Le goût sucré : aspects physiologiques, sensoriels et ...
Le goût sucré : aspects physiologiques, sensoriels et ...
Le goût sucré : aspects physiologiques, sensoriels et ...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Entr<strong>et</strong>iens<br />
de Bichat<br />
1 er oct. 2010<br />
Salle 341<br />
17 h 00 - 18 h 00<br />
564- © ENTRETIENS DEBICHAT 2010<br />
<strong>Le</strong> <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> : <strong>aspects</strong> <strong>physiologiques</strong>, <strong>sensoriels</strong><br />
<strong>et</strong> comportementaux<br />
Session organisée avec le soutien de Coca-Cola France<br />
Participants : A. Faurion*, J.M. <strong>Le</strong>cerf**, A. Cocaul***<br />
* Chargée de recherche au CNRS UMR 1197 INRA-Université Paris 11. Laboratoire de NeuroBiologie Sensorielle. Domaine de Vilvert -<br />
78352 Jouy-en-Josas<br />
** Service de Nutrition, Institut Pasteur de Lille<br />
*** Médecin Nutritionniste libéral, Paris.<br />
PHYSIOLOGIE DU GOUT<br />
Annick Faurion<br />
<strong>Le</strong> <strong>goût</strong> est si familier qu’il semble inconcevable que l’on n’en ait<br />
pas décrypté les mécanismes dans les moindres détails. Et pourtant,<br />
c’est bien le cas. La cause s’en trouve probablement dans<br />
nos limites techniques <strong>et</strong> intellectuelles : la recherche en chimioréception<br />
fait appel à des concepts <strong>et</strong> à des techniques qui<br />
connaissent actuellement une évolution rapide <strong>et</strong> prom<strong>et</strong>teuse.<br />
Depuis longtemps, il est « habituel » de décrire les saveurs au<br />
moyen de quatre descripteurs de base : <strong>sucré</strong>, salé, amer <strong>et</strong><br />
acide. A ces qualificatifs, certains auteurs ont proposé d’ajouter<br />
une cinquième saveur, l’umami, correspondant à la sensation<br />
gustative produite par l’ingestion de glutamate. En fait, c<strong>et</strong>te vision<br />
de quatre ou cinq saveurs primaires est excessivement réductrice,<br />
comme nous allons le voir.<br />
Comment détectons-nous le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> ?<br />
La saveur d’un aliment est constituée par tout un ensemble de<br />
sensations à la fois olfactives, somesthésiques (perceptions tactiles,<br />
température, douleur...) <strong>et</strong> gustatives proprement dites.<br />
8 000 bourgeons gustatifs assurent la détection des saveurs. Ils<br />
sont présents majoritairement au niveau de la langue, plus précisément<br />
des papilles gustatives, mais également dans l’épiglotte,<br />
le pharynx <strong>et</strong> le palais. Ces amas sont constitués de 50 à 125 cellules<br />
spécialisées reliées entre elles. Celles-ci se renouvellent tous<br />
les 8-10 jours environ, perm<strong>et</strong>tant ainsi un maintien du potentiel<br />
gustatif, même après une brûlure. <strong>Le</strong>s cellules des bourgeons gustatifs<br />
se terminent par de fines microvillosités qui entrent en<br />
contact avec les substances sapides dissoutes dans la salive.<br />
Contrairement aux croyances populaires, il n’y a pas de zone de<br />
la langue associée spécifiquement à une saveur. En eff<strong>et</strong>, une<br />
même cellule gustative, quelle que soit sa localisation, est sensible<br />
à plusieurs types de stimulus sapides, transmis par une<br />
grande variété de récepteurs gustatifs peu spécifiques (1) .<br />
<strong>Le</strong>s <strong>goût</strong>s <strong>sucré</strong>s par exemple sont principalement perçus par le<br />
couple de récepteur T1R2-T1R3. Certaines molécules <strong>sucré</strong>es,<br />
comme la saccharine, sont capables d’activer ce couple de récepteur,<br />
mais également des récepteurs de la famille T2R ce qui<br />
nous perm<strong>et</strong> de la différencier du saccharose.<br />
Partenaire industrieln<br />
Une récente étude de corrélation phénotype/génotype a montré<br />
que le polymorphisme génétique des récepteurs T1R1 <strong>et</strong> T1R3<br />
rend partiellement compte des très importantes différences de<br />
sensibilité individuelle de l’homme au glutamate. Ces données<br />
suggèrent que chaque « <strong>goût</strong> » n’est pas détecté par un seul récepteur,<br />
ou par quelques récepteurs spécifiques, mais vraisemblablement<br />
bien par l’interaction des signaux envoyés par de<br />
nombreux récepteurs (2) .<br />
<strong>Le</strong>s signaux envoyés par l’ensemble des récepteurs produisent<br />
une cascade d’évènements, qui se traduit par l’envoi d’influx nerveux<br />
au cerveau. Ces informations, ainsi que celles transmises<br />
par les récepteurs sensibles à la température ou aux différentes<br />
textures sont transmises au cortex cérébral par l’intermédiaire de<br />
quatre nerfs. <strong>Le</strong> nerf facial transm<strong>et</strong> les signaux provenant des<br />
bourgeons du <strong>goût</strong> localisés sur les deux tiers antérieurs de la<br />
langue <strong>et</strong> sur le palais ; le nerf trijumeau transm<strong>et</strong> des informations<br />
mécaniques, thermiques <strong>et</strong> chimiques ; le nerf glossopharyngien<br />
véhicule les informations gustatives <strong>et</strong> somesthésiques<br />
du dernier tiers de la langue. Enfin les informations de la gorge<br />
<strong>et</strong> de l’épiglotte sont transmises par le nerf vague. L’ensemble<br />
de ces signaux passe par un relais nerveux dans le bulbe rachidien<br />
<strong>et</strong> se conjugue au niveau thalamo-cortical avec les informations<br />
issues de l’olfaction rétro-nasale. <strong>Le</strong>s messages <strong>sensoriels</strong><br />
traités dans plusieurs aires du cortex cérébral s’associent ensuite<br />
pour former une image multisensorielle complexe (3) . A l’image<br />
multisensorielle de l’aliment s’intègrent finalement d’autres messages<br />
<strong>sensoriels</strong> (vue, ouïe...), hédoniques <strong>et</strong> mémoriels.<br />
<strong>Le</strong> <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong>, une prédisposition innée ?<br />
Quelle évolution avec l’âge ?<br />
L’influence de l’expérience intra-utérine a pu être étudiée grâce<br />
aux progrès de l’imagerie médicale. En eff<strong>et</strong>, il a été observé que<br />
le fœtus, disposant de bourgeons du <strong>goût</strong> fonctionnels durant<br />
le troisième trimestre de la grossesse, exprimait sur son visage <strong>et</strong><br />
dans son comportement, les modifications perçues dans la composition<br />
du liquide amniotique (4) .<br />
Plus tard, à quelques heures de vie, donc avant toute expérience<br />
alimentaire, le nouveau-né manifeste son contentement
lorsqu’on lui propose une solution au <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong>, <strong>et</strong> rej<strong>et</strong>te une<br />
solution de quinine. Ces expressions <strong>et</strong> mimiques faciales stéréotypées<br />
sont appelées « réflexes gusto-faciaux ». Elles sont innées,<br />
universelles pour tous les nourrissons humains <strong>et</strong> témoignent de<br />
la constitution d’un répertoire gustatif « de base ». Ainsi, tous<br />
les nouveau-nés sont en mesure de distinguer les solutions <strong>sucré</strong>es,<br />
bénéfiques car sources de glucides <strong>et</strong> donc d’énergie (4) .<br />
Durant sa prime enfance, puis tout au long de sa vie, tout individu<br />
va développer un répertoire alimentaire propre par la voie<br />
de l’apprentissage. Ce répertoire est également aussi lié aux mécanismes<br />
de régulation de la prise alimentaire via l’appétit <strong>et</strong> le<br />
rassasiement (4) . Il semble que les grandes lignes des choix alimentaires<br />
se déterminent tôt dans la vie (avant 4 ans) <strong>et</strong> soient relativement<br />
stables par la suite (5) .<br />
Quelles variations dans la sensibilité au <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> ?<br />
La plus ou moins grande sensibilité gustative dépend autant de<br />
la molécule sapide que du suj<strong>et</strong> qui la <strong>goût</strong>e. Elle reste aujourd’hui<br />
totalement imprédictible (3) . Un certain nombre de facteurs<br />
influencent la perception des saveurs <strong>et</strong> par conséquent<br />
celle de la saveur <strong>sucré</strong>e : la concentration, la température <strong>et</strong> le<br />
milieu de solubilisation. Un certain nombre d’autres facteurs plus<br />
personnels <strong>et</strong> subjectifs rentrent néanmoins en jeu.<br />
Différences génétiques. La mesure de la sensibilité à un produit,<br />
dans une population donnée, perm<strong>et</strong> de dresser des distributions<br />
de sensibilité (3) , caractérisées par une extrême variabilité notamment<br />
liée au polymorphisme génétique des récepteurs du <strong>goût</strong>.<br />
Pour le saccharose par exemple, 66 % de la population détecte<br />
la saveur <strong>sucré</strong>e dans un éventail de concentrations variant dans<br />
un rapport de 3. Pour 100 % de la population, l’intervalle varie<br />
dans un rapport supérieur à 10. On peut ainsi imaginer qu’un<br />
individu qui m<strong>et</strong> deux sucres dans son café n’aime pas forcément<br />
plus le sucre qu’un autre qui en m<strong>et</strong> un demi. Il est peut être<br />
simplement moins sensible à la saveur <strong>sucré</strong>e (3) . Phénomène encore<br />
plus préoccupant pour ceux qui se soucient de la valeur calorique<br />
des aliments <strong>sucré</strong>s, le pouvoir sucrant d’un édulcorant<br />
donné dépend tellement du dégustateur que sa valeur moyenne<br />
perd toute signification à l’échelle de l’individu.<br />
Différences selon le sexe. Il semble que l’attrait pour le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong><br />
soit plus important chez l’homme que chez la femme (6) .<br />
Différences selon le support alimentaire. <strong>Le</strong> qualificatif « <strong>sucré</strong> »<br />
a été mis en place par référence au saccharose, dont chaque individu<br />
possède une image sensorielle précise. Néanmoins, la perception<br />
de la saveur <strong>sucré</strong>e se trouve bien souvent qualifiée en<br />
nommant l’aliment qui lui sert de support, mais chacun a ses<br />
propres références <strong>et</strong> ses ressentis par rapport à ces supports de<br />
la saveur <strong>sucré</strong>e. Par ailleurs, dans un mélange, les <strong>goût</strong>s des différents<br />
constituants ne se combinent absolument pas de manière<br />
additive (7) .<br />
Différences hédoniques. Appartenant au domaine de l’affectif<br />
c<strong>et</strong>te composante hédonique prend souvent une grande importance<br />
pour l’individu qui doit décrire une saveur : « le <strong>goût</strong> de »<br />
tend alors à se confondre avec « le <strong>goût</strong> pour »... La description<br />
qualitative d’une saveur peut en eff<strong>et</strong> s’avérer délicate avec un<br />
nombre limité de qualificatifs, tandis qu’il est plus facile d’estimer<br />
une saveur comme « bonne » ou « mauvaise ».<br />
Différences sémantiques. L’absence de consensus sensoriel entre<br />
les individus explique la pauvr<strong>et</strong>é du vocabulaire perm<strong>et</strong>tant de<br />
décrire les <strong>goût</strong>s. Bien que les différences qualitatives perceptibles<br />
lors de la consommation de différents produits <strong>sucré</strong>s soient difficiles<br />
à décrire, il est clair qu’il existe des, <strong>et</strong> non pas une, saveurs<br />
<strong>sucré</strong>es (7) .<br />
Différences culturelles. <strong>Le</strong>s <strong>goût</strong>s sont influencés par les représentations<br />
intellectuelles <strong>et</strong>/ou culturelles des aliments, les rendant<br />
acceptables pour la consommation ou pas.<br />
Différences dans le temps. La perception gustative du suj<strong>et</strong> âgé<br />
est souvent modifiée. En eff<strong>et</strong>, des extractions ou traitements<br />
dentaires de plus en plus nombreux, une variation qualitative de<br />
la salive <strong>et</strong> une réduction importante du nombre de bourgeons<br />
du <strong>goût</strong>, peuvent entraîner une diminution de la sensibilité gustative.<br />
La perte de la perception de la « flaveur » des aliments,<br />
constitue une donnée importante dans la diminution de l’appétit<br />
du suj<strong>et</strong> âgé (8) .<br />
Conclusion<br />
<strong>Le</strong> sens gustatif est de tous nos sens, le moins connu. C’est un<br />
mélange infiniment complexe d’informations sensorielles m<strong>et</strong>tant<br />
en jeu la gustation elle-même mais aussi l’odorat, le sens<br />
tactile ainsi que des composantes affectives fortes.<br />
Pour certaines saveurs, comme la saveur <strong>sucré</strong>e, le rapport affectif<br />
semblerait inné ou tout au moins acquis très tôt, dès la vie<br />
fœtale puis, renforcé par les habitudes alimentaires dans la p<strong>et</strong>ite<br />
enfance.<br />
Mais si nous n’avons pas tous les mêmes préférences alimentaires,<br />
ce n’est pas uniquement en référence à notre éducation<br />
<strong>et</strong> à notre culture. Notre patrimoine génétique détermine également<br />
une part importante de nos choix.<br />
Et il est fort à parier que les travaux de recherche du 21 e siècle<br />
donneront enfin au <strong>goût</strong> la place qui lui revient grâce aux avancées<br />
de la biologie moléculaire, de la génétique de l’individu <strong>et</strong><br />
des neurosciences cognitives.<br />
ADDICTION AU GOUT SUCRE : MYTHE OU REALITE ?<br />
Jean-Michel <strong>Le</strong>cerf<br />
Partenaire industrieln<br />
L’opinion publique aime vouer aux gémonies ce qu’elle adule.<br />
Est-ce pour cela que le sucre <strong>et</strong> plus encore le <strong>sucré</strong> sont mis au<br />
pilori <strong>et</strong> considérés comme des drogues ? Au même titre c<strong>et</strong>te<br />
opinion j<strong>et</strong>te aux orties successivement depuis quelques années<br />
le gras <strong>et</strong> le beurre, la viande <strong>et</strong> le lait ... !<br />
De ce point de vue, le sort le plus infâme que l’on pourrait j<strong>et</strong>er<br />
à un aliment serait de la déclarer coupable d’une addiction, ce<br />
comportement d’asservissement (9) qui aboutit à une autodestruction<br />
?<br />
<strong>Le</strong>s scientifiques, ces ignorants de la réalité, seraient-ils les seuls<br />
© ENTRETIENS DEBICHAT 2010- 565
à avoir tort à l’instar de l’Organisation Mondiale de la Santé qui<br />
en 2004 (10) affirmait qu’il n’y a pas d’addiction ou de dépendance<br />
alimentaire ?<br />
La vérité est-elle en demi-teinte. Essayons d’y voir plus clair à travers<br />
une succession d’approches <strong>et</strong> de définitions.<br />
Plaisir<br />
Au commencement était le plaisir, <strong>et</strong> au commencement était la<br />
faim, pour paraphraser la Genèse. <strong>Le</strong> plaisir est le signe accompagnant<br />
un comportement utile pour l’homme : il est bon, il est<br />
normal, c’est une nécessité physiologique <strong>et</strong> anthropologique<br />
pour être finaliste. Il est sous-tendu par le désir <strong>et</strong> activé par le<br />
manque.<br />
En terme d’alimentation il faut définitivement adm<strong>et</strong>tre que les<br />
fonctions de l’acte de manger sont triples <strong>et</strong> intriquées : nutritives<br />
<strong>et</strong> énergétiques, affectives <strong>et</strong> émotionnelles, symboliques <strong>et</strong> relationnelles.<br />
<strong>Le</strong> plaisir est présent à toutes les étapes, apportant<br />
soulagement, réconfort, apaisement. Une alimentation pour être<br />
bonne doit induire ces eff<strong>et</strong>s : c’est ce qui nous pousse à manger<br />
: ces eff<strong>et</strong>s sont intégrés c’est-à-dire qu’au niveau du système<br />
nerveux central, sous l’influence d’afférences provenant du système<br />
digestif d’une part <strong>et</strong> de l’état des réserves d’autre part surviennent<br />
des réponses neurobiolologiques induisant un bien-être<br />
qui nous conduit... à arrêter de manger. Mais c’est bien la<br />
conjonction des eff<strong>et</strong>s <strong>sensoriels</strong> <strong>et</strong> post ingestifs qui régule grâce<br />
au plaisir, moteur <strong>et</strong> régulateur, notre prise alimentaire. Pour être<br />
bons les aliments doivent procurer ce double eff<strong>et</strong>. <strong>Le</strong> sucre <strong>sucré</strong><br />
en est le prototype. On peut ainsi affirmer que parce que l’on<br />
aime manger, on aime ce que l’on mange (11) .<br />
Goût <strong>et</strong> perception<br />
L’image sensorielle enregistrée au niveau du cerveau est donc la<br />
conséquence d’informations multiples qui lui parviennent à partir<br />
des propriétés organoleptiques des aliments (texture, couleur,<br />
température, <strong>goût</strong>, odeur...) qui stimulent nos sens : vue, <strong>goût</strong>,<br />
odorat, toucher buccal <strong>et</strong> cutané, ouïe... <strong>Le</strong>s flaveurs ont autant<br />
d’importance que les saveurs.<br />
L’image sensorielle ou motif sensoriel créé pour chaque aliment<br />
résulte d’une saveur complexe issue d’un mélange de produits<br />
<strong>et</strong> est une véritable signature de l’aliment. C’est la saturation de<br />
c<strong>et</strong>te image sensorielle qui aboutit au rassasiement sensoriel spécifique<br />
: après avoir mangé un aliment on a moins envie de manger<br />
le même aliment, mais envie d’en manger un autre... A c<strong>et</strong><br />
eff<strong>et</strong> se surajoute, en décalé, les eff<strong>et</strong>s métaboliques induits par<br />
l’aliment. <strong>Le</strong> tout conduit à un apprentissage conditionné perm<strong>et</strong>tant<br />
de calibrer p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it la taille de la prise alimentaire <strong>et</strong><br />
donc à un rassasiement conditionné.<br />
Préférence <strong>et</strong> attirance<br />
Avec les préférences on passe du « <strong>goût</strong> de » au « <strong>goût</strong> pour ».<br />
La préférence pour le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> est innée puis elle a un renforcement<br />
socio-culturel <strong>et</strong> psycho-éducatif fort (12) . <strong>Le</strong> saccharose,<br />
produit un eff<strong>et</strong> analgésiant chez le tout-p<strong>et</strong>it, qui rend peutêtre<br />
compte via un eff<strong>et</strong> apaisant de la préférence innée pour le<br />
566- © ENTRETIENS DEBICHAT 2010<br />
<strong>sucré</strong>. On mange ce que l’on aime, <strong>et</strong> on l’aime parce que l’on<br />
aime les eff<strong>et</strong>s que cela nous procure. Mais c<strong>et</strong>te préférence est<br />
aussi liée à l’eff<strong>et</strong> énergétique fourni par l’aliment : l’image sensorielle<br />
rejoint l’eff<strong>et</strong> énergétique post-ingestif.<br />
<strong>Le</strong>s préférences sont accrues par l’exposition répétée à un aliment,<br />
c’est la familiarisation. On ne peut exclure que la disponibilité<br />
récente des aliments <strong>sucré</strong>s dans notre environnement<br />
alimentaire ait renforcé la préférence pour le <strong>sucré</strong> dans les populations<br />
occidentales, mais il semble exister une susceptibilité<br />
génétique à condition égale.<br />
<strong>Le</strong>s obèses n’ont pas une préférence accrue pour le <strong>sucré</strong>, par<br />
rapport aux suj<strong>et</strong>s normo-pondéraux (13) . Par contre les obèses de<br />
poids fluctuant depuis longtemps, c’est-à-dire soumis à des régimes<br />
permanents, ont une plus grande attirance pour les aliments<br />
<strong>sucré</strong>s <strong>et</strong> pour les aliments gras <strong>et</strong> <strong>sucré</strong>s (14) .<br />
De même chez l’enfant les interdits alimentaires génèrent, en<br />
présence de l’aliment considéré, <strong>et</strong> hors du contrôle parental une<br />
plus grande attirance pour les aliments <strong>sucré</strong>s (15,16) . Chantages <strong>et</strong><br />
récompenses peuvent aussi renforcer l’attraction pour les aliments<br />
concernés (17) .<br />
L’idée que l’attirance pour le <strong>sucré</strong> soit entr<strong>et</strong>enue par la consommation<br />
d’édulcorants est habituelle mais dans l’étude SUVIMAX<br />
les utilisateurs de produits allégés en sucre <strong>et</strong> d’édulcorants<br />
avaient un IMC plus élevé que les non utilisateurs <strong>et</strong> simultanément<br />
consommaient moins de calories <strong>et</strong> de saccharose que les<br />
non utilisateurs (18) . <strong>Le</strong>s édulcorants sont un marqueur d’un style<br />
alimentaire <strong>et</strong>/ou de l’existence d’un surpoids <strong>et</strong> d’une tentative<br />
de correction. Une autre étude chez des femmes a montré que<br />
celles utilisant fréquemment des édulcorants n’avaient pas une<br />
grande attirance accentuée pour les boissons <strong>sucré</strong>es. Bien sûr il<br />
peut s’agir d’une plus grande attention des utilisateurs d’édulcorants<br />
à leur alimentation, mais il ne semble pas y avoir d’eff<strong>et</strong><br />
pervers. Tout au plus il est évoqué l’eff<strong>et</strong> de leurre sensoriel des<br />
édulcorants (le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> sans les calories...) pouvant théoriquement<br />
perturber le rassasiement conditionné, c’est-à-dire l’apprentissage<br />
des quantités à consommer...<br />
Mécanismes neurobiologiques<br />
Partenaire industrieln<br />
Que le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> soit source de plaisir chez la majorité des gens<br />
est une réalité. Mais est-ce le <strong>sucré</strong> ou le sucre, le sucre ou le<br />
gras + sucre, les glucides ou les glucides <strong>sucré</strong>s, la <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> du<br />
sucre ou celui des édulcorants qui sont en cause ?<br />
En imagerie cérébrale l’ingestion de glucose modifie l’activité de<br />
l’hypothalamus mais pas l’aspartame ni les maltodextrines (glucides<br />
non <strong>sucré</strong>s) (19) . C’est donc bien le sucre (glucose) qui est en<br />
jeu. Une étude récente chez l’animal a d’ailleurs montré que l’ingestion<br />
de sucre active des circuits cérébraux de récompense indépendamment<br />
de la perception du <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> (20) . Mais dans le<br />
cerveau de suj<strong>et</strong>s humains à jeun la seule évocation des aliments<br />
préférés augmente le métabolisme cérébral avec des activations<br />
plus marquées dans certaines structures (21) .<br />
Ce plaisir est donc d’origine complexe. Il est médié par des mécanismes<br />
neurobiologiques médiés par des neurotransm<strong>et</strong>teurs<br />
impliqués dans le plaisir. C’est le cas en particulier des endor-
phines, proches de la morphine dérivée de l’opium dont l’eff<strong>et</strong><br />
est antagonisé par la naloxone ou la naltrexone ; mais ces antogonistes<br />
réduisent tout autant la consommation d’aliments gras<br />
<strong>et</strong> gras <strong>et</strong> <strong>sucré</strong>s que <strong>sucré</strong>s. La Dopamine est aussi un neurotransm<strong>et</strong>teur<br />
du plaisir : son manque induit des comportements<br />
extrêmes (boulimie, violence, compulsion). La sérotonine a aussi<br />
été considérée comme essentielle dans l’eff<strong>et</strong> apaisant du sucre,<br />
mais la théorie sérotoninergique n’est pas définitivement admise<br />
même si elle est élégante, la sérotonine étant antidépressive <strong>et</strong><br />
d’ailleurs mise en jeu par certains antidépresseurs sérotoninergiques.<br />
Plus récemment ce sont les endocannabinoïdes, molécules<br />
également proches de drogues qui ont été impliqués dans<br />
la recherche de nourriture <strong>et</strong> le plaisir alimentaire ; ces molécules<br />
stimulent la prise alimentaire via le système nerveux central mais<br />
aussi comme cela vient d’être montré chez l’animal, ils renforcent<br />
les réponses des nerfs gustatifs périphériques au <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> (22) .<br />
Tout ceci montre à quel point pour nous pousser à manger des<br />
mécanismes induisant des eff<strong>et</strong>s agréables <strong>et</strong> impliqués dans la<br />
régulation de la prise alimentaire ont été élaborés, afin de satisfaire...<br />
les besoins énergétiques (23) : le comportement au service<br />
du métabolisme... ! (9) .<br />
Pulsions, compulsions <strong>et</strong> craving<br />
La plupart d’entre nous peut ressentir une pulsion alimentaire en<br />
cas de manque, <strong>et</strong> notamment en cas de faim véritable : l’hypoglycémie<br />
en est responsable. <strong>Le</strong> plaisir de manger sera renforcé<br />
en cas de déficit énergétique : c’est l’alliesthésie positive ; l’état<br />
post-prandial inverse ces mécanismes. Ainsi même les pulsions<br />
pour le chocolat sont atténuées en situation post-prandiale (24) .<br />
<strong>Le</strong> craving est à peu près équivalent à la compulsion. On parle<br />
de carbohydrate-craving ou cravers. Il semble que ce soient les<br />
régimes monotones qui induisent ces cravings (25) .<br />
De la pulsion à la boulimie, il y a cependant un fossé. <strong>Le</strong>s compulsions<br />
du boulimique sont des manifestations pathologiques<br />
avec prise alimentaire massive rapide, d’aliments quelconques,<br />
gras ou <strong>sucré</strong>s, ou non, avec culpabilité intense qui s’en suit : on<br />
est loin des mécanismes impliquant la préférence, il s’agit d’une<br />
autodestruction, mais c’est une addiction à la boulimie, pas au<br />
<strong>sucré</strong> !<br />
A moins que ce soit l’état d’obésité qui se rapproche de celui de<br />
suj<strong>et</strong>s dépendants au drogues <strong>et</strong> donc « addicts » : en eff<strong>et</strong> le<br />
PET scan a montré des similitudes des réponses cérébrales chez<br />
ces 2 types de suj<strong>et</strong>s (26) . Dans ce cas selon les auteurs certains suj<strong>et</strong>s<br />
ayant une obésité morbide utiliseraient la consommation de<br />
certains aliments pour compenser une diminution de la sensibilité<br />
des circuits de récompense dopaminergiques (27) . De plus chez<br />
l’obèse les réponses cérébrales montrent une activation plus importante<br />
de certaines zones pendant la gratification par anticipation<br />
ou lors de la consommation d’aliments témoignant d’un<br />
plus grand plaisir à manger (28) .<br />
Que nous utilisions, de façon ordinaire, l’alimentation pour apaiser<br />
une angoisse, pour soulager un stress, compenser un<br />
manque, pour atténuer une souffrance n’est guère étonnant : à<br />
l’extrême cela pourrait être rapproché d’une forme de névrose,<br />
c’est à dire d’une réponse inappropriée à un vrai problème. Ce<br />
n’est pas pour autant une addiction, qui, elle, sous-tend une perte<br />
de contrôle, un asservissement <strong>et</strong> induit une dépendance, une<br />
tolérance <strong>et</strong> des symptômes de sevrage, <strong>et</strong> une auto destruction.<br />
Cependant les phénomènes de compensation alimentaire sont<br />
particulièrement fréquents <strong>et</strong> peuvent porter sur le <strong>sucré</strong> <strong>et</strong> sur<br />
le gras, c’est-à-dire sur les aliments associés à un plus grand plaisir,<br />
grâce aux neuro transm<strong>et</strong>teurs du plaisir <strong>et</strong> du bien-être.<br />
<strong>Le</strong> stress est ainsi un grand fourvoyeur de compensations alimentaires<br />
: mais il a été largement démontré qu’il l’est d'autant plus<br />
que les suj<strong>et</strong>s sont restreints, induisant une surconsommation de<br />
gras <strong>et</strong> de <strong>sucré</strong> (29) .<br />
Interdits alimentaires <strong>et</strong> restriction alimentaire sont ainsi très largement<br />
responsables de comportements mimant l’addiction (30) .<br />
<strong>Le</strong> prototype en est la restriction cognitive que s’imposent ou<br />
qu’on impose (à) des suj<strong>et</strong>s obèses ou non. <strong>Le</strong>s interdits sont<br />
basés sur la nouvelle morale imposée par le culte de la minceur<br />
<strong>et</strong> par les régimes amaigrissants considérant que les aliments caloriques<br />
sont mauvais, surtout s’ils sont sources de plaisir (9) .<br />
Au total, c’est la restriction cognitive qui mime l’addiction avec<br />
un sentiment de dépendance, un désir exacerbé, un plaisir intense,<br />
une grand culpabilité, un envahissement du champ mental,<br />
avec obsession, <strong>et</strong> une poursuite malgré les eff<strong>et</strong>s<br />
destructeurs que cela entraîne.<br />
Chocolat, alcool <strong>et</strong> addiction<br />
<strong>Le</strong> prototype d’un mauvais aliment est, de longue date, le chocolat<br />
aliment, gras, <strong>sucré</strong>, énergétique <strong>et</strong> bon. Certains rêvent<br />
de s’y précipiter, d’autres s’y j<strong>et</strong>tent. Puisqu’il contient des substances<br />
psychoactives, notamment l’anandamide, un cannabinoide<br />
endogène, on l’a qualifié de drogue. En réalité les<br />
substances en question isolées du chocolat, en gélules, ne calment<br />
pas les compulsions, alors que le chocolat, débarrassé de<br />
ces molécules, les calme (31) : c’est donc parce qu’il est bon, gras<br />
<strong>et</strong> <strong>sucré</strong> qu’il est plaisant. Et c’est parce qu’il est « interdit » qu’on<br />
craque encore plus pour lui (9) .<br />
Que l’alcool entraîne une addiction est une évidence, responsable<br />
d’une dépendance avec une tolérance (il faut augmenter les<br />
doses pour le même eff<strong>et</strong>) <strong>et</strong> d’un sevrage (symptômes de<br />
manque à son arrêt).<br />
A l’arrêt certains reporteront leur appétence pour l’alcool vers<br />
une attirance <strong>et</strong> une surconsommation de <strong>sucré</strong>. <strong>Le</strong> <strong>sucré</strong> est-il<br />
pour autant dans ce cas une addiction ou un ersatz ?<br />
Toxicomanie alimentaire<br />
Partenaire industrieln<br />
Un travail très récent (32) a fait de la « malbouffe » une drogue<br />
dure à partir de travaux chez le rat, montrant que l’on pouvait<br />
rendre des rats de laboratoires complètement « accros » en leur<br />
proposant une nourriture de type junk food, hyper-calorique,<br />
hyper-grasse <strong>et</strong> hyper <strong>sucré</strong>e : en quelques jours les animaux ont<br />
développé une addiction comparable à celle des consommateurs<br />
de drogues dures : l’imagerie cérébrale a montré un « emballement<br />
» des circuits du plaisir (dopaminergiques) conduisant des<br />
© ENTRETIENS DEBICHAT 2010- 567
animaux à les sur-stimuler pour obtenir le même niveau de plaisir.<br />
Il a d’ailleurs été montré que la consommation prolongée d’aliments<br />
très <strong>sucré</strong>s <strong>et</strong> gras pouvait induire des changements neurochimiques<br />
des sites cérébraux impliqués dans le plaisir <strong>et</strong> dans<br />
la prise alimentaire. Mais Benton, dans une très large <strong>et</strong> récente<br />
revue de la littérature, considère que le modèle animal dans ce<br />
domaine ne peut absolument pas être extrapolé à l’homme (33) .<br />
Il y a cependant des liens entre les mécanismes neurobiochimiques<br />
impliqués dans l’attirance pour les aliments <strong>et</strong> l’attirance<br />
pour les drogues. C’est pourquoi certains auteurs ont proposé<br />
que les drogues qui induisent l’addiction, utilisent les mêmes mécanismes<br />
que ceux qui assurent l’attirance pour les aliments, c’està-dire<br />
des mécanismes dont la fonction est d’assurer la survie !<br />
Ainsi les mots piègent, s’il est facile de parler de toxicomanie alimentaire,<br />
l’hyperphagie est un mode de fonctionnement qui s’explique<br />
car il procure un dérèglement par plaisir, mais ce n’est pas<br />
une addiction, car elle peut régresser sans syndrome de sevrage.<br />
Conclusion<br />
Il est clair que manger procure <strong>et</strong> doit procurer le plaisir pour satisfaire<br />
des besoins énergétiques. Dans la mesure où les deux<br />
sont liés, il est clair aussi que l’on recherche autant la satisfaction<br />
de besoins émotionnels <strong>et</strong> affectifs en mangeant.<br />
A c<strong>et</strong> égard, le sucre <strong>sucré</strong> est un bon exemple de c<strong>et</strong>te<br />
connexion. <strong>Le</strong> gras a le même rôle, <strong>et</strong> les deux se renforcent. Du<br />
physiologique on peut passer aisément au psychopathologique<br />
quand l’alimentation (<strong>et</strong> le sucre <strong>sucré</strong>) est utilisée comme moyen<br />
de compensation. A l’extrême on peut dire que l’alimentation<br />
peut exercer une fonction analogue à celle d’une drogue, sans<br />
en avoir tous les eff<strong>et</strong>s. Mais, contrairement à l’alcool, le sucre<br />
<strong>sucré</strong> n’entraîne pas d’addiction. La boulimie peut s’en rapprocher<br />
mais ce n’est pas une addiction au <strong>sucré</strong>. La restriction cognitive<br />
peut être également un terrain propice à un<br />
comportement pathologique, elle est induite par le manque <strong>et</strong><br />
l’interdit... du <strong>sucré</strong>, en décrétant que certains aliments sont<br />
mauvais.<br />
EN PRATIQUE COMMENT GÉRER LA PRÉFÉRENCE POUR<br />
LE GOÛT SUCRÉ DANS LES CONSEILS NUTRITIONNELS<br />
DONNÉS AUX PATIENTS ?<br />
568- © ENTRETIENS DEBICHAT 2010<br />
Arnaud Cocaul<br />
L’appétence pour les aliments au <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> est innée chez beaucoup<br />
de mammifères <strong>et</strong> en particulier chez l’homme. Pendant<br />
des millénaires, les ressources en sucre étaient limitées mais<br />
désormais, on doit gérer l’abondance d’une offre alimentaire de<br />
plus en plus multiformes.<br />
Toutes les cultures apprécient le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> <strong>et</strong> à tous les âges de<br />
la vie, on recherche les produits <strong>sucré</strong>s, même s’il existe des pics<br />
de consommation durant l’enfance <strong>et</strong> l’adolescence. Cela provient<br />
certainement de la consommation importante de lactose<br />
qui est le sucre principal du lait maternel <strong>et</strong> qui a un <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong>.<br />
La préférence pour le sucre s’atténue avec l’âge adulte pour demeurer<br />
stable.<br />
Un des réflexes archaïques communs à tous les enfants est la<br />
réaction d’acceptation à la présentation d’une solution <strong>sucré</strong>e.<br />
<strong>Le</strong> formatage progressif de l’alimentation exercé par l’appartenance<br />
à un modèle sociétal <strong>et</strong> à une structure familiale contribue<br />
par la suite à moduler <strong>et</strong> à modeler l’attirance au <strong>sucré</strong> au fil de<br />
la vie. <strong>Le</strong> sucre demeure une source de plaisir alimentaire sans<br />
notion de dépendance physique <strong>et</strong> psychologique qui en ferait<br />
une drogue.<br />
<strong>Le</strong> développement de la « saccharophobie »<br />
La pression sociétale sur l’image corporelle qui doit être formatée<br />
<strong>et</strong> le problème préoccupant de l’augmentation de la prévalence<br />
de l’obésité dans le monde, incitent bon nombre de patients <strong>et</strong><br />
en particulier de patientes, à se tourner vers des régimes restrictifs<br />
– en particulier vis à vis des aliments à la saveur <strong>sucré</strong>e <strong>et</strong><br />
douce - afin d’obtenir une perte pondérale rapide. Et ce, sans se<br />
préoccuper de l’eff<strong>et</strong> r<strong>et</strong>ord de telles pratiques, à savoir le risque<br />
non négligeable de reprise pondérale plus importante (ce que<br />
l’on qualifie de régime yoyo).<br />
Il est difficile de consommer des quantités raisonnables d’aliments<br />
dont on pense qu’ils représentent une menace pour le poids,<br />
voire un danger pour la santé. Dans de telles situations, le patient<br />
ne se donne plus comme autre choix qu’une éviction totale des<br />
produits <strong>sucré</strong>s ou bien leur consommation culpabilisée. D’une<br />
telle culpabilité <strong>et</strong> de l’anxiété de prendre du poids résultent fréquemment<br />
une consommation sans limites très préjudiciable.<br />
<strong>Le</strong> discours médical incohérent <strong>et</strong> discordant entr<strong>et</strong>enu par certains<br />
praticiens médiatiques contribue grandement à assimiler les<br />
produits <strong>sucré</strong>s comme coresponsables de la prise de poids <strong>et</strong><br />
donc à les diaboliser dans l’inconscient collectif. <strong>Le</strong> risque de troubles<br />
du comportement alimentaire peut s’en trouver plus grand.<br />
Goût <strong>sucré</strong> <strong>et</strong> régime hypocalorique<br />
Partenaire industrieln<br />
La plupart des régimes « à succès » (type Atkins, Dukan...) se focalise<br />
sur les sucres en les supprimant ou en les restreignant fortement<br />
(en particulier les glucides complexes).<br />
<strong>Le</strong> rôle du médecin face à son patient sera de réhabiliter les sucres<br />
sous toutes leurs formes (simples <strong>et</strong> complexes) en arguant<br />
sur des faits scientifiques. <strong>Le</strong>s études comparant différents régimes<br />
sur 2 ans de suivi ne m<strong>et</strong>tent pas en avant la primauté du<br />
régime restreint en sucres.<br />
Il est nécessaire de cultiver l’empathie avec nos patients. Écouter<br />
ses préférences, comprendre ses habitudes alimentaires... c’est<br />
non pas se m<strong>et</strong>tre à sa place, mais explorer comment l’aider durablement<br />
dans la gestion de son poids. Lui proposer occasionnellement<br />
des produits <strong>sucré</strong>s, c’est lui offrir une alternative non<br />
rigoriste. Ce qui n’empêche nullement de prôner, en particulier<br />
chez nos jeunes patients, l’apprentissage de la modération <strong>et</strong><br />
l’encouragement à la diversité <strong>et</strong> à la découverte des <strong>goût</strong>s.<br />
On notera par ailleurs avec intérêt que les obèses ne sont pas<br />
« accros » à la saveur <strong>sucré</strong>e (13) .
Beaucoup de patients pensent aimer le sucre mais à l’interrogatoire<br />
ce qui ressort c’est leur appétence pour les aliments gras <strong>et</strong><br />
<strong>sucré</strong>s comme, par exemple, les gâteaux, pâtisseries <strong>et</strong> autres<br />
produits riches en énergie <strong>et</strong> source de satisfaction immédiate.<br />
Il est très rare de devenir obèse en ne mangeant que des fruits.<br />
Et parce que chez les patients en surcharge pondérale, aider à<br />
adhérer au régime en limitant la frustration passe aussi par le<br />
maintien de la saveur <strong>sucré</strong>e sans apports énergétiques, on peut<br />
alors penser aux édulcorants intenses.<br />
Goût <strong>sucré</strong> <strong>et</strong> diabète<br />
<strong>Le</strong>s diabétiques doivent conserver des apports glucidiques<br />
contrôlés <strong>et</strong> variés à chaque repas, en privilégiant les sucres d’absorption<br />
lente. Toutefois, on évitera la consommation abusive de<br />
fructose (au-delà de 50 g/j) qui peut majorer le risque de stéatohépatite<br />
<strong>et</strong> la montée des triglycérides. Il convient d’éviter des<br />
pics hyperglycémiques trop importants en post-prandial.<br />
Cependant, conserver le <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> est un élément important<br />
pour c<strong>et</strong>te catégorie de patients. À ce titre, les édulcorants intenses<br />
sont également intéressants dans la mesure où ils n’affectent<br />
pas directement le métabolisme glucidique ni son<br />
contrôle hormonal.<br />
Compulsion au « <strong>sucré</strong> »<br />
<strong>Le</strong>s échecs des régimes hypocaloriques forcément restrictifs sont<br />
très souvent liés à l’apparition de troubles du comportement alimentaire<br />
de types : compulsions, grignotages... conséquences des<br />
frustrations. En cherchant des moyens d’adapter notre alimentation<br />
à la réduction des besoins énergétiques, on en arrive à prôner<br />
de manger moins calorique donc réduit en aliments <strong>sucré</strong>s <strong>et</strong> gras.<br />
Cela est d’autant plus vrai que l’on a affaire à un suj<strong>et</strong> déjà en<br />
surpoids, voir obèse ou à un suj<strong>et</strong> à prédominance féminine qui<br />
souhaite formater son image corporelle à ce qui prévaut aujourd’hui<br />
dans la société, à savoir une image maîtrisée.<br />
Dans les heures suivant la mise au régime, le cerveau stimule la<br />
fabrication d’hormones puissamment orexigènes qui amènent<br />
certains patients à se diriger vers des aliments « réconfortants »<br />
normalement proscrits <strong>et</strong> le plus souvent <strong>sucré</strong>s ou gras <strong>et</strong> <strong>sucré</strong>s.<br />
<strong>Le</strong> meilleur moyen d’éviter ce type de compulsions est donc de<br />
lutter contre la restriction tout en restant bien sur dans la modération.<br />
Il n’y a pas de risque de dépendance au sucre donc il n’y a pas<br />
de conduites addictives relatives à la consommation même abusive<br />
de produits <strong>sucré</strong>s (ce qui ne rend pas une telle consommation<br />
recommandable).<br />
Car dépendance sous-tend des risques de tolérance <strong>et</strong> des<br />
risques liés au sevrage ce qui n’est pas le cas. Certains pensent<br />
qu’une évolution épigénétique sur le mode Lamarckien pourrait<br />
avoir lieu en raison de la présence accrue du <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> dans<br />
notre alimentation.<br />
Conclusion<br />
<strong>Le</strong> discours médical doit être simplifié afin de renforcer l’adhérence<br />
du patient à la consommation en toute quiétude d’aliments<br />
diversifiés, dont les aliments <strong>sucré</strong>s.<br />
La notion de pourcentage de glucides dans les apports énergétiques<br />
totaux journaliers paraît être un message difficilement<br />
écoutable, il faut porter nos efforts sur le plaisir à manger <strong>et</strong> donc<br />
à maintenir un <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> en privilégiant la qualité <strong>et</strong> en disposant<br />
de portions adaptées au profil du patient.<br />
Chez certains patients obèses ou diabétiques ayant une appétence<br />
soutenue au « <strong>sucré</strong> », il y a possibilité de recourir aux<br />
édulcorants intenses (aspartame, extraits de stévia...) <strong>et</strong> aux produits<br />
qui en contiennent. À ce titre, les boissons light, dont la<br />
charge calorique est nulle, présentent un réel intérêt en perm<strong>et</strong>tant<br />
au patient de mieux adhérer au proj<strong>et</strong> thérapeutique <strong>et</strong> en<br />
limitant ses apports énergétiques.<br />
Si les boissons ou aliments à base d’édulcorants intenses ne font<br />
pas maigrir, rien n’indique qu’il faille craindre une perversion des<br />
<strong>goût</strong>s ou des comportements. Des travaux d’imagerie médicale<br />
récents indiquent que le cerveau est tout à fait en mesure de différencier<br />
le <strong>goût</strong> d’un sucre <strong>et</strong> celui d’un édulcorant intense apportant<br />
peu ou pas de calories.<br />
<strong>Le</strong> patient doit être un allié. En l’autorisant, de façon modérée<br />
<strong>et</strong> encadrée, à boire ou manger « <strong>sucré</strong> », on garde une place<br />
pour le plaisir des sens <strong>et</strong> l’on manifeste de l’empathie pour lui.<br />
RÉFÉRENCES<br />
Partenaire industrieln<br />
1 - D Smith, R Margolskee. <strong>Le</strong> sens du <strong>goût</strong>. Pour la Science. 2001 ; 283 : 36-43.<br />
2 - M Raliou <strong>et</strong> al. Nonsynonymous single nucleotide polymorphisms in human<br />
tas1r1, tas1r3, and mGluR1 and individual taste sensitivity to glutamate. Am<br />
J Clin Nutr 90: 789S-799S, 2009.<br />
3 - Faurion. <strong>Le</strong> <strong>goût</strong> des sucres : neurophysiologie. Dossiers scientifiques de l’IFN.<br />
<strong>Le</strong>s Glucides Tome 2, 2000 :3-17.<br />
4 - F. Bellisle. <strong>Le</strong> comportement alimentaire humain. Approche scientifique. Monographie<br />
Chaire Danone. 1999.<br />
5 - Nicklaus S, Boggio V, Chaban<strong>et</strong> C, <strong>et</strong> al. A prospective study of food vari<strong>et</strong>y<br />
seeking in childhood, adolescence and early adult life. App<strong>et</strong>ite. 2005; 44(3):<br />
289-297.<br />
6 - F. Bellisle. La perception de la saveur <strong>sucré</strong>e <strong>et</strong> ses modulations physiopathologiques.<br />
Dossiers scientifiques de l’IFN. <strong>Le</strong>s Glucides Tome 2, 2000 :19-24.<br />
7 - P. Reiser. Facteurs influençant la saveur <strong>sucré</strong>e des glucides. Dossiers scientifiques<br />
de l’IFN. <strong>Le</strong>s Glucides Tome 2.2000 : 25-43.<br />
8 - Faurion. Physiologie de la gustation. Physiologie sensorielle à l’usage des IAA.<br />
Editions Tec & Doc Lavoisier Paris, 2004 :129-184.<br />
9 - Apfeldorfer G, Chapelot D. Sucre <strong>et</strong> addiction.Collection sucre <strong>et</strong> santé 2006,<br />
6, 1-20.<br />
10 - OMS. Neuroscience of psychoactive substance use and dependance 2004.<br />
11 - Faurion A. Sucres <strong>et</strong> saveur <strong>sucré</strong>e. Collection sucre <strong>et</strong> santé 2006, 6, 1-24.<br />
12 - Nicklaus S, Swartz C. L’acquisition des préférences alimentaires : le cas du<br />
<strong>goût</strong> <strong>sucré</strong>. Cah Nutr Di<strong>et</strong>, 2008, 43, HS 2, 2S47-2S51.<br />
13 - Drewnowski A, Brunzell JD, Sande K, Iverius PH, Greenwood MRC. Swe<strong>et</strong><br />
tooth reconsidered taste responsiveness in human obesity. Physiol Behav<br />
1985, 35, 617-22.<br />
© ENTRETIENS DEBICHAT 2010- 569
14 - Drewnowski A, Kurth CL, Rahaim JE. Taste preferences in human obesity :<br />
environmental and familial factors. Am J Clin Nutr 1991, 54, 635-41<br />
15 - Birch LL, Fisher JO, Davison KK. <strong>Le</strong>arning to overeat : maternel use of restrictive<br />
feedind practices promotes girls’eating in the absence of hunger.<br />
Am J Clin Nutr 2003, 787, 215-220.<br />
16 - Fisher JO, Birch LL. Restricting access to a palatable food affects children’s<br />
behavioural response, food selection and intake. Am J Clin Nutr 1999, 69,<br />
1264-72.<br />
17 - Birch LL, Marlin D, Rotter J. Eating as the means activity in a containgency :<br />
effects of young children’s food preference. Child Devel 1984, 55, 432-9<br />
18 - Bellisle F, Altenburg de Assis MA, Freux B, Preziosi P <strong>et</strong> al. Use of « light »<br />
foods and drinks in French adults : biological, anthropom<strong>et</strong>ric and nutritional<br />
correlates. J Hum Nutr Di<strong>et</strong> 2001, 14, 191-206.<br />
19 - Sme<strong>et</strong>s PA, de Graaf C, Stafleu A, Van Osch MJ, Van der Grond J. Functional<br />
magn<strong>et</strong>ic resonance imaging of human hypothalamic responses to swe<strong>et</strong><br />
taste and calories. Am J Clin Nutr 2005, 82, 1011-16.<br />
20 - De Araujo IE. Tasteless food reward. Neuron 2009, 57, 930-41.<br />
21 - Wang GT, Volkow ND, Teklang F, Jayne M <strong>et</strong> al. Exposure to app<strong>et</strong>ite food stimuli<br />
marked by activates the human brain. Neuro image 2004, 21, 1790-7.<br />
22 - Yoshida R, Ohkuri T, Jyotaki M, Yasuo T <strong>et</strong> al Endocannabinoids selectively<br />
erhance swe<strong>et</strong> taste. PNAS 2010, 107, 935-9.<br />
23 - Coldwell SE. A marker of growth differs b<strong>et</strong>ween adolescents with high vs<br />
low sugar preference. Physiol Behav 2009, 96, 574-80.<br />
570- © ENTRETIENS DEBICHAT 2010<br />
24 - Gibson EL, Desmond E. Chocolat craving and hunger state : implications<br />
for the acquisition and expression of app<strong>et</strong>ite and food choice. App<strong>et</strong>ite<br />
1999, 32, 219-40.<br />
25 - Pelchat ML, Schefer S. Di<strong>et</strong>ary monotony and food cravings in young and<br />
elderly adults. Physiol Behav 2000, 68, 353-9.<br />
26 - Wang GJ, Volkow ND, Thanos PK, Fowler JS. Similarity b<strong>et</strong>ween obesity<br />
and drug addiction as assessed by neurofunctional imaging : a concept re-<br />
view. J Addict Diseas 2004, 23, 39-53.<br />
27 - Bellisle F. Addiction au <strong>goût</strong> <strong>sucré</strong> : vrai ou faux débat. Cah Nutr Diét 2008,<br />
43, HS2, 2S 52-2S 55.<br />
28 - Stice E. Relation of reward from food intake and anticipated food intake to<br />
obesity : a functional magn<strong>et</strong>ic resonance imaging study. J Abnorm Psychol<br />
2008, 117, 924-35.<br />
29 - <strong>Le</strong>rcerf JM. Stress <strong>et</strong> obésité. Nutr Clin M<strong>et</strong>abol 2006, 20, 99-107.<br />
30 - Drewnowski A, Bellisle F. In swe<strong>et</strong>ness addictive ? British Nutrition Founda-<br />
tion – Nutrition Bull<strong>et</strong>in 2007, 32, Suppl 1 52-60.<br />
31 - Michener W, Rozin P. Phamacological versus sensory factors in the situation<br />
of chocolat cravers. Physical Behav 1994, 56, 419-22.<br />
32 - Johnson P, Kenny PJ. Dopamine D2 receptors in addiction like reward dysfunc-<br />
tion and compulsive eating in obese rats. Nat Neurosci 2010, 13, 635-41.<br />
33 - Benton D. The plausibility of sugar addiction and its role in obesity and ea-<br />
ting disorders. Clin Nutr 2010, 29, 288-303.<br />
Partenaire industrieln