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Tribune N°196 La Lettre de l’Officiel juridique du sport juillet 2024 La Commission d’arbitrage antidopage autrichienne, aux membres amovibles, ne peut poser de questions préjudicielles à la CJUE Selon la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) (1), la Commission d’arbitrage antidopage autrichienne (Unabhängige Schiedskommission, USK) n’est pas un tribunal au sens de l’article 267 TFUE régissant la procédure de renvoi préjudiciel. Faute d’indépendance – notamment grâce à une base légale habilitant le ministre fédéral des Sports à révoquer ses membres à tout moment pour « motif grave » mais sans aucun encadrement normatif, la discrétion ministérielle étant illimitée – l’USK n’est pas un tribunal au sens de l’article 267 TFUE. Ainsi, les questions préjudicielles – pourtant importantes – liées à la protection des données personnelles d’athlètes soupçonnés de dopage demeurent donc sans réponse et sans lendemain, même si la Cour précise que le devoir d’application du droit de l’Union par l’USK demeure. Pour le système antidopage, la négation de la crédibilité de l’USK pourrait s’avérer délicate. Selon la Cour, De surcroît, l’exigence de l’inamovibilité de ses membres relève d’une « importance cardinale ». Par Jacob Kornbeck, Bruxelles LA LETTRE DE L’OFFICIEL JURIDIQUE DU SPORT ans une affaire concernant une athlète autrichienne accusée de dopage, mais soucieuse de prouver le non-respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) (2) par l’agence nationale antidopage (NADA Austria), la CJUE a réfuté la recevabilité du renvoi préjudiciel par l’USK, pourtant habilité par le législateur national à résoudre les différends en matière d’antidopage. Comme nous l’avons rapporté précédemment (3), la Cour avait été saisie par l’USK dans une affaire concernant le traitement des données personnelles d’athlètes par l’agence. Saisie par Mme « SO » remettant en cause la conformité des procédures et pratiques de l’agence avec le RGPD (4), l’USK avait soumis une série de questions préjudicielles à la Cour. Et lorsque l’avocate générale Tamara Ćapeta a rendu ses conclusions (5), en 2023, elle n’a pas remis en question la recevabilité de la procédure de renvoi conformément à l’article 267 TFUE. De surcroît, elle a dégagé de nouvelles connaissances quant aux implications du RGPD pour la lutte antidopage, à savoir que la publication en ligne des sanctions ne poserait pas de problème ; que les données ne seraient pas considérées comme des « données concernant la santé » méritant une protection plus élevée ; que l’USK n’exercerait pas d’autorité publique ; mais aussi que les données concernées seraient considérées comme liées « aux condamnations pénales et aux infractions », méritant ainsi quand-même une surveillance particulière de l’État. Tous ces enseignements demeurent instructifs – on leur souhaiterait d’être cités malgré tout dans la jurisprudence et la doctrine – mais sans lendemain, étant donné que l’affaire n’a pu être jugée par la Cour. C’est en examinant les dispositions inscrites à la loi antidopage (Anti-Doping- Bundesgesetz) (ADBG) (6) que la Cour s’est rendu compte que l’inamovibilité des membres de l’USK n’était pas garantie. Si l’agence NADA Austria a été établie en tant que SARL d’utilité publique (article 5 § 5 ADBG) (7), l’USK est une commission nommément « indépendante » mais nommée dans son entièreté par le ministre fédéral des Sport et révocable « de manière anticipée », à tout moment, « pour motif grave » par ce même membre de l’exécutif (article 8 § 3 ADBG) (8). À travers un examen approfondi de la loi ainsi que du ROI et d’autres textes relatifs à l’USK (9), la Cour a dû constater qu’aucun texte ne limite ce pouvoir accordé par le pouvoir législatif au pouvoir exécutif, raison pour laquelle le ministre peut exercer sa prérogative dans une discrétion illimitée. Notant que la procédure de renvoi judiciaire est un « instrument de coopération » entre elle et les juridictions nationales (10), la Cour exige la qualité judiciaire de la juridiction de renvoi (11). Pour l’affirmer, elle se réfère à un « ensemble d’éléments » tant formels que matériels (12), l’affaire à résoudre devant relever d’un caractère clairement « juridictionnel » (13) alors que la recevabilité doit être établie à travers celui de l’autorité de renvoi (14). Devant cet « ensemble d’éléments », « l’inamovibilité des membres de l’instance concernée constitue une garantie inhérente à l’indépendance des juges en ce qu’elle vise à protéger la personne de ceux qui ont la tâche de juger » (15). De surcroît, le critère de l’inamovibilité relève d’une « importance cardinale » (16) exigeant une démonstration explicite à travers « une réglementation particulière, au moyen de dispositions législatives expresses offrant des garanties dépassant celles prévues par les règles géné- Jacob Kornbeck est fonctionnaire européen. Il enseigne à l'Université allemande du Sport de Cologne (management du sport) ainsi qu’à l’Université de Lille (droit du sport). Les opinions exprimées sont strictement personnelles et ne sauraient aucunement engager les institutions de l'Union européenne. 2
Tribune N°196 La Lettre de l’Officiel juridique du sport juillet 2024 LA LETTRE DE L’OFFICIEL JURIDIQUE DU SPORT rales du droit administratif et du droit du travail s’appliquant en cas de révocation abusive » (17). À part cet aspect « externe », un « interne » concerne l’impartialité de l’instance-même, la finalité téléologique consistant à assurer « l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci » (18) afin que « l’instance concernée ait la qualité de tiers par rapport à l’autorité qui a adopté la décision frappée d ’ u n recours » (19). Or, un examen des textes relatifs à l’USK ne permet de lui attester aucune garantie allant dans ce sens (20). À cet égard, le défaut semble être plus flagrant que cela n’ait été le cas dans d’autres cas examinés par la Cour (21). Au terme de ces vérifications, la Cour est formelle : « Il s’ensuit que la législation nationale applicable ne garantit pas que les membres de l’USK se trouvent à l’abri de pressions extérieures, qu’elles soient directes ou indirectes, susceptibles de faire douter de leur indépendance, si bien que cet organisme ne satisfait pas à l’exigence d’indépendance propre à une juridiction, considérée sous son aspect externe. » (22) Raison pour laquelle l’USK ne saurait être assimilée à une instance judiciaire au sens de l’article 267 TFUE (23), toutefois sans que « cette circonstance » ne « la dispense pas de l’obligation de garantir l’application du droit de l’Union » (24). Et pour bien exclure toute semblance d’ambigüité tant matérielle que juridique – les questions préjudicielles étant apparemment aussi pertinentes à ses yeux qu’aux nôtres –, la Cour rappelle que l’athlète « SO » avait également introduite une plainte auprès de l’autorité nationale de la protection des données (Datenschutzbehörde) (DSB) ; que la DSB avait rejeté sa plainte ; qu’un recours 1 Arrêt de la Cour, 7 mai 2024. SO en présence de : Nationale Anti-Doping Agentur Austria GmbH (NADA), Österreichischer Leichtathletikverband (ÖLV), World Anti- Doping Agency (WADA). Affaire C-115/22. ECLI:EU:C:2024:384 2 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données […]. JO L 119, 4.5.2016, p. 1–88. 3 J. Kornbeck, Lutte antidopage et publication en ligne : données quasi-pénales mais pas sanitaires. LOJS n° 191 (2014), pp. 2-4. 4 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données […]. JO L 119, 4.5.2016, p. 1–88. 5 AG Tamara Ćapeta, 14 septembre 2023. SO, autres parties à la procédure : Nationale Anti-Doping Agentur Austria GmbH (NADA), Österreichischer Leichtathletik-verband (ÖLV), Agence mondiale antidopage (AMA). Affaire C-115/22. ECLI:EU:C:2023:676. 6 Amendée plusieurs fois depuis son adoption initiale en 2007, la version actuelle est l’ABDG du 02.01.2024 : Bundesgesetz zur Verhinderung von Doping im Sport (Anti-Doping-Bundesgesetz 2021 – ADBG 2021) StF: BGBl. I Nr. 152/2020 (NR: GP XXVII RV 482 AB 533 S. 71. BR: 10477 AB 10527 S. 917.), https://www.nada.at/files/doc/Gesetze/Anti-Doping- Bundesgesetz-2021.pdf 7 CJUE, 7 mai 2024 « NADA Austria » (op.cit.), § 9. 8 Ibid., § 12. 9 Ibid., §§ 13-23. 10 Ibid., § 33, citant CJUE, 9 mars 2010, « ERG e.a. », affaire C 378/08, EU:C:2010:126, § 72, e.a. 11 Ibid., § 34 : « Il en résulte que, pour être habilité à saisir la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle, l’organisme de renvoi doit pouvoir être qualifié de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, ce qu’il appartient à la Cour de vérifier sur la base de la demande de décision préjudicielle », citant CJUE, 13 décembre 2018, « Holunga », est actuellement en cours devant le tribunal fédéral administratif (Bundesverwaltungs gericht) (BVwG) ; et que « ce recours a été suspendu dans l’attente d’une réponse de la Cour aux questions posées dans la présente affaire » (25). La carence ainsi laissée par l’arrêt de la Cour ne peut que nous inquiéter au vu de l’acuité des questions soulevées par cette affaire pourtant bien nécessaire. Car c’est bien à la rencontre de la nouvelle « biopolitique des corps » (26), flanquée de ses outils informatiques assortis, avec la « territorialisation » (27) de la gouvernance sportive – ici représentée par les efforts européens (à travers le RGPD) de brider un sport largement transnational – que les grands défis juridico-politiques (et géopolitiques) se révèlent pour une gouvernance sportive européenne à l’image humaine et à tendance citoyenne. Dans ce nexus, le rôle des juridictions, tant nationales qu’européennes, est primordiale. S’il « découle de tout ce qui précède que la présente demande de décision préjudicielle est irrecevable » (28), l’arrêt de Luxembourg a tout pour déplaire à Vienne. Peutêtre faut-il, pour conclure, revenir sur l’arrêt « Vaassen- Göbbels » (29) de l’année 1966 déjà cité par la Cour, concernant un tribunal d’arbitrage néerlandais dans le domaine minier : à l’époque, la Cour avait constaté que le « Scheidsgerecht » avait été « créé pour trancher en premier et dernier ressort les litiges concernant l'application de cette législation spéciale et constitue en fait le seul juge en la matière » (30). Or, dans le cas en espèce, malgré la semblance de caractère judiciaire –et sans qu’un mécanisme de recours devant une autre instance ne soit prévue –, l’USK ne saurait être assimilé qu’au pouvoir exécutif dont elle relève directement. Loin d’être distincte de « l’autorité qui a adopté la décision frappée d’un recours » (31), elle en fait partie intégrante. affaire C 370/18, EU:C:2018:1011, § 13, e.a. 12 Ibid., § 35, dont : « l’origine légale de cet organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par l’organisme en cause, des règles de droit ainsi que son indépendance », citant CJCE, 30 juin 1966, « Vaassen-Göbbels », affaire 61/65, EU:C:1966:39, p. 395, e.a. 13 Ibid., § 36. 14 Ibid., §§ 37-38. 15 Ibid., § 42, citant CJUE, 21 janvier 2020, « Banco de Santander », affaire C 274/14, EU:C:2020:17, § 58, e.a. 16 Ibid., § 43, citant « Banco de Santander » (op.cit.), § 59 e.a. 17 Ibid., § 44, citant « Banco de Santander » (op.cit.), § 60 e.a. 18 Ibid., § 45, citant « Banco de Santander » (op.cit.), § 61 e.a. 19 Ibid., § 46, citant « Banco de Santander » (op.cit.), § 62 e.a. 20 Ibid., § 50 : « En particulier, l’inamovibilité des membres de l’USK n’est garantie par aucune règle spécifique. » 21 Ibid., §§ 51-53. 22 Ibid., § 53. 23 Ibid., § 54. 24 Ibid., § 55. 25 Ibid., § 56. 26 L. Aubin, J.B. Guégan, La Guerre du Sport. Une nouvelle géopolitique. Paris : Tallandier (2024), p. 115. 27 Ibid., p. 116. 28 CJUE, 7 mai 2024 « NADA Austria » (op.cit.), § 57. 29 Arrêt de la Cour, 30 juin 1966. Veuve G. Vaassen-Göbbels contre direction du Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf. Demande de décision préjudicielle: Scheidsgerecht van het Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf Heerlen, Pays-Bas. Affaire 61-65. Rec. 1966 00377. ECLI:EU:C:1966:39. 30 Ibid., p. 389. 31 Ibid., § 46, citant « Banco de Santander » (op.cit.), § 62 e.a. 3
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Page 7 and 8: Etat N°196 La Lettre de l’Offici

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