Demeure_de_paroles_extrait
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
<strong>Demeure</strong> <strong>de</strong> <strong>paroles</strong><br />
Suite poétique
a E Cunchiglie a<br />
Chants pour rien et <strong>de</strong> nulle part, suivi <strong>de</strong><br />
Ce qui murmure au bord du temps, P. Ottavy<br />
Kairos, S. Valentini – Terre intérieure, M.-M. Leandri<br />
Fugue. Pulsations, A. Graziani. Aquarelles <strong>de</strong> B. Filippi<br />
Une larme bouleverse la nuit, M.-J. Vinciguerra<br />
In cor di Cirnu, Puesie (1990-2010), C. Piroddi<br />
Insulaires, suivi <strong>de</strong> Vestiges, Poèmes (1980-1983), J. Biancarelli<br />
Tandu scrivu, J.-Y. Acquaviva<br />
Vaghjimi spizzati, A. Di Meglio<br />
Cumpità u ghjornu, R. Alice Branco<br />
In e dite, Ghj. Thiers<br />
L’apparition, Y. Goulm, I. Celnikier<br />
Un lieu <strong>de</strong> quatre vents – Una vita nova, A. Nidzgorski, F.-X. Renucci<br />
Aretta bianca, Ghj. Thiers<br />
La Halte blanche, Ghj. Thiers<br />
Pustiati – Ancia Notturni, Ghj. Biancarelli<br />
Migraturi, A. Di Meglio<br />
Volu di Cennari, J. Pont (catalanu, tradottu da F. M. Durazzo)<br />
U Sarcofagu di i baddatadori, E. Batur (turcu, tradottu da Ghj. Thiers)<br />
Isolomania, D. Katunaric (cruatu, tradottu da Ghj. Thiers è M. A.Versini)<br />
Chjarasgia rossa è Pavimentu biancu, M. Al Masri (arabu, tradottu da Ghj. Thiers)<br />
Mimoria di a Notti, S. Cesari<br />
Parichji Dimonia, M. Biancarelli<br />
Intensità, C. De Brito (purtughesu, tradottu da D. Verdoni)<br />
Finitarri, F. M. Durazzo<br />
L’Île mère, F. Giustiniani<br />
Marines sauvages, M.-J. Vinciguerra<br />
L’Arcubalenu, P. Gattaceca<br />
Versu cantarecciu, Ghj. Fusina<br />
D’oghje sì, d’odiu nò, Ghj. Biancarelli, A. Di Meglio,<br />
Ghj. Ghj. Franchi, Ghj. Fusina, P. Gattaceca, Ghj. T. Rocchi,<br />
L. Santucci, Ghj. Thiers
JACQUES RENUCCII<br />
<strong>Demeure</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>paroles</strong><br />
Suite poétique<br />
a E Cunchiglie a
Là où nous élisons <strong>de</strong>meure, nous cultivons les plantes vivaces et récoltons<br />
les morts.<br />
Mahmoud Darwich
La mémoire sait où mordre,<br />
même si elle m’habille pauvrement.<br />
9<br />
Quelle est cette <strong>de</strong>meure<br />
qui, en mo<strong>de</strong>ste assise,<br />
m’impose <strong>de</strong> ne parler que <strong>de</strong> moi,<br />
plus par dénuement que par principe ?<br />
Je me préoccupe <strong>de</strong>s mots qui s’éloignent,<br />
faisant place à l’arbitraire d’un mon<strong>de</strong> observable :<br />
la lumière y viendrait <strong>de</strong>s croyances,<br />
<strong>de</strong>s paradis irréparables où l’on ne sait plus<br />
rassembler <strong>de</strong>s murailles éparses.
Les légen<strong>de</strong>s recèlent <strong>de</strong>s pièges,<br />
même quand le soleil se lève<br />
sur les protocoles <strong>de</strong> l’expression exacte…<br />
Je le sais, mais j’accepte d’y souscrire,<br />
au cœur <strong>de</strong> ce trouble les nimbant<br />
en lisière <strong>de</strong>s passants<br />
dont le parcours est jalonné <strong>de</strong> stèles<br />
qui n’ont que leur propre ombre à consoler.<br />
Pourquoi un jour<br />
avoir migré vers ces escarpements,<br />
qui me rappellent à mes interrogations ?<br />
Et où suis-je dans l’accomplissement du lieu<br />
dont les stigmates resserrent les lignes<br />
que l’on piétine sur le chemin <strong>de</strong> l’éveil ?
C’est la saturation <strong>de</strong> l’indicible<br />
qui soumet mes silences<br />
où affleurait jadis, bouche douce,<br />
la langue <strong>de</strong> l’être.<br />
En vain renaissent les plantes qui rassurent le cœur,<br />
en vain la rivière soupèse ses galets…<br />
Mais l’haleine <strong>de</strong>s vents du renouveau<br />
occupe les vivants - et j’en fais partie.<br />
11<br />
Cela me force à insister,<br />
<strong>de</strong>puis le seuil <strong>de</strong> ma <strong>de</strong>meure<br />
au pié<strong>de</strong>stal <strong>de</strong> nuit profon<strong>de</strong>.<br />
Elle s’est tue,<br />
et sa diction dont on se souvient<br />
se ressent <strong>de</strong> son origine :<br />
dressée à partir du chaos alentour,<br />
avec pierre sur pierre<br />
comme seule combinaison <strong>de</strong> misère,<br />
elle ne doit sa majesté<br />
qu’à sa prépondérance,<br />
à son avidité d’intégrer le silence.<br />
Cela pour ne faire lire l’avenir<br />
qu’à la surface du seul lexique
où fleurissaient les jours,<br />
ces vocables insulaires marqués<br />
par l’inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> trop dire.<br />
Sans me parler <strong>de</strong> dieux absents,<br />
elle est rivière où coule le calme,<br />
ombrage dans le vent,<br />
paysage où l'âme ne creuse plus,<br />
visage fatigué <strong>de</strong> ses miroirs qui reflètent<br />
la diversité en dispersion.<br />
Elle feint <strong>de</strong> me perdre sur <strong>de</strong>s chemins oubliés,<br />
mais me reprend à travers ma fatigue<br />
élargie <strong>de</strong> cendres - restes <strong>de</strong>s révoltes consumées<br />
dans l’indifférence <strong>de</strong> ceux<br />
au nom <strong>de</strong> qui ces révoltes étaient nées.
Fallait-il renouer avec <strong>de</strong>s prophéties obscures,<br />
l’âge du chant friable<br />
me rendant jubilant <strong>de</strong> nouveaux pouvoirs<br />
ou plus conciliant<br />
avec les mystères cognant d’ailes<br />
dont l’écho se débat<br />
à la recherche d’une amplitu<strong>de</strong> stable ?<br />
13<br />
La montagne hégémonique<br />
a enfanté ma <strong>de</strong>meure<br />
en lame <strong>de</strong> hache étrusque ;<br />
elle l’a fichée sur l’arête centrale,<br />
telle une une réponse imparfaite,<br />
une vertèbre supplémentaire<br />
entaillée <strong>de</strong> rêves ari<strong>de</strong>s<br />
qui voudraient tout apprendre<br />
du versant non bâti.
Perchée sur <strong>de</strong>s réminiscences inamicales,<br />
<strong>de</strong>s servitu<strong>de</strong>s fabriquées<br />
à l’origine pour le meilleur,<br />
c’est elle qui explique à mes yeux<br />
l’avance que ces rêves ont prise,<br />
ou comment s’extirper <strong>de</strong> la nuit,<br />
<strong>de</strong>s aubes qu’elle rend à jamais mensongères<br />
et <strong>de</strong> leurs vieux règnes.<br />
Adolescente au sourire <strong>de</strong> salive,<br />
la construction s’est arrêtée à mi-pente<br />
dans les premières assises du Monte Renosu<br />
et, au hasard <strong>de</strong> ses fatigues,<br />
elle a mûri en consolidant son accroche<br />
d’existante tenace brouillée d’âmes mortes.<br />
Avec l’ange qui la cale du talon,<br />
ne permettant même pas au temps <strong>de</strong> dévaler.
Me voici sur le seuil avec le coffret <strong>de</strong>s reliques,<br />
celui <strong>de</strong>s racines comme raison d’être,<br />
qu’un bouleversement du sol<br />
aurait fait surgir,<br />
et je me sais incapable d’en extraire du sens.<br />
15<br />
Je veux décrire son envahissement par l’ange,<br />
celui <strong>de</strong> l’avant-<strong>de</strong>rnière halte,<br />
et c’est comme si je griffais la terre répétitive.<br />
Pourtant, avec le souffle frais<br />
d’un cœur dévoué à me prêter son éloquence,<br />
à m’offrir une renaissance intelligible,<br />
le printemps décline ses joies précoces,<br />
un défi aux traces d'habitu<strong>de</strong><br />
que les coups <strong>de</strong> froid ren<strong>de</strong>nt aléatoire.