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Musées des (im)possibles - La science-fiction comme médium exploratoire

Ce mémoire est à la croisée des sciences et des fiction, il a vocation à voyager à travers les univers pour chercher, observer et imaginer les trajectoires présentes et avenirs de ce que l'on nomme : musée. Je souhaite démontrer qu'il est possible d'aborder la science-fiction et ses créations imaginaires de manière créative et réflective. Dans cet ensemble de récits et de représentations peuvent aussi être trouvées des ouvertures inspirantes, aidant notamment à réfléchir, autant dans la forme que dans l'organisation, aux musées de demain. À travers cette balade de possibles en impossibles, voici un aperçu des musées du futur qui habitent les œuvres de science-fiction. Ces musées qui vivent dans nos imaginaires seront peut-être nos musées à venir. Et si la science-fiction, comme outil de recherche et d'exploration, nous permettait d'ouvrir les imaginaires et les possibles, afin de questionner le musée actuel et à venir ? _____ [EN] This dissertation is at the crossroads of science and fiction, it has the vocation to travel through the universes to search, observe and imagine the present and future trajectories of what we call: museum. I want to demonstrate that it is possible to approach science fiction and its imaginary creations in a creative and reflective way. In this collection of stories and representations, inspiring openings can also be found, helping us to reflect at museums of tomorrow, both in form and in organization. Through this stroll from the possible to the impossible, here is a view of the museums of the future that inhabit the works of science fiction. These museums that live in our imaginations will possibly be the museums of the future. What if science fiction, as a tool for research and exploration, allowed us to expand our imaginations and possibilities, in order to question the present and future museum?

Ce mémoire est à la croisée des sciences et des fiction, il a vocation à voyager à travers les univers pour chercher, observer et imaginer les trajectoires présentes et avenirs de ce que l'on nomme : musée.

Je souhaite démontrer qu'il est possible d'aborder la science-fiction et ses créations imaginaires de manière créative et réflective. Dans cet ensemble de récits et de représentations peuvent aussi être trouvées des ouvertures inspirantes, aidant notamment à réfléchir, autant dans la forme que dans l'organisation, aux musées de demain.

À travers cette balade de possibles en impossibles, voici un aperçu des musées du futur qui habitent les œuvres de science-fiction. Ces musées qui vivent dans nos imaginaires seront peut-être nos musées à venir.

Et si la science-fiction, comme outil de recherche et d'exploration, nous permettait d'ouvrir les imaginaires et les possibles, afin de questionner le musée actuel et à venir ?

_____
[EN]

This dissertation is at the crossroads of science and fiction, it has the vocation to travel through the universes to search, observe and imagine the present and future trajectories of what we call: museum.

I want to demonstrate that it is possible to approach science fiction and its imaginary creations in a creative and reflective way. In this collection of stories and representations, inspiring openings can also be found, helping us to reflect at museums of tomorrow, both in form and in organization.

Through this stroll from the possible to the impossible, here is a view of the museums of the future that inhabit the works of science fiction. These museums that live in our imaginations will possibly be the museums of the future.

What if science fiction, as a tool for research and exploration, allowed us to expand our imaginations and possibilities, in order to question the present and future museum?

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couverture du mémoire,

collage d'après les illustrations

des aventures de Jules Verne.

Pauline Hutin

École des Arts Décoratifs Paris

2022-2023



Remerciements

Je souhaite remercier particulièrement ma directrice de

mémoire, Véronique Massenet pour son accompagnement

et ses conseils tout au long de l’année ainsi que pour

sa bonne humeur et les cafés.

Je voudrais également remercier Christian Nottola, expert

de la littérature en science-fiction et surtout, auteur de

talent. Il m'a beaucoup apporté dans les références et la

réflexion mais aussi inspiré par ses nouvelles qui explorent

le musée.

Je remercie l’équipe enseignante du secteur scénographie

pour leur accompagnement et leur accueil dans cette

nouvelle école ainsi que l’École des Arts Décoratifs de

Paris.

Un grand merci à ma famille qui m’a toujours soutenue et

encouragée dans mes projets. Merci aussi pour les relectures

et les discussions sans fin sur mon sujet.

Je tiens également à remercier toutes les personnes qui

m’ont apporté des références et des informations sur les

musées de science-fiction, amis, famille et inconnus sur les

forums de grands connaisseurs du genre.

Merci à Gaëlle Brodhag et Audrey Aragnou pour avoir

ouvert ma curiosité autour de la fiction, de l’art et du

musée.

à gauche,

illustration tirée de Zima Blue,

realisé par Robert Valley, 2019.

Une pensée particulière pour mon grand-père qui m'a

emmené de nombreuses fois au musée et conté ses récits

merveilleux de jeune étudiant en école d’art, me donnant

envie de m’y aventurer.


Sommaire

9

12

14

16

25

30

34

36

44

52

58

61

62

71

77

90

Avant-propos

Introduction

I- La science-fiction comme outil de réflexion

Quand la notion de futur a-t-elle été inventée ?

La science-fiction, reflet de notre société

La science-fiction, un médium exploratoire

II- Le musée et l'imaginaire

Le musée porteur d'histoires

Un espace autre, entre l’ici et l’ailleurs

Un musée est comme un roman …

III- Musées : miroirs de notre temps

1. Musées passés, musées fantômes, musées mémoires …

_ Absence du musée, une société sans art ni lieu de

culture

_ Quand le musée se conjugue au passé …

_ Archéologie du futur : la figure de la ruine

_ Le musée, gardien du temps et de la mémoire


101

102

111

120

128

130

132

139

156

165

174

192

195

209

214

221

2. Musées & pouvoir

_ Lieu du pouvoir

_ Lieu de contre-pouvoir

_ Que les musées doivent-ils désapprendre ?

_ De l’universel au pluriversel

IV- Transformer le musée

Le musée infini

Musée sculpture

La science-fiction pour ouvrir les possibles

Le musée immatériel

Le musée mouvant

Conclusion

Annexes

Corpus : les musées de science-fiction

Bibliographie - Sitographie

Glossaire


- 8 -


Avant-propos

Chers lecteurs,

C'est avec joie (et un peu timidité) que je vous transmets

ce mémoire. Il est le fruit d'un an de recherches et d’explorations

qui m'ont passionnées, pendant lesquelles j’ai

eu la chance de voyager à travers des mondes imaginaires

et d'explorer les recoins de la science-fiction à la recherche

de musées.

Ce mémoire s’inscrit dans une démarche que j'expérimente

depuis maintenant plus d'un an. J'essaye d'intégrer

à mon processus de création ou d'expérimentation ce

que j'appelle la recherche-fiction. Cela signifie d'un côté,

le décloisonnement des sources et des références pour

s'ouvrir au champ du récit et de la science-fiction ; et d'un

autre côté, la mise en place d'un regard et d'un rôle fictif

dans mon positionnement. Je m'imprègne également des

méthodes de design-fiction et du design spéculatif pour

une réflexion présente qui se nourrit et s’incarne dans des

récits futurs.

- 9 -


Cette recherche-fiction a pris la forme du Laboratoire des

Imaginaires. Mon objectif avec ce laboratoire, dans une

voie plus large que cette recherche, est de créer des dispositifs

et des expériences qui permettraient collectivement

d'ouvrir nos imaginaires. Pour le moment je me concentre

sur le musée qui est à mon sens le lieu idéal pour héberger

ce type de démarche, car il est le lieu de la science, de

l'imaginaire et de la curiosité.

Cette année, au sein du Laboratoire, c’est un duo constitué

d’une chercheuse scienti-fictive et de son associé le

Muséonaute Universel des Fabulations Interplanétaires

(ou M.U.F.I. 451) qui exploreront le lieu musée et ses

différentes formes futures et imaginaires.

L’étude se base sur un fonds d’archives futures, constitué

par M.U.F.I. 451, permettant de comprendre le terrain

de recherche et les différents "musées de science-fiction".

Ce corpus est sans limite, la volonté était d'embrasser au

plus large les différents domaines de l’art, car tous peuvent

faire partie de la science-fiction. Vous trouverez ainsi,

principalement de la littérature et du cinéma, mais aussi

des jeux vidéo, de la bande dessinée, des séries télévisées,

du théâtre ou encore de l’art contemporain. Si une des

œuvres abordées vous est inconnue ou que vous souhaitez

en savoir un peu plus à son sujet, vous pouvez retrouver le

fond d'archives M.U.F.I. 451 en ligne (voir carte d’accès

jointe au mémoire)

Vous rencontrerez également tous les types de musées :

musées d'art, d'histoire, de sciences naturelles… La

volonté des chercheurs était d'explorer toutes les incarnations

du musée possible dans la science-fiction, car vous

le verrez, cela beaucoup sur la manière dont il est abordé

dans l'œuvre.

- 10 -


Le travail de notre duo de chercheurs a été accompagné

d’un comité scienti-fictifs composé d’auteurs, de muséistes,

d’experts et de rêveurs que nous remercions grandement.

Ce mémoire se présente comme une promenade, un

voyage exploratoire . Le fil de l'écriture se déroule au fur

et à mesure des récits de fiction rencontrés, nous permettant

d'aborder sur notre chemin différentes thématiques

autour du musée.

De temps à autre vous trouverez des "interférences" dans

l’écriture, sortes de parenthèses ou d’intermèdes iconographiques

pour voyager un peu plus loin en images dans le

sujet abordé.

À présent, je vous invite à me suivre dans cette promenade.

J'espère que ce voyage vous inspirera un peu de curiosité,

et peut-être l'envie de vous aventurer dans ces récits incroyables

Attention :

- l'intrigue des oeuvres citées est susceptible de vous être divulguée, si

vous ne souhaitez pas être spoilé, désolée.

- les mots "musée" et "science-fiction" sont présents de nombreuses

fois dans ce mémoire. Il se peut, que tout comme moi, vous finissiez

hanté par ces mots ou que leur sens finisse par vous échapper à force

de les répéter.

- si des récits rencontrés vous donnent envie de lire l'intégralité, je

peux pour la plupart vous les prêter, il suffit de me demander ! ;)

- 11 -


Introduction

Ce mémoire est une incursion dans la science-fiction,

à la croisée des sciences et des fictions, il a vocation à

voyager à travers les univers pour chercher, observer et

imaginer les trajectoires présentes et avenirs de ce que l'on

nomme : musée.

Je souhaite démontrer qu'il est possible d'aborder la

science-fiction et ses créations imaginaires de manière

créative et réflective. Dans cet ensemble de récits et de

représentations peuvent aussi être trouvées des ouvertures

inspirantes, aidant notamment à réfléchir, autant dans la

forme que dans l'organisation, aux musées de demain.

À travers cette balade de possibles en impossibles, voici

un aperçu des musées du futur qui habitent les œuvres

de science-fiction. Ces musées qui vivent dans nos imaginaires

seront peut-être nos musées à venir.

- 12 -


Se demander "Et si ...?" c’est laisser place à l’imaginaire

infini. C’est faire un pas de côté et observer les possibles

qu’il y a devant nous. C‘est se projeter dans un avenir rêvé

pour comprendre nos trajectoires présentes.

Se demander "Et si...?" c’est aussi poser une question,

ouvrir une discussion et engager une réflexion. C’est créer

un doute, chercher des points de tension et de friction.

Cette question permet parfois de s’inscrire dans le champ

de la spéculation et de l’anticipation critique.

Se demander "Et si ...?" au musée c’est proposer un regard

sur ses enjeux actuels mais aussi sur son avenir. C’est interroger

son espace, ses pratiques et son rapport au public.

C’est un moyen d’expérimenter sur les scénographiques.

Et si la science-fiction, comme

outil de recherche et d'exploration,

nous permettait d'ouvrir les

imaginaires et les possibles,

afin de questionner le musée

actuel et à venir ?

- 13 -


I- La science-fiction

comme outil

de réfléxion

- 14 -


- 15 -

© Clément Vuillier


Quand la notion de futur

a-t-elle été inventée ?

Quand l’idée du futur a-t-elle été inventée ? A-t-on

toujours essayé de se projeter dans l’avenir ? Pourquoi

questionne-t-on le futur et depuis quand le fait-on ?

Nous pourrions croire que nous avons toujours tenté

d’imaginer ce qui allait arriver, comment la société allait

évoluer et comment les gens allaient vivre dans les temps

à venir. Mais, cette projection n’a pas toujours été un

exercice courant pour l’homme.

Dans les fictions du passé, et notamment dans les mythes

ou dans la religion, on observe une vision cyclique du

temps. En effet, les héros homériques se tournaient vers

le passé, et non vers l’avenir, pour comprendre leur vie ; les

personnages bibliques se tournaient eux aussi vers leurs

pères pour trouver la bonne façon de vivre 1 . Ces sociétés

imaginaient certes l’avenir, mais en se basant principalement

sur le passé, comme un éternel recommencement.

Ce qui se rapprochait le plus de la notion de futur était

peut-être la prophétie religieuse, c’est-à-dire, la prédiction

des choses qui allait advenir par inspiration divine.

Quelques projections pouvaient alors se rapprocher de

l’idée d’un futur changeant, parmi elles, un des récits les

plus répandus est celui de l’apocalypse, la destruction

totale, la fin du monde. Mais peu de ces récits d’avenir

étaient présents et très souvent, ils ne permettaient pas

d’imaginer un futur très différent du présent ou du passé.

1. Alderman Naomi, Why We

Write About This Thing Called the

Future, Literary Hub, 2019.

2. Cette idée est d’ailleurs

encore très présente dans notre

imaginaire commun et fait partie

intégrante du genre SF, elle a

aussi donné lieu aux histoires de

l’après fin du monde, le postapocalypse.

à droite,

illustration De la Terre à la Lune,

Jules Verne, gravure d’Alphonse

de Neuville, 1869.

- 16 -


- 17 -


L’idée du futur tel que nous le concevons, c’est-à-dire d’un

futur radicalement différent du présent, à probablement

commencé au XVIIIe siècle, à peu près en même tant

que le siècle des Lumières, une période de découvertes

scientifiques et de changements politiques rapides. Les

philosophes des Lumières amènent l’idée de progrès,

notamment social et politique : les choses ne resteront pas

telles qu’elles ont toujours été.

"L’idée d’un avenir qui ne

ressemblerait pas du tout au

passé, n’apparaît vraiment qu’à

partir du moment où les progrès

technologiques modifient les

conditions de vie et de travail au

cours d’une seule génération.

Pour cette génération, il devient

alors manifeste que, tout comme

le passé, l’avenir aussi différera

radicalement du présent." 3

3. Crowley, John. The Next Future. Lapham’s Quarterly, 2011.

- 18 -


4. Je parle ici de la Révolution

Américaine puis de la

Révolution Française.

Entre révolutions sociales et politiques 4 et révolution

industrielle, c’est certainement dans cette ère de bouleversement

des pensées, de transformation profonde des

sociétés et des modes de vie, que s’est construite l’idée du

futur.

Dès lors, l’avenir est une proposition attrayante pour les

écrivains et les penseurs. Au départ, les récits d’avenir

étaient principalement utilisés pour discuter d’idées politiques.

Mais en arrivant progressivement vers le XIXe

siècle, les évolutions scientifiques et technologiques ont

également commencé à se faire une place dans la littérature.

Ainsi, dès le début de la révolution industrielle, un

nouveau genre littéraire qui place la science au cœur de

la fiction commence à émerger. Du Frankenstein de Mary

Shelley (1818) aux aventures scientifiques de Jules Verne

(1850-1905) ou encore dans les romans philosophiques de

H.G. Wells (1887-1945), c’est l’émergence du merveilleux

scientifique. Le cinéma s’ouvre aussi à l’imaginaire, avec

des œuvres aujourd’hui majeures telles Metropolis réalisé

par Fritz Lang (1927) ou encore Le Voyage sur la Lune de

George Méliès en 1902.

- 19 -


H.G. Wells, La guerre des mondes, illustration Alvim Corrêa , éditions Omnibus, 1906.

- 20 -


(figure 1) extrait du film Le Voyage dans la Lune, réalisé par Georges Méliès, 1902.

(figure 2) extrait du film Metropolis, réalisé parFritz Lang, 1927.

- 21 -


À la fin du XIXe siècle apparaissent aux États-Unis les

pulps, magazines peu coûteux à l’origine utilisés pour

diffuser des articles théoriques et des notices de montage.

Hugo Gernsback, alors passionné de fictions et

notamment du merveilleux scientifique, intègre, dès

1923, dans ces magazines de vulgarisation scientifiques

de courtes fictions d’anticipations : "quoi de mieux qu’un

récit pour convaincre des transformations à venir de nos

vies promises par les découvertes de la science ?"

Désormais convaincu par la force des récits, sa ligne éditoriale

s’ouvre à la fiction. Dans les premiers numéros du

pulp magazine Amazing Stories de 1929, Hugo Gernsback

utilise pour la première fois le mot "science-fiction".

Influencé par Jules Verne et H.G. Wells, il est considéré

comme l’inventeur de cette terminologie et la répand ainsi

comme genre littéraire.

Pour lui la science-fiction a trois fonctions : la narration

pour l’engouement des lecteurs, l’information scientifique

pour leur éducation et la description de nouveaux usages

pour inspirer les inventeurs à concevoir de nouveaux

objets.

Aujourd’hui, presque 100 ans plus tard, la vocation de la

science-fiction a-t-elle évolué ? Comment peut-on s’en

saisir pour nos enjeux actuels ?

- 22 -


Couverture du pulp magazine Amazing Stories de 1929.

- 23 -


- 24 -


La science-fiction,

reflet de notre société

5. Hubert Guillaud, La SF sertelle

à rendre la science inéluctable ?

dans "Le réveil des imaginaires",

Socialter, 202

"La science-fiction n’est pas utile

parce qu’elle serait capable de

prédire le futur, elle est utile parce

qu’elle recadre notre perspective

sur le monde, nos hypothèses...

plutôt qu’elle ne les conforte." 5

Aujourd'hui, la question du futur est plus que jamais au

cœur de nos préoccupations. Dans un monde en constante

évolution, il devient crucial de se projeter dans l'avenir

pour anticiper les changements à venir et tenter de choisir

la voie la plus durable. Entre avancées technologiques,

mutations sociales et politiques et bouleversements climatiques,

notre avenir sera radicalement différent du présent.

à gauche,

illustration de Hugo Bienvenue

pour l’exposition Sens-Fiction,

2020.

Dans ce contexte, la science-fiction permet ainsi de

s'interroger sur les conséquences possibles de ces changements

et d'anticiper des futurs alternatifs. Elle permet

de se projeter dans un futur hypothétique et ainsi, de

réfléchir aux conséquences des choix présents sur l'avenir.

Elle offre un espace de liberté pour explorer des idées et

des concepts qui dépassent les limites de la réalité.

- 25 -


La science-fiction n'est pas là pour "prédire" l'avenir

mais plutôt pour l'anticiper, le rêver, le questionner. Elle

fonctionne comme le miroir de notre société. Comme une

lentille déformée, elle offre une image métaphorique de

notre présent.

Le plus souvent, la science-fiction fonctionne par extrapolation

de phénomènes présents. Et quand cela n'est pas

particulièrement intentionnel, on remarque tout de même

que les auteurs sont influencés par l'époque et la société

dans laquelle ils évoluent. La science-fiction est donc bien

plus qu’une porte vers les temps à avenir. Elle témoigne

également des désirs et des peurs des temps présents.

"La science-fiction, c’est l’art du possible" déclarait l’écrivain

américain Ray Bradbury. Sous couvert d'anticipation,

elle nous parle du présent. Elle est un laboratoire

d'hypothèses qui manipulent et extrapolent les normes et

dogmes du monde actuel. 6

6. Propos tiré de l’exposition Les

Portes du possible. Art & sciencefiction,

Centre Pompidou Metz,

du 5 novembre 2022 au 10 avril

2023.

"Toute prédiction sur ce qui est à

venir risque de porter davantage

sur le présent que sur l'avenir." 7

7. Crowley, John. The Next Future. Lapham’s Quarterly, 2011.

- 26 -


Ainsi, la science-fiction est un réel outil de réflexion. Que

ce soit par anticipation, en explorant des scénarios de

futurs alternatifs pour repenser notre rapport au monde,

ou, par extrapolation de phénomènes présents, pour

critiquer et poser des questions sur nos actions actuelles;

la science-fiction est un réel matériau à penser.

Au-delà d'un genre que l'on classe fréquemment du côté

du divertissement, il est possible d'aborder la science-fiction

avec plus d’attention et de curiosité. De ces récits

peuvent émerger des idées, des pensées aidant notamment

à réfléchir éthiquement et politiquement et de manière

collective, sur les défis de notre société.

Comme le défend Yannick Rumpala dans son livre, Hors

les décombres du monde (2018), la science-fiction propose

certes des récits, mais peut aussi être envisagée comme

"un espace de production, de représentation et d'idées, et

spécialement d'idées nouvelles ou originales. En installant

et en accumulant des expériences de pensée, elle offre un

réservoir cognitif et un support réflectif : autrement dit,

un type de connaissances utilisable pour devenir matière

à réflexion"

- 27 -


" La fiction est un outil social et collectif pour

penser les récits futurs. "

(figure 1) Illustration de Hugo Bienvenue pour l’exposition Sens-Fiction, 2020.

(figure (citation) 1) François légende de Ribac, l’image Table Ronde, L’Anthropocène et les pratiques artistiques, patrimoniales,

(figure muséographiques, 2) légende de CRI, l’image Festival des Idées Paris, novembre 2021.

- 28 -


8. Alain Damasio, écrivain

français de science-fiction.

"En touchant des affects et des

percepts, on va chercher un public

qui n’ouvrirait pas un essai de

philosophie ou de sociologie

mais qui est content de spéculer

et de réfléchir à la société.

L'identification au personnage

est un vecteur extraordinaire qui

permet d’embarquer le lecteur

dans un vaisseau spatial. C’est la

clé de tout." 8

Pour revenir à la définition d'Hugo Gernsback, la

science-fiction aurait pour fonction "la description de

nouveaux usages pour inspirer les inventeurs à concevoir

de nouveaux objets". La science-fiction est donc, dès son

origine, étroitement liée à l'évolution des modes de vie

et au développement de l’imaginaire des créateurs. Ainsi,

pourrait-on dire que la science-fiction est proche des

enjeux du design ?

- 29 -


La science-fiction,

un médium exploratoire

"Pourquoi s'intéresser aux imaginaires, aux récits d'anticipation

et au pouvoir de la fiction lorsqu'on est designer

en 2020 ?" Ainsi débute l’exposition Sens-Fiction 9 qui

s’intéresse au lien créateur entre design et fiction.

9. Exposition Sens-Fiction,

au Tripostal à Lille lors de

l’événement Design is Capital

en 2020.

Nous l'avons vu, la science-fiction est un réel laboratoire

pour questionner notre rapport au monde et nos actions

présentes. Le design, lui, dans sa vocation à répondre aux

besoins émergeants et à concevoir les espaces et objets qui

nous entourent, est étroitement liée à la question du futur

et des usages à venir.

De plus, il est important pour le designer de créer en considérant

le monde. Comme le souligne Victor Papanek, "en

tant que designers socialement et moralement engagés,

nous devons répondre aux besoins d’un monde qui est au

pied du mur".

à droite,

Futurama : Highways and

Horizons, General Motors,

maquette réalisée par Norman

Bel Geddes, en collaboration

avec Albert Kahn, Installation

qui présente une vision du

monde du futur dans 20 ans pour

promouvoir l'automobile, 1940.

- 30 -


- 31 -


" Raconter le futur c'est s’engager

sur la position délicate que

prennent les hommes dans

leur environnement. Les récits

d'anticipation spéculent sur un

monde qui pourrait être, ils ne sont

donc pas de simples divertissements

sans conséquences. Ils inspirent et

forgent des trajectoires collectives,

l'histoire le prouve [...] " 9

9. Cartel d’exposition, Ramy

Fischler et Scott Longfellow

commissaires de l'exposition

Sens-Fiction, LIlle, 2020.

Ainsi, peut-on envisager la science-fiction comme outil

pour le designer ? À la fois dans sa dimension critique

et réflexive mais également dans son aspect productif,

comme réservoir de représentation et d'idées nouvelles.

La fiction est un moyen de se projeter dans l’avenir. Liée

au design, elle est un vrai "médium exploratoire" qui peut

être utilisé tant dans la démarche de projet que dans sa

finalité. C’est en explorant les scénarios futurs que l’on

peut répondre aux enjeux actuels.

La science-fiction offre un réel terrain d’expérimentation

pour les designer. Grâce à la projection dans un futur hypothétique,

il possible d'imaginer l’impossible et ainsi, par

ce pas de côté, nous aider à penser autrement, et ouvrir

nourrir notre imaginaire créatif.

La science-fiction a un rôle à jouer dans la recherche, par

exemple ce processus est déjà expérimenté par la Red

Team 10 . Ce programme de recherche initié par l'armée

10. Créé en 2019, ce programme

met en relation des auteurs

et autrices, dessinateurs et

scénaristes de science-fiction,

avec des designers, experts

scientifiques et militaires

pour imaginer et anticiper des

possibles menaces futures.

- 32 -


française fait appel à des auteurs de science-fiction pour

imaginer des scénarios futurs. Pourrait-on ainsi imaginer

ce type de recherche-fiction dans d'autres domaines,

comme le design et la scénographie ?

11. Un terme très récent évoqué

pour la première fois en 2005

par Bruce Sterling qu’on peut

associer à la discipline du design

spéculatif ou encore au design

critique.

Bien plus qu’un outil de création, la fiction a donné lieu

à une nouvelle discipline : le design fiction 11 . Il consiste

à explorer les implications d'évolutions futures. L’objectif

est de se servir des techniques semblables à la science-fiction

pour proposer une réflexion sur nos actions actuelles

et leur devenir. On étudie des signaux faibles, sur lesquels

on s'appuie pour imaginer différents scénarios qui ont

vocation à interroger collectivement les publics.

En tant que designer, on peut alors aller puiser dans la

science-fiction soit avec une posture réflexive et critique,

comme le propose le design fiction, soit dans la volonté

d'une ouverture créative, d'un élargissement de nos imaginaires.

12. Zanzibar, collectif d’auteurs

et autrices de science-fiction,

manifeste.

"Nos avenirs –communs et

individuels –nous appartiennent,

et nous avons le pouvoir de les

imaginer, de jouer avec, de les

expérimenter et de les construire à

notre guise." 12

Ainsi, nous pouvons explorer et utiliser la science-fiction

en tant que scénographe. Il est possible d'envisager

la science-fiction comme un médium d'exploration des

musées à venir.

- 33 -


II- Le musée

et l'imaginaire

- 34 -


- 35 -

© Pauline Hutin


Le musée porteur

d'histoires

Le musée est un lieu qui se retrouve souvent au cœur des

récits de fiction. Par ce panorama de récits et d'images,

l'exemple du Louvre nous montre que ce lieu bien particulier

est vecteur d'imagination. Pourquoi ce lieu fascinet-il

? Quelle est la place de l'imaginaire au sein du lieu

musée ?

Lors de la conférence "Quel musée en 2049", en 2019,

Jean-Luc Martinez, ancien directeur du Louvre s'exprime

sur les différentes motivations des publics à venir au

musée. Avec l'exemple du clip de Beyoncé et JAY-Z,

tourné au musée du Louvre, il dit que ces artistes sont

venus choisir "leur Louvre" pour nourrir leur créativité

et leur imaginaire. Il dit "C'est ça qu'il faut donner aux

visiteurs, la liberté, le choix, l’imagination".

Ainsi, à travers cet entracte iconographique, je vous

propose de découvrir les différents Louvre des auteur.ices

et illustrateur.ices de bande dessinée de science-fiction.

Lieu d'inspiration et d'imaginaire, le musée est le lieu

d'intrigue de multiples récits.

- 36 -

à droite,

extrait de TANIGUCHI Jirō, Les

gardiens du Louvre, Futuropolis

et Louvre Éditions, 2020.


- 37 -


Extrait de LEVALLOIS Stéphane, Léonard 2 Vinci, Futuropolis et Louvre Éditions, 2019.

- 38 -


Extrait de CHI TAK Li, Moon of the moon, Futuropolis et Louvre Éditions, 2019.

- 39 -


Extrait de Déjà Vu de Chang Sheng dans Les rêveurs du Louvre, ouvrage collectif de 8 auteurs japonais et

taïwanais, Futuropolis et Louvre Éditions, 2016.

- 40 -


Extraits de MATHIEU Marc-Antoine, Les Sous-sols du Révolu, Futuropolis, 2006.

- 41 -


(figure Extrait 1) de légende CHAVOUET de l’image Florent, L’île Louvre, Futuropolis et Louvre Éditions, 2015.

(figure 2) légende de l’image

- 42 -


Extrait de DE CRÉCY Nicolas, Période glaciaire, Futuropolis et Louvre Éditions, 2005.

- 43 -


Peut-on dire qu’au-delà de ses fonctions d’information,

d’éducation, de recherche et de conservation, le musée a

pour fonction de raconter des histoires ?

La notion d'imaginaire est présente dans la vision du

musée de Roberto Peregalli dans son livre Les lieux et la

poussière 13 :

"Il suffit de penser à l’émotion qu’on

éprouve en visitant un musée à l’heure de

la fermeture. Dans le silence des salles,

éclairées par la faible lueur des puits

de lumière au crépuscule, surgissent

les œuvres, comme des fantômes qui

vous entraînent dans un monde à part,

émergeant de la mémoire et de la nostalgie."

13. Peregalli Roberto, Les lieux et

la poussière, Aléa, 2010.

Selon l’auteur, les œuvres telles les trésors d’un sanctuaire

sont porteuses d’un symbole fort. Le lieu du musée est

quant à lui leur réceptacle, leur temple 14 . Les œuvres et les

collections sont décrites par Krzysztof Pomian 15 comme

des objets "sémiophores", des signes qui offrent un témoignage,

renvoient à autre chose, au passé d’où ils viennent, "à

un monde exotique dont ils sont des documents uniques,

aux mondes invisibles".

Il y a même quelque chose de magique dans ces objets

que l’on garde précieusement. En cela, on pourrait se

rapprocher de la vision de Walter Benjamin et de ce qu’il

qualifie "d’aura" 16 en l'œuvre. Les œuvres ont quelque

chose d’inexplicable qui nous fascine.

14. Tel que le temple dédié aux

muses, à l’origine du musée. Du

latin museum, issu du grec ancien

Μουσεïον, mouseîon "temple des

muses".

15. POMIAN Krzysztof, Le

musée, une histoire mondiale,

Gallimard, 2020.

16. "Qu’est-ce au juste que l’aura

? Une trame singulière d’espace

et de temps : l’unique apparition

d’un lointain, si proche soit-il".

Définition de Walter Benjamin

de ce qu’il nomme "l’aura" d’une

œuvre dans le magazine culturel

Die literarische Welt paru en 1931

dans son texte Petite Histoire de la

photographie.

- 44 -


C’est parfois au creux de ces objets sémiophores que les

récits de fictions viennent se nicher. Le musée devient

le réceptacle des multiples histoires qui émergent des

objets exposés. Le musée, tel un portail, ouvre sur d’autres

mondes.

C’est par exemple le cas du Musée de l’espace, une série de

comics des années 1950. Dans ces courtes bandes-dessinées,

chaque jour Howard Parker emmène son fils au

Musée de l'Espace : autour d'un trophée, d'un objet rouillé,

ou d'une pierre, il lui raconte l'exploit d'un humain qui a

sauvé la Terre ou d’autres héros de l’univers. Le musée

devient un prétexte pour raconter des histoires.

Le musée est-il un réceptacle, le simple flacon de l’imaginaire

? Ou pourrait-on dire que le musée comme l'œuvre

qu’il contient peut être porteur d’une certaine magie, voire

d’une "aura" ?

INFANTINO Carmine et FOX Gardner, Musée de l’Espace, DC Comics, 1954-1964.

- 45 -


- 46 -


Un espace autre,

entre l’ici et l’ailleurs

17. ECO Umberto, PEZZINI

Isabella, Le musée, demain,

Casimiro, 2015.

Il fait ici référence à

l'architecture du musée

Guggenheim de New York

dessinée par Franck Lloyd

Wright.

Comme l’écrit Umberto Eco 17 , " les œuvres ont leur importance,

certes, mais ce qui importe encore davantage,

c’est la visite en spirale qui permet de les voir rapidement,

une après l’autre ". Il exprime ainsi l’incidence du lieu

dans notre approche des œuvres. L’objet et son réceptacle

(le trésor et le sanctuaire) construisent ensemble le signifié

du lieu.

"Nous pouvons voir qu’elles

constituent des îles qui se

détachent du lieu où elles se

situent. Des lieux qui, à l’égal de

ce qui se produit sur une île, du

fait de ces éléments de rupture et

de discontinuité, se transforment

en un monde autonome, hypersignifiant".

17

à gauche,

extrait du court-métrage de

MARKER Chris, La Jetée, 1962.

- 47 -


La préface du livre Le musée, demain 17 compare le musée

à des îles par analogie. Lieu signifiant, monde autonome,

une île qui se détache, le musée est sans aucun doute très

différent des autres lieux.

Michel Foucault évoque les musées comme des hétérotopies

du temps. Le mot "hétérotopie" 18 est un concept qu’il

emploie pour la première fois dans la conférence de 1967

Des espaces autres. Un espace "autre" qu’il définit comme

une localisation physique de l’utopie.

18. Selon lui, "l'hétérotopie a

le pouvoir de juxtaposer en un

seul lieu réel plusieurs espaces,

plusieurs emplacements qui sont

en eux-mêmes incompatibles."

Cette vision du musée comme hétérotopie, comme espace

de l'ailleurs se retrouve aussi dans la science-fiction. Je

pense ici au court-métrage La Jetée de Chris Marker

(1962) dans lequel le héros se retrouve plongé dans le

souvenir d'une visite au Muséum d'Histoire Naturelle de

Paris. Ici le musée est vecteur d'imaginaire, de poésie et

d'une certaine magie. En quelques images au muséum,

Chris Marker nous plonge dans nos rêves d’enfants parmi

les spécimens fantastiques, comme hors du temps.

Le musée est alors un lieu qui héberge l’imaginaire par

le fait de rassembler de multiples temporalités dans un

espace lui-même hors du temps (hétérotopie) mais

aussi dans l’accumulation des objets sémiophores nous

proposant de multiples histoires.

Dans cette approche, ce qui le distingue d'un lieu de culte

ou d’une bibliothèque, au-delà de ses fonctions d’éducation

et de transmission, est certainement que ce lieu se

vit, qu’il implique le corps et le regard dans un espace

physique empli de symboles. C'est un lieu traversé, un

lieu d’échange, un lieu où se tisse de multiples interactions

entre tous les éléments qui l'occupent.

- 48 -


Extraits du court-métrage de MARKER Chris, La Jetée, 1962.

- 49 -


"Ce sont des espaces concrets qui

hébergent l'imaginaire, comme

une cabane d’enfant, un théâtre

ou encore un musée." 19

L’espace du musée est, tel que le présente Arnaud

Sompairac 20 , un espace stratifié. Il est composé de

nombreux éléments qui cohabitent au sein d’un même

espace. L’auteur nous propose d’un côté l'espace habité et

de l’autre l’espace fictionnel, "l'ici et l'ailleurs".

19. En parlant des

"hétérotopies", concept forgé

par Michel Foucault dans une

conférence de 1967 intitulée Des

espaces autres.

20. SOMPAIRAC Arnaud,

Scénographie d’exposition,

six perspectives critiques,

Metispresses, 2016.

L’espace fictionnel est la mise en place d’un récit dans un

espace, c’est d’ailleurs de cette manière que l’on pourrait

définir la scénographie. Dans cet espace du musée, un jeu

de juxtapositions, de frictions et de dialogues s’installe

entre le réel et l’espace habité. L'espace habité étant celui

qu'occupent les visiteurs : lieu de déambulation, de repos

et d’échange. Dans cette dualité, le musée est un véritable

lieu de société.

Les musées deviennent de réels "cités culturelles" aux

fonctions plurielles : expositions, théâtre, médiathèque,

parc et jardins, animations estivales … Les musées se

repensent et le mouvement actuel est celui d’une ouverture

de ses fonctions et de ses publics, ils se veulent lieu de vie

et de rencontres. Le musée devient pluriel, mouvant et

vivant.

- 50 -


21. Ernesto Oltone R., sousdirecteur

général de l'Unesco

pour la culture, conférence sur

l’avenir des musées, organisé par

l’UNESCO le 18 mars 2021.

ci-dessous,

montage photo à partir des

archives du Musée d'Histoire

Naturelle de Lille,

Pauline Hutin, 2022.

" les musées ne sont pas

des institutions figées mais

des organismes vivants,

profondément ancrés dans nos

sociétés et intimement liés aux

événements du monde " 21

Et si le musée de demain était un organisme vivant ? Un

écosystème muséal pensé comme un ensemble de composants

formant un réseau qui partage, qui échange et qui

se développe, entre œuvres, public et institutions, entre

connaissances, contemplation et récits.

- 51 -


Un musée est comme

un roman …

" Un musée est comme un roman :

lorsqu'un visiteur rentre, il attend

qu'on lui raconte quelque chose

et quand il rentre chez lui, il veut

raconter ce qu'il a vu sous forme

de récit. " 22

22. Citation tirée d'une

conférence de Omar Calabrese

dans le cadre du cours Sémiotique

et musée : le labyrinthe du regard,

donné à Bilbao en 2001.

Après étude de ces deux entités, que sont le lieu du musée

et le genre artistique de la science-fiction, quels rapprochements

pouvons-nous opérer entre elles ?

Dans cette analogie, je parle ici de "l’expérience" muséale.

Ces dernières années, nous pouvons en effet observer un

glissement sémantique passant de "visite de musée" à

"expérience du musée" 23 . Cette expérience n’est pas celle

de l’étude scientifique, de l’instruction expérimentale

des choses, mais plutôt celle du vécu, de la pratique que

l’on retient et acquiert. En parlant du musée, l’expérience

permet d’élargir l’idée de visite, on englobe alors l’avant et

l’après visite mais aussi et surtout, les affects, le moment

vécu, l’usage du lieu, l’événement ressenti.

à droite,

illustration du Musées des Ombres,

François Schuiten 1990.

- 52 -


- 53 -


"L'expérience muséale est l'ensemble des impressions,

des émotions, des connaissances et des souvenirs qu'une

personne peut ressentir et acquérir lorsqu'elle visite un

musée. Elle englobe l'ensemble des interactions et des

activités proposées par le musée." 23

23. Pinel-Jacquemin, Stéphanie,

et al. "Que signifie " expérience de

visite pour le public enfant ?" Hors

thème, vol. 36/1, 2019

Ainsi, l’expérience muséale vécue par un public fait appel

à ses sens, ses émotions et suscite des pensées tout comme

la lecture de fiction. Toutes deux, par le récit et les œuvres

qu’elles proposent, amènent à la réflexion et peuvent

embrasser des sujets divers de société en questionnant nos

actions et nos modes de vie.

"Le visiteur peut se comparer au lecteur

d’un livre, il puise et articule, s’approprie

ce qu'il entend s'approprier, toujours à son

rythme, et il est plus ou moins éveillé, lucide,

excité, ennuyé." 24

24. SOMPAIRAC Arnaud,

Scénographie d’exposition,

six perspectives critiques,

Metispresses, 2016

Cette posture, parfois active et parfois passive, est permise

dans les deux cas par la mise en récit d’un propos, la

narration d’une idée. Le récit invite le public à prendre

part à l’histoire, que celà soit conscient ou inconscient,

celui-ci se retrouve alors plus impliqué.

L’histoire stimule l'intérêt et favorise l'apprentissage. Il

y a une réelle dimension pédagogique au musée, lieu de

transmission des savoirs, mais aussi dans certaines œuvres

- 54 -


de science-fiction. Car nous l’avons vu précédemment, ce

genre est à l’origine utilisé pour aborder et vulgariser des

questions scientifiques, techniques ou sociales.

Le musée et la science-fiction convergent dans leur

capacité à captiver l'attention du public et à éveiller sa

curiosité. Et c’est en cela qu'ils m'intéressent tous deux ;

ils suscitent le désir d’apprendre, de se poser des questions,

de s’évader dans des univers infinis, d’imaginer les choses

autrement, et permettent de se demander "et si … ?".

Pour moi, le musée et la science-fiction doivent incarner

la curiosité et l'imaginaire.

25. cf. annexe; interview de

Christian Nottola, expert en

littérature de science-fiction.

" Au musée, on est mis à l’épreuve

de la diversité et de l’inconnu. On

peut être curieux de découvrir des

choses que l’on ne connaissait pas

et découvrir les histoires qui se

cachent derrière les objets exposés.

Le musée permet d’ouvrir de

nouvelles perspectives sur le monde,

comme la littérature de sciencefiction.

" 25

- 55 -


Selon Isabelle Nottaris 26 , un des enjeux fondamentaux du

musée est de susciter la curiosité du public et son désir de

connaissance. En parlant des musées d'histoire naturelle,

elle affirme que le propos scientifique, parfois ardu, est

rendu compréhensible, voire désirable, grâce au discours

qui accompagne les pièces.

Enfin, tous deux me fascinent pour leur faculté à nous

transporter dans des mondes imaginaires. Ils ouvrent des

fenêtres sur d'autres univers, permettent de voyager et

s’évader le temps d'un instant. Ils sont une aventure, un

voyage dans le temps et dans l'espace.

26. Isabelle Nottaris, directrice

adjointe du Muséum d’Histoire

Naturelle de Toulouse. Propos

recueillis lors de la table ronde,

l’Anthropocène et les pratiques

artistiques, patrimoniales,

muséographiques, CRI, Festival

des Idées Paris, novembre 2021.

Partons maintenant à la rencontre de ces récits aux

confluences du musée et de la science-fiction …

" Le musée est le lieu de la

connaissance et du réel mais il est

aussi un portail qui ouvre sur des

univers parallèles. " 25

25. cf. annexe; interview de

Christian Nottola, expert en

littérature de science-fiction.

- 56 -


Illustration du Musées des Ombres, PEETERS Benoît et SCHUITEN François, 1990 - 1991.

- 57 -


III- Musées : miroirs

de notre temps

Si la science-fiction agit comme un miroir de notre

société, alors quelle place occupe le musée dans ces futurs

hypothétiques ? Que révèlent ces œuvres des problématiques

actuelles et à venir du monde muséal ?

- 58 -


- 59 -

©2001, l'Odysée de l'espace


- 60 -


1.

Musées passés,

musées fantômes,

musées mémoires ...

à gauche,

photographie des réserves du

Musée d'Histoire Naturelle de

Lille, Pauline Hutin, 2022.

- 61 -


Absence du musée,

une société sans art

ni lieu de culture

Avant de partir à la rencontre des musées de science-fiction,

il est important d'évoquer leur absence. Que révèle

un récit qui choisit délibérément la mise en place d’un

monde sans musée ? Qu'est-ce qu'une société sans art,

sans histoire et sans lieu de culture ?

Récemment, cette question s’est posée également au

monde réel : peut-on se passer du musée ? La période

Covid a remis en question leur importance et beaucoup se

sont demandés s’ils étaient essentiels. Bien que le contexte

sanitaire l'exigeait, cette fermeture a rappelé une question

majeure pour le secteur muséal : quelle est la place du

musée dans notre société ? Comment cette institution

est-elle présente et agit au sein des communautés, et

notamment dans un contexte de crise, ici sanitaire ?

Cette période a également rappelé que le musée occupe

une position fragile, facilement écarté ou menacé de

fermeture. Crises sanitaires, guerres, crises économiques,

conflits politiques ou encore catastrophes climatiques sont

autant de contextes qui ont vu les musées être contraints de

fermer, se cacher voir disparaître. (voir images suivantes)

à droite,

collage photo réalisé pour ce

mémoire, Pauline Hutin, 2023.

- 62 -


- 63 -


(figure La grande 1) légende Galerie de du l’image Louvre abandonnée, reportage photo réalisé par Marc Vaux en 1939 durant la

(figure seconde 2) guerre légende mondiale de l’image © Centre Pompidou - MnamCci - Bibliothèque Kandinsky / Photo Marc Vaux.

- 64 -


(figure 1) Laure Albin Guillot, Le Louvre pendant la guerre, 1939, 16.5×23.9cm.

(figure 2) Musée de Mossoul, Irak, détruit en 2015 par Daech, photographie de Sébastien Meyer.

- 65 -


(figure 1) légende Gravure de l’image 1876, montrant l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie.

(figure 2) légende Incendie de du l’image Musée National de Rio de Janeiro, 2 septembre 2018 © Carl de Souza/ Afp

- 66 -


27. D'après l'archéologue

Stéphen Rostain en parlant du

musée de Rio, brûlé en 2018.

"Un musée comme celui-ci qui

brûle, c’est une civilisation qui

meurt" 27

Ce scénario est exploré dans l’exposition Le musée imaginé,

et si l’art disparaissait ? au Centre Pompidou-Metz en

2016. C’est par un récit dystopique que nous entrons dans

l'exposition. Elle place le visiteur en 2052, dans un futur

où l’art est menacé d’interdiction et où l'ombre d’une

disparition totale approche. Quelques œuvres ont pu être

sauvegardées au sein d’un musée mais chacun doit essayer

de les préserver pour les générations futures, et ce, par sa

mémoire et sa propre expérience.

28. Propos tirés du dossier de

presse de l’exposition Le musée

imaginé, Et si l’art disparaissait ?,

Centre Pompidou-Metz, 2016-

2017.

29. En référence aux "hommeslivres"

dans Fahrenheit 451, de

Ray Bradbury , ed. Ballantine

Books, 1953.

L’exposition s’inspire du roman Fahrenheit 451 de Ray

Bradbury (1953), dans lequel un groupe de personnes

devenus des "hommes-livres" fait face à une prohibition

des livresen apprenant par cœur les grands ouvrages de

la littérature mondiale, devenant ainsi des bibliothèques

vivantes. L’exposition immerge le visiteur dans une

dystopie où l’art semble voué à disparaître. 28

Les deux derniers jours, les œuvres exposées sont retirées,

on assiste alors à la disparition contée dans le récit de

l’exposition. Celles-ci sont remplacées par des "hommesœuvres"

29 qui vont interpréter et raconter les collections

grâce à leur mémoire et leur vécu. Performeurs et public

remplacent alors les œuvres pour les conter à d’autres.

- 67 -


L'exposition soulève des questions fondamentales comme

la place de l’art, le rôle du musée et l’importance qu’il a

dans la société. Comme dans Fahrenheit 451, on observe

que le plus souvent c’est dans les sociétés totalitaires que

les musées sont absents.

Que ce soit par interdiction ou simplement par perte

d’intérêt, dans ces mondes dystopiques où la culture est

perdue, réduite, imposée ou contrôlée, les populations

ont une culture unique, sans esprit critique, sans pensée

propre et libre.

L'absence du musée dans la science-fiction met en lumière

son importance. Les musées sont indispensables à la

société moderne, amenant savoirs, mémoire et éducation,

ils permettent l’ouverture des imaginaires et l’émergence

d’une pensée critique. En tant qu’espace d’expression de

notre passé et de notre présent, ils inspirent et forgent nos

trajectoire futures.

- 68 -


Photographie issue du catalogue d’exposition, Le musée imaginé, Et si l’art disparaissait ?, Centre

Pompidou-Metz, 2016. Oeuvre de Isa Genzken, OIL XV ; OIL XVI 2007 2, 2007, MMK Museum für

Moderne Kunst Frankfurt am Main © Adagp, Paris 2016.

- 69 -


Martin Kippenberger, The Modern House of Believing or Not, 1985, MMK Museum für Moderne Kunst

Frankfurt am Main © Estate of Martin Kippenberger, Galerie Gisela Capitain, Cologne.

L'humour et l'ironie propres à Kippenberger sont évidents dans sa vision apocalyptique du Guggenheim

de New York. Des nuages noirs tourbillonnants engloutissent le musée terne, qui semble gonfler et se

rompre sous nos yeux ; il est monumental mais étrangement sans vie. Si le musée de Frank Lloyd Wright

n'était pas si reconnaissable, il pourrait passer pour un parking à étages.

- 70 -


Quand le musée se

conjugue au passé ...

Abordé précédemment dans l'imaginaire du musée, nous

avons vu que ce lieu est parfois associé à l’image du sanctuaire,

un lieu figé rempli de fantômes, envoyant vers des

objets d’un monde antérieur. C’est une critique récurrente

portée à ces institutions, les musées sont vus comme passéistes,

sacralisés et inaccessibles. Le musée est-il un lieu

trop ancré dans son passé ?

30. PEREGALLI Roberto, Les

lieux et la poussière, Aléa, 2010.

Selon Roberto Peregalli 30 , la magie du musée réside

justement dans sa relation au passé. Il déplore la transformation

des musées, critique les architectures modernes

qui selon-lui détruisent la poésie de ces lieux et des objets

qu'ils renferment.

"Plus de poussière, plus de patine,

plus d'ombre. Adieu à la chair

dont nous sommes faits. Tout

est aseptisé. En supprimant la

mortalité de la vie, le lieu mœurs

éternellement." 30

- 71 -


Pour lui, la magie du musée se trouve dans la poussière

et dans la continuité de l’espace et l’objet exposé. C’est en

ces lieux chargés d’histoire que se crée le rapport intime

et délicat avec l'œuvre, et c’est ce lien, cette contemplation

de la mémoire qui la rend vivante.

"Lorsqu'on entre dans un musée tel

l'Ermitage, où les œuvres sont présentées,

comme elles l'ont toujours été, de façon

rassurante, et dans lequel la poussière et la

lumière vibre à l’unisson, la poussière du

temps, de la vie, de la nostalgie, alors on se

sent chez soi." 31

D'après PEREGALLI Roberto,

Les lieux et la poussière, Aléa,

2010.

Le musée d'État de l'Ermitage

est un musée situé à Saint-

Pétersbourg, en Russie. Fondé en

1764, c'est le plus grand musée

du monde quant au nombre

d'objets exposés.

À l’inverse, un siècle auparavant, Filippo Tommaso

Marinetti proclamait en 1909 le manifeste du futurisme

dans lequel il expose lui aussi sa vision du musée. Dans

une vision totalement opposée, il invite à combattre la

conservation du passé et prône la destruction des musées.

Sa cible première reste la société italienne que le poète

trouve paralysée, figée dans un temps révolu, sa volonté

profonde est "d'échapper à l'envoûtement du passé, au

despotisme des académies pédantes qui étouffent les

initiatives intellectuelles et les forces créatrices de notre

jeunesse".

- 72 -


32. Manifeste du Futurisme,

Filippo Tommaso Marinetti,

1909.

Les mots sont forts et les propos marquants, selon le

manifeste, il faut "débarrasser l'Italie des musées innombrables

qui la couvrent d'innombrables cimetières. " 32

" Et boutez donc le feu aux rayons

des bibliothèques! Détournez le

cours des canaux pour inonder les

caveaux des musées! " 32

Que l'on soit de l'avis de Peregalli ou de Marinetti, il est

certain que les musées entretiennent un lien fort avec le

passé et qu’ils ont une fonction politique et sociale. Cette

dualité reflète les deux versants du musée entre la préservation

du passé et de la mémoire, et l'émergence continue

de nouvelles formes artistiques et d'avant-garde.

Dans la science-fiction, c'est une vision courante : le

musée est une ruine, un lieu oublié, qui renvoie au passé,

aux fantômes d'un monde révolue, conservé depuis une

époque lointaine … Dans la plupart de ces récits, le musée

du futur est celui du passé.

- 73 -


"Est-ce à dire que les musées n’ont

pas d’avenir ? Non. Leur présent

est simplement atrophié. Associés

au passé, ils n’ont pas vocation à

faire irruption dans l’avenir." 33

33. Dans la préface de Musées

miroirs, musées brisés, Christian

Nottola expose le fait qu'il n'y a

pas beaucoup de représentations

du musée dans la SF. Il pense

que les musées étant trop

souvent attachés au passé dans

notre imaginaire commun, ils

ne sont donc pas des sujets

faciles à prendre en main dans la

littérature du futur.

Cela est sûrement dû à la fonction miroir de la sciencefiction.

Les musées du futur sont ceux de notre présent,

comme un regard en arrière permis par le point de vue

décalé dans le temps. Tout comme les musées du passé,

témoins de notre humanité, sont les garants de notre

présent.

Faut- il opposer le rapport musée-passé et sa mise en

perspective dans l’avenir ? Pourquoi ces musées du futurs

conjuguent le musée au passé et donc à notre présent ?

- 74 -


Photographie des réserves du Musée d'Histoire Naturelle de Lille, Pauline Hutin, 2022.

- 75 -


- 76 -


Archéologie du futur :

la figure de la ruine

34. À l’époque le terme

"science-fiction" n’existait pas

encore mais Herbert George

Wells est considéré comme un

des pères fondateurs de ce genre.

Il lui a donné nombre de ses

thématiques et certains de ses

plus immortels chefs-d’œuvre.

Embarquons désormais à travers le temps et l'espace à

la découverte du "Palais de porcelaine verte", un musée

phare parmi les œuvres de science-fiction issus d'une

œuvre majeure du genre. La Machine à explorer le temps,

de H.G. Wells (1995), est une des premières aventures de

science-fiction. 34

Ce récit débute à Londres, à la fin du XIXe siècle, dans la

maison d’un inventeur qui raconte son incroyable voyage

à travers le temps. Le voyageur commence son récit en

décrivant le monde de l’an 802 701. La Terre est habitée

par les Elois, descendants des hommes. Le monde semble

être devenu un paradis mais ils découvrent ce qui se passe

sous terre.

Plus tard dans le récit, le héros, accompagné d’une Elois,

découvre le Palais de Porcelaine Verte. Un musée du passé

qui semble miraculeusement préservé.

à gauche,

collage photo réalisé pour ce

mémoire, Pauline Hutin, 2023.

- 77 -


" Dès le premier coup d’œil, j’eu l’idée

d’un musée. Le carrelage était recouvert

d’une épaisse couche de poussière, et

un remarquable étalage d’objets variés

disparaissait sous une pareille couche

grise. J’aperçus alors debout, étrange

et décharné, au centre de la salle,

quelque chose qui devait être la partie

inférieure d’un immense squelette. Je

reconnus, par les pieds obliques, que

c’était quelque être disparu, du genre

du Mégathérium." 35

35. Extrait de La Machine à

explorer le temps, H. G. Wells,

1895, chap. XI.

Distance Culturelle

Dans ce futur lointain, l'architecture de porcelaine résonne

avec les valeurs de progrès du XIXe siècle. Ce musée fait

référence à l’image du futur présente à l’époque de Wells,

avec un langage architectural du fer et du verre à travers

cette porcelaine délicate presque intacte. Il est un mélange

des deux bâtiments rencontrés par Wells, le South

Kensington Muséum et le Crystal Palace de l'exposition

universelle de Londres en 1851.

- 78 -


(figure 1) Le Crystal Palace de l'exposition universelle de Londres en 1851.

(figure 2) Image d'archive du South Kensington Muséum, Londre, au XIXe siècle.

- 79 -


Collage photo réalisé pour ce mémoire, Pauline Hutin, 2023.

- 80 -


Étrangement, le musée et les objets exposés ont été

assez bien préservés malgré cette époque très lointaine.

Le voyageur du temps y découvre un espace familier, qui

le revoit à sa propre époque. C’est un musée de sciences

et d'histoire naturelle, une typologie de musées qui n’est

pas laissée au hasard car elle fait un parallèle au récit qui

aborde l'évolution de la civilisation tout en proposant un

musée d’objet dans lequel le héros peut trouver des outils

et ressources. La figure du musée ressource est d'ailleurs

un thème récurrent dans les musées de SF. Grâce aux

multiples objets qu’il renferme, il sert souvent de dispositif

narratif utilitaire comme ici, dans La machine à explorer

le temps, avec les allumettes trouvées dans le musée qui

serviront dans la suite de l’histoire.

Mais alors que le voyageur se retrouve à sa place, les vitrines

et objets exposées ne semblent pas captiver les Elois. Le

musée a perdu toute sa signification pour ce peuple qui

s’y désintéresse complètement, il n’est à leurs yeux qu’un

simple bâtiment abandonné, un lieu inconnu.

36. BUTT Amy, The Present

as Past: Science Fiction and the

Museum, Open Library of

Humanity Journal, 2021.

Selon l'analyse de Amy Butt* 36 , "dans cet état de ruine

partielle, le Palais de la Porcelaine Verte nous confronte à

l'impermanence et à la distance temporelle à deux échelles

; alors que la présence du musée et de ses objets exposés

suggère que la poussière vient juste de retomber sur un

futur qui n'est pas trop éloigné de notre présent, la perte

d'une humanité reconnaissable au profit d’une nouvelle

- 81 -


société divisé entre la naïveté des Elois et la monstruosité

des Morlocks, crée une distance importante avec notre

époque. [...] Si les Elois peuvent passer leurs mains sur

les surfaces lisses des vitrines et observer les objets parfaitement

conservés, ils n'ont aucune envie de franchir

la distance conceptuelle qui les sépare des objets qu'elles

contiennent."

Le récit du progrès scientifique, promis par le voyageur

du temps, est déconnecté du présent par la figure de la

ruine. Au contraire, le musée spatialise une autre forme

d’évolution, car il mène par ses planchers en pentes vers la

cité souterraine des Morlocks. La société des Elois et des

Morlocks est une critique acerbe des divisions sociales de

l'époque de Wells. 37

Ainsi, le musée du passé dans ce futur lointain marque une

distance culturelle mais il est aussi un indicateur temporel

important.

37. Les Elois sont censés avoir

évolué à partir des classes

supérieures, tandis que les

terrifiants Morlocks sont le

résultat de générations lointaines

de la classe ouvrière brutalisées,

et sont maintenant devenus

les prédateurs de leurs anciens

maîtres.

La figure de la ruine

Alors que le monde de 802 701 est radicalement différent

de ce que le voyageur connaît, il retrouve au musée un

rattachement au réel, à son monde passé. Le musée sert

de relique de notre présent et joue le rôle de marqueur

pour mesurer le temps écoulé. La ruine est ainsi un motif

iconographique et littéraire qui confronte l’humain à une

échelle de temps qui le dépasse.

- 82 -


38. Jones Gwyneth,

Deconstructing the Starships:

Science, Fiction and Reality.

Liverpool University Press, 1998.

39. SONTAG Susan, The

Imagination of Disaster, Farrar,

Stairs and Giroux, 1965.

D’après Gwyneth Jones 38 , l'impossibilité de décrire entièrement

un monde imaginaire dans un seul texte de

fiction signifie que les objets, les artefacts et les espaces

qu'ils contiennent ne peuvent pas se permettre d'être sans

importance; en tant que tels, ils invitent à un examen

attentif et critique comme fenêtres sur un monde. Ainsi, le

musée est tel un portail sur l’ancien monde, le nôtre, et le

confronte radicalement à ce futur pour nous faire réfléchir.

Dans les récits de SF, Susan Sontag 39 décrit l'attrait

récurrent d'une esthétique de la destruction, l'attrait de

futurs imaginaires qui déciment le présent construit, ne

laissant qu'une ruine, l'échec catastrophique du maintien

de notre monde contemporain. Ce thème à d'ailleurs

donné lieu à un sous-genre récurrent dans la SF, la

science-fiction post-apocalyptique. Elle repose sur un

fragile équilibre entre une civilisation éteinte et un chaos

installé. C'est à la fois la fin du monde et un nouveau

départ.

On retrouve le musée dans deux grandes licences jeux

videos post-apocalyptiques : Fallout 3 et 4 (2008-2015) et

The Last of Us partie II (2020). Dans le premier, le monde

a été décimé par une guerre nucléaire mondiale, et dans

le second, c’est une pandémie qui a ravagé la terre. Tous

deux utilisent le musée comme refuge mais également

comme marqueur temporel. Dans ces mondes chaotiques

et dévastés, les musées sont défaits de leurs fonctions

initiales et ne sont plus que les vestiges fragiles d’une

civilisation passée.

- 83 -


Extraits des jeux Fallout 3 et Fallout 4, Bethesda Game Studios, Bethesda Softworks, 2008 et 2015.

- 84 -


Extraits du jeu The Last of Us Part II, Naughty Dog, Sony Interactive Entertainment, 2020.

- 85 -


Alerter, redécouvrir, la distance critique par le musée

Ces musées-ruines du futur fournissent un terrain capital

pour confronter les répercussions de nos actions et productions

matérielles du présent. Comme l'a noté Richard

Crownshaw 40 , "cela fait de la science-fiction un genre particulièrement

bien placé pour s'attaquer à l'Anthropocène.

Elle est capable de s'engager dans des échelles d'espace

et de temps auxquelles d'autres formes de fiction n'ont

pas accès, tout en établissant une connexion empathique

avec les individus confrontés à de vastes problèmes systémiques,

tels que la crise climatique."

40. CROWNSHAW Richard,

Speculative Memory, the Planetary

and Genre Fiction. Textual

Practice, 2017.

Nous retrouvons cette idée dans la bande dessinée Période

Glaciaire, de Nicolas de Crécy (2005). Le musée du

Louvre que le lecteur reconnaît est, pour les explorateurs

de ce temps, un lieu inconnu qui ne fait pas de différence

avec une station essence ou un supermarché. L'histoire

se déroule dans un futur lointain, après une catastrophe

climatique. La terre est revenue à une ère glacière et les

quelques humains qui arpentent encore ce monde, tentent

de comprendre quel est ce lieu.

Une thématique que l’on retrouve aussi dans le jeu Mμ,

imaginé pour le musée du Mucem à Marseille. Réalisé par

le studio de jeu vidéo The Pixel Hunt (2019), il propose

une promenade ludique et poétique " vingt-mille lieues

sous le musée ". Cette aventure guide les visiteurs curieux

dans un parcours narratif au musée. Ils incarnent alors des

archéologues du futur qui vont tenter de comprendre ce

qu’est ce lieu immergé sous les eaux.

- 86 -


(figure 1) DE CRÉCY Nicolas, Période glaciaire, Futuropolis et Louvre Éditions, 2005.

(figure 2) The Pixel Hunt, Mμ, musée Mucem, 2019.

- 87 -


Extrait du jeu The Last of Us Part II, Naughty Dog, Sony Interactive Entertainment, 2020.

- 88 -


Dans ces fictions, les musées devenus inconnus permettent

d’aborder les répercussions de nos actions dans le présent.

La présence des lecteurs ou des joueurs dans ces espaces

devient tangible, devenant les visiteurs d’un musée dévasté,

l’expérience de spéculation proposée suscite une réflexion

critique. Le musée étant un symbole fort de notre histoire

et notre civilisation, il est un lieu majeur pour exprimer

cette empathie projetée dans un futur détruit.

La ruine du musée, devient le symbole d’une civilisation

disparue, elle peut permettre réflexion et prise de

conscience sur des questions actuelles comme la crise

climatique.

Le musée en tant que lieu d'éducation et de transmission

peut permettre de délivrer ce message. Bien qu'il soit le

gardien des temps passés, il a aussi vocation à avertir et

engager les visiteurs vers un avenir durable.

41. MULLER Lizzie, Speculative

Objects: Materialising Science

Fiction. dans Fisher, L, Cleland,

K, and Harley, R, 2013.

"dans le jeu de leur impossibilité, de leur

obsolescence et de leur liminalité avec leur

existence tangible, ces espaces et objets

agissent non seulement comme des miroirs

de notre propre réalité, mais aussi comme

des portails qui nous permettent, ne seraitce

que fugitivement, de la dépasser." 41

- 89 -


Le musée, gardien du

temps et de la mémoire

Si le musée se retrouve parfois en état de ruines ou de

vestiges dans la science-fiction, la question de la préservation

se pose alors. Rôle majeur pour l’institution, la

conservation des œuvres est primordiale; mais également

celle de la mémoire des lieux, des objets, de l'Histoire des

hommes et du monde. Préserver, conserver, pour l'avenir

et les générations futures. Une valeur mémorielle présente

au sein même du mot musée.

Museo-Muse est un entrelacs de mots

antiques. Les muses étaient filles de

Mémoire. Le musée est un lieu dédié aux

Muses. Leur temple. Templum, d’où "

contempler–refléter ". La vision de quelque

chose qui a été. Le recueillement silencieux

devant l'œuvre. C'est un lien très fort avec

le passé, avec le temps. Les œuvres sont

déposées dans un lieu qui les accueille pour

toujours. C'est un temple du souvenir. C'est

la contemplation de la Mémoire." 42

42. PEREGALLI Roberto, Les

lieux et la poussière, Aléa, 2010.

à droite,

Programme Voyager : le Golden Record, En 1977, la NASA envoie deux sondes dans l’espace, Voyager 1

et 2 pour étudier Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et leurs nombreuses lunes pour enfin ne jamais revenir.

Deux vinyles y sont attachés. Ils contiennent 116 images, œuvres et photographies, et 90 minutes de sons

terrestres, de salutations et de musiques ... le tout représentant l’humanité dans deux disques (musées ?).

- 90 -


- 91 -


Le musée sous cloche

Dans la science-fiction, la notion de conservation est

souvent incarnée sous la forme d'un dôme, d'une bulle,

d'une cloche, d'une vitrine immense et protectrice 43 . Une

représentation surprenante mais qui en dit beaucoup

sur ces musées futurs. Voyageur du temps ou capsule

temporelle dans laquelle le temps s’est arrêté, le musée

s’auto-conserve et devient le témoin d'un passé disparu.

"Bienvenue. Vous venez de débarquer

sur Rémanence. Cette planète est

célèbre dans toute la Voie Lactée pour

son musée constitué de milliers de

dômes. Ces structures abritent des lieux

caractéristiques de différentes planètes

habitables des Mondes Connus. Le

musée de Rémanence assure ainsi la

sauvegarde de civilisations anciennes

très diverses et pour certaines

disparues." 44

De la planète musée empli de dôme dans la nouvelle

Rémanence 44 , en passant par la Vieille Maison sous cloche

dans Nous Autres 45 , des paysages, des environnements, des

bâtiments entiers sont muséifiés pour traverser le temps.

43. Ils ne sont pas sans

rappeler les dômes géodésiques

tels ceux développés par

l'architecte américain Richard

Buckminster Fuller. La géode

la plus remarquable est celle du

pavillon des États-Unis construit

à l'occasion de l'exposition

universelle de Montréal en 1967.

44. Introduction de la

première nouvelle, Rémanence,

MARTINIGOL Danielle, 1115,

2018.

45. ZAMIATINE Evgueni,

Nous autres, Paris, Gallimard,

1929.

- 92 -


(figure 1) Illustration de Marakulina Asya du livre Nous Autres, Zamiatine (1929), 2015.

(figure 2) PEETERS Benoît et SCHUITEN François, Revoir Paris - intégrale, Casterman, 2018.

- 93 -


Extraits de Interstellar, NOLAN Christopher, 2014, 141 mn.

- 94 -


46. PEETERS Benoît et

SCHUITEN François, Revoir

Paris - intégrale, Casterman,

2018.

C’est le cas également dans la bande-dessinée Revoir

Paris 46 , du célèbre duo d’auteur et illustrateur utopiste,

Benoît Peeters et François Schuiten. En 2156, Kârinh

venu de l’Arche, une colonie spatiale qui a quitté la terre

depuis une centaine d'années, revient pour découvrir le

Paris dont elle a tant rêvé à travers ses livres. Le centre

de Paris est enfermé dans un gigantesque dôme de verre.

Dépourvue d’habitants, la ville est désormais un musée

pour les touristes les plus fortunés. Tel un îlot coupé

du monde, ce (faux) Paris muséifié est devenu une ville

fantôme.

À la fin du film Interstellar de Christopher Nolan, le commandant

Cooper se réveille sur une station spatiale qui a

quitté la terre. Il est le héros d’une expédition qui a permis

de sauver l'humanité d'une terre surchauffée. Sur ce vaisseau-colonie,

il découvre son ancienne maison devenue

un musée. Entièrement transportée ou reconstituée, cette

maison-musée sert de souvenirs pour son époque passée.

Aménagée de quelques écrans proposant des récits de

personnes ayant vécu sur terre, la maison témoigne de la

vie quotidienne durant la crise climatique. L'objectif est

de garder en mémoire et d'informer les nouvelles générations

sur les origines et le motif de ce départ précipité.

Cette maison gardée sur la station spataile a donc une

valeur éducative et mémorielle.

- 95 -


Récolter la mémoire …

Le musée comme gardien du temps et de la mémoire

est une vocation qui fait partie intégrante de nos musées

actuels. À l’inverse, peut-on l'imaginer comme glaneur des

récits passés, collectionneur de souvenirs ? Dans certaines

fictions, c’est ainsi qu’il s’incarne : le musée est le lieu où

l'on récolte la mémoire.

Dans le jeu Mass Effect Andromeda 47 , le joueur peut visiter

le Dépôt de l'Histoire, un lieu qui collecte et étudie les

vestiges d'une civilisation disparue. Lieu de coopération

scientifique et culturelle entre plusieurs espèces, l'objectif

de ce musée est de reconstituer la mémoire et l'histoire

des Reliquats à travers la recherche d’artefacts. Le musée

joue alors un rôle important dans la préservation d’une

civilisation perdue et représente un lieu d'alliance et d'entraide

envers une autre espèce.

Dans le roman de fiction spéculative The Wanderground

de Sally Miller Gerhardt (1978) 48 , nous découvrons au sein

d'une communauté de femmes, des "salles des souvenirs"

qui servent de lieu pour la mémoire collective. Dans

cette histoire, les groupes de femmes ont fui les villes des

hommes pour établir des communautés dans les collines.

47. BioWare Montréal, Mass

Effect: Andromeda, Electronics

Arts, 2017.

48. Cette collection de

récits est une œuvre majeure

dans la littérature de fiction

écoféministe.

Ici, le musée repose sur la mémoire vivante des femmes

de la communauté et sur le partage de leur récit. Dans

- 96 -


Extraits de Mass Effect: Andromeda, BioWare Montréal, Electronics Arts, 2017.

- 97 -


les salles de souvenirs, les objets s'adressent directement

au visiteur, avec des étiquettes qui racontent de manière

audible les expériences individuelles des femmes de la

communauté qui ont interagi avec eux. Ils établissent une

relation entre l'expérience personnelle d'une personne

est l'objet exposé rendant ainsi visible la subjectivité de

l'histoire racontée par l'objet.

Pour Angelika Bammer 49 , "Gearheart fait s'effondrer la

distinction entre Histoire et récit en suggérant qu'ils sont

faits de la même matière". La mémoire devient collective

et l'histoire se partage, le musée se veut un lieu d’éducation,

les jeunes apprennent des traumatismes passés

accompagnées par leurs ainées.

49. Bammer, A Partial Visions:

Feminism and Utopianism in

the 1970s. New York; London,

Routledge, 2004.

Dans ce musée, le discours est constitué est partagé par

toutes. L'autrice rappelle ainsi que dans une exposition,

le discours et l'histoire racontée ont un point de vue, un

regard particulier qui ne la rendent pas tout à fait objective

et universelle. Il est important de se rappeler la polysémie

des regards, des vécus, des récits et leur subjectivité. Dans

les salles des souvenirs, l'acte d’exposer un objet est réalisé

comme un acte de narration tout en reconnaissant que ce

récit et son sens ne sont pas universels.

- 98 -


… et parfois (re)semer le monde

Dans ces mondes futurs, la question climatique est souvent

un sujet important. Ainsi, le musée comme lieu de conservation

incarne également la préservation du vivant et de

la biodiversité.

50. Dans le recueil de nouvelles

Musées, des mondes énigmatiques,

ouvrage collectif réalisé à

l’initiative du ministère de la

Culture et de la Communication,

Denoël, 1999.

Dans la nouvelle Silence d’Outre-monde de Cécile Voin 50 ,

une rebelle s'est introduit dans le département des "Petits

bonheurs du monde brûlé". En ce musée sont conservés

des arbres, des plantes, des graines, … tout ce qu'il reste

de la biodiversité après les incendies et la guerre nucléaire

qui ont ravagé le monde. Cette femme a pour mission de

piller le vivant pour faire renaître la terre.

C'est une belle métaphore de percevoir dans le musée

le bourgeon de la vie et d'une liberté à semer. La vieille

Maison dans Nous Autres en est aussi le portrait, car dans

ce musée témoin d'un passé réprouvé, est né la rébellion et

le désir de liberté.

- 99 -


- 100 -


11.

Musées

& pouvoir

à gauche,

La Toilette de Vénus, de Diego

Velazquez, en mars 1914 après sa

lacération à la National Gallery,

Londres.

- 101 -


Lieu du pouvoir

51. ORWELL Georges, 1984,

"Qui contrôle le passé contrôle

Secker and Warburg, 1949.

l'avenir ; qui contrôle le présent

contrôle le passé" 51

Dans cette célèbre réplique du roman de science-fiction

1984, George Orwell met en garde sur la manipulation

du passé à des fins politiques, notamment dans les

régimes totalitaires. Le musée étant garant de l'Histoire

et de la mémoire, il est lui aussi menacé par cette prise de

pouvoir. Cette institution qui a vocation à l'éducation et

au partage des connaissances se veut universelle avec une

parole véridique et factuelle. Pourrait-on ainsi affirmer,

qui contrôle le musée contrôle le savoir ? Mais dans ces

jeux de pouvoir le musée peut-il être instrumentalisé par

un régime autoritaire ?

Quelle place occupe le musée dans la dystopie ? Que

révèlent ces fictions sur les possibles dérives de l'institution

?

- 102 -


Extrait de Blade Runner 2049, Denis Villeneuve, 2017, 134 mn.

- 103 -


Sous-genre de la science-fiction, la dystopie fait le récit

de sociétés imaginaires régies par un pouvoir totalitaire ou

une idéologie néfaste. Généralement, l'État a une autorité

et un contrôle total sur la population qui n'a pas de libre

arbitre. Se voulant contraire à l'utopie, la dystopie reprend

des idéologies ou des événements réels, poussés à leur

extrême afin de faire l’exemple de ce qui ne doit pas se

produire pour le futur.

Nous l'avons vu précédemment, la plupart du temps dans

ces sociétés totalitaires, le musée est absent. La culture,

l'art et l'histoire ne sont pas compatibles avec ces régimes

qui contrôlent leurs populations et ne leur offre qu'une

idéologie, qu'une manière de penser pour ne pas qu'elle

s'éveille.

Cependant, bien qu'il soit interdit, le musée n'est pas

toujours absent mais il est caché, secret, sauvegardé par

des populations rebelles au péril de leur vie.

Dans le film Equilibrium 52 ou encore dans Fahrenheit 451,

l’art et la culture subsistent et résistent face à la violence

de l'État.

À l'inverse, le musée est parfois utilisé pour asseoir

le pouvoir et répandre une opinion ou une doctrine

politique. C'est le cas du musée de la propagande dans le

livre 1984, qui, tout comme le Ministère de la Vérité dans

lequel travaille le personnage du récit Winston, manipule

le passé et expose la vision d’un État est puissant et juste.

52. WIMMER Kurt,

Equilibrium, 2002, 107 mn.

Dans la cité-état de Libria, les

émotions sont interdites par

l’usage d’une drogue. Une police

spéciale traque les "dissidents

émotionnels" et détruit leurs

possessions illégales. C’est

ainsi que la cité ne possède

aucun musée, le principe même

de "collection d’arts" étant

sévèrement réprimandé.

- 104 -


"– Où était Saint-Martin ? Demanda Winston.

– L'église de Saint-Martin ? Elle est encore

debout. C'est au square de la Victoire, contigu

à la galerie du peintre ; un édifice qui a une

sorte de porche triangulaire, des piliers en

avant et un escalier monumental.

Winston connaissait bien l'endroit. C'était un

musée affecté à des expositions de propagande

de diverses sortes : modèles réduits de bombes

volantes et forteresses flottantes, tableaux en

cire illustrant les atrocités de l'ennemi, et ainsi

de suite."

Extrait de la bande dessinée 1984, de Derrien et Torregrossa, édition Soleil, 2020, d'après l'oeuvre de

George Orwell

- 105 -


Machine Games, Wolfenstein: The New Order, Bethesda Softworks, 2014.

- 106 -


54. L'uchronie est un genre de

fiction qui repose sur le principe

de la réécriture de l’Histoire à

partir de la modification d’un

événement passé.

De son côté, le jeu Wolfenstein reprend le principe de

l’uchronie 54 et se demande : et si les nazis avaient gagné la

seconde guerre mondiale ? Un des niveaux du jeu présente

un musée de l'espace, lieu de propagande qui expose les

conquêtes du régime. Ici, l'architecture du musée représente

cet état totalitaire, l'organisation de l'espace et

l'atmosphère présente expriment assez bien l’emprise et la

terreur de cette dystopie.

Dans son livre Les Origines du totalitarisme (1951),

Hannah Arendt explique pourquoi le contrôle du musée

est un enjeu dans les récits dystopiques. Selon elle, "la

manipulation du temps par un régime totalitaire est une

façon d’assurer son pouvoir. Administrer le passé, c’est

contrôler l’histoire et la mémoire d’une population. Le

musée est de plus un lieu d’échanges et de rencontre de

points de vue, de savoirs, d’avis … susceptible d’éveiller le

libre-arbitre."

54. Celui qui inspira 1984 de

George Orwell et Le Meilleur des

mondes d'Aldous Huxley.

C'est dans cette lignée qu’est imaginée la "Vieille Maison"

dans le roman Nous Autres d'Evgueni Zamiatine en 1929.

Cette fiction dystopique est considérée comme l'un des

premiers chefs-d'œuvre du genre 56 . Il est célèbre pour

avoir anticipé le climat politique du XXème siècle et pour

sa critique des dérives totalitaires du régime soviétique.

Dans cette histoire, Zamiatine imagine un futur dans

lequel le bonheur est régi par la rationalité et les mathématiques.

Dirigé par le "Bienfaiteur"," l’État Unique" impose

un mode de vie précis à chacun des individus. Dans cette

cité de verre, ceux-ci sont devenus des simples numéros

faisant partie d'un tout, ils ne sont plus "je" mais "nous".

Ce livre est le journal d'un homme nommé "D-503", au

départ écrit à la gloire de ce monde aseptisé mais qui va

peu à peu devenir le récit d'une insurrection et de la découverte

de ses émotions et sa propre pensée.

- 107 -


"De loin, on voit apparaître les taches troubles,

vertes – là-bas, au-delà de la Muraille. Puis le

cœur défaille légèrement, involontairement

– plus bas, plus bas, plus bas – c'est comme

descendre une montagne escarpée – et nous

voici devant la Vieille Maison.

C'est un bâtiment étrange, fragile, clos sur luimême,

il est protégé de tous les côtés par une

enveloppe de verre : sans quoi, bien entendu, il

se serait écroulé depuis longtemps. [...]

J'ai ouvert la porte, lourde, grinçante,

opaque – et nous voici dans un local sombre

et en désordre (ils appelaient cela en

"appartement"). [...] les lignes du mobilier,

déformées par l'épilepsie, impossibles à

transcrire algébriquement.

J'avais du mal à supporter ce chaos." 56

56. Passage décrivant la Vieille

Maison dans Nous autres,

Evgueni Zamiatine, Paris,

Gallimard, 1929.

- 108 -


Dans cette cité faite de verre, l'architecture reflète la perfection

et réfute toute déficience ou fragilité. Ainsi, dans ce

monde homogène et sans faille, la Vieille Maison contraste

très fortement avec son environnement. Conservée dans

un dôme de verre, agissant comme une vitrine de musée

abritant une exposition unique, cette enceinte parfaite nie

la possibilité du temps et du changement tout comme la

doctrine de l'État Unique.

Alors que D-503 visite le musée pour la première fois, il

est submergé par le désordre qui l’entoure. C'est justement

l'effet recherché par l'État, l'objectif étant de proposer

une expérience choquante, de présenter le passé comme

incompréhensible et d'inspirer un sentiment de dégoût et

de chaos. À côté, le mode de vie instauré par le pouvoir

apparaît exemplaire, logique et synonyme de bonheur.

Mais l’absence de signification force à une interprétation

et un regard critique de la part de D-503 qui cherche à

comprendre ce passé. Il y revient régulièrement et y trouve

peu à peu un questionnement en éprouvant des émotions

personnelles. Alors que ce musée se voulait exemple

d'un passé révolu et imparfait, il opère le rôle inverse en

amenant l’idée d’un libre-arbitre, d’une poésie du monde

et des sentiments. Il devient le lieu de l'insurrection, réunissant

les quelques dissidents près à renverser le pouvoir.

Le musée est ici un instrument critique de ce futur totalitaire,

un lieu de contre-pouvoir.

à gauche,

The Glass Fortress, adaptation en

court métrage de Nous autres,

Evgueni Zamiatine (1929) de

2016, écrite et réalisée par Alain

Bourret.

- 109 -


- 110 -


Lieu de contre-pouvoir

En renversant le cadre et les codes de cette institution,

certains opèrent un contre-pouvoir et utilisent le musée

comme lieu de vandalisme politique et de prise de parole.

De la soupe au musée

Le vendredi 14 octobre 2022, des militantes écologistes

ont aspergé de soupe les Tournesols, de Vincent Van Gogh

à la National Gallery de Londres. Elles se sont ensuite

collé la main au mur tout en énonçant leurs discours :

" Qu’est-ce qui vaut le plus ? L’art ou la vie ? (… ) Êtes-vous

plus inquiets pour la protection d’une peinture que pour

celle de la planète et de sa population ? ". Leur acte s’inscrit

dans une suite d'événements similaires dans les musées,

un militantisme qui cible prioritairement des œuvres

connues du grand public et exposées dans de grandes

institutions européennes.

à gauche,

deux militantes écologistes

viennent de jeter de la soupe à

tomate sur Les Tournesols de Van

Gogh, à la National Gallery, à

Londres, le 14 octobre 2022 -

Just Stop Oil.

Ces actes ne sont pas nouveaux, le musée a déjà été par le

passé, le cadre d’actes politiques et militants pour une toute

autre cause cette fois. Le 10 mars 1914, Mary Richardson,

militante pour les droits civiques des femmes, avait

tailladé de neuf coups de couteaux La Toilette de Vénus, de

Diego Velazquez à la National Gallery (également).

"Attentat", "mutilation", "boucherie", "attaque violente"

de l’art, cet acte avait indigné le musée et la population.

- 111 -


Néanmoins, la portée médiatique qui a suivi a permis de

faire passer le message de Mary Richardson mais aussi

d’ouvrir le débat sur ce type d’action et la question qu’elles

posent d’un point de vue social et politique sur l'art et

l’institution muséale. 57

57. Tiré des propos de Bruno

Nassim Aboudrar dans le journal

Le Monde, 25 octobre 2022.

Lors de son arrestation et pendant le procès, elle oppose

beauté morale et beauté physique. D’après Bruno Nassime

Aboudrar, journaliste du Monde, "en s’attaquant à Vénus,

" la plus belle des femmes ", Mary Richardson a vengé

Emmeline Pankhurst, " la meilleure des femmes " , leader

du mouvement suffragiste, maltraitée en prison". " La

justice, commentait-elle, est un élément de la beauté, bien

plus que la couleur et les lignes sur une toile. "

Pour l'œuvre de Van Gogh et les autres actions plus

récentes des militants écologiques, ce ne sont pas les

caractéristiques iconographiques des œuvres qui sont

- 112 -


sollicitées, mais la portée médiatique qu’elles offrent dans

ces grandes institutions. De plus, ces œuvres sont toutes

protégées par des vitres, il n’y a donc pas de volonté de

dégradation de l'œuvre comme pour Mary Richardson.

L’action est dans la représentation et l’illusion d’un acte

de vandalisme pour faire passer un message symbolique.

Et pourquoi le musée spécifiquement comme lieu pour

ces actions ?

"Ce que nous disent ces actes

au musée, c’est que notre

conservatisme ne va pas jusqu’à

garder le monde, que nous

protégeons mieux l’art que la

nature, que notre passé est plus

en sûreté que notre futur." 57

Ce n’est pas l'œuvre qui est visée, c’est le musée, l’institution.

Car l’institution muséale est aussi le symbole de

l'État, les directions et choix muséographiques suivent

les volontés politiques et culturelles. Le musée est fondamentalement

un lieu politique. Lieu de conservation, de

monstration des vestiges passés, mais aussi par la sélection

d'une collection d'œuvres d’arts, le musée est parfois perçu

comme une institution figée et de dominance cultuelle.

C’est donc en ces lieux chargés de symbolique pour la

société que les militants prennent parfois la parole et

performent leur message. Inquiets pour le futur, ils crient

leurs peurs dans le lieu du passé.

à gauche,

L' arrestation de Mary Richardson

© AFP - ©Lee/leemage

- 113 -


Dans la pièce La Réponse des Hommes, mise en scène par Tiphaine Raffier, la scénographie représente un

musée. Dans une des dernières scènes, on peut voir un socle avec un tract mis sous verre. Les personnages

viennent le regarder comme le vestige d'un espoir passé. Alors que la pièce ne cesse de faire ressentir des

alarmes (figure 1) comme légende un de avertissement, l’image les acteurs clament "nous sommes désolés". La visite de ce futur musée

représente (figure 2) légende alors l'histoire de l’image des militances écologiques qui sont restées vaines.

- 114 -


RAFFIER Tiphaine, texte et mise en scène, La réponse des hommes, scénographie de Hélène Jourdan, 2020.

- 115 -


Le Joker au musée : transgression de l'institution

Le musée est aussi le théâtre d’actes de vandalisme politiques

dans la science-fiction comme dans le film Batman

de 1989 réalisé par Tim Burton.

Batman est un super-héros de fiction appartenant à

l’univers de DC Comics qui évolue dans un univers

dystopique. Une histoire de vengeance qui oppose héros

et vilains et notamment l'ennemi juré de Batman : le

Joker, criminel dont la folie est forgée par la violence de

Gotham City.

Dans l’adaptation de Tim Burton 58 , au milieu du film, le

Joker et sa bande vandalisent un musée après avoir tué

tous les gardes. Le musée est constitué d’une collection

imaginaire qui rassemble les plus grandes œuvres de

l’art occidental. Dans cette scène, celles-ci sont lacérées

à coups de couteaux, taguées à la bombe, jetées à terre,

éclaboussées de peinture ou couvertes d’inscriptions.

58. BURTON Tim, Batman,

1989, 126 mn.

Dans le cadre narratif du film, cette scène contribue à

dessiner l’archétype du méchant qu’est le Joker, essentiel

dans un film de super-héros. Mais ce passage au musée

peut aussi dire bien plus.

- 116 -


BURTON Tim, Batman, 1989, 126 mn.

- 117 -


(figure BURTON 1) légende Tim, Batman, de l’image 1989, 126 mn.

(figure 2) légende de l’image

- 118 -


En s'attaquant aux œuvres dans cet acte iconoclaste, le

Joker s’attaque au musée pour bousculer les conventions.

Sa bande et lui prennent leur revanche sur une institution

représentative de la dominance culturelle et sociale. Par

cette action violente, ils critiquent ce que le musée représente,

ordre, norme et sacralisation pour ramener plus de

transgression. Cet acte destructeur deviendrait presque

une performance artistique.

La présence du musée dans ce film tout public déconstruit

et provoque la distinction hiérarchique qui est

parfois faite entre "grande culture" et "culture populaire".

Le Joker et la science-fiction se confrontent au musée et

à l’institution.

Extrait de Batman, BURTON

Tim, 1989, 126 mn.

- 119 -


Que les musées doivent-ils

désapprendre ?

Si l’on retourne aux événements présents et à ces actions

militantes au musée, on peut se demander ce que les

conservateurs de musées pensent de ces actes de transgression

?

Emilie Girard, présidente d’ICOM France et directrice

scientifique et des Collections du Mucem à Marseille,

s'exprime à ce sujet : "Notre rôle est de protéger les œuvres

[...] par ailleurs, si les musées sont des lieux d’expression de

revendications, nous devons pouvoir entendre ces discours

et faire notre part pour être exemplaires en matière de

développement durable. [...] Les musées sont intégrés à

la société. Ils se doivent d’être à l’écoute de ce qui s’y passe

pour être réactifs et pouvoir répondre aux nouveaux défis

qui émergent."

De la même manière, plusieurs directeurs et directrices

de musées se sont exprimés dans les entretiens menés par

András Szántó dans son livre The Future of the Museum

(2021). À la question "que les musées doivent-ils désapprendre

pour demeurer pertinents ?", ils répondent que les

musées doivent " descendre de leur piédestal " et " déconstruire

leurs propres règles " pour " s’ouvrir progressivement

" et " commencer à écouter davantage ". Les musées

doivent " abandonner leur arrogance " et se défaire de " la

perception d’élitisme ". 59

59. Extraits traduits par

Barthélémy Glama de The Future

of the Museum : 28 dialogues,

András Szántó, 2021, édition

Hatje Cantz, Berlin.

à droite,

COOGLER Ryan,

Black Panther, 2018, 134 mn.

- 120 -


- 121 -


Extraits de Black Panther, COOGLER Ryan, 2018, 134 mn.

- 122 -


Il existe une ambiguïté entre un effet hégémonique et le

désir d’universalité au musée. Ainsi, la prise de conscience

actuelle au sein du domaine muséal le confronte aux

questions de l'héritage historique, de l'injustice raciale et

des inégalités structurelles. Les débats au sein des institutions

culturelles se sont focalisés sur la responsabilité

dans les pillages coloniaux et la perpétuation de l'injustice

raciale systémique. Ce nouvel examen critique ravive et

amplifie les reproches passées sur l'éthique des musées.

60. COOGLER Ryan,

Black Panther, 2018, 134 mn.

Cette question est très justement représentée dans le film

Black Panther 60 de 2018. Cette saga raconte l’histoire de

Black Panther, roi du Wakanda, une nation africaine fictive

très avancée technologiquement. Au début du film, le personnage

de Killmonger, originaire lui aussi du Wakanda,

visite une exposition consacrée à l’art africain dans un

musée qui fait clairement référence au British Museum.

Une conservatrice méfiante vient parler à Killmonger de

la collection, elle lui parle de la "découverte" des objets

exposés. Il lui demande alors si elle pense que ses ancêtres

les ont achetés puis il l’a corrigé à propos d'une arme :

son origine n'est pas le Bénin mais le Wakanda et il va la

reprendre. Il ajoute ensuite que les gardes le surveillent

de près depuis qu'il est entré, plus préoccupés par son

corps noir dans l'espace du musée que par le café qu’il a

empoisonné.

- 123 -


La scène ne prend pas plus de cinq minutes du film, mais

elle concentre les tensions liées à l'histoire coloniale et

aux injustices raciales 61 . Bien que l’arme Wakandaise soit

fictive, les objets exposés font référence aux bronzes du

Bénin pillés par l'armée Britannique au XIXème siècle et

qui se trouvent aujourd'hui au British Museum. Le journal

de muséologie The Hopkins Exhibitionist, présente un

article intitulé Why museum professionals need to talk about

Black Panther ? D’après cet article, le musée dans le film

"est présenté comme un outil du colonialisme et, en même

temps, comme un espace qui n'accueille même pas ceux

dont il expose la culture." Le propos amène l’idée que

la science-fiction peut encourager une réflexion éthique

dans les institutions. En proposant cette confrontation

entre Killmonger et la conservatrice, le film Black Panther

suggère une collaboration essentielle en vue de la compréhension

et de la restitution des œuvres.

Il est récurrent que le musée soit caractéristique d'un

organe du pouvoir dans la science-fiction et les sociétés

dystopiques. Un autre exemple majeur est celui du film

La Planète des Singes de Franklin Schaffner 62 . Sous l’apparence

d’un film de divertissement, ce récit de science-fiction

aborde plusieurs problématiques sociétales importantes

telles que le racisme, la religion ou encore la guerre

nucléaire. L’hisoire est celle d’un futur hostile, dominé par

les singes/ ayant réduit les humains en esclavage. Par ce

renversement des rôles, le film est l'occasion d'aborder

plusieurs sujets sensibles à l’époque de l’auteur, dans

l’Amérique des années 1960.

61. Ce propos sous-tend dans

tous les films Black Panther.

62. SCHAFFNER Franklin, La

Planète des singes, 1968, 112 mn,

inspiré du roman éponyme de

Pierre Boulle de 1963.

- 124 -


Extraits de La Planète des singes, SCHAFFNER Franklin, 1968, 112 mn.

- 125 -


63. PINFIELD Mervyn, The

Space Museum, épisode de la série

Doctor Who, BBC, 1965.

64. GUNN James, Les gardiens de

la galaxie, 2014, 121 mn.

65. HARMON Dan et

ROILAND Justin, Rick et

Morty, depuis 2013.

66. GROENING Matt et

COHEN David X., Futurama,

The Curiosity Company et 20th

Century Fox Television, depuis

1999.

- 126 -


Dans le film, deux humains arrivent sur la planète des

singes et l'un deux se fait capturer. Le prisonnier devient

un sujet d'observation scientifique, une scène qui n'est pas

sans rappeler la traite des animaux en laboratoire, mais

il parvient à s'enfuir. En s’échappant, il pénètre dans un

musée qui semble être à vocation scientifique. Dans ce

musée, il découvre son ami mort et naturalisé. Cette exposition

de l’homme le place au rang de trophée de chasse,

d’objet de collection. Ainsi La Planète des Singes questionne

notre rapport à la collecte et à l’exposition d’autres

espèces animales et critique notre anthropocentrisme.

67. SPIELBERG Steven, Jurassic

Park, 1993 128 mn.

Ici on parle de naturalisation mais cela renvoie également

à la question de l'exposition du vivant. Les figures de la

ménagerie ou du zoo sont aussi très présentes dans les

œuvres de science-fiction et nous font réfléchir sur ces

pratiques en plaçant l'humain en cage ou en captivité.

On retrouve cette image dans la série Docteur Who 63 , mais

aussi au musée du collectionneur 64 dans les Comics Marvel

ou encore dans des séries de science-fiction comme Rick

et Morty 65 avec la Ménagerie ou encore dans Futurama

avec le Head Museum 66 . Dans la quête de divertissement

et de sensations fortes, le film Jurassic Park 67 nous avertit

également sur la mise en exposition du vivant et pose la

question du droit des animaux.

- 127 -


De l’universel

au pluriversel

Nombre de ces récits de science-fiction nous ont donc

démontré que le musée porte parfois une voix trop

hégémonique et hiérarchique, qui n'est plus en phase avec

les avancées sociales, politiques et culturelles de notre

société. Dans ce contexte, dans quelle voie le musée doit-il

évoluer ?

C'est ce que tente d'établir Neil McGregor 68 dans le

cycle de conférences À monde nouveau, nouveaux musées

présenté lors de la Chaire du Louvre en novembre 2021 69 .

Dans son discours, il affirme que nous habitons un monde

qui n'a plus de centre.

"On ne peut plus se contenter d'une

histoire unique, qui s'imposerait à tous,

uniformément, une histoire admise

par les populations, autorisée par les

gouvernements.

68. Membre du conseil

scientifique du musée du Louvre,

ancien directeur de la National

Gallery et du British Museum

à Londres, ancien directeur

fondateur du Humboldt Forum

à Berlin.

69. Ouvrage qui retranscrit les

propos de Neil MacGregor, À

nouveau monde, nouveaux musées.

Les musées, les monuments et la

communauté réinventée, collection

" Chaire du Louvre ".

Coédition musée du Louvre

éditions / Hazan, 272 p.

- 128 -


Dans ce contexte, qui racontera les histoires

particulières et contradictoires des

communautés diverses ? Qui a le droit de

les raconter ? Quel rôle pour nos musées, et

pour les monuments, dans ces ouvertures

visant à repenser notre société ?" 69

Le musée doit ouvrir la voix et partager sa voie. Le musée

du futur se verra activateur de nouveaux récits, mieux

adapté à la complexité de notre société plurielle. Et dans

cette idée de cultures plurielles, un nouveau terme apparaît.

D'abord utilisé dans la pensée décoloniale d'Amérique

latine, il s'agit de reconnaître l’apport des autres traditions

philosophiques face à l'universalisme occidental autocentré.

Ainsi, au lieu de penser en termes d'universalité, le

musée ne devrait-il pas s'engager vers la pluriversalité ?

- 129 -


IV- Transformer

le musée

J'ai été assez surprise des formes du musée que j'ai pu

rencontrer dans la science-fiction. Je m'attendais à des

structures monumentales de verre ou des vaisseaux-musées

naviguant dans l'espace; à des formes inattendues,

reflet de technologie encore inconnues.

Peut-être avais-je dans l'idée des musées de métal à la

Guggenheim de Bilbao, des musées machine semblables

au Centre Pompidou, ou encore des musées aliens comme

le Kunsthaus de Graz. Mais à la place j'ai pu découvrir

des musées maison, des musées mouvants, des musées

vivants, des palais de porcelaine, des musées labyrinthes,

des planètes-musées, des musées sous cloche, des musées

de poche …

Je vous propose ainsi d’en visiter quelques-uns, d’aller

observer les lieux, les allées, les espaces de ces musées de

fictions.

Je suis persuadée que ces musées imaginés peuvent

inspirer le musée à venir. Que leurs formes soient presque

réelles ou complètement inimaginables, elles ouvrent le

spectre des possibles et nous permettent de penser à de

nouvelles transformations du musée.

- 130 -


- 131 -

©Pauline Hutin.


Le musée infini

L'expansion du musée est une question qui suscite à la

fois fascination et appréhension. Comme l'a souligné Paul

Valéry, il y a comme un vertige dans le mélange infini de

tout ce que peut contenir un musée. Mais est-ce que cela

signifie que les musées doivent croître sans limite ?

Les chiffres révèlent une réalité indéniable : les musées se

multiplient à une vitesse étonnante dans le monde entier.

D'après le rapport de l'Unesco, l'estimation actuelle du

nombre de musées dans le monde est de 104 000 musées

en 2021.

Évolution du nombre de musées

dans le monde, dans Géopolitique

du musée : les enjeux de la

fréquentation, François Mairesse,

Volume 38, Number 3, 2019, p.

103–127.

à droite,

Musée à croissance illimitée,

maquette © FLC/ADAGP

- 132 -


- 133 -


Cependant, avec cette prolifération, se pose la question de

la forme de ces futurs musées. Seraient-ils destinés à une

expansion infinie ?

C'est ce qu'a proposé l'architecte Le Corbusier dans

son concept du Musée à croissance illimitée, en 1939. Ce

projet suit la vision de l’architecte qui perçoit l'architecture

muséale comme une "machine à exposer". Ce

musée, le Corbusier l’imagine dans un grand espace

ouvert à proximité d’une route. Il serait dans un chantier

permanent car son intérêt réside dans la possibilité

d'ajouter des salles au fur et à mesure du temps. Dans ce

bâtiment illimité, il utilise le modèle de la spirale carrée,

un symbole récurrent dans le dessin de ses architectures.

Ce projet rêvé par l'architecte a bel et bien été construit, et

ce à plusieurs reprises, comme par exemple pour le Musée

National d'Art Occidental de Tokyo, construit en 1959.

Bien que ce projet puisse être intéressant dans sa capacité

d'adaptation aux collections, le Musée à croissance illimitée

de Le Corbusier ne fait l’unanimité. Peut-être certains y

trouvent le vertige de l’accumulation, dans un dédale où

l'on s'égare parmi un trop-plein d'information. Cette

émotion face à la trop grande concentration de contenu et

à l’immensité du musée prend forme métaphoriquement

dans la nouvelle Trajets et itinéraires de l'oubli 10 de l’écrivain

français Serge Brussolo. Dans ce récit aux allures de folies,

le musée à force d’une expansion infinie nous fait sombrer

dans un cauchemar labyrinthique.

10. BRUSSOLO Serge, Trajets

et itinéraires de l’oubli, issu du

recueil de nouvelles Aussi lourd

que le vent, Paris, Denoël, 1981.

- 134 -


"Il savait qu'il pourrait continuer à

marcher toute la nuit de salle en salle

sans parvenir pour autant à cerner

l'étendue des lieux. Derrière une galerie

s'ouvrirait une autre galerie, au bout

d'un corridor un autre corridor. Le

musée était un labyrinthe à étages.

Après avoir tour à tour monté et

descendu une douzaine d'escalier, le

visiteur perdait immencablement tout

sens de l'orientation, et s’avouait même

très rapidement incapable de situer le

niveau auquel il se trouvait égaré." 10

Dessin du Musée à croissance illimitée, Le Corbusier, 1939.

- 135 -


La bibliothèque de Babel d’après Borges illustrée par l’artiste Jean-François Rauzier, 2013.

- 136 -


71. La Bibliothèque de Babel,

nouvelle de Jorge Luis Borges,

dans le recueil Fictions, ed.

Gallimard, 1944.

La bibliothèque est composée de

galeries hexagonales qui couvrent

le globe terrestre, remplies de

volumes composés dans un

ordre hasardeux qui peut générer

théoriquement tous les livres du

monde. Le narrateur raconte la

quête de sens désespérée dans cet

univers parallèle.

72. ECO Umberto, PEZZINI

Isabella, Le musée, demain,

Casimiro, 2015.

73. Le Vertige de la Liste,

Umberto Eco, Louvre édition

& Flammarion, 2009, catalogue

de l'exposition qu'il avait

organisé en novembre 2009 sur

l'invitation du Louvre.

Ce récit n'est pas sans rappeler La Bibliothèque de Babel

de Borges 71 , le musée symbolisant le reflet matérialisé de

l'univers, et de tous ses possibles et impossibles artistiques.

Le livre est un dédale métaphorique sur l'art dans lequel

les visiteurs se retrouvent aux confins de la folie. À mesure

de leur déambulation, ils s'enfoncent dans ce musée

monstrueux ne proposant que solitude et incompréhension

face à l’art.

Dans la préface du livre Le musée, demain 72 , Maria

Albergamo termine en proposant de s'arrêter sur deux

images : "celle du "vertige du mélange" que Paul Valéry

attribue au musée, et celle du "vertige de la liste" 73 présentée

par Umberto Eco dans le catalogue éponyme[...], et dans

les pages duquel liste, relation, énumération et accumulation

se transforment en modèle possible d'expansion,

musée de l’etcetera, toujours ouvert à de nouvelles découvertes."

Le musée de demain sera-t-il le musée de l'etcetera ? En

tout cas, il sera peut-être un lieu où le passé, le présent et

le futur se rencontrent harmonieusement, invitant chacun

à se perdre dans les méandres de la connaissance, tout en

trouvant toujours un chemin pour revenir enrichi de cette

expérience.

- 137 -


- 138 -


Musée sculpture

74. Nouvelle Songhaï,

NOTTOLA Christian,

Musées miroirs, miroirs brisés,

recueil pas encore publié, 2023.

"La foule s’extasia quand le déploiement

architectural fut achevé. Le palais

était immense et majestueux et l’on

comprenait mieux en le contemplant

pourquoi les colons de cette planète

l’appelaient le " Dieu Musée ". Parmi

eux, nombreux étaient ceux qui

divinisaient Songhaï. Un tel monument

ne pouvait qu’être divin. C’était une

merveille de la civilisation à l’égal des

Pyramides ou de la Muraille de Chine.

En fait, il n’avait rien d’humain. Il

était monstrueux. Il était merveilleux.

Le Temple de la culture humaine ne

pouvait être que l’œuvre d’un dieu.

Il avait retrouvé sa forme originelle.

Elle était magnifique. [...] Le monstre

daignerait-il enfin engloutir cette marée

humaine ?" 74

à gauche,

collage photo réalisé pour ce

mémoire, Pauline Hutin, 2023.

- 139 -


La science-fiction est un réel terrain de jeu pour l'imaginaire

architectural. Ces récits sont l'occasion d’imaginer

des villes, des lieux et des infrastructures sans limite. Des

tours infinies de verres aux villes flottant dans l’espace en

passant par des arbres maisons ; les descriptions de l’architecture

et de la ville sont presque indispensables à la

science-fiction.

En effet, c’est par ces constructions que les récits de SF

posent le cadre des sociétés décrites. L’architecture révèle

les constructions sociales, témoigne des avancées techniques

et place le contexte à la fois culturel et temporel

de l’histoire.

Mais qu'en est-il de l'architecture du musée dans les

œuvres de science-fiction ?

Comme évoqué précédemment, la représentation du lieu

musée ne suit pas forcément l’image dominante des villes

de science-fiction aux technologies omniprésentes, faites

de verre et de métal. Curieusement, la plupart des descriptions

du musée se rapprochent plus de l'image du palais

ou des musées de type XIXe et XXe siècle. 75

75. cf. annexes, Petite histoire du

musée.

Par exemple, dans La machine à explorer le temps de H.G.

Wells, nous sommes en l'an 802 701 et le "palais de porcelaine

verte", le musée de cette histoire, ne semble pas

bien différent des musées du XIXe siècle d'où provient

l’explorateur (mis à part sa matière de porcelaine).

Ou encore dans 1984 de George Orwell, alors que l’architecture

totalitaire présente de gigantesques constructions

pyramidales de béton, le musée de la propagande est situé

dans une petite église datant d’un passé lointain.

Ainsi, même dans son architecture, le musée est très

souvent un lieu rattaché au passé.

- 140 -


76. Umberto Eco utilise le mot

"réceptacle" pour parler du

musée et fait un parallèle au

"trésor" et à son "sanctuaire"

dont parle Krzysztof Pomian.

Il va même jusqu’à parler de

"container" pour décrire cette

idée de musée-sculpture.

77. PEREGALLI Roberto, Les

lieux et la poussière, Aléa, 2010.

Néanmoins, lorsqu'il sort des représentations plus "classiques",

le musée de science-fiction présente souvent un

aspect presque monumental. Ainsi, le musée comme

réceptacle 76 de l’art devient lui-même une œuvre d'art.

Par exemple, dans l'extrait cité précédemment de la

nouvelle de Christian Nottola, on retrouve cette idée de

musée-œuvre poussée à son extrême : le musée est décrit

comme un dieu, une merveille de la civilisation, un gigantesque

octaèdre de métal qui voyage dans l’espace et se

déploie en atterrissant.

Le musée comme monument ou comme œuvre, dans une

forme presque sculpturale est une évolution que l’on observe

depuis quelques années dans l'architecture des musées.

Très souvent critiqués, ces nouveaux musées, construits de

toute pièce et au geste architectural important, font débat.

Dans son livre Les lieux et la poussière 77 , Roberto Peregalli

critique ce phénomène :

"les musées, qui surgissent toujours plus

nombreux à notre époque, sont devenus

des édifices-sculptures. On fait appel aux

architectes les plus en vue du moment,

qui inventent des mausolées à leur propre

gloire, avant même de savoir à quoi ils

serviront. Ce que les gens viennent voir alors

n'est pas tant les expositions ou les œuvres

présentées mais les monuments même." 77

- 141 -


Ce que Roberto Peregalli appelle les édifices-sculptures est

également appelé "l’effet Bilbao" ou "effet Guggenheim",

en référence au musée Guggenheim de Bilbao dessiné par

Frank Gehry. Ce phénomène est présent lorsqu'un musée

fait le choix d’une architecture à l’identité forte, très

souvent dessinée par un architecte célèbre avec l'objectif

de redynamiser un territoire.

Roberto Peregalli fait un parallèle avec le monolithe du

livre 2001, l’Odyssée de l'espace (1968) œuvre majeure de la

science-fiction, et montre ainsi que ces musées-sculptures

contrastent avec leur environnement, dans une "harmonie

dissonante avec le lieu" où ils se trouvent.

"Beaubourg, […] est un immense radiateur

de couleur tombé du ciel dans un quartier

populaire au cœur historique de Paris.

Comme le monolithe du film de Kubrick

(mais là il s'agissait d'un terrain vague et

de singes), il a creusé un cratère dans le

quartier, interrompant le tissu urbain, avec

la volonté, en désacralisant le lieu, de faire

une boutade qui soit une rupture radicale

avec le passé et deviennent le pôle culturel

des événements contemporains." 77

77. PEREGALLI Roberto, Les

lieux et la poussière, Aléa, 2010.

- 142 -


Collage photo réalisé pour ce mémoire, Pauline Hutin, 2023.

- 143 -


Le Centre Pompidou : utopie ou dystopie ?

L'exemple du centre Pompidou est d'ailleurs très intéressant

dans cette analyse. Imaginé par les architectes Renzo

Piano, Richard Rogers et Gianfranco Franchini, il marque

en 1977, l'émergence d'un nouveau type de musée. Il porte

une attention particulière à l'architecture, à l'image d’une

nouvelle politique culturelle se voulant plus accessible et

transparente.

Dès sa création, le Centre Pompidou a bousculé les pensées

et la vision du musée. Empruntant au vocabulaire de la

science-fiction, on parlait alors de "l'utopie Beaubourg"

ou au contraire de "dystopie".

L’utopie Beaubourg, c'était le projet du président Georges

Pompidou qui souhaitait créer un centre culturel, un lieu

ouvert et accessible à tous, marqué par l'architecture de la

transparence et du verre, comme le décrit le Corbusier :

"Il faudrait au cœur du Paris

populaire une grande maison de

la culture où pourrait pénétrer

sans obstacle ceux qui n'ont pas

l'habitude de franchir les portes

d'un musée, d'un théâtre, ou d'une

bibliothèque." 78

78. Citation de Le Corbusier,

quatrième de couverture du livre

Le centre Pompidou, une nouvelle

culture, par Robert Bordaz,

Ramsay, 1977.

- 144 -


79. BAUDRILLARD Jean,

L’effet Beaubourg, Galilée, 1977.

La dystopie prend place à la découverte du projet d'architecture

lauréat. Très fortement critiqué, le projet proposé

par Piano et Rogers fait scandale : on parle alors du

centre comme une "usine", une "raffinerie" ou encore une

"centrale nucléaire". Au-delà de l’architecture, selon Jean

Baudrillard 79 , "l'effet Beaubourg" marque la dérive de la

culture comme produit de consommation de masse, vers

une culture unique et formatée. Il parle alors "d'hypermarché

de la culture". Il fait d’ailleurs lui aussi référence à

2001, l'Odyssée de l’espace, une métaphore du monolithe

qui semble récurrente pour parler du Centre.

"Le centre fonctionne comme un

incinérateur absorbant toute énergie

culturelle et la dévorant - un peu comme le

monolithe noir de 2001 : convection insensée

de tous les contenus venues si matérialiser,

s’y absorber et s’y anéantir." 79

Malgré ces critiques lors de la création du Centre

Pompidou, il relèvera le pari initial d’un centre culturel

multiple et ouvert sur la ville. A-t-il réalisé cette utopie

Beaubourg ? Les avis divergent encore à ce sujet.

Néanmoins, on constate aujourd’hui que le Centre

Pompidou a marqué l'histoire et a été le point de départ

d’une nouvelle ère pour les musées. Le lieu s'ouvre sur la

ville et les publics, les modes de déambulation et d'exposition

évoluent, l’organisation complète se transforme

pour donner lieu à des musées "chimères" du XXIe siècle,

comme le décrit Isabella Pezzini. 80

- 145 -


L'architecture-sculpture est une nouvelle manière d’imaginer

le musée. Les nouveaux musées se veulent nécessairement

distincts des musées traditionnels. Ils souhaitent

attirer les publics, éveiller leur curiosité et cela passe par

l’architecture.

"Le triomphe du conteneur sur les œuvres n'est pas

seulement un phénomène de notre époque. J'imagine que

les premiers visiteurs du Louvre, [...], y entraient, non

pas tant pour admirer les œuvres d'art, que pour mettre

les pieds, pour la première fois, dans le palais jusqu'à lors

interdit au peuple. [...] Quoi qu'il en soit, visiter un musée

pour apprécier surtout le conteneur n'est pas un crime

; bien au contraire, l’attrait du conteneur peut inviter à

découvrir les œuvres." 80

80. Dans Le musée, demain,

Isabella Pezzini et Umberto Eco,

2015.

Les premiers seront le musée Guggenheim de New York

dessiné par Frank Lloyd Wright, puis le centre Pompidou

de Piano et Rogers et le Guggenheim de Bilbao dessiné

par Frank Gehry, suivront ensuite les nouveaux musées

qui mettent l'accent sur une identité du lieu. "Ces musées

refusent d'être de simples contenants, les plus neutres

possibles, et se transforment eux-mêmes en œuvres, et

comme telles, établissent un dialogue avec les collections,

et parfois même s’imposent à elles." 80 C'est une nouvelle

façon de concevoir les espaces et l'organisation des

parcours et des expositions.

Tout comme le Centre Pompidou a expérimenté de

nouvelles formes, dans son architecture et son organisation,

marquant ainsi une nouvelle ère pour les musées ; le

musée du futur sera-t-il lui aussi radicalement différent

des musées actuels ? Cela passera-t-il en grande partie par

une évolution de son architecture ?

(figure 1) légende de l’image

(figure 2) légende de l’image

- 146 -


(figure 1) Centre Pompidou, dessiné par Renzo Piano, Richard Rogers et Gianfranco Franchini, 1977.

(figure 2) Musée Guggenheim de Bilbao, dessiné par Frank Gehry, 1997.

- 147 -


OVNI

Alors que le musée ne cesse d’expérimenter de nouvelles

formes architecturales, cette série de photos met en

parallèle musées et formes réelles ou fictionnelles, telles

des vaisseaux, des extraterrestres ou des ovis culturels dans

la ville.

- 148 -


(figure 1) Salvador Dali Museum, Saint. Petersburg, États-Unis.

(figure 2) Monster vs alien , gallaxhar spaceship.

- 149 -


Musée Kunsthaus de Graz, Autriche.

- 150 -


Ron Herron, Walking City on the Ocean (Perspective extérieure), 1966, membre de Archigram.

- 151 -


Star wars destroyer.

- 152 -


Musée royal de l’Ontario, Canada.

- 153 -


(figure 1) Les soucoupes volantes attaquent, fil de 1956 réalisé par Fred F. Sears.

(figure 2) Le Musée d’art contemporain de Niterói, Brésil.

- 154 -


(figure 1) Vaisseau de Ego, dans Les Gardians of Galaxy 2.

(figure 2) Le Musée Ordos , Chine.

- 155 -


La science-fiction pour

ouvrir les possibles

Nous l’avons vu, les récits d’anticipations se révèlent,

au-delà de leur statut d'œuvre, comme étant l’expérience

d’autres réalités possibles. Ainsi, les contraintes dans ces

mondes sont nouvelles, les milieux et espaces différents,

les logiques scientifiques sont impossibles, les distances

peuvent être sans limites … Les œuvres de science-fiction

constituent un réel terrain de recherche qui nous permet

d’expérimenter de nouvelles formes et de nouveaux usages.

La science-fiction permet de nous demander "Et si …".

Une question qui est souvent utilisée pour opérer un

processus de fiction et générer à la fois récit et question

critique.

Et si l’on visitait le musée à bord d’un train ? Et si l’on

parcourait le musée à toute vitesse ? Et si l’on déambulait

dans le musée sans même marcher ?

Dans son roman d’anticipation Le Vingtième Siècle, paru

en 1883, Albert Robida imagine une visite au Louvre

dans le futur, en 1952.

à droite,

Le tramway du musée du

Louvre, dans Le Vingtième Siècle,

Albert Robida, 1883 (Photo

BnF, Gallica)

- 156 -


- 157 -


"Dernier progrès accompli par un ministre des

Beaux-Arts ennemi de la routine, un charmant

et élégant tramway, mû par l’électricité, court

maintenant sur des rails à travers toutes les

galeries du musée."

Une vision d’un futur tourisme de masse, d’une visite

consommée et sans effort. Le musée devient attraction,

la visite sur rail vente les mérites de l'électricité et des

progrès technologiques.

"Ce voyage à travers les Arts dure une heure

à peine. En une heure, les visiteurs ont

parcouru toute l’histoire des Beaux-Arts,

depuis les superbes époques grecques et

romaines jusqu’à la grande révolution des

modernistes ou des photopeintres ; en une

heure, le visiteur le plus ignorant peut, s’il

a des yeux et des oreilles, en savoir presque

autant que le critique le plus transcendantal.

[...] L’effort est inutile et la fatigue supprimée,

le tramway est bien suspendu et les coussins

fort moelleux invitent au repos. Il suffit de

regarder et d’écouter ; on n’a pas besoin de

livret, car en passant devant chaque tableau le

tramway presse un bouton et instantanément

un phonographe donne le nom du peintre,

le titre du tableau ainsi qu’une courte mais

substantielle notice."

- 158 -


Ce roman écrit à la fin du XIXe siècle anticipe de nouveaux

usages et de nouvelles manières de visiter le musée. De

l’audioguide aux photographies presque obligatoires des

œuvres phares, en passant par la visite de groupes touristiques,

on pourrait dire que ce roman est assez précurseur

de nos pratiques actuelles. Pour ce qui est du train, il n’y en

a pas encore au musée mais l’on peut déjà visiter le Louvre

en "une heure à peine".

Albert Robida n’est pas le seul à se lasser de marcher au

musée. Dans la nouvelle Le musée du Futur de H.V. Chao,

l'auteur nous embarque cette fois-ci sur des tapis roulants :

"La variété des tapis roulants présentés dans

la Salle des Transports nous ravit. Des tapis

roulants bordés de parois en verre coloré, des

tapis roulants évoluant sous des auvents de

toile, des tapis roulants démarrant en pente

raide, des tapis roulants descendant lentement

en spirale de hauteurs considérables. [...] Trop

occupés à contempler ces nefs innombrables,

nous venons tout juste de comprendre que

nous n’avions pas cessé d’avancer, même

si nos corps sont immobiles : sous nos

pieds, notre propre tapis roulant continue,

imperturbable, à nous transporter à une allure

dont la noble régularité nous permet d’admirer

les vues sans que nos yeux puissent s’attarder

sur aucune."

- 159 -


Ce musée aux allées en tapis roulants et escaliers en escalators

prend presque des allures de centre commercial.

Umberto Eco 81 critique ce comportement de "consommation"

du musée à toute vitesse :

"Des troupeau de touristes, qui ne pourrait pas revenir chez

eux sans avoir vu (ou sans dire qu'ils ont vu) le Louvre, la

National Gallery, ou les Uffizi, traversent au pas de cavalerie,

toute une série de salle, s’arrêtent brièvement, et sans aucune

discrimination, devant des tableaux sans importance, sans

s'arrêter devant des chefs-d'œuvre, pour finalement, se

bousculer devant les tableaux dont ils ont entendu parler

(La Joconde, La Vierge rocher, Le Printemps), ils arrivent à

grande peine à voir l'œuvre fétiche."

81. ECO Umberto, PEZZINI

Isabella, Le musée, demain,

Casimiro, 2015.

Eco propose lui de s’arrêter et d’observer pleinement une

seule œuvre à la fois. Dans son livre, il présente ainsi sa

vision futuriste et rêvée du musée qu’il nomme "le musée

du troisième millénaire" dans lequel il développe cette

idée de musée "d’une seule œuvre".

À l’inverse, dans la nouvelle de H.V. Chao, les tapis roulants

permettent d’apercevoir seulement des fragments du futur

et se laisser embarquer dans un rêve. Les souvenirs des

visiteurs auront des contours floues dues au mouvement

perpétuel de la visite qui ne permet pas de s'arrêter sur

l'œuvre. Car dans ce musée "c’est par aperçus, par éclairs,

par échardes que le futur se loge au plus profond du cœur".

Entre tourisme de masse chez Robida, vitesse et allure

de consommation chez H.V. Chao et Umberto Eco, la

science-fiction permet un regard critique sur notre visite

du musée. Mais au-delà de cette remise en question de nos

modes de déambulation, ces histoires sont aussi à prendre

d’un point de vue plus naïf et rêveur : il est amusant

d’imaginer des machines extraordinaires pour parcourir

un musée. La fiction est à la fois le support d’une réflexion

sur nos pratiques actuelles mais aussi une ouverture des

possibles et de l’imaginaire.

- 160 -


82. cf. annexe; entretien avec

Christian Nottola, expert en

littérature de science-fiction.

Vitesse, mobilité, déambulation, machine, … ces déplacements,

ces décalage Christian Nottola 82 les interprète

lors de notre entretien comme des translation issue

d’une structure mathématique. Ainsi, il repère dans la

science-fiction des notions fondamentales, qu'il appelle

aussi fonction primaire ; par exemple celle de la transformation

des volumes : petit, grand, mince ou encore celle

des mouvements : à l’arrêt, rapide, lent ...

Ces fonctions peuvent être modifiées, en effectuant cette

translation avec le réel on ouvre alors sur l’imaginaire.

Par exemple, dans Gulliver, le personnage est parfois tout

petit face à des géants, et d’autres fois, il est confronté à

des lilliputiens. Ainsi, la transformation s’opère sur la taille

du personnage, et c’est cette réduction ou augmentation

qui ouvre sur le domaine de l’imaginaire.

Par la transformation d’un élément, on peut modifier la

perception des choses et ainsi imaginer un scénario de

fiction. Et Christian va même jusqu’à imaginer que si

l’on énumère ces notions clés à la base de notre imagination,

on peut les appliquer de manière systématique pour

générer des idées de récits.

De la même manière, il serait intéressant d’utiliser cette

translation, ce pas de côté permis par la science-fiction

pour générer des expériences scénographiques.

En énumérant les fonctions présentes dans l’espace du

musée nous pouvons ensuite jouer à les modifier pour

expérimenter. Peut-on jouer avec les codes formels de la

scénographie grâce à la science-fiction ? Peut-on réaliser

des translations, des actes de transgression pour ouvrir

d’autres possibles ?

Prenons par exemple le musée Guggenheim à New

York, célèbre pour sa structure en spirale qui encourage

la déambulation des visiteurs. Cette architecture propose

une translation avec le plan horizontal classique et propose

une montée par une pente courbe. Elle invite ainsi à une

- 161 -


nouvelle expérience de visite et une autre manière de voir

les œuvres exposées.

Dans l’ouvrage Musées à venir Jean Nouvel et Claude Parent 83 ,les

deux architectes proposent leur vision du musée et présentent

plusieurs projets non réalisés pour l’architecture

muséale. Un des projets de Claude Parent est celui du

Musée d’art moderne Oblique, imaginé en 1972. L’auteur

Jean-Philippe Toussaint imagine une visite de ce musée :

83. NOUVEL Jean et PARENT

Claude, Musées à venir, Actes

Sud, 2016, né de l’exposition

présentée en 2016 à la Galerie

Azzedine Alaïa.

"J’avais décidé de profiter de cette dernière

matinée à Paris pour visiter le Musée oblique.

Comment fait-on pour se rendre dans un

musée qui n'existe pas ? [...]

J'entrai dans le musée. Les salles étaient

blanches, vastes et lumineuses, bordées

de large baie vitrée. On passait de salle

en salle par un réseau de coursives et de

passerelles vitrées qui convergeaient vers un

faîte invisible. Aucune ligne n’était droite,

l'ensemble du bâtiment, qui montait en pente

douce sur plusieurs étages, semblait s’élever

vers le ciel. Les œuvres exposées paraissaient

souligner discrètement l'architecture, la

ponctuer de telle ou telle excroissance.

Partout, ce n'était que courbes et diagonales." 83

Musée d'art moderne Oblique,

Claude Parent, 1972.

- 162 -


Lorsqu'on regarde les croquis de ce musée, les espaces sont

composés de pentes douces, qui élèvent progressivement

le visiteur sur plusieurs étages. Dans sa déambulation, le

personnage glisse progressivement du monde réel vers

l'imaginaire. Dans sa visite fictionnelle, Toussaint observe

quelques instants des joueurs de football et revient sur ses

pas pour regarder les œuvres.

84. Anthony Elliott, Profiles

in contemporary social theory,

Londres, SAGE, 2001, p. 217.

"La fonction oblique se définit

comme la fin de la verticale

comme axe d' élévation, la fin

de l'horizontal comme plan

permanent, ceci au bénéfice de

l'axe oblique et du plan incliné."

On retrouve dans ce musée l'usage de la fonction oblique 84

de Claude Parent et Paul Virilio qui, à travers des plans

inclinés, remettent en question l'horizontalité du sol. Son

réseau de coursives transgressent les espaces neutres de

certains musées d'Art moderne. De plus, la transparence

joue un rôle essentiel, car le verre des baies vitrées ne se

contente pas de combler les ouvertures dans les murs,

mais crée une véritable interaction avec l'extérieur. La

transparence permet alors aux événements extérieurs de

venir transgresser l'expérience de visite.

Peut-être pourrions-nous reprendre ce principe de subversion

des codes architecturaux de Claude Parent dans

la scénographie.

Musée d'art moderne Oblique,

Claude Parent, 1972.

- 163 -


- 164 -


Le musée immatériel

85. Extrait de Le Métamusée

nouvelle du recueil Musées

miroirs, miroirs brisés, pas encore

publié, Christian Nottola, 2023.

"Il fallait mettre un casque pour s’immerger

dans le musée. Il y en avait pour toutes

les tailles. Olivier prit un casque lourd et

sphérique, parce qu’il faisait astronaute.

Amandine choisit le plus joli. En suivant

les instructions de Jean-Pierre, ils les

synchronisèrent. Ils s’immergèrent. Ils

choisirent une nébuleuse au hasard. C’était,

d’après les commentaires du casque, la

nébuleuse de l’Aigle. Ils furent subitement

entourés de nuages bleus, ocres et marrons. Ils

pouvaient s’y déplacer à leur guise. Zoomer.

La faire tourner, mais ils choisirent la visite

guidée, qui avait été programmée pour les

néophytes. C’était étourdissant. On traversait

d’énormes nuées. Des amas. Suivant l’échelle à

laquelle on se plaçait et la vitesse à laquelle on

se déplaçait, on apercevait même des étoiles,

des planètes, des météorites. Et les couleurs

étaient fantastiques. Un tableau 3D féérique." 85

à gauche,

RATTÉ Sabrina,

Floralia, 2021.

- 165 -


Pour ce voyage parmi les musées de science-fiction, j'ai

souhaité les aborder en premier par le prisme du lieu. Le

"lieu musée" comme lieu physique, un espace tangible

où sont regroupés public et œuvres dans une conversation

invisible. Mais si le lieu est une portion déterminée

de l'espace, il peut être considéré de façon physique ou

abstraite, voire dématérialisée.

De nos jours, la notion de lieu ne se limite plus nécessairement

à un espace physique - prenons l'exemple des

magasins devenant site Internet ou des salles de classe se

transformant en visioconférence - les espaces se déplacent

vers des environnements numériques auxquels on peut

accéder avec une simple connexion Internet. Car c'est

encore une fois la période Covid qui, en instaurant le

confinement, mit à l'arrêt notre mobilité et fit de notre ordinateur

le seul portail vers d'autres lieux que notre salon.

Alors que les musées étaient fermés, certains ont souhaité

emprunter cette fenêtre et faire du musée un espace dématérialisé.

Cette évolution soulève la question de savoir si le

musée virtuel peut être considéré comme un "vrai" musée

et s'il peut fonctionner. Alors que l'imaginaire dominant

du XXIe siècle est celui d'un futur numérique, robotisée,

basé sur de hautes technologies, ce futur s’applique-t-il

également au musée ? Le musée virtuel est-il un futur

souhaitable ?

- 166 -


Bien que certaines tentatives aient émergées, telles que les

musées en 3D prenant place dans votre salon imaginés par

Google Art & Culture ou encore les musées exposants des

NFT, ces initiatives ne se sont pas, à mes yeux, révélées

convaincantes. La plupart du temps, ces musées virtuels

tentent de reproduire à l'identique des musées existant, à

la manière du Street View de Google mais version musée.

Ils permettent davantage de préparer une visite ou de

nourrir notre curiosité d'un lieu que d’accéder à une expérience

sensible et un rapport aux œuvres ou au contenu

de l’exposition.

Visite du musée d'Orsay sur

Google art and Culture.

- 167 -


Cependant, certains artistes et collectifs ont exploré le

potentiel du virtuel pour développer des musées qui

donnent davantage de sens et s'adaptent à des contextes

particuliers, créant ainsi des musées chimères numériques.

C’est ce que propose l’artiste Sabrina Ratté dans son

œuvre Floralia (2021), qu’elle associe au genre de la

science-fiction. Selon ses mots, Floralia est un musée

d’histoire naturelle virtuel pour un monde futur où les

plantes auraient disparu de la nature.

"l'œuvre nous plonge dans un futur spéculatif,

où des échantillons d’espèces végétales alors

disparues sont conservés et exposés dans une

salle d’archives virtuelles. Par l’entremise du

montage et de stratégies visuelles, cette salle

d’archives se transforme sporadiquement sous

l’effet d’interférences provoquées par la mémoire

émanant des plantes répertoriées, laissant

entrevoir les traces d’un passé qui continue à

hanter les lieux. Floralia est une simulation

d’écosystèmes nés de la fusion entre technologie

et matière organique, où passé et futur cohabitent

dans une perpétuelle mise en tension du présent." 66

66. d’après le site internet de

l’artiste Sabrina Ratté

Selon Sabrina Ratté, "imaginer des mondes futurs permet

aux auteur.ices de critiquer le monde contemporain, ainsi

que de faire des propositions pour construire le monde de

demain." L'artiste utilise le musée numérique pour interroger

le public sur la disparition de la biodiversité. Avec

cet écosystème n’existant plus que sous sa forme numérisé

lui permettant de traverser le temps, elle souligne l'importance

de préserver le vivant.

- 168 -


RATTÉ Sabrina, Floralia, 2021.

- 169 -


Site internet du MOTHA Museum.

- 170 -


Dans un autre registre, le Museum of Transgender

History & Art, ou MOTHA, a été fondé en 2013, avec

pour mission de créer un musée consacrée à l’histoire, l’art

et la culture transgenre. Imaginé par l’artiste Chris E.

Vargas, c’est une institution semi-fictionnelle et éphémère

qui sert de plateforme d'exposition à la culture trans. Ce

musée imaginaire numérique s’étend parfois au réel en

prenant la forme d'événements temporaires, comme des

performances, des expositions, des tables rondes ou encore

des conférences.

Le MOTHA pose également un regard critique sur l'institutionnalisation

et joue du mot musée pour envisager

l'existence d'une institution d'art et d'histoire légitime et

légitimante dédiée au travail culturel des artistes transgenres.

Ce musée virtuel offre un espace aux communautés

et permet de rendre visible des récits et des histoires qui

ne sont pas, ou peu, représentés dans les musées traditionnels.

Ce projet cherche à donner une voix et à légitimer

des histoires et des luttes historiques et contemporaines

qui sont trop souvent marginalisées.

- 171 -


La possibilité d'un lieu virtuel permet ainsi d'aller vers

plus d'accessibilité et de liberté. Ce troisième exemple

combine deux notions abordées dans les précédents : la

préservation numérique rendant l'art inaltérable ainsi

que la mise en place d’un espace qui se fait porte-parole

d'une histoire et d'une culture jusqu'à leur invisible. C'est

dans cette lignée qu'est imaginé le projet SAHAB, par

le collectif d’artistes HAWAF. Il est présenté lors de la

rencontre "Autour du musée des futurs de Gaza. Futurismes

et muséologies alternatives", organisée par le Mucem

(MucemLab) à Marseille, le 1er juin 2022. Ce projet

novateur consiste en un musée en réalité virtuelle, situé

dans "le cloud" et accessible partout, offrant ainsi une

alternative pour un territoire bloqué politiquement. Son

objectif est de retracer le patrimoine et l'art de Gaza, tout

en imaginant son avenir. En combinant des créations artistiques

et muséales, qui explorent les possibles, ce projet

en développement engage un discours critique sur notre

présent.

L'objectif du collectif est de créer un musée qui soit

"comme un nuage dans le ciel qui appartient à tous". Un

musée imaginaire pour une culture populaire, un musée

rêvé par des artistes des habitants gazaouis. Ils souhaitent

aussi combattre l’isolement des populations, et recréer un

esprit de communauté : "reconstruire la communauté…à

travers le musée imaginaire !"

Ici le musée virtuel prend tout son sens, il est capable de

s’adapter à un contexte politique difficile et un territoire

en guerre. Ce musée vaporeux ne risque pas la destruction,

il permet également une parole libérée et accessible à tous.

Le musée SAHAB représente l'espoir et la force du

collectif et de la création. Ce musée plein de sens et de

sensibilité porte des valeurs d'éducation, de transmission,

de partage et de communauté. Les artistes soulignent que

lorsque rien n'existe, tout est possible.

- 172 -


Dessins du futur musée SAHAB, par le collectif HAWAF.

- 173 -


Le musée mouvant

En 2016, le ministère de la culture a lancé la mission

Musée du XXIe siècle, une enquête auprès des professionnels

ainsi qu'une consultation citoyenne qui avait pour

objectif d'identifier les enjeux du musée de demain et de

proposer des axes de métamorphose de son modèle. Ces

travaux ont permis d'identifier les principales attentes

de la société vis-à-vis des musées, et parmi elles, un des

objectifs est d'ouvrir plus largement encore les musées, de

toucher les jeunes générations et d'inciter les non-publics

à découvrir le musée.

Pour se faire plusieurs solutions sont possibles, l'un des

axes abordés est celui du musée protéiforme, hors les murs

ou dématérialisé. Nous lisons dans le rapport que le musée

peut prendre la forme d'un conteneur et voyager sur un

camion, qu'il peut s'installer dans un café, chez les commerçants,

dans une entreprise. Qu'il peut se dématérialiser

et se télécharger. Il se met à la portée de la population,

le musée sort de ses murs pour se rapprocher des publics.

Alors que nous venons d'aborder la question du musée

virtuel, qui va au-delà de la question du lieu physique, pouvons-nous

d'un autre côté, faire des musées sans bâtiment

et sans monde virtuel ? Qu'en est-il du lieu musée hors les

murs, mobile, mouvant et éphémère ?

à droite,

dessin du Musée sans Bâtiment,

Yona Friedman.

- 174 -


- 175 -


Dans The future of Museum 87 , les interviews menées par

András Szántó auprès des directrices et directeurs de différents

musées, concluent que pour que les musées s'ouvrent

et aillent à la rencontre des publics, il faut " dépasser l’idée

que tout se passe à l’intérieur de structures architecturales,

entre quatre murs, dans des bâtiments toujours plus

grands, avec un personnel toujours plus nombreux. "

SZANTO András, The Future

Museum: 28 Dialogues, Hatje

Cantz, 2020.

Mais comment le musée devient nomade ? Il y a autant de

formes de musées mouvants que de collections, de publics

et de territoires. Je vous propose alors d'en explorer

quelques-unes à travers la science-fiction.

Le musée nomade

Les récits de science-fiction raffolent des voyages, des

formes nomades et la question de la mobilité y est très

souvent abordée. Pour ce qui est des musées, nous avons

déjà pu découvrir le concept du vaisseau musées présent

dans la nouvelle Songhaï de Marc Alloton, mais également

dans une autre de ses nouvelles intitulée Dans les croisées

de la fusée musée. Ici le musée prend la forme de vaisseau

spatial ou de fusée, la mobilité s’incarne à travers l'idée du

véhicule, de la machine servant à transporter des choses.

Le film Mortal Engines, sorti en 2018 et adapté du roman

du même nom de Philippe Reeve, se situe des centaines

d'années après que la terre fut détruite lors d'un événement

apocalyptique appelé la "guerre de 60 minutes". L'Humanité

s'est adaptée privilégiant l’itinérance et vit désormais

dans de gigantesque villes mobiles.

Dans ce film, le musée de Londres est essentiel, il sert de

centre d'archives et de recherche dans lequel sont exposées

toutes sortes d'artefacts du monde passé.

Ce film est intéressant dans la construction des villes

- 176 -


RIVERS Christian, Mortal Engines, 2018, 128 mn.

- 177 -


Photographie du MuMo.

- 178 -


mobiles, car elles sont constituées de différents monuments

sauvegardés issus de grandes métropoles. Accumulé et

superposé, cet amas de monuments se déplace grâce à

d'immenses chenilles semblables à celles des véhicules de

guerre. Serait-il possible de déplacer le musée avec son

bâtiment entier de ville en ville comme dans ce film ?

L'idée est sûrement un peu extrême, mais pas si loin de

la réalité.

Certes, il existe déjà les principes d'exposition temporaire

reconduites dans d'autres musées ou encore les expositions

itinérantes spécifiquement conçues pour le déplacement.

Cependant, ces expositions ont toujours besoin d'une institution

ou d'un lieu culturel hôte, ainsi le problème des

publics non habitués à ces lieux reste le même.

D'autres dispositifs sur l'idée de la mobilité et du musée

véhicules ont été imaginés. C'est le cas du MuMo, le

musée mobile fondé par Ingrid Brochard en 2011.

D'abord aménagé dans un conteneur, le musée prend

aujourd'hui la forme d’un camion, redessiné par Nathalie

Crasset en 2017. Il a pour objectif de rendre l'art contemporain

accessible à un plus grand nombre et de partager

une expérience artistique et esthétique à travers toute la

France. Le philosophe Alain Kerlan en parle en ces mots

: " Le pari du MuMo porte sur la rencontre, l’événement

de la rencontre. [...] S’ouvrant au public de l’universelle

enfance dans le déploiement de sa structure ambulante.

(…) il faut que l’événement ait lieu, que naisse le face à

face avec l'œuvre dans l’innocence du regard, pour que la

rencontre et la reconnaissance adviennent. "

Ici le conteneur crée un espace d'exposition, bien qu'exigu,

le pari fonctionne et le MuMo continue de sillonner la

France. Mais peut-on envisager un musée sans musée,

sans bâtiment, sans containers ?

- 179 -


Le musée partout

Dans la série de courts métrages d'animation Love, Death

and Robots, l'épisode Zima Blue est particulièrement intéressant

dans son rapport à l’art et l’exposition. L’histoire

se concentre sur l’énigme de Zima et la vie de ce personnage

mystérieux. En parallèle, nous pouvons observer la

présentation de ses œuvres qui joue avec les limites du

possibles, proposant ainsi la question : Et s’il n’y avait plus

de limite à l’art ?

Les dispositifs d’exposition mis en place par Zima sont

toujours plus grands au point d’aller jusqu’à peindre des

bandes équatoriales de planètes gazeuses. Un jeu d’échelle

et de monstration de son art intéressant dans son accroissement

spectaculaire. Une histoire et des images étonnantes

qui questionnent autant la création que sa mise en

exposition. Qu'est ce qui a poussé Zima à peindre des

planètes en couleur monochrome ? L’art est-il sans limite

? Et irons-nous exposer un jour dans l’espace ?

Dans ce court-métrage, Zima expose partout mais surtout

toujours en extérieur et jamais dans le cadre d'un musée.

Il est intéressant de relever également que le public se

déplace auprès de ses œuvres, qu'elles soient au milieu

de la route, en plein désert, ou à plusieurs kilomètres de

hauteur au-delà de l'atmosphère.

Dans cet exemple, l'exposition prend place partout, le

musée se confond à l'espace urbain. Ces pratiques existent

déjà, comme par exemple avec le Street Art ou le Land

Art, mais peut-on réellement parler de musée ?

- 180 -


VALLEY Robert, Zima Blue,

épisode de la série Love, Death

and Robots, basé sur la nouvelle

éponyme de REYNOLDS

Alastair, Netflix, 2019.

- 181 -


Le musée sans limites

D'après l’architecte Yona Friedman, il est possible de créer

un musée sans bâtiment, c'est l'exposition qui fait musée.

"you can create a museum without a building, it is the exhibits

that make a museum"

Yona Friedman est un architecte et théoricien franco-hongrois

célèbre pour ses conceptions futuristes. Il fait

principalement de "l'architecture de papier" 88 , dessine des

villes fictives et des modèles d'anticipation et il est parfois

qualifié d'architecte utopiste.

Il a notamment inventé plusieurs concepts visionnaires

comme ceux d’" architecture mobile ", de " ville spatiale

", d’" utopie réalisable " ou encore d’" autoplanification

". Il accorde un rôle singulier à l'architecte favorisant la

construction par les habitants en mettant en valeur leur

capacité à s'adapter, à improviser et à créer. Pour lui, l'architecture

est un travail collectif où il est autant question

de bâti que de démocratie. Il utilise très souvent la bande

dessinée et les schémas pour exposer ses idées et les rendre

ainsi plus accessibles.

88. Historiquement,

l'architecture de papier désigne

des projets d'architectes, dessinés

ou gravés, réalisés ou non,

et dont certains sont publiés

comme modèles et sources

d'inspiration.

Yona Friedman s'est régulièrement intéressé à l'architecture

muséale. D'abord avec le Musée des technologies

simples, sur lequel il a travaillé de 1982 à 2018. Invité

en Asie du Sud par l'Unesco dans les années 1980, il y

étudie les techniques de l'architecture vernaculaire, qui

pourraient être utilisées pour répondre à des situations

d'urgence quand les ressources sont limitées. Il travaille

alors avec des pratiques artisanales existantes au sein

des communautés, telles que la vannerie et l'utilisation

d'échafaudages en bambou pour développer le Musée de la

technologie simple. À travers ce projet, il souhaite montrer

que le musée peut-être construit n'importe où, à partir

des techniques et matériaux locaux et surtout, de manière

collective avec les habitants.

- 182 -


(figure 1) Yona Friedman devant le Musée sans Bâtiment.

(figure 2) Musée des technologies simples, Yona Friedman, 1982-2018.

- 183 -


(figure 1) Dessin du Musée de la rue d'après Yona Friedman.

(figure 2) Musée du XXIe siècle d'après Yona Friedman.

- 184 -


D'autres projets seront menés par l'architecte dans la

même lignée comme celui du Musée sans Bâtiment imaginé

dans les années 1960, où une vingtaine de cubes conçus à

l'aide de grands cerceaux en acier sont disposés librement

sur un terrain.

Il reprend cette idée d'une structure de base type qui peut

être activée, modifiée et complétée par l'intervention des

artistes et des habitants avec un autre projet intitulé le

Musée de la Rue, imaginé dans les années 2000. Cette

fois-ci c'est une agglomération de cube et autres formes

transparentes qui sont placés dans divers espaces publics.

le Musée de la Rue a pris forme dans plusieurs villes,

proposant à chaque fois une identité historique et sociale

différente. C'est un espace libre, dans lequel les gens sont

invités à laisser un signe, un monument qui appartient à

tous en perpétuelle transformation et un véritable musée

public.

Enfin, Yona Friedman s’amuse également à transformer

l’existant à travers des photographies, proposant ainsi des

villes aux allures futuristes. Avec la série intitulée Musée

du XXIe siècle, constituée de photographies retouchées au

feutre et au correcteur blanc, il s’inscrit dans la continuité

du projet pour le Centre Pompidou et se rapproche de son

concept de musée de rue, cette fois-ci à l’échelle de tout

un quartier.

Tous ces musées imaginés par Yona Friedman sont réellement

fascinants et devraient, à mon sens, inspirer les

musées de demain. En plus de répondre aux problématiques

de l'accessibilité, de l'insertion sur les territoires

et de la mise en relation avec les habitants ; l'architecte

propose des projets basés sur le partage des connaissances,

l'ouverture des arts et le respect de l'environnement.

- 185 -


Le musée en réseaux

À la manière des matrices et des structures en trame développées

par Yona Friedman, le musée peut-il se penser au

réseau ? Peut-on imaginer une sorte de décentralisation

des musées nationaux pour élargir leur portée sur le territoire

?

Dans le cadre de la conférence "Quel musée en 2049" 89 ,

Didier Fusillier 90 nous parle des Micro-Folies, lieux

culturels implantés partout en France et dans le monde.

À la fois musée numérique, fablab, lieu de convivialité,

d’enseignement et de curiosité, les Micro-Folies ont pour

ambition de mettre l’art partout.

Didier Fusillier en parle comme d'une " matrice " que l'on

vient " greffer " à des lieux différents. Pour lui, le musée du

futur c'est le musée d'aujourd'hui mais connecté à d'autres

entités, c'est un réseau de connaissances, de cultures qui se

nourrissent les unes les autres. Il ajoute que le musée du

futur doit être " libre, immense et gratuit ".

89. Quel musée en 2049 ?,

conférences sur les musées dans

trente ans dans le cadre des

Rencontres 2049 de l'Obs, le

24 octobre 2019, à l’Ecole des

Beaux-Arts de Paris.

90. D'abord metteur en scène, il

est depuis 2006 le président de

l'établissement public du parc et

de la grande halle de la Villette.

Ainsi les micros folie sont une autre manière d'amener le

musée sur tout le territoire. Le musée du futur est peut-être

un musée se multiplie et prolifère dans une matrice ou un

réseau interconnecté.

- 186 -


© Les Micro-Folies.

- 187 -


(figure 1) Marcel Duchamp, Boîte en Valise, 1942.

(figure 2) Joseph Cornell, Museum, 1942.

- 188 -


Le musée de poche

Enfin, nous pourrions imaginer que pour transporter

le musée il suffirait de le miniaturiser. À la manière de

Joseph Cornell, nous pourrions avoir chacun un petit

Museum caché dans notre poche.

En 1942, alors que Marcel Duchamp achève la construction

de sa Boîte en Valise, Joseph Cornell propose lui aussi

un musée en boîte. Dans cette petite boîte orange tapissée

de papier, vingt flacons de verres identiques sont soigneusement

rangés. Chacun de ces flacons contient un objet

différent, un souvenir préservé dans des micros vitrine,

créant de petits univers remplis de poésie et reflétant les

rêves et les fantasmes de l'artiste.

Dans une ère où l'image est omniprésente, où les œuvres

nous inondent, nous pourrions, à la manière du musée imaginaire

d'André Malraux, constituer chacun un nano-musée

empli de nos sensibilités. Un musée en réduction, un

musée pour soi qui représenterait la construction de notre

culture personnelle.

- 189 -


" J’appelle Musée imaginaire la

totalité de ce que les gens peuvent

connaître aujourd’hui même

en n’étant pas dans un musée,

c’est-à-dire ce qu’ils connaissent

par les reproductions, (…) les

bibliothèques. [...] Le Musée

Imaginaire est un phénomène

mental qui résulte d’une

expérience cumulative et visuelle.

C’est un domaine de formes qui

nous habite. C’est un espace

dépourvu d’existence physique,

n’existant que par et dans l’esprit

du spectateur et se matérialisant

par une proposition visible, la

photographie éditée… ".

91. MALRAUX André, Le musée

imaginaire, Gallimard, 1947.

- 190 -


André Malraux dans son bureau, photographie de Christian Deville.

- 191 -


Conclusion

La science-fiction m’a permis d'explorer différents

scénarios pour imaginer le futur du musée. À travers ce

voyage d’utopies en dystopies, cette recherche a permis

d'opérer un décalage, un pas de côté pour observer les

problématiques actuelles du monde muséal et son devenir.

Quel futur pour le musée ?

Dans cette analyse, j’ai pu observer quelques points de

tensions et de dérivations qui amènent le musée vers différents

avenirs possibles. Une des questions qui émerge

de cette exploration est : faut-il redéfinir le musée ? Le

musée doit-il se transformer pour répondre aux nouvelles

problématiques de la société ? Faut-il décloisonner les

limites, transgresser les codes ?

En réalité, il ne faut pas, à mon sens, une réponse unique

mais plutôt une pluralité de musées et de définitions. Il

faut tester, expérimenter et développer l'idée d'un musée

comme un laboratoire. Il existe autant de formes pour le

musée que de collections, de lieux et de communautés.

"les musées au lieu du musée"*

En 2020, alors que le monde était suspendu pendant la

crise sanitaire, et que les musées étaient fermés, András

Szántó 92 s'est intéressé au futur du musée, menant des

entretiens avec différents directeurs et directrices des institutions

du monde entier.

92. András Szántó, The Future

of the Museum : 28 Dialogues,

Berlin, Hatje Cantz, 2021, 320

pages

- 192 -


"nous voilà tous au beau milieu d’une

calamité à contempler un futur aussi

nouveau qu’incertain" 92

Dans son ouvrage, il dit que les membres de ce groupe

voient le musée comme un chantier sans fin qui n’obéit à

aucun modèle défini. Les musées comme " producteurs de

réalité " peuvent " montrer le chemin à nos sociétés " et

faciliter " l’engagement créatif des gens dans leur propre

avenir ". Ils placent alors la valeur du musée sur ses traits

intangibles, l’envisageant comme un " lieu d’équilibre " qui

" n’est pas stérile " mais " inclusif et empathique " – une

entité " vivante et expérimentale ", une " plateforme " qui

ne " vous prend pas de haut " et " semble un peu comme

une amie proche ".

C'est aussi de cette manière que j'aime envisager le futur

musée. Comme un organisme vivant, un écosystème

muséal, un laboratoire des imaginaires.

Utopie muséale ?

Le musée est un réel outil de société, j'aime à penser qu'il

pourrait prendre plus de place au sein de notre quotidien.

Comme le propose Michel Foucault dans son concept d'

"hétérotopie", pourrions-nous faire du musée la localisation

physique de l'utopie ?

93. cf. annexe; entretien avec

Christian Nottola, expert en

littérature de science-fiction.

" les musées que l’on imagine et que l’on

a imaginés jusque-là, dans le réel et la

science-fiction, ne sont qu’une part infime

de tous les musées possibles. " 93

- 193 -


- 194 -


Annexes

1. Entretien avec Christian Nottola,

expert en littérature de science-fiction.

2. Petite histoire du musée.

à gauche,

image réalisée dans le cadre de

la Revue des Possibles, journal de

bord de ce mémoire, 2022.

- 195 -


Entretien avec

Christian Nottola

Au cours d’un voyage de reconnaissance, nous avons fait la

découverte d’un cycle de conférences intitulé " Littératures

au futur, la science-fiction dans la littérature ". L’occasion

d’en apprendre plus sur l’histoire de la science-fiction, ses

origines, ses évolutions et ses différentes ouvertures sur le

monde.

Ce cycle est présenté par Christian Nottola que j’ai nommé

" expert en science-fiction " pour ses connaissances approfondie

dans ce genre littéraire. En plus de cela, il mène

un travail de partage, de diffusion et de transmissions de

ses savoirs et de sa curiosité. Il écrit, documente et mène

un véritable travail de recherche dans ce domaine. Il se

décrit aux confluences des sciences et de littérature (de

l’imaginaire) et en vue de ces qualités, il est devenu un

membre majeur de mon comité scient-fictif.

Christian Nottola, conférence

L'imaginaire à l'épreuve du futur,

dans le cycle "Littérature au

futur", à la Bibliothèque Robert

Desnos, Montreuil, 1er avril

2023.

- 196 -


Qui est Christian Nottola ?

Après des études d’ingénieurs en parallèle de la préparation

à Science Po, il réalise un diplôme d’étude approfondie

en économie internationale à Dauphine. Il exerce

dans les domaines des mathématiques et de l’économie et

démarre ainsi sa carrière à la Banque de France. Là-bas,

il s’est vu confié la direction d’un centre de recherche sur

l’intelligence artificielle qui venait d’être créée. Il a ensuite

quitté la banque de France et a exercé à France Active en

tant que directeur des systèmes d’information à Montreuil.

Christian Nottola est aujourd’hui retraité depuis 2023.

Depuis petit, Christian s’intéresse à la littérature et

notamment à la science-fiction. Étant passionné de science

et de littérature, il affirme qu’il était comme naturel pour

lui d’aller à la confluence de ces deux passions à laquelle il

trouve la science-fiction.

Il a écrit de nombreuses chroniques pour le magazine

numérique Actu SF, une revue spécialisé dans la littérature

de l’imaginaire. Il anime régulièrement des conférences

et des ateliers pour les jeunes à la bibliothèque

Robert Desnos de Montreuil. Il est également l’auteur de

nombreuses nouvelles de science-fiction dans lesquelles il

explore les thèmes et les questionnements qui l’animent.

Le sujet de nos discussions l’ayant inspiré, il a écrit

plusieurs nouvelles sur le musée et va très bientôt publier

un recueil regroupant toutes ces histoires.

- 197 -


Que représente le musée pour vous ?

Comment le définir ?

" Le musée est un lieu ailleurs, à part. Dans la science-fiction,

il est donc susceptible de couvrir toutes les horreurs

et toutes les histoires plus étranges les unes que les autres,

par ce mystère qui laisse place à toute l’imagination ".

Ayant toujours été fasciné par les savoirs et la connaissance,

Christian s’est très vite intéressé au musée. Il dit que

dans le désir d’une bibliothèque ou d’un musée à vouloir

atteindre l’universel, il y a à la fois un projet très prétentieux,

mais également un souhait qui vise à une certaine

élévation de l’humain, et c’est cela qu’il trouve le musée

fabuleux.

Mais contrairement à une bibliothèque ou une université,

le musée ajoute une vision " autre ". Avec à la fois une

volonté de tout représenter, tout le vrai, tout le passé, toute

l’histoire, il est un lieu de connaissance et du réel, mais il

est aussi un lieu qui permet d’ouvrir sur d'autres univers

(pour lui, chaque œuvre est une ouverture sur une sorte

d’univers parallèle).

" Au musée, on est mis à l’épreuve de la diversité et de

l’inconnu. On peut être curieux de découvrir des choses

que l’on ne connaissait pas et découvrir les histoires qui

se cachent derrières les objets exposés. Le musée permet

d’ouvrir de nouvelles perspectives sur le monde, un peu

comme la littérature de science-fiction. "

Pour Christian, le musée est aussi là pour rétablir une

certaine vérité scientifique, des faits. Pour le passé, il s’agit

d’une vérité historique, pour le futur, d’une vérité de là où

l’on doit aller.

- 198 -


Parler de futur au musée, est-ce incompatible ?

Le musée n'est pas seulement un espace dédié au passé, il

peut aussi être un espace dédié au futur. Cette question est

assez nouvelle, ce n'est pas quelque chose qu'on rencontre

dans les musées du XIXe ou du XXe siècle. Récemment,

cette idée émerge par un croisement avec la science-fiction,

l'anticipation, la prospective, et cette idée de " que

sera demain ? ".

L'idée du futur n'est pas absente du musée initialement.

Le musée a vocation à préserver et conserver le passé, et ce

pour l'avenir. Il s'inscrit donc déjà dans une idée de futur.

Le futur représenté aujourd’hui dans les musées est de

deux natures :

Soit, comme au musée de la science-fiction en Suisse, par

représentations de ce qui a été imaginé dans les œuvres

de SF (objets, créatures, espaces, …). On est ici plus dans

l’idée d’un " futur imaginaire ".

Soit, par des extrapolations scientifiques. Des scientifiques

nous disent ce qui existera dans 10 ans, ou 20 ans

… On est ici dans un " futur prophétisé " par des experts

comme avec les questions de climat ou de danger pour la

biodiversité. Il y a tout de même une part d’anticipation et

d’incertitude dans ces futurs.

- 199 -


Pensez-vous que la science-fiction a un rôle à jouer dans

la recherche ?

La science-fiction est déjà présente dans certains domaines

de recherche, même si cela reste encore très rare. Nous

avons évoqué l’exemple de la Red Team, un groupe de

recherche pour l'armée française qui a fait appel à des

auteurs de science-fiction pour imaginer des scénarios

futurs.

Christian pense qu'il y a un réel intérêt à intégrer des

auteurs de science-fiction dans les groupes de recherche.

Dans le cas de la Red team, les auteurs de science-fiction

sont utiles, car ils savent faire preuve d'imagination et faire

l'exercice de se projeter dans l’avenir, il leur est donc plus

facile d'imaginer des scénarios très différents. En plus de

cela, ils viennent généralement avec un large bagage de

références qui leur permettent une vision très large des

futurs possibles.

De l'autre côté, les militaires, ont une connaissance de la

réalité du terrain et des compétences techniques et stratégiques

dans leur domaine. Ensemble, ils imaginent alors

des scénarios et des réponses possibles.

Ce groupe de recherche pose quand même question :

pourquoi l'État a choisi l'armée comme première expérience

de la science-fiction en recherche ? Pourrait-on

imaginer ce type de recherche-fiction dans d'autres

domaines ?

D’après notre expert, cette démarche devrait être utilisée

partout et dans tous les domaines de la recherche. : la

science-fiction peut apporter beaucoup, et c'est un filon

qui n'est pas suffisamment utilisé dans la recherche. Il

y a de vraies mines là-dedans dont on n’imagine même

pas la pertinence ! On a toujours considéré l’imaginaire

et la créativité comme étant incompatible avec la rigueur

des sciences. Pourtant, lorsqu'on observe les conditions

de la création, et notamment des grandes découvertes,

- 200 -


on y trouve beaucoup de lectures, de l'imagination et de

l'inventivité, des choses qui n'avaient rien à voir avec la

science.

Prenons l'exemple d’Einstein, lorsqu'il crée la relativité, il

se pose la question comme un enfant. Tout simplement

la question de l'espace et du temps. Il fait comme s'il

n'avait rien appris et comme s’il découvrait à nouveau le

monde dans les yeux d'un enfant. Cette " régression " lui

permet de voir les choses autrement et de rebattre, à lui

seul quasiment, les cartes et l'idée du temps.

Mais l'on peut déjà se contenter de lire, et d'aller chercher

des références de science-fiction pour obtenir un panorama

assez large des possibles (et des impossibles).

La science-fiction peut aussi ouvrir la capacité à imaginer,

se poser des questions et ne pas voir les choses comme tel.

Dans la science-fiction, on peut avoir des choses totalement

délirantes, mais en creusant, on peut voir des choses

qui se détache des prévisions qui sont faites, ce sont des

pistes à explorer !

" La science-fiction, je la vois

moins comme un objet littéraire,

que comme un vivier de thèmes

et d’idées sur la transformation

des objets ou des êtres actuels ou

imaginaires. "

- 201 -


Regard d’un mathématicien et expert en IA sur la création

Christian Nottola voit dans l'imaginaire une sorte de

structure mathématique. On peut retrouver des notions

fondamentales, qu'il appelle aussi fonction primaire, par

exemple celle de la transformation des volumes : petit,

grand, mince ou encore des mouvements à l’arrêt, rapide,

lent …

Ces notions peuvent être modifiées en effectuant des

translations avec le réel. En prenant l’exemple de Gulliver,

on observe que dans certaines histoires, il est tout petit

face à des géants, dans une autre, il est confronté à des

lilliputiens. La fonction primaire utilisée est celle de

réduction ou d’augmentation.

En appliquant cette fonction, cette translation a un objet,

une chose courante, on bascule alors dans le domaine de

l’imaginaire.

Par la transformation d’un élément, on peut modifier la

perception des choses et ainsi imaginer un scénario de

fiction. Si l’on énumère ces notions clés à la base de notre

imagination, on peut les appliquer de manière systématique.

La question qui se pose est ainsi : peut-on automatiser la

créativité ?

D’après Christian, si l’on rentre ces fonctions dans un

ordinateur ou dans la commande d’une IA, on peut le

rendre capable de générer des idées.

- 202 -


" On peut trouver de la créativité dans les

mathématiques. Les mathématiques sont

une panoplie d’outils pour interroger le

monde. "

Il envisage de créer un programme pour générer des

histoires de science-fiction, comme un protocole, un

processus pour créer des idées de récits.

Si on réfléchit de cette manière, on peut analyser chaque

œuvre sous l'angle de la translation qui a été effectué avec

le réel. Ainsi, on peut se demander pourquoi certaines

fonctions ne sont pas ou très peu utilisées et cela ouvre

alors de nouvelles pistes à explorer.

Des imaginaires dominants ?

En divaguant un peu vers la fantaisie, nous avons trouvé

intéressant de se demander : pourquoi la figure du dragon,

de l'elfe, ou de la licorne ? Pourquoi ces figures ont pris

cette importance jusqu’à devenir une sorte d’imaginaire

dominant ?

De la même manière, on peut se demander dans la

science-fiction pourquoi les aliens verts, les voitures

volantes et les armes laser ? (Et pas les aliens volants, les

voitures laser ou les armes vertes ?)

Pourquoi ces figures restent et se répètent dans les récits et

d'autres non, alors que l'on pourrait en créer une infinité ?

La littérature fait évoluer les imaginaires, et a un moment,

quand une œuvre devient phare et reconnue de tous, elle

va fixer les éléments (par exemple Tolkien fixe la figure de

l’elfe et du nain). Certaines œuvres référentes figent les

possibles. Il y a donc une sorte de " sélection naturelle "

parmi ces possibles.

- 203 -


" Si l’on veut comprendre la SF,

(mais aussi peut-être dans le

domaine muséal), il faut se poser

la question : qu’est-ce qui existe

par rapport à tous les possibles ?

Ainsi, on s’aperçoit que ce qui

existe n’est qu’une infime partie

de tous les possibles.* ".

*évidement on ne peut pas lister

tous les possibles, mais on peut

déjà fixer un cadre général.

Christian le place avec son idée

mathématique de l’imaginaire.

Il est intéressant de prendre cette conscience-là dans

ma recherche sur les musées : " les musées que l’on

imagine et que l’on a imaginé jusque-là, dans le réel et

la science-fiction, ne sont qu’une part infime de tous les

musées possibles. "

- 204 -


La nécessité de la pluralité des imaginaires dans la création

Nous concluons notre entretien sur l'idée suivante : la

nécessité d'enrichir son imaginaire.

Selon Christian, lire est un réel acte créatif dans le sens

où cela bouscule notre imaginaire. Notre environnement,

notre présent va se télescoper avec les imaginaires que

l'on rencontre au gré de nos lectures. Ces récits peuvent

modifier notre perception et générer d'autres façons de

penser.

Et on peut voir dans certaines dystopies, lorsque l’imaginaire,

la culture, les livres ou encore les musées, ne sont

plus présents, ou même interdit, alors il n’existe plus qu’une

seule manière de penser régie par le pouvoir.

Après Christian, il y a un enjeu civilisationnel à être créatif

et à faire appel à l'imaginaire : " sans cela, on serait encore

dans les cavernes ! ". Pour lui, les deux ingrédients essentiels

de la création sont donc la volonté et l’imagination.

- 205 -


- 206 -


- 207 -


- 208 -


Corpus :

les musées de science-fiction

LIVRES

BRADBURY Ray, Fahrenheit 451, Ballantine Books,

1953.

CLARKE Arthur C., 2001 : L’Odyssée de l’espace, Hutchinson,

1968.

EHRLICH Max Simon, Le grand décret, JC Lattès, 1972.

GUNN James E., Kampus, Albin Michel, 1977.

IMBERT Marguerite, Les flibustiers de la mer chimique,

Albin Michel, 2022.

LIMAT Maurice, Le Carnaval du cosmos, Fleuve, 1978.

ORWELL Georges, 1984, Secker and Warburg, 1949.

ROBIDA Albert, Le Vingtième Siècle, Georges Decaux,

1883

VELTEN Aurianne, After®, Gallimard, 2022.

WELLS H.G., La Machine à explorer le temps, Londres,

Heinemann, 1895.

ZAMIATINE Evgueni, Nous autres, Paris, Gallimard,

1929.

à gauche,

Rocksteady, Batman: Arkham

City, WB Games, 2011.

- 209 -


NOUVELLES

BRUSSOLO Serge, Trajets et itinéraires de l’oubli, issu du

recueil de nouvelles Aussi lourd que le vent, Paris, Denoël,

1981.

BRUSSOLO Serge, Procédure d'évacuation immédiate des

musées fantômes, Denoël, 1987.

DUNYACH Jean-Claude, Autoportrait, Denoël, 1986.

H.V. Chao, Le musée du futur, Issue de la revue Angle mort

n°13, Angle mort, 2019.

MARTINIGOL Danielle, Rémanences, 1115, 2018-2019.

NOTTOLA Christian, Musées miroirs, miroirs brisés,

recueil pas encore publié, 2023.

Ouvrage collectif, Musées, des mondes énigmatiques, réalisé

à l’initiative du ministère de la Culture et de la Communication,

Denoël, 1999.

BANDE DESSINÉE

CHAVOUET Florent, L’île Louvre, Futuropolis et

Louvre Éditions, 2015.

CHI TAK Li, Moon of the moon, Futuropolis et Louvre

Éditions, 2019.

Ouvrage collectif de 8 auteurs japonais et taïwanais, Les

rêveurs du Louvre, Futuropolis et Louvre Éditions, 2016.

DE CRÉCY Nicolas, Période glaciaire, Futuropolis et

Louvre Éditions, 2005.

INFANTINO Carmine et FOX Gardner, Musée de

l’Espace, DC Comics, 1954-1964.

LEVALLOIS Stéphane, Léonard 2 Vinci, Futuropolis et

Louvre Éditions, 2019.

MATHIEU Marc-Antoine, Les Sous-sols du Révolu, Futuropolis,

2006.

OISEAU Lorrain et MORIN Maxime, Anthropocène

- 210 -


Muséum, Exemplaire, 2023.

PEETERS Benoît (écriture) et SCHUITEN François

(illustration), Revoir Paris - intégrale, Casterman, 2018.

TANIGUCHI Jirō, Les gardiens du Louvre, Futuropolis et

Louvre Éditions, 2020.

FILMS

BURTON Tim, Batman, 1989, 126 mn.

COOGLER Ryan, Black Panther, 2018, 134 mn.

GUNN James, Les gardiens de la galaxie, 2014, 121 mn.

KOGONADA, After Yang, 2022, 101 mn.

KUBRICK Stanley, 2001, l’Odyssée de l’espace, 1968, 149

mn.

MARKER Chris, La Jetée, 1962, 28 mn.

NOLAN Christopher, Interstellar, 2014, 141 mn.

NOYCE Phillip, The Giver, 2014, 97 mn.

RIVERS Christian, Mortal Engines, 2018, 128 mn.

SCHAFFNER Franklin, La Planète des singes, 1968, 112

mn.

SPIELBERG Steven, Jurassic Park, 1993 128 mn.

WIMMER Kurt, Equilibrium, 2002, 107 mn.

SÉRIES

BROOKER Charlie, Black Museum, épisode de la série

Black Mirror, Netflix, 2017.

GROENING Matt et COHEN David X., Futurama,

The Curiosity Company et 20th Century Fox Television,

depuis 1999.

HARMON Dan et ROILAND Justin, Rick et Morty,

depuis 2013.

PINFIELD Mervyn, The Space Museum, épisode de la

série Doctor Who, BBC, 1965.

- 211 -


VALLEY Robert, Zima Blue, épisode de la série Love,

Death and Robots, basé sur la nouvelle éponyme de

REYNOLDS Alastair, Netflix, 2019.

JEU VIDÉO

Bethesda Game Studios, Fallout 3 et Fallout 4, Bethesda

Softworks, 2008 et 2015.

BioWare Montréal, Mass Effect: Andromeda, Electronics

Arts, 2017.

Bungie, Destiny 2, Activision, 2017.

Digital Extremes, Warframe, 2013.

Insomniac Games, Marvel's Spider-Man: Miles Morales,

Sony Interactive Entertainment, 2020.

Littlefield Studio, Machinika Museum, Plug In Digital,

2021.

MachineGames, Wolfenstein: The New Order, Bethesda

Softworks, 2014.

Morbius Digital, Outer Wilds, Annapurna Interactive,

2019.

Naughty Dog, The Last of Us Part II, Sony Interactive

Entertainment, 2020.

Rocksteady, Batman: Arkham City, WB Games, 2011.

2K Boston/2K Australia, BioShock, 2K games, 2007.

- 212 -


ART CONTEMPORAIN

RATTÉ Sabrina, Floralia, 2021.

KIPPENBERGER Martin, The Modern House of

Believing or Not, 1985.

THÉÂTRE

RAFFIER Tiphaine, texte et mise en scène, La réponse des

hommes, scénographie de Hélène Jourdan, 2020.

- 213 -


Bibliographie, sitographie

OUVRAGES LUS

BAUDRILLARD Jean, L’effet Beaubourg, Galilée, 1977.

BORDAZ Robert, Le Centre Pompidou: une nouvelle

culture, éditions Ramsay, 1977.

ECO Umberto, PEZZINI Isabella, Le musée, demain,

Casimiro, 2015.

MACGREGOR Neil, À mondes nouveaux, nouveaux

musées : Les musées, les monuments et la communauté réinventée,

Hazan Eds, 2021.

NOUVEL Jean et PARENT Claude, Musées à venir,

Actes Sud, 2016, né de l’exposition présentée en 2016 à la

Galerie Azzedine Alaïa.

PEREGALLI Roberto, Les lieux et la poussière, Aléa,

2010.

SOMPAIRAC Arnaud, Scénographie d'exposition: six perspectives

critiques, Métis Presses, 2016.

SZANTO András, The Future Museum: 28 Dialogues,

Hatje Cantz, 2021.

- 214 -


OUVRAGES CONSULTÉS :

BISHOP Claire, Vers un musée radial, Réflexions pour une

autre muséologie, MKF, 2013.

FOUCAULT Michel, "Des espaces autres", dans la revue

Empan 2004, n°54, Espaces du social et du soin, pages 12 à

19, éd. Érès.

HUSTON Nancy, L’espèce fabulatrice, Acte Sud, 2008.

MALRAUX André, Le musée imaginaire, Gallimard,

1947.

MOLLON Max, Design pour débattre [en ligne], thèse de

design, EnsadLab, Paris, 2019.

NOUVEL Jean et PARENT Claude, Musées à venir,

Actes sud, 2016.

PAPANEK Victor, Design pour un monde réel : Écologie

humaine et changement social, Les presses du réel, août

2021, édition originale 1971.

POMIAN Krzysztof, Le musée, une histoire mondiale,

Gallimard, 2020.

SCHAER Roland, L’invention des musées, Gallimard,

1993.

ARTICLES ET ESSAIS

BUTT Amy, The Present as Past: Science Fiction and the

Museum, Open Library of Humanity Journal, 2021.

CROWLEY John, The Next Future, à l’adresse suivante :

https://www.laphamsquarterly.org/future/next-future

EIDELMAN Jacqueline, Rapport de la mission "Musées

du XXIe siècle", pour le Ministère de la Culture, 2017.

- 215 -


LACAZE Julie, " L'effet Bilbao " : les stars de l'architecture

au secours des villes en déclin, National Geographics, 2019,

à l’adresse suivante : https://www.nationalgeographic.fr/

photographie/2019/05/leffet-bilbao-les-stars-de-larchitecture-au-secours-des-villes-en-declin

THÉVENET Elisa, " La science-fiction aborde des enjeux

planétaires : entretien avec trois maîtres de la SF", journal Le

Monde [en ligne], publié en mai 2019.

TRIQUET Eric, "Le récit dans la médiation des sciences et

des techniques", Culture & Musées, n°18, 2011.

PODCASTS

BONNEC Sidonie, Minute Papillon !, "À quoi ressemblera

le musée du futur ?", France Bleu, le 04/10/2021, avec

l’invité Valentin Schmite, 19’, retranscription à l’adresse

suivante : https://www.francebleu.fr/emissions/minutepapillon/a-quoi-ressemblera-le-musee-du-futur

ERNER Guillaume, L’invité(e) des matins, "Les nouvelles

révolutions culturelles", avec Philippe Coulangeon et Neil

MacGregor, France Culture, le 24/11/2021, 42’, retranscription

à l’adresse suivante : https://www.franceculture.

fr/emissions/l-invite-e-des-matins/l-invite-des-matinsdu-mercredi-24-novembre-2021

MUGNIER Hélène et DE FONT-RÉAULX

Dominique, Quel avenir pour l’expérience muséale ?, Revue

Esprit, France Culture, Musée du Louvre, enregistré en

février 2020, disponible à l’adresse suivante : https://

www.franceculture.fr/conferences/revue-esprit/quel-avenir-pour-lexperience-museale

Quel sera le musée de demain ?, Réunion des Musées

Nationaux - Grand Palais, retranscription conférence à

l’auditorium, mars 2016.

- 216 -


Sens-Fiction, Les futurs désirables, RF Studio & son Bureau

des Usages, en collaboration avec Adorable, octobre 2020,

5 épisodes de 15’.

EXPOSITIONS

Catalogue de l’exposition Sens-Fiction, Quand la fiction

augure des usages, [ en ligne ] éd. du site Comité d’organisation

de Lille Métropole 2020, World Design Capital &

RF Studio, disponible à l’adresse suivante : https://www.

sens-fiction.org/fr/

Catalogue d’exposition, Le musée imaginé, Et si l’art disparaissait

? [en ligne], Centre Pompidou-Metz, collections

du Tate, MMK et du Centre Pompidou, du 19/10/2016

au 27/03/2017, disponible à l’adresse suivante : https://

www.centrepompidou-metz.fr/sites/default/files/issuu/

dp_un-musee-imagine-bd_0.pdf

Musée "Maison d’Ailleurs", Yverdon-les-bains, Suisse,

1976

MÜLLER Alexandra (commissaire d’exposition), Les

Portes du possible, Centre Pompidou-Metz, 2022 - 2023

PEETERS Benoît et SCHUITEN François, Musée des

Ombres, 1990 - 1991.

SZEEMANN Harald, Science fiction, 1967 - 1968.

- 217 -


COLLOQUES ET CONFÉRENCES

Le collectif HAWAF, Sahab, le musée des nuages, MUCEM,

2022.

Colloque Quel Musée en 2049 ?,retranscription [en

ligne], organisé par le Journal l’OBS, octobre 2019, École

des Beaux-Arts de Paris, 2h 3’, disponible à l’adresse

suivante : https://www.nouvelobs.com/2049/20191024.

OBS20258/que-seront-les-musees-dans-30-ans-suiveznotre-conference-en-direct.html

Conférence L’exposition dans tous ses états, organisée par

la Fédération XPO, salon SITEM, septembre 2021,

Carrousel du Louvre, Paris.

Festival des idées Paris, table ronde L’Anthropocène et les

pratiques artistiques, patrimoniales, muséographiques, CRI,

novembre 2021.

ICOM France, captation du débat De quoi le musée est-il

le nom ? [en ligne], Conseil International des Musées

France, novembre 2020, disponible à l’adresse suivante :

https://www.icom-musees.fr/actualites/de-quoi-museeest-il-le-nom-captations

UNESCO, débat en ligne, Réflexions sur l'avenir des musées

[retranscription vidéo], 18 mars 2021, 3h 58’, postée le 26

mars 2021.

- 218 -


SITES INTERNETS

Collectif ZANZIBAR, page d’accueil, Minifeste [en

ligne], éd. collectif Zanzibar, disponible à l’adresse

suivante : http://www.zanzibar.zone

MOTHA, Museum Of Transgender History and Arts,

https://www.motha.net

Site officiel de la Gaîté Lyrique, Quel(s) futur(s) pour le

design fiction ? [en ligne], Design Fiction Club, Saison 2

#4, publié en mai 2019, disponible à l’adresse suivante :

https://gaite-lyrique.net/evenement/quels-futurs-pourle-design-fiction

Site officiel du Design Fiction Club, page d’accueil [en

ligne], © Max Mollon , 2017, disponible à l’adresse

suivante : https://designfictionclub.com/bienvenue#design-fiction-

- 219 -


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Glossaire

[petit glossaire imaginaire des mots plus ou moins inventés pour nourrir la recherche]

Muséonaute (n.) :

Littéralement, la contraction de

"musée" et du terme issu du grec

ancien -mouseîon, -naútês pour

"navigateur". Le muséonaute

désigne donc les individus qui

naviguent à bord du musée, les

voyageurs des musées, ou plus

communément appelé aussi

public, visiteurs, ou curieux.

Muséiste (n.) :

À ne pas confondre avec "muséonaute"

(ceux qui naviguent), un

"muséiste" désigne ceux qui font

le musée, ceux pilotent le vaisseau.

Il permet de regrouper tous ceux

qui activent les fonctions de ce

lieu (conserver, protéger, soigner,

vulgariser, étudier, rechercher,

éduquer, exposer, …).

Aucun mot n’existe pour définir

les professionnels du musée :

"L'ICOM existe avant tout pour

servir les intérêts des "professionnels

des musées", mais il est

presque aussi difficile de définir

un professionnel de musée que

les musées eux-mêmes. [...] Une

personne qui joue ou compose

de la musique est un.e musicien.

ne, celle qui fait du droit est un.e

juriste, mais, jusqu'à présent,

le seul équivalent que l'on soit

parvenu à inventer pour les

musées et "professionnels de

musée", formule maladroite et un

tantinet ridicule. [...] Peut-être

que "muséiste" conviendrait-il."

[Musées et monuments: le rôle

pionnier de l'UNESCO, Hirosbi

Dazfikzr, 1998]

Scienti-fiction (n.f.) :

Ce terme a été inventé par Hugo

Gernsback comme contraction

de "scientifique" et "fiction" et

défini dans le premier numéro

d'Amazing Stories en avril

1926. Il évoluera par la suite

pour devenir officiellement

"science-fiction" en 1929.

Dans le cadre de la recherche, ce

mot et ses différentes dérivées

serviront à décrire un processus

de recherche qui croise les

sciences et les fictions, c'est-àdire,

se basant sur des écrits à la

fois théoriques, sociologiques,

philosophiques mais aussi des

œuvres de science-fiction. La

recherche elle-même joue avec la

fiction imaginant des contextes

fictifs, des personnages qui y

prennent part et un jeu de rôle de

"chercheuse scienti-fictive".

Dérivées (adj.) : scienti-fictif,

scienti-fictive.

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Musées des (im)Possibles

La science-fiction comme médium exploratoire.

Tiré en trois exemplaires.

Achevé d'imprimer en mai 2023.

Tous droits réservés.

Pauline HUTIN

École des Arts Décoratifs Paris

Master Scénographie

2022/2023

Direction de mémoire par Véronique Massenet.

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I- grand titre en blanc

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