Lien n°79

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05.06.2023 Views

HISTOIRE LE LIVRE DES NOMS, NOUVELLE INSTALLATION MÉMORIELLE DE YAD VASHEM Livre des Noms à Yad Vashem Depuis sa création, Yad Vashem s’efforce de recueillir les noms des six millions de Juifs assassinés pendant la Shoah - l’une de ses missions centrales. Le 29 mars dernier, a été inauguré sur son site du Mont du Souvenir, le Livre des Noms : le résultat unique d’un travail méticuleux et minutieux qui commémore 4,8 millions d’hommes, femmes et enfants juifs victimes de la Shoah. Leurs identités ont été découvertes et rassemblées au fil des ans - à travers des Feuilles de témoignages, des actions de coopération avec des sites et mémoriaux, des recherches dans différentes archives en Europe de l’Est par les équipes de Yad Vashem divers documents d’archives sur la Shoah rassemblés à Yad Vashem, depuis sa création et plus encore. Ces noms sont enregistrés et compilés dans la Base de données centrale des noms des victimes de la Shoah de Yad Vashem. Le Livre des Noms, deuxième installation du genre, après un premier exemplaire présenté au Bloc 27, le Mémorial de Yad Vashem sur le site d’Auschwitz, a ainsi pour vocation de compiler le nombre inconcevable de victimes de la Shoah et de répertorier leurs noms ainsi que leurs dates de naissance, villes natales et lieux de décès - s’ils sont connus. Les informations sont imprimées sur des pages mesurant deux mètres de haut et un mètre de large, et éclairées par un léger faisceau de lumière. Les dimensions massives du Livre des Noms témoignent de l’énormité de la perte collective et inimaginable que représente la Shoah, pour l’humanité dans son ensemble et pour le peuple juif en particulier. Les dernières pages du livre sont vierges, symbolisant les noms qui doivent encore être retrouvés, documentés et commémorés, une mission qui représente un grand défi pour Yad Vashem. LAURA, ARPAD, SELENE : INSCRITS DANS LE “LIVRE DES NOMS” Laura, Arpad, Selene : tous trois figurent dans le “Livre des Noms parmi les 4.8 millions d’identités de victimes de la Shoah recueillies par Yad Vashem et commémorées dans cette installation monumentale. Voici leur histoire. Friedrich Kurz et Anna Stark se marient en 1930 à Vienne. Leur fils Heinz-Henri naît en 1931. Friedrich, socialiste, possède une imprimerie à Vienne, où il imprime des manifestes antigouvernementaux. De peur d’être arrêté, il s’évade à Paris en 1934, rejoint quelques mois plus tard par Anna et Heinz et ouvre à nouveau une imprimerie dans la capitale française. Selene, la mère de Friedrich, quitte Vienne pour s’installer en France en 1938. La mère d’Anna, Laura Stark, veuve, refuse quant à elle de les suivre, persuadée que rien de mal ne peut arriver aux personnes âgées en Autriche. En 1939, le foyer de Friedrich et Anna, accueille une fille, Suzanne. En 1940, Friedrich rejoint la Légion étrangère française et part pour Sidi Bel Abbès en Algérie. Avec l’invasion allemande de la France, Anna s’enfuit en zone sud et s’installe au village de Damazan dans le Lot-et-Garonne avec ses enfants. Friedrich les y rejoint après sa démobilisation. A l’été 1941, la famille rentre à Paris. Friedrich obtient de faux papiers qui leur permettent de quitter la capitale et de retourner en zone sud contrôlée par Vichy. Ils se répartissent en petits groupes : Henri fait partie du premier avec son père. Il raconte : 12 LE LIEN FRANCOPHONE, MAI 2023, N°79

“On traverse une forêt en poussant nos vélos, ma sonnette cogne une branche, la baffe de ma jeune vie. Il pleuvait, pleuvait, pleuvait. Arrivés de l’autre côté, papa m’enlève blouson, pull, chemise et me frotte avec du papier journal, pris je ne sais où. Outre Friedrich, Anna et leurs enfants, Selene, son mari Arpad Bogyansky et d’autres personnes font partie des fugitifs. Mais Arpad est arrêté et incarcéré au camp de Drancy. Le 25 août 1942, il écrit à Selene : “Mon amour, ne t’inquiète pas. Je vais endurer cela. Porte-toi bien, bisous à tous, Body.” Ce sera son dernier signe de vie. Le 31 août, il est déporté pour Auschwitz et assassiné. Dix-huit mois plus tard, Selene, restée à Martizay, est arrêtée et déportée à Auschwitz à son tour. En novembre 1942, les Allemands occupent la zone libre du sud de la France. La situation de la famille Kurz devient de plus en plus précaire. Friedrich installe sa famille dans le petit village de Boncelin, dans la Laura-Johana Stark, la mère d’Anna Kurz. Vienne, avant la guerre banlieue d’Aix-les-Bains, où il loue un appartement au rez-de-chaussée. A l’étage, habitent la propriétaire et sa fille. Friedrich travaille dans les champs du médecin du village ; il cultive des légumes et divise sa récolte avec le praticien. Les enfants vont à l’école et les dimanches, la famille se rend à l’église. Friedrich forme les jeunes locaux au football et Henry chanté dans la chorale. Un jour, un groupe de soldats allemands viennent dans le champ où Friedrich et ses enfants s’occupent des légumes. Ils ont l’intention d’habiter la maisonnette abandonnée au fond du jardin. Mais plus de peur que de mal. Les Carte envoyée de Drancy par Arpad Bogyansky à sa femme Selene à Martizay, 25 août 1942. Selene Kurz-Bogyansky et son second mari Arpad Bogyanski. France, 1942 Allemands se moqueront de leur peau blanche et leur donneront régulièrement de grosses miches de pain. La famille Kurz continuera sa routine quotidienne, même après l’arrivée des Allemands dans la région. Ils rentrent à Paris moins d’une semaine après la libération et reprennent leur activité d’imprimerie. Henri avoue : “J’ai presque honte de le dire, mais dans la mesure où nous étions ensemble, malgré des conditions de vie plutôt spartiates, j’ai mené, pendant toute cette période, la vie presque normale d’un petit garçon de mon âge.” A la fin de la guerre, Suzanne apprend avec une certaine tristesse qu’elle n’est pas catholique, mais juive. Elle commence à aller à l’école, et Henri fréquente le lycée Voltaire. En 1952, Friedrich, Anna, Henry et Suzanne immigrent en Israël. Ils sont les seuls de la famille à avoir survécu à la Shoah. Le 31 août 1942, Laura-Johana Stark a été déportée de Vienne en Biélorussie où elle a trouvé la mort. Le même jour, en France, Arpad Bogyansky était déporté de Drancy à Auschwitz, où il sera assassiné. Dix-huit mois plus tard, son épouse Selene a été internée à Drancy puis envoyée à la mort à Auschwitz le 3 février 1944. LE LIEN FRANCOPHONE, MAI 2023, N°79 13

HISTOIRE<br />

LE LIVRE DES<br />

NOMS, NOUVELLE<br />

INSTALLATION<br />

MÉMORIELLE DE<br />

YAD VASHEM<br />

Livre des Noms à Yad Vashem<br />

Depuis sa création, Yad Vashem<br />

s’efforce de recueillir les<br />

noms des six millions de Juifs<br />

assassinés pendant la Shoah - l’une<br />

de ses missions centrales. Le 29<br />

mars dernier, a été inauguré sur son<br />

site du Mont du Souvenir, le Livre<br />

des Noms : le résultat unique d’un<br />

travail méticuleux et minutieux qui<br />

commémore 4,8 millions d’hommes,<br />

femmes et enfants juifs victimes de<br />

la Shoah. Leurs identités ont été<br />

découvertes et rassemblées au<br />

fil des ans - à travers des Feuilles<br />

de témoignages, des actions de<br />

coopération avec des sites et<br />

mémoriaux, des recherches dans<br />

différentes archives en Europe de<br />

l’Est par les équipes de Yad Vashem<br />

divers documents d’archives sur la<br />

Shoah rassemblés à Yad Vashem,<br />

depuis sa création et plus encore. Ces<br />

noms sont enregistrés et compilés<br />

dans la Base de données centrale<br />

des noms des victimes de la Shoah<br />

de Yad Vashem.<br />

Le Livre des Noms, deuxième<br />

installation du genre, après un<br />

premier exemplaire présenté au Bloc<br />

27, le Mémorial de Yad Vashem sur le<br />

site d’Auschwitz, a ainsi pour vocation<br />

de compiler le nombre inconcevable<br />

de victimes de la Shoah et de<br />

répertorier leurs noms ainsi que leurs<br />

dates de naissance, villes natales et<br />

lieux de décès - s’ils sont connus. Les<br />

informations sont imprimées sur des<br />

pages mesurant deux mètres de haut<br />

et un mètre de large, et éclairées par<br />

un léger faisceau de lumière. Les<br />

dimensions massives du Livre des<br />

Noms témoignent de l’énormité de<br />

la perte collective et inimaginable<br />

que représente la Shoah, pour<br />

l’humanité dans son ensemble et<br />

pour le peuple juif en particulier. Les<br />

dernières pages du livre sont vierges,<br />

symbolisant les noms qui doivent<br />

encore être retrouvés, documentés<br />

et commémorés, une mission qui<br />

représente un grand défi pour<br />

Yad Vashem.<br />

LAURA, ARPAD, SELENE :<br />

INSCRITS DANS<br />

LE “LIVRE DES NOMS”<br />

Laura, Arpad, Selene : tous trois<br />

figurent dans le “Livre des Noms<br />

parmi les 4.8 millions d’identités de<br />

victimes de la Shoah recueillies par<br />

Yad Vashem et commémorées dans<br />

cette installation monumentale.<br />

Voici leur histoire.<br />

Friedrich Kurz et Anna Stark se<br />

marient en 1930 à Vienne. Leur fils<br />

Heinz-Henri naît en 1931. Friedrich,<br />

socialiste, possède une imprimerie à<br />

Vienne, où il imprime des manifestes<br />

antigouvernementaux. De peur<br />

d’être arrêté, il s’évade à Paris en<br />

1934, rejoint quelques mois plus<br />

tard par Anna et Heinz et ouvre à<br />

nouveau une imprimerie dans la<br />

capitale française.<br />

Selene, la mère de Friedrich, quitte<br />

Vienne pour s’installer en France en<br />

1938. La mère d’Anna, Laura Stark,<br />

veuve, refuse quant à elle de les<br />

suivre, persuadée que rien de mal ne<br />

peut arriver aux personnes âgées en<br />

Autriche. En 1939, le foyer de Friedrich<br />

et Anna, accueille une fille, Suzanne.<br />

En 1940, Friedrich rejoint la Légion<br />

étrangère française et part pour Sidi<br />

Bel Abbès en Algérie. Avec l’invasion<br />

allemande de la France, Anna s’enfuit<br />

en zone sud et s’installe au village de<br />

Damazan dans le Lot-et-Garonne<br />

avec ses enfants.<br />

Friedrich les y rejoint après sa<br />

démobilisation. A l’été 1941, la famille<br />

rentre à Paris. Friedrich obtient de<br />

faux papiers qui leur permettent de<br />

quitter la capitale et de retourner<br />

en zone sud contrôlée par Vichy. Ils<br />

se répartissent en petits groupes :<br />

Henri fait partie du premier avec son<br />

père. Il raconte :<br />

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LE LIEN FRANCOPHONE, MAI 2023, N°79

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