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TeteDeMaure_Int_extrait

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Ouvrage publié avec le concours de la Collectivité de Corse<br />

Michel Vergé Franceschi est professeur émérite des Universités,<br />

ancien directeur du laboratoire d’Histoire et d’Archéologie maritime du CNRS à Paris-IV Sorbonne<br />

et au musée national de la Marine,<br />

ancien président de la Commission française d’histoire maritime.<br />

Du même auteur sur la Corse<br />

Histoire de Corse. Le pays de la grandeur, Paris, Le Félin, 1996,<br />

2 tomes. Prix Hercule-Catenaci de l’Académie<br />

des sciences morales et politiques 2003.<br />

Sampiero Corso. Un mercenaire européen au XVI e siècle,<br />

avec A.-M. Graziani, Ajaccio, Alain Piazzola, 1999.<br />

Prix du Livre corse 2001.<br />

Paoli, un Corse des Lumières, Paris, Fayard, 2005.<br />

Prix Georges-Goyau de l’Académie française 2006.<br />

Le Cap Corse. Généalogies et destins, Ajaccio, Alain Piazzola, 2006.<br />

Le Voyage en Corse, coll. « Bouquins », Paris, Robert Laffont,<br />

2009. Prix du livre corse 2010,<br />

prix Francioni pour l’ensemble de l’œuvre.<br />

Napoléon. Une enfance corse, Paris, Payot, 2005,<br />

Livre de poche Larousse, 2015.<br />

Jean Baldacci, une famille corse face à la guerre de 1914,<br />

Ajaccio, Colonna, 2014. Prix du livre corse 2014.<br />

Rechercher ses ancêtres corses, Archives et Culture, 2016.<br />

Pozzo di Borgo, l’ennemi juré de Napoléon, Paris, Payot, 2016.<br />

Prix de la Fondation Napoléon 1 er Empire 2017.<br />

Les maréchaux d’Ornano au cœur de l’Histoire,<br />

Ajaccio, Alain Piazzola, 2019.<br />

Corse, Cinq siècles de migrations, Ajaccio, Alain Piazzola, 2023.<br />

Charles Bonaparte, père de Napoléon, Paris, Passés composés, 2023.<br />

Prix du Mémorial de la ville d’Ajaccio 2023.<br />

Sous sa direction<br />

Éditions Alain Piazzola, Ajaccio<br />

La Guerre de course en Méditerranée (1515-1830), 2000<br />

La Méditerranée des Doria, 2001<br />

La Corse, île impériale, 2002<br />

La Corse, carrefour des routes de Méditerranée, 2003<br />

Le Corail en Méditerranée, 2004<br />

La Corse et l’Angleterre, 2005<br />

Commerce et échanges maritimes, 2006<br />

Les Grands Arsenaux européens du Moyen Âge au XIX e siècle, 2007<br />

Mer et Religion, 2008<br />

Escales bonifaciennes, 2009<br />

La Corse et Venise, 2010<br />

La Corse et le monde musulman, 2011<br />

La Corse et l’Espagne, 2012<br />

La Corse et la péninsule Italienne, 2013<br />

Femmes corses, 2014<br />

La Corse et la Russie, 2015<br />

Naufrages et Archéologie, 2016<br />

La Corse et les Amériques, 2017<br />

La Corse et la Toscane, 2018<br />

Bonifacio, histoire, patrimoine, langue et culture, 2019<br />

La Corse et Naples, 2021<br />

La Corse et le Droit, 2022<br />

Élites et noblesse corse, 2023<br />

La Corse et l’Égypte (à paraître 2024).<br />

Autres publications récentes<br />

Surcouf, la fin du monde corsaire, éditions Passés composés, 2022.<br />

Couronné par l’Académie de marine (2023), couronné par l’Académie<br />

des sciences morales et politiques (2023).<br />

Nostradamus 1503-1566, Alpha Poche, 2023.<br />

II


Michel Vergé-Franceschi<br />

Aux origines de la tête de Maure<br />

Un roi, un esclave, un corsaire<br />

ou un saint ?


Testa mora<br />

ou le regard libéré<br />

Parmi les attributs de la nation corse, il y a ce drapeau à tête de Maure<br />

qui intrigue tant l’ami, le visiteur ou l’étranger en Corse. Question dans<br />

la question : le bandeau n’est pas sur les yeux du Maure !<br />

Les Corses eux-mêmes ne sont pas toujours à l’aise dans l’explication<br />

historique, tant elle est ardue et complexe, et se contentent la plupart<br />

du temps d’une détermination toujours vague, plus ou moins assurée,<br />

sans doute satisfaits d’une sorte de mystère qui plonge dans la nuit des<br />

temps. Les plus nationaux renvoient bien sûr au XVIII e siècle, à la période<br />

paolienne, où la Corse se dote d’une constitution et connaît une<br />

indépendance de 1755 à 1769.<br />

On peut se dire alors que l’heure est propice pour que A Corsica nazione<br />

se dote normalement des attributs habituels d’une nation moderne, à<br />

savoir une langue, un hymne et un drapeau, socle minimal de la liste des<br />

symboles potentiels. Mais les objectivations successives de l’histoire, sa<br />

connaissance de plus en plus fine engendrent les nécessaires objections<br />

au roman national.<br />

Il y a beau temps que la preuve est faite que la langue corse actuelle n’a<br />

pas été la langue nationale de la nation corse du XVIII e siècle. L’éphémère<br />

université sise à Corte enseignait en latin et en toscan. On sait<br />

aujourd’hui que le corse d’alors demeurait à l’état dialectal et que<br />

l’enseignement et l’écrit passaient par le toscan (qui deviendra plus tard<br />

la langue nationale de l’Italie). L’hymne, le Dio vi salvi Regina, outre qu’il<br />

est rédigé en italien, a été l’objet de recherches ces dernières années (je<br />

pense à l’article de notre collègue Antoine Franzini dans la revue Storia<br />

corsa) qui rendent son adoption dans la période de la Révolution de<br />

Corse au XVIII e siècle un peu moins évidente. Enfin, ce drapeau à tête de<br />

Maure, dont l’origine est aujourd’hui largement explicitée et remise en<br />

perspective historique et comparative par cet ouvrage, est un symbole<br />

aux origines multiples et qui se pose dans de multiples supports, qu’ils<br />

soient de famille ou de collectifs divers.<br />

2


<strong>Int</strong>roduction<br />

introduction<br />

Je m’associe à mon collègue Eugène Gherardi lorsqu’il bâtit l’hypothèse<br />

de l’anachronisme dès qu’on évoque ces attributs de la nation paolienne :<br />

le modèle de l’État-nation dont le grand avènement se situe au XIX e siècle<br />

n’est sans doute pas comparable avec la nation de Paoli. Les symboles<br />

nationaux y ont un rôle qui est devenu important, en même temps que se<br />

développent les nationalismes en Europe et dans le monde. C’est pourquoi<br />

il nous faut infléchir notre regard sur la nation corse du XVIII e dans la<br />

mesure où le projet national repose davantage sur les aspects constitutionnels<br />

et bien moins sur les symboles que sont l’hymne ou la langue. Et<br />

cela n’enlève rien à la qualité de cette nation en herbe.<br />

Pr Alain Di Meglio<br />

Università di Corsica<br />

Pour le drapeau (a bandera), un peu à l’image de l’hymne corse qui est<br />

à l’origine une hymne religieuse composée à Naples à la fin du<br />

XVIII e siècle, la tête de Maure s’inscrit dans un parcours dans l’espace et<br />

dans le temps, qui s’avère tout à la fois passionnant et remarquable,<br />

avant que les Corses ne l’adoptent.<br />

Pour notre auteur, « la tête de Maure corse émanerait de deux traditions,<br />

l’une ibérique, l’autre allemande, c’est sans doute vers cette<br />

conclusion qu’il faudra s’acheminer ». Il convient donc de cheminer<br />

dans l’ouvrage pour mesurer toute la présence et les parcours croisés<br />

d’a testa mora. Le lecteur se fraiera les sentiers du sens qu’il entend. Il<br />

y sera bousculé par un conflit cognitif salutaire qui remettra cent fois<br />

ses convictions et ses représentations en cause et reconstituera un<br />

savoir infiniment plus nuancé. Au-delà de la curiosité sur l’origine de<br />

cet attribut majeur de la Corse éternelle, il y aura tout le processus de<br />

la culture acquise. Car là est bien l’enjeu, la force du symbole, c’est la<br />

qualité de la connaissance qu’elle génère, non pas dans un nationalisme<br />

béat et exclusif, mais bien dans la capacité à se projeter dans l’histoire<br />

pour la partager dans sa complexité.<br />

Pour ma part, j’y vois surtout des symboles parmi les symboles, et c’est<br />

celui de l’ouverture qui a retenu ici toute mon attention. D’abord par le<br />

cheminement dans l’histoire-géographie qui fait de la Corse un point de<br />

convergence entre l’Europe et la Méditerranée. Puis le Maure, qu’il soit<br />

noir ou sarrasin, dans ce drapeau qui vient participer à mon identité,<br />

sans l’altérer pour autant. Enfin, ce bandeau, sur le front et non plus sur<br />

les yeux, que Paoli vient relever pour inscrire la Corse bien ailleurs que<br />

dans un couloir géopolitique qui aiguise les appétits des grands États<br />

de l’Europe mais bien dans celui des Lumières que le regard peut<br />

happer à volonté.<br />

•<br />

3


Un seul drapeau<br />

mais plusieurs têtes de Maure…<br />

La question de l’origine du drapeau<br />

corse a passionné beaucoup de monde.<br />

Le professeur Pierre Antonetti n’hésitait<br />

pas à écrire en 1980, dans Le drapeau<br />

à tête de Maure 1 : « C’est à ce roi<br />

d’opérette (Neuhoff) […] qui ne régna<br />

que six mois, que l’on doit la présence<br />

de la tête de Maure sur le drapeau<br />

officiel de la Corse. » Or, Neuhoff<br />

ne fut pas un roi d’opérette, et la tête<br />

de Maure était présente sur le drapeau<br />

officiel de la Corse quatre siècles<br />

au moins avant Neuhoff.<br />

CES ERREURS N’ENLÈVENT RIEN à la réputation du grand<br />

professeur que fut Pierre Antonetti, normalien, agrégé<br />

d’italien et docteur ès lettres qui a raison quand il dit que<br />

« c’est à Neuhoff […] que l’on doit la présence de la tête de<br />

Maure sur le drapeau officiel de la Corse » depuis 1736. Ou du<br />

moins d’une tête de Maure, car il y en eut successivement<br />

plusieurs, porteuses chacune d’un message symbolique.<br />

Le savant collectionneur et bibliophile, Antoine<br />

Mattei (1817-1881), docteur en médecine de la faculté de Paris<br />

(1846), médecin légiste puis inspecteur des eaux thermales<br />

du Fiumorbo, écrivait de son côté en 1867 2 : « C’est en<br />

Allemagne qu’on trouve les premières traces de cette tête<br />

comme emblème de la Corse » (p. 7). Il ajoute : « J’ai dans ma<br />

collection des cartes géographiques de la Corse, de Blaeu, de<br />

Seutter, de Groeve, de Vander, de Homannian Herderum,<br />

c’est-à-dire de 1600 à 1735, et dans toutes ces cartes figure la<br />

tête de Maure, tandis qu’on ne la voit pas dans celles de<br />

Cluverius et de Mercator, antérieures aux précédentes […]<br />

On peut établir comme démontré qu’en Allemagne on a considéré<br />

depuis le XVI e siècle la tête de Maure comme emblème de<br />

la Corse et pas avant cette époque (sic) […] En France par<br />

exemple, les cartes de Sanson, de Buchelot, de Jalliot, de<br />

Bellin, de Vaugondy, de Maillebois etc. n’offrent pas la tête de<br />

Maure […]. J’ai une carte génoise faite à la main, ainsi que<br />

d’autres vues et plans de nos villes, ports, golfes, etc. et nulle<br />

1. ANTONETTI Pierre, Le drapeau à tête de Maure, Ajaccio, La Marge<br />

éd., 1980.<br />

2. MATTEI Ant oine, Notice historique sur les armes de la Corse, tiré à part <strong>extrait</strong> de L’Avenir<br />

de la Corse (1866), 1867, p. 7.<br />

4


un seul drapeau mais plusieurs têtes de maure…<br />

part on ne voit figurer la tête de Maure […]. L’Allemagne s’est<br />

empressée de faire à la Corse un blason. »<br />

Le médecin était plus proche de la vérité que l’universitaire,<br />

mais tous deux arrivaient à la même conclusion : une<br />

tête de Maure venue d’Allemagne pour le docteur Mattei ; une<br />

tête de Maure due à Neuhoff, baron westphalien, pour Pierre<br />

Antonetti. Issu d’une famille de chevaliers de l’ordre teutonique,<br />

ou « chevaliers à la tête noire », dont certains présents<br />

en Corse au cours de son règne éphémère, Neuhoff – et nous le<br />

verrons, ce n’est pas anodin – était né dans la cité même où fut<br />

supplicié saint Maurice, saint africain, en 303 : Trèves !<br />

Cette opinion – une tête de Maure d’origine germanique<br />

– fut encore émise en 2011 par notre cher cousin Philippe<br />

Lucchetti, également enseignant, dans une belle étude, sous le<br />

titre « Et si notre tête de Maure était celle de saint Maurice 3 ».<br />

Philippe sait bien de quoi il parle, puisque, par sa grand-mère<br />

maternelle, la baronne Terwagne, née Olga von Pridaleck-<br />

Mengden, il descend des barons von Mengden et des barons<br />

von Kahlen, lignées de chevaliers de l’ordre teutonique…<br />

La tête de Maure, en effet, n’est pas une spécificité<br />

corse, contrairement à ce que l’on pourrait croire.<br />

3. In VERGÉ-FRANCESCHI Michel , « La Corse et l a monarchie<br />

espagnole », art. cité, p. 163-167.<br />

5


aux origines de la tête de maure<br />

Bien peu de têtes de Maure dans les blasons<br />

des familles corses<br />

Sur les mille blasons de familles corses répertoriés<br />

au cours d’une vie entière par le regretté François Demartini<br />

(1932-1996), dans son Armorial de la Corse 4 , la tête de Maure<br />

est représentée douze fois, contre trois dans l’Armorial 5 du<br />

comte Pierre-Paul Raoul Colonna de Cesari Rocca (1864-<br />

1922), paru en 1892. Au total, selon ces sources, treize familles<br />

corses arborent une tête de Maure (ou un Maure) dans leurs<br />

armoiries. À titre de comparaison, la fleur de lys, liée à la<br />

monarchie française, se trouve sur trente-deux blasons<br />

familiaux corses !<br />

Nobles,<br />

roturiers et fleur de lys<br />

1. Les armoiries i de Sampiero Corso (en haut) et de son fils<br />

Alphonse d’Ornano<br />

On voit sur celles de Sampiero « la fleur de lys d’or sur fond d’azur » offerte<br />

par François 1 er en 1542 et mise « en chef » au-dessus du lion de gueules<br />

(rouge), « lampassé » (la langue) et « griffé de même » (rouges aussi).<br />

Sur celles d’Alphonse (Ajaccio v. 1548-Paris 1610), on distingue les armes<br />

initiales des Ornano, avec la tour qui pourrait être celle de Vannina à Vico<br />

ou celle de Sampiero (moins probable), rasée par les Génois jusques<br />

aux fondations en 1564. Aucune colonne bien sûr (meuble héraldique et<br />

« armes parlantes » des Colonna, princes romains), les Ornano ne<br />

s’ensouchant que plus tard, sous le même futur maréchal Alphonse d’Ornano,<br />

aux princes romains de ce nom, d’où les pamphlets dirigés en 1624<br />

notamment, au Louvre, contre le deuxième maréchal d’Ornano, Jean-Baptiste<br />

(Sisteron 1581-Vincennes 1626), fils d’Alphonse, tout le monde raillant cette<br />

prétention, son grand-père Sampiero étant « né de la plèbe ».<br />

Si toutes les familles nobles portent<br />

armoiries, posséder des armoiries<br />

n’implique pas que l’on soit noble : en<br />

1696, en France continentale, sur les<br />

116 944 personnes enregistrées à l’Armorial<br />

général de d’Hozier, quatre-vingt<br />

mille sont des roturiers ! Cet Armorial en<br />

70 volumes, dont trente-cinq d’armoiries<br />

coloriées, se trouve aujourd’hui au<br />

Cabinet des titres de la Bibliothèque<br />

nationale. En 1696, il faut encore ajouter<br />

à ces armoiries familiales celles de<br />

2 171 villages, de 934 villes, de 28 généralités,<br />

mais cela ne concerne pas la Corse.<br />

L’île n’est toutefois pas étrangère à l’histoire<br />

de France avant 1768-1789, comme<br />

on le croit souvent ! Il arrivait que le roi<br />

de France offre le port de la fleur de lys<br />

(ses armoiries de souveraineté) en<br />

remerciement de services exceptionnels<br />

rendus à la monarchie, et cela valait<br />

aussi pour les Corses : de même que la<br />

famille d’Estaing reçoit les fleurs de lys<br />

d’or royales sur fond d’azur, pour avoir<br />

relevé le roi sur le champ de bataille de<br />

Bouvines, Sampiero Corso reçoit une<br />

fleur de lys de François 1 er pour avoir<br />

sauvé le futur Henri II lors du siège de<br />

Perpignan (1542). La fleur de lys n’a<br />

toutefois été accordée par les rois de<br />

France (dont Henri IV) à des familles<br />

corses que quatre fois, dont une fois à<br />

Sampiero. Le reste paraît davantage<br />

relever de prétentions.<br />

4. DEMARTINI François, Armorial de la Corse, 3 vol. Ajaccio, Alain Piazzola, 2003.<br />

5. COLONNA DE CESARI ROCCA Pierre-Paul Raoul , Armorial corse, Paris, H. Jouve, 1892<br />

(réédition J. Laffitte, 1987).<br />

6


un seul drapeau mais plusieurs têtes de maure…<br />

Les 13 familles corses<br />

dont les armes présentent la tête de Maure<br />

Arrighi (de Letia) : « De gueules au chevron d’or<br />

accompagné en pointe d’un olivier arraché au<br />

naturel ; au chef d’azur à la tête de Maure de sable,<br />

tortillée d’argent, posée au-dessus d’une mer<br />

d’argent et regardant à dextre une étoile à six rais<br />

d’or » (F. Demartini, op. cit., t. I, p. 75). Armoiries de<br />

M gr Arrighi en 1985.<br />

montagne de trois coupeaux, mouvante de la pointe,<br />

le coupeau du milieu plus haut et surmonté d’une<br />

étoile à huit raies, sommée d’un lion hissant (debout)<br />

tenant dans ses pattes une flamme. » Et du côté<br />

droit : armes Montepagano (voir infra).<br />

Cuttoli (de Coti) : « D’azur à la tour d’argent<br />

surmontée d’une balance d’or, au chef de Corse,<br />

d’argent à la tête de Maure de sable, tortillée du<br />

champ 2 ».<br />

Arrighi (in DEMARTINi F., op. cit.)<br />

Casta (de Santo Pietro di Tenda) : « Un homme<br />

d’armes campé sur ses pieds, tenant une bannière<br />

volant à dextre, surmonté de deux fasces en divise<br />

inclinées à senestre accompagnées au point du<br />

chef d’une tête de Maure » (ibid., p. 184).<br />

Chiappe 1 (Ajaccio) : 1563, armoiries apposées sur la<br />

façade de la Casa Chiappe à Ajaccio. Le blason<br />

Chiappe semble être un blason aux armes écartelées.<br />

Chiappe du côté gauche : « À senestre, une<br />

1. Voir aussi DEMARTINI F., op. cit., t. I, p. 210.<br />

De Cuttoli (in DEMARTINi F., op. cit.)<br />

Forcioli (de Forciolo) : « À la tour crénelée de cinq<br />

pièces, surmontée d’un oiseau contourné posé sur<br />

le second créneau et tenant dans son bec une rose<br />

au naturel, feuillée de six pièces, une tête de Maure<br />

tortillée posée dans l’embrasure de la porte 3 ». Le<br />

bandeau est sur le front.<br />

2. DEMARTINI F., op. cit., t. I, p. 258 ; BERTHELOT A. et CECCALDI F.,<br />

Les Cartes de la Corse de Ptolémée au XIX e siècle, Paris,<br />

Librairie Ernest Leroux, 1939.<br />

3. DEMARTINI F. , op. cit., t. I, p. 293, d’après une porte de<br />

placard sculptée aux armes, U Palazzu, à Forciolo.<br />

Marini (in COLONNA DE CESARI ROCCA, op. cit.)<br />

Marini (de Calenzana) : « D’argent à deux fasces<br />

d’azur, au chef d’azur chargé de deux<br />

têtes de Maure de sable affrontées,<br />

bandées d’argent et sommées<br />

chacune surmontée d’un croissant<br />

d’or ; brochant sur le tout, un pal de gueules<br />

chargé de trois fleurs de lys d’argent 4 . »<br />

Martini : « Une tête de Maure de sable<br />

bandée d’or ».<br />

Meuron (d’Ajaccio) : « D’or à la tête de<br />

Maure de sable ; à la bordure de sable<br />

chargée de coquilles de pèlerin<br />

d’argent 5 ». Variante : « À la tête de<br />

Maure au naturel, tortillée d’or, le<br />

bandeau sur les yeux, l’oreille ornée<br />

d’une perle et colletée d’un collier de<br />

perles 6 . »<br />

Meuron<br />

(in DEMARTINi F., op. cit.)<br />

4. COLONNA DE CESARI ROCCA P.-P. R., Armorial corse, op. cit., p. 51.<br />

5. DEMARTINI F. , op. cit.<br />

6. Règlement d’armoiries de la municipalité de Neufchâtel<br />

(Suisse) accordant en 1711 ces armoiries à la famille Meuron<br />

(Armorial neuchâtelois).<br />

7


Montepagano (de Bonifacio) : « Un château flanqué<br />

de deux tours, surmonté en chef d’une tête de<br />

Maure, tortillée, au-dessus de laquelle se trouve un<br />

listel chargé de ces mots “Sicut tenebre”. » On lit en<br />

dessous une devise gravée : Arma Chiappe Mt<br />

Pagana 1563. Retenons l’intéressante devise latine<br />

Sicut tenebre (comme l’ombre). Et pourtant, le<br />

bandeau ne cache pas les yeux 7 .<br />

Morazzani (in DEMARTINi F., op. cit.)<br />

Morazzani (de Monticello et de Morsiglia) :<br />

« D’argent à un arbre au naturel posé sur une<br />

montagne à six coupeaux, aux branches duquel<br />

sont suspendues, à dextre et à senestre par leurs<br />

bandeaux d’argent, deux têtes de Maure de sable, la<br />

face tournée vers la terre et affrontées. Le tout<br />

accompagné en chef de trois étoiles d’or 8 » .<br />

Mortini (in DEMARTINi F., op. cit.)<br />

Mortini (de Belgodère) : « Coupé 1 : D’or à une aigle<br />

de sable. 2. D’azur à une tête de Maure de sable<br />

bandée d’or et accompagnée et accostée de deux<br />

étoiles à six rais d’argent 9 ». À noter, le bandeau sur<br />

le front.<br />

Petriconi (comtes de) : On voit « trois têtes de<br />

Maure » sur les cachets du XVIII e siècle (de 1790<br />

notamment). À noter, le bandeau sur le front.<br />

Maurizio Simoni (v. 1600-ap. 1663) fut le premier à<br />

prendre le nom de sa propriété corse de Petriconi<br />

et à doter ses armoiries non pas d’une tête de<br />

Maure, mais de trois, comme sur le drapeau de<br />

Piero della Francesca en 1453-1466.<br />

Rocca-Serra (de Sartène) : « Sur fond d’azur, deux<br />

Maures affrontés, chacun brandissant un cimeterre,<br />

accostant un château donjonné de deux tours, sur<br />

une terrasse mouvementée, surmonté d’une<br />

balance mouvant d’un chef de gueules à l’aigle<br />

essorante 10 ».<br />

De Petriconi (in DEMARTINi F., op. cit.)<br />

De Rocca Serra (in DEMARTINi F., op. cit.)<br />

7. Cf. Armoiries Chiappe ci-dessus, écartelées en 1563 sur<br />

une façade d’Ajaccio.<br />

8. COLONNA DE CESARI ROCCA P.-P. R., Armorial corse, op. cit.,<br />

p. 54, armes accolées à celles des Fabiani.<br />

9. DEMARTINI F., op. cit., t. II.<br />

10. DEMARTINI F., op. cit., t. II, p. 394, d’après une copie d’un<br />

arrêt du Conseil supérieur de la Corse, donc fin XVIII e .<br />

8


un seul drapeau mais plusieurs têtes de maure…<br />

Pas de tête de Maure dans les blasons corses<br />

les plus anciens ?<br />

En Corse, aucune famille ancienne n’a cette tête de<br />

Maure dans ses armes. On ne retrouve cette figure chez aucun<br />

des grands seigneurs cinarcais qui combattaient les Génois au<br />

cri de « Vive l’Aragon » et qui recevaient d’Alphonse V d’Aragon :<br />

– des lettres d’anoblissement dans les années 1450 ;<br />

– des places de pages à Barcelone (les Istria) ;<br />

– voire le prénom du roi lors de leurs baptêmes, d’où le<br />

grand nombre d’Alphonse dans ces familles de feudataires,<br />

dont Alphonse d’Istria ou encore le maréchal Alphonse<br />

d’Ornano (Ajaccio 1548-Paris 1610), arrière-petit-fils<br />

d’Alphonse d’Ornano, assassiné à la Noël 1494 (le grand-père<br />

de Vannina).<br />

Vincentello d’Istria, vice-roi ou lieutenant du roi<br />

d’Aragon en 1420-1434 dans l’île, portait les bannières<br />

royales d’Aragon 6 , comme son oncle Arrigo della Rocca en<br />

1370, à savoir : Un acel griffone (un oiseau griffon) sur l’arma<br />

d’Aragogna 7 . Il échoua, tout comme l’escadre d’Alphonse V<br />

d’Aragon, à s’emparer de Bonifacio en 1420 (à cause de la résistance<br />

de la ville)… Ni Vincentello d’Istria ni Giovanni della<br />

Grossa ne mentionnent la tête de Maure.<br />

Quant aux Montepagano de Bonifacio, qui ont bien la<br />

tête de Maure sur leur blason, ce sont de bons Ligures de<br />

Sestri di Levante. Comme cela sera développé au chapitre<br />

suivant, la tête de Maure ne serait par conséquent pas forcément<br />

le signe d’une inféodation quelconque à l’Aragon.<br />

Peu de têtes de Maure donc sur les blasons corses. En<br />

revanche, le surnom de « Maure » peut être donné dans l’île.<br />

6. DELLA GROSSA Giovanni, Chronique de la Corse des origines à 1546, introduction,<br />

traduction et notes d’Antoine-Marie Graziani, Ajaccio Alain Piazzola, 2016. Il s’agit<br />

de l’édition critique.<br />

7. FILIPPINI Antonio Pietro, Istoria di Corsica, Lib. Terzo, Tournon, Claudio Michaeli,<br />

1594, p. 100. Édition originale publiée et financée par Alphonse d’Ornano (v.<br />

1548-1610), l’un des quatre maréchaux de France d’Henri IV qui créa la 4 e charge<br />

pour lui.<br />

9


aux origines de la tête de maure<br />

Ainsi, le premier Bonaparte installé en Corse début XVI e siècle,<br />

« arbalétrier » et « soldat à cheval », fut surnommé Francesco<br />

le Maure. Pourquoi ? Parce qu’il avait le teint basané, les yeux<br />

noirs et des cheveux de corbeau ? Parce qu’il était très prudent,<br />

la mûre (du latin morus) dans l’Antiquité étant symbole de<br />

prudence ? Ou parce qu’il aurait fait peindre chez lui des têtes<br />

de Maure, ce qui était fort à la mode lors de la Renaissance<br />

Italienne ? Peu auparavant, en 1467, le duc de Milan avait<br />

débarqué en Corse : il s’agit du frère de Ludovico Sforza, dit lui<br />

aussi « le Maure », peut-être parce qu’il avait des esclaves<br />

noirs ? Ou encore parce qu’il avait développé la culture du<br />

mûrier (morus) en Lombardie ? Curieusement, le premier<br />

Bonaparte, Francesco le Maure avait fait planter devant sa<br />

maison ajaccienne un mûrier, en attendant que Charles<br />

Bonaparte crée à la fin de sa vie une plantation de mûriers de<br />

23 hectares aux Salines ! Toujours est-il que ce neuvième aïeul<br />

de Napoléon s’appelle Francesco Buonaparte (Sarzane<br />

v. 1480-Ajaccio, 17 septembre 1540) « le Mauro » – ce qui a<br />

fait couler beaucoup d’encre, car certains auteurs, mal<br />

informés, ont même voulu faire croire que Napoléon descendait<br />

d’un Africain noir. Cet aïeul figure dans les preuves de<br />

noblesse faites en 1779 devant d’Hozier par Napoléon pour<br />

être admis à l’École de Brienne. C’était un habitant de Sarzane<br />

issu d’une longue lignée de notaires connus depuis 1264 8 . Son<br />

père 9 avait été présent à Calvi en 1483 en qualité de « facteur »<br />

(fattore) de Tomasino Campofregoso et en charge de la<br />

construction de l’enceinte de Bastia (la « Bastilla »). Francesco<br />

devrait-il son surnom au fait qu’il est parti servir dans l’île au<br />

drapeau « à tête de Maure » ? Ou à son lieu d’habitation, la<br />

strada Dritta ou rue Droite, actuelle rue Bonaparte, étant aussi<br />

la rue de la Casa Chiappe qui porte une tête de Maure sur le<br />

blason posé sur la façade ? Or, à Ajaccio, les notables<br />

8. Guglielmo en 1264/1278, Giovanni son fils en 1296, Giacopo son fils en 1324/1354,<br />

Nicolo son fils en 1361/1367, Giovanni son fils en 1397/1436, Cesare son fils en<br />

1440/1464, grand-père de Francesco « le Mauro ».<br />

9. Giovanni Bonaparte, mort avant le 23 avril 1512.<br />

10


un seul drapeau au mais plusieurs têtes de maure…<br />

La balance et la couleur rouge<br />

De 1370 à l’assassinat de Rinuccio della Rocca le<br />

12 avril 1511, Corses et Génois apposent ici ou là des<br />

armoiries. Après Arrigo della Rocca qui déploie sur<br />

sa bannière « un ucciello grifone » (1370), tous les<br />

premiers grands feudataires font peindre, graver,<br />

dessiner leurs armes : un Leca (1404), Vincentello<br />

d’Istria (1407, enseigne datée) ; un Cortinchi (1465),<br />

Rinuccio della Rocca (1492, 1498, 1499). La plupart<br />

s’imposent à leurs « sujets » en tant que juges<br />

(titre pisan), car les populations médiévales<br />

souffrent des guerres féodales. Les Corses rêvent<br />

de paix et de justice, laquelle est incarnée dans le<br />

nom du premier comte de Corse (1264-1289), Giudice<br />

maggiore, dont le frère Trufetta d’Ornano élimine<br />

les seigneurs Raimondacci. Trufetta, premier des<br />

Ornano. Giudice, père du premier della Rocca et du<br />

premier Istria. Pour s’imposer, tous promettent à<br />

ceux qui deviendraient leurs sujets une justice<br />

exemplaire, d’où la floraison des balances sur une<br />

vingtaine de blasons d’origine cinarchesa : « della<br />

Rocca, Rocca, Roccaserra, Cesari, Colonna de Cesari<br />

Rocca, Peretti, Peretti della Rocca, Pandolfi, Istria,<br />

Colonna d’Istria, Colonna d’Istria de Cinarca,<br />

Colonna de Bozzi della Foata, Colonna Renucci,<br />

Leca, Leca Cristinacce, Colonna de Leca Cristinacce,<br />

toutes localisées dans l’Au-delà des monts »<br />

(F. Demartini). Deux fois plus de « balance » que de<br />

« têtes de Maure » ! Balance que Théodore de<br />

Neuhoff reprit en 1736 comme symbole de l’ordre<br />

de la Rédemption, preuve de la pérennité de<br />

l’image. La balance et la couleur de gueules sont le<br />

vieux fonds initial de l’héraldique corse : la couleur<br />

rouge se trouve sur les blasons Bozzi, Cortinchi,<br />

Leca, Ornano. Mais les Corses ne sont pas les seuls<br />

Blason de la famille Rocca<br />

(pierre commémorative à Casalabriva<br />

de Jean-Baptiste, baron de Cesari,<br />

maréchal de camp, in COLONNA DE CESARI ROCCA,<br />

Armorial corse, op. cit.).<br />

à porter des armoiries dans l’île. Les Génois<br />

gravent aussi leurs propres blasons : un Cattacciolo<br />

de Bonifacio (1415), les Fieschi (1443), les Soprani<br />

(1443), un Spinola de Savone (1457), un Salvago<br />

(1488), etc.<br />

donnaient leur nom aux rues dans le langage quotidien : rue<br />

Malherbe (où résidait le notaire Malherbe dès la fondation de<br />

la ville en 1492), rue Scaffa (où résidait notre ancêtre le<br />

notaire Scaffa), rue Troïlo Lubero (où résidait le notaire de ce<br />

nom, ancêtre de Napoléon comme le notaire Malherbe).<br />

Comme les Chiappe de 1545/1563 ci-dessus, il n’était aucunement<br />

inféodé à l’Aragon en tout cas, puisque « mercenaire de<br />

l’Office de Saint-Georges » ; pas plus que sa belle-famille – sa<br />

femme est fille du greffier de l’Office de Saint-Georges en<br />

Corse 10 et petite-fille, par sa mère, de Barnabo Cuneo qui a<br />

combattu en Corse comme « soldat », en 1488, et contre le<br />

grand seigneur feudataire Giovan Paolo de Leca !<br />

10. Guido da Casteletto.<br />

11


aux origines de la tête de maure<br />

Un bel exemple<br />

de tête de Maure<br />

« blanche » (XV e siècle) :<br />

homme sauvage portant deux écus<br />

dont un orné d’un lièvre et l’autre à tête de Maure<br />

blanche. Le graveur, Martin Schongauer (initiales<br />

au bas de la gravure), né à Colmar (alors allemand),<br />

originaire d’Augsbourg, formé à Leipzig, est mort<br />

en 1491. Maître de la gravure rhénane, il inspira Dürer.<br />

Une représentation présente surtout en Suisse<br />

ou en Prusse<br />

Le très célèbre Armorial général de J.-B. Rietstap 11 ,<br />

publié en 1884-1887, cite 80 blasons familiaux avec tête de<br />

Maure 12 (une, deux ou trois). Mais l’essentiel de ces têtes<br />

de Maure se trouve en Suisse, en Prusse, dans les États<br />

allemands 13 . Les Meuron ajacciens qui portent à partir<br />

de 1711 une tête de Maure sur leur écu sont des<br />

Suisses arrivés de Neufchâtel où un règlement<br />

d’armoiries de cette année-là leur a été accordé. À<br />

retenir aussi : les armoiries des Gentile, seigneurs<br />

feudataires de Brando, Nonza, Canari, Pietra-<br />

Corbara, Erbalunga sont celles… des comtes de<br />

Genève !<br />

Curieusement pour nous, contemporains,<br />

la tête de Maure en Corse n’a jamais figuré au<br />

nombre des armes significatives. En Italie, en<br />

revanche, porter une tête de Maure se fait dans<br />

nombre de familles : Mori, Mauri, Morelli ou Morari ;<br />

Morando (à Gênes). En France aussi, avec une tête de<br />

Maure blanche (les Moreau de Brosse ; les Morelet de<br />

Couchey 14 ). Et surtout en Allemagne (les Mornukopf<br />

11. RIETSTAP J.-B., Armorial général. Précédé d’un Dictionnaire des termes du blason, 2 vol.,<br />

Gouda, G. B. Van Goor Zonen, 1884-1887.<br />

12. Le Dictionnaire des figures héraldiques du comte Théodore de Renesse (Bruxelles,<br />

Société belge de librairie, 1892-1903, 7 vol.) ne cite que 43 blasons avec tête de<br />

Maure. Pierre Antonetti écrivait en 1980, en ne citant pas ses sources : « Au<br />

XVIII e siècle, la tête de Maure se répand à travers toute l’Europe occidentale sur les<br />

blasons des familles nobles d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne, de<br />

France : rien qu’en Normandie, un armorial du XVIII e siècle indique plusieurs<br />

familles, dont des bourgeois enrichis » (p. 20).<br />

13. En « terre ferme », les blasons ornés de tête de Maure sont donc sept fois plus<br />

nombreux qu’en Corse : familles Clavvet, Donaes (dans les Flandres), Apchier,<br />

Biesy, Bizet, Brunicard, etc.<br />

14. Les Morelet de Couchey qui portent à Dijon, en 1669, lors de la Grande Réforme de<br />

la noblesse colbertienne « une tête de Maure d’argent liée de gueules » (armes<br />

parlantes : « Morelet, alias More lié »). Il est vrai que la Bourgogne a longtemps<br />

appartenu aux Habsbourg et que Charles Quint en 1526 espérait encore se faire<br />

inhumer à Dijon auprès des ancêtres de sa grand-mère paternelle, Marie de<br />

Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, dont il perpétuait le prénom.<br />

12


un seul drapeau mais plusieurs têtes de maure…<br />

En haut : Deux occurrences avec têtes de Maure pour<br />

la Maison Morelet dans l’Armorial général. « D’azur, à une teste de<br />

more d’argent, liée de gueules » (HOZIER Charles, Armorial général de<br />

France. Recueil officiel dressé en vertu de l’édit de 1696, t. I, Dijon,<br />

Henry Bouchot, 1875, p. 9, VI Bourgogne (duché) p. 811).<br />

Ci-contre : Généalogie et armes de la Maison Morelet (détail).<br />

Preuves de noblesse de la famille Morelet produites en 1668 lors<br />

de la Grande Ordonnance pour la réformation de la noblesse voulue<br />

par Colbert, ayant donné lieu à un arrêt de maintenue de noblesse,<br />

par lettres patentes de Louis XIV, en janvier 1669, remis à la famille<br />

par Claude Bochu, intendant de Bourgogne. Ces armoiries, d’azur<br />

à une tête de Maure d’argent liée en diadème de gueules,<br />

sont « parlantes », le patronyme familial étant évoqué par<br />

la figuration de Maures (ou Mores) : tête liée occupant le champ<br />

de l’écu ainsi que le sommet du heaume qui le surmonte, personnages<br />

en pied qui lui servent d’encadrement ou de supports héraldiques.<br />

La tradition familiale rapportait en effet que Guillaume Morelet,<br />

le premier ancêtre cité dans le tableau, avait accompagné Hugues IV,<br />

duc de Bourgogne, à la première croisade de saint Louis en 1248, et,<br />

après avoir fait prisonnier deux Sarrasins, les avait fait baptiser à<br />

Jérusalem. D’où la croix potencée que portent sur leur poitrine<br />

les deux Maures, et aussi la couleur même de leur peau, qui,<br />

au lieu de sombre ou noire, est claire (gris, figurant l’argent).<br />

C’est ce qu’explique la devise héraldique (qui vise l’âme des Maures) :<br />

Mutarunt Solymis lustrali fonte colorem (« Ils ont changé de couleur<br />

dans l’eau lustrale à Jérusalem »). (Source : archives.cotedor.fr, site<br />

des archives départementales de la Côte-d’Or)<br />

13


aux origines in<br />

de la tête de maure<br />

d’Augsbourg) et en Suisse (les Saguierrreau-Farseaux, les<br />

Seydevvitz, les Spysser, les Surreau-Farseaux, les<br />

Therovenne).<br />

Les principales thématiques des blasons corses<br />

Les animaux<br />

dans les blasons corses<br />

Le lion, symbole de la force : sur 128 blasons.<br />

L’aigle : sur 21 blasons.<br />

La colombe : sur 8 blasons.<br />

Un chien ou un cheval : 9 blasons chacun.<br />

Un serpent, un agneau : six fois chacun.<br />

Un coq : cinq fois.<br />

Une abeille : trois fois, mais Napoléon en fera<br />

le symbole de l’Empire.<br />

Un cygne ou des coquillages : deux fois.<br />

Un cerf : deux fois, à Caccia et à Vico.<br />

Une chouette, un lapin, un lézard,<br />

une perdrix : une fois chacun.<br />

Un ours : deux fois.<br />

Le mouflon n’est introduit qu’une fois,<br />

tardivement. Avec quelques variantes :<br />

des étoiles dans le chef.<br />

Les premières armoiries familiales corses sont<br />

figuratives : on dessine sur son blason une colonne (Colonna),<br />

ou sa propre tour 15 , souvent auprès d’un arbre (Lucchetti de<br />

Bettolacce de Rogliano) ; on y ajoute des créneaux de forme<br />

carrée « à la guelfe », ou bifides « à la gibeline » (les feudataires<br />

de La Rocca, les seigneurs d’Ornano, les Murati de<br />

Muro). Parmi les arbres, citons particulièrement le pin<br />

parasol, qui apparaît seize fois ! Le cyprès, huit fois ; le<br />

palmier, le poirier et le chêne : trois fois chacun ; le genêt, le<br />

mûrier, le myrte : deux fois chacun ; le pied de vigne : sept<br />

fois ; le buis, le châtaignier (blason Castagnola, d’origine<br />

génoise), le hêtre, le figuier, l’olivier, le prunier, le sorbier, le<br />

laurier : une fois seulement !<br />

Le blason corse initial – après la justice (symbolisée<br />

par la balance médiévale) – veut donc représenter avant tout<br />

la force. La force et la justice : en Corse, le premier sceau<br />

connu et daté est celui de Giovanninello di Loreto (1289), cinq<br />

ans après la victoire génoise de la Meloria sur les bateaux<br />

pisans (1284). Les Génois sont alors installés à Bonifacio<br />

(1195) et au nord du Cap Corse (à Rogliano, capitale des Da<br />

Mare dès 1246). Seul le blason non daté des marquis de Massa<br />

renvoie à une implantation seigneuriale antérieure<br />

(XI e siècle). Le second témoignage héraldique insulaire (1343)<br />

est une inscription consacrée à un Génois : Giovanni Saliceto.<br />

Dominent sur la plupart des blasons la force militaire<br />

(le lion, l’aigle), la puissance et l’éclat (la fleur de lys, symbole<br />

royal). La paix, symbolisée par une colombe ou un rameau<br />

d’olivier tenu par une colombe, est quasi absente. Le blason<br />

15. Voir les études sur les fortifications corses commencées par Fréminville, continuées<br />

par Meria et la FAGEC, notamment les Cahiers Corsica n o 106-111.<br />

14


un seul drapeau mais plusieurs têtes de maure…<br />

corse illustre surtout la résistance et la guerre : tours, châteaux,<br />

fortifications. Si l’humain apparaît – rarement – sous la forme<br />

de trois guerriers en pieds, de deux cavaliers ou de deux<br />

Maures terrassés, sur six blasons, le bras tient une arme. On<br />

trouve dix-huit fois l’épée, une fois un cimeterre, trois fois la<br />

masse d’armes, trois fois un canon, une fois une arbalète.<br />

Heaume et casque sont figurés deux fois. « Cette vocation<br />

militaire est en outre présente autour de l’écu accompagné de<br />

trophées militaires » (F. Demartini) une trentaine de fois :<br />

boucliers, couleuvrines, épées, hallebardes, lances, piques,<br />

étendards, puis bombardes, écouvillons, guidons, mortiers,<br />

boulets de canon, canons.<br />

Rare en Corse, ne figurant que sur 13 blasons<br />

familiaux, la tête de Maure est, on le voit, majoritairement<br />

« étrangère » à l’île, même si un Maure est représenté en<br />

entier sur le blason des Rocca-Serra de Sartène.<br />

Notre ignorance de la chronologie<br />

de la tête de Maure<br />

Peintes, gravées, sculptées, les armoiries corses<br />

connaissent nombre de variantes et constituent un élément de<br />

décoration amplifié par les manteaux, lambrequins, cimiers,<br />

supports et colliers de différents ordres qui accompagnent et<br />

entourent l’écu, représenté par exemple sous un heaume, sur<br />

une croix de Malte ou une croix de l’ordre de Saint-Étienne<br />

(souvent confondu aujourd’hui avec le précédent du fait de sa<br />

croix à huit pointes), ou sur un bouclier, parce que les armoiries<br />

semblent héritées des enseignes militaires.<br />

Ces emblèmes en couleurs (les émaux), devenus<br />

héréditaires dans les familles entre 1100 et 1130, n’existent pas<br />

en Corse à pareille époque, à ce que l’on sait. Initialement<br />

propres à des chevaliers armés sur le champ de bataille, ces<br />

armoiries sont devenues en Occident le symbole d’une famille<br />

(incluant femmes, clercs…), d’une communauté (villes,<br />

corporations) à partir du XII e siècle ; puis des élites de la société,<br />

aux XVII e et XVIII e siècles surtout. Lions, aigles et dragons<br />

15


aux origines de la tête de maure<br />

La fleur de lys capétienne, une chronologie connue<br />

apparaissent parmi les emblèmes les plus anciens, de même<br />

que la balance (symbole de justice en Corse) ou la colonne (sur<br />

les blasons Colonna : Colonna d’Ornano, Colonna d’Istria).<br />

Les lettres patentes d’anoblissement concédées par<br />

le roi et qui s’accompagnaient de règlements d’armoiries<br />

n’existent pour ainsi dire pas en Corse. Résultat, dans l’île, en<br />

dehors de quelques grandes familles seigneuriales (Da Mare,<br />

Gentile), l’origine des armoiries en général, et celle de la tête<br />

de Maure en particulier, est difficile à préciser. On ne sait pas<br />

de quand datent les armoiries de famille. Du XVI e siècle ? Ou<br />

avant ? Ou d’une période postérieure (XVII e -XVIII e siècle).<br />

Certaines ne sont attestées que par des cachets tardifs (fin<br />

XVIII e , Consulat) ou par des pierres tombales récentes<br />

(XIX e siècle).<br />

Une immense ignorance chronologique entoure donc<br />

la tête de Maure dans l’île, surtout si nous la comparons avec<br />

la fleur de lys, qui symbolise la monarchie française.<br />

<br />

1147 La fleur de lys devient le symbole de la<br />

dignité capétienne (Louis VII).<br />

1285 Philippe III réduit le nombre des fleurs de<br />

lys à trois sur le sceau royal, alors qu’elles<br />

étaient semées à profusion sur le manteau<br />

du sacre de Philippe Auguste.<br />

1535 Par mandement, François 1 er veut réserver<br />

le timbre (heaume ou couronne) aux<br />

armoiries des nobles. Mais il n’est guère<br />

obéi, nombre de roturiers aimant à faire<br />

figurer cet ornement sur leurs armoiries.<br />

1615 Louis XIII crée un juge d’armes qui<br />

approuve les armoiries concédées par le<br />

roi et celles des nouveaux anoblis. Il les<br />

conserve au Cabinet des titres.<br />

1696 Louis XIV cherche par l’édit de novembre à<br />

réglementer l’utilisation des armoiries<br />

dans un objectif fiscal. Il crée l’Armorial<br />

général de France ou dépôt public des<br />

armes du royaume. Leurs détenteurs<br />

doivent les faire enregistrer.<br />

1697 Louis XIV, par arrêt, interdit à tout sujet le<br />

port d’une fleur de lys d’or sur champ<br />

d’azur.<br />

1790 Par décret du 19 juin, l’Assemblée constituante<br />

abolit les armoiries.<br />

1791-1792 Plusieurs décrets ordonnent la<br />

destruction des armoiries.<br />

1814 Louis XVIII exige que les villes, associations,<br />

académies, sociétés et firmes<br />

commerciales ne puissent prendre<br />

d’armoiries qu’avec l’accord de l’État.<br />

1936 L’épouse n’a droit aux armes du mari qu’à<br />

titre viager. Le mari peut porter les armoiries<br />

de l’épouse associées aux siennes et à<br />

titre personnel (arrêt de la cour d’appel de<br />

Paris du 25 mai).<br />

De nos jours Les familles restent propriétaires de<br />

leurs armoiries car elles sont « le nom<br />

dessiné et colorié ». Les tribunaux civils sont<br />

compétents pour statuer sur les usurpations.<br />

La chancellerie ne délivre ni concession,<br />

ni autorisation, ni confirmation.<br />

16


Une tête de Maure<br />

pour deux traditions<br />

une tête de maure pour deux traditions<br />

La tête de Maure corse émanerait<br />

de deux traditions, l’une ibérique,<br />

l’autre allemande 1 . C’est sans doute<br />

vers cette conclusion qu’il faudra<br />

s’acheminer.<br />

La tradition ibérique semble vouloir<br />

représenter un Sarrasin à travers la tête<br />

de Maure. Donc un ennemi religieux<br />

du chrétien. Mais dans la tradition<br />

helvéto-germanique, cette figure ferait<br />

référence à saint Maurice…<br />

La symbolique est donc<br />

tout à fait différente…<br />

Sceau de Pierre IV d’Aragon<br />

(1319-1387)<br />

1. Le musée de la Corse à Corte a consacré à la tête de Maure une<br />

magnifique exposition et nous y avons beaucoup travaillé sous<br />

l’autorité de Marie-Eugénie Poli-Mordiconi et de toute l’équipe du<br />

musée, en collaboration avec Michel Popoff, alors conservateur en<br />

chef du département des Médailles à la Bibliothèque nationale de<br />

France. Le splendide catalogue est toujours disponible sous le titre<br />

E Figure di a Corsica, symboles, emblèmes et allégories (Ajaccio, Museu<br />

di a Corsica/Albiana, 2018, 240 pages).<br />

La tradition ibérique<br />

Sur les armes de l’Aragon<br />

DE 1281 À 1387 – Quat re t êt es de Maure figuraient en<br />

1281 sur le premier sceau aragonais en plomb de Pierre III<br />

(1239-1285), roi d’Aragon, de Valence, de Majorque, de Sicile,<br />

autour d’une croix de gueules de Saint-Georges (dite « croix<br />

d’Alcoraz »), en souvenir de la victoire en 1096 de Pierre 1 er<br />

d’Aragon (1068-1104) à la bataille d’Alcoraz. Ce dernier y aurait<br />

vaincu le roi maure de Saragosse (Al-Mustain) et ses alliés<br />

chrétiens castillans, avec son demi-frère, futur Alfonse 1 er ,<br />

grâce à une apparition de saint Georges. Ont-ils trouvé sur le<br />

champ de bataille quatre têtes coupées de rois<br />

maures portant toutes un turban orné de pierreries<br />

? Ce sceau fut utilisé par Pierre IV (1319-<br />

1387), roi de quatre royaumes (Aragon,<br />

Valence, Majorque, Sicile) qui occupa la<br />

Sardaigne à partir de 1354. Ce dernier imposa<br />

par une ordonnance, rédigée en catalan, que<br />

son sceau royal porte sur une face l’image du<br />

roi et sur l’autre : « les armes d’Aragó, que són<br />

aytals : una creu per mig del scut, e a cascun carté un cap<br />

de Sarray (les armes d’Aragon, qui sont telles : une croix au<br />

milieu de l’écu et de chaque côté une tête de Sarrasin) ».<br />

Notons qu’il écrit en catalan Sarray (Sarrasin). Mais pas<br />

Morrus ou Morros (Maure). Mais en 1387, son fils Jean 1 er (1350-<br />

1396) porte : « D’or à quatre pals de gueules ».<br />

17


aux origines de la tête de maure<br />

SUR UN ARMORIAL DE 1536 – Si la tête figure<br />

un ennemi religieux, il arrive qu’on le représente un<br />

filet sanglant à la base du cou, témoignage d’une<br />

décapitation violente. Ainsi, en 1536, dans l’Armorial<br />

d’Aragon, de Gaspar de Torres. L’image représente-telle<br />

les quatre rois maures tués en 1096 ? Ou fait-elle<br />

allusion à Yolande d’Aragon 2 (1381-1442), petite-fille<br />

de Pierre IV (celui du sceau), appelée « la reine aux<br />

quatre royaumes » (Aragon, Valence, Sardaigne,<br />

Majorque), ceux de son père Jean 1 er , qu’elle revendique,<br />

comme plus tard les revendiquera son fils le roi<br />

René, comte de Provence. Les quatre têtes de Maure<br />

sont en effet représentées avec une couronne en plus<br />

du bandeau blanc.<br />

Armorial d’Aragon de Gaspar de Torres, 1536<br />

Écu avec la croix de Saint-Georges (Archives historiques de la province<br />

de Saragosse, Biblioteca Virtual de Derecho Aragonés). Il s’agit en Aragon<br />

de têtes coupées, le sang étant même représenté à la base du cou.<br />

Blason actuel de la Communauté<br />

autonome d’Aragon<br />

1) Blason du royaume légendaire<br />

de Sobrarbe. 2) Blason avec la croix<br />

du roi Inigo Arista. 3) Blason à quatre<br />

têtes de Sarrasins barbus.<br />

4) Blason aux bandes (des pals)<br />

de gueules et d’or de la dynastie d’Aragon,<br />

commun avec la Catalogne.<br />

ENCORE EN 2023 – Les quatre têtes se<br />

retrouvent aujourd’hui sur le blason de la Communauté<br />

autonome d’Aragon, constitué des quatre blasons<br />

historiques de l’Aragon. Il est à noter que les têtes<br />

représentées sur le blason sont fort différentes de la<br />

tête noire corse imberbe avec le bandeau blanc. Ces<br />

Sarrasins à la peau blanche arborent un turban et un<br />

collier de barbe – certains appellent aujourd’hui les<br />

musulmans très religieux « les barbus ». Le Maure,<br />

lui, est toujours imberbe !<br />

Sur les armes du Portugal<br />

La péninsule Ibérique ayant été occupée par<br />

les musulmans de 711 à 1492, les Sarrasins y ont été<br />

omniprésents. Mais, sur les armes du Portugal, qui a<br />

découvert l’Afrique noire à partir de 1415, on voit un<br />

Noir et non un Sarrasin.<br />

Quant au bandeau, ou tortil, c’est une constante<br />

chez les pirates et corsaires. Porté au-dessus des<br />

2. Petite-fille de Pierre IV roi d’Aragon, de Valence, de Majorque, de<br />

Sardaigne, et d’Éléonore (fille du roi de Sicile).<br />

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une tête de maure pour deux traditions<br />

sourcils, il empêche la sueur et l’eau de mer de couler et de<br />

piquer les yeux.<br />

La Corse, « possession aragonaise »,<br />

vue par l’Armorial de Gelre<br />

L’auteur de l’Armorial de Gelre, Claes Heinen ou<br />

Heynenszoon 3 , héraut d’armes flamand, est le spécialiste du<br />

blason et des règles à observer dans les tournois du duc de<br />

Gelre, province des Pays-Bas, d’où le nom de l’ouvrage. Ce<br />

dernier, conservé à la bibliothèque royale de Bruxelles (ms.<br />

15 652-56), est l’un des plus importants armoriaux médiévaux<br />

: 121 folios, 6 parties, 1755 blasons de toute l’Europe,<br />

avec une prédilection pour les pays flamands et rhénans.<br />

Recueil d’armoiries médiévales le plus connu, il compte<br />

parmi les plus anciens conservés à l’état d’original. Armorial<br />

universel, compilé, il a fait l’objet d’une magnifique étude de<br />

Michel Popoff, conservateur en chef du département des<br />

Médailles à la BnF.<br />

Entre 1370 et 1414, un folio de l’Armorial de Gelre<br />

reproduit les possessions de la couronne d’Aragon. La Corse y<br />

figure 4 car elle est revendiquée par le roi d’Aragon depuis<br />

1297-1298. On voit sur l’Armorial (cf. page suivante) les<br />

éléments suivants…<br />

– Les armes d’Aragon portées par Arrigo della Rocca,<br />

c’est-à-dire un ucciello grifone (en 1370) ; armes<br />

portées ensuite par son neveu Vincentello d’Istria en<br />

1420-1434.<br />

Armes du royaume de l’Algarve (Portugal) de 1249 à 1910<br />

« Écartelé, en I et IV d’or à la tête de Maure de sable et tortillée<br />

aussi d’argent, en II et III de gueules [ici d’azur] à la tête d’un roi<br />

chrétien couronné en or » (source : Armorial du Portugal, Wikipédia).<br />

Il s’agit au Portugal de têtes coupées, les Portugais ne reprenant<br />

Lisbonne aux Maures qu’en 1147 (date de l’érection de la cathédrale)<br />

et les Algarves qu’en 1279. Le phénomène de reconquista chrétienne<br />

a été en revanche ignoré en Corse malgré les razzias<br />

barbaresques (ultérieures).<br />

3. Il est aussi roi d’armes des Ruyers, par concession du duc de Brabant et de Basse-<br />

Lorraine, marquis du Saint-Empire ; les Ruyers étaient une désignation appliquée à<br />

la noblesse germanique qui s’opposait aux Poyers, noblesse de l’en deçà du Rhin.<br />

4. Ce serait sous Édouard III d’Angleterre (1312-1377) que la tête de Maure aurait déjà<br />

symbolisé, pour la première fois, l’île de Corse dans un armorial d’outre-Manche,<br />

d’après Michel Popoff, conservateur en chef du cabinet des Médailles à la BnF<br />

(Paris), informé par un collègue héraldiste après la parution du catalogue de l’exposition<br />

du musée de la Corse, à Corte. Nous le remercions ici. Cf. Armorial de Gelre,<br />

POPOFF M. (publ .) et PASTOUREAU M. (présent.), Paris, Le Léopard d’or, 2012.<br />

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aux origines de la tête de maure<br />

L’Armorial de Gelre représentant<br />

les possessions de la couronne d’Aragon<br />

entre 1370 et 1414 ainsi que ses prétentions<br />

sur l’île de Corse, offerte par le pape<br />

à l’Aragon (folio 62 recto).<br />

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