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Le goût sucré : aspects physiologiques, sensoriels et ...

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Entr<strong>et</strong>iens<br />

de Bichat<br />

1 er oct. 2010<br />

Salle 341<br />

17 h 00 - 18 h 00<br />

564- © ENTRETIENS DEBICHAT 2010<br />

<strong>Le</strong> <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> : <strong>aspects</strong> <strong>physiologiques</strong>, <strong>sensoriels</strong><br />

<strong>et</strong> comportementaux<br />

Session organisée avec le soutien de Coca-Cola France<br />

Participants : A. Faurion*, J.M. <strong>Le</strong>cerf**, A. Cocaul***<br />

* Chargée de recherche au CNRS UMR 1197 INRA-Université Paris 11. Laboratoire de NeuroBiologie Sensorielle. Domaine de Vilvert -<br />

78352 Jouy-en-Josas<br />

** Service de Nutrition, Institut Pasteur de Lille<br />

*** Médecin Nutritionniste libéral, Paris.<br />

PHYSIOLOGIE DU GOUT<br />

Annick Faurion<br />

<strong>Le</strong> <strong>goût</strong> est si familier qu’il semble inconcevable que l’on n’en ait<br />

pas décrypté les mécanismes dans les moindres détails. Et pourtant,<br />

c’est bien le cas. La cause s’en trouve probablement dans<br />

nos limites techniques <strong>et</strong> intellectuelles : la recherche en chimioréception<br />

fait appel à des concepts <strong>et</strong> à des techniques qui<br />

connaissent actuellement une évolution rapide <strong>et</strong> prom<strong>et</strong>teuse.<br />

Depuis longtemps, il est « habituel » de décrire les saveurs au<br />

moyen de quatre descripteurs de base : <strong>sucré</strong>, salé, amer <strong>et</strong><br />

acide. A ces qualificatifs, certains auteurs ont proposé d’ajouter<br />

une cinquième saveur, l’umami, correspondant à la sensation<br />

gustative produite par l’ingestion de glutamate. En fait, c<strong>et</strong>te vision<br />

de quatre ou cinq saveurs primaires est excessivement réductrice,<br />

comme nous allons le voir.<br />

Comment détectons-nous le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> ?<br />

La saveur d’un aliment est constituée par tout un ensemble de<br />

sensations à la fois olfactives, somesthésiques (perceptions tactiles,<br />

température, douleur...) <strong>et</strong> gustatives proprement dites.<br />

8 000 bourgeons gustatifs assurent la détection des saveurs. Ils<br />

sont présents majoritairement au niveau de la langue, plus précisément<br />

des papilles gustatives, mais également dans l’épiglotte,<br />

le pharynx <strong>et</strong> le palais. Ces amas sont constitués de 50 à 125 cellules<br />

spécialisées reliées entre elles. Celles-ci se renouvellent tous<br />

les 8-10 jours environ, perm<strong>et</strong>tant ainsi un maintien du potentiel<br />

gustatif, même après une brûlure. <strong>Le</strong>s cellules des bourgeons gustatifs<br />

se terminent par de fines microvillosités qui entrent en<br />

contact avec les substances sapides dissoutes dans la salive.<br />

Contrairement aux croyances populaires, il n’y a pas de zone de<br />

la langue associée spécifiquement à une saveur. En eff<strong>et</strong>, une<br />

même cellule gustative, quelle que soit sa localisation, est sensible<br />

à plusieurs types de stimulus sapides, transmis par une<br />

grande variété de récepteurs gustatifs peu spécifiques (1) .<br />

<strong>Le</strong>s <strong>goût</strong>s <strong>sucré</strong>s par exemple sont principalement perçus par le<br />

couple de récepteur T1R2-T1R3. Certaines molécules <strong>sucré</strong>es,<br />

comme la saccharine, sont capables d’activer ce couple de récepteur,<br />

mais également des récepteurs de la famille T2R ce qui<br />

nous perm<strong>et</strong> de la différencier du saccharose.<br />

Partenaire industrieln<br />

Une récente étude de corrélation phénotype/génotype a montré<br />

que le polymorphisme génétique des récepteurs T1R1 <strong>et</strong> T1R3<br />

rend partiellement compte des très importantes différences de<br />

sensibilité individuelle de l’homme au glutamate. Ces données<br />

suggèrent que chaque « <strong>goût</strong> » n’est pas détecté par un seul récepteur,<br />

ou par quelques récepteurs spécifiques, mais vraisemblablement<br />

bien par l’interaction des signaux envoyés par de<br />

nombreux récepteurs (2) .<br />

<strong>Le</strong>s signaux envoyés par l’ensemble des récepteurs produisent<br />

une cascade d’évènements, qui se traduit par l’envoi d’influx nerveux<br />

au cerveau. Ces informations, ainsi que celles transmises<br />

par les récepteurs sensibles à la température ou aux différentes<br />

textures sont transmises au cortex cérébral par l’intermédiaire de<br />

quatre nerfs. <strong>Le</strong> nerf facial transm<strong>et</strong> les signaux provenant des<br />

bourgeons du <strong>goût</strong> localisés sur les deux tiers antérieurs de la<br />

langue <strong>et</strong> sur le palais ; le nerf trijumeau transm<strong>et</strong> des informations<br />

mécaniques, thermiques <strong>et</strong> chimiques ; le nerf glossopharyngien<br />

véhicule les informations gustatives <strong>et</strong> somesthésiques<br />

du dernier tiers de la langue. Enfin les informations de la gorge<br />

<strong>et</strong> de l’épiglotte sont transmises par le nerf vague. L’ensemble<br />

de ces signaux passe par un relais nerveux dans le bulbe rachidien<br />

<strong>et</strong> se conjugue au niveau thalamo-cortical avec les informations<br />

issues de l’olfaction rétro-nasale. <strong>Le</strong>s messages <strong>sensoriels</strong><br />

traités dans plusieurs aires du cortex cérébral s’associent ensuite<br />

pour former une image multisensorielle complexe (3) . A l’image<br />

multisensorielle de l’aliment s’intègrent finalement d’autres messages<br />

<strong>sensoriels</strong> (vue, ouïe...), hédoniques <strong>et</strong> mémoriels.<br />

<strong>Le</strong> <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong>, une prédisposition innée ?<br />

Quelle évolution avec l’âge ?<br />

L’influence de l’expérience intra-utérine a pu être étudiée grâce<br />

aux progrès de l’imagerie médicale. En eff<strong>et</strong>, il a été observé que<br />

le fœtus, disposant de bourgeons du <strong>goût</strong> fonctionnels durant<br />

le troisième trimestre de la grossesse, exprimait sur son visage <strong>et</strong><br />

dans son comportement, les modifications perçues dans la composition<br />

du liquide amniotique (4) .<br />

Plus tard, à quelques heures de vie, donc avant toute expérience<br />

alimentaire, le nouveau-né manifeste son contentement


lorsqu’on lui propose une solution au <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong>, <strong>et</strong> rej<strong>et</strong>te une<br />

solution de quinine. Ces expressions <strong>et</strong> mimiques faciales stéréotypées<br />

sont appelées « réflexes gusto-faciaux ». Elles sont innées,<br />

universelles pour tous les nourrissons humains <strong>et</strong> témoignent de<br />

la constitution d’un répertoire gustatif « de base ». Ainsi, tous<br />

les nouveau-nés sont en mesure de distinguer les solutions <strong>sucré</strong>es,<br />

bénéfiques car sources de glucides <strong>et</strong> donc d’énergie (4) .<br />

Durant sa prime enfance, puis tout au long de sa vie, tout individu<br />

va développer un répertoire alimentaire propre par la voie<br />

de l’apprentissage. Ce répertoire est également aussi lié aux mécanismes<br />

de régulation de la prise alimentaire via l’appétit <strong>et</strong> le<br />

rassasiement (4) . Il semble que les grandes lignes des choix alimentaires<br />

se déterminent tôt dans la vie (avant 4 ans) <strong>et</strong> soient relativement<br />

stables par la suite (5) .<br />

Quelles variations dans la sensibilité au <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> ?<br />

La plus ou moins grande sensibilité gustative dépend autant de<br />

la molécule sapide que du suj<strong>et</strong> qui la <strong>goût</strong>e. Elle reste aujourd’hui<br />

totalement imprédictible (3) . Un certain nombre de facteurs<br />

influencent la perception des saveurs <strong>et</strong> par conséquent<br />

celle de la saveur <strong>sucré</strong>e : la concentration, la température <strong>et</strong> le<br />

milieu de solubilisation. Un certain nombre d’autres facteurs plus<br />

personnels <strong>et</strong> subjectifs rentrent néanmoins en jeu.<br />

Différences génétiques. La mesure de la sensibilité à un produit,<br />

dans une population donnée, perm<strong>et</strong> de dresser des distributions<br />

de sensibilité (3) , caractérisées par une extrême variabilité notamment<br />

liée au polymorphisme génétique des récepteurs du <strong>goût</strong>.<br />

Pour le saccharose par exemple, 66 % de la population détecte<br />

la saveur <strong>sucré</strong>e dans un éventail de concentrations variant dans<br />

un rapport de 3. Pour 100 % de la population, l’intervalle varie<br />

dans un rapport supérieur à 10. On peut ainsi imaginer qu’un<br />

individu qui m<strong>et</strong> deux sucres dans son café n’aime pas forcément<br />

plus le sucre qu’un autre qui en m<strong>et</strong> un demi. Il est peut être<br />

simplement moins sensible à la saveur <strong>sucré</strong>e (3) . Phénomène encore<br />

plus préoccupant pour ceux qui se soucient de la valeur calorique<br />

des aliments <strong>sucré</strong>s, le pouvoir sucrant d’un édulcorant<br />

donné dépend tellement du dégustateur que sa valeur moyenne<br />

perd toute signification à l’échelle de l’individu.<br />

Différences selon le sexe. Il semble que l’attrait pour le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong><br />

soit plus important chez l’homme que chez la femme (6) .<br />

Différences selon le support alimentaire. <strong>Le</strong> qualificatif « <strong>sucré</strong> »<br />

a été mis en place par référence au saccharose, dont chaque individu<br />

possède une image sensorielle précise. Néanmoins, la perception<br />

de la saveur <strong>sucré</strong>e se trouve bien souvent qualifiée en<br />

nommant l’aliment qui lui sert de support, mais chacun a ses<br />

propres références <strong>et</strong> ses ressentis par rapport à ces supports de<br />

la saveur <strong>sucré</strong>e. Par ailleurs, dans un mélange, les <strong>goût</strong>s des différents<br />

constituants ne se combinent absolument pas de manière<br />

additive (7) .<br />

Différences hédoniques. Appartenant au domaine de l’affectif<br />

c<strong>et</strong>te composante hédonique prend souvent une grande importance<br />

pour l’individu qui doit décrire une saveur : « le <strong>goût</strong> de »<br />

tend alors à se confondre avec « le <strong>goût</strong> pour »... La description<br />

qualitative d’une saveur peut en eff<strong>et</strong> s’avérer délicate avec un<br />

nombre limité de qualificatifs, tandis qu’il est plus facile d’estimer<br />

une saveur comme « bonne » ou « mauvaise ».<br />

Différences sémantiques. L’absence de consensus sensoriel entre<br />

les individus explique la pauvr<strong>et</strong>é du vocabulaire perm<strong>et</strong>tant de<br />

décrire les <strong>goût</strong>s. Bien que les différences qualitatives perceptibles<br />

lors de la consommation de différents produits <strong>sucré</strong>s soient difficiles<br />

à décrire, il est clair qu’il existe des, <strong>et</strong> non pas une, saveurs<br />

<strong>sucré</strong>es (7) .<br />

Différences culturelles. <strong>Le</strong>s <strong>goût</strong>s sont influencés par les représentations<br />

intellectuelles <strong>et</strong>/ou culturelles des aliments, les rendant<br />

acceptables pour la consommation ou pas.<br />

Différences dans le temps. La perception gustative du suj<strong>et</strong> âgé<br />

est souvent modifiée. En eff<strong>et</strong>, des extractions ou traitements<br />

dentaires de plus en plus nombreux, une variation qualitative de<br />

la salive <strong>et</strong> une réduction importante du nombre de bourgeons<br />

du <strong>goût</strong>, peuvent entraîner une diminution de la sensibilité gustative.<br />

La perte de la perception de la « flaveur » des aliments,<br />

constitue une donnée importante dans la diminution de l’appétit<br />

du suj<strong>et</strong> âgé (8) .<br />

Conclusion<br />

<strong>Le</strong> sens gustatif est de tous nos sens, le moins connu. C’est un<br />

mélange infiniment complexe d’informations sensorielles m<strong>et</strong>tant<br />

en jeu la gustation elle-même mais aussi l’odorat, le sens<br />

tactile ainsi que des composantes affectives fortes.<br />

Pour certaines saveurs, comme la saveur <strong>sucré</strong>e, le rapport affectif<br />

semblerait inné ou tout au moins acquis très tôt, dès la vie<br />

fœtale puis, renforcé par les habitudes alimentaires dans la p<strong>et</strong>ite<br />

enfance.<br />

Mais si nous n’avons pas tous les mêmes préférences alimentaires,<br />

ce n’est pas uniquement en référence à notre éducation<br />

<strong>et</strong> à notre culture. Notre patrimoine génétique détermine également<br />

une part importante de nos choix.<br />

Et il est fort à parier que les travaux de recherche du 21 e siècle<br />

donneront enfin au <strong>goût</strong> la place qui lui revient grâce aux avancées<br />

de la biologie moléculaire, de la génétique de l’individu <strong>et</strong><br />

des neurosciences cognitives.<br />

ADDICTION AU GOUT SUCRE : MYTHE OU REALITE ?<br />

Jean-Michel <strong>Le</strong>cerf<br />

Partenaire industrieln<br />

L’opinion publique aime vouer aux gémonies ce qu’elle adule.<br />

Est-ce pour cela que le sucre <strong>et</strong> plus encore le <strong>sucré</strong> sont mis au<br />

pilori <strong>et</strong> considérés comme des drogues ? Au même titre c<strong>et</strong>te<br />

opinion j<strong>et</strong>te aux orties successivement depuis quelques années<br />

le gras <strong>et</strong> le beurre, la viande <strong>et</strong> le lait ... !<br />

De ce point de vue, le sort le plus infâme que l’on pourrait j<strong>et</strong>er<br />

à un aliment serait de la déclarer coupable d’une addiction, ce<br />

comportement d’asservissement (9) qui aboutit à une autodestruction<br />

?<br />

<strong>Le</strong>s scientifiques, ces ignorants de la réalité, seraient-ils les seuls<br />

© ENTRETIENS DEBICHAT 2010- 565


à avoir tort à l’instar de l’Organisation Mondiale de la Santé qui<br />

en 2004 (10) affirmait qu’il n’y a pas d’addiction ou de dépendance<br />

alimentaire ?<br />

La vérité est-elle en demi-teinte. Essayons d’y voir plus clair à travers<br />

une succession d’approches <strong>et</strong> de définitions.<br />

Plaisir<br />

Au commencement était le plaisir, <strong>et</strong> au commencement était la<br />

faim, pour paraphraser la Genèse. <strong>Le</strong> plaisir est le signe accompagnant<br />

un comportement utile pour l’homme : il est bon, il est<br />

normal, c’est une nécessité physiologique <strong>et</strong> anthropologique<br />

pour être finaliste. Il est sous-tendu par le désir <strong>et</strong> activé par le<br />

manque.<br />

En terme d’alimentation il faut définitivement adm<strong>et</strong>tre que les<br />

fonctions de l’acte de manger sont triples <strong>et</strong> intriquées : nutritives<br />

<strong>et</strong> énergétiques, affectives <strong>et</strong> émotionnelles, symboliques <strong>et</strong> relationnelles.<br />

<strong>Le</strong> plaisir est présent à toutes les étapes, apportant<br />

soulagement, réconfort, apaisement. Une alimentation pour être<br />

bonne doit induire ces eff<strong>et</strong>s : c’est ce qui nous pousse à manger<br />

: ces eff<strong>et</strong>s sont intégrés c’est-à-dire qu’au niveau du système<br />

nerveux central, sous l’influence d’afférences provenant du système<br />

digestif d’une part <strong>et</strong> de l’état des réserves d’autre part surviennent<br />

des réponses neurobiolologiques induisant un bien-être<br />

qui nous conduit... à arrêter de manger. Mais c’est bien la<br />

conjonction des eff<strong>et</strong>s <strong>sensoriels</strong> <strong>et</strong> post ingestifs qui régule grâce<br />

au plaisir, moteur <strong>et</strong> régulateur, notre prise alimentaire. Pour être<br />

bons les aliments doivent procurer ce double eff<strong>et</strong>. <strong>Le</strong> sucre <strong>sucré</strong><br />

en est le prototype. On peut ainsi affirmer que parce que l’on<br />

aime manger, on aime ce que l’on mange (11) .<br />

Goût <strong>et</strong> perception<br />

L’image sensorielle enregistrée au niveau du cerveau est donc la<br />

conséquence d’informations multiples qui lui parviennent à partir<br />

des propriétés organoleptiques des aliments (texture, couleur,<br />

température, <strong>goût</strong>, odeur...) qui stimulent nos sens : vue, <strong>goût</strong>,<br />

odorat, toucher buccal <strong>et</strong> cutané, ouïe... <strong>Le</strong>s flaveurs ont autant<br />

d’importance que les saveurs.<br />

L’image sensorielle ou motif sensoriel créé pour chaque aliment<br />

résulte d’une saveur complexe issue d’un mélange de produits<br />

<strong>et</strong> est une véritable signature de l’aliment. C’est la saturation de<br />

c<strong>et</strong>te image sensorielle qui aboutit au rassasiement sensoriel spécifique<br />

: après avoir mangé un aliment on a moins envie de manger<br />

le même aliment, mais envie d’en manger un autre... A c<strong>et</strong><br />

eff<strong>et</strong> se surajoute, en décalé, les eff<strong>et</strong>s métaboliques induits par<br />

l’aliment. <strong>Le</strong> tout conduit à un apprentissage conditionné perm<strong>et</strong>tant<br />

de calibrer p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it la taille de la prise alimentaire <strong>et</strong><br />

donc à un rassasiement conditionné.<br />

Préférence <strong>et</strong> attirance<br />

Avec les préférences on passe du « <strong>goût</strong> de » au « <strong>goût</strong> pour ».<br />

La préférence pour le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> est innée puis elle a un renforcement<br />

socio-culturel <strong>et</strong> psycho-éducatif fort (12) . <strong>Le</strong> saccharose,<br />

produit un eff<strong>et</strong> analgésiant chez le tout-p<strong>et</strong>it, qui rend peutêtre<br />

compte via un eff<strong>et</strong> apaisant de la préférence innée pour le<br />

566- © ENTRETIENS DEBICHAT 2010<br />

<strong>sucré</strong>. On mange ce que l’on aime, <strong>et</strong> on l’aime parce que l’on<br />

aime les eff<strong>et</strong>s que cela nous procure. Mais c<strong>et</strong>te préférence est<br />

aussi liée à l’eff<strong>et</strong> énergétique fourni par l’aliment : l’image sensorielle<br />

rejoint l’eff<strong>et</strong> énergétique post-ingestif.<br />

<strong>Le</strong>s préférences sont accrues par l’exposition répétée à un aliment,<br />

c’est la familiarisation. On ne peut exclure que la disponibilité<br />

récente des aliments <strong>sucré</strong>s dans notre environnement<br />

alimentaire ait renforcé la préférence pour le <strong>sucré</strong> dans les populations<br />

occidentales, mais il semble exister une susceptibilité<br />

génétique à condition égale.<br />

<strong>Le</strong>s obèses n’ont pas une préférence accrue pour le <strong>sucré</strong>, par<br />

rapport aux suj<strong>et</strong>s normo-pondéraux (13) . Par contre les obèses de<br />

poids fluctuant depuis longtemps, c’est-à-dire soumis à des régimes<br />

permanents, ont une plus grande attirance pour les aliments<br />

<strong>sucré</strong>s <strong>et</strong> pour les aliments gras <strong>et</strong> <strong>sucré</strong>s (14) .<br />

De même chez l’enfant les interdits alimentaires génèrent, en<br />

présence de l’aliment considéré, <strong>et</strong> hors du contrôle parental une<br />

plus grande attirance pour les aliments <strong>sucré</strong>s (15,16) . Chantages <strong>et</strong><br />

récompenses peuvent aussi renforcer l’attraction pour les aliments<br />

concernés (17) .<br />

L’idée que l’attirance pour le <strong>sucré</strong> soit entr<strong>et</strong>enue par la consommation<br />

d’édulcorants est habituelle mais dans l’étude SUVIMAX<br />

les utilisateurs de produits allégés en sucre <strong>et</strong> d’édulcorants<br />

avaient un IMC plus élevé que les non utilisateurs <strong>et</strong> simultanément<br />

consommaient moins de calories <strong>et</strong> de saccharose que les<br />

non utilisateurs (18) . <strong>Le</strong>s édulcorants sont un marqueur d’un style<br />

alimentaire <strong>et</strong>/ou de l’existence d’un surpoids <strong>et</strong> d’une tentative<br />

de correction. Une autre étude chez des femmes a montré que<br />

celles utilisant fréquemment des édulcorants n’avaient pas une<br />

grande attirance accentuée pour les boissons <strong>sucré</strong>es. Bien sûr il<br />

peut s’agir d’une plus grande attention des utilisateurs d’édulcorants<br />

à leur alimentation, mais il ne semble pas y avoir d’eff<strong>et</strong><br />

pervers. Tout au plus il est évoqué l’eff<strong>et</strong> de leurre sensoriel des<br />

édulcorants (le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> sans les calories...) pouvant théoriquement<br />

perturber le rassasiement conditionné, c’est-à-dire l’apprentissage<br />

des quantités à consommer...<br />

Mécanismes neurobiologiques<br />

Partenaire industrieln<br />

Que le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> soit source de plaisir chez la majorité des gens<br />

est une réalité. Mais est-ce le <strong>sucré</strong> ou le sucre, le sucre ou le<br />

gras + sucre, les glucides ou les glucides <strong>sucré</strong>s, la <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> du<br />

sucre ou celui des édulcorants qui sont en cause ?<br />

En imagerie cérébrale l’ingestion de glucose modifie l’activité de<br />

l’hypothalamus mais pas l’aspartame ni les maltodextrines (glucides<br />

non <strong>sucré</strong>s) (19) . C’est donc bien le sucre (glucose) qui est en<br />

jeu. Une étude récente chez l’animal a d’ailleurs montré que l’ingestion<br />

de sucre active des circuits cérébraux de récompense indépendamment<br />

de la perception du <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> (20) . Mais dans le<br />

cerveau de suj<strong>et</strong>s humains à jeun la seule évocation des aliments<br />

préférés augmente le métabolisme cérébral avec des activations<br />

plus marquées dans certaines structures (21) .<br />

Ce plaisir est donc d’origine complexe. Il est médié par des mécanismes<br />

neurobiologiques médiés par des neurotransm<strong>et</strong>teurs<br />

impliqués dans le plaisir. C’est le cas en particulier des endor-


phines, proches de la morphine dérivée de l’opium dont l’eff<strong>et</strong><br />

est antagonisé par la naloxone ou la naltrexone ; mais ces antogonistes<br />

réduisent tout autant la consommation d’aliments gras<br />

<strong>et</strong> gras <strong>et</strong> <strong>sucré</strong>s que <strong>sucré</strong>s. La Dopamine est aussi un neurotransm<strong>et</strong>teur<br />

du plaisir : son manque induit des comportements<br />

extrêmes (boulimie, violence, compulsion). La sérotonine a aussi<br />

été considérée comme essentielle dans l’eff<strong>et</strong> apaisant du sucre,<br />

mais la théorie sérotoninergique n’est pas définitivement admise<br />

même si elle est élégante, la sérotonine étant antidépressive <strong>et</strong><br />

d’ailleurs mise en jeu par certains antidépresseurs sérotoninergiques.<br />

Plus récemment ce sont les endocannabinoïdes, molécules<br />

également proches de drogues qui ont été impliqués dans<br />

la recherche de nourriture <strong>et</strong> le plaisir alimentaire ; ces molécules<br />

stimulent la prise alimentaire via le système nerveux central mais<br />

aussi comme cela vient d’être montré chez l’animal, ils renforcent<br />

les réponses des nerfs gustatifs périphériques au <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> (22) .<br />

Tout ceci montre à quel point pour nous pousser à manger des<br />

mécanismes induisant des eff<strong>et</strong>s agréables <strong>et</strong> impliqués dans la<br />

régulation de la prise alimentaire ont été élaborés, afin de satisfaire...<br />

les besoins énergétiques (23) : le comportement au service<br />

du métabolisme... ! (9) .<br />

Pulsions, compulsions <strong>et</strong> craving<br />

La plupart d’entre nous peut ressentir une pulsion alimentaire en<br />

cas de manque, <strong>et</strong> notamment en cas de faim véritable : l’hypoglycémie<br />

en est responsable. <strong>Le</strong> plaisir de manger sera renforcé<br />

en cas de déficit énergétique : c’est l’alliesthésie positive ; l’état<br />

post-prandial inverse ces mécanismes. Ainsi même les pulsions<br />

pour le chocolat sont atténuées en situation post-prandiale (24) .<br />

<strong>Le</strong> craving est à peu près équivalent à la compulsion. On parle<br />

de carbohydrate-craving ou cravers. Il semble que ce soient les<br />

régimes monotones qui induisent ces cravings (25) .<br />

De la pulsion à la boulimie, il y a cependant un fossé. <strong>Le</strong>s compulsions<br />

du boulimique sont des manifestations pathologiques<br />

avec prise alimentaire massive rapide, d’aliments quelconques,<br />

gras ou <strong>sucré</strong>s, ou non, avec culpabilité intense qui s’en suit : on<br />

est loin des mécanismes impliquant la préférence, il s’agit d’une<br />

autodestruction, mais c’est une addiction à la boulimie, pas au<br />

<strong>sucré</strong> !<br />

A moins que ce soit l’état d’obésité qui se rapproche de celui de<br />

suj<strong>et</strong>s dépendants au drogues <strong>et</strong> donc « addicts » : en eff<strong>et</strong> le<br />

PET scan a montré des similitudes des réponses cérébrales chez<br />

ces 2 types de suj<strong>et</strong>s (26) . Dans ce cas selon les auteurs certains suj<strong>et</strong>s<br />

ayant une obésité morbide utiliseraient la consommation de<br />

certains aliments pour compenser une diminution de la sensibilité<br />

des circuits de récompense dopaminergiques (27) . De plus chez<br />

l’obèse les réponses cérébrales montrent une activation plus importante<br />

de certaines zones pendant la gratification par anticipation<br />

ou lors de la consommation d’aliments témoignant d’un<br />

plus grand plaisir à manger (28) .<br />

Que nous utilisions, de façon ordinaire, l’alimentation pour apaiser<br />

une angoisse, pour soulager un stress, compenser un<br />

manque, pour atténuer une souffrance n’est guère étonnant : à<br />

l’extrême cela pourrait être rapproché d’une forme de névrose,<br />

c’est à dire d’une réponse inappropriée à un vrai problème. Ce<br />

n’est pas pour autant une addiction, qui, elle, sous-tend une perte<br />

de contrôle, un asservissement <strong>et</strong> induit une dépendance, une<br />

tolérance <strong>et</strong> des symptômes de sevrage, <strong>et</strong> une auto destruction.<br />

Cependant les phénomènes de compensation alimentaire sont<br />

particulièrement fréquents <strong>et</strong> peuvent porter sur le <strong>sucré</strong> <strong>et</strong> sur<br />

le gras, c’est-à-dire sur les aliments associés à un plus grand plaisir,<br />

grâce aux neuro transm<strong>et</strong>teurs du plaisir <strong>et</strong> du bien-être.<br />

<strong>Le</strong> stress est ainsi un grand fourvoyeur de compensations alimentaires<br />

: mais il a été largement démontré qu’il l’est d'autant plus<br />

que les suj<strong>et</strong>s sont restreints, induisant une surconsommation de<br />

gras <strong>et</strong> de <strong>sucré</strong> (29) .<br />

Interdits alimentaires <strong>et</strong> restriction alimentaire sont ainsi très largement<br />

responsables de comportements mimant l’addiction (30) .<br />

<strong>Le</strong> prototype en est la restriction cognitive que s’imposent ou<br />

qu’on impose (à) des suj<strong>et</strong>s obèses ou non. <strong>Le</strong>s interdits sont<br />

basés sur la nouvelle morale imposée par le culte de la minceur<br />

<strong>et</strong> par les régimes amaigrissants considérant que les aliments caloriques<br />

sont mauvais, surtout s’ils sont sources de plaisir (9) .<br />

Au total, c’est la restriction cognitive qui mime l’addiction avec<br />

un sentiment de dépendance, un désir exacerbé, un plaisir intense,<br />

une grand culpabilité, un envahissement du champ mental,<br />

avec obsession, <strong>et</strong> une poursuite malgré les eff<strong>et</strong>s<br />

destructeurs que cela entraîne.<br />

Chocolat, alcool <strong>et</strong> addiction<br />

<strong>Le</strong> prototype d’un mauvais aliment est, de longue date, le chocolat<br />

aliment, gras, <strong>sucré</strong>, énergétique <strong>et</strong> bon. Certains rêvent<br />

de s’y précipiter, d’autres s’y j<strong>et</strong>tent. Puisqu’il contient des substances<br />

psychoactives, notamment l’anandamide, un cannabinoide<br />

endogène, on l’a qualifié de drogue. En réalité les<br />

substances en question isolées du chocolat, en gélules, ne calment<br />

pas les compulsions, alors que le chocolat, débarrassé de<br />

ces molécules, les calme (31) : c’est donc parce qu’il est bon, gras<br />

<strong>et</strong> <strong>sucré</strong> qu’il est plaisant. Et c’est parce qu’il est « interdit » qu’on<br />

craque encore plus pour lui (9) .<br />

Que l’alcool entraîne une addiction est une évidence, responsable<br />

d’une dépendance avec une tolérance (il faut augmenter les<br />

doses pour le même eff<strong>et</strong>) <strong>et</strong> d’un sevrage (symptômes de<br />

manque à son arrêt).<br />

A l’arrêt certains reporteront leur appétence pour l’alcool vers<br />

une attirance <strong>et</strong> une surconsommation de <strong>sucré</strong>. <strong>Le</strong> <strong>sucré</strong> est-il<br />

pour autant dans ce cas une addiction ou un ersatz ?<br />

Toxicomanie alimentaire<br />

Partenaire industrieln<br />

Un travail très récent (32) a fait de la « malbouffe » une drogue<br />

dure à partir de travaux chez le rat, montrant que l’on pouvait<br />

rendre des rats de laboratoires complètement « accros » en leur<br />

proposant une nourriture de type junk food, hyper-calorique,<br />

hyper-grasse <strong>et</strong> hyper <strong>sucré</strong>e : en quelques jours les animaux ont<br />

développé une addiction comparable à celle des consommateurs<br />

de drogues dures : l’imagerie cérébrale a montré un « emballement<br />

» des circuits du plaisir (dopaminergiques) conduisant des<br />

© ENTRETIENS DEBICHAT 2010- 567


animaux à les sur-stimuler pour obtenir le même niveau de plaisir.<br />

Il a d’ailleurs été montré que la consommation prolongée d’aliments<br />

très <strong>sucré</strong>s <strong>et</strong> gras pouvait induire des changements neurochimiques<br />

des sites cérébraux impliqués dans le plaisir <strong>et</strong> dans<br />

la prise alimentaire. Mais Benton, dans une très large <strong>et</strong> récente<br />

revue de la littérature, considère que le modèle animal dans ce<br />

domaine ne peut absolument pas être extrapolé à l’homme (33) .<br />

Il y a cependant des liens entre les mécanismes neurobiochimiques<br />

impliqués dans l’attirance pour les aliments <strong>et</strong> l’attirance<br />

pour les drogues. C’est pourquoi certains auteurs ont proposé<br />

que les drogues qui induisent l’addiction, utilisent les mêmes mécanismes<br />

que ceux qui assurent l’attirance pour les aliments, c’està-dire<br />

des mécanismes dont la fonction est d’assurer la survie !<br />

Ainsi les mots piègent, s’il est facile de parler de toxicomanie alimentaire,<br />

l’hyperphagie est un mode de fonctionnement qui s’explique<br />

car il procure un dérèglement par plaisir, mais ce n’est pas<br />

une addiction, car elle peut régresser sans syndrome de sevrage.<br />

Conclusion<br />

Il est clair que manger procure <strong>et</strong> doit procurer le plaisir pour satisfaire<br />

des besoins énergétiques. Dans la mesure où les deux<br />

sont liés, il est clair aussi que l’on recherche autant la satisfaction<br />

de besoins émotionnels <strong>et</strong> affectifs en mangeant.<br />

A c<strong>et</strong> égard, le sucre <strong>sucré</strong> est un bon exemple de c<strong>et</strong>te<br />

connexion. <strong>Le</strong> gras a le même rôle, <strong>et</strong> les deux se renforcent. Du<br />

physiologique on peut passer aisément au psychopathologique<br />

quand l’alimentation (<strong>et</strong> le sucre <strong>sucré</strong>) est utilisée comme moyen<br />

de compensation. A l’extrême on peut dire que l’alimentation<br />

peut exercer une fonction analogue à celle d’une drogue, sans<br />

en avoir tous les eff<strong>et</strong>s. Mais, contrairement à l’alcool, le sucre<br />

<strong>sucré</strong> n’entraîne pas d’addiction. La boulimie peut s’en rapprocher<br />

mais ce n’est pas une addiction au <strong>sucré</strong>. La restriction cognitive<br />

peut être également un terrain propice à un<br />

comportement pathologique, elle est induite par le manque <strong>et</strong><br />

l’interdit... du <strong>sucré</strong>, en décrétant que certains aliments sont<br />

mauvais.<br />

EN PRATIQUE COMMENT GÉRER LA PRÉFÉRENCE POUR<br />

LE GOÛT SUCRÉ DANS LES CONSEILS NUTRITIONNELS<br />

DONNÉS AUX PATIENTS ?<br />

568- © ENTRETIENS DEBICHAT 2010<br />

Arnaud Cocaul<br />

L’appétence pour les aliments au <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> est innée chez beaucoup<br />

de mammifères <strong>et</strong> en particulier chez l’homme. Pendant<br />

des millénaires, les ressources en sucre étaient limitées mais<br />

désormais, on doit gérer l’abondance d’une offre alimentaire de<br />

plus en plus multiformes.<br />

Toutes les cultures apprécient le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> <strong>et</strong> à tous les âges de<br />

la vie, on recherche les produits <strong>sucré</strong>s, même s’il existe des pics<br />

de consommation durant l’enfance <strong>et</strong> l’adolescence. Cela provient<br />

certainement de la consommation importante de lactose<br />

qui est le sucre principal du lait maternel <strong>et</strong> qui a un <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong>.<br />

La préférence pour le sucre s’atténue avec l’âge adulte pour demeurer<br />

stable.<br />

Un des réflexes archaïques communs à tous les enfants est la<br />

réaction d’acceptation à la présentation d’une solution <strong>sucré</strong>e.<br />

<strong>Le</strong> formatage progressif de l’alimentation exercé par l’appartenance<br />

à un modèle sociétal <strong>et</strong> à une structure familiale contribue<br />

par la suite à moduler <strong>et</strong> à modeler l’attirance au <strong>sucré</strong> au fil de<br />

la vie. <strong>Le</strong> sucre demeure une source de plaisir alimentaire sans<br />

notion de dépendance physique <strong>et</strong> psychologique qui en ferait<br />

une drogue.<br />

<strong>Le</strong> développement de la « saccharophobie »<br />

La pression sociétale sur l’image corporelle qui doit être formatée<br />

<strong>et</strong> le problème préoccupant de l’augmentation de la prévalence<br />

de l’obésité dans le monde, incitent bon nombre de patients <strong>et</strong><br />

en particulier de patientes, à se tourner vers des régimes restrictifs<br />

– en particulier vis à vis des aliments à la saveur <strong>sucré</strong>e <strong>et</strong><br />

douce - afin d’obtenir une perte pondérale rapide. Et ce, sans se<br />

préoccuper de l’eff<strong>et</strong> r<strong>et</strong>ord de telles pratiques, à savoir le risque<br />

non négligeable de reprise pondérale plus importante (ce que<br />

l’on qualifie de régime yoyo).<br />

Il est difficile de consommer des quantités raisonnables d’aliments<br />

dont on pense qu’ils représentent une menace pour le poids,<br />

voire un danger pour la santé. Dans de telles situations, le patient<br />

ne se donne plus comme autre choix qu’une éviction totale des<br />

produits <strong>sucré</strong>s ou bien leur consommation culpabilisée. D’une<br />

telle culpabilité <strong>et</strong> de l’anxiété de prendre du poids résultent fréquemment<br />

une consommation sans limites très préjudiciable.<br />

<strong>Le</strong> discours médical incohérent <strong>et</strong> discordant entr<strong>et</strong>enu par certains<br />

praticiens médiatiques contribue grandement à assimiler les<br />

produits <strong>sucré</strong>s comme coresponsables de la prise de poids <strong>et</strong><br />

donc à les diaboliser dans l’inconscient collectif. <strong>Le</strong> risque de troubles<br />

du comportement alimentaire peut s’en trouver plus grand.<br />

Goût <strong>sucré</strong> <strong>et</strong> régime hypocalorique<br />

Partenaire industrieln<br />

La plupart des régimes « à succès » (type Atkins, Dukan...) se focalise<br />

sur les sucres en les supprimant ou en les restreignant fortement<br />

(en particulier les glucides complexes).<br />

<strong>Le</strong> rôle du médecin face à son patient sera de réhabiliter les sucres<br />

sous toutes leurs formes (simples <strong>et</strong> complexes) en arguant<br />

sur des faits scientifiques. <strong>Le</strong>s études comparant différents régimes<br />

sur 2 ans de suivi ne m<strong>et</strong>tent pas en avant la primauté du<br />

régime restreint en sucres.<br />

Il est nécessaire de cultiver l’empathie avec nos patients. Écouter<br />

ses préférences, comprendre ses habitudes alimentaires... c’est<br />

non pas se m<strong>et</strong>tre à sa place, mais explorer comment l’aider durablement<br />

dans la gestion de son poids. Lui proposer occasionnellement<br />

des produits <strong>sucré</strong>s, c’est lui offrir une alternative non<br />

rigoriste. Ce qui n’empêche nullement de prôner, en particulier<br />

chez nos jeunes patients, l’apprentissage de la modération <strong>et</strong><br />

l’encouragement à la diversité <strong>et</strong> à la découverte des <strong>goût</strong>s.<br />

On notera par ailleurs avec intérêt que les obèses ne sont pas<br />

« accros » à la saveur <strong>sucré</strong>e (13) .


Beaucoup de patients pensent aimer le sucre mais à l’interrogatoire<br />

ce qui ressort c’est leur appétence pour les aliments gras <strong>et</strong><br />

<strong>sucré</strong>s comme, par exemple, les gâteaux, pâtisseries <strong>et</strong> autres<br />

produits riches en énergie <strong>et</strong> source de satisfaction immédiate.<br />

Il est très rare de devenir obèse en ne mangeant que des fruits.<br />

Et parce que chez les patients en surcharge pondérale, aider à<br />

adhérer au régime en limitant la frustration passe aussi par le<br />

maintien de la saveur <strong>sucré</strong>e sans apports énergétiques, on peut<br />

alors penser aux édulcorants intenses.<br />

Goût <strong>sucré</strong> <strong>et</strong> diabète<br />

<strong>Le</strong>s diabétiques doivent conserver des apports glucidiques<br />

contrôlés <strong>et</strong> variés à chaque repas, en privilégiant les sucres d’absorption<br />

lente. Toutefois, on évitera la consommation abusive de<br />

fructose (au-delà de 50 g/j) qui peut majorer le risque de stéatohépatite<br />

<strong>et</strong> la montée des triglycérides. Il convient d’éviter des<br />

pics hyperglycémiques trop importants en post-prandial.<br />

Cependant, conserver le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> est un élément important<br />

pour c<strong>et</strong>te catégorie de patients. À ce titre, les édulcorants intenses<br />

sont également intéressants dans la mesure où ils n’affectent<br />

pas directement le métabolisme glucidique ni son<br />

contrôle hormonal.<br />

Compulsion au « <strong>sucré</strong> »<br />

<strong>Le</strong>s échecs des régimes hypocaloriques forcément restrictifs sont<br />

très souvent liés à l’apparition de troubles du comportement alimentaire<br />

de types : compulsions, grignotages... conséquences des<br />

frustrations. En cherchant des moyens d’adapter notre alimentation<br />

à la réduction des besoins énergétiques, on en arrive à prôner<br />

de manger moins calorique donc réduit en aliments <strong>sucré</strong>s <strong>et</strong> gras.<br />

Cela est d’autant plus vrai que l’on a affaire à un suj<strong>et</strong> déjà en<br />

surpoids, voir obèse ou à un suj<strong>et</strong> à prédominance féminine qui<br />

souhaite formater son image corporelle à ce qui prévaut aujourd’hui<br />

dans la société, à savoir une image maîtrisée.<br />

Dans les heures suivant la mise au régime, le cerveau stimule la<br />

fabrication d’hormones puissamment orexigènes qui amènent<br />

certains patients à se diriger vers des aliments « réconfortants »<br />

normalement proscrits <strong>et</strong> le plus souvent <strong>sucré</strong>s ou gras <strong>et</strong> <strong>sucré</strong>s.<br />

<strong>Le</strong> meilleur moyen d’éviter ce type de compulsions est donc de<br />

lutter contre la restriction tout en restant bien sur dans la modération.<br />

Il n’y a pas de risque de dépendance au sucre donc il n’y a pas<br />

de conduites addictives relatives à la consommation même abusive<br />

de produits <strong>sucré</strong>s (ce qui ne rend pas une telle consommation<br />

recommandable).<br />

Car dépendance sous-tend des risques de tolérance <strong>et</strong> des<br />

risques liés au sevrage ce qui n’est pas le cas. Certains pensent<br />

qu’une évolution épigénétique sur le mode Lamarckien pourrait<br />

avoir lieu en raison de la présence accrue du <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> dans<br />

notre alimentation.<br />

Conclusion<br />

<strong>Le</strong> discours médical doit être simplifié afin de renforcer l’adhérence<br />

du patient à la consommation en toute quiétude d’aliments<br />

diversifiés, dont les aliments <strong>sucré</strong>s.<br />

La notion de pourcentage de glucides dans les apports énergétiques<br />

totaux journaliers paraît être un message difficilement<br />

écoutable, il faut porter nos efforts sur le plaisir à manger <strong>et</strong> donc<br />

à maintenir un <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> en privilégiant la qualité <strong>et</strong> en disposant<br />

de portions adaptées au profil du patient.<br />

Chez certains patients obèses ou diabétiques ayant une appétence<br />

soutenue au « <strong>sucré</strong> », il y a possibilité de recourir aux<br />

édulcorants intenses (aspartame, extraits de stévia...) <strong>et</strong> aux produits<br />

qui en contiennent. À ce titre, les boissons light, dont la<br />

charge calorique est nulle, présentent un réel intérêt en perm<strong>et</strong>tant<br />

au patient de mieux adhérer au proj<strong>et</strong> thérapeutique <strong>et</strong> en<br />

limitant ses apports énergétiques.<br />

Si les boissons ou aliments à base d’édulcorants intenses ne font<br />

pas maigrir, rien n’indique qu’il faille craindre une perversion des<br />

<strong>goût</strong>s ou des comportements. Des travaux d’imagerie médicale<br />

récents indiquent que le cerveau est tout à fait en mesure de différencier<br />

le <strong>goût</strong> d’un sucre <strong>et</strong> celui d’un édulcorant intense apportant<br />

peu ou pas de calories.<br />

<strong>Le</strong> patient doit être un allié. En l’autorisant, de façon modérée<br />

<strong>et</strong> encadrée, à boire ou manger « <strong>sucré</strong> », on garde une place<br />

pour le plaisir des sens <strong>et</strong> l’on manifeste de l’empathie pour lui.<br />

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