Domenico PIOLA, Le Repos de la Sainte Famille durant la fuite en Egypte

Domenico PIOLA (Gênes, 1628 – id., 1703)
Le Repos de la Sainte Famille durant la fuite en Egypte
Vers 1665-1670
Huile sur toile, H.123 ; L.975cm
Paris, Chapelle Sainte-Thérèse
EXPOSITION
La forma della meraviglia. Capolavori a Genova, 1600-1750, Gênes, Palazzo
Ducale, 2022
La chapelle Sainte-Thérèse doit sa création à Céleste et François René de Chateaubriand. Dès
1810 ils créent un établissement pour des dames de la haute société, ruinées par la Révolution, et des
ecclésiastiques âgés. Le bâtiment initial, fort exigu, est remplacé par un édifice plus important en 1827
qui obtient du pape le statut d’autel privilégié. Si seulement deux tableaux de la fondation, une Sainte
Thérèse de François Gérard et une Annonciation de Jean Joseph Ansiaux subsistent, d’autres tableaux
furent commandés par Céleste de Chateaubriand ou obtenus de la maison du Roi. Le Repos de la Sainte
Famille durant la fuite en Egypte n’a pas fait partie du fonds initial ; il a été déposé en 2016 dans la
chapelle à la suite de sa restauration et de son identification par Philippe Mendès. Son intuition a
depuis été reconnue par l’ensemble de la critique.
Domenico Piola est l’une des figures essentielles de l’art génois de la seconde moitié du XVII e
siècle. Son atelier réunissant ses frères, neveux et quelques autres artistes sous le nom de “Casa Piola”
fut l’un des plus prolifiques du temps. Le tableau redécouvert à Paris est cependant exceptionnel par
sa qualité. La composition, la touche, la sensibilité aux lumières sont autant d’éléments révélés par la
restauration qui dormaient jusqu’alors sous un important encrassement. L’intervention de Tiago de
Souza Martins, Dalila Druesnes, Clémentine Monnoyeur et Emmanuel Joyerot, grâce à un mécénat de
la galerie Mendes, fut essentiel pour permettre de découvrir aujourd’hui l’œuvre dans toute sa
splendeur.
Le thème retenu est issu d’une brève mention de l’évangile selon saint Matthieu plus
abondamment traité dans le texte apocryphe (évangile non retenu dans le corpus de la Bible) du
Pseudo-Matthieu, seul texte décrivant précisément l’instant où l’Enfant ordonne au palmier de se
courber afin que sa mère puisse en goûter les fruits après que Joseph en ait signalé l’impossibilité en
raison de la hauteur des branches. Si les différents miracles, dont les récits se sont constitués
progressivement de la basse antiquité au Moyen âge, sont majoritairement rejetés du corpus pictural
autorisé par l’Église depuis la fin du XVI e siècle, celui du palmier survit. La dimension miraculeuse est
souvent gommée au profit d’une simple variation sur le thème de la Vierge à l’Enfant ou de la Sainte
Famille dans un paysage. Toutefois, Piola donne une forte emphase à la représentation en faisant
participer trois anges au miracle du palmier
Piola propose ici un cadrage particulièrement resserré et une évocation très rapide du paysage
pour se concentrer sur les figures. La place accordée à la Vierge renforce la monumentalité de la figure
que vient souligner le drapé ample. L’essence de l’œuvre repose sur une forte diagonale montrant des
ruines antiques sur lesquelles se dresse l’Enfant, symbole de la nouvelle religion se dressant sur l’échec
du paganisme. La ligne de force se poursuit en suivant le regard de Jésus et de sa mère,
immédiatement rejoint par le mouvement du palmier et des anges. Cette structuration de l’image fut

déjà expérimentée dans des dessins et tableaux par Piola qui donne ici une nouvelle force à la
représentation en n’incluant pas Joseph à cette même ligne. Au contraire, il vient assurer un équilibre
au tableau en assurant une ligne horizontale avec deux angelots du côté opposé.
Le choix de ce cadrage très resserré, la maîtrise parfaite de la composition et son inscription
dans un cheminement progressif du peintre dans son traitement du sujet permet d’envisager le
tableau entre la fin des années 1660 ou le tout début de la décennie suivante. A cette période Piola
donne une nouvelle monumentalité à sa peinture en usant notamment de proportions plus
importantes que précédemment et en dotant ses personnages d’amples drapés. Le manteau bleu de
la Vierge sert particulièrement cette ambition et donne une force lumineuse à l’œuvre peu commune.
Dans sa structuration de la scène tout en mouvement, Piola pousse jusqu’à l’excellence le jeu
lumineux : les anges et le palmier projettent une ombre sur Marie qui voile en partie son visage mais
pas son regard. L’alternance entre ombre et lumière, auquel répond également l’arrière-plan crée un
rythme visuel qui renforce les qualités presque ductiles de la touche du grand maître génois. Son style
est particulièrement sensible dans les physionomies de chacun des personnages. Le choix des couleurs
enfin est tout à fait caractéristique de la palette de Piola avec un bleu particulièrement dense qui
rythme le cœur de la composition, un vert presque acide alimenté de jaune pour le palmier et
quelques touches de rouge ou d’ocre jaune relativement tendre.
Corentin Dury