de</strong><br />

monum<strong>en</strong>ts, tant <strong>en</strong> France qu'<strong>en</strong> Allemagne. NDBA, Berna<strong>de</strong>tte Schnitzler, page 3227.<br />

3 Napoléon Nicklès, (1808-1878), botaniste, archéologue, il travailla d'abord pour une<br />

pharmacie. Il se constitua un herbier <strong>de</strong> 3000 plantes. Ses tournées et inv<strong>en</strong>taires botaniques<br />

dans le Ried l'ont am<strong>en</strong>é probablem<strong>en</strong>t à repérer et à étudier les vestiges archéologiques<br />

d'Ehl et <strong>de</strong> sa région. A côté <strong>de</strong> fouilles sur le site <strong>de</strong> l'antique Hellelum Helvetum, il localisa<br />

<strong>de</strong> nombreux tumuli et autres restes gallo-romains, précisa le tracé <strong>de</strong> quelques voies<br />

romaines. Par ses nombreuses découvertes mais aussi par ses acquisitions avisées, il se<br />

constitua un remarquable cabinet d'antiquités. Après son décès, la plupart <strong>de</strong>s pièces fur<strong>en</strong>t<br />

incorporées dans la collection Koechlin puis déposées au musée <strong>de</strong> Mulhouse. NDBA, Jean-<br />

Marie Hol<strong>de</strong>rbach, Pages 2834-2835.<br />

4 Charles Gabriel Beau<strong>de</strong>t <strong>de</strong> Morlet (1796-1878) Sorti <strong>de</strong> polytechnique <strong>en</strong> 1815 et <strong>de</strong><br />

l'Ecole d'application du génie <strong>en</strong> 1817, il fut nommé successivem<strong>en</strong>t ingénieur à Strasbourg<br />

<strong>en</strong> 1818, à Metz comme ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> camp du Général Sabatier <strong>en</strong> 1819 et à nouveau à<br />

Strasbourg avec rang <strong>de</strong> capitaine <strong>en</strong> 1827. Il fut officier du génie successivem<strong>en</strong>t à


149<br />

signale régulièrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s interv<strong>en</strong>tions à m<strong>en</strong>er aux châteaux dans les <strong>en</strong>virons <strong>de</strong><br />

Saverne.<br />

rapport d'un membre.<br />

Avant <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r d'une interv<strong>en</strong>tion, un membre est <strong>en</strong>voyé sur place pour<br />

constater les travaux à réaliser. Ainsi, MM Levrault 1 et Ringeis<strong>en</strong> sont priés <strong>de</strong> se<br />

r<strong>en</strong>dre aux châteaux d'Ottrott, "pour faire un rapport sur la situation actuelle <strong>de</strong>s<br />

monum<strong>en</strong>ts. […]. Le Comité charge M. Ringeis<strong>en</strong> <strong>de</strong> se transporter sur les lieux et<br />

<strong>de</strong> faire un <strong>de</strong>vis <strong>de</strong>s dép<strong>en</strong>ses que nécessiterai<strong>en</strong>t les travaux <strong>de</strong> déblaiem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong><br />

support, pour r<strong>en</strong>dre quelque solidité à ces ruines <strong>historiques</strong>." 2 . Ensuite,<br />

l'architecte Ringeis<strong>en</strong> est très souv<strong>en</strong>t sollicité pour diagnostiquer les travaux à<br />

<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre; aux châteaux d'Ottrott et au Hohko<strong>en</strong>igsbourg <strong>en</strong> 1856, au<br />

Guirbad<strong>en</strong> <strong>en</strong> 1858, au St Ulrich et au Landsberg <strong>en</strong> 1859, au Birk<strong>en</strong>fels <strong>en</strong> 1860,<br />

au Dreistein et aux châteaux d'Eguisheim <strong>en</strong> 1861, <strong>en</strong> 1864, à nouveau aux<br />

châteaux d'Ottrott, … jusqu'à ce qu'il se retire quelques temps avant sa mort <strong>en</strong><br />

1889. L'architecte Salomon est alors plus sollicité. Dans les localités très exc<strong>en</strong>trées<br />

d'autres membres sont mandatés pour inspecter les châteaux. Ainsi, M. Quiquerez<br />

est chargé <strong>de</strong>s châteaux du Sundgau, ou <strong>en</strong>core M. Morin qui visite le Ni<strong>de</strong>ck <strong>en</strong><br />

1858. L'architecte Fürst travaille souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> collaboration avec le colonel Morlet<br />

dans les <strong>en</strong>virons <strong>de</strong> Saverne. 3<br />

Souv<strong>en</strong>t, un mémoire est réalisé dans la pério<strong>de</strong> où <strong>de</strong>s travaux sont <strong>en</strong>trepris sur<br />

le château. Par exemple, le château <strong>de</strong> Hohko<strong>en</strong>igsbourg dont nous avons déjà<br />

parlé, ou les châteaux d'Ottrott, auxquels sont consacrés un mémoire dans le<br />

premier volume. Ce principe perdure, puisqu'<strong>en</strong> 1878, un mémoire sur le<br />

Fleck<strong>en</strong>stein est rédigé par l'abbé Gyss 4 , alors que la SCMHA <strong>en</strong>courage<br />

financièrem<strong>en</strong>t les travaux qui y ont lieu.<br />

Hagu<strong>en</strong>au et Strasbourg. Le colonel fut mis à la retraite <strong>en</strong> 1856. Passionné d'archéologie, il<br />

fut membre <strong>de</strong> la SCMHA, NDBA, Alphonse Halter, page 2714.<br />

1 Louis Levrault, (1803-1876), percepteur <strong>de</strong>s contributions directes à Obernai.<br />

Correspondant du Ministère <strong>de</strong> l'Instruction publique et membre <strong>de</strong> la SCMHA, il<br />

s'intéressa à l'histoire d'<strong>Alsace</strong> et publia <strong>de</strong> nombreux articles et ouvrages. A participé à la<br />

rédaction <strong>de</strong>s comm<strong>en</strong>taires du Musée pittoresque et historique <strong>de</strong> l'<strong>Alsace</strong> <strong>de</strong> Rothmuller <strong>en</strong><br />

1863. NDBA, Odile Zeller, page 2329.<br />

2 BSCMHA, 1 er volume, 1 ère série, séance du 5 mai 1856<br />

3 BSCMHA, 4 ème volume, 1 ère série, 03/06/1861<br />

4 Abbé Gyss (1815-1895), aumônier, archiviste, histori<strong>en</strong>. Ordonné <strong>en</strong> 1841, il fut vicaire à<br />

Epfig, Mutzig et Hagu<strong>en</strong>au. Il du r<strong>en</strong>oncer à ses activités pastorales pour <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> santé<br />

et se retira à Obernai où il <strong>de</strong>vint aumônier du collège <strong>en</strong> 1851. Il consacra ses loisirs à<br />

l'étu<strong>de</strong> du passé <strong>de</strong> sa ville natale: Obernai, et <strong>en</strong>treprit le classem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s archives. Il rédigea<br />

<strong>en</strong> <strong>de</strong>ux volumes l'Histoire <strong>de</strong> la ville d'Obernai, parue <strong>en</strong> 1866. Il fut l'un <strong>de</strong>s premiers<br />

collaborateurs <strong>de</strong> la Revue catholique d'<strong>Alsace</strong>. Admis sur recommandation <strong>de</strong> Louis Levrault<br />

comme membre <strong>de</strong> la SCMHA <strong>en</strong> 1861, il fit paraître <strong>de</strong> nombreuses étu<strong>de</strong>s dans les<br />

BSCMHA à partir <strong>de</strong> 1862 jusqu'à sa mort. NDBA, Luci<strong>en</strong> Maurer, pages 1344-1345.


150<br />

proposition <strong>en</strong> commission<br />

Lors <strong>de</strong> l'une <strong>de</strong>s séances suivantes, l'architecte expose son rapport et le comité<br />

déci<strong>de</strong> si les travaux nécessaires peuv<strong>en</strong>t être <strong>en</strong>trepris. Dans certains cas, la décision<br />

est reportée à la séance suivante, ou après négociations avec le propriétaire. Ainsi,<br />

concernant, les châteaux d'Ottrott, <strong>en</strong> 1856: "Le comité <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d avec intérêt ce<br />

rapport, et autorise son présid<strong>en</strong>t à s'aboucher avec les propriétaires <strong>de</strong> ces châteaux,<br />

et à faire avec leur concours les travaux indiqués par M. Ringeis<strong>en</strong>"<br />

vote d'une subv<strong>en</strong>tion avec quelqu'un chargé <strong>de</strong> la surveillance.<br />

Une fois la subv<strong>en</strong>tion accordée, avec la participation <strong>de</strong>s propriétaires, la<br />

SCMHA se charge du contrôle <strong>de</strong>s travaux; <strong>en</strong> aucun cas, la société accor<strong>de</strong> une<br />

subv<strong>en</strong>tion sans surveiller l'élaboration <strong>de</strong>s travaux. Elle nomme pour cela un<br />

membre. Souv<strong>en</strong>t, il s'agit, surtout au début <strong>de</strong> la société, <strong>de</strong> l'architecte Ringeis<strong>en</strong><br />

qui chaque année, lors <strong>de</strong> la séance générale, expose un rapport sur l'<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s<br />

travaux <strong>de</strong> conservation effectués par -ou avec le concours <strong>de</strong>-la société. D'autres<br />

membres peuv<strong>en</strong>t être am<strong>en</strong>és à superviser <strong>de</strong>s travaux, lorsqu'ils habit<strong>en</strong>t à<br />

proximité du château, ou lorsqu'ils ont eux-mêmes sollicité l'interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la<br />

SCMHA afin <strong>de</strong> décharger Ringeis<strong>en</strong> qui supervise l'<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s travaux. Ainsi,<br />

M. Fürst l'architecte <strong>de</strong> l'arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Saverne, <strong>en</strong> 1861, dirige les travaux au<br />

Greiff<strong>en</strong>stein.<br />

<strong>Les</strong> différ<strong>en</strong>ts travaux réalisés par la SCMHA sur les châteaux forts.<br />

De nombreux châteaux <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> l'<strong>Alsace</strong> ont bénéficié <strong>de</strong> travaux <strong>de</strong><br />

conservation m<strong>en</strong>és par la SCMHA. Il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> préciser, que le choix d'une<br />

interv<strong>en</strong>tion ne repose pas sur la prés<strong>en</strong>ce du monum<strong>en</strong>t sur la liste <strong>de</strong>s Monum<strong>en</strong>ts<br />

Historiques. En effet, le premier château sur lequel la société soit interv<strong>en</strong>ue a été le<br />

Hohko<strong>en</strong>igsbourg, classé seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1862. De même, les châteaux <strong>de</strong> Guirbad<strong>en</strong>,<br />

Andlau, Landsberg, qui ont bénéficié <strong>de</strong> travaux <strong>en</strong> 1859, ne sont pas classés.<br />

Une liste <strong>de</strong>s travaux effectués sur les châteaux par la société a pu être établie par<br />

le dépouillem<strong>en</strong>t conjoint <strong>de</strong>s BSCMHA et <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong> la série T aux ADHR,<br />

ainsi que <strong>de</strong> la côte TP1 aux ADBR. Il serait néanmoins intéressant <strong>de</strong> consulter<br />

directem<strong>en</strong>t les archives <strong>de</strong> la SCMHA conservées au Palais Rohan, mais<br />

difficilem<strong>en</strong>t accessibles.<br />

Château travaux Financeme<br />

nt SCMHA<br />

Type <strong>de</strong> travaux Surveillance<br />

Andlau 1859 200 F Porte d'<strong>en</strong>trée extérieure Girold,<br />

brigadier<br />

forestier à Barr<br />

Arnsberg<br />

1860 Travaux reportés<br />

Bernstein 1858 Réparations faites par le


151<br />

propriétaire: Félix <strong>de</strong> Dartein.<br />

Encouragem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la société.<br />

Bilstein<br />

Bilstein (Urbeis)<br />

Birk<strong>en</strong>fels 1861 La commune d'Obernai, <strong>en</strong> Obernai<br />

tant que propriétaire,<br />

consoli<strong>de</strong> la ruine <strong>en</strong><br />

particulier une porte qui<br />

m<strong>en</strong>ace <strong>de</strong> s'écrouler.<br />

Encouragem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la société.<br />

1869 Travaux <strong>de</strong> consolidation.<br />

Mise à jour <strong>de</strong>s premiers<br />

<strong>de</strong>grés d'un escalier m<strong>en</strong>ant à<br />

la cave.<br />

Dreistein 1861 Dreistein<br />

rapport<br />

évoqué par un<br />

Eguisheim 1861 Travaux remis Ortlieb<br />

1862 Travaux remis Ortlieb<br />

1863 1200F. Boucher une brèche sous<br />

cheminée romane, réparer et<br />

consoli<strong>de</strong>r une f<strong>en</strong>être<br />

géminée. Arrêter la ruine du<br />

mur Est <strong>de</strong> la troisième tour<br />

par un grand contre fort,<br />

déblai <strong>de</strong> la 2 ème et 1 ère Ortlieb<br />

1864<br />

tour.<br />

Dégager les abords<br />

Travaux reportés Ortlieb<br />

Engelsbourg 1862 300F. Consolidation. Déblai du puit Merckl<strong>en</strong>,<br />

secrétaire <strong>de</strong><br />

Mairie<br />

Ingold<br />

et<br />

Eschery<br />

Ferrette<br />

Fleck<strong>en</strong>stein 1864 Chemins d'accès mis <strong>en</strong> place<br />

1865 300F. Travaux <strong>de</strong> déblai et <strong>de</strong><br />

terrassem<strong>en</strong>t pour faciliter les<br />

abords du rocher principal<br />

Roehrig,<br />

architecte<br />

d'arrondisseme<br />

nt<br />

1869 5F. Petites réparations à l'escalier Morin<br />

Frank<strong>en</strong>bourg<br />

Freundstein<br />

Fro<strong>en</strong>sbourg<br />

1863 200F. Travaux <strong>de</strong> déblai reportés à Coste<br />

l'année suivante<br />

Géroldseck Petit 1861 Dégagem<strong>en</strong>t pour permettre Ag<strong>en</strong>t forestier<br />

<strong>de</strong>s recherches archéologiques<br />

1862 150F. Déblai<br />

Géroldseck Grand 1861 Dégagem<strong>en</strong>t pour permettre Ag<strong>en</strong>t forestier


152<br />

<strong>de</strong>s recherches archéologiques<br />

1862 150F. Déblai<br />

Greif<strong>en</strong>stein 1860 Dégagem<strong>en</strong>t par<br />

l'administration forestière.<br />

1861 400F. Déblai <strong>de</strong> la porte d'<strong>en</strong>trée,<br />

maçonneries à la tour et au<br />

mur d'<strong>en</strong>ceinte<br />

Guirbad<strong>en</strong> 1858 300 à 400F. mis à disposition<br />

par le propriétaire, M.<br />

Wang<strong>en</strong>.<br />

Consolidation <strong>de</strong> 2 angles du<br />

donjon ouest par reprise <strong>en</strong><br />

sous-œuvre <strong>de</strong> la maçonnerie.<br />

Réparation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux brèches<br />

dans le parem<strong>en</strong>t intérieur <strong>de</strong><br />

muraille d'<strong>en</strong>ceinte contre le<br />

donjon ouest.<br />

Rétablissem<strong>en</strong>t d'une arca<strong>de</strong><br />

ogivale d'<strong>en</strong>trée tombée<br />

portant les écussons qui<br />

paraissai<strong>en</strong>t être ceux <strong>de</strong><br />

Strasbourg et <strong>de</strong> l'évêque<br />

Berthold <strong>de</strong> Bucheck.<br />

Reconstruction d'une baie<br />

circulaire dans le mur<br />

d'<strong>en</strong>ceinte sud du donjon.<br />

D'autres travaux sont prévus,<br />

notamm<strong>en</strong>t au donjon Est.<br />

1859 Travaux reportés d'un an.<br />

1860 Travaux <strong>en</strong>core reportés d'un<br />

an<br />

Hagelschloss<br />

Hagu<strong>en</strong>eck 1864 Consolidation évoquées mais<br />

non exécutées<br />

Morlet Fürst<br />

Ringeis<strong>en</strong><br />

Ringeis<strong>en</strong><br />

Ringeis<strong>en</strong> et<br />

Schelbaum<br />

Haut Barr 1863 Travaux à la chapelle reportés Fürst<br />

Haut<br />

1856 520F. Consolidation, reprises <strong>de</strong> Ringeis<strong>en</strong> et<br />

Ko<strong>en</strong>igsbourg<br />

brèches, déblai<br />

Favier<br />

1857 810F. Consolidation, raccor<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> voûtes, déblai et<br />

nivellem<strong>en</strong>t<br />

1858 1020F.<br />

1859 500F. Consolidation du mur<br />

intérieur au premier étage, <strong>de</strong><br />

la cage d'escalier nord-est.<br />

Déblai <strong>de</strong>s terrasses<br />

1860 600F. Consolidations <strong>de</strong> voûtes.<br />

Rétablissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> murs<br />

Ringeis<strong>en</strong> et<br />

Favier<br />

Ringeis<strong>en</strong> et<br />

Favier<br />

1861 700F. Consolidation du bâtim<strong>en</strong>t Ringeis<strong>en</strong> et


153<br />

Nord. Escalier dans la tour<br />

ron<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'angle Sud Ouest <strong>de</strong><br />

la cour<br />

Dégagem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> s<strong>en</strong>tiers par le<br />

forestier et ses <strong>en</strong>fants<br />

1862 400F. Travaux à l'escalier ont<br />

continué<br />

1863 100F. Travaux à la porte<br />

1864 300F. Consolidation <strong>de</strong> la voûte d la<br />

gran<strong>de</strong> salle au premier étage.<br />

Favier<br />

Faviers et<br />

Ringeis<strong>en</strong><br />

1866 109,20F.<br />

1867 37,70 Travaux <strong>de</strong> serrurerie à la<br />

grosse porte<br />

Haut Landsbourg 1863 Déblais par le propriétaire Schoelbaum,<br />

ingénieur à<br />

1864 500F. Débroussaillage au frais <strong>de</strong>s<br />

propriétaires: Mannheimer et<br />

Dreyfus.<br />

Déblai aux frais <strong>de</strong> la société<br />

1865 1000F. Déblai et consolidation <strong>de</strong>s<br />

échauguettes et à la porte<br />

d'<strong>en</strong>trée Est. Mise à jour <strong>de</strong><br />

quelques<br />

architecturaux.<br />

élém<strong>en</strong>ts<br />

Hoh<strong>en</strong>bourg<br />

Hoh<strong>en</strong>fels<br />

Hoh<strong>en</strong>stein<br />

Hohnack 1869 La société reçoit <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s<br />

héritiers <strong>de</strong> M. Golbéry 5/18<br />

<strong>de</strong>s ruines<br />

Hugstein 1860 Travaux les plus urg<strong>en</strong>ts pris<br />

<strong>en</strong> charge par <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong><br />

la société.<br />

1862 Travaux d'étayage pris <strong>en</strong><br />

charge par M. Schlumberger-<br />

Hartmann. Consolidation <strong>de</strong><br />

la porte d'<strong>en</strong>trée.<br />

Jud<strong>en</strong>bourg<br />

Kag<strong>en</strong>fels<br />

Kaysersberg 1866 Mise <strong>en</strong> place d'un chemin<br />

d'accès<br />

1866 500F. Déblai <strong>de</strong> l'anci<strong>en</strong>ne poterne<br />

et <strong>de</strong> l'intérieur du château<br />

pour mettre à jour le plan<br />

primitif.<br />

1869 Mise <strong>en</strong> place d'une clôture<br />

autour du château financée <strong>en</strong><br />

Colmar<br />

Schoelbaum<br />

Administration<br />

forestière et M.<br />

Schlumberger<br />

Ringeis<strong>en</strong><br />

Hartmann


154<br />

partie par la mairie <strong>de</strong><br />

Kaysersberg et par la SCMHA<br />

sur le reste <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t qui<br />

avait été attribué pour le<br />

déblai <strong>de</strong> la poterne<br />

Kintzheim<br />

Landsberg 1859 300F. Réparations d'une brèche à la<br />

faça<strong>de</strong> Est<br />

1860 200F. Déblais et raccords,<br />

sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />

arca<strong>de</strong>s romanes au Sud<br />

1861 200F.<br />

1862 300F. Pose d'échafaudages par<br />

Turckheim, concours <strong>de</strong> la<br />

SCMHA<br />

1864 300F. Concours aux travaux<br />

<strong>en</strong>trepris par le propriétaire: la<br />

famille <strong>de</strong> Turckheim, qui a<br />

posé <strong>de</strong>s échafaudages pour<br />

<strong>en</strong>lever les parties supérieures<br />

dangereuses. Reconstruction<br />

comm<strong>en</strong>cée.<br />

1869 500F. Conservation sur 3 annuités.<br />

Premiers travaux consacrés au<br />

donjon. Démolir les<br />

parem<strong>en</strong>ts puis reconstruire<br />

Landskron<br />

Licht<strong>en</strong>berg<br />

Loew<strong>en</strong>stein<br />

Lützelbourg 1864 Signalem<strong>en</strong>t d'une crevasse au<br />

mur Ouest par M. Dartein.<br />

Ringeis<strong>en</strong>, après visite conclut<br />

que ce n'est pas grave<br />

Lützelhardt<br />

Morimont 1865 1300F. Déblai <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>trée, mise à jour<br />

<strong>de</strong> trois portes voûtées. 300F.<br />

promis par le propriétaire<br />

Meyer<br />

Gar<strong>de</strong> du Baron<br />

<strong>de</strong> Turckheim.<br />

Ringeis<strong>en</strong><br />

M. Turckheim<br />

Famille<br />

Turckheim<br />

Ringeis<strong>en</strong><br />

Quiquerez<br />

Ni<strong>de</strong>ck 1859 200F. Jolivet, gar<strong>de</strong><br />

général <strong>de</strong>s<br />

forêts à<br />

Nie<strong>de</strong>rhaslach<br />

Ochs<strong>en</strong>stein<br />

Oed<strong>en</strong>bourg 1863 200F. Déblai <strong>de</strong> décombres<br />

Ortembourg 1865 200F. Boucher un souterrain creusé Favier<br />

par <strong>de</strong>s chercheurs <strong>de</strong> trésors.<br />

Fermeture d'une brèche.<br />

Réparation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

effondrem<strong>en</strong>ts. Ai<strong>de</strong>


155<br />

financière <strong>de</strong> la société au<br />

Baron Favier.<br />

Petite Pierre<br />

Pflixbourg 1863 200F. Coupe d'arbres et arbustes Schoelbaum<br />

1863 M. Manhardt, le propriétaire<br />

a fait défricher la ruine<br />

1864 1000F. Coupes et déblais.<br />

Reconstruction <strong>de</strong> la porte<br />

d'<strong>en</strong>trée<br />

Ramstein 1864 200F. Travaux <strong>en</strong>trepris par M.<br />

Favier, propriétaire. Ai<strong>de</strong><br />

financière <strong>de</strong> la société pour<br />

dégager les détails<br />

Rathsamhaus<strong>en</strong> 67,25F.<br />

architecturaux.<br />

Consolidation, reprise <strong>de</strong><br />

brèches<br />

1868 Etablissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>de</strong>vis qui n'a<br />

pas abouti<br />

Reich<strong>en</strong>stein<br />

Ribeauvillé 1859 500F. Déblais, chemins établis par la<br />

municipalité pour une somme<br />

<strong>de</strong> 500F.<br />

Dégagem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s parties du<br />

château<br />

1860 500F. Déblais. Remplacem<strong>en</strong>t d'un<br />

mur<br />

d'accès<br />

effondré. Création<br />

1861 Travaux remis à l'année<br />

suivante<br />

1862 570F. Déblais qui ont permis <strong>de</strong><br />

mettre à jour les<br />

communications<br />

parties du château<br />

<strong>en</strong>tre les<br />

Ringelsbourg<br />

La Roche<br />

Salm<br />

Scho<strong>en</strong>eck<br />

Spesbourg<br />

Wang<strong>en</strong>bourg<br />

Was<strong>en</strong>bourg<br />

Was<strong>en</strong>stein 1865 30F. Construction <strong>de</strong> rampes<br />

douces, s<strong>en</strong>tiers ont été tracés<br />

Wasig<strong>en</strong>stein<br />

Wild<strong>en</strong>stein<br />

Windstein<br />

(nouveau)<br />

Windstein (vieux)<br />

Wineck 1864 Ruine cédée à titre gratuit à la<br />

Schoelbaum<br />

Favier<br />

Ringeis<strong>en</strong><br />

Ros<strong>en</strong>stiel,<br />

architecte à<br />

Ribeauvillé<br />

Ros<strong>en</strong>stiel<br />

Ros<strong>en</strong>stiel<br />

Ros<strong>en</strong>stiel<br />

Administration<br />

forestière


156<br />

(Katz<strong>en</strong>thal) société par Isaac Bickart, alors<br />

que <strong>de</strong>s fouilles sauvages<br />

avai<strong>en</strong>t été signalées.<br />

1866 200F. Concession du chemin d'accès<br />

a été obt<strong>en</strong>ue. Réparations<br />

On remarquera que la plupart <strong>de</strong>s travaux réalisés consist<strong>en</strong>t <strong>en</strong> déblais ou<br />

débroussaillages, hormis quelques châteaux « favorisés » <strong>de</strong> la Société. Il arrive que<br />

ces châteaux privilégiés où <strong>de</strong>s travaux plus conséqu<strong>en</strong>ts ont eu lieu soi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

propriétés <strong>de</strong> membres <strong>de</strong> la SCMHA comme le Landsberg (qui apparti<strong>en</strong>t à<br />

Rodolphe <strong>de</strong> Turckheim), qui doit cep<strong>en</strong>dant cons<strong>en</strong>tir aux débours les plus<br />

importants.<br />

Le Saint-Ulrich à Ribeauvillé bénéficie <strong>de</strong> travaux, pour témoigner <strong>de</strong> la bonne<br />

volonté <strong>de</strong> la société à faire <strong>de</strong>s travaux dans le Haut Rhin aussi ; mais ceux prévus à<br />

Eguisheim n'aboutissant pas. Lors <strong>de</strong> la séance générale du 19 juin 1858, cette<br />

int<strong>en</strong>tion est clairem<strong>en</strong>t exprimée dans le rapport sur les travaux <strong>de</strong> consolidation<br />

exécutés dans le courant <strong>de</strong> l'année dans les châteaux <strong>de</strong>s Vosges:<br />

"Votre bureau aurait désiré voir comm<strong>en</strong>cer <strong>de</strong>puis longtemps <strong>de</strong>s travaux dans le Haut<br />

Rhin; les châteaux <strong>de</strong> Ribeauvillé avai<strong>en</strong>t été même signalés par votre honorable présid<strong>en</strong>t.<br />

Vous compr<strong>en</strong>drez, Messieurs, la susceptibilité qui nous a <strong>en</strong>gagé à ne pas dépasser notre<br />

arrondissem<strong>en</strong>t et à att<strong>en</strong>dre le concours <strong>de</strong> nos honorables collègues du Haut Rhin. Quoi<br />

qu'il <strong>en</strong> soit, une somme <strong>de</strong> 500fr a été votée à cet effet et sera appliquée cette année à <strong>de</strong>s<br />

travaux dans le Haut-Rhin".<br />

Tous les châteaux alsaci<strong>en</strong>s ne bénéfici<strong>en</strong>t pas du souti<strong>en</strong> <strong>de</strong> la SCMHA, nous<br />

voyons cela par les nombreuses cases vi<strong>de</strong>s du tableau. <strong>Les</strong> châteaux <strong>de</strong>s Vosges du<br />

Nord sont particulièrem<strong>en</strong>t délaissés (Arnsberg, Loew<strong>en</strong>stein, Was<strong>en</strong>bourg,<br />

Windstein…). Dans le Haut Rhin, la Société s'attache plus particulièrem<strong>en</strong>t aux<br />

châteaux classés Monum<strong>en</strong>ts Historiques (Ribeauvillé, Hohlandsbourg, Eguisheim,<br />

Morimont, Kaysersberg), puisque ces châteaux forts figur<strong>en</strong>t dans la liste hautrhinoise.<br />

Elle y intervi<strong>en</strong>t aussi sur les châteaux <strong>de</strong> l'Engelsbourg et du Pflixbourg,<br />

où <strong>de</strong>s travaux sont <strong>en</strong>gagés <strong>en</strong> même temps qu'au Hohlandsbourg. Cette<br />

campagne <strong>de</strong> travaux a sans doute eu lieu grâce à la proximité géographique du<br />

Hohlandsbourg. La société s’est aussi intéressée au Hugstein, mais n'a <strong>en</strong>gagé<br />

aucun financem<strong>en</strong>t. En effet, cet intérêt a été suscité par la généreuse interv<strong>en</strong>tion<br />

<strong>de</strong> l'industriel M. Schlumberger-Hartmann.<br />

Au contraire, dans le Bas-Rhin, mis à par le Haut Ko<strong>en</strong>igsbourg classé <strong>en</strong> 1837<br />

déjà (sur la liste haut-rhinoise d’abord), aucun château n'est classé. La société<br />

<strong>en</strong>gage donc <strong>de</strong>s travaux sur <strong>de</strong>s châteaux ne figurant pas sur la liste établie. Le<br />

choix est souv<strong>en</strong>t dicté par une collaboration avec le propriétaire proche d'un <strong>de</strong>s<br />

membres <strong>de</strong> la société, ou <strong>en</strong>core à la suite d’une information donnée par un <strong>de</strong>s<br />

membres ayant un p<strong>en</strong>chant particulier pour le château. Par exemple, la société<br />

intervi<strong>en</strong>t dès les premières années massivem<strong>en</strong>t sur le Hohko<strong>en</strong>igsbourg, château


157<br />

très apprécié par le présid<strong>en</strong>t Louis Spach lui même, par Ringeis<strong>en</strong> (<strong>de</strong> Sélestat) et<br />

le Baron Favier (<strong>de</strong> Ki<strong>en</strong>tzheim) 1 . Par ailleurs, la société ai<strong>de</strong> financièrem<strong>en</strong>t le<br />

Baron Favier lorsqu'il intervi<strong>en</strong>t sur les châteaux d'Ort<strong>en</strong>bourg et <strong>de</strong> Ramstein; les<br />

interv<strong>en</strong>tions aux châteaux <strong>de</strong> Lützelbourg et Rathsamhaus<strong>en</strong> sont sollicitées<br />

directem<strong>en</strong>t par le préfet la première année 2 ; ou <strong>en</strong>core la surpr<strong>en</strong>ante interv<strong>en</strong>tion<br />

au château non classé <strong>de</strong> l'Engelsboourg, sur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> M. Merkl<strong>en</strong>, membre du<br />

canton <strong>de</strong> Thann.<br />

L'impasse faite sur les châteaux <strong>de</strong>s Vosges du Nord peut dans ce s<strong>en</strong>s être<br />

expliquée par le très faible nombre <strong>de</strong> membres issus <strong>de</strong> l'arrondissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

Wissembourg. 3 Et ils ne font pas partie <strong>de</strong>s membres les plus actifs <strong>de</strong> la société qui<br />

fourniss<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s mémoires ou se déplac<strong>en</strong>t aux monum<strong>en</strong>ts pour évaluer les travaux<br />

qui serai<strong>en</strong>t nécessaires.<br />

L'arrêt <strong>de</strong>s interv<strong>en</strong>tions sur le château du Haut Ko<strong>en</strong>igsbourg se fait à partir <strong>de</strong><br />

1864, date à laquelle le château est passé aux mains <strong>de</strong> la commune <strong>de</strong> Sélestat. La<br />

SCMHA p<strong>en</strong>se pouvoir alors avoir recours à la ville <strong>de</strong> Sélestat pour <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir<br />

régulièrem<strong>en</strong>t le château, ce qui s'avéra vain.<br />

<strong>Les</strong> travaux faits sans l'interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la SCMHA<br />

La SCMHA, très prés<strong>en</strong>te dès sa création <strong>en</strong> 1855, n'a, malgré tout pas pu<br />

s'immiscer dans tous les châteaux. Des travaux ont été réalisés sans son ai<strong>de</strong><br />

financière et sans doute même sans son approbation. <strong>Les</strong> membres signal<strong>en</strong>t<br />

cep<strong>en</strong>dant les interv<strong>en</strong>tions dont ils ont été informés. Cela figure <strong>en</strong>suite dans le<br />

bulletin. Il convi<strong>en</strong>t pourtant <strong>de</strong> noter que d'autres châteaux, ont peut être<br />

bénéficié <strong>de</strong> travaux, sans que cela soit nécessairem<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>tionné dans les<br />

BSCMHA ou dans les archives publiques. Cela pourrait être le cas <strong>en</strong> particulier <strong>de</strong>s<br />

châteaux non classés Monum<strong>en</strong>ts Historiques, propriétés privées, où le propriétaire<br />

est libre <strong>de</strong> faire tous travaux sur son domaine.<br />

L'Ort<strong>en</strong>bourg, le Ramstein et le Baron Favier<br />

En 1857, lors d'une étu<strong>de</strong> architecturale comparative <strong>en</strong>tre le Bernstein et<br />

l'Ort<strong>en</strong>bourg, le bon état <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier est constaté par le comité:<br />

"Il ne subsiste aucune toiture, mais les murs sont <strong>en</strong> bon état et peuv<strong>en</strong>t ainsi résister<br />

p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s siècles (…).Ce château, si bi<strong>en</strong> conservé par les soins <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Favier, ne paraît<br />

exiger aucuns travaux <strong>de</strong> consolidation ; peut-être même, sous le rapport pittoresque, les<br />

1<br />

Ou Mathieu-Favier (NDBA) qui s’écrit aussi Mathieu <strong>de</strong> Fabviers, orthographe adoptée<br />

par Lehr, <strong>Alsace</strong> noble. 1868.<br />

2 er ère<br />

BSCMHA, 1 volume, 1 série, séance du 5 mai 1856<br />

3 ème ère<br />

BSCMHA, 3 volume, 1 série, liste <strong>de</strong>s membres par départem<strong>en</strong>ts, arrondissem<strong>en</strong>ts et<br />

cantons.


158<br />

contours sont-ils un peu ari<strong>de</strong>s, et quelques traces <strong>de</strong> végétation <strong>en</strong> augm<strong>en</strong>terai<strong>en</strong>t l’effet<br />

artistique." 1<br />

Son propriétaire, le Baron Favier, semble <strong>en</strong> effet l'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir régulièrem<strong>en</strong>t, et<br />

lorsque <strong>de</strong>s travaux plus importants sont nécessaires, n'hésite pas à les faire<br />

effectuer. Ainsi, <strong>en</strong> 1864, alors qu'un souterrain a été creusé par <strong>de</strong>s chasseurs <strong>de</strong><br />

trésors au pied <strong>de</strong> la tour p<strong>en</strong>tagonale et que cette ouverture m<strong>en</strong>açait la solidité du<br />

bâtim<strong>en</strong>t, le Baron Favier <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d <strong>de</strong> lui même <strong>de</strong> faire boucher cette ouverture.<br />

Par la même occasion, une brèche apparue suite à l'effondrem<strong>en</strong>t d'une barbacane<br />

est fermée aussi dans le but <strong>de</strong> stopper un effondrem<strong>en</strong>t naissant. 2<br />

Au Ramstein, autre propriété du Baron Favier, un chemin d'accès a été<br />

aménagé, et la ruine a été déblayée <strong>de</strong> façon à pouvoir étudier la distribution<br />

intérieure. 3 Pour ces travaux, la société a voté un <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t financier <strong>de</strong> 200F.<br />

pour chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux travaux.<br />

Le Bernstein et Félix <strong>de</strong> Dartein 4<br />

En 1857, le Bernstein est propriété <strong>de</strong> Félix <strong>de</strong> Dartein, membre <strong>de</strong> la SCMHA.<br />

Celle-ci exprime sa satisfaction au vu <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong>s ruines:<br />

"Il n’existe aucun vestige <strong>de</strong>s couvertures anci<strong>en</strong>nes ; mais les murs sont <strong>en</strong> parfaits état, et<br />

on doit se borner à témoigner au propriétaire <strong>de</strong> ce manoir le plaisir <strong>de</strong> le voir si bi<strong>en</strong><br />

conservé" 5<br />

Félix <strong>de</strong> Dartein, s<strong>en</strong>sibilisé à la question <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s ruines fait <strong>en</strong>suite<br />

effectuer <strong>de</strong>s réparations <strong>en</strong> 1858. Elles consist<strong>en</strong>t à rétablir le couronnem<strong>en</strong>t<br />

crénelé <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> ori<strong>en</strong>tale <strong>de</strong> la tour principale <strong>en</strong> lui r<strong>en</strong>dant sa hauteur<br />

primitive et <strong>en</strong> conservant scrupuleusem<strong>en</strong>t ses formes. Par ailleurs, les autres<br />

parties <strong>de</strong> la tour p<strong>en</strong>tagonale ont été consolidées.<br />

Birk<strong>en</strong>fels par la commune d'Obernai<br />

La commune d'Obernai, propriétaire du Birk<strong>en</strong>fels a été sollicité par la<br />

SCMHA afin <strong>de</strong> m<strong>en</strong>er <strong>de</strong>s travaux sur sa ruine. Ainsi, dès la séance du 6 août<br />

1860: " M. Schir 6 , qui a visité le château <strong>de</strong> Birk<strong>en</strong>fels, dont les ruines gis<strong>en</strong>t dans<br />

la forêt communale d'Obernai, signale quelques réparations à faire pour assurer la<br />

conservation <strong>de</strong> ces vieux murs. M. l'architecte Ringeis<strong>en</strong>, consulté par le présid<strong>en</strong>t,<br />

s'<strong>en</strong>gage à visiter le château. Il ne doute pas qu'à l'appel du Comité, la commune<br />

1 BSCMHA, 2 ème volume, 1 ère série, séance du 03/08/1857<br />

2 BSCMHA, 3 ème volume, 2 ème série, séance du 01/12/1864<br />

3 BSCMHA, 3 ème volume, 2 ème série, séance du 01/12/1864<br />

4 Alors maire d’Ottrott<br />

5 BSCMHA, 2 ème volume, 1 ère série, séance du 03/08/1857<br />

6 restaurateur du pèlerinage <strong>de</strong> Sainte-Odile, non loin.


159<br />

d'Obernai ne s'empresse <strong>de</strong> consoli<strong>de</strong>r ces murailles". En effet, la commune accepte<br />

d'interv<strong>en</strong>ir sur les ruines, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> consolidant une porte. 1<br />

En 1869, la commune, s<strong>en</strong>sibilisée à la question <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong> ses ruines, fait<br />

effectuer d'elle même <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> consolidation. 2<br />

« Ces travaux, faits avec beaucoup <strong>de</strong> soin, ont mis à découvert les premiers <strong>de</strong>grés<br />

d’un escalier qui <strong>de</strong>vait conduire à quelque cave ou souterrain. <strong>Les</strong> déblais ont permis <strong>de</strong><br />

pénétrer sans le secours d’échelle dans la tour qui ferme au sud est ce réduit élevé du 13è<br />

au 14è s. et remanié à la fin du MA. Cette tour, qui n’a aucune baie ni ouverture, a<br />

un cabinet ménagé dans l’épaisseur du mur et qui, d’après M. Levrault, ne peut avoir sa<br />

raison d’être que parce que la tour servait <strong>de</strong> prison. »3<br />

Conclusion<br />

Ainsi les ruines <strong>de</strong> châteaux forts figur<strong>en</strong>t parmi les monum<strong>en</strong>ts dont se<br />

préoccupe la Société alsaci<strong>en</strong>ne qui a pris l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>ts sous sa<br />

protection. Elle comm<strong>en</strong>ce même à se plaindre <strong>de</strong> ce que le débroussaillem<strong>en</strong>t qui<br />

dégage les accès <strong>de</strong>s châteaux les ouvre à trop <strong>de</strong> visiteurs qui les dégrad<strong>en</strong>t. Même<br />

si l’afflu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s randonneurs vers les châteaux est attestée, il n’y a pas <strong>de</strong><br />

commune mesure avec la pério<strong>de</strong> qui suivra… Mais celle-ci succombera malgré<br />

toutes les protestations à la t<strong>en</strong>tation, au moins pour la plus grandiose <strong>de</strong>s ruines<br />

alsaci<strong>en</strong>nes, le Haut-Ko<strong>en</strong>igsbourg, et reconstruira le château. Effort qui témoigne<br />

d’une mutation profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la signification du monum<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> la représ<strong>en</strong>tation<br />

qu’il est c<strong>en</strong>sé <strong>de</strong>voir refléter.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : F. Igersheim<br />

1 BSCMHA, 08/04/1861, ' la commune d'Obernai s'offre d'exécuter les travaux <strong>de</strong><br />

consolidation car ils sont propriétaire <strong>de</strong> la ruine <strong>de</strong> Birk<strong>en</strong>fels. Il s'agit pour le mom<strong>en</strong>t<br />

empêcher l'écroulem<strong>en</strong>t d'une porte."<br />

2 BSCMHA, 15/11/1869, lettre <strong>de</strong> Louis Levrault, qui « informe le comité que <strong>de</strong>s travaux<br />

<strong>de</strong> consolidation vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d’être exécutés au château <strong>de</strong> Birk<strong>en</strong>fels »<br />

3 i<strong>de</strong>m


Dorothée BOUQUET<br />

Jeune <strong>Alsace</strong><br />

la politique <strong>de</strong> la jeunesse <strong>en</strong>tre mouvem<strong>en</strong>ts et administration<br />

Une partie <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong> la résistance alsaci<strong>en</strong>ne s’est recrutée dans les cadres <strong>de</strong>s<br />

mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunesse d’avant guerre, voire dans l’administration du secrétariat<br />

d’Etat à la Jeunesse <strong>de</strong> Vichy. Ils connaiss<strong>en</strong>t la politique <strong>de</strong> prise <strong>en</strong> charge et<br />

d’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t que le National socialisme a imposé à la jeunesse d’<strong>Alsace</strong> p<strong>en</strong>dant<br />

les 4 années <strong>de</strong> l’annexion <strong>de</strong> fait. Ils <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t lui substituer une toute autre<br />

politique, fondée sur <strong>de</strong>s principes fort différ<strong>en</strong>ts, mais qui <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d répondre aux<br />

besoins d’animation et d’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ces tranches d’âge. Leurs initiatives va<br />

converger avec la politique officielle <strong>de</strong> la jeunesse <strong>de</strong> la Ive république, qu’<strong>en</strong> fin <strong>de</strong><br />

compte elle applique sur le terrain : les structures et les hommes sont le plus souv<strong>en</strong>t<br />

les mêmes.<br />

La formulation <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> la jeunesse <strong>en</strong> France occupée<br />

I. La politique officielle<br />

C’est un bureau du Secrétariat général à la Jeunesse <strong>de</strong> Vichy, le Bureau <strong>de</strong>s<br />

Jeunes réfugiés, crée vers la fin <strong>de</strong> 1940, qui a pris <strong>en</strong> charge l’ai<strong>de</strong> aux jeunes<br />

Alsaci<strong>en</strong>s qui ne sont pas r<strong>en</strong>trés <strong>en</strong> août-septembre 1940, expulsés lors <strong>de</strong> la vague<br />

d’expulsion d’<strong>Alsace</strong> <strong>de</strong> décembre 1940 ou <strong>en</strong>core réfractaires et évadés. Il est animé<br />

par Pierre Stahl. Il est naturellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> contact avec les Alsaci<strong>en</strong>s et Lorrains <strong>de</strong><br />

cadres ou d’animateurs divers mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunes principalem<strong>en</strong>t issus du<br />

scoutisme, originaires d’<strong>Alsace</strong>.<br />

L’un <strong>de</strong>s composantes paraît particulièrem<strong>en</strong>t importante, c’est celle <strong>de</strong> la<br />

« Paroisse Universitaire », animée avant guerre par le directeur <strong>de</strong> l’Ecole Normale<br />

d’Obernai désormais repliée à Solignac, Coeur<strong>de</strong>vevey, et par le jeune professeur<br />

agrégé au Lycée Kléber, nommé au Lycée <strong>de</strong> Ro<strong>de</strong>z, Emile Baas. C’est au cours <strong>de</strong>s


162<br />

r<strong>en</strong>contres dite du Carrefour <strong>de</strong>s Tilleuls dans les <strong>en</strong>virons <strong>de</strong> Toulouse <strong>de</strong> 1941-<br />

1942, que Baas rédige le mémoire du Carrefour <strong>de</strong>s Tilleuls, qui se situe<br />

expressém<strong>en</strong>t dans la perspective d’une politique <strong>de</strong> la jeunesse à appliquer dès la<br />

Libération <strong>de</strong> l’<strong>Alsace</strong>. Ce mémoire va <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir une référ<strong>en</strong>ce constante pour la<br />

politique <strong>de</strong> la résistance alsaci<strong>en</strong>ne.<br />

II. La résistance alsaci<strong>en</strong>ne<br />

A partir <strong>de</strong> l’été 1942, un certain nombre <strong>de</strong> part<strong>en</strong>aires du bureau Stahl, ont<br />

décidé <strong>de</strong> s’<strong>en</strong>gager dans la résistance militaire. Cela se concrétise <strong>en</strong>tre autres par la<br />

création du Groupe Mobile d’<strong>Alsace</strong>, qui sera ultérieurem<strong>en</strong>t intégrée à la Briga<strong>de</strong><br />

<strong>Alsace</strong> Lorraine. Un certain nombre <strong>de</strong> cadres <strong>de</strong> ces mouvem<strong>en</strong>t parmi lesquels<br />

on trouve (Flor<strong>en</strong>t Holveck, Alexandre Jesel, Fred Maurer et Bernard Metz) ont<br />

élaboré <strong>en</strong> 1942, un mémorandum sur la politique <strong>de</strong> la jeunesse à appliquer dès la<br />

libération <strong>de</strong> l’<strong>Alsace</strong>.<br />

Notre av<strong>en</strong>ir à nous, Alsaci<strong>en</strong>s c’est ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t l’<strong>Alsace</strong> et la Lorraine, l’objet <strong>de</strong><br />

notre volonté t<strong>en</strong>due, <strong>de</strong> nos efforts, ce sont premièrem<strong>en</strong>t nos provinces, nos provinces<br />

françaises, c’est là notre travail, c’est cet aspect <strong>de</strong> la Révolution nationale qui nous<br />

concerne. Mais il s’agit bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> l’<strong>Alsace</strong> et <strong>de</strong> la Lorraine <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, celles d’hier ne nous<br />

reti<strong>en</strong>dront que dans la mesure <strong>de</strong>s leçons qu’elles nous auront laissée…..<br />

Parmi les taches qui se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t impérieusem<strong>en</strong>t à nous, il <strong>en</strong> est une qui nous<br />

apparaît comme première à la fois pour son importance et pour son urg<strong>en</strong>ce : il s’agit <strong>de</strong><br />

notre mission à l’égard <strong>de</strong> nos jeunes. Il s’agit <strong>de</strong> façon plus restreinte et plus précise <strong>de</strong><br />

nous préparer à apporter à nos jeunes compatriotes ce dont ils auront besoin après <strong>de</strong><br />

pareilles épreuves afin d’assurer <strong>en</strong> eux et par eux une <strong>Alsace</strong> et une Lorraine fières,<br />

heureuses françaises. Ce dont nous avons un besoin urg<strong>en</strong>t ce sont <strong>de</strong>s chefs qui auront<br />

été formés <strong>en</strong> vue <strong>de</strong> cette tache délicate. (…) L’<strong>Alsace</strong> et la Lorraine seront ce que ce que<br />

seront les jeunes générations, c’est à elles qu’apparti<strong>en</strong>t l’av<strong>en</strong>ir.<br />

Mais c’est à un autre titre <strong>en</strong>core que les jeunes ont droit à nos premières sollicitu<strong>de</strong>s :<br />

ils auront été les principales, les seules vraies victimes <strong>de</strong>s doctrinaires <strong>de</strong> la<br />

Weltanschauung raciste.<br />

Or ces cadres vont participer à la libération <strong>de</strong> l’<strong>Alsace</strong> et <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong><br />

déployer une politique <strong>de</strong> la jeunesse, d’après les principes qu’ils avai<strong>en</strong>t mis au<br />

point dès ce mom<strong>en</strong>t –là.<br />

La politique <strong>de</strong> la jeunesse du gouvernem<strong>en</strong>t provisoire<br />

Le gouvernem<strong>en</strong>t provisoire <strong>de</strong> la République française qui s’installe à Paris se<br />

retrouve <strong>de</strong>vant le triple héritage <strong>de</strong> la politique du Front populaire et <strong>de</strong> celle <strong>de</strong><br />

Vichy ainsi que <strong>de</strong> celles <strong>de</strong>s formulations du CNR et <strong>de</strong> ses composantes. Ministre<br />

<strong>de</strong> l’Education Nationale, R<strong>en</strong>é Capitant <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d <strong>en</strong> tirer les leçons ; il procè<strong>de</strong> à la<br />

création <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux directions, la Direction <strong>de</strong>s Mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education


163<br />

Populaire et la Direction <strong>de</strong>s Sports. L’option n’est pas neutre. (…) En vertu <strong>de</strong>s<br />

principes élaborés dans les maquis, et au CNR, elle fon<strong>de</strong>, l’interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> l’Etat sur le<br />

principe, désormais constitutionnel, <strong>de</strong> laïcité, sur la tolérance a priori, et la pratique du<br />

respect <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong>s opinions ”.<br />

Il confie la Direction <strong>de</strong> la Culture Populaire et <strong>de</strong>s Mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Jeunesse à<br />

Jean Gueh<strong>en</strong>no, Inspecteur Général nouvellem<strong>en</strong>t promu, représ<strong>en</strong>tatif <strong>de</strong> la<br />

culture du Front Populaire et à R<strong>en</strong>é Bas<strong>de</strong>vant, issu <strong>de</strong>s Eclaireurs <strong>de</strong> France, ayant<br />

la confiance <strong>de</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunesse. Outre les heurts <strong>en</strong>tre personnalités et<br />

<strong>en</strong>tre mouvem<strong>en</strong>ts, <strong>en</strong> particulier <strong>en</strong>tre la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignem<strong>en</strong>t et les autres<br />

mouvem<strong>en</strong>ts, la formule ne s’avère pas heureuse et dès 1948, la Direction <strong>de</strong> la<br />

Culture Populaire et <strong>de</strong>s Mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Jeunesse est fusionnée avec la Direction<br />

<strong>de</strong>s Sports, et pr<strong>en</strong>d le nom <strong>de</strong> Direction générale <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports chargée<br />

<strong>de</strong> toutes les questions relatives à l’éducation physique, aux sports, à l’éducation<br />

populaire, aux activités <strong>de</strong> plein air, aux colonies <strong>de</strong> vacances et à l’équipem<strong>en</strong>t du pays<br />

<strong>en</strong> installations sportives et d’éducation populaire. (…) . Mais la Direction Guéh<strong>en</strong>no<br />

a abouti à la création <strong>de</strong> mouvem<strong>en</strong>ts, structures et corps <strong>de</strong> personnel<br />

d’interv<strong>en</strong>tion dans le cadre <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> Jeunesse & Education Populaire : <strong>en</strong>tre<br />

autres les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes & <strong>de</strong> la Culture, les Foyers Ruraux, les CREP et les<br />

CREPS<br />

La prise <strong>en</strong> charge <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> la jeunesse <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong><br />

Dès le 21 décembre, le commissariat <strong>de</strong> la République a pris une première<br />

initiative dès le 21 décembre 1944 il institue l’agrém<strong>en</strong>t obligatoire que les<br />

mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunesse, ou tout autre institution d’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> jeunes doit<br />

obt<strong>en</strong>ir du préfet. C’est ainsi que la préfecture se voit confier <strong>en</strong> liaison avec le<br />

Recteur et l’Inspection d’académie <strong>de</strong>s compét<strong>en</strong>ces <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> politique <strong>de</strong> la<br />

jeunesse. Le personnage clé <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> la jeunesse à la préfecture est le chargé<br />

<strong>de</strong> mission <strong>de</strong>s affaires <strong>de</strong> culture, Flor<strong>en</strong>t Holveck. Le poste a son importance, car<br />

il assure la liaison <strong>en</strong>tre les élus locaux, qui s’adress<strong>en</strong>t normalem<strong>en</strong>t à la préfecture,<br />

et les inspecteurs <strong>de</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunesse. Car ce sont les élus locaux qui sont<br />

<strong>en</strong> première ligne pour l’ai<strong>de</strong> financière et matérielle aux mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunes,<br />

ainsi l’octroi <strong>de</strong> locaux et <strong>de</strong> terrains pour les mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunes, le<br />

financem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sorties et <strong>de</strong> colonies <strong>de</strong> vacances, <strong>de</strong> maisons <strong>de</strong> jeunes et <strong>de</strong> foyers<br />

ruraux…<br />

Mais la politique officielle est définie par une circulaire dont nous retrouvons<br />

une version sous la signature du préfet du Bas-Rhin : « Réagissant contre le système<br />

totalitaire <strong>de</strong> la ‘Jeunesse unique’, l’Etat <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d respecter la pluralité <strong>de</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />

Jeunesse (scoutisme, mouvem<strong>en</strong>ts catholiques, protestants, politiques, œuvres <strong>de</strong> colonies<br />

<strong>de</strong> vacances, etc.…) et <strong>de</strong>s associations d’éducation populaire (chorales, théâtres, folklore,<br />

bibliothèques populaires, cours d’adultes, etc...). Néanmoins un minimum <strong>de</strong><br />

coordination et <strong>de</strong> contrôle est nécessaire. A cet effet a été créée dans chaque départem<strong>en</strong>t


164<br />

une Inspection <strong>de</strong>s Mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education Populaire, <strong>de</strong>stinée à servir<br />

d’intermédiaire <strong>en</strong>tre les associations et les pouvoirs publics, et à favoriser leur action<br />

dans la mesure où elle est éducative ».<br />

Ces Inspecteurs relèv<strong>en</strong>t donc du service <strong>de</strong> l’Education nationale.<br />

Le professeur <strong>de</strong> droit Marcel Prélot pr<strong>en</strong>d à Strasbourg les fonctions <strong>de</strong><br />

Recteur d’Académie et directeur général <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t scolaire <strong>en</strong> décembre<br />

1944. Il a auprès <strong>de</strong> lui trois chargés <strong>de</strong> mission, MM. Baas et Ehm, tous <strong>de</strong>ux<br />

professeurs <strong>de</strong> philosophie. Ehm est un anci<strong>en</strong> présid<strong>en</strong>t national <strong>de</strong> l’ACJF.<br />

Mais ont été nommés égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>ux chargés <strong>de</strong> mission <strong>de</strong> la Direction <strong>de</strong>s<br />

Mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Jeunesse et <strong>de</strong> l’Education Populaire. Le premier semble avoir été<br />

Pierre Stahl (novembre 1944). Le second, Eti<strong>en</strong>ne Juillard, est un anci<strong>en</strong><br />

commissaire d’Eclaireurs unioniste et agrégé <strong>de</strong> géographie, qui a été professeur au<br />

Lycée <strong>de</strong> Nîmes jusqu’<strong>en</strong> 1944. <strong>en</strong> tant Inspecteur Principal <strong>de</strong>s Mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />

Jeunesse et d’Education Populaire, il va s’efforcer d’articuler la politique <strong>de</strong> son<br />

ministère et les initiatives prises sur le terrain par Jeune <strong>Alsace</strong>. En 1949, les<br />

directions régionales seront supprimées, et seules subsisteront les Directions<br />

départem<strong>en</strong>tales.<br />

<strong>Les</strong> structures départem<strong>en</strong>tales<br />

La création <strong>de</strong> la direction départem<strong>en</strong>tale <strong>de</strong> jeunesse auprès <strong>de</strong> l’inspection<br />

académique semble remonter à l’année 1945. Elle a été confiée à Jean Haeringer,<br />

inspecteur départem<strong>en</strong>tal <strong>de</strong>s Mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education Populaire,<br />

avec à ses côtés, l’anci<strong>en</strong> instituteur chef <strong>de</strong> bataillon <strong>de</strong> la briga<strong>de</strong> <strong>Alsace</strong>-Lorraine,<br />

Di<strong>en</strong>er-Ancel. Ils mett<strong>en</strong>t sur pied un comité départem<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> Culture populaire,<br />

crée par arrêté préfectoral du 1 er avril 1946 .<br />

Article premier. – Il est créé, dans le départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin, un comité départem<strong>en</strong>tal <strong>de</strong><br />

Culture Populaire, qui a pour but <strong>de</strong> faciliter dans toutes les localités du départem<strong>en</strong>t, par la<br />

création <strong>de</strong> comités locaux, l’organisation <strong>de</strong> manifestations culturelles <strong>de</strong> tous g<strong>en</strong>res, choisies <strong>en</strong><br />

raison <strong>de</strong> leur valeur, à l’exception toutefois <strong>de</strong> toutes celles qui prés<strong>en</strong>terai<strong>en</strong>t un caractère <strong>de</strong><br />

propagan<strong>de</strong> politique ou confessionnelle. Par exemple :<br />

a) Confér<strong>en</strong>ces faites par <strong>de</strong>s confér<strong>en</strong>ciers locaux ou <strong>de</strong> l’extérieur sur <strong>de</strong>s sujets artistiques,<br />

sci<strong>en</strong>tifiques, géographiques, <strong>historiques</strong>, littéraires, moraux ou philosophiques, médicaux,<br />

sportifs, etc.<br />

b) Projections <strong>de</strong> films docum<strong>en</strong>taires ou <strong>de</strong> classe avec comm<strong>en</strong>taires (faciliter l’action <strong>de</strong>s<br />

ciné-clubs).<br />

c) Représ<strong>en</strong>tations théâtrales <strong>de</strong> choix prés<strong>en</strong>tées par <strong>de</strong>s troupes locales ou plus souv<strong>en</strong>t à<br />

l’occasion <strong>de</strong> tournées <strong>de</strong> troupes extérieures avec, si possible, prés<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s pièces avant le<br />

lever du ri<strong>de</strong>au.<br />

d) Auditions musicales exécutées par <strong>de</strong>s artistes, chorales ou orchestres locaux ou <strong>de</strong> passage,<br />

avec comm<strong>en</strong>taires.<br />

e) Expositions artistiques (peinture, sculpture, photographie, livres, etc.) locales ou circulantes<br />

Article 2. – Le Comité départem<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> Culture Populaire pourra égalem<strong>en</strong>t faciliter :<br />

a) l’organisation <strong>de</strong> bibliothèques circulantes,<br />

b) l’édition et la vulgarisation d’œuvres littéraires d’auteurs locaux (création <strong>de</strong> prix),


165<br />

c) la vulgarisation <strong>de</strong> notre patrimoine régional historique, archéologique, touristique et<br />

économique <strong>en</strong> organisant <strong>en</strong> particulier pour <strong>de</strong>s groupes ruraux <strong>de</strong>s visites comm<strong>en</strong>tées d’usines<br />

et <strong>de</strong> musées, <strong>de</strong>s excursions avec gui<strong>de</strong> compét<strong>en</strong>t, etc.<br />

d) <strong>de</strong>s voyages <strong>de</strong> jeunes ouvriers et <strong>de</strong> jeunes paysans dans les autres départem<strong>en</strong>ts dans le but<br />

<strong>de</strong> mieux connaître la France ».<br />

En 1948, Flor<strong>en</strong>t Holveck propose un programme d’activités beaucoup plus<br />

important à soumettre au Comité départem<strong>en</strong>tal : les cours d’adultes, le cinéma, les<br />

échanges avec <strong>de</strong>s jeunes <strong>de</strong> l’intérieur, la mise <strong>en</strong> place <strong>de</strong> c<strong>en</strong>tres <strong>de</strong> vacances, le<br />

réseau d’Auberges <strong>de</strong> Jeunesse, le Théâtre populaire amateur, la Bibliothèque <strong>de</strong><br />

prêt, les sports aéri<strong>en</strong>s, Radio – Strasbourg, Presse.<br />

Ce programme relaie <strong>en</strong> fait celui qu’a pris <strong>en</strong> charge Jeune <strong>Alsace</strong>, une<br />

association, mais qui a, du fait <strong>de</strong> la personnalité <strong>de</strong> ses animateurs et <strong>de</strong> ses<br />

missions <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> service public.<br />

Jeune <strong>Alsace</strong> : <strong>de</strong> la Résistance à l’animation culturelle<br />

On ne peut dater avec certitu<strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> « Jeune <strong>Alsace</strong> », émanation du<br />

réseau Martial, actif dans la zone sud. Metz la situe <strong>en</strong> 1942, au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la rédaction<br />

du « memorandum », Holveck <strong>en</strong> 1943. Parmi les fondateurs : Holveck, Jesel, Fred<br />

Maurer et Metz. Ce sont tous d’anci<strong>en</strong>s cadres <strong>de</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunesse d’avant<br />

guerre. Ses membres avai<strong>en</strong>t l’ambition <strong>de</strong> <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir “ une sorte d’office <strong>de</strong> la Jeunesse et<br />

d’Education Populaire qui, tout <strong>en</strong> restant privé, se ti<strong>en</strong>drait autant que possible <strong>en</strong> relation<br />

étroite et confiante avec les représ<strong>en</strong>tants qualifiés <strong>de</strong> l’Etat » <strong>en</strong> restant aconfessionnel et<br />

apolitique. Il s’agit d’abord d’apporter une réponse à la politique qu’a déployé le<br />

nazisme et la HJ <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>-Lorraine p<strong>en</strong>dant l’annexion <strong>de</strong> fait <strong>en</strong> repr<strong>en</strong>ant ce qui<br />

semble une <strong>de</strong>s conditions fondam<strong>en</strong>tales <strong>de</strong> leur implantation rapi<strong>de</strong> : la formation <strong>de</strong><br />

jeunes cadres. En second lieu, il faut définir <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s “ positives et très souples ”<br />

pour “ combattre ” l’influ<strong>en</strong>ce germanique dans le but d’intégrer l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la<br />

jeunesse d’<strong>Alsace</strong> dans la vie française. Il faut absolum<strong>en</strong>t se poser comme l’opposé <strong>de</strong> ce<br />

qu’étai<strong>en</strong>t les HJ : <strong>de</strong> la flexibilité, <strong>de</strong> la compréh<strong>en</strong>sion, du “ pardon ”. Il faut <strong>en</strong>fin<br />

discréditer la culture alleman<strong>de</strong>, valoriser la vie française et <strong>en</strong> particulier <strong>de</strong>s<br />

mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunesse français. Jeune <strong>Alsace</strong> se donne pour mission d’ai<strong>de</strong>r au<br />

démarrage <strong>de</strong>s diverses institutions et mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunes et aussi d’implanter un<br />

réseau d’institutions neuves comme les Maisons <strong>de</strong> Jeunes. De même, faut-il favoriser la<br />

connaissance <strong>de</strong> la France <strong>de</strong> “ l’intérieur ”, par les jeunes Alsaci<strong>en</strong>s et donc favoriser le<br />

tourisme <strong>de</strong>s jeunes vers la France.<br />

La plupart <strong>de</strong>s concepteurs du programme <strong>de</strong> Jeune <strong>Alsace</strong> sont <strong>en</strong> novembre 1944<br />

officiers dans la Première Armée française, v<strong>en</strong>us <strong>de</strong>s FFI et <strong>de</strong> la Briga<strong>de</strong> <strong>Alsace</strong>-<br />

Lorraine. Après la libération <strong>de</strong> Strasbourg, le Lieut<strong>en</strong>ant Maurer et les Sous-lieut<strong>en</strong>ants<br />

Metz, Jesel et Holveck sont détachés auprès <strong>de</strong> l’Etat-major F.F.I. d’<strong>Alsace</strong> et chargés <strong>de</strong><br />

la création officielle <strong>de</strong> Jeune <strong>Alsace</strong>, <strong>en</strong> liaison avec Stahl et Juillard. La fondation a lieu<br />

au siège <strong>de</strong> l’anci<strong>en</strong>ne direction <strong>de</strong> la Hitlerjug<strong>en</strong>d <strong>de</strong> Strasbourg, 8 place Brant, le 20


166<br />

janvier. Elle regroupe <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> Baas et d’Ehm, représ<strong>en</strong>tant le Rectorat et <strong>de</strong><br />

Juillard, les membres fondateurs, Jesel, Metz, Stolz (fondateurs aussi <strong>de</strong> l’UNAR), les<br />

représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunesse (Fédération Française <strong>de</strong>s Eclaireurs, l’Avant-<br />

Gar<strong>de</strong> du Rhin, l’A.C.J.F.).<br />

Apparemm<strong>en</strong>t, il s’agit donc d’une sorte <strong>de</strong> fédération, comme il s’<strong>en</strong> est fondée<br />

plusieurs à la même époque, dont l’Union patriotique <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> jeunesse<br />

(UPOJ), à qui l’on reproche d’être dirigé par les « Trois Grands », à savoir l’A.C.J.F.<br />

(Action Catholique), l’U.R.J.F. (mouvem<strong>en</strong>t communiste), attelage peu productif : « <strong>Les</strong><br />

bureaux ne se réuniss<strong>en</strong>t pas. Se réuniss<strong>en</strong>t pour <strong>de</strong>s conversations stériles, voire <strong>de</strong>s discussions<br />

<strong>de</strong> principe désastreuses », lit –on dans les appréciations <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong>s Scouts <strong>de</strong> France<br />

strasbourgeois.<br />

De même, à certains égards, Jeune <strong>Alsace</strong> fait double emploi avec les Comités<br />

régionaux puis départem<strong>en</strong>taux <strong>de</strong>s Mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunes. Ainsi l’on reproche à<br />

« Jeune <strong>Alsace</strong> » d’être l’émanation <strong>de</strong> la politique officielle <strong>de</strong> la jeunesse,. Avec pour<br />

présid<strong>en</strong>t, le sénateur puis député MRP Ehm, comme secrétaire général Di<strong>en</strong>er-Ancel,<br />

inspecteur départem<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> la jeunesse, et comme l’un <strong>de</strong> ses animateurs, le chargé <strong>de</strong><br />

mission à la préfecture, Holveck, elle n’était pas dans l’opposition, il est vrai. Et elle n’a<br />

pas manqué <strong>de</strong> moy<strong>en</strong>s.<br />

Dès février 1945, est publié le premier numéro du m<strong>en</strong>suel “ Jeune <strong>Alsace</strong> », la revue<br />

<strong>de</strong> toutes les filles et <strong>de</strong> tous les garçons <strong>de</strong> chez nous, tiré à 30 000 exemplaires. Tirage<br />

faramineux pour l’époque, financé par la Première Armée, et diffusion assurée par le<br />

personnel <strong>en</strong>seignant, qui faute <strong>de</strong> manuels scolaires, s’<strong>en</strong> sert comme livre <strong>de</strong> lecture. La<br />

publication va se poursuivre jusqu’<strong>en</strong> 1947. La publication est assurée par Alexandre<br />

Jesel. La revue est largem<strong>en</strong>t illustrée <strong>de</strong> photographies, et compte <strong>de</strong>s rubriques <strong>de</strong><br />

découverte <strong>de</strong> régions <strong>de</strong> France, <strong>de</strong> métiers, <strong>de</strong> reportages sur les mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> jeunes,<br />

d’une ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée, et la <strong>de</strong>rnière page est toujours une partition <strong>de</strong> chanson française.<br />

Jeune <strong>Alsace</strong> organise une « semaine <strong>de</strong> la première armée » <strong>Les</strong> collectes pour les colis<br />

<strong>de</strong>s soldats et <strong>de</strong>s blessés rapport<strong>en</strong>t apparemm<strong>en</strong>t infinim<strong>en</strong>t plus que celles,<br />

innombrables, organisées par le régime précéd<strong>en</strong>t. Jeune <strong>Alsace</strong> pr<strong>en</strong>d sa part dans<br />

l’accueil <strong>de</strong>s réfugiés au c<strong>en</strong>tra d’accueil du Wack<strong>en</strong>. Et bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, la première armée<br />

organise le voyage à Constance, au QG <strong>de</strong> la première armée.<br />

Ultérieurem<strong>en</strong>t, Jeune <strong>Alsace</strong> pr<strong>en</strong>d <strong>en</strong> charge la formation <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong> théâtre<br />

amateur, d’animateurs <strong>de</strong> ciné-clubs dont elle promeut la fondation et le<br />

fonctionnem<strong>en</strong>t. Elle se fon<strong>de</strong> pour ces activités <strong>de</strong> formation sur le C<strong>en</strong>tre <strong>de</strong> Formation<br />

<strong>de</strong> la Montagne-Verte.<br />

Un tournant <strong>de</strong> son activité a lieu <strong>en</strong> 1950. Juillard remplace Ehm comme<br />

présid<strong>en</strong>t, mais Di<strong>en</strong>er-Ancel continue d’<strong>en</strong> assurer le secrétariat général . Sa mission est<br />

redéfinie dans son article Ier : elle se veut « association régionale <strong>de</strong> culture populaire ».<br />

Désormais, ses activités sont stabilisées : le ciné-club (présid<strong>en</strong>te Madame Hillmeyer) a<br />

1000 membres, le Théâtre-club (présid<strong>en</strong>te Madame Herr<strong>en</strong>schmidt) a plus <strong>de</strong> mal, avec<br />

300 membres. Jeune <strong>Alsace</strong> continue d’assurer une émission <strong>de</strong> 30 minutes à Radio


167<br />

Strasbourg. Le ciné-club est probablem<strong>en</strong>t son activité la plus pr<strong>en</strong>ante : outre le service<br />

d’une vingtaine <strong>de</strong> ciné clubs, elle assure le service <strong>de</strong> huit ciné bus post-scolaire<br />

d’arrondissem<strong>en</strong>t.<br />

Par contre, Jeune <strong>Alsace</strong> ne parvi<strong>en</strong>t pas à placer tous les volontaires <strong>de</strong> colonies <strong>de</strong><br />

vacances qu’elle forme, et abandonne désormais cette activité à la Direction<br />

départem<strong>en</strong>tale. Jeune <strong>Alsace</strong> gère <strong>de</strong>ux maisons dans les Vosges, pour week-<strong>en</strong>ds ou<br />

colonies, le Bonhomme et la Hoube et <strong>de</strong>vra les remplacer … elle y assure égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

stages d’Education populaire, c<strong>en</strong>trés sur art dramatique, arts graphiques et plastiques,<br />

cinéma, chant. <strong>Les</strong> propriétaires ayant mis fin à la location <strong>de</strong> leurs maisons, Jeune<br />

<strong>Alsace</strong>, sous l’impulsion <strong>de</strong> Di<strong>en</strong>er-Ancel rachète une maison à Fréconrupt,<br />

l’agrandiss<strong>en</strong>t et <strong>en</strong> font un c<strong>en</strong>tre <strong>de</strong> week-<strong>en</strong>d et <strong>de</strong> colonie.<br />

En 1952, sous l’impulsion <strong>de</strong> Di<strong>en</strong>er-Ancel son secrétaire général, le siège <strong>de</strong> Jeune<br />

<strong>Alsace</strong> est fixé à la Cité administrative, place du Foin. En 1955, Holveck remplace<br />

Di<strong>en</strong>er-Ancel, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u directeur du C<strong>en</strong>tre <strong>de</strong> la Montagne Verte , au secrétariat général<br />

<strong>de</strong> Jeune <strong>Alsace</strong>.<br />

Conclusion<br />

L’association Jeune <strong>Alsace</strong> est un exemple attachant <strong>de</strong> structure associative à<br />

caractère <strong>de</strong> service publique. Imposée par les déroulem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la guerre, elle reste<br />

au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> Strasbourg, puisque son projet correspond à celui du<br />

gouvernem<strong>en</strong>t provisoire <strong>en</strong> ce qui concerne la culture populaire <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>. <strong>Les</strong><br />

activités que l’association a développées, alors que la guerre n’était pas <strong>en</strong>core<br />

terminée, témoign<strong>en</strong>t du souti<strong>en</strong> du gouvernem<strong>en</strong>t. Largem<strong>en</strong>t financée par le<br />

Ministère <strong>de</strong> l’Education Nationale, c’est une association vouée à l’animation <strong>de</strong> la<br />

jeunesse, par la mise <strong>en</strong> place d’activités <strong>de</strong> loisirs éducatifs mais aussi c’est aussi un<br />

service public et une administration, puisqu’elle ai<strong>de</strong> à la mise <strong>en</strong> place <strong>de</strong> structures<br />

d’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t pour la jeunesse par <strong>de</strong>s reversem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> subv<strong>en</strong>tions, par <strong>de</strong>s stages<br />

<strong>de</strong> formations, par la mise à disposition <strong>de</strong> locaux, et aussi par la création d’une<br />

revue qui le temps <strong>de</strong> quelques mois palliera au manque <strong>de</strong> livres scolaires. Là où les<br />

administrations françaises se conc<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t sur la culture populaire, Jeune <strong>Alsace</strong>,<br />

dans les limites <strong>de</strong> ses compét<strong>en</strong>ces, permet la réconciliation <strong>de</strong>s jeunes alsaci<strong>en</strong>s<br />

avec la culture française.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, son bilan est somme toute mitigé. L’exemple <strong>de</strong> la revue est<br />

déterminante : elle est vite dépassée par la reparution <strong>de</strong>s autres illustrés, surtout les<br />

illustrés bilingues. De même, l’activité théâtrale, que l’équipe Jeune <strong>Alsace</strong><br />

considérait comme un <strong>de</strong>s principaux vecteurs <strong>de</strong> la francisation, n’a pas le succès<br />

escompté, du moins pas assez pour r<strong>en</strong>dre l’activité viable. Dès lors, les membres du<br />

Comité d’Administration chang<strong>en</strong>t, et l’on opte pour une politique <strong>de</strong> viabilité. Il<br />

faut choisir <strong>en</strong>tre la jeunesse et un public plus large. Le temps <strong>de</strong> l’euphorie est<br />

passé, les <strong>en</strong>fants sont <strong>de</strong> nouveau scolarisés, les loisirs mieux pris <strong>en</strong> charge. Jeune


168<br />

<strong>Alsace</strong> se lance donc vers une activité ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t cinématographique, qui fera sa<br />

r<strong>en</strong>ommée <strong>de</strong> longues années durant. Elle perdure jusqu’<strong>en</strong> 1967, où Eti<strong>en</strong>ne<br />

Juillard déclare lors <strong>de</strong> l’Assemblée Générale du 20 mai :<br />

“ Au terme <strong>de</strong> 23 ans d’exist<strong>en</strong>ce, après les années héroïques <strong>de</strong> la Libération, après<br />

<strong>de</strong>s années d’expéri<strong>en</strong>ces pionnières qui ont suscité quantités <strong>de</strong> réalisation au service <strong>de</strong><br />

la culture, Jeune <strong>Alsace</strong> pouvait mourir la tête haute ! L’évocation <strong>de</strong>s souv<strong>en</strong>irs <strong>de</strong> ses<br />

premières années qui a été faite au cours <strong>de</strong> la séance, montrait qu’elle n’a pas<br />

démérité ”. La dissolution s’achève <strong>en</strong> 1969, par le don <strong>de</strong> la ferme <strong>de</strong> Fréconrupt<br />

aux responsables du Château d’Angleterre <strong>en</strong> raison <strong>de</strong> son caractère d’œuvre<br />

sociale.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : François Igersheim


Yann Gaudin<br />

Le départem<strong>en</strong>t du Bas-Rhin <strong>de</strong> 1949 à 1951<br />

La prés<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la IV ème République <strong>en</strong> ALsace vue à travers le quotidi<strong>en</strong><br />

« les Dernières Nouvelles d’<strong>Alsace</strong> » ( édition française) et développée selon le<br />

modèle <strong>de</strong> « l’Année Politique », s’achève avec ce <strong>de</strong>rnier mémoire qui porte sur les<br />

années 1949 à 1951.<br />

Désormais, l’Institut d’Histoire d’<strong>Alsace</strong> dispose d’une collection complète du<br />

quotidi<strong>en</strong> alsaci<strong>en</strong> sous forme numérisée <strong>de</strong> 1945 à 1960 et l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s articles<br />

publiés ont été analysés sous l’angle <strong>de</strong> la politique et <strong>de</strong> l’économie.<br />

Strasbourg, capitale <strong>de</strong> l’Europe<br />

La divine surprise<br />

A la stupéfaction générale, cette nouvelle tombe le 10 janvier 1949, sur<br />

proposition du ministre <strong>de</strong>s Affaires Etrangères britannique M. BEVIN. Un certain<br />

temps sera nécessaire avant que la classe politique alsaci<strong>en</strong>ne ne réagisse et ne<br />

<strong>de</strong>vi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong>thousiaste. Dans les D.N.A., c’est le journaliste Jean KNITTEL qui<br />

pr<strong>en</strong>d la tête du mouvem<strong>en</strong>t pro europé<strong>en</strong>, il t<strong>en</strong>tera <strong>de</strong> galvaniser les<br />

Strasbourgeois par <strong>de</strong>s articles <strong>en</strong>flammés.<br />

C’est un bouleversem<strong>en</strong>t pour la ville qui a peur d’être dépassée par<br />

l’événem<strong>en</strong>t. En effet, voici une ville sinistrée, 7000 à 8000 <strong>de</strong> ses habitants log<strong>en</strong>t à<br />

Kehl, la reconstruction ne comm<strong>en</strong>ce qu’à peine, les restrictions <strong>en</strong> énergie et <strong>en</strong><br />

alim<strong>en</strong>tation et <strong>en</strong> bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong> toutes sortes sont sévères, et voilà qu’il faut accueillir <strong>de</strong>s<br />

c<strong>en</strong>taines <strong>de</strong> délégués et <strong>de</strong> journalistes dans 6 mois !<br />

Après quelques jours <strong>de</strong> flottem<strong>en</strong>t , les élus repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur sang froid et se<br />

lanc<strong>en</strong>t dans l’organisation <strong>de</strong> l’événem<strong>en</strong>t. Tout un réseau va se mettre <strong>en</strong> place<br />

avec notamm<strong>en</strong>t la création d’une cellule strasbourgeoise du Mouvem<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong>.<br />

<strong>Les</strong> acteurs se réuniss<strong>en</strong>t, les personnalités s’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t, frère Medard, Jean Knittel<br />

etc…


170<br />

Il n’est pas question bi<strong>en</strong> sûr <strong>de</strong> construire un bâtim<strong>en</strong>t pour l’occasion, ni le<br />

temps ni les budgets ne sont disponibles. <strong>Les</strong> solutions au c<strong>en</strong>tre ville ne sont pas si<br />

nombreuses et celles à l’extérieur, comme le prestigieux château <strong>de</strong>s Rohan à<br />

Saverne, ne sont pas satisfaisantes pour l’organisation générale. La préfecture et la<br />

mairie vont pratiquem<strong>en</strong>t forcer la main aux autorités universitaires afin <strong>de</strong> disposer<br />

du Palais Universitaire pour accueillir les délégués <strong>de</strong> l’Assemblée consultative<br />

europé<strong>en</strong>ne. Le conseil <strong>de</strong>s ministres <strong>de</strong>s Affaires Etrangères se déroulera quant à lui<br />

dans les salons <strong>de</strong> l’Hôtel <strong>de</strong> Ville au 1 er étage. Il sera d’ailleurs nécessaire d’y<br />

aménager un asc<strong>en</strong>seur, M. Winston Churchill se trouvant dans l’incapacité <strong>de</strong><br />

gravir un escalier.<br />

Ce fut un véritable tour <strong>de</strong> force, une mobilisation <strong>de</strong> toutes les énergies, qui<br />

permis que cette première session europé<strong>en</strong>ne puisse avoir lieu.<br />

Un été heureux<br />

C’est dans l’<strong>en</strong>thousiasme général que le 10 août, s’est ouverte sol<strong>en</strong>nellem<strong>en</strong>t la<br />

première session <strong>de</strong> l’Assemblée consultative europé<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s délégués<br />

<strong>de</strong> 12 puis <strong>de</strong> 14 pays europé<strong>en</strong>s, mais sans l’Allemagne comme membre officiel. Le<br />

mom<strong>en</strong>t était idéal, le blocus <strong>de</strong> Berlin était terminé, la guerre <strong>de</strong> Corée n’avait pas<br />

<strong>en</strong>core comm<strong>en</strong>cé, les Soviétiques n’avai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core procédé à leurs essais<br />

atomiques. Pour la première fois <strong>de</strong>puis bi<strong>en</strong>tôt un siècle, la paix générale semblait<br />

être un objectif réalisable pour l’Europe.<br />

Le public aussi est au r<strong>en</strong><strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> l’événem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>s c<strong>en</strong>taines <strong>de</strong><br />

Strasbourgeois assist<strong>en</strong>t chaque jour aux débats, peut-être 100 000 personnes ont<br />

assisté au grand meeting du Mouvem<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong> place Kléber le 12 août, surtout<br />

pour <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre la ve<strong>de</strong>tte incontestée <strong>de</strong> cette session, le monstre sacré, M. Winston<br />

Churchill.<br />

Opportuniste, le conseil municipal avait décidé <strong>de</strong> lui décerner le titre <strong>de</strong><br />

citoy<strong>en</strong> d’honneur <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Strasbourg, les élus communiste n’avai<strong>en</strong>t pas osé<br />

voter non, s’étai<strong>en</strong>t abst<strong>en</strong>us.<br />

A chaque déplacem<strong>en</strong>t, à chaque prise <strong>de</strong> parole, M. Winston Churchill est<br />

acclamé par une foule toujours nombreuse.<br />

Il plane sur cet été strasbourgeois un parfum <strong>de</strong> congrès <strong>de</strong> Vi<strong>en</strong>ne. Il ne se passe<br />

pratiquem<strong>en</strong>t pas un jour sans que <strong>de</strong>s manifestations artistiques ne soi<strong>en</strong>t<br />

organisées, <strong>de</strong>s offices religieux célébrés, et <strong>de</strong>s soirées invitant tous les participants<br />

sur l’initiative <strong>de</strong> la mairie, <strong>de</strong> la préfecture et <strong>de</strong> chaque délégation.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, dès les premiers débats, <strong>de</strong>s diss<strong>en</strong>sions fondam<strong>en</strong>tales apparaiss<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>tre les partisans <strong>de</strong> la constitution immédiate d’une fédération, les Etats-Unis<br />

d’Europe, et ceux comme la Gran<strong>de</strong>-Bretagne qui ne souhait<strong>en</strong>t qu’une instance<br />

consultative sans pouvoir <strong>de</strong> décision.<br />

L’Italie a t<strong>en</strong>u égalem<strong>en</strong>t à marquer le caractère chréti<strong>en</strong> <strong>de</strong> l’Europe. Pour<br />

l’anecdote, la ville <strong>de</strong> Strasbourg avait utilisé <strong>de</strong>s peintures du musée <strong>de</strong>s beaux-arts<br />

du palais <strong>de</strong>s Rohan pour décorer les murs <strong>de</strong>s salons <strong>de</strong> l’Hôtel <strong>de</strong> Ville, <strong>en</strong>


171<br />

particulier <strong>de</strong>s œuvres impressionnistes. Le comte Sforza fit un scandale <strong>en</strong> disant<br />

qu’il fallait immédiatem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>lever ces horreurs et les remplacer par <strong>de</strong> l’art<br />

chréti<strong>en</strong>.<br />

Enfin, le Parti Communiste Français a violemm<strong>en</strong>t montré son désaccord avec<br />

l’invitation <strong>de</strong> plusieurs délégués allemands, l’Humanité avait titré <strong>en</strong> août<br />

1949 : »une trahison dans la ville <strong>de</strong> la Marseillaise : aujourd’hui les Junkers<br />

prussi<strong>en</strong>s et les représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong>s « Ruhrbarone » sont les hôtes <strong>de</strong> la municipalité<br />

R.P.F. <strong>de</strong> Strasbourg. »<br />

Une désillusion rapi<strong>de</strong>, malgré <strong>de</strong>s initiatives originales<br />

Après cet été extraordinaire, un mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> grâce , il faut bi<strong>en</strong> reconnaître que<br />

l’<strong>en</strong>thousiasme est rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t retombé. Cette Assemblée qui a pour objectif <strong>de</strong><br />

bâtir une Europe ambitieuse, pas uniquem<strong>en</strong>t économique, pas uniquem<strong>en</strong>t pour<br />

garantir la paix, mais avec une volonté d’apporter un volet social et culturel<br />

important, cette Assemblée n’a aucun pouvoir et s’<strong>en</strong>lise dans <strong>de</strong>s débats <strong>de</strong> peu<br />

d’intérêts.<br />

Certains ont bi<strong>en</strong> compris qu’il fallait égalem<strong>en</strong>t mobiliser les nouvelles<br />

générations, comme le professeur Mouskhely qui organisera <strong>en</strong> août 1950 <strong>de</strong>s<br />

manifestations symboliques avec quelques c<strong>en</strong>taines <strong>de</strong> jeunes, comme « la<br />

conspiration du dimanche ». <strong>Les</strong> av<strong>en</strong>tures <strong>de</strong> Gary Davis, citoy<strong>en</strong> du mon<strong>de</strong>,<br />

trouveront un écho favorable et plutôt sympathique auprès <strong>de</strong>s DNA et <strong>de</strong>s<br />

étudiants.<br />

Au bout <strong>de</strong> 3 années, l’échec <strong>de</strong> cette Assemblée est pat<strong>en</strong>t et se concrétise par la<br />

démission <strong>de</strong> son présid<strong>en</strong>t, le Belge M. Paul-H<strong>en</strong>ri Spaak. <strong>Les</strong> belles idées n’ont<br />

pas résisté aux réalités politiques et au fait que nombre <strong>de</strong> pays n’étai<strong>en</strong>t pas prêts à<br />

<strong>de</strong>s abandons <strong>de</strong> souveraineté.<br />

La meilleure initiative ne vi<strong>en</strong>dra pas <strong>de</strong> l’Assemblée, mais du gouvernem<strong>en</strong>t<br />

français, c’est le plan Schuman, la création <strong>de</strong> la Communauté Europé<strong>en</strong>ne du<br />

Charbon et <strong>de</strong> l’Acier prés<strong>en</strong>té à Strasbourg le 10 août 1950 et ratifié par les<br />

intéressés le 19 mars 1951.<br />

La ville <strong>de</strong> Strasbourg, quant à elle, a joué pleinem<strong>en</strong>t son rôle avec beaucoup <strong>de</strong><br />

responsabilité, réussissant toutes les organisations <strong>de</strong> sessions, essayant <strong>de</strong> mobiliser<br />

au mieux les Strasbourgeois, même si pour ces <strong>de</strong>rniers la curiosité semble<br />

l’emporter sur une vraie vocation europé<strong>en</strong>ne. N’oublions pas égalem<strong>en</strong>t qu’<strong>en</strong><br />

cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> restriction y compris sur les matières premières <strong>de</strong>stinée à la<br />

construction, ce sera un véritable exploit <strong>de</strong> bâtir la « Maison <strong>de</strong> l’Europe », <strong>en</strong>viron<br />

10 000m2, <strong>en</strong> 5 mois au printemps 1950.<br />

Une vie politique bas-rhinoise contrastée<br />

Si la construction europé<strong>en</strong>ne semble emporter dans le départem<strong>en</strong>t l’adhésion<br />

<strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>tes formations à l’exception peut-être du P.C.F.(il faudrait lire les<br />

comm<strong>en</strong>taires parus dans L’Humanité d’<strong>Alsace</strong> et <strong>de</strong> Lorraine au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s


172<br />

sessions, <strong>en</strong> particulier les numéros retirés <strong>de</strong> la v<strong>en</strong>te par la préfecture), nous avons<br />

là une situation politique qui est différ<strong>en</strong>te <strong>de</strong> la situation moy<strong>en</strong>ne française, où<br />

joue bi<strong>en</strong> sûr la personnalité <strong>de</strong>s hommes <strong>en</strong> place (nous pouvons noter une abs<strong>en</strong>ce<br />

quasi totale <strong>de</strong> femmes), les confessions et les intérêts particuliers.<br />

Le départem<strong>en</strong>t est dominé par un M.R.P. t<strong>en</strong>u à bout <strong>de</strong> bras par M. Pierre<br />

Pflimlin, qui <strong>en</strong> 1949 est gravem<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>acé par le R.P.F. Puis, au fil <strong>de</strong>s élections,<br />

celui-ci cè<strong>de</strong> du terrain face à son concurr<strong>en</strong>t.<br />

Le M.R.P. est marqué par la personnalité <strong>de</strong> Pierre Pflimlin, presque<br />

constamm<strong>en</strong>t ministre, surtout <strong>de</strong> l’agriculture, mais que nous retrouvons très<br />

fréquemm<strong>en</strong>t dans le départem<strong>en</strong>t pour <strong>de</strong>s inaugurations, <strong>de</strong>s remises <strong>de</strong><br />

décorations, <strong>de</strong>s discours politiques, <strong>de</strong>s évènem<strong>en</strong>ts culturels. Sa démission<br />

spectaculaire le 01 décembre 1949, dont on lit partout qu’elle est due au prix <strong>de</strong> la<br />

betterave, a eu bi<strong>en</strong> sûr <strong>de</strong>s motivations plus profon<strong>de</strong>s. Face au désarrois <strong>de</strong>s<br />

agriculteurs alsaci<strong>en</strong>s, M. Pflimlin n’a trouvé qu’incompréh<strong>en</strong>sion chez le chef du<br />

gouvernem<strong>en</strong>t, sa démission était une façon <strong>de</strong> ne pas se r<strong>en</strong>ier vis-à-vis <strong>de</strong>s<br />

agriculteurs, tout <strong>en</strong> préservant son image <strong>de</strong> marque dans la région.<br />

Le R.P.F. manque <strong>de</strong> personnalités d’<strong>en</strong>vergure nationale, sa composition<br />

semble assez hétéroclite, socialistes, bourgeois, protestants, anti-communistes …<br />

mais le parti ti<strong>en</strong>t la mairie <strong>de</strong> Strasbourg. Et, au l<strong>en</strong><strong>de</strong>main <strong>de</strong>s cantonales<br />

partielles <strong>de</strong> mars 1949, il se prés<strong>en</strong>te comme le parti le plus important <strong>en</strong><br />

rev<strong>en</strong>diquant le rattachem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> candidats indép<strong>en</strong>dants.<br />

M. Pflimlin souligne que c’est plutôt par opportunisme que le maire Charles<br />

FREY a adhéré au R.P.F., afin <strong>de</strong> conserver son poste. Il rappelle égalem<strong>en</strong>t qu’à sa<br />

création, le R.P.F. autorisait la double appart<strong>en</strong>ance, c’est le M.R.P. qui, voulant<br />

clarifier la situation, l’avait interdit à ses membres, le flou n’étant jamais une bonne<br />

situation durable <strong>en</strong> politique.<br />

Le parti socialiste (S.F.I.O.) dispose d’un représ<strong>en</strong>tant prestigieux, M. Marcel-<br />

Edmond NAEGELEN, mais bi<strong>en</strong> que souv<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>, cela fait plus <strong>de</strong> 2<br />

ans qu’il exerce les fonctions <strong>de</strong> ministre gouverneur général <strong>de</strong> l’Algérie. En 1951,<br />

il r<strong>en</strong>once à se représ<strong>en</strong>ter dans le départem<strong>en</strong>t pour les législatives, préférant t<strong>en</strong>ter<br />

sa chance dans les Basses-Alpes. Selon le préfet <strong>de</strong> l’époque M. PAIRA, il affichait<br />

un peu trop sa réussite au goût <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s, et le R.P.F. mordait sur l’électorat<br />

socialiste par son discours anti communiste. M. Naegel<strong>en</strong> n’aurait eu aucune<br />

chance d’être à nouveau député du Bas-Rhin.<br />

Le parti communiste dispose <strong>de</strong> 5 élus au conseil municipal <strong>de</strong> Strasbourg et<br />

d’un député M. Marcel Ros<strong>en</strong>blatt. C’est le seul parti qui prés<strong>en</strong>te<br />

systématiquem<strong>en</strong>t un candidat dans toutes les circonscriptions, ce qui<br />

mathématiquem<strong>en</strong>t augm<strong>en</strong>te son poids <strong>de</strong> voix par rapport aux autres partis. Il se<br />

mainti<strong>en</strong>t autour <strong>de</strong> 14% <strong>de</strong>s votes, mais souffre déjà <strong>de</strong> l’image <strong>de</strong> l’U.R.S.S. dans<br />

le public <strong>de</strong>puis le rapatriem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s « malgré-nous ».<br />

L’élection législative <strong>de</strong> 1951 permettra in extremis à M. Ros<strong>en</strong>blatt <strong>de</strong><br />

conserver son mandat <strong>de</strong> député.


173<br />

Dans l’<strong>en</strong>semble, si les querelles sont vives lors <strong>de</strong>s élections cantonales, l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te<br />

semble régner immédiatem<strong>en</strong>t après. Nous constatons que les fonctions se<br />

distribu<strong>en</strong>t facilem<strong>en</strong>t au sein du Conseil général, chacun y trouvant son compte.<br />

3 élections couvr<strong>en</strong>t la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1949 à 1951 : <strong>de</strong>ux élections cantonales et<br />

l’élection législative. <strong>Les</strong> élections cantonales ont lieu <strong>en</strong> mars 1949 pour la moitié<br />

<strong>de</strong>s cantons, puis l’autre moitié <strong>en</strong> octobre 1951. L’évolution <strong>en</strong>tre ces <strong>de</strong>ux années<br />

est intéressante, nous assistons à une très bonne résistance du M.R.P, nettem<strong>en</strong>t au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong>s résultats nationaux, à l’inverse du R.P.F. qui comm<strong>en</strong>ce à subir<br />

d’importants revers.<br />

Avant mars 1949, le Conseil général du Bas-Rhin est composé <strong>de</strong> 16 M.R.P., 9<br />

R.P.F., 2 Républicains <strong>de</strong> gauche, 1 S.F.I.O. et 7 Indép<strong>en</strong>dants, le présid<strong>en</strong>t étant<br />

le docteur BUR élu R.P.F. Après mars 1949, le Conseil général compr<strong>en</strong>d 15<br />

M.R.P., 12 R.P.F. + 3 Indép<strong>en</strong>dants rattachés et 5 Indép<strong>en</strong>dants, le présid<strong>en</strong>t étant<br />

M. THORMANN Indép<strong>en</strong>dant. Avec les rattachés, le R.P.F. rev<strong>en</strong>dique<br />

finalem<strong>en</strong>t 16 membres, p<strong>en</strong>dant 2 ans, le M.R.P. sera sur la déf<strong>en</strong>sive.<br />

En 1949, les cantonales sont disputées et 8 cantons sur 17 sont pourvus dès les<br />

1er tour. Nous donnons ici les cantons, noms et partis <strong>de</strong>s conseillers élus. Sont <strong>en</strong><br />

jeu les cantons <strong>de</strong> Strasbourg-Est Schey<strong>de</strong>cker RPF, Strasbourg-Ouest (Rohmer<br />

MRP) , Schiltigheim (Ritter Indép), Truchtersheim ( 1° t. Koessler MRP) ,<br />

Geispolsheim (Reich<strong>en</strong>shammer MRP), Obernai ( 1° t. Gillmann MRP), Sélestat<br />

(Ehm MRP) Marmoutier( 1° T, Klock MRP), Villé (1° T. Haubtmann RPF),<br />

Schirmeck (Thiry MRP) , Saverne (Wolff, MRP) Wasselonne Haberer, MRP) ,<br />

Nie<strong>de</strong>rbronn (H<strong>en</strong>rich, RPF) , Wissembourg ( 1° t. Ritter, MRP) , Woerth (1° T.<br />

Blavin RPF), Sarre-Union (Dommel RPF) , Saales (Thormann sout . RPF).<br />

Mars 1949<br />

Inscrits Exprimés MRP RPF SFIo PCF Indép<br />

er<br />

1 218152 121551 46433 48488 7962 17463 1205<br />

tour<br />

2 e<br />

tout<br />

35810<br />

voix<br />

37170 2005 16214 2562<br />

En octobre 1951, 18 cantons sont à r<strong>en</strong>ouveler. 15 sont pourvus dès le 1 er tour<br />

et 3 seulem<strong>en</strong>t au <strong>de</strong>uxième, dont les <strong>de</strong>ux cantons strasbourgeois et La Petite<br />

Pierre.<br />

Marckolsheim (Ehm, MRP), B<strong>en</strong>feld (Meck MRP), Erstein ( J-P. Bapst MRP),<br />

Molsheim ( Bornert MRP), Rosheim (Grau MRP) , Barr (Naegell Indép) ,<br />

Strasbourg-Sud (2 t. Arbogast MRP), Strasbourg-Nord (2 e tour Marxer MRP) ,<br />

Brumath (Sprauer Indép), Hochfeld<strong>en</strong> (Debes MRP), Bouxwiller (Kuntz, Indép,s-<br />

MRP), La Petite-Pierre (2 e T. Fricker RPF), Druling<strong>en</strong> (Westphal, RPF),<br />

Bischwiller (Kistler, MRP), Hagu<strong>en</strong>au (Pflimlin), Soultz-sous-Forêts (Schillein,<br />

Indép), Seltz (Schmitt MRP), Lauterbourg (Elsaesser MRP), `


174<br />

Le canton <strong>de</strong> Marckolsheim donne lieu à une élection complém<strong>en</strong>taire, Ehm<br />

ayant élu aussi à Sélestat et choisi ce canton. Tubach (RPF) y sera élu.<br />

Cantonales Octobre 1951<br />

Inscrits Exprimé<br />

s<br />

MRP RPF SFIo PCF Indép<br />

1 er tour 2071<br />

78<br />

94563 42584 21723 4526 8598 16765<br />

2 e tour 6001 6371 2075 1573 2256<br />

Après les élections d’octobre 1951, le Conseil général est composé <strong>de</strong> 19<br />

M.R.P., 7 R.P.F., et 9 Indép<strong>en</strong>dants, M. Pierre PFLIMLIN du M.R.P. est élu<br />

présid<strong>en</strong>t. La situation est à nouveau favorable à ce parti.<br />

Comme toujours pour <strong>de</strong>s élections locales la personnalité <strong>de</strong>s candidats est<br />

primordiale, mais <strong>en</strong> 1951, l’érosion voire l’effondrem<strong>en</strong>t du R.P.F. est évid<strong>en</strong>t.<br />

En 1951 se sont égalem<strong>en</strong>t déroulées <strong>de</strong>s législatives dans un climat national peu<br />

serein, le gouvernem<strong>en</strong>t les ayant repoussées plusieurs fois <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> les perdre,<br />

dans le départem<strong>en</strong>t elles seront parasitées par la loi électorale volontairem<strong>en</strong>t<br />

compliquée.<br />

A cette occasion, le paradoxe politique qui veut que le plus grand danger vi<strong>en</strong>ne<br />

<strong>de</strong> l’allié pot<strong>en</strong>tiel, celui-ci étant proche peut vous pr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s voix, s’est une fois <strong>de</strong><br />

plus illustré.<br />

Comme pour les cantonales <strong>de</strong> 1949, il est question dans les colonnes <strong>de</strong>s<br />

D.N.A. d’alliance possible <strong>en</strong>tre le M.R.P. et le R.P.F., <strong>de</strong> mains t<strong>en</strong>dues par tous et<br />

refusées par tous. Finalem<strong>en</strong>t, s’est produit dans le départem<strong>en</strong>t ce qui était prévu<br />

au niveau national, à savoir un accord d’appar<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre le M.R.P. et les<br />

Indép<strong>en</strong>dants. En revanche, il n’était pas prévu <strong>de</strong> se retrouver dans un tel état <strong>de</strong><br />

confusion au l<strong>en</strong><strong>de</strong>main <strong>de</strong> l’élection, car selon l’interprétation que l’on faisait <strong>de</strong> la<br />

loi électorale, la coalition M.R.P. + Indép<strong>en</strong>dants pouvait avoir légèrem<strong>en</strong>t plus que<br />

50% <strong>de</strong>s voix et dans ce cas remportait tous les sièges, 8 pour le M.R.P. et 1 pour<br />

les Indép<strong>en</strong>dants, ou bi<strong>en</strong> légèrem<strong>en</strong>t moins que 50% <strong>de</strong>s voix et <strong>de</strong> ce fait les sièges<br />

étai<strong>en</strong>t partagés, 5 pour le M.R.P., 3 pour le R.P.F. et 1 pour le P.C.F..<br />

L’affaire se termina par un vote à l’Assemblée Nationale, qui choisira la<br />

<strong>de</strong>uxième solution à la mauvaise surprise du M.R.P. qui avait baissé sa gar<strong>de</strong>,<br />

l’assemblée ayant voté dans un s<strong>en</strong>s contraire peu auparavant pour le départem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> la Seine.<br />

En règle générale, tout le mon<strong>de</strong> a été persuadé que la tête <strong>de</strong> liste du R.P.F., le<br />

général KOENIG, a joué un rôle déterminant dans ce vote, il fallait absolum<strong>en</strong>t lui<br />

offrir un siège <strong>de</strong> député.<br />

En dépit <strong>de</strong> cet avatar, le M.R.P. avait fait bonne figure à ces élections dans le<br />

départem<strong>en</strong>t au regard <strong>de</strong>s résultats nationaux où ce parti a perdu la moitié <strong>de</strong> ses


175<br />

députés, malgré les accords d’appar<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. Une fois <strong>de</strong> plus, la situation dans le<br />

Haut-Rhin n’est <strong>en</strong> ri<strong>en</strong> comparable à celle du Bas-Rhin, sur 6 députés élus, 3 sont<br />

R.P.F., 1 S.F.I.O. et 2 M.R.P.<br />

On peut d’ailleurs se poser la question du vote confessionnel. Le M.R.P. est<br />

clairem<strong>en</strong>t id<strong>en</strong>tifié comme l’héritier du parti catholique, or notre départem<strong>en</strong>t est<br />

dominé économiquem<strong>en</strong>t et politiquem<strong>en</strong>t par <strong>de</strong>s protestants, d’où un report <strong>de</strong><br />

voix <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers sur le R.P.F., ce qui expliquerait le cou<strong>de</strong> à cou<strong>de</strong> <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux<br />

formations. Effectivem<strong>en</strong>t, le R.P.F. est dominant dans les cantons <strong>de</strong> Strasbourg<br />

nord, Strasbourg est, Strasbourg ouest, Nie<strong>de</strong>rbronn, Schiltigheim, et Woerth.<br />

On ne peut certes pas écarter cette explication, mais elle ne trouve son s<strong>en</strong>s que<br />

dans ce départem<strong>en</strong>t, sinon comm<strong>en</strong>t expliquer la domination du R.P.F. dans le<br />

Haut-Rhin par le seul vote protestant ? Sans grand risque, on peut affirmer que la<br />

bonne t<strong>en</strong>ue du M.R.P. dans notre départem<strong>en</strong>t est indiscutablem<strong>en</strong>t liée à la<br />

prés<strong>en</strong>ce et à la personnalité <strong>de</strong> M. Pierre PFLIMLIN.<br />

Un cons<strong>en</strong>sus à l’alsaci<strong>en</strong>ne ?<br />

Après <strong>de</strong>s combats acharnés lors <strong>de</strong>s élections, les nouveaux mandataires doiv<strong>en</strong>t<br />

cohabiter, surtout au Conseil général. Parfois, le jeu est un peu troublé pour les<br />

électeurs, l’Indép<strong>en</strong>dant qu’on croyait proche du M.R.P. se rattache finalem<strong>en</strong>t au<br />

R.P.F. Après les élections, <strong>de</strong>s ralliem<strong>en</strong>ts s’opèr<strong>en</strong>t.<br />

De toute façon, <strong>de</strong>s rôles sont attribués à tous, et la plupart du temps les budgets<br />

et les vœux sont adoptés à l’unanimité, et dans les cas plus délicats, r<strong>en</strong>voyés <strong>en</strong><br />

commission. Dans l’<strong>en</strong>semble, les débats rapportés par les D.N.A. sont<br />

extrêmem<strong>en</strong>t policés.<br />

Le conseil municipal <strong>de</strong> Strasbourg est plus agité du fait <strong>de</strong> l’opposition <strong>de</strong>s 5<br />

élus communistes. <strong>Les</strong> socialistes, lorsqu’ils sont <strong>en</strong> désaccord, préfèr<strong>en</strong>t<br />

l’abst<strong>en</strong>tion, mais presque systématiquem<strong>en</strong>t vot<strong>en</strong>t pour les budgets et les vœux. Il<br />

est d’ailleurs étonnant <strong>de</strong> lire régulièrem<strong>en</strong>t dans les D.N.A. que telle ou telle<br />

motion a été adoptée à » l’unanimité » moins les 5 voix communistes évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t,<br />

comme si ces <strong>de</strong>rnières ne comptai<strong>en</strong>t pas.<br />

Une fois seulem<strong>en</strong>t au cours <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong>, on assistera à une union sacrée, où,<br />

lors <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s grèves dans l’industrie métallurgique <strong>de</strong> février 1950, sur<br />

proposition <strong>de</strong>s élus communistes( !), le conseil municipal à l’unanimité votera une<br />

ai<strong>de</strong> financière aux grévistes.<br />

Il est juste égalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> souligner le rôle important du préfet M. R<strong>en</strong>é PAIRA<br />

<strong>en</strong> place <strong>de</strong> septembre 1947 à fin 1951, situation exceptionnelle d’un préfet alsaci<strong>en</strong><br />

sur ses terres. En perman<strong>en</strong>ce il joue un rôle d’arbitre, extrêmem<strong>en</strong>t actif, il<br />

rev<strong>en</strong>dique une neutralité bi<strong>en</strong> qu’ayant milité au sein <strong>de</strong>s jeunesses socialistes <strong>en</strong>tre<br />

les <strong>de</strong>ux guerres.


176<br />

L’évolution <strong>de</strong> l’économie bas-rhinoise<br />

Une agriculture et <strong>de</strong>s agriculteurs dans la tourm<strong>en</strong>te.<br />

Malgré les difficultés <strong>de</strong> vie <strong>en</strong> ville, restriction d’énergie, pénurie <strong>de</strong> logem<strong>en</strong>t,<br />

l’exo<strong>de</strong> rural comm<strong>en</strong>cé avant-guerre s’est poursuivit après comme le montre le<br />

rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 1946.<br />

<strong>Les</strong> freins sont connus, morcellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s exploitations avec une superficie<br />

moy<strong>en</strong>ne à 5 hectares pour les 90 000 exploitants, et <strong>en</strong>core ces superficies ne sont<br />

pas d’un seul t<strong>en</strong>ant. Cette situation a am<strong>en</strong>é un retard considérable dans la<br />

mécanisation <strong>de</strong> l’agriculture, nous voyons que le nombre <strong>de</strong> tracteurs n’a pour<br />

ainsi dire pas évolué <strong>en</strong>tre 1945 et 1951, plafonnant à 380 <strong>en</strong>gins. Cela pèse sur la<br />

productivité et la compétitivité, les coûts <strong>de</strong> production subiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> fortes hausses,<br />

ce qui n’est pas le cas <strong>de</strong>s prix <strong>de</strong> v<strong>en</strong>te. <strong>Les</strong> méfaits du marché noir se font <strong>en</strong>core<br />

s<strong>en</strong>tir, ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t dans la désorganisation <strong>de</strong> la distribution. En 1949, <strong>de</strong>s<br />

pénuries sont <strong>en</strong>core prés<strong>en</strong>tes, <strong>en</strong> particulier sur les produits laitiers, alors que par<br />

ailleurs, la production serait suffisante pour approvisionner tous les Alsaci<strong>en</strong>s.<br />

La production <strong>de</strong> bière a bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s soucis car elle est confrontée à une baisse <strong>de</strong> la<br />

consommation due <strong>en</strong> partie à la concurr<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s vins rouges. Problème id<strong>en</strong>tique<br />

pour la viticulture qui doit <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> 1951 faire face à une forte surproduction<br />

pour une récolte <strong>de</strong> qualité très moy<strong>en</strong>ne.<br />

<strong>Les</strong> agriculteurs trouveront leur déf<strong>en</strong>seur <strong>en</strong> la personne <strong>de</strong> M. Pflimlin. Il va<br />

combattre la t<strong>en</strong>tation malthusi<strong>en</strong>ne prés<strong>en</strong>te au sein du gouvernem<strong>en</strong>t, car selon<br />

lui, vouloir toujours faire coller la production aux besoins est utopique car on ne<br />

maîtrise pas totalem<strong>en</strong>t la nature et par conséqu<strong>en</strong>t, il est plus avantageux <strong>de</strong> viser<br />

volontairem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s excéd<strong>en</strong>ts. Cela <strong>en</strong> effet permet <strong>de</strong> s’affranchir <strong>de</strong>s<br />

approvisionnem<strong>en</strong>ts américains, tous les anci<strong>en</strong>s se rappell<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core du pain<br />

« Ramadier », et donc <strong>de</strong> s’appauvrir <strong>en</strong> <strong>de</strong>vises.<br />

M. Pflimlin, avec son parti le M.R.P., va donc militer pour une agriculture<br />

int<strong>en</strong>sive dont les marchés seront organisés à l’échelle europé<strong>en</strong>ne afin d’assurer <strong>de</strong>s<br />

débouchés aux excéd<strong>en</strong>ts. A chaque session europé<strong>en</strong>ne à Strasbourg, à chaque<br />

interv<strong>en</strong>tion politique, M. PFLIMLIN va marteler son discours <strong>de</strong> ses ambitions<br />

agricoles.<br />

Le corollaire à cette politique d’expansion pour emporter l’adhésion <strong>de</strong>s<br />

agriculteurs, est <strong>de</strong> leur garantir un prix <strong>de</strong> v<strong>en</strong>te.<br />

De leurs côtés, les agriculteurs se regroup<strong>en</strong>t davantage, par la création <strong>de</strong> caves<br />

viticoles, par le r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s fédérations agricoles comme la fédération agricole<br />

d’<strong>Alsace</strong> et <strong>de</strong> Lorraine présidée par la famille d’Andlau et par l’efficacité <strong>de</strong> la<br />

COPHOUDAL ( copérative <strong>de</strong>s houblons d’<strong>Alsace</strong> ).<br />

Un équipem<strong>en</strong>t majeur <strong>en</strong> danger, le Port autonome <strong>de</strong> Strasbourg.


177<br />

Sur notre pério<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s investissem<strong>en</strong>ts importants se sont poursuivis, dans le<br />

prolongem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce qui s’était pratiqué avant-guerre. Ces gros investissem<strong>en</strong>ts<br />

avai<strong>en</strong>t déjà permis <strong>de</strong> tripler les volumes traités <strong>en</strong>tre 1913 et 1930 pour dépasser<br />

les 5 millions <strong>de</strong> tonnes et vers 1950 on comm<strong>en</strong>çait à se rapprocher <strong>de</strong>s 3,5<br />

millions <strong>de</strong> tonnes. 900 dockers y travaill<strong>en</strong>t, et Strasbourg est prés<strong>en</strong>té comme le<br />

troisième port <strong>de</strong> France, <strong>de</strong>vant Bor<strong>de</strong>aux, à égalité avec Dunkerque.<br />

Or, l’av<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> ce port est doublem<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>acé.<br />

De l’intérieur par le plan SCHUMAN qui prévoit l’électrification <strong>de</strong> la ligne <strong>de</strong><br />

chemin <strong>de</strong> fer Thionville-Dunkerque ainsi que la canalisation <strong>de</strong> la Moselle, ceci<br />

aurait pour conséqu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> détourner du port <strong>de</strong> Strasbourg les trafics <strong>de</strong> charbon<br />

et d’acier.<br />

De l’extérieur par la concurr<strong>en</strong>ce que représ<strong>en</strong>te le port <strong>de</strong> Kehl, car il apparaît<br />

maint<strong>en</strong>ant clairem<strong>en</strong>t que ce <strong>de</strong>rnier va <strong>de</strong>voir rev<strong>en</strong>ir à l’Allemagne, malgré une<br />

temporisation par une conv<strong>en</strong>tion prévoyant une gestion conjointe <strong>de</strong> ce port avec<br />

les autorités <strong>de</strong> l’Etat <strong>de</strong> Ba<strong>de</strong>.<br />

Il faut dire qu’à la confér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> Londres, les Américains refus<strong>en</strong>t toute idée<br />

annexion <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Kehl et <strong>de</strong> son port, et s’ils accept<strong>en</strong>t quelques rectifications<br />

<strong>de</strong> frontière à Wissembourg, c’est uniquem<strong>en</strong>t selon M. PAIRA parce qu’il leur a<br />

affirmé que les forêts <strong>en</strong> question avai<strong>en</strong>t été données à la ville <strong>de</strong> Wissembourg par<br />

le roi Dagobert !<br />

Des infrastructures insuffisantes<br />

En 1951, malgré le plan Marshall et l’activité du M.R.U., la réparation <strong>de</strong>s<br />

dommages causés aux infrastructures routières est loin d’être achevée. Un tiers<br />

seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s 650 ponts détruits ont été remis <strong>en</strong> fonctionnem<strong>en</strong>t et les routes<br />

rest<strong>en</strong>t <strong>en</strong> l’état ou presque.<br />

La S.N.C.F. confrontée à d’importants déficits lance <strong>en</strong> 1950 un plan <strong>de</strong><br />

fermeture <strong>de</strong> lignes jugées déficitaires, dont certaines petites lignes dans le nord <strong>de</strong><br />

l’alsace.<br />

L’aéroport d’Entzheim n’a que peu d’activité, <strong>en</strong>tre 20 000 et 30 000 passagers<br />

par an, il est concurr<strong>en</strong>cé par l’aéroport <strong>de</strong> Blotzheim qui pourtant n’est pas<br />

débordé avec moins <strong>de</strong> 3000 vols <strong>en</strong> 1950. Pour améliorer cette situation,<br />

d’importants travaux d’agrandissem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> nouvelles pistes sont<br />

m<strong>en</strong>és, au grand dam <strong>de</strong> la population du village qui se voit exproprier <strong>de</strong> ses<br />

champs.<br />

Un secteur d’av<strong>en</strong>ir : le tourisme<br />

Cette activité est clairem<strong>en</strong>t id<strong>en</strong>tifiée comme source d’emploi et d’apport <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>vises. Le Conseil général et la préfecture vont lancer les bases d’un comité du<br />

tourisme doté d’un budget propre, l’association départem<strong>en</strong>tale du tourisme est<br />

officiellem<strong>en</strong>t créée <strong>en</strong> mars 1951.


178<br />

Plusieurs axes sont définis :<br />

Le secteur vosgi<strong>en</strong> où le modèle est l’aménagem<strong>en</strong>t du Haut-Rhin avec sa route<br />

<strong>de</strong>s vins et sa route <strong>de</strong>s crêtes. Dans notre pério<strong>de</strong>, <strong>de</strong> tels aménagem<strong>en</strong>ts rest<strong>en</strong>t à<br />

l’état <strong>de</strong> projet.<br />

Le secteur hôtelier qui fait cruellem<strong>en</strong>t défaut, <strong>de</strong> nombreux hôtels ont fermé <strong>de</strong><br />

par les difficultés économiques mais aussi par le poids <strong>de</strong>s taxes et le blocage du prix<br />

<strong>de</strong>s nuitées donc une impossibilité <strong>de</strong> répercuter les hausses subies.<br />

<strong>Les</strong> congrès qui reste un secteur qui se porte bi<strong>en</strong> car <strong>de</strong> nombreux congrès<br />

nationaux sont organisés sur Strasbourg.<br />

Strasbourg siège du Conseil Europé<strong>en</strong>, formidable opportunité pour accueillir<br />

une gran<strong>de</strong> cli<strong>en</strong>tèle étrangère, d’ailleurs les professionnels réclam<strong>en</strong>t sans cesse<br />

l’ouverture <strong>de</strong> la frontière avec l’Allemagne, persuadés que, contrairem<strong>en</strong>t à ce que<br />

p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t les autorités, c’est le touriste allemand qui vi<strong>en</strong>dra <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> et non l’inverse<br />

et qu’il n’y a pas <strong>de</strong> risque <strong>de</strong> déséquilibrer les échanges monétaires. Ce sont les<br />

nationaux belges et luxembourgeois qui form<strong>en</strong>t la cohorte <strong>de</strong>s principaux visiteurs,<br />

montrant ainsi à quel point la cli<strong>en</strong>tèle alleman<strong>de</strong> fait défaut.<br />

Une industrie qui boitille<br />

Le Bas-Rhin connaît un important retard dans son industrialisation. Une <strong>de</strong>s<br />

premières causes est l’abs<strong>en</strong>ce d’investissem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années,<br />

l’<strong>Alsace</strong> formant une sorte <strong>de</strong> glacis <strong>en</strong>tre la France et l’Allemagne, les industriels <strong>de</strong><br />

peur <strong>de</strong> la guerre préférai<strong>en</strong>t investir plus à l’intérieur du pays.<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>structions liées à la libération ont retardé le redémarrage <strong>de</strong>s activités<br />

existantes, et la pénurie d’énergie n’a pas permis d’exploiter pleinem<strong>en</strong>t les<br />

installations.<br />

Déjà <strong>de</strong>s difficultés apparaiss<strong>en</strong>t, les usines Mathis sont <strong>en</strong> règlem<strong>en</strong>t judiciaire<br />

et une m<strong>en</strong>ace se fait jour à Pechelbronn où <strong>en</strong> septembre 1951 il est <strong>en</strong>visagé le<br />

lic<strong>en</strong>ciem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 300 ouvriers puis <strong>en</strong> décembre celui <strong>de</strong> 1200 ouvriers, employés et<br />

cadres, laissant augurer <strong>de</strong> graves difficultés pour la région. <strong>Les</strong> hommes politiques<br />

d’ailleurs ne s’y trompe pas, ils se mobilis<strong>en</strong>t tous <strong>de</strong> M. Pflimlin <strong>en</strong> passant par les<br />

maires concernés, le Conseil général et la préfecture, mais dans l’<strong>en</strong>semble ils<br />

sembl<strong>en</strong>t peu écoutés par les autorités c<strong>en</strong>trales.<br />

En revanche, les effets du plan Marshall vont bi<strong>en</strong>tôt se faire s<strong>en</strong>tir, <strong>de</strong>s fonds<br />

ont été massivem<strong>en</strong>t investis dans le barrage électrique <strong>de</strong> Kembs ce qui augm<strong>en</strong>tera<br />

notablem<strong>en</strong>t la production électrique, investissem<strong>en</strong>ts égalem<strong>en</strong>t dans l’usine à gaz<br />

et la cokerie <strong>de</strong> Strasbourg.<br />

<strong>Les</strong> communications téléphoniques sont égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> pleine restructuration<br />

avec l’utilisation <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s herzi<strong>en</strong>nes qui permettront <strong>de</strong> joindre Paris via Dijon<br />

avec un relais au Grand Ballon.<br />

Radio Strasbourg va égalem<strong>en</strong>t bénéficier d’un émetteur plus puissant construit<br />

à Sélestat et <strong>de</strong>s essais <strong>de</strong> télévision sont <strong>en</strong>visagés pour <strong>de</strong>s temps très proches.


179<br />

Un succès grandissant, la foire europé<strong>en</strong>ne.<br />

C’est l’évènem<strong>en</strong>t majeur <strong>de</strong> ces années, et reconnu comme tel avec <strong>de</strong>s<br />

inaugurations <strong>en</strong> gran<strong>de</strong>s pompes, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ces <strong>de</strong>s plus hautes autorités <strong>de</strong> l’Etat,<br />

M Pflimlin <strong>en</strong> 1949, M. Plev<strong>en</strong> présid<strong>en</strong>t du Conseil <strong>en</strong> 1950, et à nouveau M.<br />

Pflimlin <strong>en</strong> 1951. Le succès populaire n’est jamais dém<strong>en</strong>ti, les bilans <strong>de</strong>s D.N.A.<br />

parl<strong>en</strong>t d’une fréqu<strong>en</strong>tation <strong>en</strong> 1949 <strong>de</strong> 43 000 visiteurs par jours, les chiffres<br />

continueront d’augm<strong>en</strong>ter les années suivantes pour atteindre près <strong>de</strong> 600 000<br />

visiteurs pour toute la manifestation, avec une pointe à 100 000 <strong>en</strong>trées pour le<br />

dimanche le plus important<br />

M. L. H. Weber, le présid<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la foire, donne <strong>de</strong> régulières confér<strong>en</strong>ces <strong>de</strong><br />

presse <strong>en</strong> profitant <strong>de</strong> chaque occasion pour annoncer <strong>de</strong> nouveaux développem<strong>en</strong>ts<br />

et <strong>de</strong>s ext<strong>en</strong>sions. En août 1950, le hall M2 est <strong>en</strong> voie d’achèvem<strong>en</strong>t, le 19 janvier<br />

1951 le projet <strong>de</strong> relier le terrain du Wack<strong>en</strong> par voie ferrée à la gare est annoncé, a<br />

ce jour la foire occupe une surface <strong>de</strong> 142 000 m2. <strong>Les</strong> magasins du c<strong>en</strong>tre-ville <strong>en</strong><br />

ress<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t le contre-coup et voyant leur cli<strong>en</strong>tèle déserter leurs commerces,décid<strong>en</strong>t<br />

d’organiser une quinzaine commerciale durant la manifestation.<br />

La population<br />

Quelle est la place <strong>de</strong>s Alsaci<strong>en</strong>s dans l’espace français d’après-guerre ?<br />

S’il y a bi<strong>en</strong> un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qui domine dans cette pério<strong>de</strong>, c’est celui <strong>de</strong><br />

l’ambiguïté, les plaies <strong>de</strong> la guerre et <strong>de</strong> l’annexion sont <strong>en</strong>core à vif. Deux<br />

problématiques se distingu<strong>en</strong>t, l’amnistie et les « malgré-nous ».<br />

Globalem<strong>en</strong>t, les élus communistes faisant exception, la classe politique<br />

alsaci<strong>en</strong>ne milite pour une amnistie générale. Le discours dominant est que seuls les<br />

lampistes ont été sanctionnés et qu’il faut t<strong>en</strong>ir compte <strong>de</strong> la situation particulière<br />

<strong>de</strong>s fonctionnaires alsaci<strong>en</strong>s dans une région abandonnée par la France à<br />

l’Allemagne, sans la moindre protestation.<br />

<strong>Les</strong> débats se cristallis<strong>en</strong>t un peu autour du chef autonomiste Joseph ROSSE<br />

qui, <strong>de</strong> sa prison à Mulhouse, ti<strong>en</strong>t une correspondance avec les hommes politiques<br />

parisi<strong>en</strong>s, les poussant à s’<strong>en</strong>gager dans la voie <strong>de</strong> l’amnistie. Il décè<strong>de</strong>ra <strong>en</strong> 1951.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, il est bi<strong>en</strong> dans l’idée d’annuler les sanctions pris<strong>en</strong>t à la Libération<br />

puisqu’il est question <strong>de</strong> voter <strong>de</strong>s rattrapages <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sions pour les fonctionnaires<br />

condamnés et d’in<strong>de</strong>mniser ceux qui aurai<strong>en</strong>t perdu <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s.<br />

<strong>Les</strong> « malgré-nous », dont l’appellation date déjà <strong>de</strong> la première guerre mondiale<br />

rest<strong>en</strong>t le sujet le plus douloureux. <strong>Les</strong> bilans sont à ce mom<strong>en</strong>t pratiquem<strong>en</strong>t<br />

définitifs, plus <strong>de</strong> 30 000 Alsaci<strong>en</strong>s et Lorrains ne sont pas rev<strong>en</strong>us vivants <strong>de</strong> la<br />

guerre, dont 13 000 disparus dont on est sans nouvelles mais qui ont bi<strong>en</strong> peu <strong>de</strong><br />

chances d’être <strong>en</strong>core <strong>en</strong> vie. De fait, il est pathétique <strong>de</strong> voir que les espoirs ne se<br />

port<strong>en</strong>t que sur quelques dizaines <strong>de</strong> noms. La moindre rumeur est exploitée,<br />

chaque fois qu’un prisonnier allemand sort <strong>de</strong> Russie il est questionné à ce sujet. La<br />

classe politique alsaci<strong>en</strong>ne intervi<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t auprès <strong>de</strong> la chancellerie mais il


180<br />

semble qu’elle ne r<strong>en</strong>contre qu’une indiffér<strong>en</strong>ce bi<strong>en</strong>veillante. Le plus actif dans<br />

cette pério<strong>de</strong>, et ce n’est pas surpr<strong>en</strong>ant, c’est M. Robert SCHUMAN, lorrain et<br />

ministre <strong>de</strong>s Affaires Etrangères.<br />

Il apparaît, <strong>de</strong> ses contacts avec son homologue soviétique M. VICHINSKY,<br />

que les Français sont <strong>en</strong> butte à un odieux chantage <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s autorités<br />

soviétiques. <strong>Les</strong> soviétiques admett<strong>en</strong>t que, s’il reste <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s Alsaci<strong>en</strong>s et <strong>de</strong>s<br />

Lorrains <strong>en</strong> Russie, ce ne peut être que <strong>de</strong>s condamnés <strong>de</strong> droit commun, et que <strong>de</strong><br />

toute façon, il y a <strong>en</strong> France au moins 800 Russes qui intéress<strong>en</strong>t les autorités<br />

soviétiques, tout <strong>en</strong> expliquant qu’il n’y avait pas <strong>de</strong> rapport <strong>en</strong>tre ces <strong>de</strong>ux faits. Je<br />

p<strong>en</strong>se que pour les hommes politiques <strong>de</strong> 1950, il n’y avait aucun doute quant au<br />

sort réservé à ces Russes si jamais ils r<strong>en</strong>trai<strong>en</strong>t chez eux. Cep<strong>en</strong>dant, <strong>de</strong>s<br />

associations d’anci<strong>en</strong>s combattants n’ont pas hésité à publier <strong>de</strong>s communiqués<br />

préconisant le sacrifice <strong>de</strong> quelques Russes, si cela pouvait permettre <strong>de</strong> récupérer<br />

<strong>de</strong>s compatriotes.<br />

Une exploitation <strong>de</strong> la » spécificité » alsaci<strong>en</strong>ne ?<br />

Régulièrem<strong>en</strong>t, les élus alsaci<strong>en</strong>s mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> avant le statut et le droit local vis-àvis<br />

<strong>de</strong>s autorités nationales. C’<strong>en</strong> est presque une obsession, quitte à partir dans <strong>de</strong><br />

mauvais combats comme celui qui consistait à déf<strong>en</strong>dre à tout prix le règlem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

la municipalité <strong>de</strong> Strasbourg. Rappel <strong>de</strong>s faits : le règlem<strong>en</strong>t prévoit que seules les<br />

jeunes filles peuv<strong>en</strong>t travailler à la mairie, dès qu’elles se mari<strong>en</strong>t, elles sont<br />

lic<strong>en</strong>ciées. C’est ce qui est arrivé à une employée qui a porté l’affaire <strong>en</strong> justice et<br />

qui a gagné, elle doit être réintégrée. Cette aberration archaïque ne <strong>de</strong>vrait pas être<br />

un sujet <strong>de</strong> discussion mais voilà, on s’attaque à une loi établie et au nom <strong>de</strong><br />

principes, l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s élus, qui sont <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s très compét<strong>en</strong>ts, sont scandalisés <strong>de</strong><br />

cette remise <strong>en</strong> cause et dénonc<strong>en</strong>t la décision <strong>de</strong> justice.<br />

On peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r qu’elle image donne l’<strong>Alsace</strong> auprès <strong>de</strong>s autorités<br />

parisi<strong>en</strong>nes lorsqu’ils voi<strong>en</strong>t arriver <strong>de</strong> tels dossiers sur leurs bureaux. En réalité, le<br />

risque <strong>de</strong> <strong>de</strong>sservir la cause est réel.<br />

En revanche, lors du conflit <strong>de</strong>s municipalités alsaci<strong>en</strong>nes et <strong>de</strong>s trésoriers<br />

payeurs généraux quant à un prélèvem<strong>en</strong>t supplém<strong>en</strong>taire sur les salaires <strong>de</strong>s<br />

employés communaux, c’est toujours au nom du statut alsaci<strong>en</strong> que l’on déf<strong>en</strong>d ses<br />

intérêts financiers. Dans ce cas, l’argum<strong>en</strong>t est plus déf<strong>en</strong>dable.<br />

Curieusem<strong>en</strong>t, le M.R.P. se s<strong>en</strong>t dans l’obligation <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> la sur<strong>en</strong>chère dans<br />

ce domaine car, et le parti le rev<strong>en</strong>dique, il ne faut pas laisser l’espace portant sur la<br />

déf<strong>en</strong>se du statut local au seul Parti Communiste, qui lui n’hésite pas à l’occuper<br />

régulièrem<strong>en</strong>t. IL n’y a ri<strong>en</strong> d’innoc<strong>en</strong>t dans l’exploitation <strong>de</strong> ce thème, c’est qu’il y<br />

a forcém<strong>en</strong>t un écho positif auprès <strong>de</strong> la population. Ainsi, M. PFLIMLIN utilisera<br />

une astuce d’orateur régulièrem<strong>en</strong>t repris par les hommes politiques alsaci<strong>en</strong>s. Lors<br />

<strong>de</strong>s législatives <strong>de</strong> 1951, il avait été invité comme contradicteur à un meeting du<br />

R.P.F. <strong>de</strong>vant un public qui lui était majoritairem<strong>en</strong>t hostile. De plus, il <strong>de</strong>vait


181<br />

s’exprimer juste après la ve<strong>de</strong>tte <strong>de</strong> cette réunion, M. André MALRAUX. La<br />

solution était évid<strong>en</strong>te, il fit l’ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> son discours <strong>en</strong> alsaci<strong>en</strong> !<br />

<strong>Les</strong> débats rest<strong>en</strong>t toujours vifs <strong>en</strong> ce qui concerne le bilinguisme, <strong>en</strong>tre les<br />

partisans <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’Allemand, ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t au M.R.P. et ceux qui<br />

préférerai<strong>en</strong>t un r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t du français, plutôt au R.P.F. et chez les socialistes.<br />

Ces <strong>de</strong>rniers plaid<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t pour une vraie laïcité, <strong>en</strong> contradiction avec le<br />

statut local, mais ils ne sembl<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus. Selon un sondage réalisé auprès <strong>de</strong>s<br />

libraires strasbourgeois <strong>en</strong> 1950, un majorité <strong>de</strong> livres v<strong>en</strong>dus étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> allemand,<br />

et plusieurs articles regrett<strong>en</strong>t que les films <strong>en</strong> allemands fass<strong>en</strong>t trop <strong>de</strong> concurr<strong>en</strong>ce<br />

aux films français.<br />

Il faut absolum<strong>en</strong>t souligner le rôle particulièrem<strong>en</strong>t actif <strong>de</strong> l’Alliance française<br />

sout<strong>en</strong>ue par tout un réseau avec à sa tête Mme Fernand HERRENSCHMIDT.<br />

Cette association n’a <strong>de</strong> cesse d’organiser <strong>de</strong>s concours <strong>de</strong> français, <strong>de</strong>s expositions,<br />

<strong>de</strong>s cycles <strong>de</strong> film sur la France et ses réalisations à travers le mon<strong>de</strong>, le tout avec la<br />

bénédiction du rectorat. L’<strong>Alsace</strong> aurait-elle droit au même traitem<strong>en</strong>t que les<br />

colonies ?<br />

Une population <strong>en</strong> pleine évolution<br />

Sur l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong>, nous avons surtout <strong>de</strong>s données précises sur<br />

Strasbourg. En 1949, les restrictions pès<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core sur la vie quotidi<strong>en</strong>ne, mais elles<br />

s’estomp<strong>en</strong>t rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t. Le marché noir <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t inexistant, seules subsist<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

façon importante <strong>de</strong>s frau<strong>de</strong>s sur la qualité du lait par mouillage.<br />

Si la vie reste difficile, c’est ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t du fait du décrochage <strong>en</strong>tre les<br />

salaires et les prix, les industriels alsaci<strong>en</strong>s étant les seuls <strong>en</strong> France à respecter les<br />

salaires maximum fixés par la loi et nettem<strong>en</strong>t insuffisants face à une inflation qui<br />

connaît <strong>de</strong>s poussées <strong>de</strong> fièvres.<br />

La municipalité est confronté à une double difficulté, la reconstruction n’est<br />

<strong>en</strong>core que partielle, la crise du logem<strong>en</strong>t est plus que préoccupante, or la ville<br />

continue à attirer <strong>de</strong>s ruraux. La municipalité a abandonné tout espoir d’une<br />

occupation durable <strong>de</strong> Kehl et là <strong>en</strong>core il faut trouver une solution pour reloger au<br />

moins 7000 personnes. C’est l’occasion <strong>de</strong> lancer <strong>de</strong> grands travaux sur Neudorf, au<br />

quai <strong>de</strong>s Alpes, au quai <strong>de</strong>s Belges ou dans le quartier <strong>de</strong>s quinze.<br />

Nous assistons donc à un double mouvem<strong>en</strong>t pour la reconstruction, une<br />

réhabilitation soignée du c<strong>en</strong>tre ville pour sauver <strong>de</strong>s vieux immeubles abîmés, et un<br />

empilem<strong>en</strong>t rationnel d’appartem<strong>en</strong>ts standardisés <strong>en</strong> périphérie. L’architecte<br />

Charles Gustave STOSKOPF est régulièrem<strong>en</strong>t cité, surtout pour les nouveaux<br />

habitats à l’Est <strong>de</strong> Strasbourg. Il a d’ailleurs été interviewé au printemps 2003 par<br />

France 3 <strong>Alsace</strong> au sujet <strong>de</strong> la reconstruction.<br />

Dans l’<strong>en</strong>semble, les architectes ont la vision <strong>de</strong> leur époque sur leur métier, ils<br />

souhait<strong>en</strong>t <strong>de</strong> larges perspectives avec <strong>de</strong> grands immeubles aux lignes épurées, la<br />

référ<strong>en</strong>ce à Le CORBUSIER est omniprés<strong>en</strong>te.


182<br />

De nombreux projets ne verrons pas le jour, ou bi<strong>en</strong> verrons leur ambition<br />

réduite, comme la cité universitaire du quai <strong>de</strong>s Alpes dont la hauteur programmée<br />

passera <strong>de</strong> 11 étages à 5 étages lors <strong>de</strong> la réalisation.<br />

La ville investie égalem<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>s installations <strong>de</strong> base, <strong>de</strong>s équipem<strong>en</strong>ts<br />

sportifs, <strong>de</strong>s écoles. Déjà la circulation automobile comm<strong>en</strong>ce à être difficile <strong>en</strong> ville<br />

et il faut maint<strong>en</strong>ant intégrer dans les schémas urbains la construction <strong>de</strong> parkings.<br />

Il faut dire que dans le départem<strong>en</strong>t circul<strong>en</strong>t plus <strong>de</strong> 12000 véhicules particuliers.<br />

La vie culturelle repr<strong>en</strong>d peu à peu sa place, la construction du théâtre du Cercle<br />

offre <strong>de</strong> nouvelles possibilités, les grands artistes nationaux et internationaux<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t se produire à Strasbourg, Charles TRENET, Tino ROSSI, Yves<br />

MONTAND, Charles AZNAVOUR, Duke ELLINGTON.<br />

La démographie est dynamique, les maladies pulmonaires et la pneumonie sont<br />

cep<strong>en</strong>dant <strong>en</strong>core responsables <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 13% <strong>de</strong>s décès. Un nouveau péril se<br />

précise à la fin <strong>de</strong> l’été 1951 avec une épidémie <strong>de</strong> poliomyélite située surtout <strong>en</strong><br />

Sarre, mais les communiqués <strong>de</strong> la préfecture se veul<strong>en</strong>t rassurant, l’épidémie ayant<br />

curieusem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>dance à s’arrêter aux frontières.<br />

<strong>Les</strong> autorités sont confrontés à une délinquance juvénile préoccupante, les foyers<br />

d’accueil sont très sollicités, les associations protestantes sont très actives (<br />

reconstruction du foyer OBERLIN par exemple), là <strong>en</strong>core nous retrouvons Mme<br />

HERRENSCHMIDT.<br />

Enfin, à partir <strong>de</strong> 1950/1951, et c’est <strong>en</strong>core plus tangible au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s foires<br />

europé<strong>en</strong>nes, comm<strong>en</strong>ce à se profiler une nouvelle situation. La fin <strong>de</strong>s restrictions<br />

n’a pas vraim<strong>en</strong>t ram<strong>en</strong>é la population dans la situation d’avant-guerre, un nouveau<br />

modèle est adopté, c’est l’ »american way of life », c’est-à-dire une consommation<br />

<strong>de</strong> masse, et 50 ans plus tard, ce modèle est plus que toujours <strong>en</strong> vigueur.<br />

Chronologie<br />

VIE POLITIQUE DANS LE BAS-RHIN<br />

1949<br />

Le 13 février, la rubrique « la vie <strong>de</strong>s partis » fait un état <strong>de</strong>s lieux avant les<br />

cantonales <strong>de</strong> mars 1949. A ce jour, le Conseil général est composé <strong>de</strong> 35 conseillers<br />

se répartissant ainsi : 16 M.R.P., 9 R.P.F., 2 Républicains <strong>de</strong> gauche, 1 S.F.I.O. et<br />

7 Indép<strong>en</strong>dants. En mars, 17 cantons seront r<strong>en</strong>ouvelés portant sur 9 M.R.P., 3<br />

R.P.F., 2 Républicains <strong>de</strong> gauche et 1 S.F.I.O..<br />

Le 22 janvier, le M.R.P. a proposé aux autres partis, <strong>en</strong> particulier le R.P.F., la<br />

constitution d’un front unique dans le cadre d’une réconciliation nationale.<br />

Le 11 mars, publication <strong>de</strong> la liste <strong>de</strong>s candidats à l’élection du Conseil régional,<br />

le fossé <strong>en</strong>tre le M.R.P. et le R.P.F. s’affirme après l’échec <strong>de</strong> l’appel à la trêve du<br />

M.R.P. les candidats communistes sont réunis sur la liste « Union Républicaine et<br />

Résistante «


183<br />

Le 27 mars, les résultats du second tour <strong>de</strong>s cantonales, donn<strong>en</strong>t la<br />

physionomie <strong>de</strong> la nouvelle assemblée qui compr<strong>en</strong>d désormais 15 M.R.P., 12<br />

R.P.F. + 3 Républicains Indép<strong>en</strong>dants, et 5 Indép<strong>en</strong>dants. Le M.R.P. perd donc 1<br />

siège, le R.P.F. <strong>en</strong> gagne 1 ainsi que les Indép<strong>en</strong>dants, <strong>en</strong>core que 3 sont élus grâce<br />

au R.P.F., les Socialistes perd<strong>en</strong>t leur siège.<br />

A Strasbourg, la participation a été <strong>de</strong> 45%.<br />

Le 31 mars, comm<strong>en</strong>taires sur les élections à travers une revue <strong>de</strong> la presse<br />

régionale.<br />

Après le rattachem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> différ<strong>en</strong>ts Indép<strong>en</strong>dants au groupe RPF, le Conseil<br />

général du Bas-Rhin est composé <strong>de</strong> : 17 sièges pour le R.P.F. 16 sièges pour le<br />

M.R.P. 1 siège pour les Indép<strong>en</strong>dants ( M. THORMANN) Il manque les résultats<br />

<strong>de</strong> l’élection complém<strong>en</strong>taire <strong>de</strong> Marckolsheim, la première réunion du Conseil<br />

général a <strong>de</strong> ce fait été reportée.<br />

Le 6 avril, après une séance mouvem<strong>en</strong>tée, M. Thormann (indép<strong>en</strong>dant mais<br />

sout<strong>en</strong>u par le R.P.F.) est élu présid<strong>en</strong>t du Conseil général du Bas-Rhin, MM.<br />

Stiegler et Gillmann (tous <strong>de</strong>ux MRP) sont élus vice-présid<strong>en</strong>ts.<br />

Le 25 juin, s’est déroulé le 1 er tour <strong>de</strong>s élections cantonales complém<strong>en</strong>taires à<br />

Marckolsheim pour désigner le successeur <strong>de</strong> M. Ehm. Ce <strong>de</strong>rnier s’était prés<strong>en</strong>té à<br />

Sélestat pour r<strong>en</strong>verser le Dr BUR. Le canton <strong>de</strong> Marckolsheim a été <strong>de</strong> tout temps<br />

t<strong>en</strong>u par le parti catholique, canton où 18 communes sont complètem<strong>en</strong>t<br />

catholiques pour seulem<strong>en</strong>t 3 villages protestants. Or le candidat du R.P.F. M.<br />

Tubach, arrivé <strong>en</strong> tête avec 60 voix d’avance sur le candidat du M.R.P. M. Schmitt,<br />

est protestant. M. Tubach avait obt<strong>en</strong>u 2791 voix au premier tour contre 2732 à<br />

son adversaire, il sera élu au <strong>de</strong>uxième tour.<br />

Le 27 septembre, a débuté une réunion du Conseil général <strong>de</strong> Bas-Rhin à<br />

Strasbourg, M. THormann est réélu présid<strong>en</strong>t. De vifs incid<strong>en</strong>ts ont opposé les<br />

partis lors <strong>de</strong> l’élection <strong>de</strong> la commission départem<strong>en</strong>tale. Cette commission<br />

compr<strong>en</strong>ait 4 R.P.F. et 4 M.R.P., le R.P.F. à prés<strong>en</strong>t veut un siège supplém<strong>en</strong>taire<br />

que ne veut pas lui accor<strong>de</strong>r le M.R.P. Le M.R.P. quitte la séance qui est reportée<br />

au l<strong>en</strong><strong>de</strong>main.<br />

Le 28 septembre, <strong>de</strong>uxième journée <strong>de</strong> la réunion du Conseil général. Le MRP<br />

ne pr<strong>en</strong>d qu’un siège au bureau du Conseil, et pour la commission départem<strong>en</strong>tale,<br />

il est décidé <strong>de</strong> créer un 9 ème poste qui n’aurait qu’une voix consultative. De fait<br />

cette séance se déroule sans incid<strong>en</strong>t les membres <strong>de</strong> la commission départem<strong>en</strong>tale<br />

ont été élu à l’unanimité.<br />

Composition du Conseil général. Au bureau : présid<strong>en</strong>t : M. Thormann (RPF) .<br />

1 er vice-présid<strong>en</strong>t : M. Stiegler (RPF) . 2 ème vice-présid<strong>en</strong>t : Dr Gillmann (MRP 1 er<br />

secrétaire) et suivants M. Widmann (RPF) , M. H<strong>en</strong>rich (RPF) , M. Klein<br />

(RPF) , Dr Ritter (Indép). Sont élus à la commission départem<strong>en</strong>tale 4 RPF, et 4<br />

MRP, MM. Stiegler (RPF) Maechling (MRP), Haubtmann (RPF), Kuntz (Indép.<br />

Sout. MRP) , Tubach (RPF) , Koessler (MRP), Grau (MRP), Widmann (RPF), et<br />

Gillmann à titre consultatif.


184<br />

1950<br />

Le 28 septembre, a débuté la secon<strong>de</strong> session ordinaire du Conseil général du<br />

Bas-Rhin. L’accord trouvé <strong>en</strong> 1949 est reconduit.<br />

Le 02 octobre, rebondissem<strong>en</strong>t lors du conseil municipal <strong>de</strong> Strasbourg, suite à<br />

la réc<strong>en</strong>te démission <strong>de</strong> l’élue communiste Mme FATH. Dans une secon<strong>de</strong> lettre<br />

adressée au maire, elle revi<strong>en</strong>t sur sa décision, imposée selon elle par son Parti. M.<br />

FREY, affirmant que certaines conditions n’étai<strong>en</strong>t pas réunies, a déclaré que la<br />

première lettre <strong>de</strong> démission n’était pas valable, et qu’<strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce, Mme FATH<br />

restait membre du conseil municipal mais <strong>en</strong> tant qu’indép<strong>en</strong>dante. Colère <strong>de</strong>s<br />

autres élus communistes qui perd<strong>en</strong>t ainsi un siège.<br />

1951<br />

Le 16 février, a eu lieu à l’Aubette une gran<strong>de</strong> réunion publique du R.P.F. avec<br />

la participation <strong>de</strong> M. Jean FRIBOURG. La soirée était présidée par M.SCHOTT<br />

conseiller départem<strong>en</strong>tal, il était <strong>en</strong>touré <strong>de</strong>s généraux NOETTINGER et<br />

MAZOYER, du député KAUFFMANN, du conseiller municipal <strong>de</strong> Strasbourg M.<br />

MENNRATH et M. RADIUS. Au cours <strong>de</strong> cette réunion, le danger communiste a<br />

été stigmatisé, ainsi que l’incapacité du gouvernem<strong>en</strong>t. Le R.P.F. att<strong>en</strong>d beaucoup<br />

<strong>de</strong>s prochaines élections législatives <strong>de</strong> juin 1951 et <strong>de</strong>s sénatoriales, tout <strong>en</strong> se<br />

plaignant du recul <strong>de</strong> la date <strong>de</strong>s élections par le gouvernem<strong>en</strong>t.<br />

La contradiction a été apportée par le secrétaire général <strong>de</strong> la C.G.T. M.<br />

MOHN, d’abord <strong>en</strong> dialecte puis <strong>en</strong> français.<br />

Le 22 mai, un article donne la situation politique dans le Bas-Rhin avant les<br />

législatives.<br />

Après les élections du 11 novembre 1946, les députés du départem<strong>en</strong>t se<br />

répartissai<strong>en</strong>t ainsi :<br />

4 M.R.P. MM. MECK, PFLIMLIN, SIGRIST, SCHMITT<br />

3 R.P.F. MM. WOLFF, KAUFFMANN, CLOSTERMANN<br />

1 S.F.I.O. M. NAEGELEN<br />

1 P.C..F M. ROSENBLATT<br />

Pour 1951, M. SIGRIST ne se représ<strong>en</strong>te pas, M. CLOSTERMANN ira dans<br />

un autre départem<strong>en</strong>t et sera remplacé par le général KOENIG.<br />

Au niveau local, le M.R.P. regrette que le R.P.F. dise non à la main t<strong>en</strong>due. LE<br />

Nouvel Alsaci<strong>en</strong>, organe du M.R.P. a <strong>en</strong> effet annoncé que le R.P.F. a refusé<br />

l’accord d’appar<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t proposé par le Mouvem<strong>en</strong>t, le R.P.F. déclarant att<strong>en</strong>dre<br />

le résultat <strong>de</strong>s négociations au niveau national <strong>en</strong>tre le parti gaulliste et le<br />

Mouvem<strong>en</strong>t Républicain Populaire.<br />

Le 24 mai, la commission exécutive du M.R.P. s’était réunie à Strasbourg, dans<br />

un communiqué elle a rappelé qu’elle avait proposé l’appar<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t au R.P.F. le 22<br />

mai et que celui-ci, à son grand regret, l’avait rejeté le jour même.<br />

Le 25 mai, une liste d’indép<strong>en</strong>dants est formée par l’Union <strong>de</strong>s Indép<strong>en</strong>dants et<br />

Paysans et les Républicains Nationaux. Cette liste a immédiatem<strong>en</strong>t signé un accord<br />

d’appar<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t avec le M.R.P. avant la date limite fixée au 25 mai minuit.


185<br />

Le 19 juin, les premiers résultats globaux sont publiés pour le départem<strong>en</strong>t du<br />

Bas-Rhin.<br />

Inscrits Votants Exprimés M.R.P R.P.F S.F.I.O P.C.F. Indépe<br />

ndants<br />

428 583 315790 305 702<br />

Suffrages<br />

<strong>de</strong> liste<br />

Majorité<br />

absolue<br />

Maj. <strong>de</strong><br />

liste<br />

303 996 128 191 94 996 19 286 36 969 24 554152 745<br />

152851<br />

151 998<br />

Théoriquem<strong>en</strong>t, avec 152 745 voix par rapport à la majorité <strong>de</strong>s suffrages <strong>de</strong><br />

listes l’appar<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t M.R.P.-Indép<strong>en</strong>dants remporte les élections et pr<strong>en</strong>d les 9<br />

circonscriptions 8 pour le M.R.P. et 1 pour les Indép<strong>en</strong>dants. Comme les résultats<br />

sont contestés, une commission est chargée <strong>de</strong> recompter les bulletins, <strong>en</strong> particulier<br />

pour les 10 088 contestés comme nuls, et l’on att<strong>en</strong>d qu’elle se prononce. Dans le<br />

journal, sont publiés les résultats détaillés par canton et par arrondissem<strong>en</strong>t, les 3<br />

cantons <strong>de</strong> Strasbourg étant eux détaillés par bureau <strong>de</strong> vote.<br />

Le 20 juin, la commission <strong>de</strong> rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t a statué et décidé <strong>de</strong> répartir les sièges<br />

<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant la majorité absolue <strong>de</strong>s exprimés pour base. Ont don été été élus 5<br />

députés M.R.P., MM. PFLIMLIN, MECK, SCHMITT, BAPST et KLOCK, 3<br />

députés R.P.F., le général KOENIG et MM. KAUFFMANN et WOLFF, et 1<br />

député communiste M. ROSENBLATT.<br />

Inscrits Votants Exprimé<br />

s<br />

429 734 315 476 305 890<br />

Suff. De 303 952 128<br />

liste<br />

122<br />

Maj<br />

152 946<br />

absolue<br />

Majorité 151976<br />

<strong>de</strong>s suff.<br />

De liste<br />

M.R.P R.P.F S.F.I.<br />

O<br />

94 970 19<br />

291<br />

P.C.F. Indép<br />

<strong>en</strong>da<br />

nts<br />

36 975 24<br />

594<br />

Appar<strong>en</strong><br />

tés<br />

152 716


186<br />

Le Haut-Rhin dispose <strong>de</strong> 6 élus, 3 R.P.F.MM. BOURGEOIS, KUHN et<br />

RITZENTHALER, 1 S.F.I.O. M. WAGNER et 2 M.R.P. MM. FONLUPT-<br />

ESPERABER et WASSMER.<br />

Après le grand succès du R.P.F. dans les 2 départem<strong>en</strong>ts aux municipales et aux<br />

cantonales, on s’att<strong>en</strong>dait à une victoire décisive le 17 juin. En fait, le M.R.P. a bi<strong>en</strong><br />

résisté <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> avec 42% <strong>de</strong>s suffrages.<br />

La liste <strong>de</strong>s Indép<strong>en</strong>dants, avec 8%, a connu un succès d’estime, bénéficiant<br />

surtout <strong>de</strong>s voix <strong>de</strong>s régions protestantes et <strong>de</strong>s milieux bourgeois <strong>de</strong> gauche, au<br />

détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la S.F.I.O. qui a souffert <strong>de</strong> l’abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> M. NAEGELEN.<br />

Le M.R.P. conteste les nouveaux résultats, c’est maint<strong>en</strong>ant à l’Assemblée<br />

Nationale <strong>de</strong> se prononcer.<br />

Le 11 juillet, sont publiées les conclusions <strong>de</strong> la commission électorale. Le<br />

rapporteur du septième bureau chargé d’examiner le procès-verbal d’élection du<br />

Bas-Rhin, a déclaré que le problème posé est exclusivem<strong>en</strong>t d’ordre juridique. La<br />

commission <strong>de</strong> rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t a comptabilisé 305 890 bulletins valables (ni blancs ni<br />

nuls, mais complets ou incomplets <strong>en</strong> raison du panachage autorisé) et 303 952<br />

suffrages <strong>de</strong> liste (addition <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>nes <strong>de</strong>s voix obt<strong>en</strong>ues pour chaque liste). Le<br />

M.R.P. et les indép<strong>en</strong>dants ont obt<strong>en</strong>u 152 716 voix, si la majorité absolue est<br />

calculée sur les bulletins valables, les appar<strong>en</strong>tés n’ont pas la majorité absolue, si le<br />

calcul se fait sur les suffrages <strong>de</strong> liste, dans ce cas les appar<strong>en</strong>tés remport<strong>en</strong>t tous les<br />

sièges.<br />

En tout état <strong>de</strong> cause, le rapporteur rejette, sans proposer une autre solution, la<br />

possibilité d’annuler les élections.<br />

Le 26 juillet, l’Assemblée Nationale a validé les conclusions <strong>de</strong> la commission <strong>de</strong><br />

rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t, a savoir l’élection dans le Bas-Rhin <strong>de</strong> 5 députés M.R.P., 3 R.P.F. et 1<br />

communiste, par 2569 voix contre 145.<br />

Le matin même, l’Assemblée avait invalidé les élections <strong>de</strong> la Seine Inférieure<br />

qui prés<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant les mêmes caractéristiques. Il semblerait que la<br />

personnalité du général KOENIG ait beaucoup pesé dans cette décision.<br />

Le 13 septembre, publication d’ une chronique politique. <strong>Les</strong> 07 et 14 octobre<br />

1951, la moitié <strong>de</strong>s mandats du Conseil général seront r<strong>en</strong>ouvelés, soit une élection<br />

dans 18 cantons sur 35 dans le Bas-Rhin, à savoir :<br />

Marckolsheim, B<strong>en</strong>feld, Erstein, Molsheim, Rosheim, Barr, Strasbourg sud,<br />

Strasbourg nord, Brumath, Hochfeld<strong>en</strong>, Bouxwiller, La Petite Pierre, Druling<strong>en</strong>,<br />

Bischwiller, Hagu<strong>en</strong>au, Soultz-sous-Forêts, Seltz et Lauterbourg.<br />

A ce jour, le Conseil général est composé <strong>de</strong> 16 élus M.R.P., 14 élus R.P.F. et<br />

<strong>de</strong> 5 élus Indép<strong>en</strong>dants.<br />

Le 07 octobre, s’est déroulé le 1 er tour <strong>de</strong>s cantonales partielles, 15 <strong>de</strong>s 18 sièges<br />

ont été immédiatem<strong>en</strong>t pourvus, 9 pour le M.R.P. MM. MECK, BAPST,<br />

KISTLER, PFLIMLIN, GRAU, ELSAESSER, SCHMITT, DEBES et<br />

BORNERT, 2 pour le R.P.F. MM. WESTPHAL et TUBACH, et 4 pour les


187<br />

Indép<strong>en</strong>dants MM. KUNTZ, NAEGELL, SCHIELLEIN et SPRAUER. Il reste<br />

<strong>en</strong>core 3 ballottages.<br />

Dans le Haut-Rhin, 2 M.R.P., 5 R.P.F. et 1 Indép<strong>en</strong>dant ont été élus au<br />

premier tour, il reste 5 ballottages.<br />

Dès le l<strong>en</strong><strong>de</strong>main, l’organe du M.R.P. « le nouvel Alsaci<strong>en</strong> » a souligné la<br />

victoire <strong>de</strong> son parti, et s’att<strong>en</strong>d à remporter les élections sur Strasbourg au<br />

<strong>de</strong>uxième tour. « La presse libre », organe <strong>de</strong> la S.F.I.O. a annoncé qu’elle<br />

maint<strong>en</strong>ait ses candidats sur Strasbourg.<br />

Le 14 octobre, au second tour <strong>de</strong>s cantonales partielles, MM. MARKER et<br />

ARBOGAST du M.R.P. sont élus sur Strasbourg nord et sud, M. FRICKER du<br />

R.P.F. est élu à La Petite-Pierre. Une fois <strong>en</strong>core, Strasbourg est marqué par une<br />

abst<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 70%.<br />

Désormais, le Conseil général se compose <strong>de</strong> 19 M.R.P., <strong>de</strong> 9 indép<strong>en</strong>dants et<br />

<strong>de</strong> 7 R.P.F., on p<strong>en</strong>se que le prochain présid<strong>en</strong>t sera M. PFLIMLIN.<br />

« La presse libre » a annoncé qu’à ce train là, le R.P.F. va bi<strong>en</strong>tôt disparaître,<br />

même écho <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> M. MECK dans « le nouvel alsaci<strong>en</strong> « . « la presse libre »<br />

met égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cause le P.C.F. qui « <strong>en</strong> divisant la classe ouvrière confie les <strong>de</strong>ux<br />

cantons <strong>de</strong> Strasbourg à la réaction cléricale ». M. MECK déclare égalem<strong>en</strong>t qu »au<br />

soir du 1 er tour, il s’était adressé au maire M. FREY pour s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sur un candidat<br />

indép<strong>en</strong>dant, mais celui-ci a rejeté l’offre.<br />

Dans le Haut-Rhin, le R.P.F. gagne 1 siège avec 18 mandats pour 5 sièges au<br />

M.R.P. plus 1 sympathisant. La différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre les 2 départem<strong>en</strong>ts est expliquée<br />

par la faiblesse chronique du M.R.P. dans le Haut-Rhin, qui n’y dispose pas non<br />

plus d’un journal. Cep<strong>en</strong>dant, partout l’hétérogénéité du R.P.F. est soulignée.<br />

Le 05 novembre, lors du conseil municipal <strong>de</strong> Strasbourg, les élus communistes<br />

ont protesté contre l’<strong>en</strong>voi <strong>de</strong> colis aux 325 combattants alsaci<strong>en</strong> <strong>en</strong> Indochine, M.<br />

MOHN expliquant qu’il préférait qu’on leur <strong>en</strong>voie plutôt une feuille <strong>de</strong><br />

démobilisation comme ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong> Noël. M. SCHOTT (R.P.F.) a répliqué <strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>mandant à ces conseillers l’adresse <strong>de</strong>s Strasbourgeois ret<strong>en</strong>us <strong>en</strong> U.R.S.S. afin<br />

qu’ils reçoiv<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t un colis. Finalem<strong>en</strong>t, un budget <strong>de</strong> 400 000 F fut voté<br />

avec l’abst<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> 4 <strong>de</strong>s 5 élus communistes.<br />

La reconstruction à Strasbourg<br />

1949<br />

Le 05 février s’est t<strong>en</strong>ue une réunion <strong>en</strong>tre M. PAIRA, <strong>de</strong>s responsables du<br />

M.R.U.( comme le délégué départem<strong>en</strong>tal M. DELMONT), le présid<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

l’Office d’H.B.M. M. KARLESKIND, et M. BOSTETTER directeur du Crédit<br />

Immobilier.<br />

La séance portait sur la construction <strong>de</strong> 1900 à 2000 logem<strong>en</strong>ts dans le Bas-<br />

Rhin <strong>en</strong> 1949.


188<br />

Prés<strong>en</strong>tation le 23 février <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> reconstruction prévus sur Strasbourg <strong>en</strong><br />

1949. Sont concernées les rues du Marché, Kuhn et Tiergart<strong>en</strong> plus quelques îlots<br />

prioritaires <strong>en</strong>tre la place du Vieux-Marché-Aux-Vins et la rue du Jeu-<strong>de</strong>s-Enfants,<br />

les hôtels <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> la gare et la mise <strong>en</strong> chantier <strong>de</strong> 100 logem<strong>en</strong>ts boulevard <strong>de</strong><br />

la Marne et rue d’Arras.<br />

Le 06 mars est annoncé le début <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> reconstruction du pont<br />

d’Anvers, <strong>en</strong> remplacem<strong>en</strong>t du pont provisoire <strong>en</strong> bois. Le montant <strong>de</strong>s travaux<br />

s’élève à 300 millions <strong>de</strong> F, l’ouverture étant prévue <strong>en</strong> 1951.<br />

Le 04 août, a débuté la reconstruction <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> la poste c<strong>en</strong>trale : elle sera<br />

différ<strong>en</strong>te <strong>de</strong> la précéd<strong>en</strong>te, détruite par les bombar<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts du 25 septembre 1944.<br />

le projet est <strong>de</strong> M. BIRR <strong>de</strong> Paris, architecte <strong>de</strong> l’administration.<br />

Le 26 août, ont débuté les travaux <strong>de</strong> reconstruction <strong>de</strong>s hôtels Terminus et<br />

Gruber place <strong>de</strong> la gare. Le projet prés<strong>en</strong>té par MM. O. BURGER et TREIBER,<br />

architectes, a été ret<strong>en</strong>u, la ville a exigé que les <strong>de</strong>ux faça<strong>de</strong>s prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un aspect<br />

uniforme.<br />

Le 22 septembre, M. KARLESKIND présid<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s H.B.M. fait une visite du<br />

chantier <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> 60 logem<strong>en</strong>ts répartis <strong>en</strong> 4 blocs d’immeubles rue<br />

A<strong>de</strong>lshoff<strong>en</strong> à Schiltigheim. Le terrain a été fourni gracieusem<strong>en</strong>t par la<br />

municipalité. Fier <strong>de</strong> cette réalisation, M. KARLESKIND précise cep<strong>en</strong>dant que les<br />

besoins <strong>de</strong> la ville<br />

se situ<strong>en</strong>t au minimum à hauteur <strong>de</strong> 1000 logem<strong>en</strong>ts.<br />

Le 19 novembre, arrivée à Strasbourg du Ministre <strong>de</strong> la Reconstruction et <strong>de</strong><br />

l’Urbanisme M. Claudius Petit. Il prévoit une tournée d’inspection les 20 et 21<br />

novembre <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>. Une importante réunion s’est t<strong>en</strong>ue à la préfecture <strong>en</strong>tre le<br />

ministre et MM. PAIRA, FREY et RADIUS, pour évoquer les travaux <strong>en</strong> cours et<br />

leur financem<strong>en</strong>t, ainsi que le relogem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s citoy<strong>en</strong>s français logés à Kehl et dont<br />

l’évacuation est prévue dans un av<strong>en</strong>ir proche.<br />

Lors <strong>de</strong> sa visite à Sweighouse-Sur-Mo<strong>de</strong>r, le ministre a déclaré qu’il fallait<br />

abandonner le projet <strong>de</strong> cimetière national au profit du site <strong>de</strong> Wimm<strong>en</strong>au.<br />

Il a souhaité égalem<strong>en</strong>t accélérer la reconstruction <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> qui selon lui a<br />

démarré sur un rythme trop l<strong>en</strong>t et selon souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> mauvaises répartitions. Il a<br />

donné le montant <strong>de</strong>s crédits accordés :<br />

2100 millions <strong>de</strong> F<br />

4500 millions <strong>de</strong> F<br />

6000 millions <strong>de</strong> F<br />

Il a aussi exprimé son désir <strong>de</strong> stimuler la construction <strong>de</strong>s Habitations à Bon<br />

Marché (H.B.M.) et a annoncé qu’au Conseil <strong>de</strong>s Ministres du 16 novembre<br />

<strong>de</strong>rnier, il a été approuvé son projet qui prévoit pour 3 milliards <strong>de</strong> travaux pour la<br />

région <strong>de</strong> Strasbourg, ces travaux portant sur <strong>de</strong>s constructions H.B.M. <strong>de</strong>vant<br />

comm<strong>en</strong>cer dès le début <strong>de</strong> 1950.<br />

1950


189<br />

Le 22 mai, M. PAIRA a inauguré boulevard d’Anvers une partie <strong>de</strong>s immeubles<br />

collectifs d’Etat, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> M. Jean-Louis CLEMENT délégué du M.R.U. <strong>en</strong><br />

<strong>Alsace</strong>.<br />

Le 21 juillet, un article nous décrit le fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s H.B.M.( Habitations<br />

à Bon Marché ). L’Office gère à ce jour 3000 logem<strong>en</strong>ts et veut <strong>en</strong> construire 12<br />

000 sur les dix prochaines années.<br />

Il est rappelé qu’à Strasbourg, pour les immeubles, 555 logem<strong>en</strong>ts avai<strong>en</strong>t été<br />

sinistrés dont 86 <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t détruits. A ce jour, 551 logem<strong>en</strong>ts ont été réparés et<br />

remis <strong>en</strong> état, reste <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>d les 4 logem<strong>en</strong>ts dans les maisons métalliques <strong>de</strong><br />

l’allée Reuss.<br />

En plus <strong>de</strong> ces réparations, l’Office a ajouté le groupe <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong> Bi<strong>en</strong>ne avec<br />

51 logem<strong>en</strong>ts, cela malgré les difficultés <strong>de</strong> financem<strong>en</strong>t et du manque <strong>de</strong> matières<br />

premières. A prés<strong>en</strong>t, l’office prévoit un programme <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> 1500<br />

logem<strong>en</strong>ts par an sur 4 ans, puis <strong>de</strong> 1000 logem<strong>en</strong>ts par an sur 6 ans, pour un coup<br />

<strong>de</strong> 26,5 milliards <strong>de</strong> F. <strong>Les</strong> crédits vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d’être votés et ont paru au J.O. du 01<br />

juin 1950.<br />

Le 10 septembre, est publié un bilan <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> américaine <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong> <strong>en</strong> 1949 et<br />

<strong>en</strong> 1950. Ainsi <strong>en</strong> 1950, pour la reconstruction, le Bas-Rhin s’est vu attribuer la<br />

somme <strong>de</strong> 745 millions <strong>de</strong> F, et le Haut-Rhin la somme <strong>de</strong> 583 millions <strong>de</strong> F.<br />

Le 25 octobre, 6 ans après sa <strong>de</strong>struction, le gros œuvre <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> la poste<br />

c<strong>en</strong>trale av<strong>en</strong>ue <strong>de</strong> la Marseillaise est achevée. Aux pierres grises d’origine, v<strong>en</strong>ant<br />

d’Allemagne, l’architecte a préféré utiliser du grès rose <strong>de</strong>s Vosges, provoquant un<br />

contraste s<strong>en</strong>sible. On affirme que cette différ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dra imperceptible grâce à<br />

un procédé qui vi<strong>en</strong>dra uniformiser les couleurs.<br />

Le 29 novembre, un groupe d’immeubles dans la rue Oberlin a été inauguré par<br />

le préfet M. PAIRA, 60 familles ont été ainsi relogées. M. RISCH, architecte, a<br />

précisé que le prix <strong>de</strong> revi<strong>en</strong>t d’un logem<strong>en</strong>t était <strong>de</strong><br />

1 680 000 F et que le prochain programme porterait sur la construction <strong>de</strong> 192<br />

logem<strong>en</strong>ts.<br />

L’office <strong>de</strong>s Habitations à Bon Marché (H.B.M.) vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> modifier sa raison<br />

sociale pour se transformer <strong>en</strong> Habitations à Loyer Modéré (H.L.M.).<br />

Le 19 décembre, sont inauguré boulevard Tauler, par l’association syndicale <strong>de</strong><br />

reconstruction, un groupe <strong>de</strong> 5 immeubles <strong>de</strong> 15 logem<strong>en</strong>ts. L’association, qui est à<br />

l’origine <strong>de</strong> cette reconstruction, a comptabilisé à son actif 38 immeubles <strong>en</strong> 1950.<br />

1951<br />

Le 31 janvier, est publié un article sur l’achèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong><br />

reconstruction <strong>de</strong>s immeubles sinistrés à l’extrémité <strong>de</strong> la Grand rue près <strong>de</strong> la place<br />

Gut<strong>en</strong>berg. <strong>Les</strong> plans <strong>de</strong> cet îlot ont été confiés à l’architecte strasbourgeois M.<br />

Adolphe WOLFF.<br />

Ce jour là, est publié un article sur la fin <strong>de</strong> la construction du nouveau pont <strong>de</strong><br />

la Bourse et l’aménagem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la sortie sud <strong>de</strong> Strasbourg. Cet ouvrage était appelé


190<br />

ironiquem<strong>en</strong>t pont <strong>de</strong>s « quatre hommes » <strong>en</strong> raison <strong>de</strong>s effectifs qui y étai<strong>en</strong>t<br />

parfois affectés et <strong>de</strong> la l<strong>en</strong>teur <strong>de</strong> sa construction.<br />

Le 23 avril, lors <strong>de</strong> la réunion du conseil municipal <strong>de</strong> Strasbourg, un accord <strong>de</strong><br />

principe a été adopté pour la mise <strong>en</strong> chantier <strong>de</strong> 1000 logem<strong>en</strong>ts. Voté à<br />

l’unanimité, cet accord a autorisé le maire <strong>de</strong> la ville à créer une société immobilière<br />

chargée du projet.<br />

Le 24 avril, est publié un article général sur la reconstruction où il apparaît que<br />

la crise du logem<strong>en</strong>t ne sera bi<strong>en</strong>tôt plus qu’un mauvais souv<strong>en</strong>ir, si on ne ti<strong>en</strong>t<br />

compte que <strong>de</strong>s travaux du M.R.U.<br />

La répartition <strong>de</strong>s constructions selon les types est la suivante :<br />

Type surface % du total construit<br />

1 22m2 6%<br />

2 30m2 6%<br />

3 45m2 15%<br />

4 57m2 25%<br />

5 68m2 30%<br />

6 82m2 14%<br />

7 96m2 4%<br />

La hauteur sous plafond est généralem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 2,25 m, les appartem<strong>en</strong>ts disposant<br />

du confort mo<strong>de</strong>rne.<br />

Le 08 août, est publié un article sur la construction <strong>en</strong> cours <strong>de</strong> 9 bâtim<strong>en</strong>ts<br />

compr<strong>en</strong>ant 258 logem<strong>en</strong>ts, quai <strong>de</strong>s Belges près <strong>de</strong> la rue Tara<strong>de</strong>, sous la direction<br />

<strong>de</strong> l’architecte <strong>en</strong> chef M. Charles-Gustave Stoskopf.<br />

Le 10 octobre, a été prés<strong>en</strong>tée au public la maquette <strong>de</strong> la future cité<br />

universitaire qui doit être bâtie quai <strong>de</strong>s Alpes. Elle s’insère dans un plan-masse<br />

<strong>de</strong>ssiné par M. Charles Gustave Stoskopf, et est l’œuvre <strong>de</strong> l’architecte M. François<br />

Herr<strong>en</strong>schmidt.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : François Igersheim


Emmanuel MANSUTTI<br />

L’immigration indochinoise à Mulhouse au XXe siècle<br />

L’immigration indochinoise est un sujet assez peu étudié <strong>en</strong> France, <strong>en</strong><br />

tout cas par les histori<strong>en</strong>s. Ainsi, les Indochinois ne sont souv<strong>en</strong>t cités qu’à titre<br />

d’exemple dans les principaux ouvrages traitant <strong>de</strong> l’immigration. Est-ce le fait<br />

d’une communauté peu médiatisée ? Ou bi<strong>en</strong> d’une communauté dont le nombre<br />

<strong>de</strong>s membres est réduit par rapport à <strong>de</strong>s groupes tels que les Algéri<strong>en</strong>s ou Itali<strong>en</strong>s?<br />

Notre travail permet donc d’éclairer un aspect <strong>de</strong> l’immigration <strong>de</strong>s Indochinois à<br />

travers un exemple local, celui <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Mulhouse. Le choix <strong>de</strong> porter l’étu<strong>de</strong><br />

sur Mulhouse a plusieurs avantages. D’une part, elle compte parmi les trois gran<strong>de</strong>s<br />

villes d’accueil d’<strong>Alsace</strong>, avec Strasbourg et Colmar. De plus, la région <strong>Alsace</strong> est la<br />

sixième région française <strong>en</strong> terme <strong>de</strong> prés<strong>en</strong>ce d’immigrés d’Asie du Sud Est selon<br />

un rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 1999 effectué par l’INSEE. D’autre part, grâce à notre étu<strong>de</strong> sur<br />

Mulhouse, nous avons pu id<strong>en</strong>tifier différ<strong>en</strong>ts flux d’immigration <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance<br />

d’Asie du Sud Est au cours du XXe siècle, qui sont chacun caractérisés par un motif<br />

d’exil différ<strong>en</strong>t.<br />

Néanmoins, le contexte particulier <strong>de</strong> l’<strong>Alsace</strong> au début du XXe siècle, et la<br />

situation géographique <strong>de</strong> Mulhouse ne permett<strong>en</strong>t pas d’élaborer une analyse <strong>de</strong> la<br />

prés<strong>en</strong>ce indochinoise dans la ville aussi facilem<strong>en</strong>t que dans le contexte général<br />

français. En effet, Mulhouse est annexée à l’Allemagne <strong>en</strong> 1870 et n’est rétrocédée à<br />

la France qu’après la première guerre mondiale. Dès lors, Mulhouse n’a pu<br />

connaître la colonie indochinoise qu’après son retour à la France. Ainsi, outre les<br />

questions <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong> départ <strong>de</strong>s Indochinois pour la France et <strong>de</strong> leur évolution<br />

après l’indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>s pays, nous nous sommes interrogés sur les év<strong>en</strong>tuels li<strong>en</strong>s<br />

qu’a pu <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir la Mulhouse alleman<strong>de</strong> avec la Perle <strong>de</strong> l’Empire, notamm<strong>en</strong>t<br />

dans une perspective économique. Mulhouse est <strong>en</strong> effet réputée pour sa puissance<br />

industrielle et l’utilisation <strong>de</strong> matières premières exotiques telles que la soie, le jute<br />

ou <strong>en</strong>core le coton. Enfin, nous nous sommes posé la question <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong>s<br />

facteurs <strong>de</strong> la vie mulhousi<strong>en</strong>ne qui ont pu attirer cette population.


192<br />

Nature <strong>de</strong>s li<strong>en</strong>s <strong>en</strong>tre Mulhouse et l’Indochine<br />

Etablir la nature <strong>de</strong>s premiers li<strong>en</strong>s <strong>en</strong>tre Mulhouse et l’Indochine n’est pas<br />

tâche facile. Quels sont les li<strong>en</strong>s que peut avoir une ville alleman<strong>de</strong>, puis française,<br />

avec une colonie française ? Sur quel plan, politique, économique, touristique,<br />

peuv<strong>en</strong>t-elles se r<strong>en</strong>contrer ? En fait, cette r<strong>en</strong>contre s’effectue sous trois aspects :<br />

politique, par un débat sur la décolonisation à la fin <strong>de</strong>s années 1940/1950,<br />

économique, par l’investissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s <strong>en</strong>treprises mulhousi<strong>en</strong>nes, puis formatif,<br />

puisque <strong>de</strong>s étudiants indochinois ont suivi le cursus <strong>de</strong> l’Ecole <strong>de</strong> Textile et <strong>de</strong><br />

Filature dans l’<strong>en</strong>tre-<strong>de</strong>ux-guerres.<br />

Li<strong>en</strong>s d’ordre politique<br />

Réservons d’abord la r<strong>en</strong>contre d’ordre politique. En effet, le débat que<br />

l’on retrouve au sein <strong>de</strong> la municipalité <strong>de</strong> Mulhouse fait suite au contexte <strong>de</strong> la fin<br />

<strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> guerre mondiale et l’<strong>en</strong>trée dans la guerre d’Indochine. Pour le Noël<br />

1950, le préfet du Haut-Rhin, <strong>en</strong> part<strong>en</strong>ariat avec les « anci<strong>en</strong>s d’Indochine » et les<br />

Forces Françaises d’Indochine, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux municipalités <strong>de</strong> voter une ai<strong>de</strong><br />

allouée aux militaires <strong>en</strong> service <strong>en</strong> Extrême-Ori<strong>en</strong>t. Or, on ne fait pas référ<strong>en</strong>ce au<br />

cours <strong>de</strong> ce débat à un passé actif <strong>en</strong>tre la ville et la colonie. Il faut préciser<br />

égalem<strong>en</strong>t que le Conseil municipal <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong>puis 1948 est <strong>de</strong> t<strong>en</strong>dance assez<br />

hétérogène (majorité RPF, SFIO, MRP et trois sièges pour le PC) et a « t<strong>en</strong>dance à<br />

trop souv<strong>en</strong>t confondre la gestion municipale avec <strong>de</strong>s débats parlem<strong>en</strong>taires ». Ainsi, les<br />

rev<strong>en</strong>dications <strong>de</strong> certains partis tels que le PC reflèt<strong>en</strong>t pleinem<strong>en</strong>t le débat qui se<br />

déroule à l’Assemblée Nationale : « Arrêt immédiat <strong>de</strong>s combats ! ». L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

questions qui sont développées dans le débat ne peuv<strong>en</strong>t pas établir un quelconque<br />

li<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre Mulhouse et l’Indochine qui puisse expliquer l’immigration<br />

Li<strong>en</strong>s économiques<br />

Or il s’est avéré qu’un li<strong>en</strong> économique <strong>en</strong>tre Mulhouse et l’Indochine est<br />

établi après le retour <strong>de</strong> l’<strong>Alsace</strong>-Lorraine à la France. En effet, Mulhouse s’investit<br />

dans l’<strong>en</strong>tre-<strong>de</strong>ux-guerres dans les colonies françaises sous <strong>de</strong>ux formes principales.<br />

D’une part, <strong>en</strong> 1924, les industriels mulhousi<strong>en</strong>s, regroupés dans la Société<br />

Industrielle <strong>de</strong> Mulhouse, cré<strong>en</strong>t l’Office Colonial <strong>en</strong> part<strong>en</strong>ariat avec la Chambre<br />

du Commerce et le souti<strong>en</strong> du Ministère <strong>de</strong>s Colonies. Cet Office diffuse <strong>de</strong>s<br />

informations d’ordre économique, culturel, et touristique sur les colonies françaises<br />

et donc sur l’Indochine. De même, <strong>de</strong>s confér<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong>s expositions sont alors<br />

organisées, <strong>de</strong>s films diffusés, dans lesquels l’Indochine reste, il faut l’avouer assez<br />

marginale.<br />

En ce qui concerne l’intégration économique <strong>de</strong> Mulhouse dans les<br />

colonies françaises, nous pouvons repérer l’attitu<strong>de</strong> autarchique –concept emprunté<br />

à J. Marseille- <strong>de</strong> l’industrie cotonnière française, mais aussi mulhousi<strong>en</strong>ne. En<br />

effet, la SACM et l’<strong>en</strong>treprise Schaffer et Compagnie écoulai<strong>en</strong>t une partie


193<br />

apparemm<strong>en</strong>t non négligeable <strong>de</strong> leur production dans cette colonie. On ne<br />

m<strong>en</strong>tionnera ici que l’effort d’A. Jacquet, directeur <strong>de</strong> la société, pour protéger le<br />

marché <strong>de</strong>s cotonna<strong>de</strong>s dans la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> crise que constitue les années 1930.<br />

L’Indochine constitue alors un débouché pour une partie <strong>de</strong> l’industrie<br />

mulhousi<strong>en</strong>ne, qu’il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> déf<strong>en</strong>dre et <strong>de</strong> protéger <strong>de</strong> toute concurr<strong>en</strong>ce telle<br />

que celle du Japon. Cep<strong>en</strong>dant, là non plus, il n’y a pas <strong>de</strong> li<strong>en</strong> direct qui explique<br />

la prés<strong>en</strong>ce d’Indochinois à Mulhouse.<br />

Le rôle <strong>de</strong>s écoles mulhousi<strong>en</strong>nes avant 1945<br />

Le <strong>de</strong>uxième li<strong>en</strong>, beaucoup plus clair, <strong>en</strong> terme d’immigration, est celui<br />

que constitu<strong>en</strong>t les formations supérieures <strong>de</strong>s écoles mulhousi<strong>en</strong>nes. En effet,<br />

quelques Indochinois ont suivi un cursus à Mulhouse dans la pério<strong>de</strong> d’<strong>en</strong>tre-<strong>de</strong>ux<br />

guerres. Ils ne fréqu<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t qu’une école, celle <strong>de</strong> Textile et <strong>de</strong> Filature. Entre 1926<br />

et 1933, nous avons rec<strong>en</strong>sé trois étudiants qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Cochinchine. Ce sont<br />

les seuls représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong> la colonie jusqu’après la fin <strong>de</strong> la guerre d’Indochine.<br />

Ainsi, ces étudiants ont passé le concours d’<strong>en</strong>trée <strong>de</strong> l’Ecole et ont satisfait aux<br />

exig<strong>en</strong>ces sci<strong>en</strong>tifiques <strong>de</strong>mandées. Enfin, ils ont dû s’acquitter <strong>de</strong>s frais d’écolage<br />

d’un montant <strong>de</strong> 2000 francs, et donc trouver un logem<strong>en</strong>t puisque le régime <strong>de</strong><br />

l’Ecole est l’externat. Une année <strong>en</strong> France doit s’avérer coûteuse pour ces étudiants.<br />

Cela nous révèle qu’ils bénéficiai<strong>en</strong>t certainem<strong>en</strong>t d’un souti<strong>en</strong> financier important<br />

et qu’ils sont donc issus <strong>de</strong> la bourgeoisie coloniale. Ensuite, cela révèle égalem<strong>en</strong>t<br />

l’efficacité <strong>de</strong> l’Ecole coloniale d’Indochine puisque ces étudiants indochinois ont<br />

pu sans grand mal intégrer une école supérieure métropolitaine.<br />

Ainsi, Mulhouse représ<strong>en</strong>te un bel exemple local dans le cadre d’une<br />

immigration estudiantine. Même s’il est difficile <strong>de</strong> faire un li<strong>en</strong> direct <strong>en</strong>tre<br />

l’Indochine et Mulhouse au niveau politique ou économique, le seul point qui<br />

caractérise la v<strong>en</strong>ue d’Indochinois est donc constitué par les formations supérieures<br />

proposées par la ville. Il n’est pas négligeable que Mulhouse soit dans l’<strong>en</strong>tre-<strong>de</strong>uxguerres<br />

une ville industrielle importante, avec un passé glorieux, et que ses Ecoles se<br />

nourriss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce prestige pour attirer quelques étudiants v<strong>en</strong>us d’une bi<strong>en</strong> lointaine<br />

colonie.<br />

<strong>Les</strong> principales vagues d’immigration ont lieu un peu plus tard, après la<br />

secon<strong>de</strong> guerre mondiale. En effet, c’est <strong>en</strong>tre 1945 et 1975 que s’installe la<br />

première communauté indochinoise à Mulhouse et qu’elle va s’organiser autour<br />

d’associations. Cep<strong>en</strong>dant, dans ces flux qui sont progressifs et tout-à-fait repérables<br />

chronologiquem<strong>en</strong>t, nous verrons que les motivations d’immigration ne sont pas les<br />

mêmes.<br />

Après 1954<br />

Tout d’abord, nous pouvons parler du retour <strong>de</strong>s étudiants indochinois<br />

dans les écoles mulhousi<strong>en</strong>nes, abs<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong>s années 1930 jusqu’<strong>en</strong> 1952.<br />

Le contexte a alors beaucoup changé, puisque la France est <strong>en</strong> guerre contre les


194<br />

indép<strong>en</strong>dantistes indochinois. En 1954, cette guerre s’achève par les Accords <strong>de</strong><br />

G<strong>en</strong>ève. Durant ces pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> troubles, les autorités françaises se méfi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

Indochinois prés<strong>en</strong>ts sur le territoire et une large surveillance était organisée par le<br />

biais <strong>de</strong>s R<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts Généraux. Après 1954, dans un contexte <strong>de</strong><br />

développem<strong>en</strong>t économique du Vietnam, du Cambodge et du Laos, les étudiants<br />

indochinois 1 s’expatri<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Amérique, au Canada, <strong>en</strong> Australie, <strong>en</strong> France pour y<br />

acquérir les connaissances utiles pour construire leur société nationale.<br />

Ainsi, les formations supérieures mulhousi<strong>en</strong>nes sont à nouveau sollicitées,<br />

telles que l’Ecole Textile et <strong>de</strong> Filature (35 étudiants <strong>en</strong>tre 1952 et 1970), mais aussi<br />

le collège Sci<strong>en</strong>tifique Universitaire (38 étudiants <strong>en</strong>tre 1965 et 1969). Ces<br />

étudiants provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t tous du Vietnam, sauf un du Laos. On remarque d’ailleurs<br />

dans les registres d’inscription <strong>de</strong> l’ENSITM que beaucoup <strong>de</strong> par<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s étudiants<br />

vietnami<strong>en</strong>s inscrits ont quitté le Nord Vietnam pour s’installer dans la banlieue <strong>de</strong><br />

Saigon. Leurs origines sociales sont plus claires (classe moy<strong>en</strong>ne supérieure), la<br />

majorité loge dans la Cité Universitaire ouverte <strong>en</strong> 1961, ils sont égalem<strong>en</strong>t<br />

nombreux à bénéficier d’une bourse <strong>de</strong> la part du gouvernem<strong>en</strong>t du Sud Vietnam.<br />

Ensuite, au niveau <strong>de</strong> leur cursus, les étudiants <strong>de</strong> l’Ecole textile préparai<strong>en</strong>t (pour<br />

22 sur 35) un diplôme d’ingénieur. Ils se prépar<strong>en</strong>t ainsi à <strong>de</strong>s métiers <strong>de</strong><br />

technici<strong>en</strong>s, qui seront autant <strong>de</strong> compét<strong>en</strong>ces qui serviront au développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

leur pays. Malgré le choix <strong>de</strong> leur cursus, on a du mal à suivre le cheminem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

ces étudiants, et on perd souv<strong>en</strong>t leur trace à la sortie <strong>de</strong> leurs étu<strong>de</strong>s. Néanmoins,<br />

certains d’<strong>en</strong>tre eux s’installèr<strong>en</strong>t à Mulhouse après leurs étu<strong>de</strong>s.<br />

Essor <strong>de</strong> la communauté vietnami<strong>en</strong>ne après 1945<br />

Rôle <strong>de</strong>s troupes coloniales<br />

La communauté vietnami<strong>en</strong>ne connaît son essor dans les statistiques <strong>de</strong> la<br />

ville à la fin <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> guerre mondiale. La France a <strong>de</strong>mandé, tout comme lors<br />

<strong>de</strong> la première guerre mondiale, le souti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s colonies françaises. Ainsi,<br />

l’Indochine, où une armée composée d’autochtones avait été organisée dès la fin du<br />

XIXè siècle, a été mobilisée. Des conting<strong>en</strong>ts d’hommes y ont donc été <strong>en</strong>voyés.<br />

Mais comm<strong>en</strong>t ces hommes se sont-ils retrouvés à Mulhouse à la sortie <strong>de</strong> la<br />

guerre ?<br />

Notre source principale est le fichier domiciliaire <strong>de</strong> la ville, où l’on<br />

appr<strong>en</strong>d après un échantillonnage basé sur 6 noms vietnami<strong>en</strong>s, que sur 40 hommes<br />

rec<strong>en</strong>sés <strong>en</strong>tre 1946 et 1955, la majorité, soit 23 d’<strong>en</strong>tre eux, se sont mariés avec<br />

une femme originaire d’Allemagne, précisém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Constance. L’explication rési<strong>de</strong><br />

dans le rôle <strong>de</strong>s troupes coloniales dans la <strong>de</strong>rnière off<strong>en</strong>sive contre l’Allemagne<br />

1<br />

Nous utilisons ici le terme indochinois pour simplifier. Il est évid<strong>en</strong>t qu’après 1954, ce<br />

terme est anachronique.


195<br />

nazie. On y appr<strong>en</strong>d que <strong>de</strong>s troupes indochinoises étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> stationnem<strong>en</strong>t à<br />

Constance. Parmi ces hommes, certains y ont donc r<strong>en</strong>contré une jeune femme<br />

alleman<strong>de</strong> avec qui ils se sont unis. Ainsi, nous avons posé l’hypothèse que<br />

Mulhouse est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u leur lieu <strong>de</strong> résid<strong>en</strong>ce après leur démobilisation et ce pour<br />

plusieurs raisons. Tout d’abord, grâce à sa position géographique, c’est à dire une<br />

ville française située à la frontière avec l’Allemagne. <strong>Les</strong> Indochinois ont eu un<br />

<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t français. Mulhouse leur permet alors <strong>de</strong> rester <strong>en</strong> France tout <strong>en</strong><br />

restant proche <strong>de</strong> Constance. De plus, on trouvait facilem<strong>en</strong>t du travail après la<br />

guerre <strong>en</strong> tant que manœuvre dans les gran<strong>de</strong>s usines telles que DMC ou la SACM.<br />

La première communauté vietnami<strong>en</strong>ne prés<strong>en</strong>te à Mulhouse est donc celle <strong>de</strong>s<br />

militaires indochinois démobilisés, qui se sont installés dans la ville pour <strong>de</strong>s raisons<br />

conjugales. Ainsi, une fois un travail puis un logem<strong>en</strong>t trouvés, leurs femmes<br />

alleman<strong>de</strong>s les rejoign<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t avec leur premier <strong>en</strong>fant.<br />

L’immigration après 1963<br />

Arriv<strong>en</strong>t à Mulhouse dans une troisième phase <strong>en</strong>tre 1963 et 1974, <strong>de</strong>s<br />

Vietnami<strong>en</strong>s pour <strong>de</strong>s raisons plus diverses. Cep<strong>en</strong>dant, afin d’apporter quelques<br />

précisions sur la prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s Indochinois <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>, nous nous sommes<br />

appuyés sur les associations créées dans ces années par les Vietnami<strong>en</strong>s résidant dans<br />

la ville. On découvre alors que l’on a affaire à <strong>de</strong>s groupes fortem<strong>en</strong>t politisés. En<br />

effet, outre les étudiants et les anci<strong>en</strong>s militaires indochinois qui rest<strong>en</strong>t plutôt<br />

apolitiques, une association s’affiche vraim<strong>en</strong>t comme pro Ho Chi Minh, à savoir<br />

l’Union <strong>de</strong>s Vietnami<strong>en</strong>s <strong>de</strong> France section mulhousi<strong>en</strong>ne. Cette association participe<br />

aux manifestations contre la guerre m<strong>en</strong>ée par les Américains, ti<strong>en</strong>t un journal où<br />

elle dénonce l’impérialisme américain, puis organise <strong>de</strong>s confér<strong>en</strong>ces. Elle a donc<br />

une activité propagandiste importante. Ce sont <strong>en</strong> général <strong>de</strong>s étudiants et <strong>de</strong>s<br />

vietnami<strong>en</strong>s immigrés après 1963 qui ont connu les affres <strong>de</strong> la guerre du Vietnam,<br />

qui adhèr<strong>en</strong>t à cette association.<br />

L’immigration après 1975<br />

Après 1975, un nouveau flux <strong>de</strong> migrants débarque <strong>en</strong> France et c’est ce<br />

<strong>de</strong>rnier qui augm<strong>en</strong>te <strong>de</strong> façon plus significative les effectifs <strong>de</strong>s communautés<br />

vietnami<strong>en</strong>ne, cambodgi<strong>en</strong>ne, laoti<strong>en</strong>ne à Mulhouse. Ces <strong>de</strong>rniers migrants ont un<br />

statut juridique particulier, celui <strong>de</strong> réfugié politique. Dès lors, l’Etat français<br />

s’<strong>en</strong>gage à protéger la liberté <strong>de</strong>s individus qu’il recueille sur son territoire. En effet,<br />

les événem<strong>en</strong>ts politiques <strong>en</strong> Indochine cré<strong>en</strong>t un flot imm<strong>en</strong>se <strong>de</strong> réfugiés<br />

politiques. Ces personnes fui<strong>en</strong>t le communisme qui s’installe dans leurs pays. C’est<br />

une politique <strong>de</strong> type nationaliste-marxiste et viol<strong>en</strong>te, aussi bi<strong>en</strong> au Vietnam, qu’au<br />

Cambodge avec les khmers rouges, qu’au Laos avec le Pateh Lao. Ainsi, parmi ceux<br />

qui ont choisi l’exil, une partie a décidé <strong>de</strong> se diriger vers la France, où ils ont<br />

recomm<strong>en</strong>cé leur vie. Cep<strong>en</strong>dant leur intégration n’est pas forcém<strong>en</strong>t évid<strong>en</strong>te, car


196<br />

il a fallu leur trouver un travail, un logem<strong>en</strong>t et assurer leur insertion sociale par<br />

l’appr<strong>en</strong>tissage du français. C’est donc tout un dispositif d’accueil qui se met <strong>en</strong><br />

place à l’échelle nationale sous l’impulsion du gouvernem<strong>en</strong>t et du présid<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

République Valéry Giscard d’Estaing. La politique d’accueil se fon<strong>de</strong> sur un quota<br />

d’<strong>en</strong>trée par mois, qui doit permettre <strong>de</strong> rationaliser l’insertion progressive <strong>de</strong>s<br />

réfugiés au fur et à mesure <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>trée <strong>de</strong> nouveaux arrivants. Pour cela, il fallait<br />

donc que <strong>de</strong>s foyers agréés par France Terre d’Asile puisse libérer <strong>de</strong>s chambres<br />

pour accueillir les Indochinois.<br />

A Mulhouse, ce sont les foyers <strong>de</strong> travailleurs qui vont assurer l’accueil. En<br />

effet, l’Altram, ainsi que le foyer Vauban du Cotrami se charg<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’insertion <strong>de</strong>s<br />

réfugiés indochinois dans la société française. Pour m<strong>en</strong>er à bi<strong>en</strong> leur mission, les<br />

foyers sont <strong>en</strong> contact avec la Sous-Préfecture <strong>de</strong> Mulhouse et la Préfecture <strong>de</strong><br />

Colmar, puis avec France Terre d’Asile. Ces différ<strong>en</strong>tes instances leur fourniss<strong>en</strong>t les<br />

circulaires du gouvernem<strong>en</strong>t, et sont leurs principaux interlocuteurs. Ainsi, les<br />

foyers d’accueil doiv<strong>en</strong>t assurer le logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s réfugiés, un pécule pour la semaine,<br />

leur trouver un travail, se charger <strong>de</strong>s démarches administratives et <strong>en</strong>fin leur<br />

permettre <strong>de</strong> trouver un logem<strong>en</strong>t après le foyer. La mission <strong>de</strong> ces foyers est<br />

d’insérer le réfugié <strong>en</strong> 6 mois.<br />

Cette obligation est très difficile à satisfaire, dans la mesure où Mulhouse<br />

est touchée par une crise économique due au premier choc pétrolier <strong>de</strong> 1973.<br />

Certes, les foyers qui étai<strong>en</strong>t auparavant <strong>de</strong>s foyers <strong>de</strong> travailleurs voi<strong>en</strong>t leurs<br />

chambres se libérer. L’arrivée <strong>de</strong> ces réfugiés politiques est donc une véritable<br />

aubaine pour ces foyers qui peuv<strong>en</strong>t sans problème les accueillir. Cep<strong>en</strong>dant, le<br />

marché du travail mulhousi<strong>en</strong> semble saturé au début <strong>de</strong>s années 1980. Il est alors<br />

<strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus dur d’insérer économiquem<strong>en</strong>t les réfugiés, bi<strong>en</strong> que Peugeot<br />

Mulhouse <strong>en</strong> ait employé un bon nombre. Il faut préciser que, dans ce contexte <strong>de</strong><br />

suppression d’emplois et <strong>de</strong> manifestations syndicales, la main-d’œuvre<br />

indochinoise avait réputation <strong>de</strong> « briseur <strong>de</strong> grève », puisque par logique, elle ne<br />

pouvait être qu’anti-communiste. Ainsi, les Indochinois étai<strong>en</strong>t un bon recours<br />

pour les <strong>en</strong>treprises mulhousi<strong>en</strong>nes. Beaucoup se retrouvèr<strong>en</strong>t alors à la chaîne à<br />

Peugeot Mulhouse, bi<strong>en</strong> que ces hommes ai<strong>en</strong>t été dans leur pays instituteur,<br />

avocat, juriste … .<br />

Depuis les années 1980, Mulhouse voit naître <strong>de</strong>s commerces exotiques tels<br />

que <strong>de</strong>s restaurants et épiceries asiatiques, puis dans les années 1990, c’est l’essor <strong>de</strong>s<br />

friteries qui bord<strong>en</strong>t la rue Wilson, l’av<strong>en</strong>ue <strong>de</strong> Colmar et l’av<strong>en</strong>ue Franklin. Tous<br />

ces commerces asiatiques permett<strong>en</strong>t la création d’une <strong>en</strong>trai<strong>de</strong> communautaire,<br />

puisque c’est autant d’emplois créés. Une lutte contre le chômage ou plutôt contre<br />

la précarité est donc assurée pour les membres <strong>de</strong> la communauté indochinoise.<br />

C’est donc une intégration économique qui semble majoritairem<strong>en</strong>t réussie.


197<br />

Rôle <strong>de</strong>s associations<br />

Selon le sociologue M. Wierviorka, il existe un élém<strong>en</strong>t d’intégration<br />

important ou plutôt un vecteur ess<strong>en</strong>tiel d’intégration, à savoir le regroupem<strong>en</strong>t<br />

associatif. En effet, après les années 1975, Mulhouse est le théâtre <strong>de</strong> la création <strong>de</strong><br />

plusieurs associations qui regroup<strong>en</strong>t les Indochinois. Néanmoins, il convi<strong>en</strong>t ici <strong>de</strong><br />

faire une nuance importante, car la seule association <strong>de</strong>s réfugiés indochinois qui a<br />

été créée, fut un échec. Nous avons pu effectivem<strong>en</strong>t observer que les associations se<br />

formai<strong>en</strong>t par origine, c'est-à-dire pour les Vietnami<strong>en</strong>s, celle pour les Laoti<strong>en</strong>s,<br />

puis celle pour les Cambodgi<strong>en</strong>s. Chacune d’<strong>en</strong>tre elles mène <strong>de</strong>s types d’actions<br />

semblables, à savoir ai<strong>de</strong>r les primo-arrivants dans les foyers <strong>de</strong> l’Altram et du<br />

Cotrami, les insérer dans un cadre associatif, ce qui leur permet <strong>de</strong> faciliter les<br />

démarches administratives après le foyer, telles que le r<strong>en</strong>ouvellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la carte <strong>de</strong><br />

séjour, la conservation <strong>de</strong> la culture nationale, … . De même, <strong>de</strong>s festivités telles<br />

que le Têt ou le Pimai, sont organisées afin que la communauté puisse se retrouver.<br />

Cep<strong>en</strong>dant ces regroupem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> France sont suspectés d’<strong>en</strong>courager le<br />

communautarisme. En fait, nous avons privilégié un autre point <strong>de</strong> vue pour notre<br />

analyse. En effet, l’association, dans ces buts, démontre bi<strong>en</strong> qu’elle cherche à<br />

rassembler ses membres pour résoudre les problèmes liés à l’intégration. Ensuite, ces<br />

associations indochinoises sont plusieurs et dispers<strong>en</strong>t alors les membres <strong>de</strong> chaque<br />

communauté (ex : <strong>en</strong>tre 1980 et 2000, il existe 7 associations cambodgi<strong>en</strong>nes).<br />

Enfin, le déclin à la fin <strong>de</strong>s années 1990 <strong>de</strong> ces associations indochinoises prouve<br />

que l’intégration <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>tes communautés est réussie. Ainsi,<br />

l’association doit aujourd’hui se restructurer, et souv<strong>en</strong>t les nouveaux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs<br />

sont les jeunes, qui veul<strong>en</strong>t compr<strong>en</strong>dre la culture <strong>de</strong> leurs par<strong>en</strong>ts.<br />

La <strong>de</strong>rnière vague <strong>de</strong>s immigrés indochinois est donc celle qui a bénéficié<br />

du plus d’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s autorités françaises. A Mulhouse, <strong>en</strong>tre le travail <strong>de</strong>s<br />

foyers et celui <strong>de</strong>s associations indochinoises, l’intégration <strong>de</strong> ces réfugiés a été<br />

réussie et nous pouvons l’apprécier au cours d’une simple prom<strong>en</strong>a<strong>de</strong> dans les<br />

gran<strong>de</strong>s rues commerçantes <strong>de</strong> la ville.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Mme Marie-Claire VITOUX et M. Yves FREY<br />

(UHA)<br />

`


Grégory PIERRE<br />

Le ski club Florival du début <strong>de</strong>s années 1960 aux années<br />

1990 : <strong>en</strong>tre intégration et marginalisation<br />

Le ski <strong>en</strong> tant que pratique sportive comm<strong>en</strong>ce à se développer vers la fin du<br />

XIX° et au début du XX° siècle. Il pr<strong>en</strong>d son essor dans le mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

développem<strong>en</strong>t général <strong>de</strong>s sports d’hiver. <strong>Les</strong> sports d’hiver ont pourtant eu<br />

beaucoup <strong>de</strong> difficultés à se développer. Ils sont perçus comme <strong>de</strong>s amusem<strong>en</strong>ts<br />

bourgeois et non comme <strong>de</strong> véritables sports p<strong>en</strong>dant une pério<strong>de</strong>, l’hiver, qui est<br />

vécue avec difficulté. Une fois cette perception <strong>de</strong> l’hiver comme morne et<br />

mortifère <strong>en</strong> voie <strong>de</strong> changem<strong>en</strong>t, le ski pr<strong>en</strong>d son essor jusqu’à <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir le plus<br />

pratiqué <strong>de</strong>s sports d’hiver.<br />

Le ski est égalem<strong>en</strong>t l’un <strong>de</strong>s rares sports aussi jeunes à avoir connu un<br />

développem<strong>en</strong>t aussi rapi<strong>de</strong> et important, passant <strong>en</strong> moins d’un siècle du sta<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

curiosité à celui <strong>de</strong> sport <strong>de</strong> masse. La compétition a toujours permis <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r<br />

une légitimité dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sports, <strong>en</strong> lui servant, <strong>de</strong>puis qu’elle existe dans le<br />

ski, <strong>de</strong> vitrine technique, pour le style et <strong>de</strong> vitrine technologique pour le matériel.<br />

Le ski est égalem<strong>en</strong>t l’un <strong>de</strong>s rares sports, <strong>de</strong>puis ses débuts <strong>en</strong> tant que pratique<br />

sportive, à être aussi étroitem<strong>en</strong>t lié au tourisme. Dernière particularité : le rôle<br />

important qu’a t<strong>en</strong>u l’armée dans la promotion <strong>de</strong> ce sport.<br />

Le travail <strong>de</strong> maîtrise ici prés<strong>en</strong>té revêt une particularité propre au sujet. Ce sujet<br />

met tout d’abord <strong>en</strong> lumière un sport original : le ski. Il est <strong>en</strong> effet singulier car il a<br />

<strong>de</strong>s origines norvégi<strong>en</strong>nes dans son utilisation et <strong>de</strong>s origines anglaises dans sa<br />

pratique sportive compétitive. Le ski a <strong>en</strong>suite une place particulière <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>. Le<br />

massif vosgi<strong>en</strong> a été parmi les champs d’action <strong>de</strong>s pionniers du ski <strong>en</strong> France et<br />

cette anci<strong>en</strong>neté <strong>de</strong> la pratique est si bi<strong>en</strong> implantée <strong>en</strong> <strong>Alsace</strong>, si ancrée dans les<br />

mœurs <strong>de</strong>s Alsaci<strong>en</strong>s, que le ski ti<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core une place importante dans les pratiques<br />

<strong>de</strong>s Alsaci<strong>en</strong>s.


200<br />

Sources et méthodologie<br />

<strong>Les</strong> sources utilisées pour ce travail ont ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t été <strong>de</strong>s <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s réalisés<br />

auprès <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s présid<strong>en</strong>ts, anci<strong>en</strong>s membres ou compagnons <strong>de</strong> ski et anci<strong>en</strong><br />

adversaire du Ski- Club Florival. La presse locale, les DNA et L’<strong>Alsace</strong>, a égalem<strong>en</strong>t<br />

été une source très intéressante et qui a été croisée avec les <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s. La difficulté<br />

majeure r<strong>en</strong>contrée a été celle d’obt<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong> la presse locale et ce sont les<br />

anci<strong>en</strong>s membres du club qui ont généreusem<strong>en</strong>t fourni les leurs. Se sont égalem<strong>en</strong>t<br />

prés<strong>en</strong>tées <strong>de</strong>s difficultés d’ordre méthodologique, le travail étant surtout basé sur<br />

<strong>de</strong>s sources orales, il a fallu adopter une métho<strong>de</strong> d’interview, tout <strong>en</strong> sachant que<br />

ces sources, malgré toute la bonne volonté <strong>de</strong>s interv<strong>en</strong>ants, est tributaire <strong>de</strong>s aléas<br />

et <strong>de</strong> la partialité <strong>de</strong> la mémoire. Cette métho<strong>de</strong> d’interview a été au départ<br />

développée selon un questionnaire type c<strong>en</strong>sé être utilisé pour chaque interview.<br />

C’est ainsi que revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t lors <strong>de</strong> chaque r<strong>en</strong>contre <strong>de</strong>s questions concernant l’âge<br />

et la profession, <strong>de</strong> manière à pouvoir réaliser un classem<strong>en</strong>t « sociologique », certes<br />

sommaire mais utile et nécessaire. Ce modèle <strong>de</strong> questionnaire repr<strong>en</strong>ait égalem<strong>en</strong>t<br />

certains thèmes tels que la place du sport <strong>en</strong> général dans la vie <strong>de</strong> la personne<br />

interrogée, celle <strong>de</strong> la montagne ou <strong>de</strong> la nature, celle du ski, si elle faisait du ski sur<br />

herbe, <strong>de</strong> la compétition et p<strong>en</strong>dant combi<strong>en</strong> <strong>de</strong> temps, comm<strong>en</strong>t elle avait adhéré<br />

au club, ses bons et mauvais souv<strong>en</strong>irs et les rapports <strong>en</strong>tre clubs. Evi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, le<br />

questionnaire a été am<strong>en</strong>é à évoluer. Tout d’abord, certains thèmes pourtant<br />

intéressants soulevés au début <strong>de</strong> la recherche ont été abandonnés, comme celui <strong>de</strong><br />

la prise <strong>de</strong> risque par exemple, car trop peu <strong>de</strong> réponses assez développées ont été<br />

obt<strong>en</strong>ues. Le questionnaire a aussi évolué <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong>s personnes r<strong>en</strong>contrées.<br />

J’ai à chaque fois t<strong>en</strong>té <strong>de</strong> dresser le profil <strong>de</strong> la personne que j’allais r<strong>en</strong>contrer<br />

selon les informations que j’avais déjà récoltées sur elle. Ceci est <strong>en</strong>core un<br />

paramètre qui explique que chaque questionnaire soit différ<strong>en</strong>t tout <strong>en</strong> étant<br />

toujours intégré au même raisonnem<strong>en</strong>t, même s’il est certain que je suis<br />

constamm<strong>en</strong>t resté vigilant lors <strong>de</strong> chaque interview pour soulever <strong>de</strong> nouvelles<br />

questions qui n’étai<strong>en</strong>t pas prévues mais qui pouvai<strong>en</strong>t se révéler porteuses. Avec<br />

l’expéri<strong>en</strong>ce, je suis parv<strong>en</strong>u à réaliser <strong>de</strong>s questionnaires <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus efficaces.<br />

Dans la transcription <strong>de</strong>s <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s, j’ai affronté les difficultés inhér<strong>en</strong>tes à ce<br />

type d’exercice. En transférant <strong>de</strong>s discussions orales vers l’écrit, il a fallu pour <strong>de</strong>s<br />

raisons <strong>de</strong> forme, <strong>de</strong> syntaxe et <strong>de</strong> lisibilité modifier les textes. Et j’ai donc dû être<br />

continuellem<strong>en</strong>t vigilant quant au respect <strong>de</strong> la vérité <strong>de</strong> la discussion et <strong>de</strong> son s<strong>en</strong>s<br />

pour ne pas modifier, même inconsciemm<strong>en</strong>t, le résultat <strong>de</strong> l’interview. Il faut<br />

<strong>en</strong>core préciser que la partie informelle <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>contres, c’est-à-dire les discussions<br />

hors <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s, a été aussi importante que les <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s eux-mêmes. C’est pourquoi<br />

tous les <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s ont toujours été très riches. J’ai égalem<strong>en</strong>t pu remarquer que<br />

certaines personnes ne discut<strong>en</strong>t pas aussi librem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> se sachant <strong>en</strong>registrée<br />

qu’une fois l’interview terminée. C’est donc la situation même <strong>de</strong> discussion<br />

« informelle » par rapport à la discussion « formelle » qui permet une secon<strong>de</strong><br />

discussion.


201<br />

Toutes les informations récoltées lors <strong>de</strong> chaque r<strong>en</strong>contre ont bi<strong>en</strong> sûr nécessité<br />

<strong>de</strong>s recoupem<strong>en</strong>ts. Recoupem<strong>en</strong>ts par d’autres interviews, mais <strong>en</strong>core dans la<br />

mesure du possible par <strong>de</strong>s sources écrites, ce qui s’est avéré délicat car la nature<br />

même du sujet et a fortiori <strong>de</strong> certains thèmes ou événem<strong>en</strong>ts ne se retrouv<strong>en</strong>t pas<br />

systématiquem<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>s docum<strong>en</strong>ts. Cela a exigé d’autant plus <strong>de</strong> travail.<br />

Le sujet concerne une pério<strong>de</strong> là-aussi particulière, dans la mesure où elle n’est<br />

quasim<strong>en</strong>t pas traitée dans le domaine d’étu<strong>de</strong> d’histoire du ski.<br />

Le Ski-Club Florival<br />

Historique<br />

Le Ski-Club Florival est apparu dans la vallée <strong>de</strong> Guebwiller, portant le nom <strong>de</strong><br />

Florival, c’est-à-dire la « vallée <strong>de</strong>s fleurs ». Ce club a existé <strong>de</strong>s années 1960 aux<br />

années 1990.<br />

Dans le petit mon<strong>de</strong> du ski alsaci<strong>en</strong>, le Ski-Club Florival a t<strong>en</strong>u une place on ne<br />

peut plus originale. Ce ski-club, aujourd’hui éteint, ou tout du moins <strong>en</strong> att<strong>en</strong>te<br />

d’une reprise d’activité, se distingue <strong>de</strong>s autres skis-clubs sur <strong>de</strong> nombreux points. Il<br />

a connu une fulgurante croissance le plaçant parmi les meilleurs skis-clubs alsaci<strong>en</strong>s<br />

<strong>de</strong>s années 1970 et a pourtant disparu. En établissant l’histoire <strong>de</strong> ce club au cours<br />

d’une pério<strong>de</strong> réc<strong>en</strong>te, on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu’il a pu avoir d’original pour<br />

laisser <strong>de</strong>s traces aussi prégnantes dans les mémoires <strong>de</strong> tant d’individus et quels<br />

rôles ce club a t<strong>en</strong>us, au-<strong>de</strong>là du cadre strictem<strong>en</strong>t sportif. On peut <strong>en</strong>core voir<br />

comm<strong>en</strong>t le club se plaçait dans un cadre d’intégration <strong>de</strong>s jeunes, alors même qu’il<br />

se différ<strong>en</strong>ciait <strong>de</strong>s autres skis-clubs et parfois même était marginalisé.<br />

Je me suis <strong>en</strong> premier lieu intéressé à la naissance du Ski-Club Florival et après<br />

avoir traité l’histoire du ski, j’ai vu quels li<strong>en</strong>s ce club a eus avec celle-ci et sous quel<br />

point <strong>de</strong> vue le club peut être observé. Le Ski-Club Florival a <strong>en</strong>suite connu une<br />

pério<strong>de</strong> prolifique, qui a mis <strong>en</strong> scène <strong>de</strong> nouveaux interv<strong>en</strong>ants, <strong>de</strong> nouvelles idées :<br />

elle a été la pério<strong>de</strong> où se bâtit la « lég<strong>en</strong><strong>de</strong> du Ski-Club Florival ». Le club a <strong>en</strong>fin<br />

connu l’apogée <strong>de</strong> son succès qui s’est suivie d’un inexorable déclin.<br />

Au cours du premier chapitre est développé l’histoire du ski et la place que les<br />

Vosges y ont t<strong>en</strong>ue. Cela a permis d’appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r l’apparition du mouvem<strong>en</strong>t qui a<br />

<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dré la création du Ski-Club Florival.<br />

Le Ski-Club Florival, malgré sa jeunesse dans la chronologie <strong>de</strong>s clubs alsaci<strong>en</strong>s<br />

a, comme il a été expliqué dans le premier chapitre, <strong>de</strong>s filiations remontant plus<br />

loin. En effet, malgré sa réc<strong>en</strong>te fondation, <strong>en</strong> 1959, le Ski-Club Florival relève <strong>de</strong><br />

la tradition du ski. Le SCF se rattache aux origines mêmes du ski par ses valeurs<br />

d’amour <strong>de</strong> la nature et plus particulièrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la montagne, <strong>de</strong> convivialité, <strong>de</strong><br />

prud<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong> formation par l’activité sportive <strong>en</strong> association.


202<br />

Originalité du Ski-Club Florival<br />

Le mon<strong>de</strong> du ski a par ailleurs toujours été un milieu très traditionnel où<br />

l’originalité et la particularité n’ont pas leur place. Or, le SCF se distingue dès sa<br />

première pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1959 à 1968 <strong>de</strong>s autres clubs. Il ti<strong>en</strong>t une place à part par les<br />

appart<strong>en</strong>ances socioprofessionnelles mo<strong>de</strong>stes <strong>de</strong> ses membres par rapport à<br />

quelques autres skis-clubs. Cep<strong>en</strong>dant, si le club a <strong>de</strong>s objectifs éducatifs et donc<br />

intégratifs <strong>en</strong> cherchant à mettre les sports d’hiver à la portée <strong>de</strong>s jeunes du Florival,<br />

il n’est pas dans ce domaine le seul à agir dans ce s<strong>en</strong>s, comme le prouv<strong>en</strong>t les<br />

diverses possibilités <strong>de</strong> skier qu’avai<strong>en</strong>t les jeunes <strong>de</strong> la vallée du Florival (écoles<br />

municipales et Ecole <strong>de</strong> Ski intercommunale).<br />

Malgré tout, ces jeunes qui ont appris à skier parfois tout seuls au début, aussi<br />

par l’Ecole <strong>de</strong> Ski intercommunale du Florival et bi<strong>en</strong> sûr par le Ski-Club Florival,<br />

ont une vision différ<strong>en</strong>te <strong>de</strong> la pratique du ski, et ce, dès leur <strong>en</strong>fance. Ils veul<strong>en</strong>t un<br />

club libéré <strong>de</strong>s « anci<strong>en</strong>s », <strong>de</strong>s fondateurs et <strong>de</strong>s adultes, un club qui soit à leur<br />

image.<br />

Le SCF connaît son évolution la plus marquante à partir d’une année<br />

symbolique : 1968. Cette année est, on peut le dire, plus qu’une évolution, un<br />

bouleversem<strong>en</strong>t pour le Florival. C’est <strong>en</strong> effet, <strong>en</strong> 1968, que le Florival change <strong>de</strong><br />

présid<strong>en</strong>t, M. ERNY ayant été remplacé par M. MARTIN. C’est aussi le passage <strong>de</strong><br />

flambeau <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux générations et donc <strong>de</strong>ux approches radicalem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tes,<br />

non seulem<strong>en</strong>t du ski, mais aussi <strong>de</strong> la vie associative du Ski-Club Florival.<br />

La présid<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> M. Martin<br />

Le <strong>de</strong>uxième chapitre traite <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> allant <strong>de</strong> 1968 à 1973. Celle-ci<br />

correspond à la présid<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> M. MARTIN à la tête du « Flo ». Le Ski-Club<br />

Florival connaît là son plus grand bouleversem<strong>en</strong>t, duquel s’<strong>en</strong>suit la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

plus forte croissance du club, du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s adhésions, <strong>de</strong>s performances et du<br />

prestige du SCF. Le club voit l’installation d’une nouvelle approche du Florival qui<br />

a <strong>de</strong>s suites et <strong>de</strong>s conséqu<strong>en</strong>ces lors <strong>de</strong>s présid<strong>en</strong>ces suivantes. Le ski sur herbe est<br />

introduit pour la première fois <strong>en</strong> France par le SCF qui <strong>en</strong> fait sa discipline phare.<br />

Le conflit <strong>en</strong>tre jeunes et anci<strong>en</strong>s concerne aussi bi<strong>en</strong> la gestion du club que le rôle<br />

du refuge du club. Le « Flo » s’est forgé une id<strong>en</strong>tité très forte basée sur un<br />

regroupem<strong>en</strong>t composé uniquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> jeunes, un traitem<strong>en</strong>t totalem<strong>en</strong>t égalitaire<br />

<strong>en</strong>vers eux, une discipline et un travail très aboutis, un lea<strong>de</strong>r <strong>en</strong> la personne <strong>de</strong><br />

Richard MARTIN le « présid<strong>en</strong>t-coureur », un esprit <strong>de</strong> provocation et une<br />

marginalité rev<strong>en</strong>diquée dans le milieu sportif.<br />

Le Ski-Club Florival a été perçu comme « révolutionnaire ». Il a eu une<br />

approche qui lui est propre du ski, <strong>de</strong> la compétition et <strong>de</strong> la vie associative du club.<br />

Il a aussi été « révolutionnaire » <strong>en</strong> lançant le ski sur herbe <strong>en</strong> France et <strong>en</strong> s’y<br />

consacrant au maximum, quitte à s’attirer <strong>de</strong>s oppositions. On peut qualifier le «


203<br />

Flo » <strong>de</strong> « révolutionnaire », <strong>de</strong> particulier, d’extraordinaire, mais pas<br />

d’exceptionnel. Le Florival a été extraordinaire parce qu’il a dépassé l’ordinaire, les<br />

habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s skis-clubs. Mais il n’a pas été exceptionnel, car il était bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> phase<br />

avec son époque.<br />

M. MARTIN a eu dans le Florival un rôle prépondérant. Il a assumé sa place<br />

<strong>de</strong> « présid<strong>en</strong>t-coureur ». Il a acquis un prestige sportif grâce à ses performances <strong>en</strong><br />

compétition et, par son charisme, il a pris la figure d’un « gourou ». Il apparaît<br />

comme le lea<strong>de</strong>r d’une équipe à l’image d’un capitaine d’une équipe <strong>de</strong> sport<br />

collectif. Le Ski-Club Florival est pour ses membres un groupe solidaire à l’id<strong>en</strong>tité<br />

forte. Celle-ci s’est bâtie dans la rivalité avec le Colmar Ski Team (COST)<br />

notamm<strong>en</strong>t, mais aussi plus largem<strong>en</strong>t, avec le reste du mon<strong>de</strong> du ski dans une<br />

rivalité, une marginalité fièrem<strong>en</strong>t éprouvée et affichée.<br />

L’id<strong>en</strong>tité « florivali<strong>en</strong>ne » est passée par un changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’approche du ski<br />

par rapport au passé. Cet affrontem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux visions du ski est-il v<strong>en</strong>u d’un choc<br />

<strong>de</strong>s générations ou alors catégoriquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> conceptions différ<strong>en</strong>tes ? C’est<br />

visiblem<strong>en</strong>t le conflit générationnel qui a impliqué une approche sportive<br />

particulière et donc la rupture qui est interv<strong>en</strong>ue au Florival et qui a donné le<br />

départ <strong>de</strong> ce nouveau « Flo ».<br />

<strong>Les</strong> années 1973-1990<br />

Le troisième chapitre est consacré aux <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières présid<strong>en</strong>ces du club, celles<br />

d’Alain Bourzeix et <strong>de</strong> Roland Kupferschmidt couvrant respectivem<strong>en</strong>t les pério<strong>de</strong>s<br />

allant <strong>de</strong> 1973 à 1976 et <strong>de</strong> 1976 aux années 1990. Le SCF, composé surtout <strong>de</strong><br />

Colmari<strong>en</strong>s, a continué à prospérer jusqu’au début <strong>de</strong>s années 1980. Puis, le club a<br />

connu <strong>de</strong>s perturbations avec <strong>de</strong> nombreux départs, une abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> r<strong>en</strong>ouvellem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> ceux-ci, ainsi que <strong>de</strong>s difficultés liées à celles du ski sur herbe.<br />

L’ « esprit florivali<strong>en</strong> », qui est au cœur <strong>de</strong> ce travail rassemble <strong>de</strong> nombreuses<br />

caractéristiques. C’est tout d’abord un très fort esprit d’équipe qui va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce<br />

qui est habituel <strong>de</strong> r<strong>en</strong>contrer dans les skis-clubs. Ceci donne une forte id<strong>en</strong>tité au<br />

club. Mais, l’ « esprit florivali<strong>en</strong> », c’est <strong>en</strong>core une originalité décalée dans le<br />

mon<strong>de</strong> du ski qui différ<strong>en</strong>cie et même marginalise le « Flo » <strong>de</strong> façon volontaire ou<br />

non : ceci r<strong>en</strong>force <strong>en</strong>core à la fois le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’appart<strong>en</strong>ance à un ski-club<br />

particulier et l’id<strong>en</strong>tité « flo ». L’ « esprit florivali<strong>en</strong> », c’est égalem<strong>en</strong>t la mo<strong>de</strong>stie<br />

<strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s financiers utilisés. Cela a été une fierté et a sans doute permis un<br />

traitem<strong>en</strong>t plus égalitaire <strong>de</strong> tous les membres. En général, les « Florivali<strong>en</strong>s » se<br />

sont aussi perçus comme les « petits » face aux « grands », les « pauvres » qui se<br />

débrouill<strong>en</strong>t par leurs propres moy<strong>en</strong>s face aux « bourgeois » qui ont <strong>de</strong>s capacités<br />

financières ou <strong>de</strong>s subv<strong>en</strong>tions.<br />

Ce <strong>de</strong>stin, <strong>de</strong> la naissance à la disparition <strong>en</strong> ayant connu les succès et cet<br />

« esprit florivali<strong>en</strong> » ont conduit certains à parler <strong>de</strong> la « lég<strong>en</strong><strong>de</strong> du Florival ».


204<br />

<strong>Les</strong> points qui ont constitué les atouts et les forces du Florival ont aussi été ses<br />

faiblesses. Ses mo<strong>de</strong>stes capacités financières ont am<strong>en</strong>é à plus d’égalité parmi ses<br />

membres ainsi qu’une motivation supplém<strong>en</strong>taire, celle <strong>de</strong> faire mieux que les<br />

autres skis-clubs avec moins d’arg<strong>en</strong>t. Mais c’était aussi une faiblesse car le « Flo »<br />

n’a pu être propriétaire <strong>de</strong> son chalet et a dû rester locataire, ce qui a induit une<br />

fragilité au niveau <strong>de</strong> sa prés<strong>en</strong>ce au Mordfeld. Le conflit <strong>en</strong>tre « jeunes » et<br />

« anci<strong>en</strong>s » a créé un club où les jeunes se dirigeai<strong>en</strong>t eux-mêmes et ont donc eu une<br />

forte solidarité <strong>en</strong>tre eux. Mais, quand les « anci<strong>en</strong>s » sont rev<strong>en</strong>us, les t<strong>en</strong>sions sont<br />

réapparues et ont provoqué <strong>de</strong> nombreux départs, conduisant le club vers le déclin.<br />

Le Ski-Club Florival s’est id<strong>en</strong>tifié à un homme, qui a m<strong>en</strong>é le club jusqu’aux<br />

sommets. Mais, un homme, si charismatique soit-il, ne fait qu’un temps et le club<br />

ne pouvait poursuivre son époque dorée. Le Florival s’est conc<strong>en</strong>tré sur cette<br />

nouvelle discipline qu’a été le ski sur herbe et a connu ses plus beaux mom<strong>en</strong>ts ainsi<br />

que ses plus belles victoires Mais, à trop s’assimiler à une seule discipline, le SCF <strong>en</strong><br />

a aussi subi les difficultés. Ce qui a conduit le Florival au succès est donc aussi sans<br />

doute ce qui l’a am<strong>en</strong>é à s’éteindre.<br />

Direction <strong>de</strong> recherches : Madame Marie-Claire VITOUX, Monsieur Brice<br />

MARTIN et Monsieur William CHARPIER docteur <strong>en</strong> Histoire du sport (UHA).<br />

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