Lien n°79
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“On traverse une forêt en poussant<br />
nos vélos, ma sonnette cogne une<br />
branche, la baffe de ma jeune vie. Il<br />
pleuvait, pleuvait, pleuvait. Arrivés<br />
de l’autre côté, papa m’enlève<br />
blouson, pull, chemise et me frotte<br />
avec du papier journal, pris je ne<br />
sais où.<br />
Outre Friedrich, Anna et leurs<br />
enfants, Selene, son mari Arpad<br />
Bogyansky et d’autres personnes<br />
font partie des fugitifs.<br />
Mais Arpad est arrêté et incarcéré au<br />
camp de Drancy. Le 25 août 1942,<br />
il écrit à Selene : “Mon amour, ne<br />
t’inquiète pas. Je vais endurer cela.<br />
Porte-toi bien, bisous à tous, Body.”<br />
Ce sera son dernier signe de vie. Le<br />
31 août, il est déporté pour Auschwitz<br />
et assassiné. Dix-huit mois plus tard,<br />
Selene, restée à Martizay, est arrêtée<br />
et déportée à Auschwitz à son tour.<br />
En novembre 1942, les Allemands<br />
occupent la zone libre du sud de la<br />
France. La situation de la famille Kurz<br />
devient de plus en plus précaire.<br />
Friedrich installe sa famille dans<br />
le petit village de Boncelin, dans la<br />
Laura-Johana Stark, la mère d’Anna<br />
Kurz. Vienne, avant la guerre<br />
banlieue d’Aix-les-Bains, où il loue un<br />
appartement au rez-de-chaussée. A<br />
l’étage, habitent la propriétaire et sa<br />
fille.<br />
Friedrich travaille dans les champs<br />
du médecin du village ; il cultive des<br />
légumes et divise sa récolte avec le<br />
praticien. Les enfants vont à l’école<br />
et les dimanches, la famille se rend<br />
à l’église. Friedrich forme les jeunes<br />
locaux au football et Henry chanté<br />
dans la chorale. Un jour, un groupe<br />
de soldats allemands viennent dans<br />
le champ où Friedrich et ses enfants<br />
s’occupent des légumes. Ils ont<br />
l’intention d’habiter la maisonnette<br />
abandonnée au fond du jardin.<br />
Mais plus de peur que de mal. Les<br />
Carte envoyée de Drancy par Arpad Bogyansky<br />
à sa femme Selene à Martizay, 25 août 1942.<br />
Selene Kurz-Bogyansky et son second mari Arpad Bogyanski. France, 1942<br />
Allemands se moqueront de leur<br />
peau blanche et leur donneront<br />
régulièrement de grosses miches<br />
de pain. La famille Kurz continuera<br />
sa routine quotidienne, même<br />
après l’arrivée des Allemands dans<br />
la région. Ils rentrent à Paris moins<br />
d’une semaine après la libération et<br />
reprennent leur activité d’imprimerie.<br />
Henri avoue :<br />
“J’ai presque honte de le dire, mais<br />
dans la mesure où nous étions<br />
ensemble, malgré des conditions<br />
de vie plutôt spartiates, j’ai mené,<br />
pendant toute cette période, la vie<br />
presque normale d’un petit garçon<br />
de mon âge.”<br />
A la fin de la guerre, Suzanne<br />
apprend avec une certaine tristesse<br />
qu’elle n’est pas catholique, mais<br />
juive. Elle commence à aller à l’école,<br />
et Henri fréquente le lycée Voltaire.<br />
En 1952, Friedrich, Anna, Henry et<br />
Suzanne immigrent en Israël.<br />
Ils sont les seuls de la famille à avoir<br />
survécu à la Shoah. Le 31 août 1942,<br />
Laura-Johana Stark a été déportée<br />
de Vienne en Biélorussie où elle<br />
a trouvé la mort. Le même jour,<br />
en France, Arpad Bogyansky était<br />
déporté de Drancy à Auschwitz,<br />
où il sera assassiné. Dix-huit mois<br />
plus tard, son épouse Selene a été<br />
internée à Drancy puis envoyée à la<br />
mort à Auschwitz le 3 février 1944.<br />
LE LIEN FRANCOPHONE, MAI 2023, N°79<br />
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