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Sabine Nemec-Piguet

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Préface 5<br />

<strong>Sabine</strong> <strong>Nemec</strong>-<strong>Piguet</strong><br />

INtroductIoN 8<br />

david ripoll<br />

Beau-Séjour avaNt la lettre 18<br />

du domaine agricole au pensionnat pour jeunes gens<br />

christine amsler<br />

l’INveNtIoN de chamPel-leS-BaINS 38<br />

acteurs, modèles, stratégies<br />

david ripoll<br />

leS vIllaS SuBurBaINeS de Beau-Séjour<br />

et de la roSeraIe 70<br />

de l’éclectisme à la banalisation architecturale<br />

Pierre monnoyeur<br />

l’hôtellerIe 104<br />

les beaux jours d’une industrie<br />

Pierre monnoyeur, david ripoll<br />

leS BaINS geNevoIS au XIX e SIècle 122<br />

ancrages territoriaux et courants typologiques<br />

david ripoll<br />

l’hydrothéraPIe à chamPel-leS-BaINS 148<br />

mariama Kaba, vincent Barras<br />

leS ImPlaNtatIoNS médIcaleS 168<br />

de la cluse à Beau-Séjour<br />

mariama Kaba<br />

annexes<br />

PaySage et végétatIoN 182<br />

alain etienne<br />

catalogue archItectural 188<br />

david ripoll, avec la collaboration d’andrée gruffat<br />

BIBlIograPhIe 198<br />

crédItS IcoNograPhIqueS 204


38<br />

L’InVEnTIon DE CHAMPEL-LES-BAInS<br />

Acteurs, modèles, stratégies<br />

David Ripoll<br />

Les quartiers de Beau-Séjour et la Roseraie doivent<br />

l’essentiel de leur configuration actuelle à<br />

ceux qui, il y a plus d’un siècle, eurent l’idée de<br />

transformer ce bord de ville en lieu de cure et<br />

espace de villégiature. Cette opération, initiée<br />

en 1873, s’est déroulée en deux séquences rapprochées.<br />

Dans un premier temps, une réserve foncière fut constituée,<br />

l’ancien Institut Venel transformé en hôtel et un établissement<br />

de bains créé au bord de l’Arve. Vint ensuite le<br />

lotissement : en tout une quarantaine de maisons, construites<br />

entre 1876 et 1880, et liées dans une certaine mesure<br />

aux démarches et ouvrages initiaux. Quels ont été les protagonistes<br />

de cette entreprise plurielle ? Quels furent leurs<br />

ambitions, leurs moyens ? Et quels modèles avaient-ils en<br />

tête en investissant, morcelant, bâtissant et, en dernier lieu,<br />

en résidant là plutôt qu’ailleurs ?<br />

Sans prétendre apporter des réponses définitives à ces<br />

questions, ce chapitre vise à dégager ce que le temps a enfoui,<br />

tout en comblant par des hypothèses les lacunes des sources<br />

existantes. Car malheureusement, les acteurs de cette<br />

histoire ont laissé peu de traces, en dehors bien sûr des réa-<br />

lisations architecturales. Les témoignages écrits sont rarissimes<br />

et seuls de minces fragments subsistent des archives<br />

des diverses sociétés qui ont joué un rôle crucial dans l’identité<br />

du site. Enfin les constructeurs n’ont déposé, sauf cas<br />

exceptionnel, aucune requête en autorisation de construire,<br />

d’où la difficulté de les identifier 1 . Cela étant, un examen<br />

attentif des documents disponibles – actes notariés surtout,<br />

mais aussi rapports d’expertise, annonces publicitaires<br />

ou notices nécrologiques – a permis d’éclairer un certain<br />

nombre de protagonistes, et d’en retracer les modes de faire<br />

à défaut d’en révéler toujours les mobiles. Et l’enquête, en<br />

définitive, a dévoilé un monde : celui qui, autour d’un projet<br />

et sur un terrain de quelques hectares, a réuni investisseurs,<br />

architectes, ingénieurs, médecins, entrepreneurs et artisans.<br />

Du banquier au marbrier, toute la gamme des acteurs qui ap-<br />

paraît là permet non seulement de saisir comment est né un<br />

lotissement suburbain, mais aussi d’évoquer les moyens mis<br />

en œuvre pour attirer vers les eaux limoneuses de l’Arve toute<br />

une clientèle cosmopolite, avide de douches glacées, concerts<br />

en plein air et promenades sous les marronniers.<br />

1 er acte : 1873 -1875<br />

David Moriaud, le verbe et le barreau<br />

De tous ceux qui ont joué un rôle dans l’histoire des<br />

quartiers de Beau-Séjour et de la Roseraie, l’avocat, poète,<br />

promoteur et homme d’affaires David Moriaud (1833-1898 ) 2<br />

est incontestablement la figure principale. Le personnage<br />

étonne, alternant plaidoiries et déclamations, conseils d’administration<br />

et achats d’œuvres d’art, investissements et<br />

soirées littéraires. Il est fils d’un horloger et s’est formé en<br />

droit à l’Université de Genève, études couronnées par une<br />

thèse portant sur l’arbitrage selon la loi genevoise. Il est très<br />

tôt engagé chez l’avocat Etienne Gide, poète à ses heures,<br />

auquel il succèdera pour être bientôt à la tête d’une des<br />

études les plus importantes de Genève.<br />

Le jeune Moriaud cultive son image, comme le montre<br />

une photographie où il arbore vêtements à la mode, coiffure<br />

romantique et moustaches gominées, tandis qu’une expression<br />

de défi se lit dans son regard. A son charme succombe<br />

Pauline Davidine Marcinhes, elle aussi fille d’horloger, une<br />

« beauté brune » 3 que Moriaud épousera en 1858 en se passant<br />

du consentement de ses parents. Probablement a-t-elle<br />

aussi été sensible à ses vers, car comme son ancien maître<br />

Gide, Moriaud a développé un goût pour la poésie et s’est<br />

lié avec la plupart des hommes de lettres de sa génération.<br />

En 1854 déjà, il fonde avec Henri Blanvalet, Benjamin Dufernex,<br />

Jules Mulhauser, John Petit-Senn et Marc Monnier, l’Album<br />

genevois puis l’Album suisse, publications dans lesquelles<br />

il fait paraître ses pièces en vers. D’un romantisme<br />

d’abord échevelé – il sait par cœur tout Lamartine – l’avocat<br />

tempère progressivement ses poèmes, sous l’influence<br />

des théories plastiques du Parnasse. L’art pictural le passionne<br />

également, tant ancien – les maîtres flamands Ruysdaël,<br />

Hobbema, Teniers sont le matériau d’exégèses poétiques<br />

– que contemporain : dans sa maison au 35 chemin<br />

du Clos aux Pâquis, où il s’installe avec sa femme au début<br />

des années 1860, il constitue une collection de peintures où<br />

l’on trouve les noms de Corot, Diaz ou Daubigny. Quelques<br />

marbres antiques, achetés au marquis Campana, complètent<br />

son intérieur 4 .<br />

Portrait de l’avocat David Moriaud


70<br />

LES VILLAS SUBURBAInES<br />

DE BEAU-SéJoUR Et DE LA RoSERAIE<br />

De l’éclectisme à la banalisation architecturale 1<br />

Pierre Monnoyeur<br />

« Une ville d’eaux en miniature est née [qui est faite], sur les avenues voisines, au flanc et au bas de la colline, de villas plus ou<br />

moins opulentes, de pavillons de brique rouge » 2<br />

Aujourd’hui, une promenade à travers l’ancien<br />

« lotissement » 3 initié par David Moriaud laisse<br />

un sentiment vague, l’impression d’un ensemble<br />

concerté, mais toujours changeant,<br />

où chaque villa diffère de sa voisine, mais<br />

ressemble au prochain pavillon par quelques particularités,<br />

par quelques détails, comme s’il y avait un trait commun à<br />

toutes les constructions. Souvent, à peine visibles au pre-<br />

mier coup d’œil, de place en place, des détails se répètent :<br />

une verrière, un auvent en bois, un cordon ou une corniche,<br />

à moins que ce ne soit une question de chaînages d’angle,<br />

harpé ou formant un pilastre, en pierre ou associé à la brique.<br />

Parfois, les différences peuvent être notables, et les villas<br />

passer, le long de la même rue, d’un style néo-classique à<br />

un genre rustique, et plus loin, à une construction s’inspirant<br />

du XVII e siècle français. En somme, il en ressort une diversité<br />

mesurée, un paysage architectural où la norme et la variation<br />

se côtoient sans cesse.<br />

Ce jeu formel et aléatoire tient aussi aux multiples transformations<br />

qui, peu ou prou, ont modifié l’aspect des villas<br />

depuis leur construction. Avant 1900 déjà, à mesure de la<br />

désaffection croissante des bains, et sous l’effet du développement<br />

urbain de Genève, les « villas de plaisance », occupées<br />

initialement qu’à la saison, devinrent des résidences<br />

permanentes, habitées désormais à l’année 4 . Par poussées,<br />

par à-coups, les agrandissements et les ajouts se succédèrent,<br />

surtout dans les villas les plus modestes et les plus étroites<br />

; beaucoup de vérandas furent fermées afin de gagner<br />

une pièce supplémentaire ; pour s’adapter à une hygiène<br />

nouvelle, on aménagea des salles de bains ; le chauffage fut<br />

perfectionné et centralisé, pour désormais vraiment garantir<br />

du froid à la mauvaise saison ; plusieurs exemples montrent<br />

que les combles furent repris et des lucarnes ouvertes,<br />

pour accroître le nombre de mètres carrés utilisables ; là où<br />

cela manquait, on construisit une cuisine ; quand il ne s’agissait<br />

pas d’interventions plus lourdes, telle l’adjonction d’une<br />

tour, ou le changement d’enveloppe de certaines maisons.<br />

A leur manière, ces adjonctions composites semblent en fin<br />

de compte procéder d’un phénomène quasiment naturel,<br />

comme s’il s’agissait d’une croissance logique et végétale,<br />

de cernes concentriques qui se seraient ajoutés de décennie<br />

en décennie.<br />

Cette vision un peu brouillée de l’architecture tient en<br />

partie aussi à la morphologie du site. En effet, d’une parcelle<br />

à l’autre, ou d’un côté à l’autre d’une même avenue,<br />

les terrains sont ici plats, et là, à quelques mètres de distance<br />

seulement, en forte déclivité. Le positionnement des<br />

villas change donc d’autant et leur perception aussi, qu’elles<br />

soient établies dans une pente ou non, en surplomb de la<br />

rue ou en contrebas. De plus, de la tour néo-gothique plantée<br />

au-dessus des falaises dominant l’Arve à l’avenue de la<br />

Roseraie, de plateau en replat, les détours du réseau viaire,<br />

en multipliant les points de vue, offrent très souvent une<br />

vision partielle et tronquée des architectures. Là apparaît<br />

une façade, plus loin un pan de toiture, ailleurs, à peine une<br />

lucarne.<br />

Ces cadrages capricieux sont encore accusés par une<br />

arborisation omniprésente, presque envahissante par endroit,<br />

qui, sans raison, sans logique, forme des écrans de verdure<br />

qui resserrent le champ de vision et composent des perspectives<br />

changeantes et arbitraires. Jadis, cette prolifération<br />

de la végétation était inconnue, les seuls grands arbres, les<br />

seules allées plantées résultant d’aménagements paysagers<br />

préexistants – ceux de la campagnes Pictet -, de plantations<br />

générées par l’activité de l’Institut Venel 5 ou de « promenades<br />

couvertes » tracées pour la déambulation nonchalante<br />

des curistes. Arborisation mesurée, concertée, restes d’habitudes<br />

anciennes, dans le lotissement, les haies et les arbustes<br />

devaient au début servir d’ornement aux villas : valoriser<br />

leur façade principale sur rue, l’encadrer au besoin, mais pas<br />

la cacher à la vue.<br />

Dans les années soixante-dix du XIX e siècle, cette esthétique<br />

de façade est déterminante : elle se définit par la diversité,<br />

l’invention et la combinaison de formules ornementales,<br />

surtout dans les villes d’eaux où l’éclectisme s’affiche ostensiblement,<br />

comme un lieu commun 6 . Constructions isolées<br />

sans prétentions réellement monumentales, les « chalets » 7<br />

et les villas incarnent le mieux ce patchwork architectural.<br />

Au n o 20, avenue de Beau-Séjour.<br />

Le château Ashbourne, ou villa Rhéa,<br />

marque l’entrée du lotissement


Sorte d’îles artificielles, les établissements sur pilotis<br />

constituaient une autre catégorie de bains en plein air.<br />

Parmi ceux qui ne virent jamais le jour, on mentionnera le<br />

premier projet d’Emile Schröder de bains sur le Rhône, en<br />

aval des halles de l’Ile 28 . Rectangulaire et percée de plusieurs<br />

piscines à fonds mobiles, la plate-forme posée sur des pieux<br />

ne fut pas construite, l’utilisation programmée des forces<br />

motrices du Rhône devant consacrer l’emplacement à l’établissement<br />

des vannes de décharge. Un autre projet, réalisé<br />

quant à lui, borda dès 1889 la jetée des Pâquis. Il satisfaisait<br />

au même principe de pilotis et de bassins séparés, à la différence<br />

que les superstructures étaient métalliques.<br />

Visuellement parlant, tous ces exemples tenaient plus<br />

du pénitencier que de l’établissement de loisir. La sécheresse<br />

et l’introversion du parti architectural précipitèrent leur<br />

disparition, tant il est vrai qu’une architecture sans visage,<br />

et fragile de surcroît, avait peu de chances de durer 29 . En<br />

définitive, c’est peu dire que durant tout le XIX e siècle, les<br />

bains et le luxe architectural s’excluaient mutuellement à<br />

Genève : natation ne rimait pas avec ostentation, ni en ville<br />

ni en campagne. Si les bâtiments réalisés n’étaient pas<br />

spectaculaires, inversement, les projets plus fastes ne furent<br />

pas retenus. C’est le cas d’un bâtiment sur pilotis dessiné<br />

par l’architecte John Camoletti en 1872, projet réactualisé<br />

cinq ans plus tard. Destiné à prendre place en aval de<br />

l’Ile Rousseau – autrement dit le nombril de Genève – le<br />

complexe suivait un plan articulé, tout en présentant des<br />

< Bains projetés en aval de l’Ile<br />

Rousseau, J.Camoletti arch., 1872<br />

Projet de bains sur le Rhône,<br />

J.Camoletti arch., 1877<br />

Les bains des Pâquis au début<br />

du XX e siècle<br />

129


122<br />

LES BAInS GEnEvoIS Au XIX e SIèCLE<br />

Ancrages territoriaux et courants typologiques<br />

David Ripoll<br />

est vrai que l’architecture a toujours partie<br />

liée avec le corps humain, ce lien n’est jamais<br />

aussi fort que dans les constructions consacrées<br />

au sport et à la santé. Salles de gym-<br />

S’il<br />

nastique, vélodromes, stades, hôpitaux et<br />

autres sanatoriums : ces lieux, nés ou réinventés au XIXe siècle, ont tous le corps en perspective ; qu’il s’agisse de ses<br />

performances ou de sa guérison, c’est lui qui est visé. Les<br />

bains, au sens d’une construction destinée à la pratique du<br />

même nom, poursuivent eux aussi cet objectif, mais dans<br />

un genre particulier car tout doit y favoriser l’immersion –<br />

ou l’aspersion –, autrement dit le contact avec un élément<br />

dont l’architecture est traditionnellement ennemie : l’eau.<br />

Si l’établissement de Beau-Séjour est emblématique d’un<br />

conflit pacifié avec cette dernière, c’est parce qu’il a bénéficié<br />

des expériences locales menées dans ce domaine durant<br />

plus d’un demi-siècle. Mais c’est aussi parce qu’il a tiré parti<br />

de modèles conçus ailleurs, là où l’architecture des bains<br />

faisait l’objet de développements significatifs.<br />

Il s’agira donc, ici, de remonter aux sources, et de suivre<br />

les courants qui mènent de la palissade primitive au « Palais de<br />

douches chaudes et froides », suivant l’expression qu’Edmond<br />

Barde utilisa pour l’établissement du bord de l’Arve 1 . Ces<br />

courants, multiples, ont engendré deux grandes familles :<br />

d’une part les établissements en plein air situés en bordure<br />

de rivière ou de lac, d’autre part les lieux fermés abritant des<br />

baignoires, alimentées par de l’eau pompée. A cela s’ajoutent<br />

quelques outsiders, à savoir les bâtiments fermés construits<br />

sur l’eau (les piscines à l’air libre n’apparaissent, à<br />

Genève, qu’au tournant du XX e siècle ). Ainsi, comme nous<br />

le verrons, l’eau vive et l’eau canalisée ont pu se combiner<br />

de façon variable à des espaces ouverts ou fermés.<br />

Projet de bains en aval de l’Ile Rousseau,<br />

J. Camoletti, arch., 1872<br />

> Les bains de la Coulouvrenière,<br />

à l’emplacement de l’actuel Bâtiment<br />

des forces motrices, fin du XIX e siècle

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