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Histoire_climatique_extrait

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L’HISTOIRE CLIMATIQUE<br />

DE LA CORSE<br />

De la Belle Époque à 1914<br />

Sous la direction<br />

de Denis Jouffroy<br />

UNIVERSITÀ DI CORSICA


L’histoire <strong>climatique</strong> de la Corse<br />

de la Belle Époque 1890-1914<br />

Jalons pour une histoire environnementale<br />

de la Corse


L’histoire <strong>climatique</strong> de la Corse<br />

de la Belle Époque 1890-1914<br />

Jalons pour une histoire environnementale<br />

de la Corse<br />

B3C – Boost Cultural Competence in Corsica<br />

est cofinancé par la Collectivité de Corse.<br />

UNIVERSITÀ DI CORSICA


Direction scientifique : Denis Jouffroy, maître de conférences 73 section CNU, Università<br />

di Corsica Pasquale Paoli, UMR CNRS 6240 LISA. Inspé di Corsica. Ses travaux portent<br />

sur l’histoire environnementale de la Corse, de la Modernité à nos jours.<br />

Corédaction : Fabien Gaveau, professeur agrégé d’histoire en CPGE, docteur en histoire,<br />

chercheur associé au CNRS UMR 6298 ArTeHis-Dijon. Ses travaux portent sur l’histoire<br />

sociale, politique et environnementale des sociétés rurales (xviii e -xix e siècles).<br />

Participation : Laetizia Castellani, professeur certifiée d’histoire-géographie, docteure en<br />

histoire, Università di Corsica, UMR CNRS 6240 LISA. Ses travaux portent sur l’histoire<br />

économique et sociale de la Corse (époques moderne et contemporaine).<br />

Coordination administrative et juridique et technique de l’ouvrage :<br />

Mathieu Laborde, IR UMR CNRS 6240 LISA<br />

Sébastien Pedinielli, IE UMR CNRS 6240 LISA<br />

Théo N-Guyen-Van-Hoan, IE UMR CNRS 6240 LISA<br />

Remerciements<br />

Mathieu, véritable cheville ouvrière à la genèse du projet, Sébastien au cœur du suivi du<br />

projet et Théo en soutien des derniers jours, vous êtes sincèrement remerciés en mon nom<br />

et au nom de l’équipe rédactionnelle… Di core !<br />

Je tiens à remercier Sébastien Quenot pour son soutien permanent en tant que responsable<br />

du programme B3C et Eugène Gherardi en sa qualité de directeur du LISA pour sa<br />

bienveillance et son appui constants.<br />

Je souhaite également souligner l’esprit de collaboration et le travail réalisé avec avec la<br />

DRTI de l’Università et les services des Archives territoriales de Corse. Et la bibliothèque<br />

patrimoniale de Bastia.<br />

Je remercie tout particulièrement les éditions Albiana. Un ringraziu tamantu à Bernard<br />

Biancarelli…


INTRODUCTION<br />

« ’’Qui veut mentir n’a qu’à parler du temps’’ dit un proverbe. Eh bien, parlons-en et<br />

gardons-nous de mentir. »<br />

La Science française, vendredi 4 février 1898<br />

« Gardons-nous de mentir » alors, et livrons le produit d’une recherche réalisée dans<br />

le cadre des travaux développés dans le projet B3C porté par l’UMR CNRS 6240 LISA de<br />

l’università di Corsica, financé par la Collectivité de Corse. Dans ce travail à plusieurs mains<br />

associant cette équipe du LISA et un membre d’un centre dijonnais dédié à la « Fabrique du<br />

paysage », l’objet est de saisir ce qu’a été et ce qui est souvent présenté comme une toile de fond<br />

tenant au mieux la place d’un décor mouvant pour les populations : le temps. Mot singulier<br />

que celui-ci pour un historien. Il qualifie, en effet, un état, une durée, un écoulement. Mais,<br />

au quotidien, il est surtout ce « temps » sur lequel les conversations s’ouvrent pour parler<br />

« de la pluie et du beau temps », d’emblée une prise de position qui rejette pour certains<br />

dans le « mauvais » l’apport de l’eau, pourtant indispensable à toute vie, mais qui signifie des<br />

situations différentes : le « beau » des uns n’est pas celui des autres ! Le vent hivernal gêne<br />

davantage le pêcheur que les céréaliculteurs. Tension existentielle ! Mais ce sont bien ces<br />

deux temps que nous allons mêler, car il est plus que jamais important de rappeler que l’un<br />

ne saurait se passer de l’écoulement de l’autre.<br />

Au cœur de ce livre se place le temps météorologique, plus précisément envisagé sous la<br />

forme de l’aléa, c’est-à-dire ce qui survient au fil du temps, perçu celui-là d’après les calendriers.<br />

L’Académie française définit l’aléa comme un « hasard favorable ou, plus souvent, défavorable ;<br />

incertitude due au hasard ». Aléas et non catastrophes, car seuls les plus rudes des premiers<br />

produisent des effets qui sont les secondes. De la statistique à la thermodynamique, l’aléa est<br />

un phénomène dont l’intensité varie. L’aléa « neige » s’exprime différemment selon les années<br />

en un lieu donné. L’expression habituelle des phénomènes, de leur succession et de leur retour<br />

qualifie ordinairement la « normalité ». Préparée du mieux qu’elle le pense à cela, une société<br />

est parfois surprise par l’aléa inimaginable, très improbable, ou oublié. Étudier la manière de


8 Introduction<br />

9<br />

penser la « norme » se joue donc dans un rapport avec ce que les sources décrivent comme du<br />

« jamais vu », ce dont, « de mémoire d’homme », nul ne peut témoigner.<br />

Souvent, les sources mentionnent ces expressions, bien vivantes encore, pour qualifier<br />

l’effet de sidération face à la puissance d’un phénomène. L’historien Serge Bouchet s’y est<br />

intéressé dans les chroniques italiennes du xiv e au xvi e siècle. Il note déjà le lien avec l’insolite<br />

et l’exceptionnel qui « prend des sens divers selon le contexte 1 ». Il s’agit, pleinement, de<br />

ce qui sort de l’ordinaire, l’extraordinaire. Anouchka Vasak analyse ainsi la perception des<br />

variations météorologiques à la charnière des xviii e et xix e siècles 2 . De même, Emmanuel Le<br />

Roy Ladurie a profondément éclairé ces aspects dans la vaste somme de l’<strong>Histoire</strong> humaine<br />

et comparée du climat 3 . Il a été un des pionniers en histoire pour mieux saisir le poids de la<br />

constante interaction entre la société et l’atmosphère dans laquelle elle évolue. Quelle que<br />

soit l’époque et quelles que soient les tentatives de compréhension des faits en cause, il reste<br />

constamment une part d’étonnement qui se demande si de tels événements ne sont pas des<br />

signes d’autres mutations plus profondes du monde. Les années 1750 forment le printemps<br />

de ce désir de trouver les règles de nature. La quête des données débute vraiment, et avec elle<br />

une réflexion pour les mieux mesurer. Les décennies qui suivent, jusqu’à nos jours, portent<br />

toujours le souci d’affiner les grilles descriptives. Toute mesure est un étalonnage à partir<br />

d’une référence plus perceptible par l’esprit humain. La comparaison apprivoise l’étrange.<br />

Les années 1 890 entreprennent un effort considérable pour enregistrer, décrire, comprendre<br />

les phénomènes atmosphériques. Vient la mise en série des données, qui permet d’évaluer<br />

ce qui est normal et ce qui ne l’est pas.<br />

Le cadre chronologique de l’ouvrage est précisément celui où s’approfondit cet effort,<br />

en lien avec le Bureau central météorologique de Paris. Ce dernier encourage les autorités<br />

à installer des stations météorologiques. Jusqu’en 1914, les données se multiplient. De son<br />

côté, la géographie affine les caractères des climats, en associant deux ensembles d’éléments.<br />

Le premier tient aux lieux : la localisation sur le globe, le terrain, son paysage, l’exposition<br />

au soleil, l’altitude. Le second tient aux mouvements de l’atmosphère : les courants de l’air,<br />

leur orientation, leur intensité et les températures, elles-mêmes observées au fil des saisons.<br />

La combinaison de ces deux familles dessine un vaste puzzle, chaque pièce partageant des<br />

traits avec ses voisins. Mais chacune est aussi sous l’influence de ce que produit son voisinage,<br />

affaiblissant ou accentuant l’expression de certains aspects. La confrontation générale des<br />

données fait émerger une image des grands paramètres habituels dans une zone donnée.<br />

C’est à ce travail de titan que les savants des années 1 890 s’emploient. Ils collectionnent les<br />

1 Serge Bouchet, « De mémoire d’homme… Le “Jamais vu”. Phénomènes exceptionnels, admirables<br />

et inquiétants chez les chroniqueurs du xiv e au xvi e siècle », Travaux & Documents, Université de<br />

La Réunion, faculté des lettres et des sciences humaines, 2013, p. 102.<br />

2 Anouchka Vasak, Météorologies. Discours sur le ciel et le climat, des Lumières au romantisme, Paris,<br />

Honoré Champion, 2007, 533 pages.<br />

3 Emmanuel Le Roy Ladurie, <strong>Histoire</strong> humaine et comparée du climat, t. 1, Canicules et glaciers xiii e -<br />

xviii e siècles, Paris, Fayard, 2004, 743 pages ; t. 2, Disettes et révolutions 1740-1860, 2006, 611 pages ;<br />

t. 3, Le Réchauffement de 1860 à nos jours, Paris, Fayard, 2009, 463 pages.<br />

informations, les font parler, les analysent, les questionnent. Les gouvernements, les milieux<br />

d’affaires et les populations s’y intéressent, pour mieux prédire le temps au jour le jour et<br />

pour apprécier l’écart à la « normale ».<br />

Or, les stations d’observation capables de nourrir cette curiosité demeurent peu<br />

nombreuses. Les données manquent donc pour affiner ce qui est d’abord connu « de mémoire<br />

d’homme ». Aussi est-il utile d’examiner comment s’appréciait le « temps qu’il fait » avant<br />

que ne s’établissent des références devenues celles des « normales », un temps « moyen »<br />

caractéristique de l’expression d’un « climat ». Pour le dire autrement, à quoi ressemble ce<br />

temps, puisqu’il n’existe pas alors de données permettant d’apprécier réellement les choses,<br />

« scientifiquement parlant » comme certains aiment à le dire ?<br />

La Corse est un cadre exceptionnel en la matière. Son climat est méditerranéen. Il<br />

épouse l’image que chacun veut bien s’en faire, turbulent souvent, chaud durant des mois,<br />

sec jusqu’à la sécheresse d’été, avec des intersaisons pluvieuses, des hivers doux. Soit. Mais<br />

passé cela, quel est le niveau à partir duquel le chaud s’apprécie dans ces années 1890-1910 ?<br />

Question subsidiaire et importante, autant que pour le froid ! Du côté de la sécheresse,<br />

comment s’opère le passage entre le sec supporté et la sécheresse insupportable dans une<br />

société qui sait faire avec son territoire, et le sec, depuis des siècles ? D’où le prolongement du<br />

questionnement pour savoir comment éclairer la forme « habituelle » du temps en Corse, et<br />

les écarts à la « norme », l’habitude, le convenu, en l’absence de séries constituées, puisque<br />

la Corse n’a que cinq stations d’observations météorologiques en 1890, toutes sur les côtes<br />

et en seulement trois sites (l’école normale d’Aiacciu et les Isuli Sanguinarii, La Giraglia au<br />

nord, Bastia, le phare de Pertusatu). Il y en aura vingt en 1900, dix-sept en 1911 et soixantequatorze<br />

en 1914, mais la guerre en fait fermer beaucoup. D’où des séries souvent partielles,<br />

brèves, dont personne ne sait d’ailleurs vraiment comment elles sont tenues la plupart du<br />

temps… En somme, il s’agit de retrouver les indices éclairant les phénomènes atmosphériques<br />

qui ont concerné l’ensemble de la Corse. Pour cela, acceptons de plonger dans le brouillard<br />

d’une information dispersée.<br />

Un phénomène atmosphérique est apprécié par la combinaison de sa nature propre (le<br />

mouvement de l’air, ce qu’il charrie, ou pas), de son intensité (degré de puissance, étendue<br />

de son expression), de sa durée (plus ou moins brève), du lieu (plaine ou montagne, littoral<br />

ou intérieur des terres, et à combien de kilomètres alors ?), et du moment de sa survenue<br />

(de jour, de nuit, dans le mois, la saison, l’année). La gamme des configurations est si vaste<br />

qu’il importe de saisir la fréquence moyenne de retour des phénomènes de manière à saisir<br />

ce qui est « normal » ou « pas » dans une journée, en un mois, une saison, à l’échelle des<br />

années. Les sociétés anciennes répondaient à cette curiosité en puisant dans leurs mémoires<br />

et leurs archives, matière à se rassurer, ou pas. Or, ces données méritent attention, car chaque<br />

époque fait reculer les limites du catastrophique : un navire en 1700 peut fort bien périr sous<br />

une vague qui laisse de marbre un paquebot en 1914. Une machine à vapeur a besoin d’eau<br />

pour fonctionner, comme un moulin, mais pas selon la même configuration technique et<br />

temporelle. L’essor de l’électricité au début du siècle s’appuie sur une turbine qui ne vaut rien<br />

sans le courant qui la stimule, ou la vapeur qui la fait tourner ! La tension pour l’usage des


10 Introduction<br />

11<br />

eaux est constante entre les « usiniers » et ceux qui irriguent les terres. Le progrès et l’urbanisation<br />

éloignent la société des préoccupations pour le précieux liquide, mais n’enlèvent<br />

rien à l’importance de bien gérer la ressource. Si l’eau sort d’un robinet, elle vient malgré tout<br />

d’un quelque part dont beaucoup désapprennent l’existence au fil des décennies !<br />

La Corse constitue un site d’exception pour appréhender toute la gamme des phénomènes<br />

atmosphériques, et de leurs incidences, comme pas un autre territoire ne le permet !<br />

Ce n’est donc pas un souci de connaissances à l’échelle régionale qui conduit uniquement ce<br />

livre. Le lecteur s’en rendra compte puisque les phénomènes étudiés sont mis en perspective<br />

avec le voisinage immédiat et plus lointain.<br />

La géographie dessine une île qui offre une déclinaison considérable des profils météorologiques,<br />

dans le contexte d’un environnement « méditerranéen », décliné lui-même dans<br />

le bassin occidental de ce berceau civilisationnel. Les littoraux y sont ouverts sur le levant,<br />

des bouches de Bunifaziu au Capicorsu en Tyrrhénienne, et sur le couchant, face à un bassin<br />

régulièrement soumis au souffle des dépressions en relation avec la Provence, le golfe du<br />

Lion, parfois des lointains ouragans atlantiques. Au long des 180 kilomètres du Capicorsu<br />

à Bunifaziu, sa largeur à vol d’oiseau oscille entre 10 kilomètres, au nord, et 85 kilomètres<br />

au maximum, ce que les masses atmosphériques enjambent aisément, en se transformant<br />

cependant. En effet, plus de cent sommets culminent au-delà des 2 000 mètres d’altitude,<br />

jusqu’à 2 706 mètres au Monte Cintu, faisant de l’île-montagne un véritable râteau à nuages,<br />

avec des profils pluviométriques et des vents différents de part et d’autre.<br />

La pente est omniprésente. Environ 90 % de l’île a une pente supérieure à 10 %, qui<br />

donne parfois aux ruissellements un aspect impressionnant. L’ensemble est découpé en entités<br />

singulières, au gré des vallées qui entaillent les reliefs dont l’orientation au soleil et aux vents<br />

agit encore sur la circulation atmosphérique. Les bassins d’altitude, les régions côtières et les<br />

massifs intérieurs démultiplient encore les déclinaisons locales du temps. Le sillon central,<br />

où trône Corti et passe la route terrestre entre Aiacciu et Bastia, constitue une artère essentielle<br />

que les fleuves utilisent pour rejoindre la Tyrrhénienne. De toute l’île, un très dense<br />

maillage de cours d’eau descend des cimes aux littoraux, où les étangs côtiers et les zones<br />

humides s’étendent en nombre avant 1914. Le Golu, le plus grand fleuve, parcourt environ<br />

90 kilomètres entre sa source, vers 2 000 mètres d’altitude, et la mer. Le Tavignani descend<br />

de 1 743 mètres sur 88 kilomètres. Le troisième fleuve, le Taravu passe de 1 580 mètres à<br />

500 mètres d’altitude sur environ 40 kilomètres (-1 000 mètres), puis perd ce dénivelé 25<br />

kilomètres plus loin quand il rejoint la mer dans le Valincu. Tous les fleuves sont alimentés<br />

par un chevelu très réactif aux pluies.<br />

Certes, d’autres îles partagent des traits avec la Corse. Toutefois, la Sardaigne n’est ni<br />

aussi élevée, ni aussi étroite, ni dotée des mêmes remparts montagneux à l’ouest, ni concernée<br />

par les mêmes turbulences maritimes. Les îles toscanes sont petites et enfermées dans<br />

un seul bassin, les Éoliennes sont étroites, volcaniques, très élevées mais situées dans des<br />

environnements très différents. Les Baléares à l’ouest ont une moindre altitude… La Corse<br />

fournit en somme de quoi documenter la glace et la chaleur, la tempête et la brise, l’humide<br />

et le sec, et le tout dans des excès remarquables.<br />

Dans ce contexte, quelles sont les intentions des auteurs ? Leur démarche ? La trame<br />

proposée ? Le premier choix est de donner aux phénomènes météorologiques la place<br />

centrale. Ils ne sont plus les éléments d’un décor changeant et évoqué une fois pour toutes<br />

avant de dérouler les tribulations des populations, leurs vies et leurs combats. Ils sont<br />

ce qui interagit avec, et constitue, les pulsations des vies et des combats. Bref, il s’agit de<br />

questionner pleinement dans quelle mesure le temps qu’il fait participe aux difficultés des<br />

années 1890-1914. La Nature n’est ni dominée, ni soumise, elle existe, et la population,<br />

le « commun », le sait alors. C’est un partenaire, pas un étranger, qui a ses fureurs, ses<br />

douceurs, ses folies. Bref, c’est un acteur dont la raison est encore bien étrangère, elle, à<br />

beaucoup de ceux qui la voient comme un décor. « Fatum », disaient les anciens Romains,<br />

cette force qui se joue même des plans divins, ou « fortuna », qui sait être bonne avec ceux<br />

qu’elle choisit, pas les autres… Le lecteur sera conduit à voir comment l’interaction existe<br />

avec des débats très politiques, et comment, en retour, la politique et la science savent<br />

mobiliser le temps à leurs fins, à défaut de penser la fin des temps. Le deuxième choix est<br />

de progresser en exposant ce qu’est le travail d’histoire, jusqu’à la livraison du produit à bon<br />

port, c’est-à-dire la production d’une donnée susceptible, nous l’espérons, de combler une<br />

lacune. Car ce livre est un travail de sources et d’archives. Avant de discuter de résultats,<br />

encore faut-il en produire. Que le lecteur ne s’étonne pas, donc, de ne trouver quasiment<br />

que des références d’archives appuyant les propos en notes de bas de page. Ces notes sont<br />

le maillon qui conduit à la source de la donnée.<br />

La forme de la chronique a été retenue. Elle permet la présentation chronologique<br />

des jours, dont le développement forme le déroulé des saisons et des années. La densité de<br />

certains moments apparaît dans l’importance accordée à certaines années. Mais il est des<br />

aléas qui s’expriment dans leur brièveté et leur succession rapide, et d’autres qui deviennent<br />

forts précisément parce que la durée finit par leur donner une importance considérable : du<br />

sec à la sécheresse par exemple. Ici, la séquence apparaît peu dense dans l’écriture, mais c’est<br />

parce qu’il ne se passe rien que la période est grave. La chronique articule donc un temps très<br />

court, ce qui dure quelques heures et aura des effets sur de longues années, ce qui concerne<br />

un moment plus long et dessine un épisode constitutif de la mémoire d’une année, ce qui<br />

forme la trame générale d’une partie d’une vie humaine. La chronique éclaire des ruptures<br />

plus ou moins violentes dans l’ordre du temps. Elle pourrait apparaître comme peu scientifique,<br />

puisqu’elle n’est pas présentation synthétique de données globalisées.<br />

Reste à avoir des données pour les synthétiser. L’un des objets du travail est précisément<br />

de rassembler celles qui traduisent ce qu’a été le déroulé du temps sur ces vingt-cinq ans, de<br />

les présenter, de les contextualiser et de les mettre à disposition de ceux qui étudient plus<br />

spécifiquement la longue durée des mutations environnementales. À ce stade, une remarque<br />

importante. Les auteurs ont cherché à comprendre pour quelles raisons, à un moment<br />

donné, un type de phénomène retient l’attention. Ils ont voulu percevoir comment se joue la<br />

construction sociale et politique d’un discours sur le temps, celui que la presse diffuse. C’est<br />

aussi une manière d’attirer l’attention sur ce qui rapproche et éloigne les années 1890-1910 et<br />

les années 2020. La mutation très prononcée des paramètres environnementaux des temps


12 Introduction<br />

13<br />

présents peut gagner à être mise en perspective avec ce qui se produisait voilà cent trente<br />

ans. Le lecteur se rendra compte des changements profonds d’appréciation des phénomènes,<br />

notamment au sujet des repères du « chaud ». Enfin, puisque les mesures des phénomènes sont<br />

inexistantes ou très localisées ou fragmentaires à l’époque étudiée, il importait de rassembler<br />

année après année tout ce qui deviendrait un corpus de base pour d’autres analyses. C’est<br />

ici que les auteurs ont pris le chemin des sources, ces supports des faits anciens. Comme<br />

pour l’eau dans le sol, le savoir a, en histoire, une origine dans les profondeurs du temps.<br />

L’historien est un transcripteur de données, un analyste, un médiateur. Un cours d’eau a sa<br />

source, point de passage de la terre à l’air libre. L’historien a une vaste documentation qui<br />

porte en elle, dans notre temps, l’empreinte des sociétés du passé.<br />

Les vingt-cinq années couvertes par cette chronique sont celles d’une génération, celle<br />

qui accompagne l’essor de l’étude des mouvements de l’atmosphère jusqu’à la guerre de 1914,<br />

quand la météorologie passe sous la tutelle des armées. Le lecteur objectera que vingt-cinq<br />

ans ne font pas une vie ! C’est parfaitement vrai. Malgré tout, un individu se forge, lui et ses<br />

souvenirs, notamment au contact de ceux qu’il côtoie et qui le nourrissent de ce qu’ils ont<br />

déjà vu. Les parents d’un enfant né en 1 890 peuvent avoir 25 ans, et être dépositaires de<br />

tels récits. Des plus âgés sont encore là. Un quart de siècle plus tard, le jeune adulte côtoie<br />

encore des plus âgés, qui ont vingt-cinq ans de plus que lui, tous dépositaires d’une mémoire<br />

venue de plus loin. Et à y regarder de près, en un temps donné, la mémoire collective trouve<br />

à documenter un passé assez profond, exprimant une « mémoire d’homme » quand il le faut.<br />

Les mémoires s’effacent, sont sélectives, oui. Mais les sociétés de ces époques sont des sociétés<br />

de la mémoire, au-delà de l’immédiateté de la vie ! Des faits « marquent » une vie entière.<br />

Tout individu est la concrétion d’un passé-présent. Et les archives sont là pour éclairer de<br />

telles affirmations. Cette chronique n’est pas une œuvre de mémorialistes, c’est bien un travail<br />

d’interrogation des sources et des mémoires d’un temps, d’une époque et d’une atmosphère.<br />

Sur quelles archives compter ? Elles sont terriblement dispersées, mais grâce aux<br />

politiques de numérisation, le travail est – relativement – facilité. Les publications officielles<br />

des services des ministères et des administrations, du conseil général de la Corse<br />

et des services d’État fournissent un premier ensemble. Le Bureau central météorologique<br />

livre également des données sur des aspects qui se diversifient au fil de l’installation des<br />

stations météorologiques en Corse. L’information existe donc, mais le problème tient à<br />

ce qu’elle porte excessivement sur quelques points du littoral durant de longues années.<br />

D’autres éléments sont comme des paillettes d’or dans le lit d’une rivière. Pour les obtenir,<br />

il convient de passer au crible les très nombreux récits de voyage, séjours, excursions et<br />

enquêtes sur la faune et la flore de l’île. Beaucoup émergent alors, avec de vraies pépites<br />

sur des lieux qu’aucune autre archive ne peut documenter, loin de la vie active des cités.<br />

Les revues, qui se multiplient dans ces années, offrent beaucoup d’indications sur des<br />

événements survenus en Corse. Ces périodiques concernent la chasse, l’élevage, l’art<br />

vétérinaire, le yachting, la protection des oiseaux ou l’apiculture, sans être exhaustifs.<br />

Toutes les références figurent en notes de bas de page. La presse, surtout, a été dépouillée,<br />

recoupée, vérifiée, mise à distance. Elle livre certaines données immédiatement, comme<br />

dans les rubriques « Le Temps » ou « La Température ». D’autres éléments sont enfouis<br />

dans des articles en apparence sans rapport avec le thème de cette étude, mais où l’état du<br />

ciel a sa part d’importance !<br />

L’historien doit savoir que l’information n’est pas d’emblée triée et mise en boîte<br />

dans les textes venus du passé : ceux qui ont alors écrit ne savaient pas quelles seraient les<br />

questions que le futur poserait à leur vie. Un hommage funèbre est parfois assorti d’une<br />

référence au temps. Une visite officielle peut fort bien échouer si l’atmosphère n’est pas<br />

bonne, et pas seulement humainement parlant. Le retard d’un bateau peut fort bien venir<br />

d’une mer dont quelques-uns oublient parfois qu’elle a ses fureurs… Dysfonctionnements<br />

des trains et difficultés dans la distribution du courrier sont d’autres éléments qui signent<br />

un probable aléa météorologique. Bref, l’historien ne doit s’interdire aucune source pour<br />

résoudre son questionnement.<br />

La presse quotidienne utilisée est d’abord celle de l’île, dont l’intégralité des collections<br />

disponibles a été lue jour après jour. De même pour les grands titres des Bouches-du-<br />

Rhône, du Var, des Alpes-Maritimes, de Paris (presse nationale). S’y ajoutent les journaux<br />

de l’Afrique du Nord française. La presse portuaire marseillaise est d’une aide considérable<br />

pour suivre le mouvement des navires et le suivi des productions de la Corse. La presse<br />

départementale a été consultée pour percevoir l’ampleur et l’écho de certains phénomènes.<br />

La presse étrangère, italienne, ponctuellement espagnole et anglo-saxonne, s’y est ajoutée.<br />

La méthode historique rend utilisable cette source qui fournit ce que les archives « traditionnelles<br />

», liées à une intention administrative ou judiciaire, ne retiennent pas. Le temps<br />

n’est pas l’objet de l’État pourrait-on écrire, sauf quand les intempéries sont trop puissantes<br />

et qu’il faut agir pour éviter que la détresse ne se transforme en opposition, ou pire, en<br />

émeutes. Par ailleurs, les publications officielles italiennes et les bulletins de suivi de la<br />

météorologie, de l’agriculture et des séismes ont été précieux.<br />

La presse présente non seulement l’intérêt de fournir les mille éléments qui recomposent<br />

les jours, mais encore d’éclairer l’état d’esprit des populations, les préoccupations des milieux<br />

d’affaires, le climat des affaires et la situation des marchés, produit par produit, semaine après<br />

semaine. Mieux, les préoccupations, les craintes, les satisfactions sont également exposées,<br />

et le tout dans le contexte politique, social, scientifique de l’époque. Cela permet donc de<br />

déterminer jusqu’à quel point certains faits sont marquants en eux-mêmes ou sont l’occasion<br />

de contribuer à une discussion sur un sujet qui n’est pas, d’abord, météorologique. Enfin, la<br />

presse, même lointaine, se dote progressivement de correspondants attitrés dans les villes et<br />

les principaux villages de la Corse. Le développement du télégraphe, et plus tardivement du<br />

téléphone, accroît la diffusion des dépêches dans l’ensemble des titres du continent. Il arrive<br />

qu’un journal départemental très éloigné de la Corse géographiquement soit le seul à relayer<br />

une information sur cette île, dans les Charentes ou le Gers par exemple ! L’historien ne s’en<br />

plaindra pas : la masse documentaire est suffisante pour remplir le projet initial.<br />

Les outils mis en œuvre, le choix de la chronique est aussi l’occasion de réfléchir à la<br />

manière dont l’histoire s’écrit, et pour en faire quoi ? Pour qui ? L’idée est que le chercheur<br />

ne travaille pas pour le plaisir de suivre les méandres du passé et de dialoguer avec les


14 Introduction<br />

15<br />

morts, ses premiers informateurs par archives interposées. Non, la recherche est faite au<br />

présent pour nourrir d’autres travaux, d’autres réflexions, d’autres études, et peut-être en<br />

susciter. La chronique n’a pas bonne presse parce qu’elle raconte. Répétons-le, cette forme<br />

permet d’abord de revenir au fondement même de la discipline, parce que la matière<br />

que nous avons parcourue n’a pas été mise en forme à ce jour. Nous avons donc établi<br />

une chronologie des faits, pour que les choses soient à leur place. Le fil de la chronique<br />

fait défiler ce que la population insulaire a vécu et ressenti durant les vingt-cinq années<br />

qui font basculer la Corse dans une profonde crise globale de sa civilisation agricole et<br />

maritime. Le lecteur y lira le sort des paysans, des pêcheurs, des citadins, des élites et des<br />

plus pauvres, des bergers et des forestiers, des artisans, des meuniers, des chasseurs et des<br />

maraîchers… La Méditerranée y est omniprésente, avec ses vapeurs, ses balancelles, ses<br />

tartanes et ses bricks. Les intempéries, les ouragans, les mers démontées et houleuses y<br />

voisinent avec les calmes qui assurent de belles pêches, voire de jolies baignades. Les hivers<br />

neigeux et froids, les orages et les grêles, les sécheresses et les chaleurs caniculaires. Aucun<br />

ingrédient n’y manque, si ce n’est peut-être tous ces faits dont nous reconnaissons qu’ils<br />

dorment peut-être encore dans l’ombre de ces masses d’archives qui nous ont longuement<br />

retenus ! Comme des chercheurs d’or, il nous aurait fallu un tamis plus fin et une concession<br />

temporelle plus longue pour extraire davantage de ces paillettes d’or dans le vaste ensemble<br />

documentaire qui nous a occupés durant presque quatre années.<br />

La chronique forme un récit. Elle n’est cependant pas un roman. Tout ce qui est mis<br />

en œuvre ressort d’un travail de croisement et de recoupement des données. Les auteurs<br />

espèrent que le texte ne sera pas rébarbatif. En dernier lieu, l’idée est de conduire à un<br />

ensemble de graphiques qui traduiront synthétiquement quelques éléments. Ces données<br />

doivent rendre visible, sur la période étudiée, le contenu de l’ouvrage. À l’inverse, le lecteur<br />

qui le désire pourra partir des graphiques et aller librement à l’année ou à la séquence<br />

d’années représentées. Le texte fournira alors le déroulé de ce que le point traduit sur un<br />

graphique. Ces données sont donc soit la synthèse de la variation d’un phénomène, soit la<br />

manière de repérer une année dont le détail est exposé par le texte. Certaines années sont<br />

particulièrement lourdes, d’autres prennent leur sens en série. Pour cette raison, les auteurs<br />

ont parfois regroupé deux ou trois années dans une séquence de texte.<br />

Appuyés sur ces considérations, les auteurs souhaitent bonne lecture et réflexion à<br />

ceux qui vivront l’émoi, l’effroi, la stupeur, l’étonnement et les joies des populations. Dans le<br />

texte, les références des températures sont données selon les sources en « degrés Celsius »<br />

(centigrades), ceux de notre temps. Pour alléger le texte, la référence à « Celsius » a été<br />

supprimée. Pour les précipitations, l’information est exprimée en « millimètres », sachant<br />

qu’un millimètre représente un litre d’eau par mètre carré au sol. L’épaisseur de neige est<br />

celle qui couvre le sol, sauf indication contraire pour les arbres et les toits par exemple. Les<br />

auteurs ont donc négligé de le mentionner en évoquant les neiges.<br />

Enfin, dans la période étudiée, la Corse imagine pouvoir connaître une belle fortune en<br />

attirant tous ceux qui manquent de ce qu’elle procure. Cela compensera peut-être, croit-on<br />

alors, les difficultés profondes de l’existence de ceux qui essaient de vivre au quotidien dans<br />

l’île. En hiver, le continent gèle, la Corse offre une douceur relative sur ses littoraux à des<br />

hivernants aisés, d’où la « station d’hiver » au bord de la mer. Mais dans les grosses chaleurs,<br />

sa montagne est un refuge dans un air agréable et un cadre grandiose.<br />

La Corse inscrit son être dans une singularité fondamentale : elle est douce quand le<br />

continent gèle ; elle est tempérée quand le continent suffoque. Elle fait rêver ceux qui en<br />

sont éloignés, elle donne bien des peines à ceux qui s’y accrochent à leur village, elle tire les<br />

larmes à ceux qui la quittent. Le bleu de la mer, le surgissement des cimes, les fragrances du<br />

maquis, la douceur des temps et le bleu du ciel structurent l’imaginaire.<br />

Curieusement d’ailleurs, le désir de faire des caractères géographiques et météorologiques<br />

de l’île sa richesse en vient à rencontrer ceux qui, dans les dédales du pouvoir, ne<br />

cessent depuis 1815 de penser que la Corse a tout ce qu’il faut pour être prospère, sauf les<br />

habitants éclairés pour le faire ! Beaucoup d’archives du pouvoir l’expriment ainsi, sans dissimulation<br />

aucune au cours du xix e siècle. Mais est-ce si simple ? L’île est-elle un délice sous<br />

un ciel azur, au printemps éternel, qu’il suffit de cultiver selon les préceptes de l’agronomie<br />

parisienne pour qu’elle donne ce qu’elle a ? Est-ce bien cela ? Bonne lecture.


16 Introduction<br />

17<br />

Fig. n o 1 – Évolution de la couverture des stations météorologiques en Corse de 1890 à 1914 Fig. n o 2 – Localités dotées d’un poste de télégraphie et d’un poste de téléphonie de 1900 à 1914*<br />

* Sources : d’après les informations issues de Charles Lassalle, Dictionnaire des communes, administratif<br />

et militaire, Paris, Henri Charles-Lavauzelle Éditeur militaire, 5 e édition, 1901, et de Jacques Meyrat,<br />

Dictionnaire national des communes de France et d’Algérie…, Tours, Deslis frères, 1914.


18 Introduction<br />

19<br />

Forme française … et corse Forme française … et corse<br />

Abatesco<br />

(L’, rivière)<br />

L’Abatescu<br />

Golfe de Ventilègne<br />

Golfu di Venti è<br />

Legna<br />

Alesani (L’, rivière) L’Alisgiani Golo (Le, fleuve) Golu<br />

Aliso (L’, rivière) L’Alisgiu Gravone (la, rivière) A Gravona<br />

Alta Rocca (L’, région) L’Alta Rocca Île-Rousse Lisula<br />

Asco (L’, rivière) Ascu Îles Sanguinaires Isuli Sanguinarii<br />

Balagne (La, région) A Balagna Incudine (L’, sommet) L’Alcudina<br />

Bavella (Massif de) Bavedda Les Moines (îles) I Monichi<br />

Bevinco (Le, rivière) Bevincu Liamone (Le, fleuve) U Liamone<br />

Bouches de Bonifacio<br />

(Les)<br />

E Bocche di Bunifaziu Macinaggio Macinagju<br />

Bravone (La, rivière) A Bravona Monte Cinto (sommet) Monte Cintu<br />

Campo dell’Oro<br />

(Plaine)<br />

Campi di l’Oru Monte d’Oro (sommet) Monte d’Oru<br />

Cap Corse (région) Capicorsu Nebbio (Le, région) Nebbiu<br />

Casinca A Casinca Niolo (Le, région) U Niolu<br />

Castagniccia (La,<br />

région)<br />

A Castagniccia Orezza (Vallée d’) L’Orezza<br />

Cavo (Le, rivière) U Cavu Ortolo (L’, rivière) L’Ortolu<br />

Cervione Cervioni Ostriconi (L’, rivière) L’Ostriconi<br />

Corte Corti Plaine d’Aléria Piaghja d’Aleria<br />

Cruzzini (Le, rivière et<br />

région)<br />

U Cruzinu Plaine de la Marana Piaghja di a Marana<br />

Étang d’Urbino Stagnu d’Urbinu Plaine du Travu Piaghja di u Travu<br />

Étang de Biguglia<br />

Stagnu di U Chjurlinu<br />

Porto (Le, rivière et<br />

golfe de)<br />

U Portu<br />

Étang de Diane Stagnu di Diana Propriano Prupià<br />

Fig. n o 3 – Éléments de localisation (Les noms sont ici indiqués dans leur forme corse ; les sources consultées<br />

mêlent noms en français et en toscan.)<br />

Fango (Le, torrent) U Fangu Prunelli (Le, rivière) U Prunelli<br />

Fiumalto (Le, rivière) U Fiumaltu Restonica (La, rivière) A Restonica<br />

Fiumicicoli (Le,<br />

rivière)<br />

U Fiumicicoli Rizzanese (Le, rivière) U Rizzanesi


20<br />

Fiumorbo (Le, rivière<br />

et région)<br />

U Fiumorbu San Pedrone (sommet) San Petrone<br />

Golfe d’Ajaccio Golfu d’Aiacciu Sartène Sartè<br />

Golfe de Calvi Golfu di Calvi Solenzara (La, rivière) A Sulinzara<br />

1890<br />

UNE ANNÉE POURRIE ?<br />

Golfe de Galéria Golfu di Galeria Tagnone (Le, rivière) U Tagnone<br />

Golfe de Girolata Golfu di Ghjurlatu Taravo (Le, fleuve) U Taravu<br />

Golfe de Porto Golfu di Portu Tavignano (Le, fleuve) U Tavignani<br />

Golfe de Porto-Vechio Golfu di Portivechju Teghime (col de) Teghjime<br />

Golfe de Sagone Golfu di Sagona Verde (col de) Verde<br />

Golfe de Saint-Florent Golfu di San Fiurenzu Vergio (col de) Verghju<br />

Golfe de Santa Manza Golfu di Santa Manza Vizzavona (col de) Vizzavona<br />

Golfe du Valinco<br />

Golfu di u Valincu<br />

DE BIEN MAUVAIS AUSPICES…<br />

L’année 1 890 débute mal. Depuis le 25 décembre 1889, des pluies torrentielles s’écoulent<br />

sur la région bastiaise et le Capicorsu. La route du col de Teghjime est impraticable. À Canari,<br />

les ruisseaux sont devenus de virulents torrents. Ils sapent les murs des terrasses, dont le<br />

sol est gonflé par les eaux. Les effondrements s’opèrent en cascade. Les terres, déjà ravinées,<br />

partent à la mer avec tout ce qu’elles comptent de vignes, d’arbres fruitiers, de cédratiers.<br />

Une maison s’éboule. À Ferringule, où une maison s’abat, c’est le même spectacle. Les éboulements<br />

obstruent partout les chemins. La désolation s’exprime également à Luri, où une<br />

demeure s’écroule. La vallée du Golu gonfle sous ce déluge. Dans le Niolu, l’intempérie du<br />

1 er janvier marque les esprits à Corscia. Les semis de l’automne sont ravinés avec les terres.<br />

Les fondations d’une maison se délitent.<br />

Un sombre souvenir resurgit : la catastrophe de la nuit du 31 décembre 1888, un an<br />

avant. Les pluies avaient excessivement grossi le Golu dans la Scala di Santa Regina. Or, durant<br />

l’année, les travaux de la route forestière n o 9 avaient progressé dans la partie la plus rocheuse<br />

du défilé. Fragilisées par les averses, les parois rocheuses étaient tombées sur « la maisonnette<br />

de l’administration des Ponts et Chaussées bâtie en amont de la route forestière n o 9 ».<br />

Onze personnes s’y trouvaient. Toutes périrent. Les pluies de ce début janvier 1890 causent<br />

dans toute la vallée du Golu des dommages aux routes évalués, à chaud, à 50 000 francs. Il<br />

ne s’agit de rien d’autre que d’un « simili déluge 4 ».<br />

Aux torrents en furie s’ajoutent les effets d’une interminable tempête, qui frappe tous les<br />

littoraux du Capicorsu au Fiumorbu, du 31 décembre 1889 au 5 janvier 1890. Le Petit Bastiais<br />

du 4 janvier 1890 note que « jamais de mémoire de Bastiais, le grecale n’avait soufflé avec une<br />

persistance pareille 5 ». À San Fiurenzu, le 2 janvier, le voilier La Charité est si violemment<br />

secoué par le vent du sud-est qu’il rompt ses amarres. Surtout, des sinistres retentissants se<br />

4 Bastia-Journal, dimanche 5 janvier 1889 ; Le Petit Bastiais, jeudi 2 janvier 1890.<br />

5 Le Petit Bastiais, samedi 4 janvier 1890. Le grecale est le vent du nord-est.


22 1890 Une année pourrie ?<br />

23<br />

produisent. Le brick-goélette italien Daniele-Lavaggi, allant de Catane à La Spezia, sombre<br />

à 2 milles au large du phare de la Pietra, près de Lisula. Les huit marins en réchappent. Le<br />

naufrage d’un navire de la Navigazione generale italiana, le Persia, défraie la chronique. Parti<br />

de Livourne le 31 décembre 1889, il est jeté à la côte entre Aleria et Alistru au matin du<br />

1 er janvier, date de l’inauguration du système de communication entre le sémaphore d’Alistru<br />

et les navires au large. Le canot de sauvetage de Bastia, la baleinière Colomba, part secourir<br />

au soir du 1 er janvier les cent vingt-neuf passagers. Près de l’embouchure du Tavignani, dans<br />

une mer démontée et remuée par le fleuve, elle sauve les voyageurs qui rentrent en train à<br />

Bastia le 3 janvier depuis la gare d’Alistru 6 .<br />

Le mauvais temps règne partout. En Espagne, les bas quartiers de Cadix sont noyés à<br />

la fin du mois de décembre 1889 7 . De l’Irlande à la Baltique, les ravagent s’accumulent 8 . En<br />

Méditerranée, les rafales courent de la Provence à la Tunisie. Dans ce contexte, les dégâts<br />

des eaux et du vent en Corse passent presque inaperçus. Le Gaulois, quotidien de Paris, les<br />

évoque le 4 janvier dans une note de son « correspondant à Bastia » : « Le temps est affreux :<br />

la mer est en furie ; les courriers éprouvent tous de grands retards. […] Un grand paquebot,<br />

la Persia, de la compagnie italienne Rubattino, a été jeté à la côte. » Beaucoup de journaux<br />

communiquent d’abord sur la mort de la presque totalité des passagers. Le 2 janvier 1890, le<br />

Journal des débats politiques et littéraires publie une dépêche datée de Londres, du même jour,<br />

informant que « le bruit court que le vapeur Persia, appartenant à la Compagnie Rubbatino,<br />

s’est échoué sur la côte de Corse, près de l’embouchure du Tavignano. Des 139 passagers<br />

qui étaient à bord, six seulement auraient été sauvés. » L’information émane des milieux du<br />

négoce et de l’assurance. Le même jour, Le Courrier du soir, à Paris, ajoute que « les vapeurs<br />

étant insuffisants, on a envoyé une baleinière de sauvetage ».<br />

Dans tous les départements la nouvelle est reprise. La Petite Gironde précise que le<br />

consul d’Italie à Bastia a obtenu l’envoi d’un vapeur de la compagnie italienne pour secourir<br />

les sinistrés et que le ministre français de la Marine a dépêché depuis Toulon l’aviso Le Corse<br />

aux mêmes fins. Le 3 janvier 1890, nouvelle salve d’éditions. Le quotidien Le Matin observe<br />

que, parmi les passagers, « six seulement ont pu gagner la terre », et que le sauvetage s’organise.<br />

Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire parle de cent trente-six passagers, dont<br />

six rescapés : « L’inquiétude est grande », conclut la note. Le Phare des Charentes relève de<br />

son côté que cent quarante passagers ont été sauvés. Pour coller à l’actualité, la presse agit<br />

dans l’urgence et se risque à l’à-peu-près. Elle abuse des formules au conditionnel et des<br />

suppositions qui font grossir les peurs et les rumeurs.<br />

En Corse, la tempête gronde encore les 4 et 5 janvier 1890. Le canot de sauvetage de<br />

Bastia porte secours à de nombreux bateaux, soixante-dix-huit personnes au total. Sur terre,<br />

les pluies n’en finissent pas. Le 5 janvier, le Tagnone, sur le territoire d’Aghione, arrache une<br />

partie de la voie ferrée près de Puzzichellu, coupant Ghisunaccia du reste de la ligne. Les eaux<br />

inondent la plaine d’Aleria. Cervioni s’effraie de voir les pluies diluviennes former des torrents<br />

6 Bastia-Journal, dimanche 5 janvier 1889 ; Le Petit Bastiais, jeudi 2 janvier 1890.<br />

7 Le Temps, mercredi 1er janvier 1890.<br />

8 Le Drapeau, Ajaccio, mardi 7 janvier 1890.<br />

dans les rues. Dix jours plus tard, la rumeur demeure que « Cervioni allait disparaître 9 », les<br />

bâtiments étant fragilisés dans leurs soubassements et de nombreuses terrasses menaçant<br />

ruine. L’exagération, réelle, ne saurait faire oublier la réalité des dommages subis, tel l’effondrement<br />

des rebords de la route de Prunete à Ponte alla Leccia sur 200 mètres de longueur.<br />

Du 1 er au 6 janvier, 99 millimètres de précipitations tombent sur Bastia, dont 78 pour<br />

les deux premières journées. Au-delà du 6, le temps passe au sec. La Giraglia, au nord<br />

du Capicorsu, reçoit 130 millimètres courant janvier, dont la plus grande partie durant<br />

les cinq premiers jours. La situation tranche avec le sud de la Corse. À l’école normale<br />

d’Aiacciu, du 1 er au 6 janvier, le pluviomètre enregistre 19 millimètres de précipitations, et<br />

36 pour tout le mois. Plus au sud, le phare de Pertusatu relève 21 millimètres pour janvier.<br />

Les pluies frappent principalement les régions au nord d’une ligne allant de la Balagna à<br />

Bavedda. Les ravinements ruinent les semis d’automne. À Corscia et à Lozzi (Niolu), ils<br />

semblent perdus. De nombreuses terrasses s’affaissent, détruisant les cultures arbustives.<br />

Le ramassage des olives est compromis. Le coût humain de l’épisode est important. Des<br />

familles doivent trouver à se reloger.<br />

AVEC LA PLUIE, L’ÉPIDÉMIE<br />

L’humidité et la fraîcheur facilitent une poussée épidémique inédite d’influenza, la<br />

grippe. Sur le continent, les journaux s’en inquiètent. Des experts sont sollicités pour l’expliquer.<br />

À Bastia, la situation empire dans la première décade de janvier. Dès les derniers mois<br />

de 1889, l’Europe, Russie comprise, le bassin méditerranéen et toute l’Amérique du Nord en<br />

souffrent. La mort emporte d’abord les plus fragiles, souvent déjà malades. La Croix annonce<br />

début janvier que le pape a ordonné une visite quotidienne de tout le personnel du Vatican<br />

et la préparation du « lazaret attenant à la basilique de Saint-Pierre, pour y soigner les<br />

personnes 10 ». L’Espagne encourage la fermeture des écoles, des théâtres et des établissements<br />

publics. Madrid déclare deux cent treize décès de cette maladie le 3 janvier. En Angleterre,<br />

les élèves sont renvoyés dans les familles, et les écoles sont fermées. En Italie, le président<br />

du Conseil Crispi est contaminé, et la mort du frère du roi, le duc d’Aoste, est annoncée le<br />

21 janvier : il est « mort des suites d’une pneumonie ; il n’était malade que depuis trois jours 11 »,<br />

signe de la rapidité des complications. La presse égrène une litanie macabre au fil des jours.<br />

Les symptômes du mal ressemblent à une affection pulmonaire : une forte fièvre, des<br />

courbatures, des migraines, une intense fatigue, et l’évolution vers des pneumopathies,<br />

parfois jusqu’à la mort. L’extrême contagion du mal surprend les populations et les autorités<br />

sanitaires 12 . Aiacciu télégraphie le 31 décembre 1889 que « l’influenza sévit en Corse<br />

9 Le Petit Bastiais, mercredi 15 janvier 1890.<br />

10 La Croix, dimanche 5 janvier 1890.<br />

11 Gil Blas, mardi 21 janvier 1890.<br />

12 Frédéric Vagneron, « La grippe existe-t-elle ? », dans Revue d’anthropologie des connaissances, vol.<br />

15, no 3, 2021 (en ligne, https://doi.org/10.4000/rac.24324), où l’auteur étudie l’attitude des autorités<br />

publiques et médicales face à la maladie.


24 1890 Une année pourrie ?<br />

25<br />

depuis huit jours. L’hôpital d’Aiacciu est comble. À Bastia, l’épidémie devient inquiétante 13 »<br />

L’explication ? Avec le mauvais temps, les populations restent plus longtemps dans les<br />

maisons et se contaminent. Le 13 janvier 1890, Le Petit Bastiais publie une interview du<br />

chef du service météorologique à l’observatoire de Montsouris (Paris), déjà éditée par les<br />

quotidiens du continent Le Matin et Cosmos : « L’influenza : météorologie et hygiène ». Il<br />

affirme que depuis octobre, la circulation des vents du sud-ouest est faible sur l’Europe et<br />

la Méditerranée. Les germes de l’influenza ont pu s’y diffuser sans être balayés par les vents<br />

habituels de l’Atlantique, sources des « principes vivifiants ». La densité de peuplement dans<br />

les villes, la promiscuité et un air vicié forment le terreau idéal du mal. Pour Delcroix, « le<br />

remède est de prendre tout simplement la clef des champs 14 ». L’atmosphère porte en elle les<br />

principes du sain comme du malsain, vieille manière de penser la santé.<br />

Un constat s’impose : le 10 janvier, la garnison de Bastia est clouée au lit, à l’exception de<br />

vingt-deux soldats. L’hôpital militaire est encombré 15 . Le 20 janvier, la ville compte environ<br />

six mille malades pour un peu plus de vingt-trois mille habitants. Des médecins alités sont<br />

incapables de soigner les patients. Un médecin-major d’Aiacciu est envoyé au chevet de Bastia.<br />

Pourtant, Aiacciu en a besoin. Fin décembre 1889, la maladie est apparue parmi ses soldats. Au<br />

10 janvier, un quart de la population est atteint. La mortalité s’élève, sans atteindre des niveaux<br />

inquiétants, selon les élites du temps. Dans la presse locale, un entretien accordé par Louis<br />

Pasteur à L’Écho de Paris est repris. Lui-même fiévreux, il confesse ignorer le fond du problème.<br />

C’est peut-être un « microbe déjà ancien, un microbe d’une maladie connue, de la grippe<br />

par exemple, dont les effets morbides et la virulence se seraient exaltés et compliqués. Dans<br />

l’épidémie qui sévit, on relève beaucoup de cas de pneumonie infectieuse. Il n’y a pas longtemps<br />

qu’on connaît cette maladie 16 . » Son hypothèse est celle d’une mutation d’un agent pathogène.<br />

Durant un mois, les avis d’experts se succèdent. Le 23 janvier 1890, Le Drapeau d’Aiacciu<br />

relaie les propos du médecin en chef de l’Assistance publique de Paris, le docteur Proust. Il<br />

a remis un rapport sur l’influenza au ministre de l’Intérieur. Pour lui, rien de méchant, sauf<br />

pour les organismes affaiblis, car la maladie, une bénigne grippe, mange les forces du patient.<br />

Il imagine un remède à base de quinine, fébrifuge bien connu et recommandé par l’Académie<br />

de médecine. Le 4 février, l’annonce arrive qu’un professeur de bactériologie à l’université<br />

de Wurtzbourg (Bavière), le docteur Jolles, aurait identifié le bacille de la maladie dans les<br />

« expectorations » d’un malade, les crachats et postillons étant vecteurs de la contamination 17 .<br />

Mais le docteur ajoute que le bacille est présent dans les eaux d’alimentation de Vienne,<br />

faute d’un filtrage efficace. Il faut donc faire bouillir cette eau pour éviter la contamination<br />

par ingestion. Le mieux, souligne-t-il, serait de boire de l’eau minérale gazeuse car « l’acide<br />

carbonique » et « l’agent sodique » sont de puissants agents protecteurs de l’organisme.<br />

13 Gil Blas, jeudi 2 janvier 1890.<br />

14 Le Petit Bastiais, lundi 13 janvier 1890.<br />

15 Le Drapeau, samedi 11 janvier 1890, citant le Petit Bastiais.<br />

16 La Justice, mardi 31 décembre 1889 ; dimanche 12 janvier et vendredi 17 janvier 1890.<br />

17 Le Drapeau, mardi 4 février 1890.<br />

L’article séduit en Corse. La promotion des eaux de la vallée d’Orezza bat son plein.<br />

Les exploitants des diverses sources gazeuses locales entrent en scène. Le Journal des Débats<br />

politiques et littéraires, à Paris, publie le 25 février une publicité recommandant « à tous ceux<br />

qui ont été débilités par l’épidémie d’employer l’Eau ferrugineuse de Pardina (Corse), qui est<br />

un reconstituant énergique ainsi qu’une excellente Eau de table ». En fait, sans qu’on sache<br />

trop comment, la maladie reflue à Bastia et à Aiacciu début février. Cependant, elle gagne<br />

les villages. De Calcatoghju, une lettre décrit la situation au 4 mars 1890. Sa teneur illustre<br />

comment la pandémie est une occasion d’exprimer une opinion anti-républicaine :<br />

« Un mal qui répand la terreur, mal que, etc., faisait aux Parisiens la guerre. Ils ne<br />

mouraient pas tous, mais tous étaient frappés…<br />

Il ne répandait pas la terreur au début ; la Faculté en niait l’existence ; le Parisien, né<br />

goguenard, la blaguait, et le chansonnier en faisait un succès de café-concert.<br />

Il a fallu cependant en découdre et se rendre à l’évidence. Tel qui haussait les épaules quand<br />

on lui parlait de l’influenza a dû s’avouer vaincu en ressentant lui-même les atteintes<br />

du mal qu’il traitait de mythe. Les affirmations même des célébrités de la médecine ont<br />

produit les plus fâcheux résultats, en niant le caractère épidémique de la maladie, etc. »<br />

Voilà ce qu’on écrivait de Paris, au commencement du mois de janvier dernier. Comme<br />

les Parisiens je haussai les épaules. Mais comme les Parisiens aussi il a fallu en découdre<br />

et me rendre à l’évidence.<br />

L’influenza, la maudite, qui a visité toutes les parties de l’Europe, s’est avisée de prendre<br />

le bateau et de débarquer sur notre rocher, que nous croyions perdu au milieu de la<br />

Méditerranée et partant à l’abri de ses attaques.<br />

Et, après avoir tourmenté quelque temps nos frères d’Ajaccio et de Bastia, la voilà en<br />

train de faire son tour de Corse, tout comme un simple touriste.<br />

Chez nous, à Calcatoggio, elle bat son plein et je vous assure qu’elle en fait des siennes.<br />

De la fièvre, des maux de tête, etc., etc. en veux-tu ? En voilà. Elle ne respecte personne<br />

la misérable ! Il faut que tout le monde y passe : vieux et jeunes, hommes et femmes,<br />

garçons et filles. De sorte que notre beau village, qui possède un climat vraiment<br />

privilégié, sous le rapport de la santé et où les épidémies étaient inconnues jusqu’ici<br />

[…] ressemble tout simplement à l’une de ces contrées ravagées par la malaria. Il y a<br />

des maisons transformées en véritables hospices… 18<br />

À la fin du mois de février, tout l’arrondissement de Calvi succombe à son tour.<br />

Les deux tiers des habitants sont malades, affirme le 20 février une dépêche de Muru. Le<br />

correspondant du Petit Marseillais ajoute que « la récolte des olives (assez abondante cette<br />

année) et les travaux de chemin de fer sont presque interrompus à cause de l’épidémie 19 ».<br />

La vie économique est affectée par l’épisode. Dans l’arrondissement de Sartè, une note du<br />

docteur Casabianca rapporte qu’il a eu à connaître près de mille cinq cents cas et que trente<br />

18 Le Drapeau, mardi 4 février 1890.<br />

19 Le Petit Marseillais, 21 février 1890.

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