ÉCRANS 32 • <strong>Spirit</strong> le CaraCtère Urbain Adepte de « filmer la vie comme elle va », Jean-Henri Meunier aime les histoires qui se construisent naturellement.
Y’a pire ailleurs de Jean-Henri Meunier, sortie le 21.03 six ans après Ici Najac, à vous la terre, Jean-Henri Meunier continue sa balade poétique en terre aveyronnaise. loufoque, libertaire, réjouissant, Y’a pire ailleurs ressemble à son réalisateur. Propos recueillis par Stéphanie Pichon - Photo Cassandra Da Chicha Jean-Henri Meunier IcI Toulouse, à vous NAJAc Ne demandez pas à Jean-Henri Meunier de vous conter son parcours, du moins pas si vous n’avez qu’une seule page pour votre interview… Cet homme-là a eu mille vies, mais qu’une seule ligne de conduite cinématographique : punk, libre, sans filet. C’était vrai pour ses fictions à l’arrache des années 70 (La Bande du Rex, Aurais dû faire gaffe, le choc est terrible…) ou ses documentaires musicaux (Smoothie, Tout partout partager…). Ça l’est encore pour le troisième volet de sa série documentaire najacoise Y’a pire ailleurs, sur les écrans le 21.03. Gainsbourg, Higelin, Charlélie Couture, Police, Dany Boon, Bernardo Sandoval ont croisé son chemin. Aujourd’hui ce sont ses anciens voisins de Najac, dans l’Aveyron, qu’il côtoie avec le même sens de l’amitié et de la folie joyeuse. Discussion « libre et désordonnée » avec un cinéaste devenu toulousain, qui navigue sans plan de carrière au hasard des rencontres de la vie. Vous êtes entré en cinéma en 1972 avec L’Adieu Nu, avec Michael Lonsdale et Maria Casarès. Comment un gars de la banlieue lyonnaise, fils d’ouvriers, se retrouve à 25 ans à Paris derrière la caméra ? Je faisais de la photo en autodidacte, et j’ai eu une bourse d’une fondation pour exposer à Paris. Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque française, a aimé mon travail et l’a exposé. Il m’a fait découvrir le cinéma, et j’ai eu envie de faire un film, une sorte de poème fictionné au scénario pas très abouti. On avait 4 000 francs de budget. Il a été montré à Cannes en 1976, dans la sélection de la Cinémathèque. Ça m’a permis d’en faire un deuxième. C’est aussi simple que ça ? D’où je venais, le cinéma c’était un moyen d’échapper à l’usine, au triste destin de la banlieue lyonnaise. C’était le pied, mais ce n’était pas vital. Aurais dû faire gaffe, le choc est terrible, a été tourné à l’arrache, en braquant la pellicule, et squattant le matos. Je suis allé frapper chez Gainsbourg qui a accepté de faire trente minutes de musique originale pour pas un rond. Il m’a dit « t’inquiète, c’est Emmanuelle qui paiera ». À l’époque, il faisait la musique d’Emmanuelle 2 ! En 1975, vous tournez La Bande du Rex, avec Jacques Higelin, qui sera votre dernier film de fiction. C’était mon premier film avec une vraie production et un budget. Je n’avais jamais travaillé comme ça. Au bout de huit jours, on a viré le directeur de prod’, et ça a été la guerre. Il aurait fallu faire un film sur le tournage du film ! On se défonçait beaucoup, on a dévalisé une épicerie après une scène de braquage, on a filmé le vrai enterrement de Mesrine avec nos acteurs au milieu. Conclusion, j’ai été blacklisté… Je n’ai plus tourné pendant neuf ans. Votre arrivée à Najac en 1994, c’était une mise en vert ? Oui, c’est exactement ça. À 50 mètres de chez nous, vivait un vieux monsieur, le mécano, Henri Sauzeau, qui est devenu mon pote. Puis j’ai rencontré les autres et j’ai eu envie de les filmer. Dans les trois films, La vie Comme elle va (2004), Ici Najac à vous la terre (2006), et Y’a pire ailleurs, on retrouve les mêmes personnages. Ont-ils évolué devant la caméra, et perdu un peu de la spontanéité des débuts ? Non, iIs sont vraiment comme ça aussi dans la vie, et ce n’est pas le cinéma qui va les changer. Votre méthode, c’est de filmer la vie comme elle va ? Les trois films sont libres et désordonnés. Il n’y a pas d’ordre chronologique. Ce sont des films sur l’émotion, les personnages, des instants de poésie. Tout se fait très naturellement. Les gens que je filme sont mes amis, ils vivent leur vie, moi je parle très peu, même si je les coupe beaucoup en tournant, en pensant au montage. Les gens sont épatés quand je dis qu’il y a 500 heures de rush. Mais qu’est-ce que ça représente sur 10 ans ? La scène comme celle où Arnaud [le chef de gare, ndlr] mange son Paris-Brest, c’est un plan séquence, qui dure le temps du tournage, quatre minutes, pas plus, pas moins. Par contre la scène du cochon, ça prend la journée ! Quand vous avez commencé à tourner, vous aviez imaginé faire trois films ? Non, du tout ! Au mieux un road-movie ! J’ai commencé par tourner. Puis on a monté à la façon d’un puzzle, en ayant les pièces, mais en ne sachant pas à quoi ça ressemblerait au final. L’argent, je ne l’ai cherché qu’après. Ça me laisse une liberté totale, personne n’intervient sur le contenu, jamais. Finalement, mon meilleur coproducteur, c’est Pôle Emploi ! Le système de l’intermittence, c’est une chance unique. L’arrivée du numérique a aussi permis à des gens comme moi, de faire un film avec une cassette, une caméra et un ordi. L’argentique, c’est magnifique, mais ça a un coût. Finalement, le public se fout de la technique utilisée, ce qui l’intéresse, ce sont les personnages. Ces figures ont un point commun, celui de vivre en marge d’un certain modèle social, il y a comme une part de résistance en eux. Et de poésie. Ce sont des gens qui vivent libres et heureux de l’être. Ils ont choisi leur mode de vie, consciemment ou inconsciemment. S’ils s’en sortent si bien, c’est parce que ce ne sont pas des surconsommateurs. Vaut mieux vivre avec le RSA à Najac, qu’avec 3 000 euros à Paris. Y’a Pire ailleurs semble moins joyeux que les deux autres, il s’ouvre sur les attentats du 11 septembre et se termine par la mort d’un des personnages… Vous l’avez voulu ainsi ? Cette mort fait partie de la vie, ce n’est pas triste. Pour moi, c’est surtout un film sur l’amitié. Il y a beaucoup de scènes à deux ou à trois. Il est plus bricolé, plus brut que les autres. Le premier était ludique, poétique, planant. Le deuxième plus engagé, porté sur la parole. Y aura-t-il une suite ? Je ne sais pas. J’ai tourné encore il y a peu. Il faut voir ce qui se passe avec les gens. Dans Y’a pire ailleurs, Christian Lombard est tombé amoureux, ça a duré un an et demi et ça s’est arrêté. Là, je lui ai dit : tu trouves une fille, tu te maries, et on ouvre le prochain film avec le mariage ! Les gens que je fiLme sont mes amis, iLs vivent Leur vie, moi je parLe très peu, même si je Les coupe beaucoup en pensant au montage. le CaraCtère Urbain <strong>Spirit</strong> • 33