Musées des (im)possibles - La science-fiction comme médium exploratoire
Ce mémoire est à la croisée des sciences et des fiction, il a vocation à voyager à travers les univers pour chercher, observer et imaginer les trajectoires présentes et avenirs de ce que l'on nomme : musée. Je souhaite démontrer qu'il est possible d'aborder la science-fiction et ses créations imaginaires de manière créative et réflective. Dans cet ensemble de récits et de représentations peuvent aussi être trouvées des ouvertures inspirantes, aidant notamment à réfléchir, autant dans la forme que dans l'organisation, aux musées de demain. À travers cette balade de possibles en impossibles, voici un aperçu des musées du futur qui habitent les œuvres de science-fiction. Ces musées qui vivent dans nos imaginaires seront peut-être nos musées à venir. Et si la science-fiction, comme outil de recherche et d'exploration, nous permettait d'ouvrir les imaginaires et les possibles, afin de questionner le musée actuel et à venir ? _____ [EN] This dissertation is at the crossroads of science and fiction, it has the vocation to travel through the universes to search, observe and imagine the present and future trajectories of what we call: museum. I want to demonstrate that it is possible to approach science fiction and its imaginary creations in a creative and reflective way. In this collection of stories and representations, inspiring openings can also be found, helping us to reflect at museums of tomorrow, both in form and in organization. Through this stroll from the possible to the impossible, here is a view of the museums of the future that inhabit the works of science fiction. These museums that live in our imaginations will possibly be the museums of the future. What if science fiction, as a tool for research and exploration, allowed us to expand our imaginations and possibilities, in order to question the present and future museum?
Ce mémoire est à la croisée des sciences et des fiction, il a vocation à voyager à travers les univers pour chercher, observer et imaginer les trajectoires présentes et avenirs de ce que l'on nomme : musée.
Je souhaite démontrer qu'il est possible d'aborder la science-fiction et ses créations imaginaires de manière créative et réflective. Dans cet ensemble de récits et de représentations peuvent aussi être trouvées des ouvertures inspirantes, aidant notamment à réfléchir, autant dans la forme que dans l'organisation, aux musées de demain.
À travers cette balade de possibles en impossibles, voici un aperçu des musées du futur qui habitent les œuvres de science-fiction. Ces musées qui vivent dans nos imaginaires seront peut-être nos musées à venir.
Et si la science-fiction, comme outil de recherche et d'exploration, nous permettait d'ouvrir les imaginaires et les possibles, afin de questionner le musée actuel et à venir ?
_____
[EN]
This dissertation is at the crossroads of science and fiction, it has the vocation to travel through the universes to search, observe and imagine the present and future trajectories of what we call: museum.
I want to demonstrate that it is possible to approach science fiction and its imaginary creations in a creative and reflective way. In this collection of stories and representations, inspiring openings can also be found, helping us to reflect at museums of tomorrow, both in form and in organization.
Through this stroll from the possible to the impossible, here is a view of the museums of the future that inhabit the works of science fiction. These museums that live in our imaginations will possibly be the museums of the future.
What if science fiction, as a tool for research and exploration, allowed us to expand our imaginations and possibilities, in order to question the present and future museum?
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couverture du mémoire,
collage d'après les illustrations
des aventures de Jules Verne.
Pauline Hutin
École des Arts Décoratifs Paris
2022-2023
Remerciements
Je souhaite remercier particulièrement ma directrice de
mémoire, Véronique Massenet pour son accompagnement
et ses conseils tout au long de l’année ainsi que pour
sa bonne humeur et les cafés.
Je voudrais également remercier Christian Nottola, expert
de la littérature en science-fiction et surtout, auteur de
talent. Il m'a beaucoup apporté dans les références et la
réflexion mais aussi inspiré par ses nouvelles qui explorent
le musée.
Je remercie l’équipe enseignante du secteur scénographie
pour leur accompagnement et leur accueil dans cette
nouvelle école ainsi que l’École des Arts Décoratifs de
Paris.
Un grand merci à ma famille qui m’a toujours soutenue et
encouragée dans mes projets. Merci aussi pour les relectures
et les discussions sans fin sur mon sujet.
Je tiens également à remercier toutes les personnes qui
m’ont apporté des références et des informations sur les
musées de science-fiction, amis, famille et inconnus sur les
forums de grands connaisseurs du genre.
Merci à Gaëlle Brodhag et Audrey Aragnou pour avoir
ouvert ma curiosité autour de la fiction, de l’art et du
musée.
à gauche,
illustration tirée de Zima Blue,
realisé par Robert Valley, 2019.
Une pensée particulière pour mon grand-père qui m'a
emmené de nombreuses fois au musée et conté ses récits
merveilleux de jeune étudiant en école d’art, me donnant
envie de m’y aventurer.
Sommaire
9
12
14
16
25
30
34
36
44
52
58
61
62
71
77
90
Avant-propos
Introduction
I- La science-fiction comme outil de réflexion
Quand la notion de futur a-t-elle été inventée ?
La science-fiction, reflet de notre société
La science-fiction, un médium exploratoire
II- Le musée et l'imaginaire
Le musée porteur d'histoires
Un espace autre, entre l’ici et l’ailleurs
Un musée est comme un roman …
III- Musées : miroirs de notre temps
1. Musées passés, musées fantômes, musées mémoires …
_ Absence du musée, une société sans art ni lieu de
culture
_ Quand le musée se conjugue au passé …
_ Archéologie du futur : la figure de la ruine
_ Le musée, gardien du temps et de la mémoire
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2. Musées & pouvoir
_ Lieu du pouvoir
_ Lieu de contre-pouvoir
_ Que les musées doivent-ils désapprendre ?
_ De l’universel au pluriversel
IV- Transformer le musée
Le musée infini
Musée sculpture
La science-fiction pour ouvrir les possibles
Le musée immatériel
Le musée mouvant
Conclusion
Annexes
Corpus : les musées de science-fiction
Bibliographie - Sitographie
Glossaire
- 8 -
Avant-propos
Chers lecteurs,
C'est avec joie (et un peu timidité) que je vous transmets
ce mémoire. Il est le fruit d'un an de recherches et d’explorations
qui m'ont passionnées, pendant lesquelles j’ai
eu la chance de voyager à travers des mondes imaginaires
et d'explorer les recoins de la science-fiction à la recherche
de musées.
Ce mémoire s’inscrit dans une démarche que j'expérimente
depuis maintenant plus d'un an. J'essaye d'intégrer
à mon processus de création ou d'expérimentation ce
que j'appelle la recherche-fiction. Cela signifie d'un côté,
le décloisonnement des sources et des références pour
s'ouvrir au champ du récit et de la science-fiction ; et d'un
autre côté, la mise en place d'un regard et d'un rôle fictif
dans mon positionnement. Je m'imprègne également des
méthodes de design-fiction et du design spéculatif pour
une réflexion présente qui se nourrit et s’incarne dans des
récits futurs.
- 9 -
Cette recherche-fiction a pris la forme du Laboratoire des
Imaginaires. Mon objectif avec ce laboratoire, dans une
voie plus large que cette recherche, est de créer des dispositifs
et des expériences qui permettraient collectivement
d'ouvrir nos imaginaires. Pour le moment je me concentre
sur le musée qui est à mon sens le lieu idéal pour héberger
ce type de démarche, car il est le lieu de la science, de
l'imaginaire et de la curiosité.
Cette année, au sein du Laboratoire, c’est un duo constitué
d’une chercheuse scienti-fictive et de son associé le
Muséonaute Universel des Fabulations Interplanétaires
(ou M.U.F.I. 451) qui exploreront le lieu musée et ses
différentes formes futures et imaginaires.
L’étude se base sur un fonds d’archives futures, constitué
par M.U.F.I. 451, permettant de comprendre le terrain
de recherche et les différents "musées de science-fiction".
Ce corpus est sans limite, la volonté était d'embrasser au
plus large les différents domaines de l’art, car tous peuvent
faire partie de la science-fiction. Vous trouverez ainsi,
principalement de la littérature et du cinéma, mais aussi
des jeux vidéo, de la bande dessinée, des séries télévisées,
du théâtre ou encore de l’art contemporain. Si une des
œuvres abordées vous est inconnue ou que vous souhaitez
en savoir un peu plus à son sujet, vous pouvez retrouver le
fond d'archives M.U.F.I. 451 en ligne (voir carte d’accès
jointe au mémoire)
Vous rencontrerez également tous les types de musées :
musées d'art, d'histoire, de sciences naturelles… La
volonté des chercheurs était d'explorer toutes les incarnations
du musée possible dans la science-fiction, car vous
le verrez, cela beaucoup sur la manière dont il est abordé
dans l'œuvre.
- 10 -
Le travail de notre duo de chercheurs a été accompagné
d’un comité scienti-fictifs composé d’auteurs, de muséistes,
d’experts et de rêveurs que nous remercions grandement.
Ce mémoire se présente comme une promenade, un
voyage exploratoire . Le fil de l'écriture se déroule au fur
et à mesure des récits de fiction rencontrés, nous permettant
d'aborder sur notre chemin différentes thématiques
autour du musée.
De temps à autre vous trouverez des "interférences" dans
l’écriture, sortes de parenthèses ou d’intermèdes iconographiques
pour voyager un peu plus loin en images dans le
sujet abordé.
À présent, je vous invite à me suivre dans cette promenade.
J'espère que ce voyage vous inspirera un peu de curiosité,
et peut-être l'envie de vous aventurer dans ces récits incroyables
…
Attention :
- l'intrigue des oeuvres citées est susceptible de vous être divulguée, si
vous ne souhaitez pas être spoilé, désolée.
- les mots "musée" et "science-fiction" sont présents de nombreuses
fois dans ce mémoire. Il se peut, que tout comme moi, vous finissiez
hanté par ces mots ou que leur sens finisse par vous échapper à force
de les répéter.
- si des récits rencontrés vous donnent envie de lire l'intégralité, je
peux pour la plupart vous les prêter, il suffit de me demander ! ;)
- 11 -
Introduction
Ce mémoire est une incursion dans la science-fiction,
à la croisée des sciences et des fictions, il a vocation à
voyager à travers les univers pour chercher, observer et
imaginer les trajectoires présentes et avenirs de ce que l'on
nomme : musée.
Je souhaite démontrer qu'il est possible d'aborder la
science-fiction et ses créations imaginaires de manière
créative et réflective. Dans cet ensemble de récits et de
représentations peuvent aussi être trouvées des ouvertures
inspirantes, aidant notamment à réfléchir, autant dans la
forme que dans l'organisation, aux musées de demain.
À travers cette balade de possibles en impossibles, voici
un aperçu des musées du futur qui habitent les œuvres
de science-fiction. Ces musées qui vivent dans nos imaginaires
seront peut-être nos musées à venir.
- 12 -
Se demander "Et si ...?" c’est laisser place à l’imaginaire
infini. C’est faire un pas de côté et observer les possibles
qu’il y a devant nous. C‘est se projeter dans un avenir rêvé
pour comprendre nos trajectoires présentes.
Se demander "Et si...?" c’est aussi poser une question,
ouvrir une discussion et engager une réflexion. C’est créer
un doute, chercher des points de tension et de friction.
Cette question permet parfois de s’inscrire dans le champ
de la spéculation et de l’anticipation critique.
Se demander "Et si ...?" au musée c’est proposer un regard
sur ses enjeux actuels mais aussi sur son avenir. C’est interroger
son espace, ses pratiques et son rapport au public.
C’est un moyen d’expérimenter sur les scénographiques.
Et si la science-fiction, comme
outil de recherche et d'exploration,
nous permettait d'ouvrir les
imaginaires et les possibles,
afin de questionner le musée
actuel et à venir ?
- 13 -
I- La science-fiction
comme outil
de réfléxion
- 14 -
- 15 -
© Clément Vuillier
Quand la notion de futur
a-t-elle été inventée ?
Quand l’idée du futur a-t-elle été inventée ? A-t-on
toujours essayé de se projeter dans l’avenir ? Pourquoi
questionne-t-on le futur et depuis quand le fait-on ?
Nous pourrions croire que nous avons toujours tenté
d’imaginer ce qui allait arriver, comment la société allait
évoluer et comment les gens allaient vivre dans les temps
à venir. Mais, cette projection n’a pas toujours été un
exercice courant pour l’homme.
Dans les fictions du passé, et notamment dans les mythes
ou dans la religion, on observe une vision cyclique du
temps. En effet, les héros homériques se tournaient vers
le passé, et non vers l’avenir, pour comprendre leur vie ; les
personnages bibliques se tournaient eux aussi vers leurs
pères pour trouver la bonne façon de vivre 1 . Ces sociétés
imaginaient certes l’avenir, mais en se basant principalement
sur le passé, comme un éternel recommencement.
Ce qui se rapprochait le plus de la notion de futur était
peut-être la prophétie religieuse, c’est-à-dire, la prédiction
des choses qui allait advenir par inspiration divine.
Quelques projections pouvaient alors se rapprocher de
l’idée d’un futur changeant, parmi elles, un des récits les
plus répandus est celui de l’apocalypse, la destruction
totale, la fin du monde. Mais peu de ces récits d’avenir
étaient présents et très souvent, ils ne permettaient pas
d’imaginer un futur très différent du présent ou du passé.
1. Alderman Naomi, Why We
Write About This Thing Called the
Future, Literary Hub, 2019.
2. Cette idée est d’ailleurs
encore très présente dans notre
imaginaire commun et fait partie
intégrante du genre SF, elle a
aussi donné lieu aux histoires de
l’après fin du monde, le postapocalypse.
à droite,
illustration De la Terre à la Lune,
Jules Verne, gravure d’Alphonse
de Neuville, 1869.
- 16 -
- 17 -
L’idée du futur tel que nous le concevons, c’est-à-dire d’un
futur radicalement différent du présent, à probablement
commencé au XVIIIe siècle, à peu près en même tant
que le siècle des Lumières, une période de découvertes
scientifiques et de changements politiques rapides. Les
philosophes des Lumières amènent l’idée de progrès,
notamment social et politique : les choses ne resteront pas
telles qu’elles ont toujours été.
"L’idée d’un avenir qui ne
ressemblerait pas du tout au
passé, n’apparaît vraiment qu’à
partir du moment où les progrès
technologiques modifient les
conditions de vie et de travail au
cours d’une seule génération.
Pour cette génération, il devient
alors manifeste que, tout comme
le passé, l’avenir aussi différera
radicalement du présent." 3
3. Crowley, John. The Next Future. Lapham’s Quarterly, 2011.
- 18 -
4. Je parle ici de la Révolution
Américaine puis de la
Révolution Française.
Entre révolutions sociales et politiques 4 et révolution
industrielle, c’est certainement dans cette ère de bouleversement
des pensées, de transformation profonde des
sociétés et des modes de vie, que s’est construite l’idée du
futur.
Dès lors, l’avenir est une proposition attrayante pour les
écrivains et les penseurs. Au départ, les récits d’avenir
étaient principalement utilisés pour discuter d’idées politiques.
Mais en arrivant progressivement vers le XIXe
siècle, les évolutions scientifiques et technologiques ont
également commencé à se faire une place dans la littérature.
Ainsi, dès le début de la révolution industrielle, un
nouveau genre littéraire qui place la science au cœur de
la fiction commence à émerger. Du Frankenstein de Mary
Shelley (1818) aux aventures scientifiques de Jules Verne
(1850-1905) ou encore dans les romans philosophiques de
H.G. Wells (1887-1945), c’est l’émergence du merveilleux
scientifique. Le cinéma s’ouvre aussi à l’imaginaire, avec
des œuvres aujourd’hui majeures telles Metropolis réalisé
par Fritz Lang (1927) ou encore Le Voyage sur la Lune de
George Méliès en 1902.
- 19 -
H.G. Wells, La guerre des mondes, illustration Alvim Corrêa , éditions Omnibus, 1906.
- 20 -
(figure 1) extrait du film Le Voyage dans la Lune, réalisé par Georges Méliès, 1902.
(figure 2) extrait du film Metropolis, réalisé parFritz Lang, 1927.
- 21 -
À la fin du XIXe siècle apparaissent aux États-Unis les
pulps, magazines peu coûteux à l’origine utilisés pour
diffuser des articles théoriques et des notices de montage.
Hugo Gernsback, alors passionné de fictions et
notamment du merveilleux scientifique, intègre, dès
1923, dans ces magazines de vulgarisation scientifiques
de courtes fictions d’anticipations : "quoi de mieux qu’un
récit pour convaincre des transformations à venir de nos
vies promises par les découvertes de la science ?"
Désormais convaincu par la force des récits, sa ligne éditoriale
s’ouvre à la fiction. Dans les premiers numéros du
pulp magazine Amazing Stories de 1929, Hugo Gernsback
utilise pour la première fois le mot "science-fiction".
Influencé par Jules Verne et H.G. Wells, il est considéré
comme l’inventeur de cette terminologie et la répand ainsi
comme genre littéraire.
Pour lui la science-fiction a trois fonctions : la narration
pour l’engouement des lecteurs, l’information scientifique
pour leur éducation et la description de nouveaux usages
pour inspirer les inventeurs à concevoir de nouveaux
objets.
Aujourd’hui, presque 100 ans plus tard, la vocation de la
science-fiction a-t-elle évolué ? Comment peut-on s’en
saisir pour nos enjeux actuels ?
- 22 -
Couverture du pulp magazine Amazing Stories de 1929.
- 23 -
- 24 -
La science-fiction,
reflet de notre société
5. Hubert Guillaud, La SF sertelle
à rendre la science inéluctable ?
dans "Le réveil des imaginaires",
Socialter, 202
"La science-fiction n’est pas utile
parce qu’elle serait capable de
prédire le futur, elle est utile parce
qu’elle recadre notre perspective
sur le monde, nos hypothèses...
plutôt qu’elle ne les conforte." 5
Aujourd'hui, la question du futur est plus que jamais au
cœur de nos préoccupations. Dans un monde en constante
évolution, il devient crucial de se projeter dans l'avenir
pour anticiper les changements à venir et tenter de choisir
la voie la plus durable. Entre avancées technologiques,
mutations sociales et politiques et bouleversements climatiques,
notre avenir sera radicalement différent du présent.
à gauche,
illustration de Hugo Bienvenue
pour l’exposition Sens-Fiction,
2020.
Dans ce contexte, la science-fiction permet ainsi de
s'interroger sur les conséquences possibles de ces changements
et d'anticiper des futurs alternatifs. Elle permet
de se projeter dans un futur hypothétique et ainsi, de
réfléchir aux conséquences des choix présents sur l'avenir.
Elle offre un espace de liberté pour explorer des idées et
des concepts qui dépassent les limites de la réalité.
- 25 -
La science-fiction n'est pas là pour "prédire" l'avenir
mais plutôt pour l'anticiper, le rêver, le questionner. Elle
fonctionne comme le miroir de notre société. Comme une
lentille déformée, elle offre une image métaphorique de
notre présent.
Le plus souvent, la science-fiction fonctionne par extrapolation
de phénomènes présents. Et quand cela n'est pas
particulièrement intentionnel, on remarque tout de même
que les auteurs sont influencés par l'époque et la société
dans laquelle ils évoluent. La science-fiction est donc bien
plus qu’une porte vers les temps à avenir. Elle témoigne
également des désirs et des peurs des temps présents.
"La science-fiction, c’est l’art du possible" déclarait l’écrivain
américain Ray Bradbury. Sous couvert d'anticipation,
elle nous parle du présent. Elle est un laboratoire
d'hypothèses qui manipulent et extrapolent les normes et
dogmes du monde actuel. 6
6. Propos tiré de l’exposition Les
Portes du possible. Art & sciencefiction,
Centre Pompidou Metz,
du 5 novembre 2022 au 10 avril
2023.
"Toute prédiction sur ce qui est à
venir risque de porter davantage
sur le présent que sur l'avenir." 7
7. Crowley, John. The Next Future. Lapham’s Quarterly, 2011.
- 26 -
Ainsi, la science-fiction est un réel outil de réflexion. Que
ce soit par anticipation, en explorant des scénarios de
futurs alternatifs pour repenser notre rapport au monde,
ou, par extrapolation de phénomènes présents, pour
critiquer et poser des questions sur nos actions actuelles;
la science-fiction est un réel matériau à penser.
Au-delà d'un genre que l'on classe fréquemment du côté
du divertissement, il est possible d'aborder la science-fiction
avec plus d’attention et de curiosité. De ces récits
peuvent émerger des idées, des pensées aidant notamment
à réfléchir éthiquement et politiquement et de manière
collective, sur les défis de notre société.
Comme le défend Yannick Rumpala dans son livre, Hors
les décombres du monde (2018), la science-fiction propose
certes des récits, mais peut aussi être envisagée comme
"un espace de production, de représentation et d'idées, et
spécialement d'idées nouvelles ou originales. En installant
et en accumulant des expériences de pensée, elle offre un
réservoir cognitif et un support réflectif : autrement dit,
un type de connaissances utilisable pour devenir matière
à réflexion"
- 27 -
" La fiction est un outil social et collectif pour
penser les récits futurs. "
(figure 1) Illustration de Hugo Bienvenue pour l’exposition Sens-Fiction, 2020.
(figure (citation) 1) François légende de Ribac, l’image Table Ronde, L’Anthropocène et les pratiques artistiques, patrimoniales,
(figure muséographiques, 2) légende de CRI, l’image Festival des Idées Paris, novembre 2021.
- 28 -
8. Alain Damasio, écrivain
français de science-fiction.
"En touchant des affects et des
percepts, on va chercher un public
qui n’ouvrirait pas un essai de
philosophie ou de sociologie
mais qui est content de spéculer
et de réfléchir à la société.
L'identification au personnage
est un vecteur extraordinaire qui
permet d’embarquer le lecteur
dans un vaisseau spatial. C’est la
clé de tout." 8
Pour revenir à la définition d'Hugo Gernsback, la
science-fiction aurait pour fonction "la description de
nouveaux usages pour inspirer les inventeurs à concevoir
de nouveaux objets". La science-fiction est donc, dès son
origine, étroitement liée à l'évolution des modes de vie
et au développement de l’imaginaire des créateurs. Ainsi,
pourrait-on dire que la science-fiction est proche des
enjeux du design ?
- 29 -
La science-fiction,
un médium exploratoire
"Pourquoi s'intéresser aux imaginaires, aux récits d'anticipation
et au pouvoir de la fiction lorsqu'on est designer
en 2020 ?" Ainsi débute l’exposition Sens-Fiction 9 qui
s’intéresse au lien créateur entre design et fiction.
9. Exposition Sens-Fiction,
au Tripostal à Lille lors de
l’événement Design is Capital
en 2020.
Nous l'avons vu, la science-fiction est un réel laboratoire
pour questionner notre rapport au monde et nos actions
présentes. Le design, lui, dans sa vocation à répondre aux
besoins émergeants et à concevoir les espaces et objets qui
nous entourent, est étroitement liée à la question du futur
et des usages à venir.
De plus, il est important pour le designer de créer en considérant
le monde. Comme le souligne Victor Papanek, "en
tant que designers socialement et moralement engagés,
nous devons répondre aux besoins d’un monde qui est au
pied du mur".
à droite,
Futurama : Highways and
Horizons, General Motors,
maquette réalisée par Norman
Bel Geddes, en collaboration
avec Albert Kahn, Installation
qui présente une vision du
monde du futur dans 20 ans pour
promouvoir l'automobile, 1940.
- 30 -
- 31 -
" Raconter le futur c'est s’engager
sur la position délicate que
prennent les hommes dans
leur environnement. Les récits
d'anticipation spéculent sur un
monde qui pourrait être, ils ne sont
donc pas de simples divertissements
sans conséquences. Ils inspirent et
forgent des trajectoires collectives,
l'histoire le prouve [...] " 9
9. Cartel d’exposition, Ramy
Fischler et Scott Longfellow
commissaires de l'exposition
Sens-Fiction, LIlle, 2020.
Ainsi, peut-on envisager la science-fiction comme outil
pour le designer ? À la fois dans sa dimension critique
et réflexive mais également dans son aspect productif,
comme réservoir de représentation et d'idées nouvelles.
La fiction est un moyen de se projeter dans l’avenir. Liée
au design, elle est un vrai "médium exploratoire" qui peut
être utilisé tant dans la démarche de projet que dans sa
finalité. C’est en explorant les scénarios futurs que l’on
peut répondre aux enjeux actuels.
La science-fiction offre un réel terrain d’expérimentation
pour les designer. Grâce à la projection dans un futur hypothétique,
il possible d'imaginer l’impossible et ainsi, par
ce pas de côté, nous aider à penser autrement, et ouvrir
nourrir notre imaginaire créatif.
La science-fiction a un rôle à jouer dans la recherche, par
exemple ce processus est déjà expérimenté par la Red
Team 10 . Ce programme de recherche initié par l'armée
10. Créé en 2019, ce programme
met en relation des auteurs
et autrices, dessinateurs et
scénaristes de science-fiction,
avec des designers, experts
scientifiques et militaires
pour imaginer et anticiper des
possibles menaces futures.
- 32 -
française fait appel à des auteurs de science-fiction pour
imaginer des scénarios futurs. Pourrait-on ainsi imaginer
ce type de recherche-fiction dans d'autres domaines,
comme le design et la scénographie ?
11. Un terme très récent évoqué
pour la première fois en 2005
par Bruce Sterling qu’on peut
associer à la discipline du design
spéculatif ou encore au design
critique.
Bien plus qu’un outil de création, la fiction a donné lieu
à une nouvelle discipline : le design fiction 11 . Il consiste
à explorer les implications d'évolutions futures. L’objectif
est de se servir des techniques semblables à la science-fiction
pour proposer une réflexion sur nos actions actuelles
et leur devenir. On étudie des signaux faibles, sur lesquels
on s'appuie pour imaginer différents scénarios qui ont
vocation à interroger collectivement les publics.
En tant que designer, on peut alors aller puiser dans la
science-fiction soit avec une posture réflexive et critique,
comme le propose le design fiction, soit dans la volonté
d'une ouverture créative, d'un élargissement de nos imaginaires.
12. Zanzibar, collectif d’auteurs
et autrices de science-fiction,
manifeste.
"Nos avenirs –communs et
individuels –nous appartiennent,
et nous avons le pouvoir de les
imaginer, de jouer avec, de les
expérimenter et de les construire à
notre guise." 12
Ainsi, nous pouvons explorer et utiliser la science-fiction
en tant que scénographe. Il est possible d'envisager
la science-fiction comme un médium d'exploration des
musées à venir.
- 33 -
II- Le musée
et l'imaginaire
- 34 -
- 35 -
© Pauline Hutin
Le musée porteur
d'histoires
Le musée est un lieu qui se retrouve souvent au cœur des
récits de fiction. Par ce panorama de récits et d'images,
l'exemple du Louvre nous montre que ce lieu bien particulier
est vecteur d'imagination. Pourquoi ce lieu fascinet-il
? Quelle est la place de l'imaginaire au sein du lieu
musée ?
Lors de la conférence "Quel musée en 2049", en 2019,
Jean-Luc Martinez, ancien directeur du Louvre s'exprime
sur les différentes motivations des publics à venir au
musée. Avec l'exemple du clip de Beyoncé et JAY-Z,
tourné au musée du Louvre, il dit que ces artistes sont
venus choisir "leur Louvre" pour nourrir leur créativité
et leur imaginaire. Il dit "C'est ça qu'il faut donner aux
visiteurs, la liberté, le choix, l’imagination".
Ainsi, à travers cet entracte iconographique, je vous
propose de découvrir les différents Louvre des auteur.ices
et illustrateur.ices de bande dessinée de science-fiction.
Lieu d'inspiration et d'imaginaire, le musée est le lieu
d'intrigue de multiples récits.
- 36 -
à droite,
extrait de TANIGUCHI Jirō, Les
gardiens du Louvre, Futuropolis
et Louvre Éditions, 2020.
- 37 -
Extrait de LEVALLOIS Stéphane, Léonard 2 Vinci, Futuropolis et Louvre Éditions, 2019.
- 38 -
Extrait de CHI TAK Li, Moon of the moon, Futuropolis et Louvre Éditions, 2019.
- 39 -
Extrait de Déjà Vu de Chang Sheng dans Les rêveurs du Louvre, ouvrage collectif de 8 auteurs japonais et
taïwanais, Futuropolis et Louvre Éditions, 2016.
- 40 -
Extraits de MATHIEU Marc-Antoine, Les Sous-sols du Révolu, Futuropolis, 2006.
- 41 -
(figure Extrait 1) de légende CHAVOUET de l’image Florent, L’île Louvre, Futuropolis et Louvre Éditions, 2015.
(figure 2) légende de l’image
- 42 -
Extrait de DE CRÉCY Nicolas, Période glaciaire, Futuropolis et Louvre Éditions, 2005.
- 43 -
Peut-on dire qu’au-delà de ses fonctions d’information,
d’éducation, de recherche et de conservation, le musée a
pour fonction de raconter des histoires ?
La notion d'imaginaire est présente dans la vision du
musée de Roberto Peregalli dans son livre Les lieux et la
poussière 13 :
"Il suffit de penser à l’émotion qu’on
éprouve en visitant un musée à l’heure de
la fermeture. Dans le silence des salles,
éclairées par la faible lueur des puits
de lumière au crépuscule, surgissent
les œuvres, comme des fantômes qui
vous entraînent dans un monde à part,
émergeant de la mémoire et de la nostalgie."
13. Peregalli Roberto, Les lieux et
la poussière, Aléa, 2010.
Selon l’auteur, les œuvres telles les trésors d’un sanctuaire
sont porteuses d’un symbole fort. Le lieu du musée est
quant à lui leur réceptacle, leur temple 14 . Les œuvres et les
collections sont décrites par Krzysztof Pomian 15 comme
des objets "sémiophores", des signes qui offrent un témoignage,
renvoient à autre chose, au passé d’où ils viennent, "à
un monde exotique dont ils sont des documents uniques,
aux mondes invisibles".
Il y a même quelque chose de magique dans ces objets
que l’on garde précieusement. En cela, on pourrait se
rapprocher de la vision de Walter Benjamin et de ce qu’il
qualifie "d’aura" 16 en l'œuvre. Les œuvres ont quelque
chose d’inexplicable qui nous fascine.
14. Tel que le temple dédié aux
muses, à l’origine du musée. Du
latin museum, issu du grec ancien
Μουσεïον, mouseîon "temple des
muses".
15. POMIAN Krzysztof, Le
musée, une histoire mondiale,
Gallimard, 2020.
16. "Qu’est-ce au juste que l’aura
? Une trame singulière d’espace
et de temps : l’unique apparition
d’un lointain, si proche soit-il".
Définition de Walter Benjamin
de ce qu’il nomme "l’aura" d’une
œuvre dans le magazine culturel
Die literarische Welt paru en 1931
dans son texte Petite Histoire de la
photographie.
- 44 -
C’est parfois au creux de ces objets sémiophores que les
récits de fictions viennent se nicher. Le musée devient
le réceptacle des multiples histoires qui émergent des
objets exposés. Le musée, tel un portail, ouvre sur d’autres
mondes.
C’est par exemple le cas du Musée de l’espace, une série de
comics des années 1950. Dans ces courtes bandes-dessinées,
chaque jour Howard Parker emmène son fils au
Musée de l'Espace : autour d'un trophée, d'un objet rouillé,
ou d'une pierre, il lui raconte l'exploit d'un humain qui a
sauvé la Terre ou d’autres héros de l’univers. Le musée
devient un prétexte pour raconter des histoires.
Le musée est-il un réceptacle, le simple flacon de l’imaginaire
? Ou pourrait-on dire que le musée comme l'œuvre
qu’il contient peut être porteur d’une certaine magie, voire
d’une "aura" ?
INFANTINO Carmine et FOX Gardner, Musée de l’Espace, DC Comics, 1954-1964.
- 45 -
- 46 -
Un espace autre,
entre l’ici et l’ailleurs
17. ECO Umberto, PEZZINI
Isabella, Le musée, demain,
Casimiro, 2015.
Il fait ici référence à
l'architecture du musée
Guggenheim de New York
dessinée par Franck Lloyd
Wright.
Comme l’écrit Umberto Eco 17 , " les œuvres ont leur importance,
certes, mais ce qui importe encore davantage,
c’est la visite en spirale qui permet de les voir rapidement,
une après l’autre ". Il exprime ainsi l’incidence du lieu
dans notre approche des œuvres. L’objet et son réceptacle
(le trésor et le sanctuaire) construisent ensemble le signifié
du lieu.
"Nous pouvons voir qu’elles
constituent des îles qui se
détachent du lieu où elles se
situent. Des lieux qui, à l’égal de
ce qui se produit sur une île, du
fait de ces éléments de rupture et
de discontinuité, se transforment
en un monde autonome, hypersignifiant".
17
à gauche,
extrait du court-métrage de
MARKER Chris, La Jetée, 1962.
- 47 -
La préface du livre Le musée, demain 17 compare le musée
à des îles par analogie. Lieu signifiant, monde autonome,
une île qui se détache, le musée est sans aucun doute très
différent des autres lieux.
Michel Foucault évoque les musées comme des hétérotopies
du temps. Le mot "hétérotopie" 18 est un concept qu’il
emploie pour la première fois dans la conférence de 1967
Des espaces autres. Un espace "autre" qu’il définit comme
une localisation physique de l’utopie.
18. Selon lui, "l'hétérotopie a
le pouvoir de juxtaposer en un
seul lieu réel plusieurs espaces,
plusieurs emplacements qui sont
en eux-mêmes incompatibles."
Cette vision du musée comme hétérotopie, comme espace
de l'ailleurs se retrouve aussi dans la science-fiction. Je
pense ici au court-métrage La Jetée de Chris Marker
(1962) dans lequel le héros se retrouve plongé dans le
souvenir d'une visite au Muséum d'Histoire Naturelle de
Paris. Ici le musée est vecteur d'imaginaire, de poésie et
d'une certaine magie. En quelques images au muséum,
Chris Marker nous plonge dans nos rêves d’enfants parmi
les spécimens fantastiques, comme hors du temps.
Le musée est alors un lieu qui héberge l’imaginaire par
le fait de rassembler de multiples temporalités dans un
espace lui-même hors du temps (hétérotopie) mais
aussi dans l’accumulation des objets sémiophores nous
proposant de multiples histoires.
Dans cette approche, ce qui le distingue d'un lieu de culte
ou d’une bibliothèque, au-delà de ses fonctions d’éducation
et de transmission, est certainement que ce lieu se
vit, qu’il implique le corps et le regard dans un espace
physique empli de symboles. C'est un lieu traversé, un
lieu d’échange, un lieu où se tisse de multiples interactions
entre tous les éléments qui l'occupent.
- 48 -
Extraits du court-métrage de MARKER Chris, La Jetée, 1962.
- 49 -
"Ce sont des espaces concrets qui
hébergent l'imaginaire, comme
une cabane d’enfant, un théâtre
ou encore un musée." 19
L’espace du musée est, tel que le présente Arnaud
Sompairac 20 , un espace stratifié. Il est composé de
nombreux éléments qui cohabitent au sein d’un même
espace. L’auteur nous propose d’un côté l'espace habité et
de l’autre l’espace fictionnel, "l'ici et l'ailleurs".
19. En parlant des
"hétérotopies", concept forgé
par Michel Foucault dans une
conférence de 1967 intitulée Des
espaces autres.
20. SOMPAIRAC Arnaud,
Scénographie d’exposition,
six perspectives critiques,
Metispresses, 2016.
L’espace fictionnel est la mise en place d’un récit dans un
espace, c’est d’ailleurs de cette manière que l’on pourrait
définir la scénographie. Dans cet espace du musée, un jeu
de juxtapositions, de frictions et de dialogues s’installe
entre le réel et l’espace habité. L'espace habité étant celui
qu'occupent les visiteurs : lieu de déambulation, de repos
et d’échange. Dans cette dualité, le musée est un véritable
lieu de société.
Les musées deviennent de réels "cités culturelles" aux
fonctions plurielles : expositions, théâtre, médiathèque,
parc et jardins, animations estivales … Les musées se
repensent et le mouvement actuel est celui d’une ouverture
de ses fonctions et de ses publics, ils se veulent lieu de vie
et de rencontres. Le musée devient pluriel, mouvant et
vivant.
- 50 -
21. Ernesto Oltone R., sousdirecteur
général de l'Unesco
pour la culture, conférence sur
l’avenir des musées, organisé par
l’UNESCO le 18 mars 2021.
ci-dessous,
montage photo à partir des
archives du Musée d'Histoire
Naturelle de Lille,
Pauline Hutin, 2022.
" les musées ne sont pas
des institutions figées mais
des organismes vivants,
profondément ancrés dans nos
sociétés et intimement liés aux
événements du monde " 21
Et si le musée de demain était un organisme vivant ? Un
écosystème muséal pensé comme un ensemble de composants
formant un réseau qui partage, qui échange et qui
se développe, entre œuvres, public et institutions, entre
connaissances, contemplation et récits.
- 51 -
Un musée est comme
un roman …
" Un musée est comme un roman :
lorsqu'un visiteur rentre, il attend
qu'on lui raconte quelque chose
et quand il rentre chez lui, il veut
raconter ce qu'il a vu sous forme
de récit. " 22
22. Citation tirée d'une
conférence de Omar Calabrese
dans le cadre du cours Sémiotique
et musée : le labyrinthe du regard,
donné à Bilbao en 2001.
Après étude de ces deux entités, que sont le lieu du musée
et le genre artistique de la science-fiction, quels rapprochements
pouvons-nous opérer entre elles ?
Dans cette analogie, je parle ici de "l’expérience" muséale.
Ces dernières années, nous pouvons en effet observer un
glissement sémantique passant de "visite de musée" à
"expérience du musée" 23 . Cette expérience n’est pas celle
de l’étude scientifique, de l’instruction expérimentale
des choses, mais plutôt celle du vécu, de la pratique que
l’on retient et acquiert. En parlant du musée, l’expérience
permet d’élargir l’idée de visite, on englobe alors l’avant et
l’après visite mais aussi et surtout, les affects, le moment
vécu, l’usage du lieu, l’événement ressenti.
à droite,
illustration du Musées des Ombres,
François Schuiten 1990.
- 52 -
- 53 -
"L'expérience muséale est l'ensemble des impressions,
des émotions, des connaissances et des souvenirs qu'une
personne peut ressentir et acquérir lorsqu'elle visite un
musée. Elle englobe l'ensemble des interactions et des
activités proposées par le musée." 23
23. Pinel-Jacquemin, Stéphanie,
et al. "Que signifie " expérience de
visite pour le public enfant ?" Hors
thème, vol. 36/1, 2019
Ainsi, l’expérience muséale vécue par un public fait appel
à ses sens, ses émotions et suscite des pensées tout comme
la lecture de fiction. Toutes deux, par le récit et les œuvres
qu’elles proposent, amènent à la réflexion et peuvent
embrasser des sujets divers de société en questionnant nos
actions et nos modes de vie.
"Le visiteur peut se comparer au lecteur
d’un livre, il puise et articule, s’approprie
ce qu'il entend s'approprier, toujours à son
rythme, et il est plus ou moins éveillé, lucide,
excité, ennuyé." 24
24. SOMPAIRAC Arnaud,
Scénographie d’exposition,
six perspectives critiques,
Metispresses, 2016
Cette posture, parfois active et parfois passive, est permise
dans les deux cas par la mise en récit d’un propos, la
narration d’une idée. Le récit invite le public à prendre
part à l’histoire, que celà soit conscient ou inconscient,
celui-ci se retrouve alors plus impliqué.
L’histoire stimule l'intérêt et favorise l'apprentissage. Il
y a une réelle dimension pédagogique au musée, lieu de
transmission des savoirs, mais aussi dans certaines œuvres
- 54 -
de science-fiction. Car nous l’avons vu précédemment, ce
genre est à l’origine utilisé pour aborder et vulgariser des
questions scientifiques, techniques ou sociales.
Le musée et la science-fiction convergent dans leur
capacité à captiver l'attention du public et à éveiller sa
curiosité. Et c’est en cela qu'ils m'intéressent tous deux ;
ils suscitent le désir d’apprendre, de se poser des questions,
de s’évader dans des univers infinis, d’imaginer les choses
autrement, et permettent de se demander "et si … ?".
Pour moi, le musée et la science-fiction doivent incarner
la curiosité et l'imaginaire.
25. cf. annexe; interview de
Christian Nottola, expert en
littérature de science-fiction.
" Au musée, on est mis à l’épreuve
de la diversité et de l’inconnu. On
peut être curieux de découvrir des
choses que l’on ne connaissait pas
et découvrir les histoires qui se
cachent derrière les objets exposés.
Le musée permet d’ouvrir de
nouvelles perspectives sur le monde,
comme la littérature de sciencefiction.
" 25
- 55 -
Selon Isabelle Nottaris 26 , un des enjeux fondamentaux du
musée est de susciter la curiosité du public et son désir de
connaissance. En parlant des musées d'histoire naturelle,
elle affirme que le propos scientifique, parfois ardu, est
rendu compréhensible, voire désirable, grâce au discours
qui accompagne les pièces.
Enfin, tous deux me fascinent pour leur faculté à nous
transporter dans des mondes imaginaires. Ils ouvrent des
fenêtres sur d'autres univers, permettent de voyager et
s’évader le temps d'un instant. Ils sont une aventure, un
voyage dans le temps et dans l'espace.
26. Isabelle Nottaris, directrice
adjointe du Muséum d’Histoire
Naturelle de Toulouse. Propos
recueillis lors de la table ronde,
l’Anthropocène et les pratiques
artistiques, patrimoniales,
muséographiques, CRI, Festival
des Idées Paris, novembre 2021.
Partons maintenant à la rencontre de ces récits aux
confluences du musée et de la science-fiction …
" Le musée est le lieu de la
connaissance et du réel mais il est
aussi un portail qui ouvre sur des
univers parallèles. " 25
25. cf. annexe; interview de
Christian Nottola, expert en
littérature de science-fiction.
- 56 -
Illustration du Musées des Ombres, PEETERS Benoît et SCHUITEN François, 1990 - 1991.
- 57 -
III- Musées : miroirs
de notre temps
Si la science-fiction agit comme un miroir de notre
société, alors quelle place occupe le musée dans ces futurs
hypothétiques ? Que révèlent ces œuvres des problématiques
actuelles et à venir du monde muséal ?
- 58 -
- 59 -
©2001, l'Odysée de l'espace
- 60 -
1.
Musées passés,
musées fantômes,
musées mémoires ...
à gauche,
photographie des réserves du
Musée d'Histoire Naturelle de
Lille, Pauline Hutin, 2022.
- 61 -
Absence du musée,
une société sans art
ni lieu de culture
Avant de partir à la rencontre des musées de science-fiction,
il est important d'évoquer leur absence. Que révèle
un récit qui choisit délibérément la mise en place d’un
monde sans musée ? Qu'est-ce qu'une société sans art,
sans histoire et sans lieu de culture ?
Récemment, cette question s’est posée également au
monde réel : peut-on se passer du musée ? La période
Covid a remis en question leur importance et beaucoup se
sont demandés s’ils étaient essentiels. Bien que le contexte
sanitaire l'exigeait, cette fermeture a rappelé une question
majeure pour le secteur muséal : quelle est la place du
musée dans notre société ? Comment cette institution
est-elle présente et agit au sein des communautés, et
notamment dans un contexte de crise, ici sanitaire ?
Cette période a également rappelé que le musée occupe
une position fragile, facilement écarté ou menacé de
fermeture. Crises sanitaires, guerres, crises économiques,
conflits politiques ou encore catastrophes climatiques sont
autant de contextes qui ont vu les musées être contraints de
fermer, se cacher voir disparaître. (voir images suivantes)
à droite,
collage photo réalisé pour ce
mémoire, Pauline Hutin, 2023.
- 62 -
- 63 -
(figure La grande 1) légende Galerie de du l’image Louvre abandonnée, reportage photo réalisé par Marc Vaux en 1939 durant la
(figure seconde 2) guerre légende mondiale de l’image © Centre Pompidou - MnamCci - Bibliothèque Kandinsky / Photo Marc Vaux.
- 64 -
(figure 1) Laure Albin Guillot, Le Louvre pendant la guerre, 1939, 16.5×23.9cm.
(figure 2) Musée de Mossoul, Irak, détruit en 2015 par Daech, photographie de Sébastien Meyer.
- 65 -
(figure 1) légende Gravure de l’image 1876, montrant l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie.
(figure 2) légende Incendie de du l’image Musée National de Rio de Janeiro, 2 septembre 2018 © Carl de Souza/ Afp
- 66 -
27. D'après l'archéologue
Stéphen Rostain en parlant du
musée de Rio, brûlé en 2018.
"Un musée comme celui-ci qui
brûle, c’est une civilisation qui
meurt" 27
Ce scénario est exploré dans l’exposition Le musée imaginé,
et si l’art disparaissait ? au Centre Pompidou-Metz en
2016. C’est par un récit dystopique que nous entrons dans
l'exposition. Elle place le visiteur en 2052, dans un futur
où l’art est menacé d’interdiction et où l'ombre d’une
disparition totale approche. Quelques œuvres ont pu être
sauvegardées au sein d’un musée mais chacun doit essayer
de les préserver pour les générations futures, et ce, par sa
mémoire et sa propre expérience.
28. Propos tirés du dossier de
presse de l’exposition Le musée
imaginé, Et si l’art disparaissait ?,
Centre Pompidou-Metz, 2016-
2017.
29. En référence aux "hommeslivres"
dans Fahrenheit 451, de
Ray Bradbury , ed. Ballantine
Books, 1953.
L’exposition s’inspire du roman Fahrenheit 451 de Ray
Bradbury (1953), dans lequel un groupe de personnes
devenus des "hommes-livres" fait face à une prohibition
des livresen apprenant par cœur les grands ouvrages de
la littérature mondiale, devenant ainsi des bibliothèques
vivantes. L’exposition immerge le visiteur dans une
dystopie où l’art semble voué à disparaître. 28
Les deux derniers jours, les œuvres exposées sont retirées,
on assiste alors à la disparition contée dans le récit de
l’exposition. Celles-ci sont remplacées par des "hommesœuvres"
29 qui vont interpréter et raconter les collections
grâce à leur mémoire et leur vécu. Performeurs et public
remplacent alors les œuvres pour les conter à d’autres.
- 67 -
L'exposition soulève des questions fondamentales comme
la place de l’art, le rôle du musée et l’importance qu’il a
dans la société. Comme dans Fahrenheit 451, on observe
que le plus souvent c’est dans les sociétés totalitaires que
les musées sont absents.
Que ce soit par interdiction ou simplement par perte
d’intérêt, dans ces mondes dystopiques où la culture est
perdue, réduite, imposée ou contrôlée, les populations
ont une culture unique, sans esprit critique, sans pensée
propre et libre.
L'absence du musée dans la science-fiction met en lumière
son importance. Les musées sont indispensables à la
société moderne, amenant savoirs, mémoire et éducation,
ils permettent l’ouverture des imaginaires et l’émergence
d’une pensée critique. En tant qu’espace d’expression de
notre passé et de notre présent, ils inspirent et forgent nos
trajectoire futures.
- 68 -
Photographie issue du catalogue d’exposition, Le musée imaginé, Et si l’art disparaissait ?, Centre
Pompidou-Metz, 2016. Oeuvre de Isa Genzken, OIL XV ; OIL XVI 2007 2, 2007, MMK Museum für
Moderne Kunst Frankfurt am Main © Adagp, Paris 2016.
- 69 -
Martin Kippenberger, The Modern House of Believing or Not, 1985, MMK Museum für Moderne Kunst
Frankfurt am Main © Estate of Martin Kippenberger, Galerie Gisela Capitain, Cologne.
L'humour et l'ironie propres à Kippenberger sont évidents dans sa vision apocalyptique du Guggenheim
de New York. Des nuages noirs tourbillonnants engloutissent le musée terne, qui semble gonfler et se
rompre sous nos yeux ; il est monumental mais étrangement sans vie. Si le musée de Frank Lloyd Wright
n'était pas si reconnaissable, il pourrait passer pour un parking à étages.
- 70 -
Quand le musée se
conjugue au passé ...
Abordé précédemment dans l'imaginaire du musée, nous
avons vu que ce lieu est parfois associé à l’image du sanctuaire,
un lieu figé rempli de fantômes, envoyant vers des
objets d’un monde antérieur. C’est une critique récurrente
portée à ces institutions, les musées sont vus comme passéistes,
sacralisés et inaccessibles. Le musée est-il un lieu
trop ancré dans son passé ?
30. PEREGALLI Roberto, Les
lieux et la poussière, Aléa, 2010.
Selon Roberto Peregalli 30 , la magie du musée réside
justement dans sa relation au passé. Il déplore la transformation
des musées, critique les architectures modernes
qui selon-lui détruisent la poésie de ces lieux et des objets
qu'ils renferment.
"Plus de poussière, plus de patine,
plus d'ombre. Adieu à la chair
dont nous sommes faits. Tout
est aseptisé. En supprimant la
mortalité de la vie, le lieu mœurs
éternellement." 30
- 71 -
Pour lui, la magie du musée se trouve dans la poussière
et dans la continuité de l’espace et l’objet exposé. C’est en
ces lieux chargés d’histoire que se crée le rapport intime
et délicat avec l'œuvre, et c’est ce lien, cette contemplation
de la mémoire qui la rend vivante.
"Lorsqu'on entre dans un musée tel
l'Ermitage, où les œuvres sont présentées,
comme elles l'ont toujours été, de façon
rassurante, et dans lequel la poussière et la
lumière vibre à l’unisson, la poussière du
temps, de la vie, de la nostalgie, alors on se
sent chez soi." 31
D'après PEREGALLI Roberto,
Les lieux et la poussière, Aléa,
2010.
Le musée d'État de l'Ermitage
est un musée situé à Saint-
Pétersbourg, en Russie. Fondé en
1764, c'est le plus grand musée
du monde quant au nombre
d'objets exposés.
À l’inverse, un siècle auparavant, Filippo Tommaso
Marinetti proclamait en 1909 le manifeste du futurisme
dans lequel il expose lui aussi sa vision du musée. Dans
une vision totalement opposée, il invite à combattre la
conservation du passé et prône la destruction des musées.
Sa cible première reste la société italienne que le poète
trouve paralysée, figée dans un temps révolu, sa volonté
profonde est "d'échapper à l'envoûtement du passé, au
despotisme des académies pédantes qui étouffent les
initiatives intellectuelles et les forces créatrices de notre
jeunesse".
- 72 -
32. Manifeste du Futurisme,
Filippo Tommaso Marinetti,
1909.
Les mots sont forts et les propos marquants, selon le
manifeste, il faut "débarrasser l'Italie des musées innombrables
qui la couvrent d'innombrables cimetières. " 32
" Et boutez donc le feu aux rayons
des bibliothèques! Détournez le
cours des canaux pour inonder les
caveaux des musées! " 32
Que l'on soit de l'avis de Peregalli ou de Marinetti, il est
certain que les musées entretiennent un lien fort avec le
passé et qu’ils ont une fonction politique et sociale. Cette
dualité reflète les deux versants du musée entre la préservation
du passé et de la mémoire, et l'émergence continue
de nouvelles formes artistiques et d'avant-garde.
Dans la science-fiction, c'est une vision courante : le
musée est une ruine, un lieu oublié, qui renvoie au passé,
aux fantômes d'un monde révolue, conservé depuis une
époque lointaine … Dans la plupart de ces récits, le musée
du futur est celui du passé.
- 73 -
"Est-ce à dire que les musées n’ont
pas d’avenir ? Non. Leur présent
est simplement atrophié. Associés
au passé, ils n’ont pas vocation à
faire irruption dans l’avenir." 33
33. Dans la préface de Musées
miroirs, musées brisés, Christian
Nottola expose le fait qu'il n'y a
pas beaucoup de représentations
du musée dans la SF. Il pense
que les musées étant trop
souvent attachés au passé dans
notre imaginaire commun, ils
ne sont donc pas des sujets
faciles à prendre en main dans la
littérature du futur.
Cela est sûrement dû à la fonction miroir de la sciencefiction.
Les musées du futur sont ceux de notre présent,
comme un regard en arrière permis par le point de vue
décalé dans le temps. Tout comme les musées du passé,
témoins de notre humanité, sont les garants de notre
présent.
Faut- il opposer le rapport musée-passé et sa mise en
perspective dans l’avenir ? Pourquoi ces musées du futurs
conjuguent le musée au passé et donc à notre présent ?
- 74 -
Photographie des réserves du Musée d'Histoire Naturelle de Lille, Pauline Hutin, 2022.
- 75 -
- 76 -
Archéologie du futur :
la figure de la ruine
34. À l’époque le terme
"science-fiction" n’existait pas
encore mais Herbert George
Wells est considéré comme un
des pères fondateurs de ce genre.
Il lui a donné nombre de ses
thématiques et certains de ses
plus immortels chefs-d’œuvre.
Embarquons désormais à travers le temps et l'espace à
la découverte du "Palais de porcelaine verte", un musée
phare parmi les œuvres de science-fiction issus d'une
œuvre majeure du genre. La Machine à explorer le temps,
de H.G. Wells (1995), est une des premières aventures de
science-fiction. 34
Ce récit débute à Londres, à la fin du XIXe siècle, dans la
maison d’un inventeur qui raconte son incroyable voyage
à travers le temps. Le voyageur commence son récit en
décrivant le monde de l’an 802 701. La Terre est habitée
par les Elois, descendants des hommes. Le monde semble
être devenu un paradis mais ils découvrent ce qui se passe
sous terre.
Plus tard dans le récit, le héros, accompagné d’une Elois,
découvre le Palais de Porcelaine Verte. Un musée du passé
qui semble miraculeusement préservé.
à gauche,
collage photo réalisé pour ce
mémoire, Pauline Hutin, 2023.
- 77 -
" Dès le premier coup d’œil, j’eu l’idée
d’un musée. Le carrelage était recouvert
d’une épaisse couche de poussière, et
un remarquable étalage d’objets variés
disparaissait sous une pareille couche
grise. J’aperçus alors debout, étrange
et décharné, au centre de la salle,
quelque chose qui devait être la partie
inférieure d’un immense squelette. Je
reconnus, par les pieds obliques, que
c’était quelque être disparu, du genre
du Mégathérium." 35
35. Extrait de La Machine à
explorer le temps, H. G. Wells,
1895, chap. XI.
Distance Culturelle
Dans ce futur lointain, l'architecture de porcelaine résonne
avec les valeurs de progrès du XIXe siècle. Ce musée fait
référence à l’image du futur présente à l’époque de Wells,
avec un langage architectural du fer et du verre à travers
cette porcelaine délicate presque intacte. Il est un mélange
des deux bâtiments rencontrés par Wells, le South
Kensington Muséum et le Crystal Palace de l'exposition
universelle de Londres en 1851.
- 78 -
(figure 1) Le Crystal Palace de l'exposition universelle de Londres en 1851.
(figure 2) Image d'archive du South Kensington Muséum, Londre, au XIXe siècle.
- 79 -
Collage photo réalisé pour ce mémoire, Pauline Hutin, 2023.
- 80 -
Étrangement, le musée et les objets exposés ont été
assez bien préservés malgré cette époque très lointaine.
Le voyageur du temps y découvre un espace familier, qui
le revoit à sa propre époque. C’est un musée de sciences
et d'histoire naturelle, une typologie de musées qui n’est
pas laissée au hasard car elle fait un parallèle au récit qui
aborde l'évolution de la civilisation tout en proposant un
musée d’objet dans lequel le héros peut trouver des outils
et ressources. La figure du musée ressource est d'ailleurs
un thème récurrent dans les musées de SF. Grâce aux
multiples objets qu’il renferme, il sert souvent de dispositif
narratif utilitaire comme ici, dans La machine à explorer
le temps, avec les allumettes trouvées dans le musée qui
serviront dans la suite de l’histoire.
Mais alors que le voyageur se retrouve à sa place, les vitrines
et objets exposées ne semblent pas captiver les Elois. Le
musée a perdu toute sa signification pour ce peuple qui
s’y désintéresse complètement, il n’est à leurs yeux qu’un
simple bâtiment abandonné, un lieu inconnu.
36. BUTT Amy, The Present
as Past: Science Fiction and the
Museum, Open Library of
Humanity Journal, 2021.
Selon l'analyse de Amy Butt* 36 , "dans cet état de ruine
partielle, le Palais de la Porcelaine Verte nous confronte à
l'impermanence et à la distance temporelle à deux échelles
; alors que la présence du musée et de ses objets exposés
suggère que la poussière vient juste de retomber sur un
futur qui n'est pas trop éloigné de notre présent, la perte
d'une humanité reconnaissable au profit d’une nouvelle
- 81 -
société divisé entre la naïveté des Elois et la monstruosité
des Morlocks, crée une distance importante avec notre
époque. [...] Si les Elois peuvent passer leurs mains sur
les surfaces lisses des vitrines et observer les objets parfaitement
conservés, ils n'ont aucune envie de franchir
la distance conceptuelle qui les sépare des objets qu'elles
contiennent."
Le récit du progrès scientifique, promis par le voyageur
du temps, est déconnecté du présent par la figure de la
ruine. Au contraire, le musée spatialise une autre forme
d’évolution, car il mène par ses planchers en pentes vers la
cité souterraine des Morlocks. La société des Elois et des
Morlocks est une critique acerbe des divisions sociales de
l'époque de Wells. 37
Ainsi, le musée du passé dans ce futur lointain marque une
distance culturelle mais il est aussi un indicateur temporel
important.
37. Les Elois sont censés avoir
évolué à partir des classes
supérieures, tandis que les
terrifiants Morlocks sont le
résultat de générations lointaines
de la classe ouvrière brutalisées,
et sont maintenant devenus
les prédateurs de leurs anciens
maîtres.
La figure de la ruine
Alors que le monde de 802 701 est radicalement différent
de ce que le voyageur connaît, il retrouve au musée un
rattachement au réel, à son monde passé. Le musée sert
de relique de notre présent et joue le rôle de marqueur
pour mesurer le temps écoulé. La ruine est ainsi un motif
iconographique et littéraire qui confronte l’humain à une
échelle de temps qui le dépasse.
- 82 -
38. Jones Gwyneth,
Deconstructing the Starships:
Science, Fiction and Reality.
Liverpool University Press, 1998.
39. SONTAG Susan, The
Imagination of Disaster, Farrar,
Stairs and Giroux, 1965.
D’après Gwyneth Jones 38 , l'impossibilité de décrire entièrement
un monde imaginaire dans un seul texte de
fiction signifie que les objets, les artefacts et les espaces
qu'ils contiennent ne peuvent pas se permettre d'être sans
importance; en tant que tels, ils invitent à un examen
attentif et critique comme fenêtres sur un monde. Ainsi, le
musée est tel un portail sur l’ancien monde, le nôtre, et le
confronte radicalement à ce futur pour nous faire réfléchir.
Dans les récits de SF, Susan Sontag 39 décrit l'attrait
récurrent d'une esthétique de la destruction, l'attrait de
futurs imaginaires qui déciment le présent construit, ne
laissant qu'une ruine, l'échec catastrophique du maintien
de notre monde contemporain. Ce thème à d'ailleurs
donné lieu à un sous-genre récurrent dans la SF, la
science-fiction post-apocalyptique. Elle repose sur un
fragile équilibre entre une civilisation éteinte et un chaos
installé. C'est à la fois la fin du monde et un nouveau
départ.
On retrouve le musée dans deux grandes licences jeux
videos post-apocalyptiques : Fallout 3 et 4 (2008-2015) et
The Last of Us partie II (2020). Dans le premier, le monde
a été décimé par une guerre nucléaire mondiale, et dans
le second, c’est une pandémie qui a ravagé la terre. Tous
deux utilisent le musée comme refuge mais également
comme marqueur temporel. Dans ces mondes chaotiques
et dévastés, les musées sont défaits de leurs fonctions
initiales et ne sont plus que les vestiges fragiles d’une
civilisation passée.
- 83 -
Extraits des jeux Fallout 3 et Fallout 4, Bethesda Game Studios, Bethesda Softworks, 2008 et 2015.
- 84 -
Extraits du jeu The Last of Us Part II, Naughty Dog, Sony Interactive Entertainment, 2020.
- 85 -
Alerter, redécouvrir, la distance critique par le musée
Ces musées-ruines du futur fournissent un terrain capital
pour confronter les répercussions de nos actions et productions
matérielles du présent. Comme l'a noté Richard
Crownshaw 40 , "cela fait de la science-fiction un genre particulièrement
bien placé pour s'attaquer à l'Anthropocène.
Elle est capable de s'engager dans des échelles d'espace
et de temps auxquelles d'autres formes de fiction n'ont
pas accès, tout en établissant une connexion empathique
avec les individus confrontés à de vastes problèmes systémiques,
tels que la crise climatique."
40. CROWNSHAW Richard,
Speculative Memory, the Planetary
and Genre Fiction. Textual
Practice, 2017.
Nous retrouvons cette idée dans la bande dessinée Période
Glaciaire, de Nicolas de Crécy (2005). Le musée du
Louvre que le lecteur reconnaît est, pour les explorateurs
de ce temps, un lieu inconnu qui ne fait pas de différence
avec une station essence ou un supermarché. L'histoire
se déroule dans un futur lointain, après une catastrophe
climatique. La terre est revenue à une ère glacière et les
quelques humains qui arpentent encore ce monde, tentent
de comprendre quel est ce lieu.
Une thématique que l’on retrouve aussi dans le jeu Mμ,
imaginé pour le musée du Mucem à Marseille. Réalisé par
le studio de jeu vidéo The Pixel Hunt (2019), il propose
une promenade ludique et poétique " vingt-mille lieues
sous le musée ". Cette aventure guide les visiteurs curieux
dans un parcours narratif au musée. Ils incarnent alors des
archéologues du futur qui vont tenter de comprendre ce
qu’est ce lieu immergé sous les eaux.
- 86 -
(figure 1) DE CRÉCY Nicolas, Période glaciaire, Futuropolis et Louvre Éditions, 2005.
(figure 2) The Pixel Hunt, Mμ, musée Mucem, 2019.
- 87 -
Extrait du jeu The Last of Us Part II, Naughty Dog, Sony Interactive Entertainment, 2020.
- 88 -
Dans ces fictions, les musées devenus inconnus permettent
d’aborder les répercussions de nos actions dans le présent.
La présence des lecteurs ou des joueurs dans ces espaces
devient tangible, devenant les visiteurs d’un musée dévasté,
l’expérience de spéculation proposée suscite une réflexion
critique. Le musée étant un symbole fort de notre histoire
et notre civilisation, il est un lieu majeur pour exprimer
cette empathie projetée dans un futur détruit.
La ruine du musée, devient le symbole d’une civilisation
disparue, elle peut permettre réflexion et prise de
conscience sur des questions actuelles comme la crise
climatique.
Le musée en tant que lieu d'éducation et de transmission
peut permettre de délivrer ce message. Bien qu'il soit le
gardien des temps passés, il a aussi vocation à avertir et
engager les visiteurs vers un avenir durable.
41. MULLER Lizzie, Speculative
Objects: Materialising Science
Fiction. dans Fisher, L, Cleland,
K, and Harley, R, 2013.
"dans le jeu de leur impossibilité, de leur
obsolescence et de leur liminalité avec leur
existence tangible, ces espaces et objets
agissent non seulement comme des miroirs
de notre propre réalité, mais aussi comme
des portails qui nous permettent, ne seraitce
que fugitivement, de la dépasser." 41
- 89 -
Le musée, gardien du
temps et de la mémoire
Si le musée se retrouve parfois en état de ruines ou de
vestiges dans la science-fiction, la question de la préservation
se pose alors. Rôle majeur pour l’institution, la
conservation des œuvres est primordiale; mais également
celle de la mémoire des lieux, des objets, de l'Histoire des
hommes et du monde. Préserver, conserver, pour l'avenir
et les générations futures. Une valeur mémorielle présente
au sein même du mot musée.
Museo-Muse est un entrelacs de mots
antiques. Les muses étaient filles de
Mémoire. Le musée est un lieu dédié aux
Muses. Leur temple. Templum, d’où "
contempler–refléter ". La vision de quelque
chose qui a été. Le recueillement silencieux
devant l'œuvre. C'est un lien très fort avec
le passé, avec le temps. Les œuvres sont
déposées dans un lieu qui les accueille pour
toujours. C'est un temple du souvenir. C'est
la contemplation de la Mémoire." 42
42. PEREGALLI Roberto, Les
lieux et la poussière, Aléa, 2010.
à droite,
Programme Voyager : le Golden Record, En 1977, la NASA envoie deux sondes dans l’espace, Voyager 1
et 2 pour étudier Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et leurs nombreuses lunes pour enfin ne jamais revenir.
Deux vinyles y sont attachés. Ils contiennent 116 images, œuvres et photographies, et 90 minutes de sons
terrestres, de salutations et de musiques ... le tout représentant l’humanité dans deux disques (musées ?).
- 90 -
- 91 -
Le musée sous cloche
Dans la science-fiction, la notion de conservation est
souvent incarnée sous la forme d'un dôme, d'une bulle,
d'une cloche, d'une vitrine immense et protectrice 43 . Une
représentation surprenante mais qui en dit beaucoup
sur ces musées futurs. Voyageur du temps ou capsule
temporelle dans laquelle le temps s’est arrêté, le musée
s’auto-conserve et devient le témoin d'un passé disparu.
"Bienvenue. Vous venez de débarquer
sur Rémanence. Cette planète est
célèbre dans toute la Voie Lactée pour
son musée constitué de milliers de
dômes. Ces structures abritent des lieux
caractéristiques de différentes planètes
habitables des Mondes Connus. Le
musée de Rémanence assure ainsi la
sauvegarde de civilisations anciennes
très diverses et pour certaines
disparues." 44
De la planète musée empli de dôme dans la nouvelle
Rémanence 44 , en passant par la Vieille Maison sous cloche
dans Nous Autres 45 , des paysages, des environnements, des
bâtiments entiers sont muséifiés pour traverser le temps.
43. Ils ne sont pas sans
rappeler les dômes géodésiques
tels ceux développés par
l'architecte américain Richard
Buckminster Fuller. La géode
la plus remarquable est celle du
pavillon des États-Unis construit
à l'occasion de l'exposition
universelle de Montréal en 1967.
44. Introduction de la
première nouvelle, Rémanence,
MARTINIGOL Danielle, 1115,
2018.
45. ZAMIATINE Evgueni,
Nous autres, Paris, Gallimard,
1929.
- 92 -
(figure 1) Illustration de Marakulina Asya du livre Nous Autres, Zamiatine (1929), 2015.
(figure 2) PEETERS Benoît et SCHUITEN François, Revoir Paris - intégrale, Casterman, 2018.
- 93 -
Extraits de Interstellar, NOLAN Christopher, 2014, 141 mn.
- 94 -
46. PEETERS Benoît et
SCHUITEN François, Revoir
Paris - intégrale, Casterman,
2018.
C’est le cas également dans la bande-dessinée Revoir
Paris 46 , du célèbre duo d’auteur et illustrateur utopiste,
Benoît Peeters et François Schuiten. En 2156, Kârinh
venu de l’Arche, une colonie spatiale qui a quitté la terre
depuis une centaine d'années, revient pour découvrir le
Paris dont elle a tant rêvé à travers ses livres. Le centre
de Paris est enfermé dans un gigantesque dôme de verre.
Dépourvue d’habitants, la ville est désormais un musée
pour les touristes les plus fortunés. Tel un îlot coupé
du monde, ce (faux) Paris muséifié est devenu une ville
fantôme.
À la fin du film Interstellar de Christopher Nolan, le commandant
Cooper se réveille sur une station spatiale qui a
quitté la terre. Il est le héros d’une expédition qui a permis
de sauver l'humanité d'une terre surchauffée. Sur ce vaisseau-colonie,
il découvre son ancienne maison devenue
un musée. Entièrement transportée ou reconstituée, cette
maison-musée sert de souvenirs pour son époque passée.
Aménagée de quelques écrans proposant des récits de
personnes ayant vécu sur terre, la maison témoigne de la
vie quotidienne durant la crise climatique. L'objectif est
de garder en mémoire et d'informer les nouvelles générations
sur les origines et le motif de ce départ précipité.
Cette maison gardée sur la station spataile a donc une
valeur éducative et mémorielle.
- 95 -
Récolter la mémoire …
Le musée comme gardien du temps et de la mémoire
est une vocation qui fait partie intégrante de nos musées
actuels. À l’inverse, peut-on l'imaginer comme glaneur des
récits passés, collectionneur de souvenirs ? Dans certaines
fictions, c’est ainsi qu’il s’incarne : le musée est le lieu où
l'on récolte la mémoire.
Dans le jeu Mass Effect Andromeda 47 , le joueur peut visiter
le Dépôt de l'Histoire, un lieu qui collecte et étudie les
vestiges d'une civilisation disparue. Lieu de coopération
scientifique et culturelle entre plusieurs espèces, l'objectif
de ce musée est de reconstituer la mémoire et l'histoire
des Reliquats à travers la recherche d’artefacts. Le musée
joue alors un rôle important dans la préservation d’une
civilisation perdue et représente un lieu d'alliance et d'entraide
envers une autre espèce.
Dans le roman de fiction spéculative The Wanderground
de Sally Miller Gerhardt (1978) 48 , nous découvrons au sein
d'une communauté de femmes, des "salles des souvenirs"
qui servent de lieu pour la mémoire collective. Dans
cette histoire, les groupes de femmes ont fui les villes des
hommes pour établir des communautés dans les collines.
47. BioWare Montréal, Mass
Effect: Andromeda, Electronics
Arts, 2017.
48. Cette collection de
récits est une œuvre majeure
dans la littérature de fiction
écoféministe.
Ici, le musée repose sur la mémoire vivante des femmes
de la communauté et sur le partage de leur récit. Dans
- 96 -
Extraits de Mass Effect: Andromeda, BioWare Montréal, Electronics Arts, 2017.
- 97 -
les salles de souvenirs, les objets s'adressent directement
au visiteur, avec des étiquettes qui racontent de manière
audible les expériences individuelles des femmes de la
communauté qui ont interagi avec eux. Ils établissent une
relation entre l'expérience personnelle d'une personne
est l'objet exposé rendant ainsi visible la subjectivité de
l'histoire racontée par l'objet.
Pour Angelika Bammer 49 , "Gearheart fait s'effondrer la
distinction entre Histoire et récit en suggérant qu'ils sont
faits de la même matière". La mémoire devient collective
et l'histoire se partage, le musée se veut un lieu d’éducation,
les jeunes apprennent des traumatismes passés
accompagnées par leurs ainées.
49. Bammer, A Partial Visions:
Feminism and Utopianism in
the 1970s. New York; London,
Routledge, 2004.
Dans ce musée, le discours est constitué est partagé par
toutes. L'autrice rappelle ainsi que dans une exposition,
le discours et l'histoire racontée ont un point de vue, un
regard particulier qui ne la rendent pas tout à fait objective
et universelle. Il est important de se rappeler la polysémie
des regards, des vécus, des récits et leur subjectivité. Dans
les salles des souvenirs, l'acte d’exposer un objet est réalisé
comme un acte de narration tout en reconnaissant que ce
récit et son sens ne sont pas universels.
- 98 -
… et parfois (re)semer le monde
Dans ces mondes futurs, la question climatique est souvent
un sujet important. Ainsi, le musée comme lieu de conservation
incarne également la préservation du vivant et de
la biodiversité.
50. Dans le recueil de nouvelles
Musées, des mondes énigmatiques,
ouvrage collectif réalisé à
l’initiative du ministère de la
Culture et de la Communication,
Denoël, 1999.
Dans la nouvelle Silence d’Outre-monde de Cécile Voin 50 ,
une rebelle s'est introduit dans le département des "Petits
bonheurs du monde brûlé". En ce musée sont conservés
des arbres, des plantes, des graines, … tout ce qu'il reste
de la biodiversité après les incendies et la guerre nucléaire
qui ont ravagé le monde. Cette femme a pour mission de
piller le vivant pour faire renaître la terre.
C'est une belle métaphore de percevoir dans le musée
le bourgeon de la vie et d'une liberté à semer. La vieille
Maison dans Nous Autres en est aussi le portrait, car dans
ce musée témoin d'un passé réprouvé, est né la rébellion et
le désir de liberté.
- 99 -
- 100 -
11.
Musées
& pouvoir
à gauche,
La Toilette de Vénus, de Diego
Velazquez, en mars 1914 après sa
lacération à la National Gallery,
Londres.
- 101 -
Lieu du pouvoir
51. ORWELL Georges, 1984,
"Qui contrôle le passé contrôle
Secker and Warburg, 1949.
l'avenir ; qui contrôle le présent
contrôle le passé" 51
Dans cette célèbre réplique du roman de science-fiction
1984, George Orwell met en garde sur la manipulation
du passé à des fins politiques, notamment dans les
régimes totalitaires. Le musée étant garant de l'Histoire
et de la mémoire, il est lui aussi menacé par cette prise de
pouvoir. Cette institution qui a vocation à l'éducation et
au partage des connaissances se veut universelle avec une
parole véridique et factuelle. Pourrait-on ainsi affirmer,
qui contrôle le musée contrôle le savoir ? Mais dans ces
jeux de pouvoir le musée peut-il être instrumentalisé par
un régime autoritaire ?
Quelle place occupe le musée dans la dystopie ? Que
révèlent ces fictions sur les possibles dérives de l'institution
?
- 102 -
Extrait de Blade Runner 2049, Denis Villeneuve, 2017, 134 mn.
- 103 -
Sous-genre de la science-fiction, la dystopie fait le récit
de sociétés imaginaires régies par un pouvoir totalitaire ou
une idéologie néfaste. Généralement, l'État a une autorité
et un contrôle total sur la population qui n'a pas de libre
arbitre. Se voulant contraire à l'utopie, la dystopie reprend
des idéologies ou des événements réels, poussés à leur
extrême afin de faire l’exemple de ce qui ne doit pas se
produire pour le futur.
Nous l'avons vu précédemment, la plupart du temps dans
ces sociétés totalitaires, le musée est absent. La culture,
l'art et l'histoire ne sont pas compatibles avec ces régimes
qui contrôlent leurs populations et ne leur offre qu'une
idéologie, qu'une manière de penser pour ne pas qu'elle
s'éveille.
Cependant, bien qu'il soit interdit, le musée n'est pas
toujours absent mais il est caché, secret, sauvegardé par
des populations rebelles au péril de leur vie.
Dans le film Equilibrium 52 ou encore dans Fahrenheit 451,
l’art et la culture subsistent et résistent face à la violence
de l'État.
À l'inverse, le musée est parfois utilisé pour asseoir
le pouvoir et répandre une opinion ou une doctrine
politique. C'est le cas du musée de la propagande dans le
livre 1984, qui, tout comme le Ministère de la Vérité dans
lequel travaille le personnage du récit Winston, manipule
le passé et expose la vision d’un État est puissant et juste.
52. WIMMER Kurt,
Equilibrium, 2002, 107 mn.
Dans la cité-état de Libria, les
émotions sont interdites par
l’usage d’une drogue. Une police
spéciale traque les "dissidents
émotionnels" et détruit leurs
possessions illégales. C’est
ainsi que la cité ne possède
aucun musée, le principe même
de "collection d’arts" étant
sévèrement réprimandé.
- 104 -
"– Où était Saint-Martin ? Demanda Winston.
– L'église de Saint-Martin ? Elle est encore
debout. C'est au square de la Victoire, contigu
à la galerie du peintre ; un édifice qui a une
sorte de porche triangulaire, des piliers en
avant et un escalier monumental.
Winston connaissait bien l'endroit. C'était un
musée affecté à des expositions de propagande
de diverses sortes : modèles réduits de bombes
volantes et forteresses flottantes, tableaux en
cire illustrant les atrocités de l'ennemi, et ainsi
de suite."
Extrait de la bande dessinée 1984, de Derrien et Torregrossa, édition Soleil, 2020, d'après l'oeuvre de
George Orwell
- 105 -
Machine Games, Wolfenstein: The New Order, Bethesda Softworks, 2014.
- 106 -
54. L'uchronie est un genre de
fiction qui repose sur le principe
de la réécriture de l’Histoire à
partir de la modification d’un
événement passé.
De son côté, le jeu Wolfenstein reprend le principe de
l’uchronie 54 et se demande : et si les nazis avaient gagné la
seconde guerre mondiale ? Un des niveaux du jeu présente
un musée de l'espace, lieu de propagande qui expose les
conquêtes du régime. Ici, l'architecture du musée représente
cet état totalitaire, l'organisation de l'espace et
l'atmosphère présente expriment assez bien l’emprise et la
terreur de cette dystopie.
Dans son livre Les Origines du totalitarisme (1951),
Hannah Arendt explique pourquoi le contrôle du musée
est un enjeu dans les récits dystopiques. Selon elle, "la
manipulation du temps par un régime totalitaire est une
façon d’assurer son pouvoir. Administrer le passé, c’est
contrôler l’histoire et la mémoire d’une population. Le
musée est de plus un lieu d’échanges et de rencontre de
points de vue, de savoirs, d’avis … susceptible d’éveiller le
libre-arbitre."
54. Celui qui inspira 1984 de
George Orwell et Le Meilleur des
mondes d'Aldous Huxley.
C'est dans cette lignée qu’est imaginée la "Vieille Maison"
dans le roman Nous Autres d'Evgueni Zamiatine en 1929.
Cette fiction dystopique est considérée comme l'un des
premiers chefs-d'œuvre du genre 56 . Il est célèbre pour
avoir anticipé le climat politique du XXème siècle et pour
sa critique des dérives totalitaires du régime soviétique.
Dans cette histoire, Zamiatine imagine un futur dans
lequel le bonheur est régi par la rationalité et les mathématiques.
Dirigé par le "Bienfaiteur"," l’État Unique" impose
un mode de vie précis à chacun des individus. Dans cette
cité de verre, ceux-ci sont devenus des simples numéros
faisant partie d'un tout, ils ne sont plus "je" mais "nous".
Ce livre est le journal d'un homme nommé "D-503", au
départ écrit à la gloire de ce monde aseptisé mais qui va
peu à peu devenir le récit d'une insurrection et de la découverte
de ses émotions et sa propre pensée.
- 107 -
"De loin, on voit apparaître les taches troubles,
vertes – là-bas, au-delà de la Muraille. Puis le
cœur défaille légèrement, involontairement
– plus bas, plus bas, plus bas – c'est comme
descendre une montagne escarpée – et nous
voici devant la Vieille Maison.
C'est un bâtiment étrange, fragile, clos sur luimême,
il est protégé de tous les côtés par une
enveloppe de verre : sans quoi, bien entendu, il
se serait écroulé depuis longtemps. [...]
J'ai ouvert la porte, lourde, grinçante,
opaque – et nous voici dans un local sombre
et en désordre (ils appelaient cela en
"appartement"). [...] les lignes du mobilier,
déformées par l'épilepsie, impossibles à
transcrire algébriquement.
J'avais du mal à supporter ce chaos." 56
56. Passage décrivant la Vieille
Maison dans Nous autres,
Evgueni Zamiatine, Paris,
Gallimard, 1929.
- 108 -
Dans cette cité faite de verre, l'architecture reflète la perfection
et réfute toute déficience ou fragilité. Ainsi, dans ce
monde homogène et sans faille, la Vieille Maison contraste
très fortement avec son environnement. Conservée dans
un dôme de verre, agissant comme une vitrine de musée
abritant une exposition unique, cette enceinte parfaite nie
la possibilité du temps et du changement tout comme la
doctrine de l'État Unique.
Alors que D-503 visite le musée pour la première fois, il
est submergé par le désordre qui l’entoure. C'est justement
l'effet recherché par l'État, l'objectif étant de proposer
une expérience choquante, de présenter le passé comme
incompréhensible et d'inspirer un sentiment de dégoût et
de chaos. À côté, le mode de vie instauré par le pouvoir
apparaît exemplaire, logique et synonyme de bonheur.
Mais l’absence de signification force à une interprétation
et un regard critique de la part de D-503 qui cherche à
comprendre ce passé. Il y revient régulièrement et y trouve
peu à peu un questionnement en éprouvant des émotions
personnelles. Alors que ce musée se voulait exemple
d'un passé révolu et imparfait, il opère le rôle inverse en
amenant l’idée d’un libre-arbitre, d’une poésie du monde
et des sentiments. Il devient le lieu de l'insurrection, réunissant
les quelques dissidents près à renverser le pouvoir.
Le musée est ici un instrument critique de ce futur totalitaire,
un lieu de contre-pouvoir.
à gauche,
The Glass Fortress, adaptation en
court métrage de Nous autres,
Evgueni Zamiatine (1929) de
2016, écrite et réalisée par Alain
Bourret.
- 109 -
- 110 -
Lieu de contre-pouvoir
En renversant le cadre et les codes de cette institution,
certains opèrent un contre-pouvoir et utilisent le musée
comme lieu de vandalisme politique et de prise de parole.
De la soupe au musée
Le vendredi 14 octobre 2022, des militantes écologistes
ont aspergé de soupe les Tournesols, de Vincent Van Gogh
à la National Gallery de Londres. Elles se sont ensuite
collé la main au mur tout en énonçant leurs discours :
" Qu’est-ce qui vaut le plus ? L’art ou la vie ? (… ) Êtes-vous
plus inquiets pour la protection d’une peinture que pour
celle de la planète et de sa population ? ". Leur acte s’inscrit
dans une suite d'événements similaires dans les musées,
un militantisme qui cible prioritairement des œuvres
connues du grand public et exposées dans de grandes
institutions européennes.
à gauche,
deux militantes écologistes
viennent de jeter de la soupe à
tomate sur Les Tournesols de Van
Gogh, à la National Gallery, à
Londres, le 14 octobre 2022 -
Just Stop Oil.
Ces actes ne sont pas nouveaux, le musée a déjà été par le
passé, le cadre d’actes politiques et militants pour une toute
autre cause cette fois. Le 10 mars 1914, Mary Richardson,
militante pour les droits civiques des femmes, avait
tailladé de neuf coups de couteaux La Toilette de Vénus, de
Diego Velazquez à la National Gallery (également).
"Attentat", "mutilation", "boucherie", "attaque violente"
de l’art, cet acte avait indigné le musée et la population.
- 111 -
Néanmoins, la portée médiatique qui a suivi a permis de
faire passer le message de Mary Richardson mais aussi
d’ouvrir le débat sur ce type d’action et la question qu’elles
posent d’un point de vue social et politique sur l'art et
l’institution muséale. 57
57. Tiré des propos de Bruno
Nassim Aboudrar dans le journal
Le Monde, 25 octobre 2022.
Lors de son arrestation et pendant le procès, elle oppose
beauté morale et beauté physique. D’après Bruno Nassime
Aboudrar, journaliste du Monde, "en s’attaquant à Vénus,
" la plus belle des femmes ", Mary Richardson a vengé
Emmeline Pankhurst, " la meilleure des femmes " , leader
du mouvement suffragiste, maltraitée en prison". " La
justice, commentait-elle, est un élément de la beauté, bien
plus que la couleur et les lignes sur une toile. "
Pour l'œuvre de Van Gogh et les autres actions plus
récentes des militants écologiques, ce ne sont pas les
caractéristiques iconographiques des œuvres qui sont
- 112 -
sollicitées, mais la portée médiatique qu’elles offrent dans
ces grandes institutions. De plus, ces œuvres sont toutes
protégées par des vitres, il n’y a donc pas de volonté de
dégradation de l'œuvre comme pour Mary Richardson.
L’action est dans la représentation et l’illusion d’un acte
de vandalisme pour faire passer un message symbolique.
Et pourquoi le musée spécifiquement comme lieu pour
ces actions ?
"Ce que nous disent ces actes
au musée, c’est que notre
conservatisme ne va pas jusqu’à
garder le monde, que nous
protégeons mieux l’art que la
nature, que notre passé est plus
en sûreté que notre futur." 57
Ce n’est pas l'œuvre qui est visée, c’est le musée, l’institution.
Car l’institution muséale est aussi le symbole de
l'État, les directions et choix muséographiques suivent
les volontés politiques et culturelles. Le musée est fondamentalement
un lieu politique. Lieu de conservation, de
monstration des vestiges passés, mais aussi par la sélection
d'une collection d'œuvres d’arts, le musée est parfois perçu
comme une institution figée et de dominance cultuelle.
C’est donc en ces lieux chargés de symbolique pour la
société que les militants prennent parfois la parole et
performent leur message. Inquiets pour le futur, ils crient
leurs peurs dans le lieu du passé.
à gauche,
L' arrestation de Mary Richardson
© AFP - ©Lee/leemage
- 113 -
Dans la pièce La Réponse des Hommes, mise en scène par Tiphaine Raffier, la scénographie représente un
musée. Dans une des dernières scènes, on peut voir un socle avec un tract mis sous verre. Les personnages
viennent le regarder comme le vestige d'un espoir passé. Alors que la pièce ne cesse de faire ressentir des
alarmes (figure 1) comme légende un de avertissement, l’image les acteurs clament "nous sommes désolés". La visite de ce futur musée
représente (figure 2) légende alors l'histoire de l’image des militances écologiques qui sont restées vaines.
- 114 -
RAFFIER Tiphaine, texte et mise en scène, La réponse des hommes, scénographie de Hélène Jourdan, 2020.
- 115 -
Le Joker au musée : transgression de l'institution
Le musée est aussi le théâtre d’actes de vandalisme politiques
dans la science-fiction comme dans le film Batman
de 1989 réalisé par Tim Burton.
Batman est un super-héros de fiction appartenant à
l’univers de DC Comics qui évolue dans un univers
dystopique. Une histoire de vengeance qui oppose héros
et vilains et notamment l'ennemi juré de Batman : le
Joker, criminel dont la folie est forgée par la violence de
Gotham City.
Dans l’adaptation de Tim Burton 58 , au milieu du film, le
Joker et sa bande vandalisent un musée après avoir tué
tous les gardes. Le musée est constitué d’une collection
imaginaire qui rassemble les plus grandes œuvres de
l’art occidental. Dans cette scène, celles-ci sont lacérées
à coups de couteaux, taguées à la bombe, jetées à terre,
éclaboussées de peinture ou couvertes d’inscriptions.
58. BURTON Tim, Batman,
1989, 126 mn.
Dans le cadre narratif du film, cette scène contribue à
dessiner l’archétype du méchant qu’est le Joker, essentiel
dans un film de super-héros. Mais ce passage au musée
peut aussi dire bien plus.
- 116 -
BURTON Tim, Batman, 1989, 126 mn.
- 117 -
(figure BURTON 1) légende Tim, Batman, de l’image 1989, 126 mn.
(figure 2) légende de l’image
- 118 -
En s'attaquant aux œuvres dans cet acte iconoclaste, le
Joker s’attaque au musée pour bousculer les conventions.
Sa bande et lui prennent leur revanche sur une institution
représentative de la dominance culturelle et sociale. Par
cette action violente, ils critiquent ce que le musée représente,
ordre, norme et sacralisation pour ramener plus de
transgression. Cet acte destructeur deviendrait presque
une performance artistique.
La présence du musée dans ce film tout public déconstruit
et provoque la distinction hiérarchique qui est
parfois faite entre "grande culture" et "culture populaire".
Le Joker et la science-fiction se confrontent au musée et
à l’institution.
Extrait de Batman, BURTON
Tim, 1989, 126 mn.
- 119 -
Que les musées doivent-ils
désapprendre ?
Si l’on retourne aux événements présents et à ces actions
militantes au musée, on peut se demander ce que les
conservateurs de musées pensent de ces actes de transgression
?
Emilie Girard, présidente d’ICOM France et directrice
scientifique et des Collections du Mucem à Marseille,
s'exprime à ce sujet : "Notre rôle est de protéger les œuvres
[...] par ailleurs, si les musées sont des lieux d’expression de
revendications, nous devons pouvoir entendre ces discours
et faire notre part pour être exemplaires en matière de
développement durable. [...] Les musées sont intégrés à
la société. Ils se doivent d’être à l’écoute de ce qui s’y passe
pour être réactifs et pouvoir répondre aux nouveaux défis
qui émergent."
De la même manière, plusieurs directeurs et directrices
de musées se sont exprimés dans les entretiens menés par
András Szántó dans son livre The Future of the Museum
(2021). À la question "que les musées doivent-ils désapprendre
pour demeurer pertinents ?", ils répondent que les
musées doivent " descendre de leur piédestal " et " déconstruire
leurs propres règles " pour " s’ouvrir progressivement
" et " commencer à écouter davantage ". Les musées
doivent " abandonner leur arrogance " et se défaire de " la
perception d’élitisme ". 59
59. Extraits traduits par
Barthélémy Glama de The Future
of the Museum : 28 dialogues,
András Szántó, 2021, édition
Hatje Cantz, Berlin.
à droite,
COOGLER Ryan,
Black Panther, 2018, 134 mn.
- 120 -
- 121 -
Extraits de Black Panther, COOGLER Ryan, 2018, 134 mn.
- 122 -
Il existe une ambiguïté entre un effet hégémonique et le
désir d’universalité au musée. Ainsi, la prise de conscience
actuelle au sein du domaine muséal le confronte aux
questions de l'héritage historique, de l'injustice raciale et
des inégalités structurelles. Les débats au sein des institutions
culturelles se sont focalisés sur la responsabilité
dans les pillages coloniaux et la perpétuation de l'injustice
raciale systémique. Ce nouvel examen critique ravive et
amplifie les reproches passées sur l'éthique des musées.
60. COOGLER Ryan,
Black Panther, 2018, 134 mn.
Cette question est très justement représentée dans le film
Black Panther 60 de 2018. Cette saga raconte l’histoire de
Black Panther, roi du Wakanda, une nation africaine fictive
très avancée technologiquement. Au début du film, le personnage
de Killmonger, originaire lui aussi du Wakanda,
visite une exposition consacrée à l’art africain dans un
musée qui fait clairement référence au British Museum.
Une conservatrice méfiante vient parler à Killmonger de
la collection, elle lui parle de la "découverte" des objets
exposés. Il lui demande alors si elle pense que ses ancêtres
les ont achetés puis il l’a corrigé à propos d'une arme :
son origine n'est pas le Bénin mais le Wakanda et il va la
reprendre. Il ajoute ensuite que les gardes le surveillent
de près depuis qu'il est entré, plus préoccupés par son
corps noir dans l'espace du musée que par le café qu’il a
empoisonné.
- 123 -
La scène ne prend pas plus de cinq minutes du film, mais
elle concentre les tensions liées à l'histoire coloniale et
aux injustices raciales 61 . Bien que l’arme Wakandaise soit
fictive, les objets exposés font référence aux bronzes du
Bénin pillés par l'armée Britannique au XIXème siècle et
qui se trouvent aujourd'hui au British Museum. Le journal
de muséologie The Hopkins Exhibitionist, présente un
article intitulé Why museum professionals need to talk about
Black Panther ? D’après cet article, le musée dans le film
"est présenté comme un outil du colonialisme et, en même
temps, comme un espace qui n'accueille même pas ceux
dont il expose la culture." Le propos amène l’idée que
la science-fiction peut encourager une réflexion éthique
dans les institutions. En proposant cette confrontation
entre Killmonger et la conservatrice, le film Black Panther
suggère une collaboration essentielle en vue de la compréhension
et de la restitution des œuvres.
Il est récurrent que le musée soit caractéristique d'un
organe du pouvoir dans la science-fiction et les sociétés
dystopiques. Un autre exemple majeur est celui du film
La Planète des Singes de Franklin Schaffner 62 . Sous l’apparence
d’un film de divertissement, ce récit de science-fiction
aborde plusieurs problématiques sociétales importantes
telles que le racisme, la religion ou encore la guerre
nucléaire. L’hisoire est celle d’un futur hostile, dominé par
les singes/ ayant réduit les humains en esclavage. Par ce
renversement des rôles, le film est l'occasion d'aborder
plusieurs sujets sensibles à l’époque de l’auteur, dans
l’Amérique des années 1960.
61. Ce propos sous-tend dans
tous les films Black Panther.
62. SCHAFFNER Franklin, La
Planète des singes, 1968, 112 mn,
inspiré du roman éponyme de
Pierre Boulle de 1963.
- 124 -
Extraits de La Planète des singes, SCHAFFNER Franklin, 1968, 112 mn.
- 125 -
63. PINFIELD Mervyn, The
Space Museum, épisode de la série
Doctor Who, BBC, 1965.
64. GUNN James, Les gardiens de
la galaxie, 2014, 121 mn.
65. HARMON Dan et
ROILAND Justin, Rick et
Morty, depuis 2013.
66. GROENING Matt et
COHEN David X., Futurama,
The Curiosity Company et 20th
Century Fox Television, depuis
1999.
- 126 -
Dans le film, deux humains arrivent sur la planète des
singes et l'un deux se fait capturer. Le prisonnier devient
un sujet d'observation scientifique, une scène qui n'est pas
sans rappeler la traite des animaux en laboratoire, mais
il parvient à s'enfuir. En s’échappant, il pénètre dans un
musée qui semble être à vocation scientifique. Dans ce
musée, il découvre son ami mort et naturalisé. Cette exposition
de l’homme le place au rang de trophée de chasse,
d’objet de collection. Ainsi La Planète des Singes questionne
notre rapport à la collecte et à l’exposition d’autres
espèces animales et critique notre anthropocentrisme.
67. SPIELBERG Steven, Jurassic
Park, 1993 128 mn.
Ici on parle de naturalisation mais cela renvoie également
à la question de l'exposition du vivant. Les figures de la
ménagerie ou du zoo sont aussi très présentes dans les
œuvres de science-fiction et nous font réfléchir sur ces
pratiques en plaçant l'humain en cage ou en captivité.
On retrouve cette image dans la série Docteur Who 63 , mais
aussi au musée du collectionneur 64 dans les Comics Marvel
ou encore dans des séries de science-fiction comme Rick
et Morty 65 avec la Ménagerie ou encore dans Futurama
avec le Head Museum 66 . Dans la quête de divertissement
et de sensations fortes, le film Jurassic Park 67 nous avertit
également sur la mise en exposition du vivant et pose la
question du droit des animaux.
- 127 -
De l’universel
au pluriversel
Nombre de ces récits de science-fiction nous ont donc
démontré que le musée porte parfois une voix trop
hégémonique et hiérarchique, qui n'est plus en phase avec
les avancées sociales, politiques et culturelles de notre
société. Dans ce contexte, dans quelle voie le musée doit-il
évoluer ?
C'est ce que tente d'établir Neil McGregor 68 dans le
cycle de conférences À monde nouveau, nouveaux musées
présenté lors de la Chaire du Louvre en novembre 2021 69 .
Dans son discours, il affirme que nous habitons un monde
qui n'a plus de centre.
"On ne peut plus se contenter d'une
histoire unique, qui s'imposerait à tous,
uniformément, une histoire admise
par les populations, autorisée par les
gouvernements.
68. Membre du conseil
scientifique du musée du Louvre,
ancien directeur de la National
Gallery et du British Museum
à Londres, ancien directeur
fondateur du Humboldt Forum
à Berlin.
69. Ouvrage qui retranscrit les
propos de Neil MacGregor, À
nouveau monde, nouveaux musées.
Les musées, les monuments et la
communauté réinventée, collection
" Chaire du Louvre ".
Coédition musée du Louvre
éditions / Hazan, 272 p.
- 128 -
Dans ce contexte, qui racontera les histoires
particulières et contradictoires des
communautés diverses ? Qui a le droit de
les raconter ? Quel rôle pour nos musées, et
pour les monuments, dans ces ouvertures
visant à repenser notre société ?" 69
Le musée doit ouvrir la voix et partager sa voie. Le musée
du futur se verra activateur de nouveaux récits, mieux
adapté à la complexité de notre société plurielle. Et dans
cette idée de cultures plurielles, un nouveau terme apparaît.
D'abord utilisé dans la pensée décoloniale d'Amérique
latine, il s'agit de reconnaître l’apport des autres traditions
philosophiques face à l'universalisme occidental autocentré.
Ainsi, au lieu de penser en termes d'universalité, le
musée ne devrait-il pas s'engager vers la pluriversalité ?
- 129 -
IV- Transformer
le musée
J'ai été assez surprise des formes du musée que j'ai pu
rencontrer dans la science-fiction. Je m'attendais à des
structures monumentales de verre ou des vaisseaux-musées
naviguant dans l'espace; à des formes inattendues,
reflet de technologie encore inconnues.
Peut-être avais-je dans l'idée des musées de métal à la
Guggenheim de Bilbao, des musées machine semblables
au Centre Pompidou, ou encore des musées aliens comme
le Kunsthaus de Graz. Mais à la place j'ai pu découvrir
des musées maison, des musées mouvants, des musées
vivants, des palais de porcelaine, des musées labyrinthes,
des planètes-musées, des musées sous cloche, des musées
de poche …
Je vous propose ainsi d’en visiter quelques-uns, d’aller
observer les lieux, les allées, les espaces de ces musées de
fictions.
Je suis persuadée que ces musées imaginés peuvent
inspirer le musée à venir. Que leurs formes soient presque
réelles ou complètement inimaginables, elles ouvrent le
spectre des possibles et nous permettent de penser à de
nouvelles transformations du musée.
- 130 -
- 131 -
©Pauline Hutin.
Le musée infini
L'expansion du musée est une question qui suscite à la
fois fascination et appréhension. Comme l'a souligné Paul
Valéry, il y a comme un vertige dans le mélange infini de
tout ce que peut contenir un musée. Mais est-ce que cela
signifie que les musées doivent croître sans limite ?
Les chiffres révèlent une réalité indéniable : les musées se
multiplient à une vitesse étonnante dans le monde entier.
D'après le rapport de l'Unesco, l'estimation actuelle du
nombre de musées dans le monde est de 104 000 musées
en 2021.
Évolution du nombre de musées
dans le monde, dans Géopolitique
du musée : les enjeux de la
fréquentation, François Mairesse,
Volume 38, Number 3, 2019, p.
103–127.
à droite,
Musée à croissance illimitée,
maquette © FLC/ADAGP
- 132 -
- 133 -
Cependant, avec cette prolifération, se pose la question de
la forme de ces futurs musées. Seraient-ils destinés à une
expansion infinie ?
C'est ce qu'a proposé l'architecte Le Corbusier dans
son concept du Musée à croissance illimitée, en 1939. Ce
projet suit la vision de l’architecte qui perçoit l'architecture
muséale comme une "machine à exposer". Ce
musée, le Corbusier l’imagine dans un grand espace
ouvert à proximité d’une route. Il serait dans un chantier
permanent car son intérêt réside dans la possibilité
d'ajouter des salles au fur et à mesure du temps. Dans ce
bâtiment illimité, il utilise le modèle de la spirale carrée,
un symbole récurrent dans le dessin de ses architectures.
Ce projet rêvé par l'architecte a bel et bien été construit, et
ce à plusieurs reprises, comme par exemple pour le Musée
National d'Art Occidental de Tokyo, construit en 1959.
Bien que ce projet puisse être intéressant dans sa capacité
d'adaptation aux collections, le Musée à croissance illimitée
de Le Corbusier ne fait l’unanimité. Peut-être certains y
trouvent le vertige de l’accumulation, dans un dédale où
l'on s'égare parmi un trop-plein d'information. Cette
émotion face à la trop grande concentration de contenu et
à l’immensité du musée prend forme métaphoriquement
dans la nouvelle Trajets et itinéraires de l'oubli 10 de l’écrivain
français Serge Brussolo. Dans ce récit aux allures de folies,
le musée à force d’une expansion infinie nous fait sombrer
dans un cauchemar labyrinthique.
10. BRUSSOLO Serge, Trajets
et itinéraires de l’oubli, issu du
recueil de nouvelles Aussi lourd
que le vent, Paris, Denoël, 1981.
- 134 -
"Il savait qu'il pourrait continuer à
marcher toute la nuit de salle en salle
sans parvenir pour autant à cerner
l'étendue des lieux. Derrière une galerie
s'ouvrirait une autre galerie, au bout
d'un corridor un autre corridor. Le
musée était un labyrinthe à étages.
Après avoir tour à tour monté et
descendu une douzaine d'escalier, le
visiteur perdait immencablement tout
sens de l'orientation, et s’avouait même
très rapidement incapable de situer le
niveau auquel il se trouvait égaré." 10
Dessin du Musée à croissance illimitée, Le Corbusier, 1939.
- 135 -
La bibliothèque de Babel d’après Borges illustrée par l’artiste Jean-François Rauzier, 2013.
- 136 -
71. La Bibliothèque de Babel,
nouvelle de Jorge Luis Borges,
dans le recueil Fictions, ed.
Gallimard, 1944.
La bibliothèque est composée de
galeries hexagonales qui couvrent
le globe terrestre, remplies de
volumes composés dans un
ordre hasardeux qui peut générer
théoriquement tous les livres du
monde. Le narrateur raconte la
quête de sens désespérée dans cet
univers parallèle.
72. ECO Umberto, PEZZINI
Isabella, Le musée, demain,
Casimiro, 2015.
73. Le Vertige de la Liste,
Umberto Eco, Louvre édition
& Flammarion, 2009, catalogue
de l'exposition qu'il avait
organisé en novembre 2009 sur
l'invitation du Louvre.
Ce récit n'est pas sans rappeler La Bibliothèque de Babel
de Borges 71 , le musée symbolisant le reflet matérialisé de
l'univers, et de tous ses possibles et impossibles artistiques.
Le livre est un dédale métaphorique sur l'art dans lequel
les visiteurs se retrouvent aux confins de la folie. À mesure
de leur déambulation, ils s'enfoncent dans ce musée
monstrueux ne proposant que solitude et incompréhension
face à l’art.
Dans la préface du livre Le musée, demain 72 , Maria
Albergamo termine en proposant de s'arrêter sur deux
images : "celle du "vertige du mélange" que Paul Valéry
attribue au musée, et celle du "vertige de la liste" 73 présentée
par Umberto Eco dans le catalogue éponyme[...], et dans
les pages duquel liste, relation, énumération et accumulation
se transforment en modèle possible d'expansion,
musée de l’etcetera, toujours ouvert à de nouvelles découvertes."
Le musée de demain sera-t-il le musée de l'etcetera ? En
tout cas, il sera peut-être un lieu où le passé, le présent et
le futur se rencontrent harmonieusement, invitant chacun
à se perdre dans les méandres de la connaissance, tout en
trouvant toujours un chemin pour revenir enrichi de cette
expérience.
- 137 -
- 138 -
Musée sculpture
74. Nouvelle Songhaï,
NOTTOLA Christian,
Musées miroirs, miroirs brisés,
recueil pas encore publié, 2023.
"La foule s’extasia quand le déploiement
architectural fut achevé. Le palais
était immense et majestueux et l’on
comprenait mieux en le contemplant
pourquoi les colons de cette planète
l’appelaient le " Dieu Musée ". Parmi
eux, nombreux étaient ceux qui
divinisaient Songhaï. Un tel monument
ne pouvait qu’être divin. C’était une
merveille de la civilisation à l’égal des
Pyramides ou de la Muraille de Chine.
En fait, il n’avait rien d’humain. Il
était monstrueux. Il était merveilleux.
Le Temple de la culture humaine ne
pouvait être que l’œuvre d’un dieu.
Il avait retrouvé sa forme originelle.
Elle était magnifique. [...] Le monstre
daignerait-il enfin engloutir cette marée
humaine ?" 74
à gauche,
collage photo réalisé pour ce
mémoire, Pauline Hutin, 2023.
- 139 -
La science-fiction est un réel terrain de jeu pour l'imaginaire
architectural. Ces récits sont l'occasion d’imaginer
des villes, des lieux et des infrastructures sans limite. Des
tours infinies de verres aux villes flottant dans l’espace en
passant par des arbres maisons ; les descriptions de l’architecture
et de la ville sont presque indispensables à la
science-fiction.
En effet, c’est par ces constructions que les récits de SF
posent le cadre des sociétés décrites. L’architecture révèle
les constructions sociales, témoigne des avancées techniques
et place le contexte à la fois culturel et temporel
de l’histoire.
Mais qu'en est-il de l'architecture du musée dans les
œuvres de science-fiction ?
Comme évoqué précédemment, la représentation du lieu
musée ne suit pas forcément l’image dominante des villes
de science-fiction aux technologies omniprésentes, faites
de verre et de métal. Curieusement, la plupart des descriptions
du musée se rapprochent plus de l'image du palais
ou des musées de type XIXe et XXe siècle. 75
75. cf. annexes, Petite histoire du
musée.
Par exemple, dans La machine à explorer le temps de H.G.
Wells, nous sommes en l'an 802 701 et le "palais de porcelaine
verte", le musée de cette histoire, ne semble pas
bien différent des musées du XIXe siècle d'où provient
l’explorateur (mis à part sa matière de porcelaine).
Ou encore dans 1984 de George Orwell, alors que l’architecture
totalitaire présente de gigantesques constructions
pyramidales de béton, le musée de la propagande est situé
dans une petite église datant d’un passé lointain.
Ainsi, même dans son architecture, le musée est très
souvent un lieu rattaché au passé.
- 140 -
76. Umberto Eco utilise le mot
"réceptacle" pour parler du
musée et fait un parallèle au
"trésor" et à son "sanctuaire"
dont parle Krzysztof Pomian.
Il va même jusqu’à parler de
"container" pour décrire cette
idée de musée-sculpture.
77. PEREGALLI Roberto, Les
lieux et la poussière, Aléa, 2010.
Néanmoins, lorsqu'il sort des représentations plus "classiques",
le musée de science-fiction présente souvent un
aspect presque monumental. Ainsi, le musée comme
réceptacle 76 de l’art devient lui-même une œuvre d'art.
Par exemple, dans l'extrait cité précédemment de la
nouvelle de Christian Nottola, on retrouve cette idée de
musée-œuvre poussée à son extrême : le musée est décrit
comme un dieu, une merveille de la civilisation, un gigantesque
octaèdre de métal qui voyage dans l’espace et se
déploie en atterrissant.
Le musée comme monument ou comme œuvre, dans une
forme presque sculpturale est une évolution que l’on observe
depuis quelques années dans l'architecture des musées.
Très souvent critiqués, ces nouveaux musées, construits de
toute pièce et au geste architectural important, font débat.
Dans son livre Les lieux et la poussière 77 , Roberto Peregalli
critique ce phénomène :
"les musées, qui surgissent toujours plus
nombreux à notre époque, sont devenus
des édifices-sculptures. On fait appel aux
architectes les plus en vue du moment,
qui inventent des mausolées à leur propre
gloire, avant même de savoir à quoi ils
serviront. Ce que les gens viennent voir alors
n'est pas tant les expositions ou les œuvres
présentées mais les monuments même." 77
- 141 -
Ce que Roberto Peregalli appelle les édifices-sculptures est
également appelé "l’effet Bilbao" ou "effet Guggenheim",
en référence au musée Guggenheim de Bilbao dessiné par
Frank Gehry. Ce phénomène est présent lorsqu'un musée
fait le choix d’une architecture à l’identité forte, très
souvent dessinée par un architecte célèbre avec l'objectif
de redynamiser un territoire.
Roberto Peregalli fait un parallèle avec le monolithe du
livre 2001, l’Odyssée de l'espace (1968) œuvre majeure de la
science-fiction, et montre ainsi que ces musées-sculptures
contrastent avec leur environnement, dans une "harmonie
dissonante avec le lieu" où ils se trouvent.
"Beaubourg, […] est un immense radiateur
de couleur tombé du ciel dans un quartier
populaire au cœur historique de Paris.
Comme le monolithe du film de Kubrick
(mais là il s'agissait d'un terrain vague et
de singes), il a creusé un cratère dans le
quartier, interrompant le tissu urbain, avec
la volonté, en désacralisant le lieu, de faire
une boutade qui soit une rupture radicale
avec le passé et deviennent le pôle culturel
des événements contemporains." 77
77. PEREGALLI Roberto, Les
lieux et la poussière, Aléa, 2010.
- 142 -
Collage photo réalisé pour ce mémoire, Pauline Hutin, 2023.
- 143 -
Le Centre Pompidou : utopie ou dystopie ?
L'exemple du centre Pompidou est d'ailleurs très intéressant
dans cette analyse. Imaginé par les architectes Renzo
Piano, Richard Rogers et Gianfranco Franchini, il marque
en 1977, l'émergence d'un nouveau type de musée. Il porte
une attention particulière à l'architecture, à l'image d’une
nouvelle politique culturelle se voulant plus accessible et
transparente.
Dès sa création, le Centre Pompidou a bousculé les pensées
et la vision du musée. Empruntant au vocabulaire de la
science-fiction, on parlait alors de "l'utopie Beaubourg"
ou au contraire de "dystopie".
L’utopie Beaubourg, c'était le projet du président Georges
Pompidou qui souhaitait créer un centre culturel, un lieu
ouvert et accessible à tous, marqué par l'architecture de la
transparence et du verre, comme le décrit le Corbusier :
"Il faudrait au cœur du Paris
populaire une grande maison de
la culture où pourrait pénétrer
sans obstacle ceux qui n'ont pas
l'habitude de franchir les portes
d'un musée, d'un théâtre, ou d'une
bibliothèque." 78
78. Citation de Le Corbusier,
quatrième de couverture du livre
Le centre Pompidou, une nouvelle
culture, par Robert Bordaz,
Ramsay, 1977.
- 144 -
79. BAUDRILLARD Jean,
L’effet Beaubourg, Galilée, 1977.
La dystopie prend place à la découverte du projet d'architecture
lauréat. Très fortement critiqué, le projet proposé
par Piano et Rogers fait scandale : on parle alors du
centre comme une "usine", une "raffinerie" ou encore une
"centrale nucléaire". Au-delà de l’architecture, selon Jean
Baudrillard 79 , "l'effet Beaubourg" marque la dérive de la
culture comme produit de consommation de masse, vers
une culture unique et formatée. Il parle alors "d'hypermarché
de la culture". Il fait d’ailleurs lui aussi référence à
2001, l'Odyssée de l’espace, une métaphore du monolithe
qui semble récurrente pour parler du Centre.
"Le centre fonctionne comme un
incinérateur absorbant toute énergie
culturelle et la dévorant - un peu comme le
monolithe noir de 2001 : convection insensée
de tous les contenus venues si matérialiser,
s’y absorber et s’y anéantir." 79
Malgré ces critiques lors de la création du Centre
Pompidou, il relèvera le pari initial d’un centre culturel
multiple et ouvert sur la ville. A-t-il réalisé cette utopie
Beaubourg ? Les avis divergent encore à ce sujet.
Néanmoins, on constate aujourd’hui que le Centre
Pompidou a marqué l'histoire et a été le point de départ
d’une nouvelle ère pour les musées. Le lieu s'ouvre sur la
ville et les publics, les modes de déambulation et d'exposition
évoluent, l’organisation complète se transforme
pour donner lieu à des musées "chimères" du XXIe siècle,
comme le décrit Isabella Pezzini. 80
- 145 -
L'architecture-sculpture est une nouvelle manière d’imaginer
le musée. Les nouveaux musées se veulent nécessairement
distincts des musées traditionnels. Ils souhaitent
attirer les publics, éveiller leur curiosité et cela passe par
l’architecture.
"Le triomphe du conteneur sur les œuvres n'est pas
seulement un phénomène de notre époque. J'imagine que
les premiers visiteurs du Louvre, [...], y entraient, non
pas tant pour admirer les œuvres d'art, que pour mettre
les pieds, pour la première fois, dans le palais jusqu'à lors
interdit au peuple. [...] Quoi qu'il en soit, visiter un musée
pour apprécier surtout le conteneur n'est pas un crime
; bien au contraire, l’attrait du conteneur peut inviter à
découvrir les œuvres." 80
80. Dans Le musée, demain,
Isabella Pezzini et Umberto Eco,
2015.
Les premiers seront le musée Guggenheim de New York
dessiné par Frank Lloyd Wright, puis le centre Pompidou
de Piano et Rogers et le Guggenheim de Bilbao dessiné
par Frank Gehry, suivront ensuite les nouveaux musées
qui mettent l'accent sur une identité du lieu. "Ces musées
refusent d'être de simples contenants, les plus neutres
possibles, et se transforment eux-mêmes en œuvres, et
comme telles, établissent un dialogue avec les collections,
et parfois même s’imposent à elles." 80 C'est une nouvelle
façon de concevoir les espaces et l'organisation des
parcours et des expositions.
Tout comme le Centre Pompidou a expérimenté de
nouvelles formes, dans son architecture et son organisation,
marquant ainsi une nouvelle ère pour les musées ; le
musée du futur sera-t-il lui aussi radicalement différent
des musées actuels ? Cela passera-t-il en grande partie par
une évolution de son architecture ?
(figure 1) légende de l’image
(figure 2) légende de l’image
- 146 -
(figure 1) Centre Pompidou, dessiné par Renzo Piano, Richard Rogers et Gianfranco Franchini, 1977.
(figure 2) Musée Guggenheim de Bilbao, dessiné par Frank Gehry, 1997.
- 147 -
OVNI
Alors que le musée ne cesse d’expérimenter de nouvelles
formes architecturales, cette série de photos met en
parallèle musées et formes réelles ou fictionnelles, telles
des vaisseaux, des extraterrestres ou des ovis culturels dans
la ville.
- 148 -
(figure 1) Salvador Dali Museum, Saint. Petersburg, États-Unis.
(figure 2) Monster vs alien , gallaxhar spaceship.
- 149 -
Musée Kunsthaus de Graz, Autriche.
- 150 -
Ron Herron, Walking City on the Ocean (Perspective extérieure), 1966, membre de Archigram.
- 151 -
Star wars destroyer.
- 152 -
Musée royal de l’Ontario, Canada.
- 153 -
(figure 1) Les soucoupes volantes attaquent, fil de 1956 réalisé par Fred F. Sears.
(figure 2) Le Musée d’art contemporain de Niterói, Brésil.
- 154 -
(figure 1) Vaisseau de Ego, dans Les Gardians of Galaxy 2.
(figure 2) Le Musée Ordos , Chine.
- 155 -
La science-fiction pour
ouvrir les possibles
Nous l’avons vu, les récits d’anticipations se révèlent,
au-delà de leur statut d'œuvre, comme étant l’expérience
d’autres réalités possibles. Ainsi, les contraintes dans ces
mondes sont nouvelles, les milieux et espaces différents,
les logiques scientifiques sont impossibles, les distances
peuvent être sans limites … Les œuvres de science-fiction
constituent un réel terrain de recherche qui nous permet
d’expérimenter de nouvelles formes et de nouveaux usages.
La science-fiction permet de nous demander "Et si …".
Une question qui est souvent utilisée pour opérer un
processus de fiction et générer à la fois récit et question
critique.
Et si l’on visitait le musée à bord d’un train ? Et si l’on
parcourait le musée à toute vitesse ? Et si l’on déambulait
dans le musée sans même marcher ?
Dans son roman d’anticipation Le Vingtième Siècle, paru
en 1883, Albert Robida imagine une visite au Louvre
dans le futur, en 1952.
à droite,
Le tramway du musée du
Louvre, dans Le Vingtième Siècle,
Albert Robida, 1883 (Photo
BnF, Gallica)
- 156 -
- 157 -
"Dernier progrès accompli par un ministre des
Beaux-Arts ennemi de la routine, un charmant
et élégant tramway, mû par l’électricité, court
maintenant sur des rails à travers toutes les
galeries du musée."
Une vision d’un futur tourisme de masse, d’une visite
consommée et sans effort. Le musée devient attraction,
la visite sur rail vente les mérites de l'électricité et des
progrès technologiques.
"Ce voyage à travers les Arts dure une heure
à peine. En une heure, les visiteurs ont
parcouru toute l’histoire des Beaux-Arts,
depuis les superbes époques grecques et
romaines jusqu’à la grande révolution des
modernistes ou des photopeintres ; en une
heure, le visiteur le plus ignorant peut, s’il
a des yeux et des oreilles, en savoir presque
autant que le critique le plus transcendantal.
[...] L’effort est inutile et la fatigue supprimée,
le tramway est bien suspendu et les coussins
fort moelleux invitent au repos. Il suffit de
regarder et d’écouter ; on n’a pas besoin de
livret, car en passant devant chaque tableau le
tramway presse un bouton et instantanément
un phonographe donne le nom du peintre,
le titre du tableau ainsi qu’une courte mais
substantielle notice."
- 158 -
Ce roman écrit à la fin du XIXe siècle anticipe de nouveaux
usages et de nouvelles manières de visiter le musée. De
l’audioguide aux photographies presque obligatoires des
œuvres phares, en passant par la visite de groupes touristiques,
on pourrait dire que ce roman est assez précurseur
de nos pratiques actuelles. Pour ce qui est du train, il n’y en
a pas encore au musée mais l’on peut déjà visiter le Louvre
en "une heure à peine".
Albert Robida n’est pas le seul à se lasser de marcher au
musée. Dans la nouvelle Le musée du Futur de H.V. Chao,
l'auteur nous embarque cette fois-ci sur des tapis roulants :
"La variété des tapis roulants présentés dans
la Salle des Transports nous ravit. Des tapis
roulants bordés de parois en verre coloré, des
tapis roulants évoluant sous des auvents de
toile, des tapis roulants démarrant en pente
raide, des tapis roulants descendant lentement
en spirale de hauteurs considérables. [...] Trop
occupés à contempler ces nefs innombrables,
nous venons tout juste de comprendre que
nous n’avions pas cessé d’avancer, même
si nos corps sont immobiles : sous nos
pieds, notre propre tapis roulant continue,
imperturbable, à nous transporter à une allure
dont la noble régularité nous permet d’admirer
les vues sans que nos yeux puissent s’attarder
sur aucune."
- 159 -
Ce musée aux allées en tapis roulants et escaliers en escalators
prend presque des allures de centre commercial.
Umberto Eco 81 critique ce comportement de "consommation"
du musée à toute vitesse :
"Des troupeau de touristes, qui ne pourrait pas revenir chez
eux sans avoir vu (ou sans dire qu'ils ont vu) le Louvre, la
National Gallery, ou les Uffizi, traversent au pas de cavalerie,
toute une série de salle, s’arrêtent brièvement, et sans aucune
discrimination, devant des tableaux sans importance, sans
s'arrêter devant des chefs-d'œuvre, pour finalement, se
bousculer devant les tableaux dont ils ont entendu parler
(La Joconde, La Vierge rocher, Le Printemps), ils arrivent à
grande peine à voir l'œuvre fétiche."
81. ECO Umberto, PEZZINI
Isabella, Le musée, demain,
Casimiro, 2015.
Eco propose lui de s’arrêter et d’observer pleinement une
seule œuvre à la fois. Dans son livre, il présente ainsi sa
vision futuriste et rêvée du musée qu’il nomme "le musée
du troisième millénaire" dans lequel il développe cette
idée de musée "d’une seule œuvre".
À l’inverse, dans la nouvelle de H.V. Chao, les tapis roulants
permettent d’apercevoir seulement des fragments du futur
et se laisser embarquer dans un rêve. Les souvenirs des
visiteurs auront des contours floues dues au mouvement
perpétuel de la visite qui ne permet pas de s'arrêter sur
l'œuvre. Car dans ce musée "c’est par aperçus, par éclairs,
par échardes que le futur se loge au plus profond du cœur".
Entre tourisme de masse chez Robida, vitesse et allure
de consommation chez H.V. Chao et Umberto Eco, la
science-fiction permet un regard critique sur notre visite
du musée. Mais au-delà de cette remise en question de nos
modes de déambulation, ces histoires sont aussi à prendre
d’un point de vue plus naïf et rêveur : il est amusant
d’imaginer des machines extraordinaires pour parcourir
un musée. La fiction est à la fois le support d’une réflexion
sur nos pratiques actuelles mais aussi une ouverture des
possibles et de l’imaginaire.
- 160 -
82. cf. annexe; entretien avec
Christian Nottola, expert en
littérature de science-fiction.
Vitesse, mobilité, déambulation, machine, … ces déplacements,
ces décalage Christian Nottola 82 les interprète
lors de notre entretien comme des translation issue
d’une structure mathématique. Ainsi, il repère dans la
science-fiction des notions fondamentales, qu'il appelle
aussi fonction primaire ; par exemple celle de la transformation
des volumes : petit, grand, mince ou encore celle
des mouvements : à l’arrêt, rapide, lent ...
Ces fonctions peuvent être modifiées, en effectuant cette
translation avec le réel on ouvre alors sur l’imaginaire.
Par exemple, dans Gulliver, le personnage est parfois tout
petit face à des géants, et d’autres fois, il est confronté à
des lilliputiens. Ainsi, la transformation s’opère sur la taille
du personnage, et c’est cette réduction ou augmentation
qui ouvre sur le domaine de l’imaginaire.
Par la transformation d’un élément, on peut modifier la
perception des choses et ainsi imaginer un scénario de
fiction. Et Christian va même jusqu’à imaginer que si
l’on énumère ces notions clés à la base de notre imagination,
on peut les appliquer de manière systématique pour
générer des idées de récits.
De la même manière, il serait intéressant d’utiliser cette
translation, ce pas de côté permis par la science-fiction
pour générer des expériences scénographiques.
En énumérant les fonctions présentes dans l’espace du
musée nous pouvons ensuite jouer à les modifier pour
expérimenter. Peut-on jouer avec les codes formels de la
scénographie grâce à la science-fiction ? Peut-on réaliser
des translations, des actes de transgression pour ouvrir
d’autres possibles ?
Prenons par exemple le musée Guggenheim à New
York, célèbre pour sa structure en spirale qui encourage
la déambulation des visiteurs. Cette architecture propose
une translation avec le plan horizontal classique et propose
une montée par une pente courbe. Elle invite ainsi à une
- 161 -
nouvelle expérience de visite et une autre manière de voir
les œuvres exposées.
Dans l’ouvrage Musées à venir Jean Nouvel et Claude Parent 83 ,les
deux architectes proposent leur vision du musée et présentent
plusieurs projets non réalisés pour l’architecture
muséale. Un des projets de Claude Parent est celui du
Musée d’art moderne Oblique, imaginé en 1972. L’auteur
Jean-Philippe Toussaint imagine une visite de ce musée :
83. NOUVEL Jean et PARENT
Claude, Musées à venir, Actes
Sud, 2016, né de l’exposition
présentée en 2016 à la Galerie
Azzedine Alaïa.
"J’avais décidé de profiter de cette dernière
matinée à Paris pour visiter le Musée oblique.
Comment fait-on pour se rendre dans un
musée qui n'existe pas ? [...]
J'entrai dans le musée. Les salles étaient
blanches, vastes et lumineuses, bordées
de large baie vitrée. On passait de salle
en salle par un réseau de coursives et de
passerelles vitrées qui convergeaient vers un
faîte invisible. Aucune ligne n’était droite,
l'ensemble du bâtiment, qui montait en pente
douce sur plusieurs étages, semblait s’élever
vers le ciel. Les œuvres exposées paraissaient
souligner discrètement l'architecture, la
ponctuer de telle ou telle excroissance.
Partout, ce n'était que courbes et diagonales." 83
Musée d'art moderne Oblique,
Claude Parent, 1972.
- 162 -
Lorsqu'on regarde les croquis de ce musée, les espaces sont
composés de pentes douces, qui élèvent progressivement
le visiteur sur plusieurs étages. Dans sa déambulation, le
personnage glisse progressivement du monde réel vers
l'imaginaire. Dans sa visite fictionnelle, Toussaint observe
quelques instants des joueurs de football et revient sur ses
pas pour regarder les œuvres.
84. Anthony Elliott, Profiles
in contemporary social theory,
Londres, SAGE, 2001, p. 217.
"La fonction oblique se définit
comme la fin de la verticale
comme axe d' élévation, la fin
de l'horizontal comme plan
permanent, ceci au bénéfice de
l'axe oblique et du plan incliné."
On retrouve dans ce musée l'usage de la fonction oblique 84
de Claude Parent et Paul Virilio qui, à travers des plans
inclinés, remettent en question l'horizontalité du sol. Son
réseau de coursives transgressent les espaces neutres de
certains musées d'Art moderne. De plus, la transparence
joue un rôle essentiel, car le verre des baies vitrées ne se
contente pas de combler les ouvertures dans les murs,
mais crée une véritable interaction avec l'extérieur. La
transparence permet alors aux événements extérieurs de
venir transgresser l'expérience de visite.
Peut-être pourrions-nous reprendre ce principe de subversion
des codes architecturaux de Claude Parent dans
la scénographie.
Musée d'art moderne Oblique,
Claude Parent, 1972.
- 163 -
- 164 -
Le musée immatériel
85. Extrait de Le Métamusée
nouvelle du recueil Musées
miroirs, miroirs brisés, pas encore
publié, Christian Nottola, 2023.
"Il fallait mettre un casque pour s’immerger
dans le musée. Il y en avait pour toutes
les tailles. Olivier prit un casque lourd et
sphérique, parce qu’il faisait astronaute.
Amandine choisit le plus joli. En suivant
les instructions de Jean-Pierre, ils les
synchronisèrent. Ils s’immergèrent. Ils
choisirent une nébuleuse au hasard. C’était,
d’après les commentaires du casque, la
nébuleuse de l’Aigle. Ils furent subitement
entourés de nuages bleus, ocres et marrons. Ils
pouvaient s’y déplacer à leur guise. Zoomer.
La faire tourner, mais ils choisirent la visite
guidée, qui avait été programmée pour les
néophytes. C’était étourdissant. On traversait
d’énormes nuées. Des amas. Suivant l’échelle à
laquelle on se plaçait et la vitesse à laquelle on
se déplaçait, on apercevait même des étoiles,
des planètes, des météorites. Et les couleurs
étaient fantastiques. Un tableau 3D féérique." 85
à gauche,
RATTÉ Sabrina,
Floralia, 2021.
- 165 -
Pour ce voyage parmi les musées de science-fiction, j'ai
souhaité les aborder en premier par le prisme du lieu. Le
"lieu musée" comme lieu physique, un espace tangible
où sont regroupés public et œuvres dans une conversation
invisible. Mais si le lieu est une portion déterminée
de l'espace, il peut être considéré de façon physique ou
abstraite, voire dématérialisée.
De nos jours, la notion de lieu ne se limite plus nécessairement
à un espace physique - prenons l'exemple des
magasins devenant site Internet ou des salles de classe se
transformant en visioconférence - les espaces se déplacent
vers des environnements numériques auxquels on peut
accéder avec une simple connexion Internet. Car c'est
encore une fois la période Covid qui, en instaurant le
confinement, mit à l'arrêt notre mobilité et fit de notre ordinateur
le seul portail vers d'autres lieux que notre salon.
Alors que les musées étaient fermés, certains ont souhaité
emprunter cette fenêtre et faire du musée un espace dématérialisé.
Cette évolution soulève la question de savoir si le
musée virtuel peut être considéré comme un "vrai" musée
et s'il peut fonctionner. Alors que l'imaginaire dominant
du XXIe siècle est celui d'un futur numérique, robotisée,
basé sur de hautes technologies, ce futur s’applique-t-il
également au musée ? Le musée virtuel est-il un futur
souhaitable ?
- 166 -
Bien que certaines tentatives aient émergées, telles que les
musées en 3D prenant place dans votre salon imaginés par
Google Art & Culture ou encore les musées exposants des
NFT, ces initiatives ne se sont pas, à mes yeux, révélées
convaincantes. La plupart du temps, ces musées virtuels
tentent de reproduire à l'identique des musées existant, à
la manière du Street View de Google mais version musée.
Ils permettent davantage de préparer une visite ou de
nourrir notre curiosité d'un lieu que d’accéder à une expérience
sensible et un rapport aux œuvres ou au contenu
de l’exposition.
Visite du musée d'Orsay sur
Google art and Culture.
- 167 -
Cependant, certains artistes et collectifs ont exploré le
potentiel du virtuel pour développer des musées qui
donnent davantage de sens et s'adaptent à des contextes
particuliers, créant ainsi des musées chimères numériques.
C’est ce que propose l’artiste Sabrina Ratté dans son
œuvre Floralia (2021), qu’elle associe au genre de la
science-fiction. Selon ses mots, Floralia est un musée
d’histoire naturelle virtuel pour un monde futur où les
plantes auraient disparu de la nature.
"l'œuvre nous plonge dans un futur spéculatif,
où des échantillons d’espèces végétales alors
disparues sont conservés et exposés dans une
salle d’archives virtuelles. Par l’entremise du
montage et de stratégies visuelles, cette salle
d’archives se transforme sporadiquement sous
l’effet d’interférences provoquées par la mémoire
émanant des plantes répertoriées, laissant
entrevoir les traces d’un passé qui continue à
hanter les lieux. Floralia est une simulation
d’écosystèmes nés de la fusion entre technologie
et matière organique, où passé et futur cohabitent
dans une perpétuelle mise en tension du présent." 66
66. d’après le site internet de
l’artiste Sabrina Ratté
Selon Sabrina Ratté, "imaginer des mondes futurs permet
aux auteur.ices de critiquer le monde contemporain, ainsi
que de faire des propositions pour construire le monde de
demain." L'artiste utilise le musée numérique pour interroger
le public sur la disparition de la biodiversité. Avec
cet écosystème n’existant plus que sous sa forme numérisé
lui permettant de traverser le temps, elle souligne l'importance
de préserver le vivant.
- 168 -
RATTÉ Sabrina, Floralia, 2021.
- 169 -
Site internet du MOTHA Museum.
- 170 -
Dans un autre registre, le Museum of Transgender
History & Art, ou MOTHA, a été fondé en 2013, avec
pour mission de créer un musée consacrée à l’histoire, l’art
et la culture transgenre. Imaginé par l’artiste Chris E.
Vargas, c’est une institution semi-fictionnelle et éphémère
qui sert de plateforme d'exposition à la culture trans. Ce
musée imaginaire numérique s’étend parfois au réel en
prenant la forme d'événements temporaires, comme des
performances, des expositions, des tables rondes ou encore
des conférences.
Le MOTHA pose également un regard critique sur l'institutionnalisation
et joue du mot musée pour envisager
l'existence d'une institution d'art et d'histoire légitime et
légitimante dédiée au travail culturel des artistes transgenres.
Ce musée virtuel offre un espace aux communautés
et permet de rendre visible des récits et des histoires qui
ne sont pas, ou peu, représentés dans les musées traditionnels.
Ce projet cherche à donner une voix et à légitimer
des histoires et des luttes historiques et contemporaines
qui sont trop souvent marginalisées.
- 171 -
La possibilité d'un lieu virtuel permet ainsi d'aller vers
plus d'accessibilité et de liberté. Ce troisième exemple
combine deux notions abordées dans les précédents : la
préservation numérique rendant l'art inaltérable ainsi
que la mise en place d’un espace qui se fait porte-parole
d'une histoire et d'une culture jusqu'à leur invisible. C'est
dans cette lignée qu'est imaginé le projet SAHAB, par
le collectif d’artistes HAWAF. Il est présenté lors de la
rencontre "Autour du musée des futurs de Gaza. Futurismes
et muséologies alternatives", organisée par le Mucem
(MucemLab) à Marseille, le 1er juin 2022. Ce projet
novateur consiste en un musée en réalité virtuelle, situé
dans "le cloud" et accessible partout, offrant ainsi une
alternative pour un territoire bloqué politiquement. Son
objectif est de retracer le patrimoine et l'art de Gaza, tout
en imaginant son avenir. En combinant des créations artistiques
et muséales, qui explorent les possibles, ce projet
en développement engage un discours critique sur notre
présent.
L'objectif du collectif est de créer un musée qui soit
"comme un nuage dans le ciel qui appartient à tous". Un
musée imaginaire pour une culture populaire, un musée
rêvé par des artistes des habitants gazaouis. Ils souhaitent
aussi combattre l’isolement des populations, et recréer un
esprit de communauté : "reconstruire la communauté…à
travers le musée imaginaire !"
Ici le musée virtuel prend tout son sens, il est capable de
s’adapter à un contexte politique difficile et un territoire
en guerre. Ce musée vaporeux ne risque pas la destruction,
il permet également une parole libérée et accessible à tous.
Le musée SAHAB représente l'espoir et la force du
collectif et de la création. Ce musée plein de sens et de
sensibilité porte des valeurs d'éducation, de transmission,
de partage et de communauté. Les artistes soulignent que
lorsque rien n'existe, tout est possible.
- 172 -
Dessins du futur musée SAHAB, par le collectif HAWAF.
- 173 -
Le musée mouvant
En 2016, le ministère de la culture a lancé la mission
Musée du XXIe siècle, une enquête auprès des professionnels
ainsi qu'une consultation citoyenne qui avait pour
objectif d'identifier les enjeux du musée de demain et de
proposer des axes de métamorphose de son modèle. Ces
travaux ont permis d'identifier les principales attentes
de la société vis-à-vis des musées, et parmi elles, un des
objectifs est d'ouvrir plus largement encore les musées, de
toucher les jeunes générations et d'inciter les non-publics
à découvrir le musée.
Pour se faire plusieurs solutions sont possibles, l'un des
axes abordés est celui du musée protéiforme, hors les murs
ou dématérialisé. Nous lisons dans le rapport que le musée
peut prendre la forme d'un conteneur et voyager sur un
camion, qu'il peut s'installer dans un café, chez les commerçants,
dans une entreprise. Qu'il peut se dématérialiser
et se télécharger. Il se met à la portée de la population,
le musée sort de ses murs pour se rapprocher des publics.
Alors que nous venons d'aborder la question du musée
virtuel, qui va au-delà de la question du lieu physique, pouvons-nous
d'un autre côté, faire des musées sans bâtiment
et sans monde virtuel ? Qu'en est-il du lieu musée hors les
murs, mobile, mouvant et éphémère ?
à droite,
dessin du Musée sans Bâtiment,
Yona Friedman.
- 174 -
- 175 -
Dans The future of Museum 87 , les interviews menées par
András Szántó auprès des directrices et directeurs de différents
musées, concluent que pour que les musées s'ouvrent
et aillent à la rencontre des publics, il faut " dépasser l’idée
que tout se passe à l’intérieur de structures architecturales,
entre quatre murs, dans des bâtiments toujours plus
grands, avec un personnel toujours plus nombreux. "
SZANTO András, The Future
Museum: 28 Dialogues, Hatje
Cantz, 2020.
Mais comment le musée devient nomade ? Il y a autant de
formes de musées mouvants que de collections, de publics
et de territoires. Je vous propose alors d'en explorer
quelques-unes à travers la science-fiction.
Le musée nomade
Les récits de science-fiction raffolent des voyages, des
formes nomades et la question de la mobilité y est très
souvent abordée. Pour ce qui est des musées, nous avons
déjà pu découvrir le concept du vaisseau musées présent
dans la nouvelle Songhaï de Marc Alloton, mais également
dans une autre de ses nouvelles intitulée Dans les croisées
de la fusée musée. Ici le musée prend la forme de vaisseau
spatial ou de fusée, la mobilité s’incarne à travers l'idée du
véhicule, de la machine servant à transporter des choses.
Le film Mortal Engines, sorti en 2018 et adapté du roman
du même nom de Philippe Reeve, se situe des centaines
d'années après que la terre fut détruite lors d'un événement
apocalyptique appelé la "guerre de 60 minutes". L'Humanité
s'est adaptée privilégiant l’itinérance et vit désormais
dans de gigantesque villes mobiles.
Dans ce film, le musée de Londres est essentiel, il sert de
centre d'archives et de recherche dans lequel sont exposées
toutes sortes d'artefacts du monde passé.
Ce film est intéressant dans la construction des villes
- 176 -
RIVERS Christian, Mortal Engines, 2018, 128 mn.
- 177 -
Photographie du MuMo.
- 178 -
mobiles, car elles sont constituées de différents monuments
sauvegardés issus de grandes métropoles. Accumulé et
superposé, cet amas de monuments se déplace grâce à
d'immenses chenilles semblables à celles des véhicules de
guerre. Serait-il possible de déplacer le musée avec son
bâtiment entier de ville en ville comme dans ce film ?
L'idée est sûrement un peu extrême, mais pas si loin de
la réalité.
Certes, il existe déjà les principes d'exposition temporaire
reconduites dans d'autres musées ou encore les expositions
itinérantes spécifiquement conçues pour le déplacement.
Cependant, ces expositions ont toujours besoin d'une institution
ou d'un lieu culturel hôte, ainsi le problème des
publics non habitués à ces lieux reste le même.
D'autres dispositifs sur l'idée de la mobilité et du musée
véhicules ont été imaginés. C'est le cas du MuMo, le
musée mobile fondé par Ingrid Brochard en 2011.
D'abord aménagé dans un conteneur, le musée prend
aujourd'hui la forme d’un camion, redessiné par Nathalie
Crasset en 2017. Il a pour objectif de rendre l'art contemporain
accessible à un plus grand nombre et de partager
une expérience artistique et esthétique à travers toute la
France. Le philosophe Alain Kerlan en parle en ces mots
: " Le pari du MuMo porte sur la rencontre, l’événement
de la rencontre. [...] S’ouvrant au public de l’universelle
enfance dans le déploiement de sa structure ambulante.
(…) il faut que l’événement ait lieu, que naisse le face à
face avec l'œuvre dans l’innocence du regard, pour que la
rencontre et la reconnaissance adviennent. "
Ici le conteneur crée un espace d'exposition, bien qu'exigu,
le pari fonctionne et le MuMo continue de sillonner la
France. Mais peut-on envisager un musée sans musée,
sans bâtiment, sans containers ?
- 179 -
Le musée partout
Dans la série de courts métrages d'animation Love, Death
and Robots, l'épisode Zima Blue est particulièrement intéressant
dans son rapport à l’art et l’exposition. L’histoire
se concentre sur l’énigme de Zima et la vie de ce personnage
mystérieux. En parallèle, nous pouvons observer la
présentation de ses œuvres qui joue avec les limites du
possibles, proposant ainsi la question : Et s’il n’y avait plus
de limite à l’art ?
Les dispositifs d’exposition mis en place par Zima sont
toujours plus grands au point d’aller jusqu’à peindre des
bandes équatoriales de planètes gazeuses. Un jeu d’échelle
et de monstration de son art intéressant dans son accroissement
spectaculaire. Une histoire et des images étonnantes
qui questionnent autant la création que sa mise en
exposition. Qu'est ce qui a poussé Zima à peindre des
planètes en couleur monochrome ? L’art est-il sans limite
? Et irons-nous exposer un jour dans l’espace ?
Dans ce court-métrage, Zima expose partout mais surtout
toujours en extérieur et jamais dans le cadre d'un musée.
Il est intéressant de relever également que le public se
déplace auprès de ses œuvres, qu'elles soient au milieu
de la route, en plein désert, ou à plusieurs kilomètres de
hauteur au-delà de l'atmosphère.
Dans cet exemple, l'exposition prend place partout, le
musée se confond à l'espace urbain. Ces pratiques existent
déjà, comme par exemple avec le Street Art ou le Land
Art, mais peut-on réellement parler de musée ?
- 180 -
VALLEY Robert, Zima Blue,
épisode de la série Love, Death
and Robots, basé sur la nouvelle
éponyme de REYNOLDS
Alastair, Netflix, 2019.
- 181 -
Le musée sans limites
D'après l’architecte Yona Friedman, il est possible de créer
un musée sans bâtiment, c'est l'exposition qui fait musée.
"you can create a museum without a building, it is the exhibits
that make a museum"
Yona Friedman est un architecte et théoricien franco-hongrois
célèbre pour ses conceptions futuristes. Il fait
principalement de "l'architecture de papier" 88 , dessine des
villes fictives et des modèles d'anticipation et il est parfois
qualifié d'architecte utopiste.
Il a notamment inventé plusieurs concepts visionnaires
comme ceux d’" architecture mobile ", de " ville spatiale
", d’" utopie réalisable " ou encore d’" autoplanification
". Il accorde un rôle singulier à l'architecte favorisant la
construction par les habitants en mettant en valeur leur
capacité à s'adapter, à improviser et à créer. Pour lui, l'architecture
est un travail collectif où il est autant question
de bâti que de démocratie. Il utilise très souvent la bande
dessinée et les schémas pour exposer ses idées et les rendre
ainsi plus accessibles.
88. Historiquement,
l'architecture de papier désigne
des projets d'architectes, dessinés
ou gravés, réalisés ou non,
et dont certains sont publiés
comme modèles et sources
d'inspiration.
Yona Friedman s'est régulièrement intéressé à l'architecture
muséale. D'abord avec le Musée des technologies
simples, sur lequel il a travaillé de 1982 à 2018. Invité
en Asie du Sud par l'Unesco dans les années 1980, il y
étudie les techniques de l'architecture vernaculaire, qui
pourraient être utilisées pour répondre à des situations
d'urgence quand les ressources sont limitées. Il travaille
alors avec des pratiques artisanales existantes au sein
des communautés, telles que la vannerie et l'utilisation
d'échafaudages en bambou pour développer le Musée de la
technologie simple. À travers ce projet, il souhaite montrer
que le musée peut-être construit n'importe où, à partir
des techniques et matériaux locaux et surtout, de manière
collective avec les habitants.
- 182 -
(figure 1) Yona Friedman devant le Musée sans Bâtiment.
(figure 2) Musée des technologies simples, Yona Friedman, 1982-2018.
- 183 -
(figure 1) Dessin du Musée de la rue d'après Yona Friedman.
(figure 2) Musée du XXIe siècle d'après Yona Friedman.
- 184 -
D'autres projets seront menés par l'architecte dans la
même lignée comme celui du Musée sans Bâtiment imaginé
dans les années 1960, où une vingtaine de cubes conçus à
l'aide de grands cerceaux en acier sont disposés librement
sur un terrain.
Il reprend cette idée d'une structure de base type qui peut
être activée, modifiée et complétée par l'intervention des
artistes et des habitants avec un autre projet intitulé le
Musée de la Rue, imaginé dans les années 2000. Cette
fois-ci c'est une agglomération de cube et autres formes
transparentes qui sont placés dans divers espaces publics.
le Musée de la Rue a pris forme dans plusieurs villes,
proposant à chaque fois une identité historique et sociale
différente. C'est un espace libre, dans lequel les gens sont
invités à laisser un signe, un monument qui appartient à
tous en perpétuelle transformation et un véritable musée
public.
Enfin, Yona Friedman s’amuse également à transformer
l’existant à travers des photographies, proposant ainsi des
villes aux allures futuristes. Avec la série intitulée Musée
du XXIe siècle, constituée de photographies retouchées au
feutre et au correcteur blanc, il s’inscrit dans la continuité
du projet pour le Centre Pompidou et se rapproche de son
concept de musée de rue, cette fois-ci à l’échelle de tout
un quartier.
Tous ces musées imaginés par Yona Friedman sont réellement
fascinants et devraient, à mon sens, inspirer les
musées de demain. En plus de répondre aux problématiques
de l'accessibilité, de l'insertion sur les territoires
et de la mise en relation avec les habitants ; l'architecte
propose des projets basés sur le partage des connaissances,
l'ouverture des arts et le respect de l'environnement.
- 185 -
Le musée en réseaux
À la manière des matrices et des structures en trame développées
par Yona Friedman, le musée peut-il se penser au
réseau ? Peut-on imaginer une sorte de décentralisation
des musées nationaux pour élargir leur portée sur le territoire
?
Dans le cadre de la conférence "Quel musée en 2049" 89 ,
Didier Fusillier 90 nous parle des Micro-Folies, lieux
culturels implantés partout en France et dans le monde.
À la fois musée numérique, fablab, lieu de convivialité,
d’enseignement et de curiosité, les Micro-Folies ont pour
ambition de mettre l’art partout.
Didier Fusillier en parle comme d'une " matrice " que l'on
vient " greffer " à des lieux différents. Pour lui, le musée du
futur c'est le musée d'aujourd'hui mais connecté à d'autres
entités, c'est un réseau de connaissances, de cultures qui se
nourrissent les unes les autres. Il ajoute que le musée du
futur doit être " libre, immense et gratuit ".
89. Quel musée en 2049 ?,
conférences sur les musées dans
trente ans dans le cadre des
Rencontres 2049 de l'Obs, le
24 octobre 2019, à l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris.
90. D'abord metteur en scène, il
est depuis 2006 le président de
l'établissement public du parc et
de la grande halle de la Villette.
Ainsi les micros folie sont une autre manière d'amener le
musée sur tout le territoire. Le musée du futur est peut-être
un musée se multiplie et prolifère dans une matrice ou un
réseau interconnecté.
- 186 -
© Les Micro-Folies.
- 187 -
(figure 1) Marcel Duchamp, Boîte en Valise, 1942.
(figure 2) Joseph Cornell, Museum, 1942.
- 188 -
Le musée de poche
Enfin, nous pourrions imaginer que pour transporter
le musée il suffirait de le miniaturiser. À la manière de
Joseph Cornell, nous pourrions avoir chacun un petit
Museum caché dans notre poche.
En 1942, alors que Marcel Duchamp achève la construction
de sa Boîte en Valise, Joseph Cornell propose lui aussi
un musée en boîte. Dans cette petite boîte orange tapissée
de papier, vingt flacons de verres identiques sont soigneusement
rangés. Chacun de ces flacons contient un objet
différent, un souvenir préservé dans des micros vitrine,
créant de petits univers remplis de poésie et reflétant les
rêves et les fantasmes de l'artiste.
Dans une ère où l'image est omniprésente, où les œuvres
nous inondent, nous pourrions, à la manière du musée imaginaire
d'André Malraux, constituer chacun un nano-musée
empli de nos sensibilités. Un musée en réduction, un
musée pour soi qui représenterait la construction de notre
culture personnelle.
- 189 -
" J’appelle Musée imaginaire la
totalité de ce que les gens peuvent
connaître aujourd’hui même
en n’étant pas dans un musée,
c’est-à-dire ce qu’ils connaissent
par les reproductions, (…) les
bibliothèques. [...] Le Musée
Imaginaire est un phénomène
mental qui résulte d’une
expérience cumulative et visuelle.
C’est un domaine de formes qui
nous habite. C’est un espace
dépourvu d’existence physique,
n’existant que par et dans l’esprit
du spectateur et se matérialisant
par une proposition visible, la
photographie éditée… ".
91. MALRAUX André, Le musée
imaginaire, Gallimard, 1947.
- 190 -
André Malraux dans son bureau, photographie de Christian Deville.
- 191 -
Conclusion
La science-fiction m’a permis d'explorer différents
scénarios pour imaginer le futur du musée. À travers ce
voyage d’utopies en dystopies, cette recherche a permis
d'opérer un décalage, un pas de côté pour observer les
problématiques actuelles du monde muséal et son devenir.
Quel futur pour le musée ?
Dans cette analyse, j’ai pu observer quelques points de
tensions et de dérivations qui amènent le musée vers différents
avenirs possibles. Une des questions qui émerge
de cette exploration est : faut-il redéfinir le musée ? Le
musée doit-il se transformer pour répondre aux nouvelles
problématiques de la société ? Faut-il décloisonner les
limites, transgresser les codes ?
En réalité, il ne faut pas, à mon sens, une réponse unique
mais plutôt une pluralité de musées et de définitions. Il
faut tester, expérimenter et développer l'idée d'un musée
comme un laboratoire. Il existe autant de formes pour le
musée que de collections, de lieux et de communautés.
"les musées au lieu du musée"*
En 2020, alors que le monde était suspendu pendant la
crise sanitaire, et que les musées étaient fermés, András
Szántó 92 s'est intéressé au futur du musée, menant des
entretiens avec différents directeurs et directrices des institutions
du monde entier.
92. András Szántó, The Future
of the Museum : 28 Dialogues,
Berlin, Hatje Cantz, 2021, 320
pages
- 192 -
"nous voilà tous au beau milieu d’une
calamité à contempler un futur aussi
nouveau qu’incertain" 92
Dans son ouvrage, il dit que les membres de ce groupe
voient le musée comme un chantier sans fin qui n’obéit à
aucun modèle défini. Les musées comme " producteurs de
réalité " peuvent " montrer le chemin à nos sociétés " et
faciliter " l’engagement créatif des gens dans leur propre
avenir ". Ils placent alors la valeur du musée sur ses traits
intangibles, l’envisageant comme un " lieu d’équilibre " qui
" n’est pas stérile " mais " inclusif et empathique " – une
entité " vivante et expérimentale ", une " plateforme " qui
ne " vous prend pas de haut " et " semble un peu comme
une amie proche ".
C'est aussi de cette manière que j'aime envisager le futur
musée. Comme un organisme vivant, un écosystème
muséal, un laboratoire des imaginaires.
Utopie muséale ?
Le musée est un réel outil de société, j'aime à penser qu'il
pourrait prendre plus de place au sein de notre quotidien.
Comme le propose Michel Foucault dans son concept d'
"hétérotopie", pourrions-nous faire du musée la localisation
physique de l'utopie ?
93. cf. annexe; entretien avec
Christian Nottola, expert en
littérature de science-fiction.
" les musées que l’on imagine et que l’on
a imaginés jusque-là, dans le réel et la
science-fiction, ne sont qu’une part infime
de tous les musées possibles. " 93
- 193 -
- 194 -
Annexes
1. Entretien avec Christian Nottola,
expert en littérature de science-fiction.
2. Petite histoire du musée.
à gauche,
image réalisée dans le cadre de
la Revue des Possibles, journal de
bord de ce mémoire, 2022.
- 195 -
Entretien avec
Christian Nottola
Au cours d’un voyage de reconnaissance, nous avons fait la
découverte d’un cycle de conférences intitulé " Littératures
au futur, la science-fiction dans la littérature ". L’occasion
d’en apprendre plus sur l’histoire de la science-fiction, ses
origines, ses évolutions et ses différentes ouvertures sur le
monde.
Ce cycle est présenté par Christian Nottola que j’ai nommé
" expert en science-fiction " pour ses connaissances approfondie
dans ce genre littéraire. En plus de cela, il mène
un travail de partage, de diffusion et de transmissions de
ses savoirs et de sa curiosité. Il écrit, documente et mène
un véritable travail de recherche dans ce domaine. Il se
décrit aux confluences des sciences et de littérature (de
l’imaginaire) et en vue de ces qualités, il est devenu un
membre majeur de mon comité scient-fictif.
Christian Nottola, conférence
L'imaginaire à l'épreuve du futur,
dans le cycle "Littérature au
futur", à la Bibliothèque Robert
Desnos, Montreuil, 1er avril
2023.
- 196 -
Qui est Christian Nottola ?
Après des études d’ingénieurs en parallèle de la préparation
à Science Po, il réalise un diplôme d’étude approfondie
en économie internationale à Dauphine. Il exerce
dans les domaines des mathématiques et de l’économie et
démarre ainsi sa carrière à la Banque de France. Là-bas,
il s’est vu confié la direction d’un centre de recherche sur
l’intelligence artificielle qui venait d’être créée. Il a ensuite
quitté la banque de France et a exercé à France Active en
tant que directeur des systèmes d’information à Montreuil.
Christian Nottola est aujourd’hui retraité depuis 2023.
Depuis petit, Christian s’intéresse à la littérature et
notamment à la science-fiction. Étant passionné de science
et de littérature, il affirme qu’il était comme naturel pour
lui d’aller à la confluence de ces deux passions à laquelle il
trouve la science-fiction.
Il a écrit de nombreuses chroniques pour le magazine
numérique Actu SF, une revue spécialisé dans la littérature
de l’imaginaire. Il anime régulièrement des conférences
et des ateliers pour les jeunes à la bibliothèque
Robert Desnos de Montreuil. Il est également l’auteur de
nombreuses nouvelles de science-fiction dans lesquelles il
explore les thèmes et les questionnements qui l’animent.
Le sujet de nos discussions l’ayant inspiré, il a écrit
plusieurs nouvelles sur le musée et va très bientôt publier
un recueil regroupant toutes ces histoires.
- 197 -
Que représente le musée pour vous ?
Comment le définir ?
" Le musée est un lieu ailleurs, à part. Dans la science-fiction,
il est donc susceptible de couvrir toutes les horreurs
et toutes les histoires plus étranges les unes que les autres,
par ce mystère qui laisse place à toute l’imagination ".
Ayant toujours été fasciné par les savoirs et la connaissance,
Christian s’est très vite intéressé au musée. Il dit que
dans le désir d’une bibliothèque ou d’un musée à vouloir
atteindre l’universel, il y a à la fois un projet très prétentieux,
mais également un souhait qui vise à une certaine
élévation de l’humain, et c’est cela qu’il trouve le musée
fabuleux.
Mais contrairement à une bibliothèque ou une université,
le musée ajoute une vision " autre ". Avec à la fois une
volonté de tout représenter, tout le vrai, tout le passé, toute
l’histoire, il est un lieu de connaissance et du réel, mais il
est aussi un lieu qui permet d’ouvrir sur d'autres univers
(pour lui, chaque œuvre est une ouverture sur une sorte
d’univers parallèle).
" Au musée, on est mis à l’épreuve de la diversité et de
l’inconnu. On peut être curieux de découvrir des choses
que l’on ne connaissait pas et découvrir les histoires qui
se cachent derrières les objets exposés. Le musée permet
d’ouvrir de nouvelles perspectives sur le monde, un peu
comme la littérature de science-fiction. "
Pour Christian, le musée est aussi là pour rétablir une
certaine vérité scientifique, des faits. Pour le passé, il s’agit
d’une vérité historique, pour le futur, d’une vérité de là où
l’on doit aller.
- 198 -
Parler de futur au musée, est-ce incompatible ?
Le musée n'est pas seulement un espace dédié au passé, il
peut aussi être un espace dédié au futur. Cette question est
assez nouvelle, ce n'est pas quelque chose qu'on rencontre
dans les musées du XIXe ou du XXe siècle. Récemment,
cette idée émerge par un croisement avec la science-fiction,
l'anticipation, la prospective, et cette idée de " que
sera demain ? ".
L'idée du futur n'est pas absente du musée initialement.
Le musée a vocation à préserver et conserver le passé, et ce
pour l'avenir. Il s'inscrit donc déjà dans une idée de futur.
Le futur représenté aujourd’hui dans les musées est de
deux natures :
Soit, comme au musée de la science-fiction en Suisse, par
représentations de ce qui a été imaginé dans les œuvres
de SF (objets, créatures, espaces, …). On est ici plus dans
l’idée d’un " futur imaginaire ".
Soit, par des extrapolations scientifiques. Des scientifiques
nous disent ce qui existera dans 10 ans, ou 20 ans
… On est ici dans un " futur prophétisé " par des experts
comme avec les questions de climat ou de danger pour la
biodiversité. Il y a tout de même une part d’anticipation et
d’incertitude dans ces futurs.
- 199 -
Pensez-vous que la science-fiction a un rôle à jouer dans
la recherche ?
La science-fiction est déjà présente dans certains domaines
de recherche, même si cela reste encore très rare. Nous
avons évoqué l’exemple de la Red Team, un groupe de
recherche pour l'armée française qui a fait appel à des
auteurs de science-fiction pour imaginer des scénarios
futurs.
Christian pense qu'il y a un réel intérêt à intégrer des
auteurs de science-fiction dans les groupes de recherche.
Dans le cas de la Red team, les auteurs de science-fiction
sont utiles, car ils savent faire preuve d'imagination et faire
l'exercice de se projeter dans l’avenir, il leur est donc plus
facile d'imaginer des scénarios très différents. En plus de
cela, ils viennent généralement avec un large bagage de
références qui leur permettent une vision très large des
futurs possibles.
De l'autre côté, les militaires, ont une connaissance de la
réalité du terrain et des compétences techniques et stratégiques
dans leur domaine. Ensemble, ils imaginent alors
des scénarios et des réponses possibles.
Ce groupe de recherche pose quand même question :
pourquoi l'État a choisi l'armée comme première expérience
de la science-fiction en recherche ? Pourrait-on
imaginer ce type de recherche-fiction dans d'autres
domaines ?
D’après notre expert, cette démarche devrait être utilisée
partout et dans tous les domaines de la recherche. : la
science-fiction peut apporter beaucoup, et c'est un filon
qui n'est pas suffisamment utilisé dans la recherche. Il
y a de vraies mines là-dedans dont on n’imagine même
pas la pertinence ! On a toujours considéré l’imaginaire
et la créativité comme étant incompatible avec la rigueur
des sciences. Pourtant, lorsqu'on observe les conditions
de la création, et notamment des grandes découvertes,
- 200 -
on y trouve beaucoup de lectures, de l'imagination et de
l'inventivité, des choses qui n'avaient rien à voir avec la
science.
Prenons l'exemple d’Einstein, lorsqu'il crée la relativité, il
se pose la question comme un enfant. Tout simplement
la question de l'espace et du temps. Il fait comme s'il
n'avait rien appris et comme s’il découvrait à nouveau le
monde dans les yeux d'un enfant. Cette " régression " lui
permet de voir les choses autrement et de rebattre, à lui
seul quasiment, les cartes et l'idée du temps.
Mais l'on peut déjà se contenter de lire, et d'aller chercher
des références de science-fiction pour obtenir un panorama
assez large des possibles (et des impossibles).
La science-fiction peut aussi ouvrir la capacité à imaginer,
se poser des questions et ne pas voir les choses comme tel.
Dans la science-fiction, on peut avoir des choses totalement
délirantes, mais en creusant, on peut voir des choses
qui se détache des prévisions qui sont faites, ce sont des
pistes à explorer !
" La science-fiction, je la vois
moins comme un objet littéraire,
que comme un vivier de thèmes
et d’idées sur la transformation
des objets ou des êtres actuels ou
imaginaires. "
- 201 -
Regard d’un mathématicien et expert en IA sur la création
Christian Nottola voit dans l'imaginaire une sorte de
structure mathématique. On peut retrouver des notions
fondamentales, qu'il appelle aussi fonction primaire, par
exemple celle de la transformation des volumes : petit,
grand, mince ou encore des mouvements à l’arrêt, rapide,
lent …
Ces notions peuvent être modifiées en effectuant des
translations avec le réel. En prenant l’exemple de Gulliver,
on observe que dans certaines histoires, il est tout petit
face à des géants, dans une autre, il est confronté à des
lilliputiens. La fonction primaire utilisée est celle de
réduction ou d’augmentation.
En appliquant cette fonction, cette translation a un objet,
une chose courante, on bascule alors dans le domaine de
l’imaginaire.
Par la transformation d’un élément, on peut modifier la
perception des choses et ainsi imaginer un scénario de
fiction. Si l’on énumère ces notions clés à la base de notre
imagination, on peut les appliquer de manière systématique.
La question qui se pose est ainsi : peut-on automatiser la
créativité ?
D’après Christian, si l’on rentre ces fonctions dans un
ordinateur ou dans la commande d’une IA, on peut le
rendre capable de générer des idées.
- 202 -
" On peut trouver de la créativité dans les
mathématiques. Les mathématiques sont
une panoplie d’outils pour interroger le
monde. "
Il envisage de créer un programme pour générer des
histoires de science-fiction, comme un protocole, un
processus pour créer des idées de récits.
Si on réfléchit de cette manière, on peut analyser chaque
œuvre sous l'angle de la translation qui a été effectué avec
le réel. Ainsi, on peut se demander pourquoi certaines
fonctions ne sont pas ou très peu utilisées et cela ouvre
alors de nouvelles pistes à explorer.
Des imaginaires dominants ?
En divaguant un peu vers la fantaisie, nous avons trouvé
intéressant de se demander : pourquoi la figure du dragon,
de l'elfe, ou de la licorne ? Pourquoi ces figures ont pris
cette importance jusqu’à devenir une sorte d’imaginaire
dominant ?
De la même manière, on peut se demander dans la
science-fiction pourquoi les aliens verts, les voitures
volantes et les armes laser ? (Et pas les aliens volants, les
voitures laser ou les armes vertes ?)
Pourquoi ces figures restent et se répètent dans les récits et
d'autres non, alors que l'on pourrait en créer une infinité ?
La littérature fait évoluer les imaginaires, et a un moment,
quand une œuvre devient phare et reconnue de tous, elle
va fixer les éléments (par exemple Tolkien fixe la figure de
l’elfe et du nain). Certaines œuvres référentes figent les
possibles. Il y a donc une sorte de " sélection naturelle "
parmi ces possibles.
- 203 -
" Si l’on veut comprendre la SF,
(mais aussi peut-être dans le
domaine muséal), il faut se poser
la question : qu’est-ce qui existe
par rapport à tous les possibles ?
Ainsi, on s’aperçoit que ce qui
existe n’est qu’une infime partie
de tous les possibles.* ".
*évidement on ne peut pas lister
tous les possibles, mais on peut
déjà fixer un cadre général.
Christian le place avec son idée
mathématique de l’imaginaire.
Il est intéressant de prendre cette conscience-là dans
ma recherche sur les musées : " les musées que l’on
imagine et que l’on a imaginé jusque-là, dans le réel et
la science-fiction, ne sont qu’une part infime de tous les
musées possibles. "
- 204 -
La nécessité de la pluralité des imaginaires dans la création
Nous concluons notre entretien sur l'idée suivante : la
nécessité d'enrichir son imaginaire.
Selon Christian, lire est un réel acte créatif dans le sens
où cela bouscule notre imaginaire. Notre environnement,
notre présent va se télescoper avec les imaginaires que
l'on rencontre au gré de nos lectures. Ces récits peuvent
modifier notre perception et générer d'autres façons de
penser.
Et on peut voir dans certaines dystopies, lorsque l’imaginaire,
la culture, les livres ou encore les musées, ne sont
plus présents, ou même interdit, alors il n’existe plus qu’une
seule manière de penser régie par le pouvoir.
Après Christian, il y a un enjeu civilisationnel à être créatif
et à faire appel à l'imaginaire : " sans cela, on serait encore
dans les cavernes ! ". Pour lui, les deux ingrédients essentiels
de la création sont donc la volonté et l’imagination.
- 205 -
- 206 -
- 207 -
- 208 -
Corpus :
les musées de science-fiction
LIVRES
BRADBURY Ray, Fahrenheit 451, Ballantine Books,
1953.
CLARKE Arthur C., 2001 : L’Odyssée de l’espace, Hutchinson,
1968.
EHRLICH Max Simon, Le grand décret, JC Lattès, 1972.
GUNN James E., Kampus, Albin Michel, 1977.
IMBERT Marguerite, Les flibustiers de la mer chimique,
Albin Michel, 2022.
LIMAT Maurice, Le Carnaval du cosmos, Fleuve, 1978.
ORWELL Georges, 1984, Secker and Warburg, 1949.
ROBIDA Albert, Le Vingtième Siècle, Georges Decaux,
1883
VELTEN Aurianne, After®, Gallimard, 2022.
WELLS H.G., La Machine à explorer le temps, Londres,
Heinemann, 1895.
ZAMIATINE Evgueni, Nous autres, Paris, Gallimard,
1929.
à gauche,
Rocksteady, Batman: Arkham
City, WB Games, 2011.
- 209 -
NOUVELLES
BRUSSOLO Serge, Trajets et itinéraires de l’oubli, issu du
recueil de nouvelles Aussi lourd que le vent, Paris, Denoël,
1981.
BRUSSOLO Serge, Procédure d'évacuation immédiate des
musées fantômes, Denoël, 1987.
DUNYACH Jean-Claude, Autoportrait, Denoël, 1986.
H.V. Chao, Le musée du futur, Issue de la revue Angle mort
n°13, Angle mort, 2019.
MARTINIGOL Danielle, Rémanences, 1115, 2018-2019.
NOTTOLA Christian, Musées miroirs, miroirs brisés,
recueil pas encore publié, 2023.
Ouvrage collectif, Musées, des mondes énigmatiques, réalisé
à l’initiative du ministère de la Culture et de la Communication,
Denoël, 1999.
BANDE DESSINÉE
CHAVOUET Florent, L’île Louvre, Futuropolis et
Louvre Éditions, 2015.
CHI TAK Li, Moon of the moon, Futuropolis et Louvre
Éditions, 2019.
Ouvrage collectif de 8 auteurs japonais et taïwanais, Les
rêveurs du Louvre, Futuropolis et Louvre Éditions, 2016.
DE CRÉCY Nicolas, Période glaciaire, Futuropolis et
Louvre Éditions, 2005.
INFANTINO Carmine et FOX Gardner, Musée de
l’Espace, DC Comics, 1954-1964.
LEVALLOIS Stéphane, Léonard 2 Vinci, Futuropolis et
Louvre Éditions, 2019.
MATHIEU Marc-Antoine, Les Sous-sols du Révolu, Futuropolis,
2006.
OISEAU Lorrain et MORIN Maxime, Anthropocène
- 210 -
Muséum, Exemplaire, 2023.
PEETERS Benoît (écriture) et SCHUITEN François
(illustration), Revoir Paris - intégrale, Casterman, 2018.
TANIGUCHI Jirō, Les gardiens du Louvre, Futuropolis et
Louvre Éditions, 2020.
FILMS
BURTON Tim, Batman, 1989, 126 mn.
COOGLER Ryan, Black Panther, 2018, 134 mn.
GUNN James, Les gardiens de la galaxie, 2014, 121 mn.
KOGONADA, After Yang, 2022, 101 mn.
KUBRICK Stanley, 2001, l’Odyssée de l’espace, 1968, 149
mn.
MARKER Chris, La Jetée, 1962, 28 mn.
NOLAN Christopher, Interstellar, 2014, 141 mn.
NOYCE Phillip, The Giver, 2014, 97 mn.
RIVERS Christian, Mortal Engines, 2018, 128 mn.
SCHAFFNER Franklin, La Planète des singes, 1968, 112
mn.
SPIELBERG Steven, Jurassic Park, 1993 128 mn.
WIMMER Kurt, Equilibrium, 2002, 107 mn.
SÉRIES
BROOKER Charlie, Black Museum, épisode de la série
Black Mirror, Netflix, 2017.
GROENING Matt et COHEN David X., Futurama,
The Curiosity Company et 20th Century Fox Television,
depuis 1999.
HARMON Dan et ROILAND Justin, Rick et Morty,
depuis 2013.
PINFIELD Mervyn, The Space Museum, épisode de la
série Doctor Who, BBC, 1965.
- 211 -
VALLEY Robert, Zima Blue, épisode de la série Love,
Death and Robots, basé sur la nouvelle éponyme de
REYNOLDS Alastair, Netflix, 2019.
JEU VIDÉO
Bethesda Game Studios, Fallout 3 et Fallout 4, Bethesda
Softworks, 2008 et 2015.
BioWare Montréal, Mass Effect: Andromeda, Electronics
Arts, 2017.
Bungie, Destiny 2, Activision, 2017.
Digital Extremes, Warframe, 2013.
Insomniac Games, Marvel's Spider-Man: Miles Morales,
Sony Interactive Entertainment, 2020.
Littlefield Studio, Machinika Museum, Plug In Digital,
2021.
MachineGames, Wolfenstein: The New Order, Bethesda
Softworks, 2014.
Morbius Digital, Outer Wilds, Annapurna Interactive,
2019.
Naughty Dog, The Last of Us Part II, Sony Interactive
Entertainment, 2020.
Rocksteady, Batman: Arkham City, WB Games, 2011.
2K Boston/2K Australia, BioShock, 2K games, 2007.
- 212 -
ART CONTEMPORAIN
RATTÉ Sabrina, Floralia, 2021.
KIPPENBERGER Martin, The Modern House of
Believing or Not, 1985.
THÉÂTRE
RAFFIER Tiphaine, texte et mise en scène, La réponse des
hommes, scénographie de Hélène Jourdan, 2020.
- 213 -
Bibliographie, sitographie
OUVRAGES LUS
BAUDRILLARD Jean, L’effet Beaubourg, Galilée, 1977.
BORDAZ Robert, Le Centre Pompidou: une nouvelle
culture, éditions Ramsay, 1977.
ECO Umberto, PEZZINI Isabella, Le musée, demain,
Casimiro, 2015.
MACGREGOR Neil, À mondes nouveaux, nouveaux
musées : Les musées, les monuments et la communauté réinventée,
Hazan Eds, 2021.
NOUVEL Jean et PARENT Claude, Musées à venir,
Actes Sud, 2016, né de l’exposition présentée en 2016 à la
Galerie Azzedine Alaïa.
PEREGALLI Roberto, Les lieux et la poussière, Aléa,
2010.
SOMPAIRAC Arnaud, Scénographie d'exposition: six perspectives
critiques, Métis Presses, 2016.
SZANTO András, The Future Museum: 28 Dialogues,
Hatje Cantz, 2021.
- 214 -
OUVRAGES CONSULTÉS :
BISHOP Claire, Vers un musée radial, Réflexions pour une
autre muséologie, MKF, 2013.
FOUCAULT Michel, "Des espaces autres", dans la revue
Empan 2004, n°54, Espaces du social et du soin, pages 12 à
19, éd. Érès.
HUSTON Nancy, L’espèce fabulatrice, Acte Sud, 2008.
MALRAUX André, Le musée imaginaire, Gallimard,
1947.
MOLLON Max, Design pour débattre [en ligne], thèse de
design, EnsadLab, Paris, 2019.
NOUVEL Jean et PARENT Claude, Musées à venir,
Actes sud, 2016.
PAPANEK Victor, Design pour un monde réel : Écologie
humaine et changement social, Les presses du réel, août
2021, édition originale 1971.
POMIAN Krzysztof, Le musée, une histoire mondiale,
Gallimard, 2020.
SCHAER Roland, L’invention des musées, Gallimard,
1993.
ARTICLES ET ESSAIS
BUTT Amy, The Present as Past: Science Fiction and the
Museum, Open Library of Humanity Journal, 2021.
CROWLEY John, The Next Future, à l’adresse suivante :
https://www.laphamsquarterly.org/future/next-future
EIDELMAN Jacqueline, Rapport de la mission "Musées
du XXIe siècle", pour le Ministère de la Culture, 2017.
- 215 -
LACAZE Julie, " L'effet Bilbao " : les stars de l'architecture
au secours des villes en déclin, National Geographics, 2019,
à l’adresse suivante : https://www.nationalgeographic.fr/
photographie/2019/05/leffet-bilbao-les-stars-de-larchitecture-au-secours-des-villes-en-declin
THÉVENET Elisa, " La science-fiction aborde des enjeux
planétaires : entretien avec trois maîtres de la SF", journal Le
Monde [en ligne], publié en mai 2019.
TRIQUET Eric, "Le récit dans la médiation des sciences et
des techniques", Culture & Musées, n°18, 2011.
PODCASTS
BONNEC Sidonie, Minute Papillon !, "À quoi ressemblera
le musée du futur ?", France Bleu, le 04/10/2021, avec
l’invité Valentin Schmite, 19’, retranscription à l’adresse
suivante : https://www.francebleu.fr/emissions/minutepapillon/a-quoi-ressemblera-le-musee-du-futur
ERNER Guillaume, L’invité(e) des matins, "Les nouvelles
révolutions culturelles", avec Philippe Coulangeon et Neil
MacGregor, France Culture, le 24/11/2021, 42’, retranscription
à l’adresse suivante : https://www.franceculture.
fr/emissions/l-invite-e-des-matins/l-invite-des-matinsdu-mercredi-24-novembre-2021
MUGNIER Hélène et DE FONT-RÉAULX
Dominique, Quel avenir pour l’expérience muséale ?, Revue
Esprit, France Culture, Musée du Louvre, enregistré en
février 2020, disponible à l’adresse suivante : https://
www.franceculture.fr/conferences/revue-esprit/quel-avenir-pour-lexperience-museale
Quel sera le musée de demain ?, Réunion des Musées
Nationaux - Grand Palais, retranscription conférence à
l’auditorium, mars 2016.
- 216 -
Sens-Fiction, Les futurs désirables, RF Studio & son Bureau
des Usages, en collaboration avec Adorable, octobre 2020,
5 épisodes de 15’.
EXPOSITIONS
Catalogue de l’exposition Sens-Fiction, Quand la fiction
augure des usages, [ en ligne ] éd. du site Comité d’organisation
de Lille Métropole 2020, World Design Capital &
RF Studio, disponible à l’adresse suivante : https://www.
sens-fiction.org/fr/
Catalogue d’exposition, Le musée imaginé, Et si l’art disparaissait
? [en ligne], Centre Pompidou-Metz, collections
du Tate, MMK et du Centre Pompidou, du 19/10/2016
au 27/03/2017, disponible à l’adresse suivante : https://
www.centrepompidou-metz.fr/sites/default/files/issuu/
dp_un-musee-imagine-bd_0.pdf
Musée "Maison d’Ailleurs", Yverdon-les-bains, Suisse,
1976
MÜLLER Alexandra (commissaire d’exposition), Les
Portes du possible, Centre Pompidou-Metz, 2022 - 2023
PEETERS Benoît et SCHUITEN François, Musée des
Ombres, 1990 - 1991.
SZEEMANN Harald, Science fiction, 1967 - 1968.
- 217 -
COLLOQUES ET CONFÉRENCES
Le collectif HAWAF, Sahab, le musée des nuages, MUCEM,
2022.
Colloque Quel Musée en 2049 ?,retranscription [en
ligne], organisé par le Journal l’OBS, octobre 2019, École
des Beaux-Arts de Paris, 2h 3’, disponible à l’adresse
suivante : https://www.nouvelobs.com/2049/20191024.
OBS20258/que-seront-les-musees-dans-30-ans-suiveznotre-conference-en-direct.html
Conférence L’exposition dans tous ses états, organisée par
la Fédération XPO, salon SITEM, septembre 2021,
Carrousel du Louvre, Paris.
Festival des idées Paris, table ronde L’Anthropocène et les
pratiques artistiques, patrimoniales, muséographiques, CRI,
novembre 2021.
ICOM France, captation du débat De quoi le musée est-il
le nom ? [en ligne], Conseil International des Musées
France, novembre 2020, disponible à l’adresse suivante :
https://www.icom-musees.fr/actualites/de-quoi-museeest-il-le-nom-captations
UNESCO, débat en ligne, Réflexions sur l'avenir des musées
[retranscription vidéo], 18 mars 2021, 3h 58’, postée le 26
mars 2021.
- 218 -
SITES INTERNETS
Collectif ZANZIBAR, page d’accueil, Minifeste [en
ligne], éd. collectif Zanzibar, disponible à l’adresse
suivante : http://www.zanzibar.zone
MOTHA, Museum Of Transgender History and Arts,
https://www.motha.net
Site officiel de la Gaîté Lyrique, Quel(s) futur(s) pour le
design fiction ? [en ligne], Design Fiction Club, Saison 2
#4, publié en mai 2019, disponible à l’adresse suivante :
https://gaite-lyrique.net/evenement/quels-futurs-pourle-design-fiction
Site officiel du Design Fiction Club, page d’accueil [en
ligne], © Max Mollon , 2017, disponible à l’adresse
suivante : https://designfictionclub.com/bienvenue#design-fiction-
- 219 -
- 220 -
Glossaire
[petit glossaire imaginaire des mots plus ou moins inventés pour nourrir la recherche]
Muséonaute (n.) :
Littéralement, la contraction de
"musée" et du terme issu du grec
ancien -mouseîon, -naútês pour
"navigateur". Le muséonaute
désigne donc les individus qui
naviguent à bord du musée, les
voyageurs des musées, ou plus
communément appelé aussi
public, visiteurs, ou curieux.
Muséiste (n.) :
À ne pas confondre avec "muséonaute"
(ceux qui naviguent), un
"muséiste" désigne ceux qui font
le musée, ceux pilotent le vaisseau.
Il permet de regrouper tous ceux
qui activent les fonctions de ce
lieu (conserver, protéger, soigner,
vulgariser, étudier, rechercher,
éduquer, exposer, …).
Aucun mot n’existe pour définir
les professionnels du musée :
"L'ICOM existe avant tout pour
servir les intérêts des "professionnels
des musées", mais il est
presque aussi difficile de définir
un professionnel de musée que
les musées eux-mêmes. [...] Une
personne qui joue ou compose
de la musique est un.e musicien.
ne, celle qui fait du droit est un.e
juriste, mais, jusqu'à présent,
le seul équivalent que l'on soit
parvenu à inventer pour les
musées et "professionnels de
musée", formule maladroite et un
tantinet ridicule. [...] Peut-être
que "muséiste" conviendrait-il."
[Musées et monuments: le rôle
pionnier de l'UNESCO, Hirosbi
Dazfikzr, 1998]
Scienti-fiction (n.f.) :
Ce terme a été inventé par Hugo
Gernsback comme contraction
de "scientifique" et "fiction" et
défini dans le premier numéro
d'Amazing Stories en avril
1926. Il évoluera par la suite
pour devenir officiellement
"science-fiction" en 1929.
Dans le cadre de la recherche, ce
mot et ses différentes dérivées
serviront à décrire un processus
de recherche qui croise les
sciences et les fictions, c'est-àdire,
se basant sur des écrits à la
fois théoriques, sociologiques,
philosophiques mais aussi des
œuvres de science-fiction. La
recherche elle-même joue avec la
fiction imaginant des contextes
fictifs, des personnages qui y
prennent part et un jeu de rôle de
"chercheuse scienti-fictive".
Dérivées (adj.) : scienti-fictif,
scienti-fictive.
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Musées des (im)Possibles
La science-fiction comme médium exploratoire.
Tiré en trois exemplaires.
Achevé d'imprimer en mai 2023.
Tous droits réservés.
Pauline HUTIN
École des Arts Décoratifs Paris
Master Scénographie
2022/2023
Direction de mémoire par Véronique Massenet.
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I- grand titre en blanc
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