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TITRE: "LOUIS DE POTIER (1830, NICOLAS DE POTIER)"

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René Dalemans - Nicolas de Potter

Louis de Potter

Révolutionnaire belge en 1830

Postface de

Francis Balace

Couleur livres


René Dalemans - Nicolas de Potter

Louis de Potter

Révolutionnaire belge en 1830

C’était au temps où la Belgique n’existait pas encore. Et rien ne semblait,

hormis les qualités intellectuelles et la vive curiosité pour les spéculations

politico-sociales, prédisposer Louis de Potter, ce fils de famille né dans un milieu

aristocratique, à jouer un rôle-clé dans la naissance du futur Etat belge.

Mais par ses lettres, pamphlets et pétitions amplement diffusés par la presse,

il enflamme les esprits. Il est jugé, emprisonné et banni pour l’embrasement

populaire qu’il cause.

Tribun audacieux, porte-drapeau du peuple, il sera en 1830 acclamé

par la foule des nouveaux Belges. Porté sur les épaules jusqu’à l’Hôtel de ville

de Bruxelles, il prononcera le vibrant discours de l’indépendance de la Belgique.

Catalyseur d’une forme de “Comité révolutionnaire”, il deviendra doyen

du Gouvernement provisoire, au titre de “président du Comité central”,

puis doyen du Congrès national.

Pourtant, il quittera le pouvoir…

Chose rare à notre époque de convictions flottantes pour tout, sauf pour la conquête

de la fortune. Il a ordonné sa vie d’après les notions qu’il s’était faites du vrai, du

juste et du bien. Jamais le penseur ne fût inférieur à l’homme public.

(Emile de Laveleye, 1822-1892)

Un homme libre, qui a su et voulu rester libre, n’être guidé que par sa sincérité

indéniable, ce qui explique qu’en Belgique il sera toujours, en dépit d’une énorme

mais très éphémère popularité, à contre-courant de “l’air du temps”. Ce fut sans

doute, là, son honneur...

(Extrait de la postface de Francis Balace)

Prix de vente public : 17 e

ISBN 978-2-87003-580-1

René Dalemans - Nicolas de Potter Louis de Potter Révolutionnaire belge en 1830

René Dalemans - Nicolas de Potter

Louis de Potter

Révolutionnaire belge en 1830

Postface de

Francis Balace

9 782870 035801 www.couleurlivres.be

Couleur livres



Nicolas de Potter

René Dalemans

Louis de Potter

Révolutionnaire belge de 1830

Postface de Francis Balace

Couleur livres


Editions [Couleur livres] asbl

4, rue Lebeau – 6000 Charleroi

ISBN : 978-2-87003-580-1

Tous droits de reproduction, d'adaptation ou de traduction par quelque procédé que ce soit,

réservés pour tous pays sans l'autorisation de l'éditeur ou de ses ayants-droit.

© 2011, Couleur livres asbl, Bruxelles.

D/2011/0029/25

www.couleurlivres.be


Remerciements

Pour leur précieuse contribution, nous remercions le professeur honoraire

de l’Université de Liège, Francis Balace ; le professeur de la Vrije Universiteit

Brussel, Els Witte ; le généalogiste, Jan Caluwaerts ; l’historienne d’art du

Musée Royal d’Amsterdam, Marijcke Schillings ; le conservateur d’archives

à Bruges, Maurice Vandermaesen ; l’archiviste, Johan Vanderghinste ;

Chris Vande Walle de la ville de Dixmude ; le journaliste, Cleveland

Moffett, ex-The Bulletin ; Suzanne Gauder, secrétaire de rédaction ; Marcel

Meynaert, archiviste ; Jean-Yves Reysset de la fondation Stendhal ; le photographe,

Oswald Pauwels ; l’auteur, Joanna Scott, fille de Yvonne de Potter

et descendante de Louis de Potter, nominée aux prix Pulizer, Gugenheim,

L.A. Times et titulaire de la chaire de littérature de l’Université de Rochester

(New York) ; le conservateur du château de Lophem ; la B onne Véronique

van Caloen ; Claude et Gaëtane de Potter ; Amaury t’Kint de Roodenbeke ;

Carine et ses enfants et l’éditeur Pierre Bertrand et toute l’équipe de Couleur

livres, “trait d’union” entre toutes ces forces vives.

“L’Union fait la Force !”

Louis de Potter, 1829-1831 .

Cité tel quel par le professeur Paul Harsin, Université de Liége, dans le manuel scolaire Pages de

gloire : un siècle sous nos rois, Ed. Desclée, 1930, avec préface par S.M. le Roi Albert I er adressée au

président de l’enseignement catholique de Belgique, M. Paul Hanquet.

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Pour rendre compte de l’emploi de mon temps et de mes facultés, dans l’intérêt du

pays, je dis avec fierté : Mes premières pensées furent consacrées à nos garanties

démocratiques. Je suis journaliste ; oui, je tiens à l’honneur d’être journaliste depuis

des années, et jamais on ne parviendra à flétrir ceux qui écrivent en conscience et

avec courage, et défendent nos libertés, à leurs risques et périls, les journalistes.

Louis de Potter, 1830.

Buste de Louis de Potter par Jean-Joseph Jaquet (1822-1898), situé dans la salle de

lecture du Sénat de Belgique. Rédacteur au Courrier des Pays-Bas et écrivain en

sociologie et en philosophie, Louis de Potter signait d’un “nom de plume” : “Le

Potter” ou “Démophile” (du grec “qui aime le peuple”), ou “de potter” suivi du sigle

grec “Oméga”(du grec “tout est dit”). © Jos Tontlinger.

u


Introduction

Voici l’histoire haute en couleur d’un journaliste rebelle, devenu chef

spirituel de la Révolution belge de 1830. Cette histoire raconte ses origines,

motivations, convictions démocratiques et sacrifices personnels au profit

d’une grande cause commune : “La Belgique” !

Son bannissement, son emprisonnement, sa libération par le peuple et son

triomphe éphémère au sommet du “Comité révolutionnaire” qui donna

naissance au premier Etat de Belgique, arraché à l’Europe.

Ensuite sa démission, son travail de doyen d’assemblée, ses souvenirs

personnels, fidèlement relatés en annexe par de nombreux éditeurs et par

de nombreux historiens et auteurs, d’aujourd’hui et d’alors .

Dans les coulisses, cette biographie relate l’aventure médiatique et familiale

du publiciste belge. Il sacrifia sa liberté et ses biens personnels aux

Belges de 1820 à 1830, ainsi que sa carrière, en cédant le passage à ses

pairs qui installèrent le Congrès national sans lui.

Au cœur de l’Europe naissante, il suscita la transition d’un régime monarchique

censitaire à un régime monarchique plus égalitaire, par une

ouverture de l’opinion publique vers l’élection au suffrage universel. Dès

son jeune âge en 1800 et malgré l’influence de Napoléon sur ses idées,

les “lettres de Louis de Potter”, étaient fort appréciées par ses lecteurs en

Belgique et ensuite en France, Italie, Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis.

Tels Babeuf de 1789, Brest-VanKempen, Coché-Mommens, Couleur Livres, de Nève, Han,

Labroue, Méline-Cans, Wodon, Ponthieu, Roscoe Ltd., Schnée, Tarlier, Van Linthout – Vanden Zande,

Weissenbruch, et bien d’autres encore.

Tels Francis Balace, Maurice Bologne, Emile de Laveleye, René Dalemans, Jan Dhont, Vincent

Dujardin, Paul Harsin, Lucien Jottrand, Théodore Juste, Henri Pirenne, Els Witte et bien autres cités

dans l’ouvrage.

Tels MM. Coppin de Grinchamps, van der Linden d’Hooghvorst, de Mérode, Nothomb, Surlet de

Choquier…

u


Malgré son esprit révolutionnaire, il reçut des marques de respect de

nombreuses personnalités belges et étrangères , tant son argumentaire de

citoyen frondeur démocrate reposait sur une solide assise culturelle.

Son style visionnaire inspirait d’ailleurs une modernité par son autodérision

et ses “pétitions” publiques. Il pratiquait une forme d’ironie, à son

propre sujet et au sujet des pauvres “sujets du roi des Pays-Bas” et autres

détracteurs d’un peuple devenant de plus en plus “Belge”.

Bienvenue au cœur de la révolte orchestrée par l’union des forces vives de

la Belgique et de l’Europe qui se libère de ses anciens empires. Découvrez

l’indignation et la révolte pour une bonne nouvelle et “libre Belgique”. Les

libérateurs du rebelle de Potter, révolutionnaire dans ce petit fief défendu ardemment

par les héros de 1830, de la première jusqu’à la “dernière heure” !

René Dalemans, Nicolas de Potter

***

La Belgique n’existait pas encore et l’antique ancrage culturel de grandes

familles – telles les “Potter” – écartelées sur les frontières des Flandres et

Picardies belges et françaises, était profond mais tourmenté. En ces contrées

géopolitiques incertaines, bousculées par les guerres, l’art littéraire était le

moyen de communication par excellence.

Le dramaturge liégeois Simon de Harlez connut la branche aînée des

Potter à Renaix. L’ardent “poète de la mer” Eugène Van Oye venait au

château des Potter à Tourhout. L’auteur Guido Gezelle venait au château

familial Potter-Caloen à Lophem. Les brasseurs et auteurs Rodenbach, de

Roulers, venaient au château familial des Potter à Ooigem.

Tels S.M. Léopold I er , le philosophe Français Félicité de Lamennais, le journaliste français Stendhal,

l’auteure française George Sand, l’auteur Suisse Jean-Baptiste de Colins de Ham, l’auteur francosuisse

Benjamin de Constant de Rebecque, l’industriel de Roulers Pedro Rodenbach, l’auteur brugeois

Paul Devaux, etc.

Histoire généalogique Harlez de Deulin, Geneanet, notes de Madame Rendaxhe : “Itinéraires

littéraires au XVII e siècle”.

Inventaire du Patrimoine de Flandre, le château du Ravenhof à Tourhout, XVII e siècle,

fam. de Potter et de Cuupere.

Histoire du château de Lophem par la Baronne Véronique van Caloen et son équipe de

la Fondation Jean van Caloen, 1990-1995.

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Il semblait donc logique, aux parents de Louis de Potter, à la veille de

l’emprise de Napoléon, de lui faire rejoindre des personnalités culturelles

européennes. Des séjours à l’étranger permirent à Louis de croiser la

route de bien des personnalités de l’époque. Par exemple d’Italiens comme

l’arrière petit-neveu du célèbre Michel-Ange, Philippe Buonarroti, de

Suisses comme Benjamin Constant de Rebecque et Jean-Baptiste de Colins

de Ham, de Français comme Félicité de Lamennais, George Sand et Henri

Beyle dit Stendhal, et bien d’autres grands.

Tiraillé par un passé familial tourmenté mais féru d’histoire dès son plus

jeune âge, Louis désirait ardemment promouvoir un “unionisme” conciliateur.

Ce concept pacifique s’opposait aux guerres frontalières que connut

sa famille. La paix entre peuples voisins ne semblait provenir ni des empereurs,

ni des monarques, ducs ou prélats, qu’ils soient catholiques ou

protestants, mais plutôt de certains prophètes étrangers issus des grandes

révoltes et guerres de 1789, 1790 et 1815.

Hélas, de tous ces savoirs littéraires et châteaux, nous verrons que, après

la Révolution belge, il ne resta pas grand-chose d’autre à Louis qu’une

maison rue de l’Epingle à Bruxelles. Bien sûr, il avait sa réputation de

“tribun” et, heureusement, la belle Belgique tant désirée ! Les frustrations

familiales suite aux exils semblent avoir forgé le caractère bien trempé des

de Potter.

Recherchant un affranchissement ou une affection populaire remotivante,

il est probable que Louis et sa famille désiraient réduire l’héritage pesant

d’une trop ancienne noblesse (cf. histoire familiale en annexe). Ils voulaient

moderniser les pratiques politiques et religieuses asservies, sans briser

toutes les traditions et valeurs risquant de verser dans l’esprit radical.

Louis aimait famille, pays et descendance mais se sentit, tout jeune, investi

d’une sorte de mission démocratique et unitariste. Elle le gagna progressivement

durant ses années d’exil en bas âge en Allemagne et en France ou durant

son éducation de quinze années en Italie. Nul n’est prophète en son pays,

dit l’adage, mais Louis le devint un peu, en tant qu’exilé, répudié dans cet

esprit des anciennes “républiques aristocratiques” vénitienne et florentine.

Sous l’avènement des Robespierre, Buonarroti et autre Danton, Louis l’aristocrate

rebelle fortuné, érudit et idéaliste, désira aller beaucoup plus loin que

ses ancêtres. A la lumière du contexte familial, on comprend pourquoi il mit

tout dans la bagarre, renonça aux emplois, désargenta sa descendance.

u


Il proposa la force intellectuelle comme seul bagage utile au mode de vie

qui soufflait à l’époque, loin de son ancienne vie paysanne. Il tenta de

convaincre sa famille d’abandonner la couronne et de rejoindre la qualité

de vie française, la modernité italienne, la coopérative d’opinions allemande,

le mode partisan britannique, et les frais émoulus “pétitionnaires”

de la nouvelle métropole européenne : Bruxelles !

Rentré de ses voyages de jeunesse, Louis de Potter précipita le changement

de la carte géographique orchestré par les grandes Puissances, alors que la

majeure partie des protestataires plient ou fuient.

Tous ? Non ! Nous verrons que ce jeune journaliste “gallo-romain” résiste et

attire l’attention grâce à des textes vibrants. Il demandera l’union de tous, la

liberté pour chacun, l’égalité à tout instant. Il appellera à des élections non

censitaires et poussera tout un peuple au soulèvement et à cet appel pour

la naissance d’une “nation belge”. Suite à l’emprisonnement de son héros

et à sa libération, puis son exil en France et enfin son retour triomphal “sur

les épaules” des futurs braves Belges.

Des cercles de fronde et résistance naissent à Lille, Bruxelles, Liège... Leur

flamme est animée par de grands correspondants tels Buonarroti, Colins,

Stendhal, de Lamennais. Un nombre croissant de lecteurs se passionne

pour le publiciste en herbe, jeune mais déjà connu à l’étranger.

Hélas pour la rue, le pouvoir balaya trop tôt les promesses sociales du

début. Les révoltés sentirent leur bienheureux “Comité révolutionnaire”

se fondre en un rigoureux “Congrès censitaire” avec la bénédiction des

nations. Les partisans du promoteur d’un paysage autochtone et fraternel

“belgo-belge ”, se résignaient à abandonner la liberté du suffrage égalitaire

qu’ils avaient brièvement remporté.

Un sentiment patriotique démocratique fort était né des trois appels dans

la foule de 1830 : liberté (moins de joug étranger, catholique et censitaire),

égalité (moins de clivages entre les classes et électeurs égaux entre eux),

fraternité (entente entre les provinces belges réunies, moins d’invasions,

entente entre provinces belges).

Les nombreux écrits du “publiciste banni” de l’histoire passaient discrètement

sous les portes des prisons et chaumières. Il était devenu l’homme le

plus populaire de Belgique en 1830. C’est grâce à son procès, son bannissement

et son retour triomphant depuis Lille, sur les épaules de son peuple

enthousiaste, qu’un “Etat tampon belge ” était né autour de Bruxelles.

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La nouvelle Belgique sépara les voisins français, hollandais, allemands...

tandis que l’Angleterre couronnait le tout par la nomination de notre bon

roi “germano-anglo-belge”. Ensuite, l’avènement d’élections “censitaires”,

plutôt que le suffrage universel tant espéré, eût lieu.

L’idéalisme de certains des premiers Belges, basé sur le choix des hommes

pour leur mérite, fut délaissé. Le “clan Potter” et plusieurs fiers révolutionnaires,

ne s’étant fait aucune illusion, furent écartés du pouvoir et restèrent

sur le pavé. La campagne des partisans radicaux étant épuisée, les paysans,

ouvriers et patrons révoltés retournaient dans leurs terroirs ; les fiefs libres

de Renaix à Courtrai, en ce qui concerne notre Louis.

On trouvera plus amples informations dans cette Histoire de la famille de

Potter en annexe mais, pour l’instant, retenons les liens dont il a probablement

tiré parti en vue de devenir le chef révolutionnaire qu’il est devenu :

- Son oncle est procureur au Conseil de Flandre et chef de district autrichien.

- La petite-fille du chancelier de l’empereur d’Autriche recueille chez elle son

fils naturel Victor.

- Un membre de l’état-major de Napoléon est le beau-père de son fils naturel

Victor.

- Son fief de Droogenwalle vient du prince de Mérode, famille dont est issu son

collègue Félix.

- Ses voisins : le général van der Meersch et Rodenbach, brasseur décoré par

Napoléon.

- Le général Henri Brialmont, aide-de-camp du roi Léopold I er épousa sa fille

Justa.

- Scipion Ricci, conseiller du duc de Habsbourg est son hôte et accueillait aussi

Napoléon.

- Buonarroti, arrière petit-fils du frère de Michel-Ange aide à la révolution belge

lors de son installation à Bruxelles en 1830. Plus de 50 éditeurs auront

rejoint son mouvement “d’écrivain-militant” publiciste : Babeuf de 1789,

Brest-VanKempen, Coché-Mommens, de Greef-Laduron, Han, Labroue,

Méline-Cans, le chevalier X. de Nève, Wodon, Parmentier, Ponthieu,

Roscoe Ltd., Rossellini, Schnée, Tarlier, VanLinthout-VandenZande, Vieusseux,

le comte H. Vilain XIIII, Weissenbruch... Il sera en contact avec de nombreuses

personnalités telles Colins de Ham, Stendhal, le général Lafayette (grâce à son

fils naturel, féru des USA), de Lamennais, George Sand, O’Connel…

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La vie de Louis de Potter

L’Ancien Régime

En ce début de l’an de grâce 1786, S.M. Joseph II, empereur allemand, roi

des Romains, a du abandonner son projet d’échanger nos régions, bien

éloignées du cœur de l’Empire, contre la Bavière.

Partie remise, car dans moins de dix ans les Pays-Bas autrichiens n’existeront

plus ! Il est vrai que ses sujets des anciens pays de par deçà n’apprécient

guère “le roi sacristain” qui le leur rend bien : Quant au peuple

brabançon, ce ne sont que têtes francisées et dont le fond est la bière, dit-il.

Pourtant, ce despote éclairé, suivant la terminologie consacrée, ne manque

pas d’idées lumineuses bien que parfois excessives : fixer la date des kermesses

le même jour de l’année n’a pas de quoi plaire au bon peuple dont

c’est l’une des rares distractions.

Ouvrir les cimetières extra-muros devrait par contre améliorer l’hygiène

des cités, loin d’être exemplaire. Démanteler les vieilles fortifications

obsolètes face aux progrès de “l’art” de la guerre, permettra aux villes de

respirer et de s’étendre.

Plus sérieusement, nourri de la philosophie des Lumières, Joseph II, éloigné

de l’ultramontanisme par des pédagogues jésuites plutôt maladroits est

avide de réformes dont sa mère Marie-Thérèse avait donné le signal.

Après quinze ans d’une tutelle maternelle pesante, l’empereur, couronné

en 1765, décide la fermeture de nombreux couvents d’ordres contemplatifs

: riches-claires, brigitines, carmes, capucins... doivent plier bagage. Les

jésuites eux-mêmes ne sont plus en odeur de sainteté chez ce gallican à la

sauce autrichienne, ce qui en fait un “joséphiste”.

En 1771, il a soutenu le pape Clément XVI dans la promulgation de la bulle

Dominus ac Redemptoris supprimant la Compagnie, ce qui a fait passer

l’enseignement sous la tutelle de l’Etat.

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Le jeune journaliste et politicien, Louis de Potter, dessiné par Quittelier. Extrait du

livre de l’Histoire de Belgique de Poplimont (1957).

La franc-maçonnerie elle-même n’échappe pas non plus au souci de réglementer

du souverain – qui n’en est pas – malgré le désir des “frères

maçons” de se l’approprier.

L’archiduchesse Marie-Christine, sœur de l’empereur d’Autriche – les

Habsbourg se répartissent les tâches en famille – et son beau-frère Albert

de Saxe-Teschen, gouverneurs généraux, sans pouvoir réel face aux ministres

plénipotentiaires venus d’Autriche, voient monter la contestation

dans les Pays-Bas.

Les révolutions liégeoises et parisiennes viennent d’éclater quand Joseph II

rejoint, en février 1790, ses ancêtres dans la crypte viennoise des capucins.

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Son frère, Léopold II, aura à peine le temps de prêter serment à la Joyeuse

Entrée avant de descendre à son tour au tombeau en 1792.

François II qui le remplace, après un bref retour dû à la victoire du général

feld-maréchal Frédéric-Josas de Cobourg (un nom que nous retrouverons)

à Neerwinden en 1793, verra déferler les Sans-culottes sur nos régions qui

deviennent partie intégrante de la République française, une et indivisible,

grâce à Jourdan et Pichegru, vainqueurs à Fleurus en 1794.

Indifférente en apparence à l’agitation politique et religieuse, mais fidèle

au prescrit biblique “Allez, croissez et multipliez”, Marie Catherine

Maroucx d’Opbrakel (1752-1833), épouse de Pierre-Clément de Potter de

Drogenwalle (1759-1823) donne naissance le 26 avril 1786 à Lophem à son

fils Louis-Antoine, le héros de notre histoire.

Fidèle à sa vocation, en un temps où la mortalité infantile est effrayante,

elle offrira encore une fille Marie-Christine, (1793-1864) à son mari. Comme

nous l’avons vu plus haut, aucune descendance mâle, sauf celle hors mariage,

n’assura la descendance de Louis de Potter.

Un double exil

Fin octobre 1789, lors de la révolution dite brabançonne, le général van der

Meersch, “le Washington belge” (!) refoule les Autrichiens vers le Luxembourg

et, considérés comme joséphistes convaincus, les de Potter se réfugient

à Lille voisine où la Révolution est encore bonne fille.

Après un an de rêveries et d’affrontement entre “statistes” et “vonckistes”

pour qui les “Etats-Belgique Unis” n’ont pas le même visage, l’ordre autrichien

est rétabli et la famille peut pour un temps retrouver le calme de

Lophem.

Pour échapper à la vindicte populaire, elle se met sous la protection du

feld-maréchal baron de Bender, général en chef des armées impériales.

L’abbé Lucas, un émigré français, enseigne à l’époque la lecture au jeune

Louis âgé de six ans.

Mais en 1794, le retour définitif des armées de la République pousse de

nombreux aristocrates à chercher le salut dans la fuite. La majorité choisit

l’exil dans les principautés rhénanes, entre autres à Trêves, Coblence et

Worms où l’armée des émigrés à son quartier général.

13 u


Peut-être la famille de Potter trouva-t-elle assistance auprès de cousins

installés en terre germanique, on songe à l’oncle maternel de Louis, Louis

Joseph Maroucx d’Opbrackel (1748-1800), intendant du kreis (district) de

Gand, avocat, procureur général au Grand Conseil de Flandre, (Consiliarius

ac procurator generalis in consilio Flandriae) membre du Conseil

d’Etat sous le régime autrichien. Lui aussi était exilé, mais à Vienne, et sa

fortune était apparemment considérable puisqu’il fut couché sur la liste des

souscripteurs de l’emprunt forcé de 600 millions de livres imposé par le

“libérateur” français à nos régions !

On peut aussi imaginer le gamin assistant au défilé des troupes, soldées par

la Grande-Bretagne, commandées depuis 1792 par Frédéric-Josas de Saxe-

Cobourg-Saalfeld (1737-1815) qui n’est autre que le grand-oncle admiré

pour ses vertus guerrières d’un certain Léopold dont l’accession au trône

de Belgique sera combattue par notre héros converti à l’idéal républicain

des jeunes parisiens.

Associée à celui du Premier ministre de Grande-Bretagne, l’expression “Pitt

et Cobourg” deviendra le symbole de la coalition de l’Europe contre la

Révolution.

Que de rencontres possibles pour le jeune garçon car les comtes de Provence

(le futur Louis XVIII), d’Artois (le futur Charles X), Polignac, Bouillé,

Châteaubriand cultivent leurs rancœurs et leurs querelles d’un autre temps

au bord du fleuve germanique !

Au niveau scolaire, Louis profita peut-être durant ce temps d’incertitude,

et sans doute avec modération, des leçons de précepteurs privés germaniques

car on reparlera de son approche toute teutonne d’auto-didacte.

Retour à Lophem

Un calme relatif ramené par le Directoire, Pierre-Clément se réinstalle à

Lophem et, entre 1796 et 1805, agrandit son domaine, ne dédaignant pas,

bien que bon catholique, de racheter ce qui était probablement des biens

ecclésiastiques nationalisés par la République.

Un couple de professeurs à la retraite du couvent anglais de Bruges,

les Messemaeckers, sont les premiers mentors de l’adolescent et viennent

adoucir ses moeurs. Puis, ce sera le pensionnat du sieur Simoneau,

où il perfectionnera son français qu’il connaissait mal en raison de son

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séjour germanique. N’oublions pas qu’à l’époque l’enseignement arraché

aux mains des ordres religieux et l’école laïque n’étant pas organisée, il ne

restait que des institutions privées.

Ce sera ensuite l’excellente institution Baudewyns (Bauduin) à Bruxelles

où le grec et le latin lui seront bientôt familiers mais dont il sortira avec des

connaissances plus que rudimentaires en mathématiques

Il adoptera dès lors la devise assez ambiguë : Habeo non habeor, traduite

assez laborieusement par “je possède et je ne suis pas possédé”.

Grâce aux relations familiales, il pourra également fréquenter la bibliothèque

du comte d’Arconati qui comptait 80.000 volumes ! Au total, il

connaîtra, dit Jottrand, plusieurs langues vivantes. Il avait toutefois négligé

beaucoup sa langue maternelle… Quoiqu’il la parlât familièrement dans le

dialecte de Bruges, il la lisait difficilement et ne l’écrivait pas du tout.

Dans les dernières années de sa vie, il disait souvent, en faisant allusion

aux excès de la domination wallonne dont il était humilié comme la plupart

de ses compatriotes flamands : Si cela continue, je me remettrai à mon

brugeois et je n’écrirai plus que dans cette langue. Pour tempérer ce propos,

rappelons que Lucien Jottrand, franc-maçon et rédacteur du “Courrier

des Pays-Bas” auquel collaborera Louis, est l’un des initiateurs du mouvement

flamand sous le règne de Léopold I er .

C’est probablement lors de ses études bruxelloises qu’il se lie d’amitié avec

Pierre Van Gobbelschroy dont, comme nous le verrons, le chemin politique

divergera du sien, mais avec qui il restera malgré tout lié.

En 1807-1808, une sombre histoire sur laquelle sera jeté un voile pudique

bouleversa l’existence de la famille : un fils naturel, fruit peu goûté par

l’entourage d’une idylle entre Louis, il a 21 ans, et une jeune fille dont

l’identité nous est inconnue, va naître.

Le linge se lavant en famille, Victor-Armand fut installé au château de

Charles de Ghellinck d’Elseghem, époux de la tante Reine de Potter, qui

sauvèrent la mise durant le séjour de Louis en Italie.

Le grand-père de Louis, Louis Maroucx d’Opbraekel, colonel dans l’armée

autrichienne avait à l’égal de l’oncle Louis conservé des liens au sommet

de l’Empire des Habsbourg et l’ombre protectrice des Metternich se profile

en arrière-plan de la destinée de cette “erreur” de jeunesse.

15 u


Entre-temps, le républicain Bonaparte est devenu, depuis 1804, l’empereur

Napoléon I er et nous comprenons à présent que le séjour de Louis en Italie

qui sera salutaire, à double titre, pour le salut de l’âme du fils embarrassant

qu’est devenu Louis tout en l’éloignant des champs de bataille et des idées

républicaines qui paraissent déjà l’habiter.

En 1810, il pérégrine tout d’abord en France, Alsace, Franche-Comté,

Provence, Languedoc et en 1811 part pour la péninsule afin de “parfaire

son éducation – à 25 ans il était plus que temps – et améliorer sa santé”

mais aussi pour éviter les rafles qui l’auraient intégré à la “Formation de la

Garde d’Honneur”.

Choix malheureux car il trouvera son “chemin de Damas” dans la péninsule

où il fera des rencontres et des lectures qui, de fils toujours présenté comme

pieux aux gens respectables, le mueront en anticlérical convaincu.

Louis de Potter par un “auteur inconnu”. © Archives de la Ville de Bruxelles.

u 16


L’Italie et la découverte des Lumières

Quand Louis arrive à Rome, S.S. Pie VII a dû quitter le Vatican, forcé manu

militari à l’exil par les troupes napoléoniennes et les Etats pontificaux forment,

en 1809, deux départements français, Rome et Trasimène.

En 1814, de Potter verra y revenir le Saint-Père et renaître en 1815 le Stato

Pontificio dont la police déploie un zèle répressif qui rivalise avec celui des

états réactionnaires voisins.

C’est dire que la ville éternelle est loin d’être une préfiguration du paradis,

plutôt un chaudron de sorcières où bouillonnent les idées révolutionnaires

que la France y a déversées.

L’initiative la plus importante de Pie VII immédiatement après son retour

sera le rétablissement de la Compagnie de Jésus (constitution Solicitudo

omnium ecclesiarum de 1814) qui permettra aux jésuites de connaître un

véritable essor et à de Potter d’écrire quelques-unes de ses pages les plus

sulfureuses aux yeux des biens pensants.

S’il loge chez un maître menuisier belge, Pinchart, dont il assume la gestion

de l’entreprise jusqu’en 1816 alors que celui-ci tombe malade, il est

aussi introduit dans les cercles littéraires romains où il semble avoir mis les

bouchées doubles afin de combler certaines lacunes de sa formation car

le vocable d’historien s’attache bientôt à sa personne sous la plume de ses

correspondants.

Recommandé par le chevalier Reinhold, ministre des Pays-Bas à Rome,

avec qui il gardera de bons rapports, il a accès aux archives vaticanes ce

que regretteront ensuite les éminences qui l’accueillent.

Rome bien que déchue de sa gloire, demeure un lieu de séjour obligé pour

les jeunes artistes. Ingres et Paelinck, pour ne citer qu’eux, s’y trouvent,

rejoints en 1817 par Navez avec qui il cohabite au palazzo Malaspina, place

de Venise jusqu’en 1819.

Le peintre Joseph-Louis Odevaere (Bruges, 1775 - Bruxelles, 1830), un

“pays” installé dans la ville éternelle depuis 1805 devient son ami. Grâce

à lui, nous avons un portrait de Louis datant de 1811 où classicisme et romantisme

naissant se disputent dans la représentation d’un guitariste plutôt

inattentif à la partition. (cf. illustrations en annexe)

17 u


Prudent, Louis écrit à son futur beau-frère Joseph van Caloen : Le tableau

d’Odevaere est tout à fait terminé. Il compte l’exposer ici avant que le laisser

emballer pour le porter à Paris (...) Je m’applique toujours un peu à la

guitarra. Mais à propos de cet instrument, veuillez vous ressouvenir que je

ne désirerai pas que l’on sait ni chez moi, ni chez les Messemaeckers, que je

m’occupe de la musique. Je veux réserver à ma mère surprise complète.

Notons au passage qu’Odevaere avait été initié en franc-maçonnerie en

1803 dans la loge de “La Réunion des Amis du Nord” à Bruges.

Louis à l’époque semble se partager entre Rome et Florence où l’accueille

la noble famille du cardinal de Ricci dont les sympathies joséphistes le rapproche

du grand-duc de Toscane, Léopold, momentanément “empêché”

par les appétits napoléoniens et qui, en bon Habsbourg, a cherché refuge

à Vienne.

Louis de Potter sera sa vie durant un anti napoléonien avec toutefois une

certaine sympathie pour Louis-Napoléon, dont le passé de “Carbonari” ne

devait pas le laisser indifférent. Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 le fera

changer d’avis.

Les “mauvaises fréquentations”

Les Ricci le mettent entre autres en contact avec Giovani Pietro Vieusseux

(Oneglia, 1779 - Florence, 1863) un marchand d’origine genevoise qui

possède une riche bibliothèque (celle-ci deviendra en 1819 le “Gabinetto

Scientifico Litterario”, actuellement hébergé au Palazzo Strozzi).

Les lectures qu’il fera dans la bibliothèque de Vieusseux et de Ricci vont

le confirmer dans son orientation peu orthodoxe, car en 1816 à Bruxelles,

il publie “Considérations sur l’histoire des principaux conciles depuis les

Apôtres jusqu’au grand schisme d’Occident” (en six volumes !), résultat de

son étude de l’histoire de l’Eglise passée à la moulinette de la philosophie

des Lumières et premier d’une série d’ouvrages qui vont asseoir sa réputation

d’historien autodidacte.

Œuvre historique, le futur homme politique de Potter y est déjà présent.

Dans l’introduction, il donne le ton en citant Saint Grégoire de Nazianze,

le père et docteur de l’Eglise grecque : J’avoue, s’il faut parler sincèrement,

que je crois devoir fuir toute réunion d’évêques ; parce que je ne

connais aucun concile dont la fin a été heureuse. Ces assemblées ne font

u 18


qu’augmenter les maux, bien loin de pouvoir y porter remède. Grégoire

savait de quoi il traitait car il avait été un des moteurs du Concile de Nicée

qui condamna l’arianisme en 325 !

Premier livre publié par Louis de Potter (6 tomes).

19 u


L’ambassadeur Reinhold l’introduit auprès d’Anton Reinhard Falck (1777-

1843), Secrétaire général du nouveau Royaume des Pays-Bas avec qui il

noue des relations amicales en 1816 lors d’un séjour à Bruxelles, sans doute

à l’occasion de la publication de ses “Considérations” et le 27 octobre il

est reçu, en tenue de ville au mépris de l’étiquette, par le Roi Guillaume,

qui a lu l’ouvrage, et par le prince héritier.

Falck émet à cette occasion le souhait qu’il tournera son attention vers

les connaissances administratives et la politique, afin de trouver en lui un

collaborateur instruit des intérêts de son pays et exempt de préjugés, vœu

pieux on le verra.

De 1817 à 1819, il est à nouveau en Italie et remplace même Reinhold à

l’ambassade lors des absences de celui-ci, délivre des passeports et se voit

donner du “Secrétaire de son Excellence le ministre de Sa Majesté le roi des

Pays-Bas” par les quémandeurs. En août 1820, nous le retrouvons à Bruges

après un passage par Paris, où il rencontre Félicité de Lamennais et l’abbé

Grégoire qui lui donne peut-être l’idée de son “Ricci”.

A la chute du “tyran corse”, les choses changent sur les terres de ce qui

n’est qu’une “expression géographique”, comme l’appelle dédaigneusement

Metternich, où l’Autriche se réserve la meilleure part : elle annexe

purement et simplement le Trentin, l’Istrie, la Dalmatie, récupère la Lombardie

et conserve le territoire de l’ancienne République de Venise. Par

sécurité, elle installe des vassaux partout où elle le peut : l’ex-impératrice

Marie-Louise, fille de l’empereur François II et épouse de Napoléon, devient

duchesse de Parme, Plaisance et Guastaldo et conservant le code

Napoléon, instaure, fait suffisamment rare que pour être souligné, un régime

beaucoup plus libéral que dans la plupart des Etats italiens.

Le royaume des Deux-Siciles est pour sa part gouverné par la branche cadette

des Bourbons d’Espagne qui ne manqueront pas d’appeler l’Autriche

au secours lors des révoltes futures. Les “Potter” auront, quant à eux et bien

plus tard, une alliance avec les Bourbons de France. En réalité, ce retour

à la “légitimité” n’est qu’une façade derrière laquelle s’agitent carbonari et

autres sociétés plus ou moins secrètes partisanes de l’unité italienne qui

rêvent de bouter i barbari hors de la péninsule. Encore faut-il définir quel

pourrait être le régime politique qui sortira de la révolution qui s’annonce :

fédération d’états (avec le pape comme président !), république, royaume,

les jeux sont ouverts. Il appartiendra au royaume de Piémont Sardaigne de

réaliser le rêve en 1870. Mais ceci est une autre histoire.

u 20


C’est en cette année 1821 que Louis regagne la Toscane où il trouve une

nouvelle fois l’hospitalité auprès de la famille Ricci, conseillers écoutés

du souverain régnant à nouveau à Florence, le grand-duc Ferdinand III

de Habsbourg-Lorraine. Celui-ci, par la grâce des Puissances et l’appui

de l’Autriche soucieuse de placer ses pions, a retrouvé, en 1814, le trône

confisqué par Napoléon en 1800. Pas rancunier, Ferdinand accueille dans

leur exil des membres de la famille Bonaparte, comme le fait d’ailleurs

le Saint-Père à Rome. Ferdinand décèdera en 1824 et son fils Léopold II,

devenu grand duc, subira les premières secousses annonciatrices de l’unité

italienne, avant d’abdiquer en 1859.

L’esprit des lieux est donc celui d’un despotisme paternaliste héritier du

joséphisme, climat de relative liberté intellectuelle dans laquelle de Potter

évolue et qui lui permet de s’atteler à un complément aux “Considérations”

de 1816 : “L’esprit de l’église ou considérations sur l’histoire des conciles et

des papes depuis Charlemagne jusqu’à nos jours”.

La douceur des paysages toscans semble avoir, une nouvelle fois inspiré

des élans romantiques autant que sensuels à notre historien de l’Eglise car

une nouvelle présence féminine entre dans sa vie. Il s’agit cette fois d’une

artiste peintre, Matilde Meoni (1779-1858), épouse d’un sieur Malenchini

dont la discrétion sera louable et dont elle divorcera. Un talent artistique

fort honorable que celui de Matilde, membre de l’Académie de Saint-Luc

à Rome, qui est une élève de l’école de Vincenzo Camuccini (1771-1844).

C’est de cette époque que date un portrait qu’elle a réalisé de son ami

doctement installé dans la bibliothèque où sont rassemblées les collections

de Scipion de Ricci (1741-1810).

Nous reviendrons sur la vie de cet évêque de Pistoia et Prato, dont la vie

inspirera à Louis un ouvrage qui l’aidera à préciser sa pensée philosophique

et politique.

Pour ce qui est de Matilde, le rôle essentiel de la jeune femme est, pour

notre propos, de l’avoir mis en contact avec des intellectuels libéraux – ce

qui à l’époque signifie de gauche : “Carbonari” italiens, “Charbonniers”

français, francs-maçons dont le moindre n’est pas Filippo, devenu Philippe

lors de sa naturalisation française, Buonarroti (Pise, 1761 – Paris, 1867),

l’arrière petit-neveu du grand Michel-Ange.

21 u


Gravure de Louis de Potter publiée en France, transmise par Madame Céline de

Potter. “Biographie des hommes du jour”, Ed. Dellicourt, 1827.

Entre 1820 et 1823, Louis pérégrine d’Italie en Suisse et en France et il

a sans doute l’occasion de rencontrer Buonarroti à Genève où celui-ci a

obtenu en 1806, après des années de prison, l’autorisation de résider grâce

à Fouché qui protège les anciens babouvistes.

Expulsé de la cité lémanique, Buonarroti s’installera à Bruxelles en 1824. Il y

retrouvera Louis lors de réunions de carbonaristes. Insatiable dans sa recherche

d’un nouvel ordre social, de Potter fréquente toujours, en 1821 à Paris,

le salon du docteur Edwards, membre de l’Académie Royale de Médecine.

C’est l’occasion de rencontrer Henri Beyle, mieux connu sous son nom de

plume germanique de Stendhal qui vient d’être expulsé de Milan, Stendhal

qu’il introduira auprès de Vieusseux lors du séjour florentin de l’écrivain.

u 22


Il faut concéder au futur auteur de “Le Rouge et le Noir” une jolie manière

pour tourner sa demande : M. de Potter, je vais passer un mois à Florence

et serais heureux d’être recommandé par vous à quatre ou cinq hommes

supérieurs. Je vais abuser de vos bontés, et vous prier, si toutefois cela ne

vous gêne en rien, de m’adresser à Florence, trois ou quatre feuilles d’introductions.

Je reviens à Paris en janvier et serai heureux d’y cultiver votre

connaissance. Si vous avez quelque livre à rapporter, disposez de moi et

excusez cette indiscrétion. Agréez, Monsieur de Potter, l’hommage de ma

haute considération.

Retour au pays qui s’agite

En août 1823, Louis quitte l’Italie en compagnie de Matilde pour revenir

à Lophem car son père est gravement malade (il décèdera le 28 janvier

1824).

Or, depuis 1811, le vent de l’histoire a soufflé en tempête sur le pays, le

régime napoléonien a été balayé et un nouvel Etat est né par la volonté des

grandes Puissances qui, sous le couvert de la Sainte-Alliance, jouent leur

partition propre. L’Autriche ne désire nullement récupérer les territoires

perdus en 1794 et préfère, comme nous l’avons vu, trouver des compensations

en Italie. La Prusse, le royaume qui monte, y voit une étape dans

l’attente de futures acquisitions sur la rive gauche du Rhin et pourquoi pas

jusqu’à Liège La Russie d’Alexandre I er apprécie de voir la France rentrer

dans ses frontières de 1789 sous le sceptre de Louis XVIII restaurateur de

la légitimité, cheval de bataille du tsar.

Le grand vainqueur est cependant la Grande-Bretagne qui, s’étant emparée

de la majorité des colonies hollandaises durant les guerres de l’Empire,

“offre généreusement” les provinces belges en compensation à Guillaume,

fils de Guillaume IV d’Orange, le dernier stadshouder des Provinces-Unies,

chassé par les révolutionnaires français.

La “perfide Albion” s’arroge ainsi un droit de regard sur l’embouchure des

fleuves et sur les ports rivaux du commerce maritime anglais. Elle s’assure

aussi une ceinture de protection contre l’esprit de revanche de la France

(Piemont-Sardaigne, neutralité suisse, Hanovre agrandi gouverné par le

souverain anglais, forteresses le long de la frontière franco-belge).

23 u


Que ce soit en Belgique ou en Hollande, personne n’est partisan de l’union

et comme le dit un contemporain : Il n’existe dans toute la Hollande qu’un

seul individu qui désire la réunion, et cet individu c’est le prince souverain.

Après les péripéties des Cent Jours, Guillaume prend, le 16 mars 1815, le

titre de “roi des Pays-Bas”, qui englobent ce qu’on qualifie de “provinces

belges”, l’ancienne principauté de Liège et le Grand-duché de Luxembourg

actuel. Usant de “l’arithmétique hollandaise”, il obtient en août la proclamation

de la Grondwet, “la plus mauvaise Constitution qu’on ait jamais

fabriquée dans aucun temps et dans aucun pays, un monstre moitié libéral,

moitié féodal”.

Selon cette arithmétique, le projet de Constitution ayant été rejeté, le roi

biffe les 126 “non” inspirés, estime-t-il, par des motifs confessionnels.

Comme la soustraction n’est pas encore suffisante (il reste 143 voix de

majorité aux opposants), Guillaume considère les 280 abstentions comme

un accord tacite et atteint péniblement 807 “oui”. Faux bilan qui laisse mal

augurer de la suite des évènements. Se considérant comme “le premier

homme d’affaires de son royaume”, le souverain, qui a étudié l’économie à

l’Université de Berlin durant ses années d’exil, se met au travail se basant

à la manière anglaise sur le machinisme et le crédit.

Le nouveau royaume ne manque pas d’atouts : le sud produit alors que le

nord du pays importe. On verra que bien des griefs vont se développer à

ce sujet.

Guillaume, qui vise logiquement à l’unification administrative de l’Etat,

recourt de préférence à des fonctionnaires hollandais plus en fonction de

leurs sentiments monarchiques qu’à cause de leur nationalité. Héritier de la

tradition joséphiste, le roi veut faire dépendre l’enseignement – retombé aux

mains du clergé, notamment jésuite, après le Concordat napoléonien – de

l’Etat. De même, le catholicisme est mis sur le même pied que les autres

religions, d’où la crainte des évêques de voir se développer un prosélytisme

calviniste diabolique. Le divorce lui aussi reçoit des bases légales.

Situation riche d’avenir, un mouvement prônant la langue flamande (mais

laquelle, vu le nombre de patois ?) se développe au sein du clergé et de la

bourgeoisie (francophone) de Flandre face au néerlandais, véhicule potentiel

de l’hérésie protestante.

u 24


On voit ainsi naître peu à peu une “Union des Oppositions”, ou plutôt une

“union des contraires”, au sein de laquelle vont se réunir avant de s’affronter

catholiques et libéraux et dont Louis sera un acteur virulent, “électron

libre” catalyseur des énergies avant de se retrouver marginalisé à cause

de ses opinions républicaines. On verra qu’il redéfinit celles-ci dans le

sens très net de la république, “chose publique” et “respect démocratique”,

plutôt que dans le sens “anti-monarchique”.

L’établissement à Bruxelles

Dès son retour en Belgique, c’est une nouvelle vie qui commence pour

Louis, installé à Bruges avec sa mère sur laquelle il veillera avec beaucoup

de tendresse. Il décide bientôt que son avenir d’écrivain philosophe et de

journaliste politique doit se jouer à Bruxelles. La vieille dame et son fils

s’y transportent donc, tout d’abord rue de l’Empereur, puis rue Longue, et

ensuite, rue Neuve. Ils résideront ensuite place Saint-Michel ; coïncidence

de l’histoire, celle-ci deviendra, après la Révolution, la “place des Martyrs”

où seront ensevelies les victimes des combats de 1830. Il s’établira plus

tard la “rue des Epingles” (parfois “de l’Epingle”). Nouvelle coïncidence de

l’histoire, celle-ci partait de la rue Notre-Dame-aux-neiges, plus ou moins à

la hauteur de la place des Barricades, jusqu’à la rue Pacheco, dans le prolongement

de la rue du Congrès, au départ de la place du Congrès.

L’une de ses premières actions qui le place dans les rangs des contestataires

est de refuser, avec l’accord de sa mère, de lever ses titres de noblesse

ce qui lui aurait conféré la noblesse héréditaire. Au baron de Westreenen

de Tiellandt, trésorier du Conseil suprême de la noblesse qui réagit sèchement

à ce refus, il écrit le 24 février 1824 : (…) Si, donc, la noblesse ne

donne point de vertus, et si elle peut s’allier avec tous les vices, si elle-même

peut devenir la récompense de tous les crimes ; si, en un mot, la noblesse,

par elle-même, n’est rien, pourra-t-on trouver étrange que je n’en veuille

point ? (…) On est toujours assez bien né quand on est né comme tout le

monde. Notre homme a choisi son camp !

En 1825, paraissent, chez Weissenbruch, “Imprimeur du roi” à Bruxelles,

les trois volumes consacrés à la vie de Scipion Ricci, évêque de Pistoia

et de Prato et réformateur du catholicisme en Toscane sous le règne de

Léopold. Les matériaux pour cet ouvrage dont les buts sont clairs ont été

réunis lors du séjour italien. Scipion de Ricci, né en 1741, formé au collège

25 u


jésuite de Rome, ordonné prêtre en 1766, évêque en 1780, se rapprocha

ensuite de l’esprit janséniste.

Soutenu par l’archiduc de Toscane, Léopold de Habsbourg-Lorraine, futur

empereur Léopold et adepte des réformes de son frère Joseph II, Ricci, au

départ de celui-ci pour Vienne, fut attaqué par l’Eglise romaine, perdit son

siège épiscopal, rentra dans la vie privée et mourut oublié en 1810.

Dans le prospectus de lancement, une citation extraite du projet de Constitution

pour la Toscane de l’archiduc est mise en évidence : Un despote

imbécile et méchant peut seul se croire au dessus de la loi.

En exergue à son ouvrage, de Potter cite un extrait des mémoires de l’évêque

: Quand une nation a servilement soumis son intelligence à l’autorité des

prêtres et des grands, elle cesse de réfléchir et perd tout désir de s’éclairer. Et il

affirme sa certitude que ce tableau ne pourra manquer son but, à une époque

où les efforts réactionnaires du parti dominant, en Europe, ne tendent

qu’à rétablir les abus de tout genre, que Léopold cherchait à déraciner.

Le reste du texte est du même tonneau : louanges à Léopold de Habsbourg

qui va à contre-courant, même du peuple égaré par les prêtres, et qui abolit

l’Inquisition en Toscane, attaque contre les jésuites et les dominicains,

approbation de la Constitution civile du clergé en France.

Il s’agit plus profondément d’un éloge du joséphisme dont la politique du

Roi Guillaume paraît s’inspirer et que Louis en un premier temps va soutenir.

N’écrit-il pas : Je remercie le sort de ce qu’il m’a destiné à vivre, sous

des institutions libérales, qui par des principes de modération et d’équité, ne

mettent aucune barrière à la pensée. Le roi lut le livre et fit savoir à l’auteur

combien il l’avait apprécié.

Devenu un adversaire résolu du régime, de Potter témoignera cependant

toujours d’une indulgence vis-à-vis du souverain : (…) Guillaume n’était

ni un tyran, ni même un despote ordinaire. C’était tout bonnement un roi

progressif, qui ne se contentait pas d’être roi de nom, roi constitutionnel,

pour manger, oisif, au râtelier de la liste civile… ll voulait sincèrement ce

qu’il croyait le bien, et ce bien il l’aurait fait, pour autant que sa position lui

permettait ; car il était aussi éclairé que peu méchant.” (extrait des “Souvenirs

personnels de Louis de Potter”).

En 1839, il en viendra même à souhaiter, dans son opposition à la politique

gouvernementale et à Léopold I er , le retour de Guillaume.

u 26


Si l’ouvrage est évidemment mis à l’index, il suscite par contre l’intérêt des

milieux libéraux. “Le Globe” de Paris écrit : J’ai à vous parler d’un ouvrage

qui dévoile tant de honteux mystères, et reproduit tant de vérités utiles, que

l’on ne doit pas s’étonner ni des frémissements de rage ni des témoignages

d’estime qui ont accueilli sa publication.

Bien qu’écrit en “style allemand”, la “Vie de Scipion” eut droit à une seconde

édition et à une contrefaçon parisienne, censurée il est vrai par la police

de Charles X. Stuttgart et Londres eurent également leur exemplaire.

Louis de Potter fut longtemps le rédacteur en chef du “Courrier des Pays-Bas”. Par la

suite, il fut un journaliste assidu dans plusieurs autres journaux tels le “National”, la

“Gazette de France”, “Le Belge” ou le “Vaderlander” (le journal patriote issu de Gand

dont il fut membre fondateur). Il était aussi journaliste ordinaire au célèbre “Réformateur

de France” dirigé à Paris par Raspail et à bien d’autres publications encore (belges

et étrangères).

27 u


Premières armes dans la presse

Derniers effets du séjour italien, ces écrits vont céder la place à d’autres

préoccupations. En effet, de Potter débute rapidement sa collaboration

avec le “Courrier des Pays-Bas”. Journal fondé en 1821, son équipe rédactionnelle

est à l’époque composée du Louvaniste Louis Jottrand, d’Alexandre

Gendebien, de Jean-Baptiste Nothomb et de Sylvain Van de Weyer. Edouard

Ducpétiaux, Philippe Lesbroussart et la majorité des ténors libéraux de la

politique belge se manifesteront dans ses colonnes. La publication compte

alors 900 abonnés, chiffre remarquable pour l’époque, et atteindra le chiffre

impressionnant de 4.500 en 1830, la qualité et la virulence des articles

de Louis de Potter seront l’origine de son succès.

Louis lance également l’idée de réunir tous les quinze jours (le second et le

quatrième jeudi du mois) des hommes de lettres et des artistes – majoritairement

opposants au régime – qui formeront la “Société des Douze”, fondée

en 1823. Dissidence de la “Société de littérature de Bruxelles”, d’abord favorable

au pouvoir puis suspectée par celui-ci, car soucieuse de la liberté

de la presse, les Douze se réunissent dans les salons de Philippe Lesbroussart

où ils marient les plaisirs de la table – ce qui n’est pas pour déplaire à Louis

amateur de bonne chair – et les exercices de l’esprit.

Parmi ses membres, nous retrouvons entre autres l’état-major du “Courrier”

ainsi que l’ami peintre Odevaere, Jean-François Tielemans, Adolphe

Quetelet, tous maçons à l’exception de Van de Weyer.

Peut-être est-ce dans ce cénacle que de Potter écrivit sa “Pétition de Saint

Napoléon pour entrer au Paradis” (1825), dont les vers de mirliton n’auraient

pas eu de quoi inquiéter la gloire naissante de Victor Hugo.

Association de fait, sans statut officiel, le but des “Douze”, soutenue par

Van Gobbelschroy est la défense de la langue française et la lutte contre

la “hollandisation culturelle”. Se complaisant dans une certaine discrétion,

vite percée à jour, les “Douze” ne manquent pas d’attirer l’attention des

services gouvernementaux qui y voient un foyer de contestation car, si

l’une des obligations des membres est de rimailler, la satyre politique prend

rapidement le pas sur le culte des Muses car elle affirme vouloir “répandre

les lumières dans toutes les classes et surtout les classes inférieures”.

Elle établit également un comité destiné à venir en aide aux Grecs en

révolte contre l’Empire ottoman. Les “Douze”, en tant que cercle, perdra de

u 28


son importance lorsque l’union entre catholiques et libéraux deviendra une

réalité dans leur opposition commune au gouvernement.

Les membres fondateurs de la “littéraire des Douze” sont A. Van de Weyer

(Baron, docteur ès lettres), Louis de Potter (propriétaire), Ph. Doncker

(avocat), L.A. Drapier (propriétaire), Ph. Lesbroussart (professeur d’athénée),

J.D. Odevaere (peintre du roi), A. Quetelet (professeur de maths,

physique, astronomie), Ed. Smits (employé au ministère de l’Intérieur),

F. Tielemans, (avocat), F. Van Meenen, M. Gruyer et un nom qui manque à

l’appel, mais il est permis de croire qu’un certain nombre de ses membres

était appelé à se renouveler et qu’un siège était “tournant”.

Intermède sentimental

En 1825, Matilde quitte Bruxelles pour l’Angleterre et la France où l’attendent

des commandes. C’en sera fini de leurs relations, mais Louis lui

versera régulièrement une pension.

Souci de se fixer, désir d’avoir une descendance légitime, toujours est-il

qu’en 1826, Louis se met en ménage avec son amie brugeoise Sophie van

Weydeveldt, fille d’un tapissier plaisamment appelée “de Champré”, du

flamand weide (pré) et veld (champ). Ne vous figurez pas, écrit-il à son ami

Tielemans, de trouver dans ma compagne un esprit subtil et cultivé. Non.

Les qualités de Sophie se bornent à ce qui me suffit pour faire les charmes de

notre union, à une sensibilité exquise et à beaucoup de bon sens. En quels

termes élégants… Et encore : Le mariage à ma façon exigeait un consentement

de tous les jours, de chaque instant, plus flatteur par conséquent pour

celle en faveur de laquelle il est donné, que celui qui n’est volontaire qu’une

seule fois, et qui enchaîne ensuite la volonté pour toujours.

Il est permis de s’interroger quant à l’opinion de Madame de Potter mère sur

le sujet. Pour cette union, il prend garde à ne pas s’allier à l’une ou l’autre famille

de beau lignage, ne s’est-il pas exclu lui-même de ce monde, préférant

choisir quelqu’un à la fidélité et aux vertus domestiques éprouvées.

Son épouse sera toujours à ses côtés dans les épreuves comme dans l’exil

et si, dans ses souvenirs, Louis fait peu mention de sa famille, préférant

l’évocation de sa carrière politique, il témoignera toujours de beaucoup de

sollicitude à son égard.

29 u


Le jeune héros emprisonné “porté au panthéon” par le poète artiste E. Montius.

© Académie royale des Sciences, Lettres et Beaux-Arts de Belgique, Archives du

Baron de Stassart, c. n° 1531.

Le combat politique européen s’impose

L’une des personnalités qui a certainement exercé une grande influence

sur l’évolution de la pensée politique de Louis de Potter est l’Italien

Philippe (Filippo) Buonarroti. Louis, on s’en souvient, l’avait déjà rencontré

en Italie et à Genève, mais l’installation de l’Italien à Bruxelles en 1824 sera

déterminante (il quittera la ville pour la capitale française après les trois

Glorieuses de 1830). Eternel conspirateur, cet avocat né à Pise en 1761,

opposant au régime du grand duc Léopold, est membre ou fondateur de

toutes les sociétés secrètes qui prolifèrent à l’époque en Europe.

u 30


Franc-maçon, affilié aux “Illuminés de Bavière”, il épouse les idées les

plus extrêmes de la révolution et accomplit diverses missions officielles en

Corse (où il se lie avec les Bonaparte), puis dans le Midi. Fondateur du club

parisien du “Panthéon” qui défend les idées du libraire français Babeuf, il

est arrêté lors de la découverte de la “Conspiration des Egaux” en 1796 et,

alors que ce dernier monte à l’échafaud, il est condamné à la déportation

commuée en détention.

La “Conspiration des Egaux” était le nom donné à la conspiration “de la

Commune” qui fut déjouée par le Directoire en 1796, partisan d’une révolution

sociale qui compléterait la révolution politique commencée en 1789.

Arrêtés le 11 mai 1796 à la veille du déclenchement de leur insurrection,

Babeuf et ses principaux associés furent condamnés à mort le 26 mai 1796

et exécutés le lendemain à Vendôme.

Il fait alors connaissance avec la Société des “Bons Cousins Charbonniers”

qui, exportée en Italie, servira de base à sa pendante, la fameuse “Carbonaria”.

A Genève, Babeuf fonde la loge maçonnique “Les Sublimes maîtres

parfaits” et, en 1812, il participe à la conspiration du général Malet. Finalement,

en 1824, expulsé définitivement de la cité du Léman, il choisit de

s’installer à Bruxelles où il renoue avec d’anciens conventionnels et joue

un rôle capital de liaison au sein de la maçonnerie et la charbonnerie.

Arrêté une dernière fois à Paris en 1833, Buonarroti mourra pauvre et aveugle.

Reconnaissons au passage que la présence de ces régicides, républicains

et autres anarchistes, avides de fraternité et d’égalité pour le peuple,

plaide en faveur de la liberté de pensée et de parole qui règne, quoi qu’on

en dise, dans le royaume des Pays-Bas si on la compare aux prouesses de

la censure dans d’autres pays.

Résumer la pensée de Buonarotti n’est pas aisé : fils des Lumières, il est

imprégné des idées de Rousseau, Locke, Condillac et son frère Mably,

Morelly, O’Connell ou Helvétius, qu’il va radicaliser. Antimonarchiste, anticlérical

et antiaristocratique, il prône une société égalitaire où la terre est

mise à la disposition de chacun au profit de tous. Il condamne le commerce,

l’industrie, la monnaie, comme corrupteurs. Jacobin, il réclame une

éducation gérée par l’Etat ouverte à tous et et prône le suffrage universel.

Ces principes développés dans son œuvre majeure, “Histoire de la conspiration

pour l’égalité, dite de Babeuf”, publiée à Bruxelles en 1828, auront

un grand retentissement. Buonarotti ouvre ainsi la voie à Marx, à Blanqui

et au-delà au communisme. Sans en adopter ces positions extrêmes, Louis

31 u


de Potter fera siens des éléments de sa pensée qui, peu à peu, l’éloigneront

de ses compagnons de lutte anti-hollandais favorables à une monarchie

parlementaire constitutionnelle.

Toujours plus anticlérical, notre historien-journaliste publie, en 1827, ses

“Lettre de Saint Pie V”, suivie d’un catéchisme catholique romain comprenant

la législation pénale de l’Eglise en matière d’hérésie. Ces lettres, écrit-il

dans la préface, expriment toutes le même désir : elles n’expriment qu’un

seul désir ; celui-ci enflammait le pape de l’extirpation de l’hérésie et de

l’extermination des hérétiques.

Le moment est venu de se souvenir des exils répétés de Louis et du bannissement

de sa famille durant sa jeunesse. Les destinataires des missives du

Saint-Père sont Philippe II, le sanguinaire duc d’Albe (qui avait persécuté

la famille de Louis, notamment son arrière-grand-oncle qui fut décapité),

Charles IX et Catherine de Médicis qui ne pouvaient qu’être d’accord avec

celui qui disait : Gardez-vous de croire que l’on puisse faire quelque chose

de plus agréable à Dieu que de persécuter ouvertement ses ennemis par un

zèle pieux pour la religion catholique (Lettre 22).

C’est également à cette époque que de Potter approfondit sa connaissance

des idées de Félicité de Lamennais. Ils s’étaient rencontrés début des

années vingt et une correspondance fournie s’était établie entre eux. Elle

durera jusqu’en 1840, leurs chemins idéologiques s’étant alors séparés.

Félicité Robert dit “de Lamennais” (1782-1854), empruntant le nom d’un

lieu-dit (“la Mennaie” en Côte d’Armor où son grand père possédait un

bien) est ordonné prêtre en 1816. Champion à ses débuts du traditionalisme,

il publie, en 1823, un “Essai sur l’indifférence en matière religieuse” où

il critique l’Université issue des réformes napoléoniennes et le gallicanisme

de la Restauration. Il proclame la nécessité pour l’Eglise de se désolidariser

des pouvoirs établis et de faire cause commune avec la liberté (“De la

religion considérée dans ses rapports avec l’ordre politique et civil”, 1825).

En 1828, il fonde la Congrégation de Saint-Pierre, destinée à former un

clergé en phase avec son temps et à rétablir l’autorité du pape en France. Il

publie en même temps “Les progrès de la Révolution et de la guerre contre

l’Eglise” qui marque un virage à gauche.

Cette évolution le mène à fonder, en 1830, avec Montalembert et Lacordaire,

le journal “L’Avenir” auquel collaborera de Potter, qui plaide pour la

u 32


liberté de l’enseignement et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté

de conscience, de religion et de la presse.

Malgré leurs différences, les routes de Lacordaire et de Louis se trouvent

bien souvent en parallèle et une vive sympathie naît entre eux. Monsieur

de Potter, écrit Lacordaire en 1830, est un homme qui ne croit pas, mais

d’ailleurs honnête et loyal, et qui a été le principal promoteur de l’union

entre le libéralisme, ami de l’ordre, et le catholicisme, union qui doit

s’effectuer partout sur la base d’une liberté vraie, unique garantie possible

de la liberté commune.

Louis de Potter, dessiné par J. Lion pour les “Biographies des Hommes du Jour”,

G. Sarut, Paris, 1836.

33 u


Concordat, retour à la concorde

ou ferment de discorde

Un évènement va réaliser, pour des raisons différentes, cette union entre

les deux partis : la signature d’un Concordat entre le Royaume des Pays-

Bas et le Saint-Siège.

Dès la création du Royaume des Pays-Bas, la question de l’enseignement

revêt un caractère d’acuité qui ne peut que croître avec la politique menée

dans ce domaine par le Roi Guillaume. Poursuivant la tradition née avec

Marie-Thérèse et poursuivie sous Joseph II, la Révolution et l’Empire, le

souverain veut faire dépendre l’Ecole des pouvoirs publics. 1.500 écoles

royales (primaires), des athénées (les anciens lycées impériaux), des écoles

normales vouées à la formation des instituteurs, trois universités d’Etat

(Gand, Louvain, Liège) voient le jour au grand dam des ordres religieux

qui s’étaient emparés des institutions d’enseignement à la chute de l’Empire.

jésuites, frères des écoles chrétiennes venus de France, dirigent petits

séminaires et collèges diocésains.

Le roi s’attaque d’abord aux premiers, pépinières de futurs ecclésiastiques

– en trois ans, 300 prêtres avaient été ordonnés dans le diocèse de Malines –

puis exige un diplôme d’une des universités d’Etat afin de pouvoir enseigner.

Finalement, devant la fuite des jeunes cerveaux qui suivent leurs

maîtres religieux à l’étranger lors de leur éviction, il décrète qu’aucun Belge

ayant fait des études hors du pays, ne serait admis dans les universités du

royaume ou nommé à un emploi d’Etat.

En 1825, lors du discours du trône devant les Etats généraux, le roi annonce

l’ouverture d’un “Collège philosophique”, véritable séminaire d’Etat, chargé

de la formation des prêtres du royaume. De Potter, tout en reconnaissant

qu’il s’agit d’une atteinte portée à la Loi fondamentale prend la défense du

roi : (…) Le discours du roi, est franc et loyal. J’en reviens toujours pour

lui au surnom d’honnête homme que je retrouve dans toutes ses paroles et

dans toutes ses actions. Je crains beaucoup plus pour nous (il s’agit bien entendu

des libéraux) ce que l’on pourra dire touchant la haute main que le

gouvernement prend sur l’instruction publique. (…) Nous voulons avec lui

son existence et sa prospérité, quitte à le combattre lui-même dans la suite

s’il n’abdique pas, en temps et lieu, l’autorité absolue dont nous aurons été

u 34


avec joie les agents les plus dévoués pendant l’urgence. (lettre du 29 octobre

1825 à son ami Sirtema de Grovestins)

Si van Gobbelschroy, ministre de l’Intérieur depuis peu, belge et catholique,

s’efforce de calmer les esprits entre le vieil archevêque de Méan

(1756-1831) et Goubau, Secrétaire d’Etat aux cultes, les affrontements deviennent

quotidiens. Chacun comprend que le point de rupture semble

atteint car, avec un séminaire d’Etat, la mainmise de celui-ci sur l’Eglise

serait totale et le danger réel de voir renaître le fébronianisme, c’est-à-dire

une église schismatique rompant avec Rome, probablement ouverte à la

pénétration calviniste. Le Saint-Siège va alors reprendre des négociations

en vue de la conclusion d’un concordat.

Comme souvent, les premières manœuvres seront le fruit d’une diplomatie

parallèle. Ni Goubau, vieux joséphiste, ni Van Maanen, la bête noire de Louis

de Potter et du peuple belge, ministre de la Justice, Hollandais pur jus, ne

sont tenus au courant de celles-ci. Van Gobbelschroy confie les premières

approches au comte de Visscher de Celles, libéral sans sectarisme qui a ses

entrées au Vatican. Officier de cavalerie, il avait chevauché botte à botte dans

l’armée française avec le futur Monseigneur de Mercy-Argenteau, un proche

du pape, frère du grand chambellan de Guillaume des Pays-Bas.

Léon XII écoute d’une oreille attentive les propositions venues du nord et

finalement, le cardinal Cappellari et de Celles, élevé au rang d’ambassadeur,

concrétisent l’accord qui est publié en septembre 1827. De vingt-sept

articles au départ, le Concordat n’en compte plus que trois dont la teneur

prévoit la création de nouveaux évêchés, le droit de regard du souverain

dans la nomination des évêques et l’obligation du serment de fidélité au roi

à prêter par les membres du clergé.

Un article, tenu secret, envisage de rendre facultatif le Collège philosophique.

Le texte aussitôt connu provoque une levée de boucliers chez les libéraux

et les calvinistes qui n’y voient évidemment que les faveurs faites aux

catholiques. Van Gobbelschroy adresse alors aux gouverneurs de provinces

une circulaire confidentielle d’où il ressort que si le roi avait semblé s’être

montré conciliant, c’était pour mieux amadouer les futurs nouveaux évêques

et ainsi atteindre “par d’autres moyens” les buts qu’il poursuivait, en clair le

maintien du tellement contesté Collège philosophique. Par une “heureuse

indiscrétion” le document tombe entre les mains de Louis de Potter qui

s’empresse de le publier dans le “Courrier” du 14 octobre 1827, à l’indignation

cette fois des catholiques qui y voient la confirmation de la duplicité

35 u


royale. La querelle rebondit donc. L’archevêque de Malines de Méan refuse

de former à la prêtrise des élèves du Collège et le roi va jusqu’à exiger du

Saint-Siège la déposition de l’irascible vieillard “ce barbouilleur”.

A cette époque un évènement familial heureux se produit pour Louis : il

devient père d’un fils, officiel cette fois : Agathon, qui deviendra médecin,

franc-maçon, défenseur de l’idéal social colinsien et mécène de l’Académie

Royale de Belgique. Que déduire de ce prénom insolite sinon le caractère

ironique de Louis qui connaît bien son histoire des papes : Saint Agathon,

pontife de 678 à 681, affirma l’indépendance et la primauté romaine, le

principe de l’infaillibilité pontificale et l’unité de l’Eglise, toutes questions

controversées à l’époque de notre pamphlétaire.

Conversion du “Révérend Père” Louis de Potter et destruction des livres hérétiques

© Archives de la Ville de Bruxelles, Collection iconographique, A575.

u 36


Liberté de la presse, liberté en tout

Si le Concordat avait été l’occasion – pour des raisons certes différentes – de

créer une opposition commune au gouvernement, la lutte pour la liberté

de la presse cimentera l’union entre libéraux et catholiques. Cette première

brèche verra s’engouffrer le torrent de toutes les revendications et aboutira

aux évènements de 1830.

Inscrite dans la Constitution de 1815, cette liberté avait été considérablement

restreinte par un arrêté du 20 avril de la même année, pris durant les

Cents Jours napoléoniens et jamais abrogé, qui permettait de traduire en

justice “tous ceux qui cherchaient à susciter entre les habitants la défiance

ou la désunion ou à exciter au désordre”. Des dizaines de prêtres et de

journalistes avaient fait les frais de cette répression qui pouvait conduire

jusqu’à la Cour d’assises. Anachronisme, dans la Belgique du XXI e siècle,

les délits de presse, bien que la plupart du temps correctionnalisés, sont

encore passibles de la Cour d’assises. En mai 1824 déjà, Lesbroussart, rédacteur

au “Courrier des Pays-Bas”, avait été emprisonné au secret pendant

un mois pour avoir publié un article qui l’avait fait accuser de “provocation

à la révolte”, alors qu’il n’en était même pas l’auteur.

Le coup d’envoi du rapprochement entre les deux partis opposés sera

donné par Paul Devaux dans le “Mathieu Laensberg”.

Née le 10 mars 1824 grâce à un trio d’avocats, Devaux, Charles Rogier et

Joseph Lebeau, la feuille liégeoise lance, le 21 mars un appel à l’union :

Libéraux et catholiques ont, les uns et les autres, leurs sujets de mécontentement

mais ils en ont beaucoup en commun. Ils veulent la liberté des langues,

la liberté de la presse, l’inamovibilité des juges et la responsabilité ministérielle.

A quoi bon s’obstiner à lutter séparément quand l’union fait la force.

Jusqu’à ce moment, de Potter avait surtout mené le combat anticlérical

dans l’affaire du Concordat : Maudits jésuites, écrivait-il encore quelques

mois auparavant, ils nous auront fait bien du mal de leur vivant ; et quoiqu’enterrés

en France, leur ombre continue encore à nous inquiéter.

Mais dans l’article célèbre (anonyme mais qui porte sa griffe) paru le

8 novembre 1828, il élargit son champ de bataille : Jusqu’ici on a traqué

les jésuites. Bafouons, honnissons-les ministériels. Que quiconque n’aura

point clairement démontré par ses actes qu’il n’est dévoué à aucun ministre

37 u


soit mis au ban de la nation et que l’anathème de l’impopularité pèse sur

lui avec toutes ses suites.

Immédiatement le ministre de la Justice Van Maanen, furieux, exige

l’ouverture d’une instruction contre l’auteur (l’indépendance des magistrats

est comme on le voit des plus relatives) et l’ancien défenseur du roi se

retrouve huit jours plus tard en prison, accusé de complot contre l’Etat et

d’excitation à la révolte.

De sa cellule aux Petits Carmes où, sous l’œil complaisant des gardiens, il

reçoit la crème de l’opposition, part (le 22) un second article encore plus

virulent : Dans les circonstances actuelles, serait-ce une lâcheté que de profiter

du peu de liberté de la presse que nous jette le ministère pour accabler

ceux qui, avec nous, la réclament tout entière. Ce serait une lâcheté d’attaquer

les jésuites qui sont devenus chez nous les piliers de l’opposition ; le

mot d’ordre dut-il être Saint Ignace, dussent les drapeaux porter le fameux

monogramme et un Sacré-Cœur, dussent enfin les instructions partir du

Vatican, le devoir de tout bon patriote est dorénavant dans les rangs de

cette opposition toujours libérale, en ce qu’elle empêche les empiètements, les

usurpations du ministère, seules véritables causes des malheurs d’un peuple

et des dangers d’un gouvernement.

Dès ce moment, de Potter apparaît comme le chef de file de l’opposition et

sa popularité dépasse le cercle des initiés pour gagner le grand public.

Arrivée des volontaires Liégeois derrière Rogier, Ch. Soubre, 5 août 1880. © Musée

royal de l’Armée.

u 38


Ce que dit la presse

Le “Courrier des Pays-Bas” était toujours le principal organe du parti

libéral. Les rédacteurs les plus assidus étaient alors MM. Ducpétiaux,

Jottrand et Lesbroussart. M. Claes, qui venait de terminer ses études

de droit à l’Université de Louvain, s’adjoignit bientôt à eux. Il se faisait

distinguer par la vivacité et l’esprit de sa polémique.

Si nous devons reconnaître que presque tous les écrivains attachés

alors à la presse libérale, avaient suivi de Potter dans le tollé qu’il avait

soulevé contre le concordat, il faut ajouter que plusieurs furent dégoûtés

de cette duplicité ministérielle. Le “Courrier des Pays-Bas” reproche,

sans hésitation, au ministère son manque de franchise et lui dit, en

propres termes, qu’il ferait mieux “de jouer cartes sur table”.

Les journaux catholiques, qui dès l’origine avaient accueilli favorablement

le concordat, avaient été un peu désarçonnés à la révélation

d’intentions que contenait la circulaire confidentielle. On voit dans les

journaux libéraux de la fin du mois d’octobre 1827, que ceux-ci triomphent

de la déconvenue du “Courrier de la Meuse” et du “Courrier

de la Flandre”.

Partout, la liberté assiège le despotisme. Même dans les Etats constitutionnels,

une tendance prononcée vers la plus grande liberté possible,

imprime à l’opposition son élan toujours progressif ; l’Angleterre a ses

radicaux, la France son côté gauche, et l’Amérique ses fédéralistes…

Au commencement de l’année 1829, les membres de la presse

Ducpétiaux, Jottrand, Claes et de Potter se trouvaient réunis aux Petits

Carmes, avec l’imprimeur Coché-Mommens, qui, suivant la jurisprudence

du temps, était le complice de ces écrivains, encore bien qu’il

lui eût été difficile, tout honnête industriel et tout courageux patriote

qu’il était, de rendre un compte grammatical satisfaisant des articles de

journaux condamnés par la justice

M. de Potter lança du fond de sa prison plusieurs écrits en faveur de

l’alliance entre les catholiques et les libéraux. En juin 1829, parut sa

brochure intitulée “Union des catholiques et des libéraux”. Plusieurs

autres lui succédèrent ; toutes étaient attendues avec impatience, lues

avec enthousiasme. Il devint l’homme le plus populaire de la Belgique.

Son nom était prononcé avec respect par tous les partis, par toutes les

classes ; il était l’idole du peuple et l’effroi des ministres.

La presse était toujours poursuivie à outrance par le pouvoir. MM.

Claes et Jottrand étaient condamnés à l’emprisonnement ; M. Coché-

Mommens, condamné aussi, se voyait menacé d’être enfermé de force

39 u


dans la maison de Saint-Bernard, s’il ne prenait l’engagement de faire

cesser les attaques du “Courrier des Pays-Bas” contre M. Van Maanen.

Mais ce système de persécutions semblait donner à la presse une

nouvelle ardeur, un nouveau courage, de nouvelles forces.

Les libéraux indépendants organisaient des démonstrations publiques,

concerts, souscriptions, etc., au profit des Grecs alors en insurrection.

Les libéraux du gouvernement et, jusqu’à un certain point, les catholiques

en étaient offusqués. Les écrivains de la Sentinelle en étaient jusqu’à

de quereller publiquement avec quelques rédacteurs du “Courrier

des Pays-Bas”. Les écrivains du “Journal de Bruxelles” cherchaient

à se rapprocher de ceux-ci.

A la décharge du Roi Guillaume, la marche des événements dans toute

l’Europe, ne permettait guère d’espérer beaucoup de succès de la

pure habileté d’une politique de cour. On était, en France, à la veille de

la chute du ministère Villèle. O’Connell tenait en échec toute l’aristocratie

anglaise, et allait lui arracher bientôt le bill d’émancipation des

catholiques.

Si l’on veut juger de la situation générale des esprits au commencement

de 1828, et particulièrement de l’état de l’opinion en Belgique,

qu’on lise les extraits suivants d’un article publié dans le numéro du

1 er janvier 1828 du “Courrier des Pays-Bas”, sous le titre de : “Etrennes

politiques”. Aussi bien n’est-il pas oiseux de rappeler, par cette citation,

de quelles idées les journalistes d’alors occupaient le public et dans

quel style ils savaient traiter les idées :

Nous voici parvenus à la 28 e année de cette ère la plus étonnante qui

n’ait jamais existé. Quel siècle ! Désormais il suffit à la liberté d’une

feuille de papier pour se promener d’un bout à l’autre de l’univers… Des

rois voyagent dans les diligences et font des articles dans les journaux ;

d’autres “roi-bourgeois” se promènent librement sans gardes… Le pouvoir

clairvoyant transige avec les peuples et abdique en leur faveur son sceptre

d’airain. Le despotisme stupide s’accroche seulement à la matière. La fable

et l’antiquité ont disparu devant l’histoire merveilleuse de notre époque ;

et le siècle incrédule aux chimères sera pour nos descendants, un temps

tout fabuleux.

A la voix impérative du génie, le vieux monde s’écroule, le genre humain

se refait, et la véritable création ne date que d’hier. Lois, gouvernement,

éloquence, tactique, industrie, besoins, idées, tout est changé,

tout est nouveau ; 30 ans de prodiges en ont effacé 6.000 d’enfance

politique ; et le temps n’aura pas d’espace pour dire tout ce qu’a fait

ce petit règne de l’esprit.

u 40


L’organisation du procès menée rondement, celui-ci s’ouvre le 19 décembre

à Bruxelles devant la Cour d’assises du Brabant méridional. Louis,

défendu par Van Meenen et Van de Weyer demande la publicité entière des

audiences, la garantie du jury, l’emploi de la langue française ce qui lui est

refusé durant son interrogatoire à huis clos.

Les audiences, finalement tenues en public, deviennent de plus en plus

tumultueuses et débordent rapidement le cadre initial pour tourner à la

mise en accusation de la politique gouvernementale. Tous les griefs belges

sont soulevés par l’accusé et ses défenseurs qui sont à leur tour menacés

de poursuites par le procureur. A la fin des débats, qui durent deux

jours, le président de Kersmacker, après avoir demandé l’avis du ministre

Van Maanen obtient la condamnation de notre journaliste à dix-huit mois

de prison et 1.000 florins d’amende.

Dans ses mémoires, de Potter écrira : (…) A peine la sentence fut-elle énoncée

que la salle retentit des huées et des coups de sifflets du public, auxquels

bientôt répondirent ceux de tout le peuple. Il me serait aussi impossible de

décrire ce moment d’effervescence qu’il le fut alors aux nombreux agents

déguisés de pouvoir le calmer. Je fus conduit hors de l’enceinte par une

porte dérobée qui menait au vestibule ; on m’y fit attendre à l’écart, tandis

que le public évacuait la salle et qu’à la faveur de l’obscurité les juges se

soustrayaient à la fureur populaire en fuyant à pied et par des issues secrètes.

Comme on s’aperçut que le peuple ne se laissait pas induire en erreur

par les assurances qu’on lui faisait donner à chaque instant que j’étais

déjà retourné en prison, il fallut bien finalement songer à m’y ramener en

effet, et l’on me fit monter dans une voiture introduite dans la cour et où

trois gendarmes se placèrent auprès de moi. A peine avions-nous passé la

porte que les vociférations les plus énergiques de “A bas le ministère ! A bas

Van Maanen !”, mêlées aux cris de “Vive de Potter !” firent une épouvantable

explosion autour de la voiture. Je l’avoue, ce fut là un des moments les

plus solennels de ma vie et il me paya amplement, par l’espoir d’un meilleur

avenir pour ma patrie, des maux personnels que je m’étais attirés pour le

faire poindre.

Une anecdote raconte que le président de Kersmacker qui faisait régulièrement

sa partie de dominos au café des “Mille Colonnes”, place de la

Monnaie, ne trouva plus de ce jour de partenaires pour jouer avec lui. Le

même soir le ministre Van Maanen donnait une réception dans son hôtel illuminé

au coin de la rue des Petits Carmes et du Sablon – le gouvernement

41 u


siégeait alternativement un an à Bruxelles et un an à La Haye – lorsqu’une

pierre fit voler en éclats une vitre de l’immeuble. Prélude à des violences

bien autrement graves qui allaient se produire un an et demi plus tard.

Reconduit triomphalement à la prison des Petits Carmes, de Potter entame

une vie de reclus qui ne lui sera pas trop dure comme le reconnaissent ses

codétenus et lui-même : (…) C’est d’ailleurs une justice générale à rendre

aux agents du gouvernement de cette époque, qu’ils ne mettaient aucune

rigueur inutile dans l’accomplissement de leurs fonctions (…) et nous nous

sommes bien souvent rappelé (…) quelques souvenirs agréables de notre

commun emprisonnement.

Il obtient en effet de purger sa peine aux Petits Carmes afin d’être proche

de sa vieille mère (elle a 76 ans), de son épouse et de son fils qui lui rendent

presque quotidiennement visite ainsi que de nombreux sympathisants.

De ces rencontres autant carcérales que conjugales naîtra début 1830, alors

que le père est toujours sous les verrous, un second fils, Eleuthère.

Une fois de plus le prénom, pour le moins original, semble puisé dans

le répertoire inépuisable des papes que Louis se plaît à critiquer : Saint

Eleuthère, pourfendeur du montanisme, hérésie qui met en cause l’unité

de l’Eglise, promoteur de l’apologétisme qui vise à démontrer la validité de

la foi chrétienne, régna de 175 à 189.

Dans sa relative solitude (les gravures d’époque montrent quelqu’un qui

jouit d’un minimum de confort), le condamné s’attelle à la rédaction de

divers écrits qui franchissent sans encombre les murs de la prison. Plusieurs

brochures se succèdent “Réponse à quelques objections, ou éclaircissements

sur la question catholique dans les Pays-Bas”, “Dernier mot de

l’anonyme de Gand sur l’Union des catholiques et des libéraux dans les

Pays-Bas”. Il estime tout en recommandant l’emprunt des voies légales que

“par la modération, la douceur, la raison, nous n’obtiendrons rien”.

A Bruxelles, en juin 1829, paraît une brochure “Union des catholiques et

des libéraux dans les Pays-Bas” dont il adresse un exemplaire au roi. Epuisée

en quinze jours, la publication connaît un second tirage, preuve du

succès des idées qu’elle défend. Dans la lettre d’accompagnement, l’auteur

s’adresse au souverain en ces termes : L’alliance qui, dans les Pays-Bas

vient d’être jurée sur l’autel de la patrie Belge par la philosophie et la religion,

est un des évènements les plus remarquables de votre règne : il nous

sera envié par les peuples civilisés des deux mondes.

u 42


Louis de Potter, confortablement installé dans sa prison des Petits-Carmes, reçoit

le ban et l’arrière-ban des forces vives belges et étrangères, qui lui font honneur à

Bruxelles.

A la même époque, Guillaume entreprend un périple dans le sud du royaume

où son attitude cassante raidit l’opposition. Comme le rapporte Carlo

Bronne : A Liège, abusé par la lecture de “Quentin Durward” où Walter

Scott fait parler aux Liégeois le dialecte de la Flandre, (il) soutint qu’autrefois,

on s’exprimait à Liège en flamand. On imagine l’ambiance.

Trompé par l’accueil des “brigades d’acclamations spontanées”, il dira : Je

vois maintenant ce que je dois croire des prétendus griefs. On doit tout cela

aux vues de quelques particuliers qui ont leurs intérêts à part. C’est une

conduite infâme (23 juin 1829).

Il suffit de quelques jours pour que, début juillet, les frères Pierre et

Constantin Rodenbach de Roulers, proches des Potter, créent “l’Ordre de

43 u


l’Infamie” et fassent frapper à Bruges un insigne, inspiré de celui des Gueux

du XVI e siècle, avec l’inscription : “Grondwet, art.1, Loi Fondamentale,

art. 1, Fidèle jusqu’à l’infamie, Lex Rex 1829”.

Les Rodenbach, admirateurs de Louis

(Knack, 1990)

Voisins de la famille régulièrement en visite au château de Potter

à Ooighem, les Rodenbach étaient de fervents admirateurs de

jeunesse de Louis de Potter. Issus d’une lignée de producteurs de

genièvre aux Pays-Bas, ils engendrèrent une descendance de brasseur

à Roulers.

Aveugle dès sa jeunesse, Alexander Rodenbach dirigea la brasserie

dès 1821. Il écrivit des pétitions contre la politique de Guillaume I er

en faveur de la liberté de la langue et de la presse. Il mena ensuite

en 1830 la révolution à Roulers et épaula ses frères Constantin et

surtout Pedro à Bruxelles.

Comme Louis, le jeune Pedro écoutait ses parents se plaindre, par

exemple des taxes sur les alcools et la récession. Son arrière-grandpère,

Ferdinand, avait déjà été emprisonné à Lille et son oncle était

un ancien combattant amplement décoré pour faits de bravoure

par Napoléon.

Révolutionnaire ardent et militaire à la Garde impériale de Napoléon,

Pedro Rodenbach participa à la campagne de Russie. Il

combattit aussi à Waterloo avec les Hollandais contre les Français.

Il participa enfin en 1830 à la “Campagne de Bruxelles” en mettant

son carrosse à disposition de Louis de Potter et le menant à

la victoire.

Même si ses parents n’appréciaient pas le côté révolutionnaire de

Louis, cela ne l’empêcha pas de se rapprocher en Flandre avec

d’aussi vaillants et anciens voisins, eux aussi bousculés par la disette

et exilés du Nord au Sud depuis des générations.

L’aventurier de Roulers, avait trouvé son compagnon ! Il avait comme

lui de profondes racines littéraires et n’avait pas peur non plus

de se sacrifier pour être libre !

u 44


En 1808, le jeune Rodenbach se rattachait à l’armée de Napoléon,

combattant contre l’armée russe, tout en écrivant poèmes et histoires.

Comme Louis, il aimait “publier des pétitions” avec de jeunes

anarchistes pour changer le monde, de manière idéaliste et sans

vieux compromis !

C’est seulement quelques années plus tard qu’il resurgit, à Waterloo,

auprès des troupes de Guillaume d’Orange cette fois. La lutte ne

dura pas car il avait prévenu : “Le sabre des libéraux sera uni, s’il le

faut, à la crosse du prêtre”, rejoignant et amplifiant par ces propos

le mot d’ordre du jeune Louis.

Le point de rupture avec la Hollande fut atteint avec la “guerre de la

bière” (soulèvement des acteurs du secteur contre une taxe inique)

et les Flandres Occidentales se soulèvent quand elles voient le journaliste

banni Louis de Potter emmené en triomphe vers Bruxelles

dans la calèche mise à sa disposition par les Rodenbach, fiers mais

ébahis par les cris du peuple : “Vivat Potter ! Vivat Rodenbach !”

Alexandre et Pedro Rodenbach, brasseurs de Roulers et amis de Louis de Potter.

Le 15 novembre 1829, paraît la célèbre “Lettre de Démophile (Louis de

Potter) à M. Van Gobbelschroy sur la garantie de la liberté des Belges à l’époque

de l’ouverture des Etats généraux”, dans laquelle il évoque la possible

séparation des deux parties du royaume dont le Congrès de Vienne avait

si malheureusement voulu faire une nation. Il met en garde le ministre de

45 u


l’Intérieur : Le peuple veille… Il arrivera à son but par les Chambres ou sans

les Chambres, où même malgré les Chambres…

“La lettre de Démophile…” à peine sortie, suit une “Lettre de Démophile

au roi sur le nouveau projet de loi contre la presse et le message qui l’accompagne”

(20 décembre 1829) : Sire, vos courtisans et vos ministres, vos

flatteurs et vos conseillers vous trompent et vous égarent ; le système dans

lequel ils font persister le gouvernement le perd sans retour, et la menace

d’une catastrophe inévitable à laquelle il sera trop tard de vouloir porter

remède lorsque l’heure fatale aura sonné…

Si, après six mois d’emprisonnement, le souverain semble disposé à lui

accorder sa grâce, Louis refuse de solliciter celle-ci et poursuit son travail

de sape : J’aime mieux, écrit-il, être en prison, libre de droit que si, libre

par le fait seulement d’en avoir moi-même mendié la faveur de qui, en me

l’accordant, m’aurait par cela seul prouvé qu’il pouvait impunément me

retenir sous les verrous.

Au même moment, une autre forme de contestation respectant les formes

légales naît : celle des “pétitionnements”. Le comte Charles Vilain XIIII et le

comte François de Robiano semblent avoir été les initiateurs de la formule

en rédigeant une pétition adressée aux Chambres demandant la liberté

de l’enseignement. Déposées chez les libraires, circulant en province, ces

pétitions récoltent des milliers de signatures tant catholiques que libérales

et bientôt d’autres suivent réclamant celle de la presse.

A l’initiative du comte Vilain XIIII, il est proposé à Louis de Potter, en prison, de tirer

une médaille pour financer son action. Celle-ci mentionne : Le pouvoir les proscrit,

le peuple les couronne ! et Préservons nos autels et foyers. Ce vocable fait référence

à l’association patriotique “Pro Aris et Focis”, créée en 1789 par Jacques-Dominique

t’Kint, J-Fr. Vonck et H. van der Noot, et qui organisa la révolte anti-autrichienne

brabançonne.

u 46


Pétitions - Extraits des “Archives de la Révolution de 1830”

par A. Bartels (Ed. Thieu, 1848, Paris)

Le signal de pétitions fut donné au public par Louis de Potter, du

fond de sa prison. Dans une adresse aux rédacteurs de tous les

journaux indépendants et patriotes des Pays-Bas, il réclama ce

droit. Plusieurs bourgmestres des Flandres furent destitués pour

s’être prononcés contre l’impôt mouture et Liége émit une pétition

contre l’arrêté-loi. Le “Courrier de la Meuse” commença la publication

de ses tableaux comparatifs sur l’inégale répartition des emplois

administratifs et militaires entre les Hollandais et les Belges,

les protestants et les catholiques. Ces chiffres accablants poussèrent

au plus haut point l’irritation des esprits, et associèrent les intérêts

matériels aux antipathies nationales. La pétition pour la liberté de

l’instruction publique portait par exemple les signatures ci-dessous

et quasi les mêmes noms figuraient pour les pétitions pour la liberté

de la presse chère à de Potter :

Bahonville, baron de

Barthels, Ve Th.

Bergeyck, baron Charles de

Berlaimont, baron de

Bethune, baron Auguste de

Beughem, vicomte

Cattoir, J-B.

Cavelier d’Adrighem, baron

Clercx de Waroux, J. N. de

Coché-Mommens, imprimeur

Cornet de Grez, comte

D’Haene Steenhuyse, L.

Debœur, négociant

Dejaer, négociant

Demanet, vicomte

Dons de Lovendeghem, E.

Ducpétiaux, Père

Fagot-Jonniaux, négociant

Faille d’Huysse, della

Fassin, avocat

Fonbaré de Fumal, baron de

Francotte, negociant

Ghellinck, de

Gourcy, A. de

Grady, Félix de

Grisard, A.

Hamal, baron de

Jacquemin, Clément

Jonghe d’Ardoye, G. comte de

Kersten ,imprimeur

Kethulle, L. Baron de la

Kockaert, bâtonnier

Lamarche, négociant

Lambert, baron F.

Lamine, L. de

Lantsheere, de

Lemarié imprimeur

Levae, Adolphe

Linden d’Hooghvorst, bar v.der

Meester de Ravenstein, baron

Mééùs, Ferdinand

Mérode, comte Henri de

Mérode, comte Werner de

Nagelmackers, G., banquier

Nève, de

Oversschie de Neerysse, baron

47 u


Pangaert d’Opdorp, vicomte

Potter – Maroucx, Vve de

Potter d’Indoye, Ec. de

Robert d’Oltrée, le baron de

Robiano de Borsbeek, baron de

Robiano, Eugène de

Rogier, Charles

Sarolea de Chéralle, le comte de

Sasse van Ysselt, député

Sauvage, chevalier E. de

Sauvage-Vercour, chev Fr. de

Sauvage-Vercour, chev. Nicolas

Scherpenzeel-Heusch, baron de

Simonis

Snoy, baron

Spoelberch, vicomte de

Stas, négociant

Steen de Jehay, baron van den

Surmont, de

Theux, chevalier B. de

Thiriard-Martiny, négociant

Van Bommel, évêque de Liége

van der Borcht, imprimeur

Van der Cruyssen

Van Thiegem

Vander Horst, avocat

Vercken, négociant

Verdussen, P.A.

Vilain XIIII, comte

Villenfagne, baron de

Viron, J. de

Wilde, J. de, étudiant en droit

Yves de Bavay, marquis d’

Yves, comte d’ (etc.)

Les villes des Flandres qui ont mis, après Roulers, le plus d’empressement

et de zèle à pétitionner sont : Courtrai, 217 signatures, comprenant toutes

les notabilités commerciales, à deux ou trois exceptions près ; Menin, 200,

dont 8 membres de la régence ; Furnes et le pays, 370 ; Bruges, 247 ;

Termonde, Grammont, Renaix, etc. A Ninove et à Alost, des fonctionnaires

se permirent de saisir les pétitions chez les dépositaires et aucun des

souscripteurs n’osa réclamer directement contre cet attentat. Parmi les

communes rurales, Zéle (Flandre Orientale), et Moorslede (Flandre Occidentale)

méritent une mention spéciale pour la promptitude de l’émission

et le nombre des signataires. On ne pétitionna ni à Audenaerde, ni à

Ostende.

L’adresse de Tournai pour la liberté de l’instruction fut signée par toute la

noblesse ; mais les autres classes s’associèrent moins activement à celte

démonstration. Les adresses pour le redressement de tous les griefs

obtinrent les adhésions de la presque totalité des principaux habitants

à Lessines et Gembloux. Plusieurs membres des états provinciaux signèrent

à Mons et Charleroi. A Namur, Dinant et Bouvignes, 417 signatures

furent recueillies.

u 48


Une caricature, conservée au Cabinet des estampes de la Bibliothèque

Royale, illustre bien l’engouement suscité par ces alliances de circonstances

: la comtesse de Robiano, debout devant une montagne de pétitions,

dit scandalisée, à son chapelain : Quoi, pour la liberté de la presse aussi ?

Y pensez-vous l’abbé ? Et celui de répondre : Hélas, oui, comtesse, si vous

voulez qu’ils signent pour la liberté de l’enseignement.

En quelques mois, 378 pétitions aboutissent sur le bureau des Etats généraux

dans lesquelles sont demandés pêle-mêle, outre la liberté de l’enseignement

et de la presse, l’inamovibilité des magistrats, la responsabilité

ministérielle, l’abolition de la taxe sur la mouture, la liberté de l’emploi des

langues, etc.

Guillaume, sensible à ces mouvements de l’opinion publique, utilise sa

technique habituelle, donner d’une main, reprendre de l’autre. Une nouvelle

loi sur la presse est promulguée, bien entendu assortie des arrêtés

qui la restreignent, alors qu’en même temps voit le jour un journal gouvernemental,

le “National”, confié à un personnage des plus suspects, Libri

Bagnano.

Les élections qui approchent voient naître d’autres foyers d’opposition destinés

à obtenir le redressement des “griefs nationaux” : les “associations

constitutionnelles”, dont le moteur est Van de Weyer, au nombre de membres

limités à dix-neuf pour ne pas tomber sous le coup de la loi relative

aux réunions. Sur une proposition de Louis (lettre à son collègue J.-B. de

Stassart), le salon de Madame de Potter-mère, place Saint-Michel accueille de

Stassart, d’Hoogvorst, Odevaere, Quetelet, Smits, Van Meenen, Van de Weyer

et autres contestataires.

En janvier et début février 1830, il défend l’idée, émise par Lebeau et

d’Oultremont, d’une “Confédération patriotique” et le lancement d’une

souscription nationale destinée à alimenter une rente au profit des fonctionnaires,

membres des Etats généraux, qui avaient refusé de voter le

budget et de ce chef, été révoqués. Le projet paraîtra dans le “Courrier” du

3 février sous la plume de Tielemans qui le payera bientôt très cher.

49 u


Tome 1 er du “Procès de Louis de Potter” publié clandestinement.

Second procès

Cette fois la coupe déborde. La plus grande partie des flèches acérées dont

le ministère était harcelé étaient tirées tranquillement d’une prison de l’Etat

et par un prisonnier enchanté de son sort (C. Bronne). Van Maanen réagit

immédiatement à cette dernière provocation, car le 9 février le procureur

Schuermans débarque aux Petits Carmes et saisit tous les papiers de de

Potter, dont sa correspondance avec François Tielemans qui servira de

base à l’accusation.

François Tielemans, fils d’un boulanger de la rue Haute, était fiancé à la

fille de Weissenbruch (l’imprimeur de “Ricci”) et de Potter l’avait recommandé

à Van Gobbelschroy, toujours bienveillant, qui en fit un référendaire,

équivalent de vérificateur, au ministère de l’Intérieur Van Gobbelschroy

qui s’était “mouillé” en suggérant la libération de de Potter venait d’être

u 50


politiquement sanctionné en étant muté de son poste de ministre de l’Intérieur

à celui de ministre des infrastructures et de l’Industrie

En apparence anodin, le courrier échangé par de Potter et Tielemans

contenait, à côté de sous-entendus transparents relatifs à M. “de la Lune”

(Van Maanen, bien sûr) et au pauvre Van Gobbelschroy (M. “Transpiration”,

allusion à sa liaison avec Mademoiselle Lesueur), des considérations

plus politiques qui n’épargnaient pas grand monde, amis comme ennemis,

même Van de Weyer son défenseur devenait “l’avocat fier à bras”.

Le style ne manquait certes pas de saveur : Tout le monde convenait avec

moi qu’il n’y a pas assez de coups de pied au bout de la botte d’un honnête

homme pour la canaille des courtisans, ou que les rois sont des idoles qui

ont des yeux pour ne point voir, des intelligences pour ne pas comprendre,

ou encore que Guillaume se montrait alors le plus stupide et le plus entêté

des rois.

Accusés de complot ayant pour but de changer ou de renverser le gouvernement,

de Potter, Tielemans, Bartels, rédacteur du “Catholique des Pays-

Bas” qui avait repris l’idée de la souscription, de Nève, éditeur du journal

et aussi du “Vaderland”, comparaissent le 16 avril devant la Cour d’assises,

défendus par Van Meenen, Gendebien et Van de Weyer, décidément peu

rancunier.

Même certains milieux progouvernementaux estiment que le procès est

une erreur. Comme l’écrit Reyphins, président de la Seconde Chambre des

Etats généraux : Que le gouvernement montre sa confiance dans ses forces

et qu’il abandonne ces malheureux à leur nullité.

Les journaux français libéraux (“Le journal des Débats”, conservateur qui

évolue vers l’opposition libérale ; “Le Constitutionnel”, organe de ralliement

des libéraux, des bonapartistes et des anticléricaux) rendent compte

des débats : Un grand procès se déroule actuellement en Belgique. Les annales

judiciaires offrent peu de procédures plus scandaleuses. (…) Dans

cette grande cause, ce ne sont pas seulement des intérêts individuels qui

sont en jeu, c’est une population en présence d’une autre, c’est la Belgique

en jugement devant la Hollande. Ces deux peuples, divisés par la langue,

la religion, les mœurs, les intérêts, n’ont qu’un lien en commun, celui du

gouvernement…

51 u


Texte de Louis de Potter saisi par le tribunal des Pays-Bas

pour motiver son arrestation

Objet : Fondation du journal “De Vaederlandt” par de Potter et

consorts chez de Nève, imprimeur du “Catholique” et du “Vaderlander”,

a Gand.

Contrat entre : MM. Le comte Vilain XIIII de Basele,

Vilain XIIII de Wetteren, marquis de Rhodes,

vicomte G. de Jonghe, J.-B. d’Hane, et

Louis de Potter, réunis en association

d’une part, et,

J.-B. de Nève, imprimeur-gérant du Catholique

des Pays-Bas, de l’autre,

il est convenu ce qui suit :

I° L’association fonde à Gand une feuille nouvelle, flamande, sous

le titre du Vaderlander, et en constitue M. J.-B. de Nève, imprimeur,

éditeur et gérant responsable durant une année à partir du 1 er octobre

prochain, date obligée de l’apparition du premier numéro du

Vaderlander, sans obliger par-là le prédit sieur de Nève à renoncer

à aucune de ses occupations actuelles ; (…)

Missive déjà adressée au gouvernement. Mutatis mutandis.

------------------------

Monsieur de Potter,

place Saint-Michel,

à Bruxelles.

PS : W. vient de me remettre votre volume ; nous sommes quittes,

mon bon ami. Je ne vous dirai pas la joie que j’ai eue à vous lire,

elle est indicible. Vous la comprendrez en vous figurant que depuis

plusieurs mois je ne vous avais perdu, et que je vous ai retrouvé

tout entier dans votre dernière lettre. Oui mon digne ami, tous les

chemins mènent à Rome et ici… !

u 52


Extraits des textes de Louis de Potter

retrouvés dans ses archives personnelles

Lettre au commandant de la garde (août 1830)

Mon commandant,

(…)

Ce n’est pas tout : alors même que je ne suis pas encore entièrement

revenu de l’étonnement où me met mon nouvel emploi

d’entremetteur politique ou de politique, comme il vous plaira, ne

voilà-t-il pas qu’il m’arrive des députations de braves, et de vrais

braves Belges, car ce sont ceux des 27, 28 et 29 juillet, qui s’offrent

à moi, c’est-à-dire à la Belgique par mon entremise, avec armes

et bagages, un courage indomptable et la volonté inébranlable de

vaincre ou de mourir !

Je vous transmets donc, mon commandant, cette généreuse offrande,

pure, s’il y a quelque chose de pur au monde, de tout sentiment

d’intérêt personnel d’ambition et même de gloire à acquérir. Car la

plupart de mes guerriers (soldats est un titre qu’ils répudieraient,

ils ne demandent rien) sont pauvres, sans nom et sans autre projet

que celui d’aller aider là-bas des frères opprimés : ce sont les termes

dont presque tous se servent en me parlant ou en m’écrivant.

En un mot c’est du vrai peuple.

Vous aurez la complaisance, mon commandant, de m’avertir exactement

du jour, de l’heure et du lieu où je devrai mettre tous ces

héros futurs à votre disposition. Je puis compter sur plus de 10.000

hommes, dont 7.000 à 8.000 Belges et le reste Français (des faubouriens

du quartier Antoine), Allemands, Polonais surtout, et quelques

Anglais.

Acceptez mes respectueuses salutations, Louis de Potter.

***

53 u


Lettre de A. Bartels à F. Thielemans (juin 1830)

Cher ami,

Le résultat de notre projet serait une bonne chambre et de bons tribunaux.

Avec ces deux avantages, on irait loin, sans compter la force

qui naîtrait de l’union de tous les éléments démocratiques de l’Etat.

Je crois qu’avec le temps, on en viendra à cette extrémité, si pas

dans notre pays, dans un autre. J’aimerais mieux que ce fut dans les

Pays-Bas. On pourrait suggérer cette idée aux associations constitutionnelles

qui existent déjà. Le moment m’en paraît favorable.

Deux mots sur les Prussiens. Vous ne croyez pas aux projets d’intervention

qu’on aurait eus ? J’ai dit qu’au besoin en on viendrait

là, mais je n’ai rien dit de plus. Le besoin s’en serait présenté si le

budget avait fait la culbute, et qu’on eût résisté à l’impôt par ordonnance.

Maintenant il ne sera plus question d’eux. Je suis pourtant

d’accord avec vous que l’idée d’une intervention ne devait pas faire

reculer la seconde Chambre, et qu’il fallait MOURIR sur la brèche

plutôt que de dire OUI.

Il nous faudra du courage et de la patience, sans avoir un motif

spécial pour s’en prévaloir. Il paraît qu’on redoute beaucoup la sortie

de M. de P., non pas tant à cause des fêtes et des banquets dont

elle sera suivie, que parce qu’on la voit déjà à la tête de l’opposition,

dirigeant tout comme un autre O’Connel.

Et à ce propos, il faut lui recommander de la prudence ; qu’il se garde

des procureurs du roi ; la moindre faute lui sera imputée à crime,

et l’on saisira un prétexte pour le retenir ou le remettre où il est. La

loi sur l’instruction publique a été une déclaration de guerre : tout

ce que le gouvernement a fait depuis porte un caractère d’hostilité

ouverte. Une crise est donc possible, si non nécessaire. Les opinions

diffèrent ici sur la situation des choses.

u 54


Extraits d’une lettre codée à Louis de Potter saisie par

le tribunal des Pays-Bas et qui motiva son arrestation

Chère amie,

(Louis de Potter est ainsi désigné par l’auteur anonyme,

probablement son ami Sylvain Van de Weyer)

Depuis trois jours que nous sommes ici, Sophie est non encore dans

l’admiration, mais dans l’étourdissement, la stupéfaction. Elle commence

fort heureusement à se retrouver un peu, sans quoi je ne sais

trop en quoi cela aurait fini.

Ce soir, nous avons la Muette de Portici, un grand opéra. Nouveau

sujet à exclamations. Ce matin, nous passerons la rivière pour aller

faire les commissions de Caroline et voir le bon nécessiteux. Toutes

les lettres sont remises.

J’ai fait votre commission indirectement, c’est-à-dire par le canal

de van den Horst, à l’évêque de Liége. Celui-ci étant malade, je

n’ai pu le voir, mais son hôte n’aura pas manqué de lui expliquer

l’objet de ma visite. De réponse, je ne puis vous en donner pour le

moment ; mais aussitôt que M. van Bommel sera visible, je tirerai

tout au clair.

Vous allez donc écrire au roi ! Prenez garde de ne pas compromettre

la responsabilité ministérielle, en attribuant au maître ce qui

émane constitutionnellement des serviteurs. Vous me comprenez.

Adieu, ma chère amie, je vous embrasse de tout mon cœur, vous,

Sophie, Agathon, votre bonne mère et tutti quanti. Caroline en fait

autant et vous prie de faire remettre la lettre ci-jointe à votre mère.

Elle a voulu profiter du départ de M. de Stassart. pour se rappeler

à son souvenir. Elle aurait également écrit à Sophie, si elle n’avait

pas craint que sa lettre arrivât dans les moments d’embarras et de

souffrance qu’elle attend. Tout à vous. Demandez à M. de Stassart

de se charger de votre réponse à la présente brochure (pétition).

***

55 u


Chère amie,

(…)

Souvenez-vous de moi pour leur éducation et servez-leur des bons

légumes et quelquefois un poisson, par-dessus le marché. Vous en

tâterez j’espère au printemps prochain.

M. de Stassart me charge de vous dire que votre pétition a été envoyée

hier soir, vendredi, au président après une délibération sur son contenu

entre MM. de Gerlache, de Langhe, de Brouckère d’Omalius-Thierry et

de Sécus.

Ces messieurs l’ont lue et approuvée en tous points ; même résolution

pour celle de votre collègue, mais ils n’ont pas été fort contents

de sa rédaction qui sent trop le jeune homme. Le projet de loi sera

présenté par les mêmes députés, et de plus MM. et Celles et Le

Hon : ainsi, il le sera par huit Membres. La rédaction que vous avez

proposée sera modifiée un peu.

Envoyez-leur de suite le mémoire à consulter, ils le demandent ; et

publiez, ils le désirent. Ils s’accordent à croire au succès : Les conversations

particulières ont tellement préparé la Chambre à voter en

faveur de la proposition que peu de gens pourront s’y refuser. Au

fond, votre demande est si juste, qu’il faudrait se boucher les oreilles

et le sens commun pour ne pas en convenir. Plusieurs comptent

aussi sur le rejet du budget ; moi pas.

Comment vont Sophie, Agathon, et votre bonne mère ? Encore un

mois, mon ami, et tout ira mieux. En attendant, ne vous inquiétez

pas pour le moment des couches. Puisque Julie sera là, vous devez

être rassurés.

Je vous embrasse, L.

u 56


Nous fûmes, écrit de Potter, placés dans des voitures, malgré nos réclamations,

et transportés au lieu où se tenaient les assises, sous l’escorte de neuf

gendarmes. La lutte, je l’appelle ainsi, car c’étaient bien deux partis en présence,

l’opposition et le gouvernement, la lutte fut aussi longue qu’animée :

elle dura quinze jours, au bout desquels le président, à qui il fallait bien de

servilité pour courir ainsi les mêmes chances que le chef de mes premiers

condamnateurs, prononça, pâle comme un mort, l’arrêt de huit années de

bannissement et huit autres de surveillance de la haute police pour moi,

sept années pour MM. Tielemans et Bartels, et cinq pour l’imprimeur du

“Catholique” M. de Nève.

Louis adresse, le 22 avril, un courrier admiratif à son défenseur Van de

Weyer : (…) Mon ami, vous avez été sublime. Raison, force, logique, clarté,

sentiment, éloquence, vous avez tout réuni au plus haut degré. Il faut que

vous soyez bien mon ami pour que je ne vous envie pas un si beau talent !

Mon ami, les invectives du ministère public m’avaient laissé froid ; j’avais

fini par m’endormir. Vous m’avez fortement remué, profondément ému.

Mon âme a sans cesse répondu à la vôtre. Je vous admire beaucoup ; mais

je vous aime encore plus.

Belles paroles, mais l’amitié disparaîtra bientôt comme celle avec Gendebien

dont il dit le 5 juin, paroles prémonitoires, que M. Gendebien ne perde

pas de vue qu’il est appelé à jouer un grand et beau rôle dans notre patrie.

Trois jours après, le fameux texte incriminé paraît chez Libri Bagnano.

Le travail avait donc été réalisé bien avant le procès grâce à des fuites

organisées par le pouvoir. L’occasion nous est ici donnée de parler de ce

personnage véreux.

Libri Bagnano, un escroc au service du pouvoir

Giorgio Libri Bagnano (1780-1836), toscan d’origines aristocratiques, adopte

les idées républicaines et on le retrouve en France après le traité de

Campo Formio de 1797. Il est bientôt poursuivi pour escroquerie, mais

relaxé. Rentré en Italie, devenu bonapartiste, il complote en faveur de

Napoléon après la première abdication et à l’issue des Cents Jours rejoint

les “Sublimes Maîtres Parfaits” de Buonarroti.

Réfugié en France lors de la répression autrichienne, il est à nouveau jugé

en 1816 par la Cour d’assises de Lyon, condamné à dix ans de travaux

57 u


forcés, à la flétrissure et à l’exposition au pilori pour faux, usage de faux et

escroquerie, peine aggravée en prison à vie lors d’un nouveau jugement.

Finalement, en 1825, Louis XVIII convertit la peine en exil perpétuel.

Pour son malheur futur, de Potter avait connu à Florence le fils de Libri,

mathématicien de renom, et recommanda le comte, qu’il croyait être une

victime politique, à Van Gobbelschroy.

Le malfaiteur s’insinue alors dans les bonnes grâces de Van Maanen et sa

librairie de la rue de la Madeleine devint le siège du “National” tout à la

dévotion du pouvoir, dont le premier numéro paraît le 16 mai 1829.

Devant le flot de calomnies que cette feuille déverse sur lui, de Potter

publie dans “Le Courrier” la copie du jugement de Lyon. Les journaux

d’opposition dévoilent également les versements de centaines de milliers

de florins que Libri a reçus du gouvernement ce qui rend le “forçat libéré”

encore plus hargneux.

Après la mise à sac et l’incendie de sa librairie durant la nuit du 25 au 26

août 1830, il se réfugiera en Hollande où il poursuivra son œuvre antibelge,

attitude qui ne cadrera bientôt plus avec la politique d’apaisement

menée dans les deux pays et il finira sa vie dans l’obscurité et l’oubli.

Quant au retentissement de son procès, les pourvois en cassation introduits

par de Potter et les autres condamnés furent évidemment rejetés le 16 mai et

Van de Weyer vit son zèle d’avocat de la défense bien mal récompensé puisqu’il

fut relevé de ses fonctions à la Bibliothèque de Bruxelles où il veillait,

entre autres, sur les manuscrits de la Librairie de Bourgogne qu’il viendra

défendre, les armes à la main, durant les journées de septembre 1830.

La popularité des victimes était telle que les frais du procès, les amendes,

les dépenses de l’exil furent couverts par une souscription publique dont

de Potter tiendra scrupuleusement un décompte justificatif.

u 58


Lettres de Louis de Potter

retrouvées dans ses archives personnelles

Peuple, soyez attentif. L’attitude que vous allez prendre, pendant que

vos mandataires délibèreront sur le pacte qui doit vous régir, en déterminera

la nature. Montrez-vous calme et fort. Que les intrigants de

salon ne puissent arguer, ni de votre indifférence pour prouver qu’il est

nécessaire de vous enchaîner. Ne voulant que ce qui est de droit, vous

serez sûr de l’obtenir ; car la juste volonté du peuple est toujours la loi

suprême : sous les rois ce sont les révolutions qui l’exécutent ; sous la

République, elle comble l’abîme des révolutions.

Union, constance, nationalité, voilà notre devise ; liberté, économie, égalité,

notre but ; justice, force, ordre public, les moyens de l’atteindre.

Louis de Potter - Bruxelles, le 31 octobre 1830.

***

Ma démission comme membre du Comité central de la Belgique a

été pour moi un devoir pénible à remplir, à l’époque précisément où

il allait être question de fixer le sort de notre patrie.

Mais c’était un sacrifice à faire aux principes, et j’ai l’intime conviction

que sur les principes seuls pourra se fonder un jour l’édifice

inébranlable de notre société.

Vous m’avez rendu justice, messieurs : quoique rentré dans la vie

privée, je n’en suis pas moins citoyen belge, et je mettrai toujours

ma gloire à me montrer digne de ce titre. Quels que soient les services

que la patrie réclame de moi, je serai prêt en tout temps à

me vouer entièrement à elle, et à lui consacrer ma fortune et mon

existence.

Je finis, messieurs, en vous offrant, avec l’expression de ma plus

sincère reconnaissance, le tribut de mon admiration pour votre zèle

éclairé et pour votre patriotisme à toute épreuve.

Louis de Potter - Bruxelles, le 8 décembre 1830.

59 u


Lettre de Louis de Potter à un éditeur à Gand

(probablement le comte Vilain XIIII)

Mon cher confrère,

Bruxelles, le 6 avril 1826.

Je vous envoie cent prospectus, trente actions, dix circulaires et une

liste. Répandez les premiers, et accompagnez-les d’une circulaire si

vous le jugez utile. Distribuez les actions à ceux qui le demanderont,

et tenez-en note sur la liste ad hoc. Je ne vous recommande ni le zèle

ni l’exactitude : ce sont en vous des qualités innées. SVP. Parlez de

notre société et de son prospectus dans le “Journal de Gand”. Non

vi dirò neppure di volermi bene, perchè credo che lo facciate naturalmente,

come fò io a vostro riguardo. Perdona-temi questa scappata

sul territorio di una nazione, la di cui lingua avrete poi forse l’intenzione

di studiare. Mi preme di sapere se vi dei rapidi progressi. Vi

abbraccio cordialissimamente.

***

Signé Louis de Potter.

Lettre de Louis de Potter à Sylvain Van de Weyer

Mon ami,

Me voici à Lille, craignant et ayant beaucoup de motifs de craindre

qu’il faudra en partir demain sans en être chassé. A la porte, on ne

m’a rien dit : il est vrai que mon passeport n’y a jamais été ouvert.

Dans une heure d’ici je vais en personne à la police, comme si j’y

voulais une passe provisoire pour Paris ; je n’y demanderai fort honteusement

qu’un visa pour Bruges. Cependant, espérons encore. Je

fermerai ma lettre à mon retour, et quoi qu’il arrive, je la mettrai à

la poste à Courtray. Donnez, je vous prie, de mes nouvelles à tout

le monde et surtout n’oubliez pas l’excellent Weissenbruch. J’ai mon

passe provisoire pour Paris : Je n’ai même plus autre chose, car mon

passeport belge est parti pour Paris à ma place.

Signé Louis de Potter.

u 60


Extrait de la lettre en codes secrets

de Sylvain Van de Weyer à Louis de Potter

retrouvée dans les archives personnelles de Louis

Ma chère amie,

27 novembre 1829.

Vous vous souvenez que la pétition devait être présentée pas M. de

Stassart et qu’ensuite huit Membres devaient faire une proposition

pour la mise en liberté de MM. de Potter et Ducpétiaux.

D’abord, cette proposition a paru trop spéciale a quelques-uns

d’entre eux. Ils ne s’expliquaient pas comment le législateur peut

s’occuper d’un particulier, tandis que les lois sont faites pour les

généralités. On a donc résolu de généraliser la proposition et l’on s’y

est déterminé d’autant plus volontiers qu’on espère réussir plus tôt

en ne nommant ni M. de P… ni M. Ducp…

Vous verrez cette proposition dans les journaux et je pense que

vous en serez satisfait. La femme de soixante ans a été consultée

sur sa rédaction et l’a approuvée sauf quelques mots impropres

qui ont été remplacés par d’autres. Cela fait, les huit Membres se

sont réunis et, d’un commun accord, on a décidé qu’il fallait limiter

le nombre des signataires, attendu que plusieurs choses et Sophie

également. D’un autre côté, vous avez un excellent accoucheur et

une fort bonne garde. Tout cela est quelque chose. Quant aux formalités

à remplir, je crois que vous pouvez compter sur Alexandre.

Donnez-moi des nouvelles sur le ménage, sur votre position actuelle

et la manière dont on vous traite.

Adieu, je vous embrasse et Caroline aussi. Mille choses à votre maman

et à Sophie. Du courage et de la persévérance. Rira bien qui

rira le dernier.

L’adresse portait : Monsieur de Potter, place Saint-Michel, 595 (4),

à Bruxelles.

61 u


Extrait des textes de Louis de Potter

retrouvés dans ses archives personnelles

Mes bien chers enfants,

Mon dernier témoignage, je le fais en vous adressant un exemplaire

de mes souvenirs personnels ci-joint.

Ils sont extraits textuellement d’un écrit philosophique que je rédige

pour l’instruction des enfants, espèce de testament intellectuel et

moral, dont ceux-ci feront après ma mort tel usage qu’ils jugeront

convenable, et où le récit des principales circonstances de ma vie

forme un chapitre.

S’il m’arrive quelque malheur, veuillez employer sans délai une part

de mon argent de la manière suivante :

M. l’abbé de Haerne, pour le Comité polonais fr. 832,60

M. de Heyn, pour les pauvres de Bruxelles fr. 5.500,00

M. Julien, pour les pauvres de Bruges fr. 5.500,00

Total : 11.832,60

Je voudrais que les fr. 5.500, tant ceux pour Bruges que ceux pour

Bruxelles, fussent employés en achat d’approvisionnements en

houille et en pain. Ces comestibles et chauffage seraient déposés

en lieux et mains sûrs.

Il serait imprimé 1.100 cartes, représentant une valeur de fr. 5 en

pain et en houille, délivrables aux dépôts.

(…)

u 62


L’exil une fois de plus…

Les condamnés avaient espéré trouver asile en France. C’était sans compter

avec le gouvernement réactionnaire de Charles X. Le président du Conseil,

le Prince de Polignac, qui n’avait rien appris, rien oublié depuis l’émigration,

peaufinait ses ordonnances destinées à briser l’opposition libérale,

préparant ainsi sa propre chute, celle des Bourbons et l’avènement de

Louis-Philippe d’Orléans, trois mois plus tard.

Il n’était donc pas question pour lui de tolérer la présence sur le sol du

royaume à la fleur de lys de dangereux agitateurs, ce fut un “non” catégorique.

D’où une volée bois vert de la part de Louis : (…) Charles X,

congrégationiste bigot par haine pour la liberté, ne voulait pas de nous qui

étions en butte aux persécutions de Guillaume, intolérant jésuite par la

même haine.

De Potter se tourne alors vers la Prusse. Escorté par la maréchaussée, il

se rend à Vaels, dernier village belge avant l’Allemagne. Un quiproquo lui

avait fait croire à l’acceptation de celle-ci, mais depuis l’époque du premier

exil, les choses avaient évolué : installé au bord du Rhin, le royaume

de Frédéric-Guillaume III enserrait comme dans un étau les petits états

d’Allemagne centrale qui étaient destinés à entrer bientôt dans son orbite.

Devenus voisins immédiats de la France, le souverain et son gouvernement

craignaient la contagion révolutionnaire et désiraient, provisoirement, vivre

en paix le long de leur glacis rhénan. Louis essuie donc un nouveau refus

notifié, in extremis, par les autorités d’Aix-la-Chapelle alors qu’il a déjà

franchi la frontière. Toujours accompagné des gendarmes, qu’ils doivent

défrayer de leur poche, c’est donc le retour à Vaels où, pendant deux mois,

logés – ironie – à l’auberge du Prince d’Orange, ses compagnons et lui

rongent leur frein.

Cette solitude est brisée par l’arrivée de Madame de Potter et de l’épouse de

Tielemans, accompagnées de leurs trois petits enfants qui, espérant rejoindre

leurs maris, avaient également été refoulées du territoire allemand.

Finalement, un courrier daté du 7 juin, leur annonce que le canton helvétique

de Vaux accepte d’accueillir les proscrits. De Potter adresse une dernière

lettre au roi : Sauvez la Belgique, sauvez la Belgique, il en est temps

encore ; mais hâtez-vous de la sauver : car il pourrait n’en être plus temps.

63 u


Paroles prémonitoires car, ayant enfin pu franchir la frontière, il apprend les

évènements parisiens : les ordonnances parues le 25 juillet ont provoqué

le soulèvement populaire : ce sont les “Trois Glorieuses” (27/29 juillet), et

l’abdication de Charles X, le 2 août. Changeant alors leur plan, après avoir

longé le Rhin et fait un crochet par Strasbourg, les exilés gagnent Paris.

Circulaire du ministre de l’Intérieur et de la police prussienne

aux Commissaires de districts pour faire arrêter de Potter & co.

Le ministère royal de l’intérieur et de la police a arrêté, le 13 courant, qu’il ne sera

point permis de séjourner dans les provinces rhénanes à MM. de Potter, Bartels,

Tielemans, et de Nève, condamnés au bannissement dans les Pays-Bas pour délits

politiques, si l’un ou l’autre de ces délinquants se présente dans lesdites provinces,

non plus qu’aux personnes qui seraient publiquement connues pour partager leur

exil. En vous communiquant cet arrêté, d’après une décision de la suprême présidence

royale des provinces du Rhin, en date du 22 de ce mois, nous vous enjoignons

d’envoyer sans délai aux agences de police de votre cercle, l’ordre de faire

immédiatement transférer au-delà des frontières, par voie de transport militaire, les

coupables susmentionnés, aussitôt qu’ils auront été aperçus sur le territoire prussien.

Le cas échéant, vous nous en donnerez avis. Dusseldorf, le 27 mai 1830.

***

Régence royale, département de l’intérieur

Lettre de M. le ministre de Prusse

pour soutenir les fugitifs-exilés de Potter & co.

La Haye, ce 26 juin 1830. Messieurs, je suis fâché d’apprendre, par lettre

que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser en date du 23 de ce mois, les

difficultés que vous rencontrez à la frontière prussienne pour traverser les

provinces rhénanes. On aurait pu les prévenir si le gouvernement des Pays-

Bas s’était entendu avec celui de Prusse. J’ignore quels sont à cet égard les

ordres donnés à M. le Directeur de la police à Aix-la-Chapelle ; mais je viens

d’écrire à M. le président Reimans, et ne doute pas qu’il fera de son côté ce

qui dépend de lui pour faciliter votre passage. Je regrette de ne pas pouvoir

y contribuer d’une manière plus efficace, et je vous prie, de recevoir les assurances

de ma parfaite considération.

Signé : Le comte Waldbourg-Truchess.

u 64


La “Muette” fait parler la poudre

A ce moment à Bruxelles, le rétablissement d’un impôt sur la mouture et

des festivités onéreuses prévues pour l’anniversaire du roi avaient déjà

suscité la colère.

Des affichettes apparaissent : Lundi 23 feu d’artifice, mardi 24 illumination,

mercredi 25 révolution. Si le feu d’artifice et les illuminations sont annulés

vu le mauvais temps – il fait un soleil resplendissant – la censure qui

l’autorise n’avait sans doute pas lu le livret de la “Muette de Portici” l’opéra

d’Aubert, livret de Scribe, où il est question de la révolte, en 1647, des

Napolitains conduits par Masaniello contre le vice-roi espagnol à la suite

d’un impôt sur les denrées. Le 25 août, lorsque le ténor français Lafeuillade

attaque le duo fameux Amour sacré de la patrie. Rend-nous l’audace et la

fierté, c’est l’explosion.

Le ministre van Gobbelschroy qui est dans la salle ne semble pas mesurer

l’ampleur que prennent les évènements et estime, comme le rapporte le

comte Vilain XIIII, qu’un peloton d’agents de police suffirait après la pièce

pour disperser ces quelques trublions.

Cependant, les spectateurs tel un torrent sortent de l’opéra, se déversent

sur la place de la Monnaie, les cafés dont les consommateurs se joignent à

eux se vident, et les manifestants se muent en émeutiers qui vont saccager

et brûler la librairie de Libri Bagnano, s’en prennent à la maison du directeur

de la police de Knyff, rue de Berlaimont, à celles de Van Maanen (“le

Polignac Belge”) au Sablon et du procureur Schuermans, rue du Poinçon,

aux cris de “Vive de Potter ! Vive la Liberté !”.

La police débordée devant l’ampleur que prennent les évènements fait

appel à l’armée, forte d’un millier de fantassins à peine pour toute l’agglomération.

Les soldats dispersés, isolés, faute d’ordres énergiques restent le

plus souvent l’arme au pied et se font même désarmer par les émeutiers.

La nuit s’achève dans la plus grande confusion d’autant que devant l’évolution

insurrectionnelle de la situation, les bourgeois quittent les lieux et

laissent la rue à une foule décidée à en découdre avec les représentants du

pouvoir hollandais. Des agitateurs, dont certains seraient venus de France

(ce qui n’a pas été formellement démontré), se mêlent aux manifestants,

brandissent des drapeaux rouges ou tricolores et lancent des slogans républicains

et même rattachistes.

65 u


Le vieil ennemi de Louis, le procureur Schuermans, conclut même à une

conspiration inspirée depuis Paris par de Potter ce que Gendebien partisan,

au début, d’un rattachement à la France démentira.

Face la carence des autorités, quelques hommes énergiques (Ducpétiaux,

Delfosse, Vanderlinden) organisent, le 26, une garde bourgeoise dont le

commandement en second est confié en un premier temps à Pletinckx,

ancien maréchal des logis de hussards, le baron Emmanuel van der Linden

d’Hoogvorst nommé à la tête de celle-ci étant absent.

Alors qu’un drapeau français apparaît sur la façade de l’Hôtel de ville,

Ducpétiaux se précipite, au coin de la rue de la Colline et de la rue aux

Herbes Potagères, chez un commerçant en tissus, François Abts, dont

l’épouse coud à la hâte, perpendiculairement à une hampe, trois bandes

de tissus rouge, jaune et noir (les couleurs de la première révolution brabançonne

de 1789). Ducpétiaux arrache les couleurs étrangères du balcon

de la maison de ville et y substitue le nouvel emblème. Le premier drapeau

belge est né. Un arrêté du Gouvernement provisoire du 23 janvier 1831

décidera que les bandes seraient disposées verticalement et non horizontalement,

le rouge à la hampe. Finalement, le 12 octobre 1831, le noir

viendra à la hampe pour donner la bannière actuelle.

Sur ces entrefaits, à Paris, de Potter, informé de la situation bruxelloise, rencontre

La Fayette, glorieux vestige des temps anciens (il a septante-trois ans),

qui a pris le parti de Louis-Philippe. Le “héros des deux mondes”, craignant

la naissance d’une république en Belgique, interroge Louis à propos d’une

possible réunion à la France à laquelle celui-ci est évidemment opposé comme

le sera le nouveau souverain Orléans attentif à la réaction des Puissances

devant le retour possible à des frontières gagnées par la révolution.

D’une manière générale, les dirigeants de l’opposition ne sont pas non

plus favorables à un rapprochement. Le “Courrier des Pays-Bas” qui est

leur organe officieux, pressentant les évènements, écrivait déjà le 19 août :

Si donc la Belgique a des titres pour demeurer elle-même, nos voisins du

Midi doivent comprendre qu’il n’entrera jamais dans nos vues ni dans nos

intérêts de devenir simple province de la France…

Pendant ce temps, le 26 et le 27 août, l’émeute se déplace vers les faubourgs

et tourne à la révolte sociale. Destruction de machines génératrices

de chômage, vols, décident les bourgeois à renforcer la Garde bourgeoise

u 66


qui ouvre le feu sur les pillards. Les premiers morts de la révolution en

marche sont des Belges tués par d’autres Belges.

Informé seulement le 27 des évènements bruxellois, le roi envoie son

fils aîné, le Prince Guillaume, s’enquérir de la situation. Populaire auprès

des Belges, on lui avait construit, grâce à une souscription nationale, une

résidence devenue l’actuel Palais des Académies (où siège la Fondation

de Potter). Orange, accompagné de son frère Frédéric qui cantonne à

Vilvoorde à la tête de 6.000 hommes, pénètre le premier dans la ville avec

une escorte réduite, tandis qu’à La Haye, le gouvernement siège sans trop

savoir quel parti adopter.

Tandis que se déroulaient les affrontements, la situation avait pris un tournant

nouveau sur le plan politique. Gendebien ayant lancé l’idée d’envoyer

une délégation au roi pour lui faire connaître les griefs à “redresser”, une

réunion s’était tenue dans la soirée du 28 à l’Hôtel de ville et une quarantaine

de personnes, essentiellement des notables et des journalistes de

l’opposition avait désigné Frédéric de Mérode, François de Sécus, Emmanuel

d’Hooghvorst, catholiques, Alexandre Gendebien et Joseph Palmaert,

libéraux, pour se rendre à La Haye où il sont reçus par le roi le 30 août.

Souci d’apaisement, crainte du républicanisme affiché par de Potter, désir

de mener un jeu personnel, toujours est-il que Gendebien écrit à ce dernier

pour lui demander de ne pas revenir à Bruxelles pour l’instant.

Sous l’apparence de la concorde, les relations entre les deux hommes

commencent dès lors à se dégrader et aboutiront dans quelques mois à la

rupture totale.

Jusqu’au 3 septembre, un chassé-croisé aura lieu entre trois pôles d’indécision

: le palais de La Haye, celui du Prince d’Orange à Bruxelles et l’Hôtel

de ville de la capitale. En trois jours, les positions vont évoluer du redressement

des griefs à la réclamation de la séparation administrative du nord

et du sud du royaume.

Le Prince d’Orange, dont les relations avec son père n’avaient pas toujours

été au beau fixe, obtient pour sa part l’assurance que la monarchie ne sera

pas mise en question. On y verra un calcul dont la solution aurait été de

le voir devenir souverain des provinces du sud. Là encore, les preuves

formelles font défaut.

Le 3 septembre, le prince, escorté par un détachement de la garde bourgeoise

à cheval, quitte la ville en promettant d’appuyer les revendications

67 u


belges, notamment celle d’une union personnelle de Guillaume avec le

sud, alors que le roi convoque les Etats généraux pour le 13 à La Haye.

Gendebien, sans illusion, écrit à de Potter : Le prince s’en va, et avec lui

toutes nos espérances. Les jours suivants sont calmes, on attend la réaction

royale. Une fois de plus le souverain temporise et le 7, c’est la consternation.

S’il démet Van Maanen, il exige le retour à l’ordre et à la loi alors

qu’Orange et Van Gobbelschroy lui conseillent la séparation.

Le même jour, Charles Rogier arrive avec 250 Liégeois dépenaillés sur les

700 partis de la cité ardente, ce qui ne concourt pas à l’apaisement et

accentue la pression républicaine qui s’exprime au sein de la “Réunion

centrale”, comité dont le style rappelle celui de la France de 1789.

Devant la situation qui atteint un point de rupture, les deux parties, belges

et hollandaises, cherchent à connaître l’attitude que prendront les Puissances

en cas de conflit ouvert.

La France qui attend la reconnaissance internationale de la Monarchie de

juillet, “ne veut pas d’une république à une journée de marche de Paris”, ni

inquiéter l’Europe par un soutien au soulèvement qui s’annonce. Frédéric-

Guillaume III de Prusse, nous l’avons vu, ne désire pas s’engager au-delà

du Rhin. L’Angleterre, à son habitude, adopte le wait and see. L’Autriche

est davantage préoccupée par l’Italie que par le devenir de ses anciens

sujets. La Russie qui interviendrait volontiers est loin.

En réalité, tous les Etats avaient compris, avant Guillaume, que l’amalgame

– qu’ils avaient décidé en 1814, il est bon de le rappeler – est un échec.

A Paris, de Potter s’adresse au peuple belge dans “La Tribune” où il presse

celui-ci de déclarer : L’indépendance parlementaire et administrative de la

Belgique, la fédération immédiate de toutes les provinces, la réunion d’un

Congrès constituant et la formation d’un gouvernement révolutionnaire

provisoire.

Le 9, il écrit à Gendebien : Si le Roi Guillaume n’accepte pas d’être roi des

Belges, s’il ne déclare pas franchement et hardiment votre indépendance,

alors, érigez-vous en république fédérative séparée de la Hollande. L’idée

qu’il avait déjà avancée et qui est remise en avant par le “Courrier des Pays-

Bas” sera reprise par Gendebien, certains diront récupérée à son profit.

u 68


Frondeur mais lucide, de Potter anticipe et évoque le partage du gâteau,

auquel vous pouvez en toute sûreté de conscience procéder sans moi. Le 17,

il renchérit dans la ligne dure en évoquant les 8.000 hommes, tous Belges

(ce qui nous paraît assez optimiste) prêts à marcher sur Bruxelles, tout en

se plaignant que Gendebien et Van de Weyer lui demandent de rester jusqu’à

nouvel ordre dans la capitale française. On devine une fois de plus la

faille qui s’ouvre entre les ténors.

Les députés belges (de Stassart, de Sécus, Surlet de Chocquier, de Gerlache…)

qui se rendent à la convocation des Etats généraux sont conspués,

menacés par les Hollandais dont les journaux s’enflamment : Plus de

négociations ! La guerre ! Guerre aux rebelles, aux assassins, écrit le

“Nederlandsche Gedachten”.

Le 17, la session des Etats est ouverte par un discours de Guillaume qui une

fois de plus temporise, et le 21, par 81 voix sur 100, la seconde Chambre,

Belges et Hollandais confondus, vote une adresse favorable à la séparation.

Sitôt connu le texte de l’allocution, 200 à 300 personnes arpentent les rues

du centre de Bruxelles en vociférant : “Vive de Potter ! Vive la Liberté !

Vive Napoléon !”. Et si la Garde bourgeoise disperse sans dommage la manifestation,

il était apparu urgent de prendre une attitude claire devant la

situation. Une réunion des sections de la garde avait donc été convoquée

le 15 à l’Hôtel de ville. Loin de calmer les choses, elle avait mis en évidence

l’opposition entre radicaux et modérés.

Ces derniers, formant la Commission de Sûreté publique (Van de Weyer,

Gendebien…) désirent temporiser pour ne pas déforcer les délégués

aux Etats généraux. Mais les membres de la Réunion centrale, Rogier,

Ducpétiaux, Chazal et curieusement des étrangers comme l’Espagnol Juan

van Halen, des carbonari en exil, des bonapartistes en disponibilité, sans

mandat aucun, arrachent littéralement le 20 septembre le pouvoir des

mains de la Commission. Ils envoient des délégations en province et celleci

s’agite à son tour. A Gheel par exemple, on crie “Vive le Prince de Ligne !

Vive la Liberté ! Vive de Potter !”, étrange amalgame, on en conviendra.

Parmi les exaltés, Pletinckx, chef de la garde bourgeoise, abandonne la Commission

dont il est membre et exige le combat. Heureusement, d’Hoogvorst

est l’un des seuls à garder la tête froide et rallie une partie de la garde bourgeoise,

ce qui malheureusement ne suffira pas, car le 18, c’est l’anarchie

totale : pas de députés, ils sont à La Haye, la bourgeoisie terrée chez elle

ou en fuite, les nobles retirés dans leurs châteaux, la garde bourgeoise

69 u


désarmée par la populace alors qu’une intervention de l’armée royale se

profile. Le Prince d’Orange qui, en signe d’apaisement, s’était replié sur

Anvers, a reçu l’ordre de revenir sur Vilvoorde avec 10.000 hommes et

30 canons.

A ce moment, de Potter est mal informé car il ignore que la bourgeoisie

est en train de changer d’attitude à son égard devant la révolte sociale qui

s’étend parce qu’il suffirait à celui-ci poser le pied sur notre sol pour être

suivi à l’instant de tout le peuple qui l’aime et qui met en lui une confiance

sans bornes (lettre de de Gatti de Gammond à Tielemans).

En réalité, un malentendu règne entre Louis et la classe possédante car,

quand il parle du peuple ou de la république, c’est d’une manière littéraire,

théorique, presque abstraite. Si, à l’époque, il connaît les questions

institutionnelles et politiques, la réalité sociale lui est mal connue, ce qui

se modifiera dans quelques années. Et pourtant, son heure de gloire va

sonner...

Les journées décisives

Devant la situation, Gendebien, Van de Weyer et ceux qui avaient la tête

politique comprirent que le mouvement se désagrégerait faute d’un chef

dont l’autorité s’imposât à tous. Ce chef, ce sera, provisoirement, Louis de

Potter. Gendebien, qui a quitté discrètement Bruxelles le 18 au soir, rencontre

Louis entre le 20 et le 22, d’abord à Lille où il se trouve avec sa mère

puis à Valenciennes en compagnie des ténors qui avaient prudemment pris

le large devant la tournure des évènements (Van de Weyer, van der Smissen,

Niellon, Chazal, Vandermeeren, Levae…). Mais de Potter refuse de se joindre

à eux et retourne à Lille.

Monsieur Van de Weyer nous annonça que tout était définitivement perdu,

écrira-t-il, ce à quoi Gendebien répondra bien à posteriori : On a mauvaise

grâce d’insulter, de calomnier ceux qui eurent un moment de défaillance

fort excusable, en présence de l’effroyable anarchie qui a précédé les combats

de Bruxelles. Vae soli ! (traduction litérale : Malheur au solitaire !).

Pendant ce temps, seuls d’Hoogvorst, Pletinckx et le docteur Grégoire,

demeurent à leur poste et reforment la garde bourgeoise, face à la progression

des cohortes du Prince Frédéric qui avancent vers la capitale. Le

2 octobre, le Gouvernement provisoire décidera la formation d’une garde

civique dans toutes les communes du pays et le 31 décembre suivant le

u 70


Congrès national décrète la loi contenant institution de la Garde civique.

Celle-ci subsistera jusqu’au 11 juin 1920, date de sa dissolution.

Le 23, la “Muette de Portici” retentit, jouée par les musiques militaires de

l’armée, en réplique à l’émeute du 25 août et, à huit heures du matin, entrant

par les portes de Schaerbeek et de Louvain, les troupes avancent jusqu’au

parc. Les combats vont dès lors se concentrer dans le haut de la ville car,

aux portes de Laeken et de Flandre, la cavalerie piétine : le sixième hussard

qui avait brillamment combattu à Waterloo est sévèrement étrillé par les

défenseurs qui sont essentiellement des ouvriers et de petits artisans bruxellois

et des faubourgs. Dès le début des combats, le général Trip, se souvenant

de l’exemple parisien récent, a compris qu’une armée habituée à se

battre en rase campagne a peu de chance de conquérir une ville aux ruelles

et impasses nombreuses d’autant que le Prince Frédéric se refuse pour sa

part à utiliser l’artillerie lourde qui provoquerait un bain de sang.

Rogier qui a quitté son refuge revient et fait appel à don Juan van Halen,

un militaire professionnel, lequel organise les groupes épars alors que des

volontaires arrivent peu à peu de province.

Les combats se poursuivent les 24 et 25 septembre et le goulet entre l’actuelle

place des Palais et la place Royale, où le canon de Charlier dit Jambe

de Bois fait merveille, devient le centre de ceux-ci. Le 27 au matin, le

prince ordonne la retraite.

Loin d’être une guerre d’opérette, ces “Quatre Glorieuses” feront près de

600 morts et un millier de blessés au sein de l’armée royale, qui compte des

Belges dans ses rangs, et 400 morts et 1.200 blessés parmi les insurgés.

Alors qu’Orange se replie, de Potter franchit la frontière. Le 28, il hésite

encore quant à la marche à suivre, mais il est emporté par une vague

populaire. A Grammont, un petit groupe d’orangistes a formé le projet de

l’enlever et de le conduire en Hollande, moyen radical pour décapiter la

révolution en marche.

Ils en seront pour leur frais car après avoir passé, par un temps affreux, la

nuit du 26 et le 27 dans une chaumière, ils apprendront que, déjouant leur

plan, Louis, prévenu par des résistants, est passé par Enghien

Sincérité ou calcul, il écrit à Van de Weyer : Je suis aux portes de Bruxelles. La

victoire est à nous : il n’y a plus qu’à en profiter. Mes amis, si je ne vous suis

pas absolument indispensable, permettez-moi de retourner tout de suite à ma

mère, à ma femme, à mes enfants, à mes occupations. J’aurais voulu vous

être utile. Vous n’avez plus besoin de personne. Laissez-moi ma liberté.

71 u


Le discours de Louis de Potter sur la Grand-Place

de Bruxelles, le 28 septembre 1830 vers 19 heures

C’était au cri de “Vive de Potter ! A bas Van Maanen !” que les

premiers mouvements insurrectionnels avaient eu lieu en Belgique,

à la fin d’août et au commencement de septembre.

A présent, rentrant de son exil français, arrivant aux portes de

Bruxelles le 28 septembre vers 18 heures, les chevaux de la voiture,

prêtée par M. Rodenbach à Roulers, furent aussitôt dételés, malgré

l’opposition et les instances formelles de l’honorable voyageur.

M. de Potter rencontra plus de 20.000 citoyens, parmi lesquels on

remarquait une foule de nos braves blessés ; sa voiture fut littéralement

tirée et portée à bout de bras jusqu’à l’Hôtel de ville. On

n’entendait que les cris “Vive de Potter ! Vive le défenseur de nos

libertés ! Vive les Belges !”, etc.

En sortant de sa voiture, il fut porté sur les bras de plus 10.000

personnes qui se trouvaient sur la place, et ce n’est qu’avec la plus

grande peine qu’il est parvenu à entrer dans l’Hôtel de ville.

Là, il fut reçu par ses collègues du Comité révolutionnaire, qui

tous se précipitèrent vers lui et l’étouffèrent pour ainsi dire leurs

embrassements.

Le peuple belge le demandait à hauts cris au balcon. Louis de Potter

s’y présenta accompagné du baron d’Hoogvorst. Il remercia ses

braves concitoyens de l’accueil, vraiment admirable, qu’ils lui avaient

fait, et leur jura que désormais il était tout à eux et que rien ne lui

coûterait pour aider à les soustraire du joug des Hollandais.

***

Mes chers concitoyens : Me voici au milieu de vous.

L’accueil que vous m’avez fait m’a vivement ému, il ne sortira jamais

de ma mémoire. Je ferai tout pour me rendre digne de vous et de

la patrie. Brave peuple belge, vous avez victorieusement vaincu. Sachez

profiter de la victoire.

u 72


Vos lâches ennemis sont dans la stupeur. Ne perdons pas un instant.

Regroupons-nous autour du gouvernement populaire qui est

votre ouvrage. De leur côté, n’en doutons pas, les incendiaires que

vous venez de chasser si ignominieusement de votre capitale préparent

de nouveaux crimes.

Plus d’hésitation, plus de ménagements. Il faut éloigner à jamais

de nos foyers les assassins qui y ont porté le fer et le feu, le viol et

le carnage. Il faut sauver nos mères, nos femmes, nos enfants, nos

propriétés. Il faut vivre libres ou nous ensevelir tous sous des monceaux

de cendres.

Soyons unis, mes chers concitoyens, et nous serons invincibles.

Conservons l’ordre parmi nous ; il nous est indispensable pour

conserver notre indépendance.

Liberté pour tous ! Egalité de tous devant le pouvoir suprême : la

nation ; devant sa volonté : la loi. Vous avez écrasé le despotisme ;

par votre confiance dans le pouvoir que vous avez créé, vous saurez

vous tenir en garde contre l’anarchie et ses funestes suites. Les Belges

ne doivent faire trembler que leurs ennemis.

Vive la Belgique !

La politique peut reprendre ses droits

Il nous faut revenir quelques jours en arrière pour comprendre la partie qui

va maintenant se jouer.

Le 23, une Commission administrative, composée d’Hoogvorst, de Rogier,

de Jolly et de Coppin s’était mise en place, bientôt rejointe par Gendebien,

Van de Weyer, de Mérode pour former, le 26, un Gouvernement provisoire,

il faut bien le reconnaître, autoproclamé face à l’urgence et dont les membres

sont des trentenaires exaltés. Le plus âgé, Gendebien, en a 41 et de

Potter, avec ses 44 ans, fait figure d’ancêtre.

Par une manoeuvre subtile inspirée par Gendebien, le petit groupe décide

le 28 de s’adjoindre de Potter, alors héros national, comptant l’utiliser

pour détourner les ouvriers de la lutte des classes au seul profit de la lutte

73 u


nationale (entendons : “celle des classes possédantes politisées”). Nous

avions fait, dira Gendebien, de Louis de Potter, un drapeau : nous savions

par expérience qu’il n’avait que la valeur d’un drapeau ; mais un drapeau,

tenu et dirigé d’une main ferme, pouvait rendre de grands services à la

cause… Il s’agissait ainsi d’éviter que les “blouses bleues” ne s’emparent

du pouvoir au détriment des “redingotes”.

Installé dans le cabriolet de Pierre Rodenbach, Louis chemine vers Bruxelles

sous les vivats et les Chansons qui glorifient le “La Fayette belge”.

Voiture dételée et portée à bras, arrivé à 18 heures à l’Hôtel de ville, intégré

immédiatement au Gouvernement provisoire, d’Hooghvorst le présente

au balcon. C’est l’apothéose pour le héros, dont les 20.000 personnes qui

l’acclament n’ont probablement lu aucun des textes, mais qui incarne la

Liberté. Pour les observateurs, il ne fait aucun doute que primus inter pares

il est, comme l’écrit l’ambassadeur d’Autriche au chancelier Metternich, “le

véritable chef du Gouvernement provisoire”.

Or, dans deux mois, il sera mort politiquement. Certains craignent qu’il ne

s’installe au Palais Royal en dictateur, ce qui nous vaut un échange savoureux

entre Plaisant, chargé de la sûreté et Van de Weyer.

Celui-ci demande à Plaisant s’il a un appartement disponible chez lui : Oui

au second… Offrez-le-lui, il n’y a point de dictateur au second étage !

Sur l’initiative de Louis, à l’image de la Convention française de 1792, une

des premières décisions du gouvernement est de créer un Comité central

exécutif dont il est le président de fait.

Le Comité intègre les différents courants qui vont dès lors s’affronter :

Rogier et Van de Weyer représentent la tendance républicaine modérée,

ils changeront bientôt d’orientation, de Mérode – bon sang ne peut mentir

– penche pour la monarchie, ce qui rassure les catholiques.

Dans la fièvre politique qui régnait, de Potter aura des mots particulièrement

échaudés à son égard : Monsieur de Mérode, caractère tenant à la fois

de l’esprit dominateur du prêtre et de l’outrageuse superbe du grand vassal

dont M. Van de Weyer disait plaisamment qu’il ne connaissait d’autre

droit que le droit canon, et d’autres canons que celui de la messe. Du reste,

M. le Comte n’était guère redoutable ; il n’était que gênant : ses chicanes et

ses détours de sacristie ennuyaient, mais n’empêchaient rien. De Mérode

pour sa part l’avait traité de “Robespierre”. Clin d’œil de l’histoire : malgré

u 74


l’opposition, un mariage Mérode-Potter aura lieu et voici, à la page suivante,

un projet de Constitution conjoint.

Même s’il n’a pas voté pour la république, contrairement à dix-sept de ses

collègues au Congrès, Louis apparaît comme un républicain et, en tous cas,

le chef de file des démocrates “radicalistes”. Des commissariats spéciaux,

sortes de ministères avant la lettre, viennent épauler le pouvoir central.

Gendebien se voit confier celui de la Justice où il satisfait les exigences

de l’opposition, entre autres, rétablissement du jury, audiences publiques.

La magistrature est épurée par la révocation ou la mise à la retraite des

orangistes. A ce chapitre, Louis de Potter regrettera de n’avoir pas au moins

préparé la future abolition de la peine de mort.

Rapidement, il se repentira aussi d’avoir accepté une charge gouvernementale

car il perdait ainsi sa liberté de manœuvre, ce qui était le but de ses

désormais adversaires politiques, il écrira (mais était-il tout à fait sincère) :

Je ne me doutai pas le moins du monde qu’en prêtant à ces messieurs tout

l’appui de ma popularité qui était immense alors, je m’ôtais à moi-même la

possibilité de la conserver, puisque, n’ayant qu’une voix au Conseil, j’assumais

sur moi la responsabilité entière de ses actes même les plus impopulaires

du gouvernement que je les eusse ou ne les eusse pas voulus…

Le Gouvernement provisoire tel qu’il se réunit le 26 septembre. Voici ceux qui en

faisaient partie d’après le dessin original de P. Verhaert appartenant à M. Robert

Gendebien. Debout de gauche à droite : Joly, Alex Gendebien, Sylvain Van de

Weyer, baron E. d’Hooghvorst. Assis : F. de Coppin, Charles Rogier et Louis de Potter

face au comte Félix de Merode. © Ceges, Bruxelles.

75 u


Note et articles constitutionnels de Louis de Potter

“Parallèle entre les rois Guillaume et Léopold”

Il y a deux sortes de gouvernement pour un peuple. La première,

et c’est la seule bonne, la seule juste, la seule durable, c’est de

consulter le peuple même sur la manière dont il veut être gouverné,

pour savoir de lui quels sont ses besoins et ses vœux, ses

opinions et ses croyances, et comment il suppose qu’on satisfera

le mieux aux unes en marchant dans le sens des autres. Et de se

conduire scrupuleusement envers et avec ce peuple comme il

se serait conduit lui-même.

Considérant que le Prince d’Orange, qui n’est plus qu’un

simple individu soumis aux lois de la Belgique, prétend exercer

un grand pouvoir dans une de ces villes, et qu’il s’y permet

même de faire des actes de gouvernement, incompatibles avec

l’indivisibilité du pouvoir exécutif actuellement confié au Gouvernement

provisoire ;

Considérant que des agitateurs instigués et soldés par le

pouvoir déchu, pour troubler les provinces, détourner l’attention

des citoyens des élections nationales, fausser le vœu populaire

et préparer par l’anarchie le retour de l’ancienne tyrannie

hollandaise ;

Arrêté : ARTICLE I er .

(M. de Potter)

Toute ville où se trouvent les Hollandais

armés ou quelque membre

de la famille des Nassau est exclue

de toute participation aux délibérations

du Congrès national.

ARTICLE II.

(M. de Potter)

Tout membre de la famille des

Nassau qui continuerait à résider

en Belgique…

(M. de Mérode.)

Toute ville occupée par des

Hollandais armés qui empêchent

l’action libre du Gouvernement

provisoire est exclue

de la participation aux délibérations

du congrès.

(M. de Mérode.)

Toute personne, quels que

soient son rang et son existence

antérieure…

u 76


Ci-dessus, le portrait de Louis de Potter réalisé par son fils Eleuthère, jeune peintre de

17 ans, qui gagna un prix de l’Académie de Peinture de Bruxelles et fût primé à Paris

avant de décéder à 24 ans lors d’un stage de peinture en Italie (collection familiale).

Le portrait ci-dessous est d’un auteur inconnu, gravure reprise dans “Histoire de

Belgique pour les classes d’humanité modernes”, Ed. Delaude, Bruxelles, 1965.

77 u


Discours d’ouverture par Louis de Potter du premier

“Congrès national belge”, le 10 novembre 1830

Au nom du peuple belge, le Gouvernement provisoire ouvre l’Assemblée

des représentants de la nation. Ces représentants, la nation les a chargés

de l’auguste mission de fonder sur les bases larges et solides de la liberté

l’édifice d’un nouvel ordre social, qui sera pour la Belgique le principe et la

garantie d’un bonheur durable.

Vous le savez, messieurs, à l’époque de notre réunion à la Hollande,

une loi fondamentale fut présentée à des notables, désignés par le

pouvoir, non pour l’examiner, la discuter, la modifier, et enfin l’accepter

et en faire la condition du pacte entre le peuple et le chef de l’Etat,

mais uniquement pour s’y soumettre aveuglément ou la rejeter dans

sa totalité.

Elle fut rejetée, comme on devait l’attendre du bon sens et de la

loyauté belges. Mais par un subterfuge sans exemple, elle fut déclarée

acceptée, et une Constitution, imposée par la Hollande, pesa sur notre

patrie. Si du moins cette loi fondamentale avait été franchement exécutée

dans toutes ces dispositions, avec le temps peut-être et à l’aide

des progrès que l’arbitraire ministériel nous forçait chaque jour à faire

dans la carrière de l’opposition constitutionnelle, elle aurait pu devenir

l’espoir de la liberté belge.

Mais loin de là ; voici la triste réalité qui gouvernait notre pays :

- consciences violées ; enseignement enchaîné ; droit de pétition méconnu

;

- presse condamnée à n’être plus que l’instrument du pouvoir, ou forcée

au silence ;

- substitution arbitraire du régime des arrêtés au système légal établi

par le pacte social ;

- confusion de tous les pouvoirs, devenus le domaine d’un seul ;

- imposition despotique d’un langage privilégié ;

- amovibilité des juges abaissés au rôle de commissaires du pouvoir ;

- absence complète de la garantie de la publicité et de celle du jury ;

- dette et dépenses énormes, seule dot que nous eût apportée la

Hollande ;

- impôts accablants par leur hauteur et plus encore par leur répartition

impopulaire ;

u 78


- lois toujours votées par les Hollandais pour la Hollande seulement,

et toujours contre la Belgique, si inégalement représentée aux anciens

Etats généraux ;

- siège de tous les grands corps constitués et de tous les établissements

importants fixé dans cette même Hollande ;

- scandaleuse distraction des fonds spécialement destinés à favoriser

l’industrie ;

- révoltante partialité dans la distribution des emplois civils et militaires.

par un gouvernement aux yeux duquel la qualité de “Belge” était un

titre de réprobation ; en un mot, la Belgique traitée comme une province

conquise, comme une colonie ; tout, messieurs, nécessitait une révolution,

la rendait inévitable, en précipitait l’époque.

De si justes griefs si réels devaient aussi en assurer le résultat. Nous

étions insurgés contre le despotisme pour reconquérir nos droits ; nous

fûmes traités par la tyrannie comme des rebelles.

Nos villes incendiées ; les actes les plus barbares exercés jusque sur des

vieillards et des femmes ; les lois de l’humanité, les droits de la guerre

foulés aux pieds, témoignent encore de la férocité de nos ennemis, en faisant

bénir la victoire du peuple qui en a purgé notre sol. Le fruit de cette

victoire était l’indépendance. Le peuple l’a déclarée par notre organe.

Interprète de ses vœux, le Gouvernement provisoire vous a appelés,

messieurs, vous, les hommes choisis par la nation belge, pour constituer

cette indépendance et pour la consolider à jamais. Mais, en attendant

que vous puissiez remplir cette tâche, un centre d’action était nécessaire

pour pourvoir aux plus urgents besoins de l’Etat.

Un Gouvernement provisoire s’est établi, et il a suppléé temporairement

à l’absence de tout pouvoir. La nécessité d’un gouvernement quelconque

justifiait sa mission ; l’assentiment du peuple confirma son mandat.

Tout était à faire, tout était à créer. Il fallait :

- réorganiser l’administration intérieure, le pouvoir judiciaire, les finances,

l’armée et la «garde citoyenne», sur laquelle désormais s’appuieront les

empires modernes ;

- abolir l’impôt odieux de l’abattage ;

- rendre entière publicité aux procédures criminelles ;instituer un jury populaire

;

- assurer de nouvelles garanties aux prévenus devant la Cour d’assises ;

- abolir la dégradante punition de la bastonnade ;

79 u


- organiser les élections populaires des bourgmestres et des régences, et

l’élection directe des députés au Congrès national ;

- plus de direction générale de police, plus de haute police ;

- affranchir l’art dramatique ;

- abolir la loterie ;

- publier les comptes et budgets des communes ;

- liberté pleine et entière pour la presse, pour l’enseignement, pour les associations

de toute espèce, et pour les opinions et les cultes, désormais

délivrés de toute crainte de persécution, de tout danger de protection.

Voilà, messieurs, les principaux titres avec lesquels le Gouvernement

provisoire s’offre devant la nation et ses représentants. De relations

avec l’étranger, nous n’avons pas cru devoir en établir, dans les circonstances

où se trouvaient et la nation et nous-mêmes.

Nous savions d’ailleurs à n’en pouvoir douter et nous pouvons vous en

donner l’assurance positive, que le principe de non-intervention serait

strictement maintenu à notre égard.

Nous jugeâmes donc que la libre Belgique devait fonder son indépendance

par ses propres forces, toujours prête à les tourner contre

quiconque voudrait entraver ce droit sacré. Depuis que nous avions pris

cette résolution, nous avons reçu assurance de la cessation prochaine

des hostilités, l’évacuation, sans conditions aucune, de tout le territoire.

Messieurs, vous allez achever de consolider notre ouvrage. Fondez l’édifice

de notre prospérité future sur les principes de la liberté de tous, de

l’égalité de tous devant la loi, et de l’économie la plus sévère. Que le

peuple soit appelé à profiter de notre révolution :

- charges de l’Etat diminuées selon ses vrais besoins ;

- salaire des fonctionnaires réduit à la juste indemnité du temps et

des talents qu’ils consacrent à la patrie ;

- suppression des emplois inutiles et nombreuses pensions, récompenses

souvent accordées à la servilité, vous mettront à même de

consommer l’œuvre de notre régénération.

Et nous, messieurs, en quelque position que nous soyons, nous soutiendrons

de tous nos vœux, tous nos moyens, tous nos efforts, cette œuvre

patriotique, trop heureux, après son entier succès, de nous confondre

dans les rangs de ce peuple qui aura, tout à la fois, vaincu et assuré les

bienfaits de la victoire !

de Potter

u 80


Quelle forme de régime choisir ?

Louis se trouve en effet isolé car, comme le dit Pirenne : Un seul eût souhaité

aller plus loin et de profiter des circonstances, non seulement pour réformer

la constitution politique, mais la constitution elle-même de la société.

En langage plus précis, instaurer la république dans son sens puritain de

l’époque qui comprend : “révolte, démocratie, liberté, fraternité, égalité…

Bref, la chose publique moderne ; ou la res publica italienne avec ses

variantes de républiques aristocratiques de Venise et Florence”.

En octobre, les évènements se précipitent et, le 4, paraît l’arrêté qui

consomme la rupture nord-sud :

Le Gouvernement provisoire, Comité central :

Considérant qu’il importe de fixer l’état futur de la

Belgique arrête :

Article premier - Les provinces de la Belgique, violemment détachées

de la Hollande, constitueront un Etat indépendant.

Art. 2 - Le Comité central s’occupera au plus tôt d’un projet de

Constitution.

Art. 3 - Un Congrès national, où seront représentés tous les

intérêts des provinces, sera convoqué. Il examinera le projet de

Constitution belge, le modifiera en ce qu’il jugera convenable, et

le rendra, comme Constitution définitive, exécutoire dans toute

la Belgique.

Bruxelles, ce 4 octobre 1830

de Potter, Ch. Rogier, Sylvain van de Weyer, comte Félix de Mérode

Par ordonnance, le secrétaire, J. Vanderlinden

81 u


Bien qu’ayant signé le document, de Potter ne peut accepter cette dictature

de fait du Comité et exige que ce soit le Congrès et lui seul qui établisse

la Constitution.

Les positions vont dès lors se radicaliser et deux camps s’affronter quant

au régime que la Belgique doit adopter : monarchie ou république (dont

certains craignent voir de Potter devenir président). Le combat, mené par

Gendebien, tendra comme l’écrit Louis à le transformer en une “innocente

mouche du coche”.

Le 10 octobre, celui-ci demande de Paris, où il a été envoyé, pour s’enquérir

de l’attitude française : de Potter voudrait-il par hasard, se faire général ?

Les membres du gouvernement hésitent encore puisque, le 18, ils envoient

de Brouckère négocier à Anvers où les troupes hollandaises se sont retirées

dans la forteresse.

En effet, une troisième force demeure en lice : les Orange-Nassau conservent

encore de nombreux appuis et le Prince Guillaume, qui joue cavalier

seul vis-à-vis de son père le roi, déclare le 16 octobre, dans une ultime

proclamation, se placer “à la tête du mouvement qui menait les Belges vers

un état de chose nouveau et stable, dont la nationalité ferait la force”.

Il sollicitera même l’appui de de Mérode, de Van de Weyer et de de Potter

par l’intermédiaire du Prince Kosloffski, ancien ministre plénipotentiaire de

Russie à la cour de Wurtemberg, disgracié, qui habite Gand, mais il s’attirera

une réponse sans ambiguïté de de Potter : Si le peuple m’eût seulement

soupçonné de vouloir présenter le Prince d’Orange comme le seul chef digne

de lui commander, il serait monté au lieu des séances du gouvernement

pour me jeter par la fenêtre, et je n’aurais eu là que ce que j’aurais mérité,

pour avoir méconnu et avoir voulu violer le vœu national.

De Mérode écrit pour sa part : Ayant reçu communication du désir qui

nous a été exprimé au nom de Votre Altesse royale d’entrer en accommodement

avec le Peuple belge, le soussigné pense qu’il est devenu très difficile

de rendre à aucun membre de la Maison d’Orange-Nassau, l’affection et

la confiance d’une nation si longtemps trompée dans ses espérances, d’une

nation privée pendant seize ans de ses droits, de ses garanties les plus chères,

et livrée à la rapacité dévorante d’étrangers hollandais ou de Belges

indignes de ce nom par une égoïste et honteuse servilité…

Finalement, le 18 octobre, les ponts sont rompus.

u 82


Extrait de la “Lettre à mes concitoyens”

de Louis de Potter, novembre 1830

Peuple, ce que nous sommes, nous le sommes par vous ; ce que

nous ferons, nous le ferons pour vous. (…) Il n’y a que vous que je

veuille convaincre de mon sincère patriotisme.

J’ai indiqué, par une lettre publiée dans “La Tribune des Départements”

combien il était absurde de permettre aux ministres étrangers

de donner Paris pour prison à ceux de leurs compatriotes qui

ne leur conviendraient pas. Cette lettre piqua vivement l’ambassadeur

néerlandais et je partis alors avec un passeport certifié bon à

la préfecture de police.

Soutenu par mon ami Tielemans, j’étais le seul au Comité central à

vouloir qu’il se dessine politiquement et qu’il prenne parti (…) nous

étions les représentants de la révolution et il nous était imposé de

la faire triompher (…) abandonner le sort de la patrie au Congrès

eût été une imprudence.

Le peuple belge possède la souveraineté réelle. Veut-on courir le

risque de le mettre aux prises avec la monarchie héréditaire qui

pourra s’établir chez lui (…) par ses vertus, le peuple belge mérite

la liberté. Lui imposer la monarchie héréditaire, ce serait le ramener

de force au régime (…) dont il s’était délivré si glorieusement, régime

de luxe et de faux éclat, d’où résultent dépravation des grands,

avilissement des petits, déconsidération de la nation et la ruine de

l’Etat.

Considérant le Gouvernement provisoire comme la véritable force

motrice de la révolution, j’avais voulu confier à ce gouvernement seul

la mission d’asseoir la révolution sur des bases inébranlables (…)

Aussi, par le refus fait au Gouvernement provisoire (…) je vis que la

royauté constitutionnelle conservait des chances de succès devant

la représentation nationale. (…) Le gouvernement jusqu’alors était

essentiellement révolutionnaire et nécessairement anti-orangiste.

83 u


Les Puissances se concertent

Pendant ce temps, les Puissances se réunissent à Londres afin de trouver

une solution au problème belge qui risque d’empoisonner les relations

internationales. Faut-il régler la question par les armes pour rétablir la

situation de 1814 ou négocier ? Comme le dit Metternich : La conférence

s’est réunie pour arranger l’affaire, mais laquelle ? Celle de Sa Majesté néerlandaise

ou bien l’affaire des révoltés belges ?

Du 4 novembre au 20 décembre, Palmerston (Grande-Bretagne), Bülow

(Prusse), Lieven (Russie), Esterhazy (Autriche), Talleyrand (France) débattent

en présence de Falck, ambassadeur hollandais, flanqué de van Zuylen,

et de Van de Weyer pour la Belgique, qui n’ont pas voix au chapitre. A

cette occasion, Van de Weyer révèle de remarquables qualités de diplomate

qui en feront une personnalité politique incontournable du futur royaume

et un Premier ministre.

Le résultat le plus positif sera la signature, le 17 novembre, d’un armistice

entre les belligérants. Ensuite, au texte lapidaire proposé par Talleyrand

(les cinq Puissances accèdent aux vœux des Belges et les reconnaissent

comme un peuple formant un Etat séparé de tout autre et indépendant) se

substitue un protocole beaucoup plus élaboré qui proclame notamment la

neutralité perpétuelle du nouvel Etat garantie par les Puissances, mais lui

impose aussi au nouvel Etat une série d’obligations porteuses de conflits

dans un avenir proche.

Finalement, la conférence se sépare en ayant évité une conflagration générale

: la France voit tomber une barrière dressée à ses frontières. Talleyrand

sans abattre ses cartes est en fait favorable au partage de la dépouille, Liège

allant à la Prusse, la Flandre et Anvers à l’Angleterre, et la Wallonie bien

évidemment à la France. S’il existe une fraction rattachiste dans cette partie

du pays, elle restera toujours minoritaire.

La Grande-Bretagne assiste à la disparition d’une concurrence commerciale

; l’Autriche se réjouit sous cape de voir qu’on n’a pas mieux réussi

l’union là où elle a échoué en son temps ; la Russie affronte au même

moment la révolte polonaise et ne peut intervenir militairement comme

elle l’aurait souhaité.

Reste aux Belges à se déterminer quant au régime qu’ils désirent adopter :

constitution, république ou monarchie ? Depuis le 6 octobre, une Commission

de Constitution avait été mise en place, elle était composée de

u 84


de Gerlache, de Brouckère, Devaux, Van Meenen, Tielemans, Balliu,

Zonde, Thorn, Lebeau, Dubus, Blargnies, quasiment tous avocats, Nothomb

est désigné comme secrétaire et rapporteur. Une série de mesures positives

y est rapidement proposée : suppression des punitions corporelles, publicité

des budgets et comptes communaux, instauration d’une garde civique

dans chaque commune, liberté des cultes, de la presse, du théâtre, du droit

d’association. Reste à déterminer la forme du futur Etat.

Le 19, de Potter envoie une lettre au “Courrier des Pays-Bas” dans laquelle

il proclame sans ambages sa position : (…) Mes opinions, je ne les ai jamais

cachées, je suis républicain… La royauté, ou l’hérédité, ou l’intérêt

dynastique, mènent presque nécessairement au luxe, au gaspillage, à l’exploitation.

Une telle attitude lui aliènera encore un peu plus la bourgeoisie

attachée au principe monarchique.

Poursuivant son travail, la Commission établit les critères d’éligibilité au

Congrès national qui va s’ouvrir : avoir 25 ans, disposer d’une fortune

permettant le paiement d’un cens élevé ou posséder des diplômes, les

officiers et les ministres des Cultes sont également admis à être candidats ce

qui ouvre fatalement la voie à la formation d’un gouvernement bourgeois.

Louis pour sa part défendra le principe du suffrage universel.

Mais surtout, elle se prononce, le 27 octobre, pour l’instauration de la

monarchie par huit voix pour et une voix contre, celle de Tielemans qui propose

un compromis assez curieux, une alternance monarchie-république,

chacune pendant trois ans.

Louis de Potter n’a pas voté ou se sera abstenu. Les autres membres étaient

soit absents, soit non encore nommés.

Tielemans démissionne tandis que de Potter désabusé dit : Ce n’était pas la

peine de verser tant de sang pour si peu de choses, car il a compris, qu’avant

même le vote de la Constitution, c’est la défaite du parti républicain qui est

consacrée. Dans ses “Souvenirs personnels”, il dira : MM. Rogier et Van de

Weyer, voyant en moi l’ennemi des dignités solides et des honneurs positifs,

se soient soumis au devoir de me perdre pour sauver la royauté, dont toute

grâce, toute faveur, tout éclat fécond émanent, et sans laquelle, comme chacun

sait, il ne pouvait plus y avoir de Belgique (…), et que : M. de Mérode,

lui, conservateur né de l’aristocratie de cour et de la religion de sacristie, ait

cru essentiel au repos de sa conscience de me mettre hors d’état de nuire à

ses curiosités de l’ancien régime.

85 u


Louis de Potter propose une réduction de la “cense” et un vrai suffarge universel.

(L’écho des vrais principes, 1829)

110

u 86


En réponse à cette décision, Louis publie le 31 octobre une “Profession de

foi politique” dans laquelle il suggère la création d’un poste de président

de la République élu pour trois ou cinq ans ; idée nouvelle pour l’époque,

comme l’est celle d’une réforme de l’impôt plus équitable. Or, (…) point

d’économie possible sous la monarchie. Il propose également la déchéance

des Nassau, rejetée dans l’immédiat, mais qui sera bientôt reprise.

Ici se place une anecdote célèbre : Gendebien qui faisait courir le bruit que

de Potter préparait un coup d’Etat républicain voit un matin des ouvriers

du canal (“les capons du rivage”) arriver pour planter un Arbre de la

Liberté devant les Etats généraux, notre parlement actuel, où était réuni le

Gouvernement provisoire. De Potter étant sorti pour les accueillir, Gendebien

(c’est lui qui le rapporte) s’exclame : Si vous proclamez la république,

je vous jette par dessus le balcon. On n’en arriva heureusement pas à une

telle extrémité, de Potter se contentant de saluer avant de rentrer dans la

salle des débats.

Le 5 novembre, après les élections, Gendebien écrit triomphalement à

Van de Weyer : Monsieur de Potter boude. Il est déconcerté du résultat des

élections. Il ne voit plus d’espoir pour la présidence… Il fera du bruit. Il

sacrifiera au besoin le repos de son pays à des idées qui ne sont partagées

par aucun membre du Comité central.

Une question se pose ici : de Potter a-t-il été candidat comme membre du

Congrès ? Sans doute l’a-t-on pressenti, mais ses déclarations ultérieures

le démentent. Encore peut-on y voir l’expression des ressentiments dont

les “Mémoires” abondent : (…) Je ne tenais pas mon mandat du Congrès

National, je ne devais donc, ni ne pouvais le résigner entre ses mains…

Argument sans doute valable, car il n’avait pas été élu mais intégré dans un

Gouvernement provisoire autoproclamé et n’avait donc aucune fonction

légale à soumettre à la ratification du vote, d’autant que le régime censitaire

destiné à rassurer la bourgeoisie lui était odieux.

Bien que n’en faisant pas officiellement partie, il accepte cependant, comme

doyen d’âge du pouvoir intérimaire, de prononcer le discours d’ouverture

de ce que nous pouvons maintenant appeler le Parlement. Harangue

au contenu convenu qui ne laisse pas deviner ses sentiments profonds.

Le 10 novembre s’ouvre donc le Congrès national, Assemblée constituante

dont les 200 membres (152 seront présents le premier jour) sont désignés

suivant un système censitaire que de Potter rejette : 46.000 électeurs votent

87 u


sur 4 millions de citoyens ; 45 aristocrates (dont lui ?), 59 hommes de loi,

13 prêtres, 13 propriétaires sont envoyés siéger. Fortune et diplômes sont

les critères retenus, voie fatalement ouverte à l’instauration d’un gouvernement

bourgeois.

Tirant le bilan de l’action du Gouvernement provisoire, dont il a été leader

un peu malgré lui, de Potter écrira dans ses mémoires qu’il a été tout à fait

au-dessous de sa mission qui était de :

- chasser sans tarder les Hollandais du territoire belge ;

- déclarer, avec l’indépendance de la Belgique, la délimitation de ses

frontières, déjà conquises à l’ennemi ;

- déterminer positivement la forme du gouvernement futur des provinces

belges, forme que le peuple belge aurait acceptée ou rejetée, avec les

bases de la Constitution que le Congrès aurait été appelé à organiser ;

- convoquer le Congrès constituant, la Constitution ayant été promulguée

et le pouvoir définitif institué, se retirer devant lui simultanément avec

le Congrès, et, comme le Congrès se serait retiré devant le nouveau

Parlement national.

Deux jours plus tard, coup de théâtre. Il annonce par une lettre adressée au

Gouvernement provisoire, transmise au Congrès national, son retrait de la

vie politique active : Vous m’accusiez d’ambition, parce que je paraissais,

prétendiez-vous, vouloir rester au pouvoir, même malgré les représentants de

la nation. Vous vous trompiez, Messieurs, et je le prouve aujourd’hui à ma

manière, c’est-à-dire, en me retirant sans espoir aucun de confirmation…

Son explication, alambiquée, montre sa crainte de voir le Gouvernement

provisoire tenter de se maintenir au-dessus de l’Assemblée et de lui dicter sa

loi ce qui “mènerait au despotisme et pis encore à la contre-révolution”. Je

rentrais enfin dans la position d’où je n’aurais jamais du sortir : j’étais redevenu

moi-même (une fois de plus coquetterie ou sincérité, chacun jugera).

Le 23 novembre, il publie sa “Lettre à mes concitoyens”, véritable plaidoyer

républicain, d’autant que la veille l’Assemblée s’est prononcée par 174 voix

contre 13 pour la monarchie.

Rendant hommage à Tielemans pour son attitude de refus au sein de la

Commission de Constitution et sa proposition de déclarer la déchéance des

Nassau, il écrit :

(…) Dès l’abord, je rêvai de la République des provinces belges (…) Les monarchistes

étaient alors (septembre 1830) ce qu’ils sont aujourd’hui. (…)

u 88


Nous ne pouvions nous entendre. (…) Je prouvai ensuite que l’économie

naturelle à ce régime (la république) convenait plus que tout autre à une

nation longtemps pressurée par la rapacité d’un roi marchand, dilapidateur

pour ses courtisans, avare pour lui-même. (…) Physiquement faible

comme monarchie constitutionnelle, nous aurions été forts comme République.

(…) Le peuple belge mérite la liberté. Imposer la monarchie héréditaire,

ce serait le ramener de force au régime de corruption et d’immoralité

dont il s’était délivré si glorieusement.

Piètre consolation, le 24, par 160 voix contre 28 sur les membres présents, le

Congrès, révolté par le bombardement d’Anvers par les Hollandais, votera la

déchéance de la dynastie des Orange avec laquelle il a si souvent croisé le fer.

Y aura-t-il une Belgique ?, par Louis de Potter, 1838.

89 u


Louis de Potter, doyen de l’Assemblée constituante,

président du Comité central du Gouvernement,

adresse sa démission le 15 novembre 1830

et la dissolution du Gouvernement provisoire

au Congrès national belge

Messieurs, au bas de l’acte par lequel mes collègues vous ont offert

hier leur démission de membres du Gouvernement provisoire de

la Belgique, vous n’avez pas lu mon nom. Vous en verrez les motifs

dans la lettre ci-jointe, que j’adresse à MM. Gendebien, Rogier, de

Mérode, Jolly, Van der Linden et de Coppin, ayant fait partie du dit

Gouvernement provisoire, et par laquelle je leur fais part de ma

résolution de me retirer.

J’ai cru, messieurs, devoir vous en donner communication. Avant de

terminer cette lettre d’envoi, je prendrai la liberté de vous témoigner

combien m’a surpris votre prompte décision sur la démission donnée,

au nom d’un corps, par quelques membres de ce corps, dont tous

n’avaient pas signé cette même démission, et cela sans avoir provoqué

une explication sur les raisons qui avaient déterminé tant la signature

des uns que le refus ou l’absence de la signature des autres.

Depuis plusieurs jours, nous discutions la question de la démission

à donner au Congrès national par le Gouvernement provisoire. Sûrs,

disiez-vous, d’être confirmés, vous vouliez, en offrant de vous retirer,

prouver au Congrès et au pays votre désintéressement. Outre les

autres accusations graves, vous m’accusiez d’ambition, parce que je

paraissais, prétendiez-vous, vouloir rester au pouvoir, même malgré

les représentants de la nation.

Vous vous trompiez, messieurs, et je le prouve aujourd’hui à ma

manière, c’est-à-dire, en me retirant réellement sans espoir aucun

de confirmation. Mes motifs, à moi, sont que je crois le Congrès

national un corps purement constituant, exclusivement appelé par

le Gouvernement provisoire pour fonder notre nouvel ordre social et

pour instituer le pouvoir définitif qui présidera aux destinées de la

Belgique.

u 90


Le Gouvernement provisoire était un pouvoir antérieur au Congrès,

extérieur au Congrès, et neutre entre le peuple et sa représentation

nationale ; un pouvoir qui avait convoqué le Congrès lui-même,

d’après un mode qu’il avait déterminé et dont l’existence du Congrès

était le résultat ; un pouvoir pour exécuter les décisions de la majorité

de cette Assemblée, tout en se conservant néanmoins et avant

tout entièrement indépendant d’elle. Il fallait que ce pouvoir reste

entier, jusqu’à ce que le pouvoir définitif le remplace ; car alors, et

alors seulement, ses fonctions cesseraient de plein droit.

Chaque fois qu’une Assemblée souveraine se trouve seule en présence

de la minorité, rien n’est plus facile à celle-ci, pour peu qu’elle

veuille chercher un appui dans les masses, que de renverser cette

majorité, et avec elle l’Assemblée elle-même. Dès ce moment, la

révolution commence et court toutes les phases de l’anarchie ; elle

traîne à sa suite le despotisme, et la contre-révolution. C’est l’histoire

de la Convention nationale de France et de la restauration

des Bourbons. Je désirais que ce ne fut pas celle de la Belgique.

Comme chef du Comité central, je me sentais la mission d’exercer

un pouvoir modérateur du Congrès, de défendre le Congrès contre

lui-même.

Ce sont là, messieurs, les principaux arguments que j’ai fait valoir

auprès de vous pour vous empêcher de commettre une faute qui

me semblait irréparable, et que la patrie peut-être, et l’histoire, sans

nul doute, nous reprocheront un jour. Vous avez cru devoir passer

outre. Je ne m’en plains pas et je vous laisse la responsabilité de votre

décision. Je ne tenais pas mon mandat du Congrès. Je ne pouvais

le résigner entre ses mains. Ce mandat est devenu nul, dès l’instant

que vous avez investi le Congrès, comme vous venez de le faire.

91 u


Un monarque oui, mais qui choisir ?

Alors que les Puissances (Grande-Bretagne et France) auraient vu avec

faveur le Prince d’Orange sur le trône, le Congrès a, par son refus, montré

qu’il désire être le maître des destinées du pays. Les mois qui vont suivre

seront donc marqués par la quête d’un souverain qui fasse l’unanimité.

Après l’élection, le 24 février 1831, d’un “roi par intérim” en la personne

aimable du Régent Erasme Surlet de Chokier, homme intelligent, spirituel

et léger ; très égoïste et profondément sceptique ; incapable de rien faire

parce qu’il n’a aucune foi politique, croyant à tout, excepté à la nationalité

belge ; convaincu que les évènements de 1830 amèneraient une guerre

générale et que la Belgique irait définitivement à la France (Nothomb),

auquel ses longs cheveux gris et bouclé… donnaient l’air d’un vieux lion

mal tenu (C. Bronne).

La quête se poursuit donc et une caricature de l’époque montre la “Ménagerie

royale” tant les candidatures, parfois surprenantes sont envisagées. Du

comte Felix de Mérode au Prince de Ligne, les membres de l’aristocratie de

nos régions déclinent cet honneur périlleux. La noblesse demeurera assez

longtemps dans une prudente réserve vis-à-vis de la nouvelle monarchie.

On pense aussi à Napoléon-Achille Murat, le fils du maréchal, défunt roi

de Naples, exilé aux Etats-Unis ; à La Fayette – il a près de 75 ans – que

propose Gendebien, nostalgique du rattachisme, au duc de Leuchtenberg,

fils d’Eugène de Beauharnais et petit-fils de l’ex-impératrice Joséphine. Ce

dernier se heurte à l’opposition de la France à qui il rappelle l’épopée napoléonienne.

L’archiduc Charles d’Autriche, fils de l’empereur Léopold II,

petit-fils de Marie-Thérèse, obtient 35 suffrages, nostalgie d’une époque

révolue mais pas si lointaine.

Louis aura beau jeu de se gausser rétrospectivement de ces candidatures

de noms obscurs ou ridicules de petits princes en disponibilité (…) dont le

petit Othon de Bavière qui, depuis, s’est fait sur le trône de Grèce une si triste

réputation de nullité monstrueuse (élu en 1832, il sera détrôné en 1862).

Plus sérieusement, Louis d’Orléans, duc de Nemours, second fils du nouveau

Roi Louis-Philippe, défendu en un premier temps par Van de Weyer,

recueille 97 suffrages sur 192 votants. Mais le souverain à la sagesse de

refuser face aux complications qui s’annoncent avec l’Europe pour qui le

glacis dressé devant l’esprit de revanche français risque de disparaître et

u 92


dont l’Angleterre de Palmerston ne voulait absolument pas, ce que Van de

Weyer comprit rapidement.

Il existe un courant, minoritaire, pour le rattachement pur et simple à la

France, mais “Le Belge” résume le sentiment général : La réunion n’a pas

de racine dans le peuple qui veut être belge et rien que belge.

Lors du retrait de Nemours, de Potter écrira encore, le 13 février 1831, à

l’Assemblée pour plaider la cause de “la république définitive”, mais sa

popularité est maintenant au plus bas.

Finalement, la solution viendra de la famille de Saxe-Cobourg (le haras de

l’Europe, dira Bismarck avec son élégance habituelle) en la personne de

Léopold-Georges-Chrétien-Frédéric, un prince protestant à qui le catholicisme

de ses futurs sujets ne semble pas poser de problème. Devaux proposera

sa candidature dès janvier 1831. Encore faut-il l’accord des Puissances.

Il reçoit l’appui de l’Angleterre, ce qui est essentiel. Il est veuf de la Princesse

Charlotte-Augusta, fille de Georges, le Prince de Galles. La France, qui a

besoin de l’appui anglais, se range plus ou moins de bon cœur à ses côtés.

La Russie, dans l’armée de laquelle il a servi, bien qu’hostile à l’indépendance

belge, y voit un moindre mal. La Prusse considère qu’un prince

allemand sur le trône de Belgique augure bien de l’avenir. L’Autriche n’est

pas favorable mais n’a plus les moyens de sa politique.

Le 20 avril 1831, après des travaux d’approches menés par Lebeau, une

délégation composée de de Mérode, Vilain XIIII, de Brouckère, Van Praet,

le beau-frère de Devaux qui parle parfaitement anglais, et l’abbé de Foere

rencontre Stockmar, le médecin, secrétaire et ami de Léopold.

Ensuite, le 22, Léopold lui-même, assez inquiet devant le contenu de la

Constitution belge qui limite les pouvoirs du souverain dit : Messieurs, vous

avez rudement traité la royauté qui n’était pas là pour se défendre.

Finalement, le 4 juin 1831, par 152 voix sur 196 votants, quatre membres

sont absents, le Congrès ratifie l’élection de celui qui devient Léopold I er ,

roi des Belges. Louis de Potter est évidemment contre cette décision qu’il

considère comme imposée par les Puissances.

93 u


Extraits du livre “Y aura-t-il une Belgique ?”

de Louis de Potter à ses concitoyens

Cette question qui a agité a Belgique entière pendant deux ans, et

qui aurait dû être décidée là même où elle avait surgi et par ceux

seulement qui l’avaient soulevée, occupe l’Europe depuis que les

Belges paraissent avoir renoncé à y mettre de l’importance parce

qu’ils la croient résolue.

On s’est intéressé qu’aux questions secondaires de savoir ce que

la Belgique sera, comment elle sera, et surtout qui y sera quelque

chose ; comme si tous les accidents de forme et les intérêts particuliers

n’étaient pas subordonnés à l’intérêt commun. Partout où

l’égoïsme et la passion n’avaient pas oblitéré les intelligences, la

logique inflexible n’a-t-elle point cessé de poser sans ambages ni

circonlocutions, la question primitive : Y aura-t-il une Belgique ?

Complètement oubliée, la question d’existence se représente

aujourd’hui aussi problématique qu’avant notre séparation de la

Hollande, et exigeant aussi impérieusement que jamais d’être tranchée

définitivement. Elle avait cependant été formulée avec netteté

et précision en 1828, par l’opposition fédérée ou unioniste en lutte

avec le despotisme unitaire et centralisateur de Guillaume. (…)

Dès que l’existence de la Belgique fut réalisée par la victoire populaire

et constatée par la déclaration d’indépendance du gouvernement,

elle fut remise en question par le Congrès constituant belge.

Celui-ci décréta la monarchie parce qu’il avait peur des Puissances

étrangères ; c’était un pas rétrograde vers la soumission : il espéra

que ceux-ci, pour employer l’expression d’un ancien membre du

Congrès, qu’ils “consentiraient à l’existence d’une Belgique”, rentrée

dans le bercail des cours ; cet espoir nous fit plier à l’intérêt dynastique,

si pompeusement appelé l’intérêt de la civilisation, pouvait

nous faire imposer par les rois d’Europe. La diplomatie se chargera

du reste. (…)

u 94


Ou nous soumettre de bonne grâce et accepter sans murmurer les

temps et les circonstances tels que nous-mêmes, confessons-le sans

détour, puisque le mal n’est pas à avouer ses fautes, mais à en commettre,

tels que nous-mêmes les avions faits ; Ou bien nous relever

à toute la hauteur où nous étions parvenus en 1830. (…)

La vigueur qu’en ce moment la patrie réclame de nous, il faut qu’elle

éclate spontanée et sans aucun retard. Car le temps, ce grand mystificateur

des peuples, l’auxiliaire le plus puissant de la diplomatie,

est contre nous. Rien ne s’use comme l’enthousiasme qui devient

du “pur calcul”, et les rois calculent beaucoup plus habilement que

les peuples. (…)

Le premier mouvement des peuples est toujours franc et bon ; voilà

pourquoi les rois s’en défient : mais, ce moment de crise passé, la

diplomatie s’empare du terrain et agit sans obstacle, amuse l’un,

séduit l’autre, promet, intimide, trompe tout le monde et règne sur

des ruines. Si chacun de nous n’a pas le courage de détourner quelques

mois son attention de lui-même, de l’argent, de spéculations,

d’entreprises, d’actions industrielles, qui l’absorbent, pour la porter

toute entière, avec tout son dévouement, sur la question de notre

existence comme le peuple libre, tout est perdu. (…)

Ne parlons plus de patrie ni d’honneur ; sacrifions l’honneur et la

patrie au veau d’or ; immolons-nous nous-mêmes sur son sordide

autel, nation aujourd’hui, demain province, libres un instant, toujours

prêts à servir, mais riches.

Ce sera donc probablement le peuple de juillet qui, chose incroyable

mais vraie, aura la gloire d’avoir imposé l’ordre selon la conférence

de Londres au peuple de septembre.

Et par là la dynastie du roi des barricades se trouvera consolidée

d’autant (…) dans l’esprit des rois par la gloire de Dieu. En outre,

continuera à figurer dans les almanachs des cours un tout petit

Royaume de Belgique où, comme a dit le Chansonnier, les Bourbons

règneront toujours. (…)

95 u


Ne renoncerons-nous jamais à la déplorable manie de nous vexer

et harceler mutuellement sans but comme sans terme ? L’union et

la concorde nous ont émancipés ; est-il à croire que la division et la

haine nous conserveront libres et forts ?

Que nous discutions avec bienveillance entre nous sur lesquels nous

différons, que nous cherchions à nous éclairer les uns les autres, je

le conçois ; c’est même un devoir.

Mais il faut éviter un odieux éclat qui, aigrissant les esprits, nous

empêche, comme on a dit, de laver notre linge sale en famille. Il

passe alors à la buanderie diplomatique ; et là, les rois l’ont bientôt

rendu inblanchissable. (…)

Notre lot, c’est l’obéissance la plus absolue, du moment que nous

ne sentons pas le force de pousser le courage jusqu’au désespoir.

Nous commencions une vie bien réelle en 1830, aussi réelle qu’elle

était glorieuse.

Je n’ai jusqu’ici considéré la question que sous le rapport de la Belgique

: c’est le seul dont j’eusse à m’occuper dans l’intérêt des Belges,

mes concitoyens.

Mais il y a un point de vue plus élevé, d’où l’acceptation des 24

articles, soit dans leur pureté native, soit plus ou moins modifiés, ou

le refus de la part des Belges de ses soumettre à l’arbitraire de la

diplomatie, à la loi de l’étranger, prennent un aspect bien plus large,

et se présentent comme question européenne, humanitaire.

Je ne ferai que l’indiquer ici. L’existence de la Belgique, existence de

fait et même de nom, qu’est-elle autre chose, si ce n’est une victoire

du droit sur la force ? C’est un produit exclusivement révolutionnaire.

(…)

Et c’est la Belgique, comme géographiquement la plus faible, et

la plus tenace moralement dans ses prétentions à la liberté vraie,

qu’ils ont choisie pour achever leur triomphe et rétablir l’ordre antérieur,

c’est-à-dire le droit de quelques familles sur la fortune, la

pensée, les croyances, la vie de tous les peuples.

u 96


Encore et toujours l’exil

Cependant, le 14 février était née “l’Association pour l’Indépendance

nationale”, au sein de laquelle se retrouvent de Potter et Lesbroussart,

de tendance résolument radicale et républicaine. Ces républicains que

M. Rogier appelle “anarchistes”, comme l’écrit Louis dans un article paru

dans “Le Belge” et qui veulent avant tout le bien du pays.

Mais désormais il n’apparaît plus que comme un gêneur accusé en de

curieux amalgames d’être tout à la fois “un prêtre juif” (sic), un “saintsimonien

”, un “égalitaire”, un “orangiste”.

Aux violences verbales succèdent les menaces et, si le 21 février un meeting

de l’Association est encore un succès et se termine par les cris “Vive de

Potter ! Vive la Liberté !”, il est prévenu de ne pas se rendre le lendemain

à une réunion à l’estaminet “La Bergère”. Celle-ci est en effet dispersée à

coup de masses plombées par des individus, en majorité des chômeurs,

stipendiés très probablement par Plaisant, chef de la police qui avait fait

ses études de Droit à l’Université de Bologne de 1815 à 1820, époque où

Louis était en Italie, et ancien compagnon de lutte de celui-ci. C’en est trop

et fin février de Potter quitte Bruxelles pour Paris.

Le séjour dans la capitale française durera de février 1831 à 1839. Séjour et

non exil ; lorsqu’il quitte la Belgique, c’est parce que la pression politique

lui est devenue insupportable et non sous le coup d’une condamnation qui

lui aurait interdit le territoire national.

La preuve en est qu’il reviendra à diverses reprises au pays. En 1834, il sera

même proposé pour la Croix de Fer qu’il refusera comme tous les “hochets

ridicules” que sont pour lui les distinctions honorifiques.

La Croix de Fer, instaurée par la loi du 8 octobre 1833 était destinée à récompenser

les membres du Gouvernement provisoire et les autres citoyens

qui, depuis le 25 août 1830 et jusqu’au 4 février 1831, ont été blessés ou ont

fait preuve d’une bravoure éclatante dans les combats pour l’indépendance

nationale, ou ont rendu des services signalés au pays.

En 1835, il y avait 1.635 décorés, les deux classes de la décoration ayant

été fusionnées. En 1860, il restait 463 décorés vivants. Par contre ayant

appris qu’il avait été “oublié” par le Congrès qui avait voté la distribution

des 150.000 florins des Pays-Bas destinés aux membres du Gouvernement

97 u


provisoire, il fit intervenir son avocat et obtint 11.000 francs aussitôt distribués

aux chômeurs de Bruxelles et de Bruges.

Après ce départ, Gendebien revient au premier plan et fait de la surenchère

patriotique avec la fondation d’une “Association nationale” qui combat une

dernière tentative de replacer le Prince d’Orange sur les rangs des candidats

au trône et combat les résultats de la conférence de Londres tout en

encourageant en sous-main des menées républicaines vouées à l’échec,

mais qui assurent – il faut prévoir l’avenir – sa popularité auprès des classes

moyennes et ouvrières.

De Potter, toujours lucide mais caustique, pourra dire : Monsieur Gendebien,

et pour cela on n’en saurait douter, ne voulait, en se débarrassant de

moi, que protéger la Belgique.

Sur le plan familial, il y aura le décès, le 22 juin 1833, de sa mère âgée de

81 ans. Elle résidait à Bruxelles chez Baudouin, l’ancien maître en humanités

de Louis.

Un évènement plus heureux sera la naissance, le 1 er août 1834, de son

dernier enfant, sa fille Justa (décédée en 1875) qui épousera en 1859 le

capitaine (futur lieutenant-général) Alexis Brialmont (1821-1903), spécialiste

des fortifications, créateur des ceintures défensives d’Anvers et de

Liège, apprécié par Léopold I er et Léopold II.

A partir de cette nouvelle étape parisienne, les centres d’intérêt de Louis

de Potter vont progressivement se déplacer. Si la vie politique belge ne

le laisse pas indifférent, il s’impliquera de plus en plus dans ce que nous

appellerons la “sociologie politique”.

Il va en effet renouer avec Lamennais et donnera de nombreux articles à

“L’Avenir” dans les bureaux duquel il rencontrera Lacordaire et Montalembert.

Il écrira également dans les colonnes de divers journaux républicains tel

“La Tribune” et “Le Réformateur”.

De cette collaboration naît un projet de pacte d’union, sorte d’Internationale

socialiste avant la lettre, qui propose une confédération républicaine des

peuples belges, hollandais, rhénans, français dont s’effraie même Buonarroti

devant les risques de conflits internationaux qu’il susciterait, ainsi que du

poids qu’occuperait la France connue pour son esprit centralisateur.

u 98


Buste de Justa de Potter, fille de Louis de Potter et épouse du général Brialmont.

© Musée Royal des Beaux-Arts de Belgique, IRPA-KIK, Bruxelles.

D’autres réactions ne tarderont pas puisqu’en 1832, le pape Grégoire XVI

condamnera par l’encyclique “Mirari Vos” cette vision faite de catholicisme

libéral, de liberté individuelle et de politique sociale.

Si Montalembert et Lacordaire se soumettent, Lamennais réplique en 1834

par “Les paroles d’un croyant” où l’Evangile apparaît comme une prophétie

révolutionnaire. La publication marque ainsi sa rupture définitive avec

l’Eglise. Précurseur de la démocratie chrétienne, devenu député d’extrême

gauche en 1848, il mourra après avoir refusé les sacrements.

On trouve un écho de la démarche de Lamennais dans la publication par

Louis, en 1836, de son “Histoire philosophique, politique et critique du

christianisme et des églises chrétiennes depuis Jésus jusqu’au XIX e siècle,

huit volumes pas moins, soigneusement ignorés par la presse conservatrice,

sorte d’amplification de ses “Considérations sur l’histoire des principaux

conciles…” de 1816. Extrait choisi : Par le christianisme que je combats,

il faut toujours entendre le christianisme hiérarchiquement organisé. (…)

99 u


Jésus et ses principes d’égalité sociale, de fraternité universelle sont pour moi

la manifestation de l’homme moral au degré le plus sublime.

S’il tend la main aux réformateurs dans l’Eglise, il se méfie d’un catholicisme

soi-disant social : Tolérance donc, et tolérance entière ! Liberté absolue

d’opinions et de doctrines. (…) Il faudra nécessairement que le christianisme

cède la place à la philosophie. (…) Et lorsqu’il fait en apparence une

marche arrière : (…) La religion est le moyen le plus efficace de stabilité et

d’ordre ; et l’ordre que la liberté affermit est le premier besoin des hommes

en société (…), c’est pour annoncer qu’elle finira par céder : (…) nous

devons, en ne cherchant pas à précipiter imprudemment la perte du catholicisme

le laisser se perdre lui-même, entièrement et sans retour.

Pendant ce temps-là en Belgique

Depuis le départ de Louis, les évènements se sont précipités. A peine

Léopold a-t-il prêté le serment constitutionnel que les Hollandais rompent

l’armistice (2 août 1831) et envahissent le pays.

Le roi désabusé dira : Une partie de l’armée me trahit, l’autre s’enfuit. Il

y avait un pont près de Malines que je ne pus maintenir en mon pouvoir

qu’en m’asseyant dessus.

Devant le désastre imminent, Léopold fait appel aux garants de la neutralité

belge – en l’occurrence la France – et le 11 août, le maréchal Gérard

entre à Bruxelles à la tête de 60.000 hommes, ce qui provoque des remous

au Parlement car “aucune troupe étrangère ne peut traverser le territoire

qu’en vertu d’une loi”, mais cette fois nécessité fait loi.

Le 20, les Hollandais évacuent, sauf la forteresse d’Anvers, après une campagne

qui aura fait 91 morts et 453 blessés dans les rangs belges. Plus grave,

devant la faiblesse du nouveau royaume et sous la pression anglaise, les

Chambres devront ratifier un nouveau traité (les XXIV articles) par lequel

une partie du Limbourg et du Luxembourg sont attribués à la Hollande. Le

député Bekaert tombera mort à son banc, étouffé par l’émotion.

Député du Luxembourg, Gendebien abandonnera son siège le 19 mars

1839, lors de la ratification définitive du traité, après avoir lancé son célèbre

: Non, trois cent quatre-vingts mille fois non pour trois cent quatrevingts

mille Belges que vous sacrifiez à la peur.

u 100


Finalement, de Potter et Gendebien se rapprochent dans leur attitude

intransigeante vis-à-vis du traité ce qui correspond bien à leurs caractères

opposés. Gendebien, pour sa part, avait un tempérament pour le moins

agressif : le 26 juin 1833, il se battra en duel avec Rogier, alors ministre

de l’Intérieur, pour un motif qu’aujourd’hui on considérerait comme futile,

touchant à l’honneur de Devaux. Si Rogier se contenta de tirer sans viser,

Gendebien lui transperça bel et bien la joue lui brisant des dents. Sanctionné

par le Code pénal en 1841 (peine d’emprisonnement de sept jours

à trois mois, amende de 100 à 500 francs, indexée), le duel n’est toujours

pas légalement interdit en Belgique !

Cependant, Louis ne désarme pas dans son opposition au principe monarchique

et envoie lettre sur lettre au roi ne craignant pas de lui écrire :

Bizarre destinée ! Vous qui, étranger à la révolution, êtes venu à sa suite,

vous trouvez moyen de vous rendre agréable au peuple avec qui, sans elle,

vous n’auriez jamais eu aucun point de contact, en la répudiant aussi

naïvement qu’il la répudie lui-même ; et moi qui, après en avoir rassemblé

les éléments, y aurais volontiers mis obstacle avant qu’elle n’éclatât, je

suis, pour l’avoir voulue, maudit et persécuté par le peuple qui l’a faite !

Ou : Vous avez voué la Belgique à la neutralité morale et politique, espèce

de castration sociale, de quasi-existence vague ambiguë, équivoque, qui est

à jamais flétrie sous le nom de juste milieu. Et encore : J’ai seulement voulu

vous prouver par là que c’en était assez et plus même qu’il ne fallait pour

vous débarrasser au plus tôt d’une charge dont le poids vous deviendra de

jour en jour plus insupportable. Louis reconnaîtra d’ailleurs que : le roi

avait beaucoup ri en lisant mes réflexions.

Cependant, la basse politique le rattrape : le 4 mars 1838, à l’instigation

de son homologue belge, la police française opère une descente à son

domicile parisien, 8, rue de Fleurus, et saisit des papiers – un échange de

courrier – qui se rapportaient au mouvement insurrectionnel de Bartels.

Curieusement les documents aboutissent sur le bureau de Charles Lehon,

ministre plénipotentiaire du Royaume de Belgique à Paris.

A l’époque Bartels, vieux compagnon de lutte de Louis dans les années 1820,

auteur en 1836 de “Sur la Révolution belge”, publiait “Le Radical”, journal

libéral dont les positions inquiétaient le pouvoir sans vraiment le menacer.

101 u


Lettre adressée à l’avocat général de la deuxième

chambre du tribunal correctionnel des Etats généraux,

par MM. de Potter, Tielemans et Bartels à l’issue du procès

d’assises les condamnant à huit ans de bannissement,

suite à la saisie de la correspondance de Louis de Potter.

Nobles et puissants seigneurs,

Ce n’est pas contre la condamnation que nous venons de subir

que nous réclamons auprès de vous, quoiqu’elle nous prive d’une

patrie qui nous est chère et d’institutions auxquelles nous sommes

sincèrement dévoués.

Nous faisons volontiers le sacrifice de nos affections et de nos intérêts

à cette même patrie, et nous ne formons d’autre vœu que celui

d’y voir enfin la liberté sortir triomphante de la lutte où quelques

hommes l’ont si imprudemment et si maladroitement engagée.

Nous nous bornons, nobles et puissants seigneurs, à vous signaler

un scandale inouï dans les annales des peuples civilisés, savoir :

la publication, par la voie de la presse, de notre correspondance

confidentielle, intime, secrète, de toute notre vie privée et de celles

des personnes qui, malheureusement pour elles, étaient en relation

avec nous.

Un pareil scandale demeurant impuni, il n’y a plus de sûreté

pour les citoyens, il n’y a plus de repos : les liens de l’amitié et de la

confiance sont rompus et les mères de familles les plus honnêtes

bafouées.

u 102


Extraits de “Archives de la Révolution de 1830”

par Adolphe Bartels (Ed. Thieu & Ponthoz, 1848, Paris)

(…) A Paris, un banquet fut offert aux honorables bannis, par une

nombreuse réunion de Français et de Belges. (…) Un toast aux

rédacteurs du “Catholique”, du “Courrier des Pays-Bas” et autres

organes de l’opposition belge fut longuement applaudi. Le toast suivant

fut porté par M. de Potter :“A la France ! Elle est libre. Qu’elle

poursuive sa noble carrière ! A la Belgique ! Puisse-t-elle bientôt être

libre et n’avoir plus à envier à la France que l’honneur de l’avoir

devancée. Vous le savez tous, Messieurs, la liberté des Belges peut

seule affermir l’indépendance des Pays-Bas. Que les Belges donc

secouent le joug hollandais ! Ils ne doivent, ni ne veulent opprimer

la Hollande, mais aussi ne veulent-ils plus être opprimés par elle.

Séparation réelle, parlementaire et administrative, entre les deux

peuples, mais union indissoluble des deux peuples sous un même

chef constitutionnel. Vive le Royaume-Uni des Pays-Bas ! Vive la libre,

l’héroïque, l’hospitalière France !” (…)

(…) Soyez heureux, la couronne civique ; Dans vos foyers vous attend

au retour ; Souvenez-vous, vous fûtes nos frères ; L’Europe encore

pourra dans l’avenir ; Par un poteau planté sur nos frontières, Nous

séparer, mais non nous désunir. Ce couplet redemandé avec enthousiasme

par tous est chanté en chœur par : catholiques indépendants

et sincères, philosophes de bonne foi, députés, écrivains, proscrits, industriels,

tous animés d’une égale ardeur pour la cause des peuples

et la chute du despotisme dans le monde entier, se serrent les mains

en formant une chaîne d’hommes libres. (…)

(…) Le cri de “Vive de Potter !” retentit du Châlelet à la rive opposée

de la Seine. Notre compatriote parait au balcon. Les convives

l’entourent de flambeaux car l’obscurité ne permet pas de distinguer

ses traits. Les cris redoublent : “Vive le brave peuple de Paris

!”, s’écrie de Potter. “Vive le brave peuple de la Belgique ! Vive de

Potter ! Vivent les bannis”, répètent les héros de la grande semaine,

en élevant des torches allumées. (…)

103 u


Retrouver la Belgique

En septembre 1839, de Potter décide de rentrer au pays, ce qui, pour quelqu’un

accusé par certains auteurs de fomenter un complot, aurait été pour

le moins dangereux. Il s’installe à Schaerbeek, rue Royale Extérieure tout

en séjournant à l’occasion à Bruges.

En avril 1840, Lebeau forme le premier ministère libéral homogène. C’en

est fini de l’unionisme. Un an plus tard, un complot orangiste, organisé par

deux anciens généraux Vander Smissen et Vander Meere est découvert. Il

s’agissait d’enlever Léopold I er et de rétablir les Nassau.

Ce complot des “paniers percés” mena les conjurés devant la Cour d’assises

et aboutit à quatre condamnations à mort, non exécutées. A cette époque,

de Potter opère un revirement qui va lui attirer des réactions violentes de

la part de ses anciens amis républicains.

Il publie en deux volumes “Révolution belge. Souvenirs personnels” dont les

500 exemplaires sont vendus en dix jours d’où, en 1840, une seconde édition

sous le titre “Souvenirs intimes”. Retour sur ma vie intellectuelle et le peu

d’incidents qu’elle causa” accompagnée d’une traduction néerlandaise.

Dans l’avis au public, il dit : La Révolution belge, conçue en 1828, née en

1830, décédée en 1839, appartient désormais à l’histoire. (…) Mes souvenirs

de cette révolution, quoique purement personnels ne seront pas inutiles

à ceux qui, plus tard, écriront sa nécrologie.

L’ouvrage donne à lire des choses étonnantes au regard de l’intransigeance

que l’auteur a manifesté jusqu’alors : La Révolution de 1830 avait pour but

de fonder une République sociale. Elle n’a pas atteint son but et elle n’a eu

pour résultat que de diviser un puissant Etat en deux parties. Il est donc

temps de réunir à nouveau deux peuples qui se complétaient l’un l’autre.

Louis en revient donc, sans doute devant les projets de partage du pays

entre la France et l’Allemagne (Bismarck présentera dans quelques années

cette politique des “pourboires” à Louis-Napoléon devenu prince-président

puis empereur) l’idée d’un pacte fédéral sous la forme d’une “Monarchie

socialiste” dont le souverain serait… Guillaume d’Orange !

Depuis la fin des années trente, de Potter était en relation avec Jean-Guillaume

de Colins, dont les idées sociales vont l’inspirer et transparaîtront dans ses

écrits. Etrange personnage que ce baron rouge né à Bruxelles en 1783, fils

d’un chambellan à la cour des gouverneurs généraux autrichiens. Imprégné

u 104


de l’esprit des encyclopédistes, il fait une carrière militaire sous l’Empire

et, à la Restauration, dédaignant la promotion à un grade supérieur dans

l’armée du royaume des Pays-Bas, il s’exile aux Etats-Unis, puis à Cuba où

il fait fortune comme planteur de café.

Nouveau revirement puisqu’il passe les examens qui lui confèrent le titre

de docteur en médecine. En 1830, la révolution parisienne le pousse à

revenir en France. Il trempe dans des complots bonapartistes pour finalement

se consacrer à l’étude des théories sociales qu’il développe dans “Le

Pacte social ” et “Le Socialisme rationnel”.

Emprisonné de juin 1848 à mars 1849 lors de la chute de Louis-Philippe et

de la naissance d’une république éphémère, il se convertit à l’idée d’un régime

militaire fort, seul capable d’amener l’égalitarisme dont il rêve. Louis-

Napoléon réalisera ses vœux, mais dans une optique un peu différente !

A ce moment, de Potter rompra avec lui car, profitant des évènements en

France, Colins aurait voulu instaurer la république en Belgique, idée que

Louis avait abandonnée prévoyant l’aboutissement des évènements et un

retour au despotisme : Exactement le même, qu’il soit exercé d’ailleurs au

nom de la légitimité, ou de la monarchie de fait, ou de la république tricolore,

ou de la démocratie rouge ou enfin du socialisme.

Colins publiera encore, de 1851 à 1854, “Qu’est-ce que la science sociale ?”

tout en entretenant une abondante correspondance avec quelques disciples,

actifs notamment à Verviers jusque dans les années 1870. Il meurt isolé en

1859, entrant au panthéon des réformateurs radicaux du XIX e siècle.

De nombreuses publications de Louis de Potter, “Etudes sociales ” (1843),

“La Justice et la Sanction religieuse” (1846), “La Réalité déterminée par le

raisonnement” (1848), “Le cathéchisme social” (1850), “ABC de la Science

sociale” (1850), “Cathéchisme rationnel” (1854) et le “Dictionnaire rationnel”,

paru l’année de son décès, puiseront largement dans l’idéologie colinsienne

que son fils Agathon défendra à son tour.

L’idée de la collectivisation de la propriété foncière, la création de coopératives

gérées par des associations de travailleurs mais l’interdiction de

regroupements capitalistes, l’instauration des droits de succession pour les

propriétaires de biens immobiliers, l’extinction des dettes au décès des

débiteurs, l’instauration d’une dot sociale pour démarrer dans la vie professionnelle,

le prêt à intérêt le plus bas possible, l’instruction gratuite, une

législation vieillesse, sont des buts que poursuivront les nouveaux partis

qui vont éclore.

105 u


Extrait d’une note de l’Institut de Colins de Ham

concernant la correspondance de Louis de Potter

avec l’économiste Jean-Baptiste de Colins de Ham

Lorsque Louis de Potter revint se fixer définitivement en Belgique,

une correspondance suivie, très étendue, eut lieu entre le baron

Jean-Baptiste de Colins de Ham et lui.

Dans ses lettres, Louis de Potter “harcelait sans relâche M. De Colins

de difficultés, de doutes, d’objections et de réflexions de toutes

espèces” ; sur quoi il recevait “de belles dissertations, des développements

clairs et des conclusions sans répliques”. Jean-Baptiste de

Colins, à la naissance de ses relations avec Louis de Potter, avait déjà

publié un livre remarquable, intitulé : Du pacte social et de la liberté

publique considérée comme développement moral de l’homme.

Mais l’épigraphe de ce livre, Dieu et liberté, révèle clairement que

l’auteur était encore dans l’ignorance de la réalité du droit et de la

sanction éternelle : “A mesure que je composais ce travail sur la

science sociale, je l’envoyais à M. de Potter, de Bruxelles, qui en prenait

copie et s’en servait pour l’éducation de son fils Agathon, jeune

homme distingué et lettré, alors étudiant en médecine sociale, et,

depuis lors, docteur en médecine.”

L’institut Colins dira plus tard, au sujet du jeune homme :“Son ouvrage

intitulé “Etudes sociales”, rassemblait divers opuscules consacrés

à la “science sociale rationnelle”. On y trouve des thèses colinsiennes

quant à l’indétermination du langage et à l’avènement de la

souveraineté de la raison fondée sur l’immatérialité et de l’éternité

des âmes. C’est dans un autre ouvrage publié sous le titre étonnant

de “La justice et sa sanction religieuse” et une seconde fois, sous le

titre non moins intrigant de “La réalité déterminée par le raisonnement

ou Questions sociales” qu’il apporta les contributions les plus

décisives à l’ontologie rationaliste colinsienne…

u 106


En janvier 1842, Louis avait été le moteur de la création de “L’Humanité”,

un bi-hebdomadaire du dimanche et du jeudi qui cessera de paraître après

26 numéros, le 1 er mai. Il est curieux de noter que Marx et Engels, installés

à Bruxelles, élaboreront de 1845 à 1848, leur théorie du matérialisme historique

(“Le Manifeste du Parti Communiste”) sans évoquer nulle part les

publications pourtant nombreuses de Louis de Potter.

Une autre revendication, essentielle, celle de l’abaissement du cens électoral,

sera adoptée par le gouvernement libéral en 1848. Plus élevé dans les

villes que dans les campagnes, il empêchait le vote d’une partie de la petite

bourgeoisie urbaine. Ramené au minimum légal, 42 francs d’impôts directs,

il élargit la base du corps des électeurs.

Grâce aux mesures prises par le cabinet Rogier, notamment des concessions

sociales, notre pays échappe à la contagion révolutionnaire française.

Une bande d’aventuriers et d’utopistes, violant la frontière au hameau de

“Risquons-Tout” fut même décimée par un détachement de l’armée belge

commandée par le général Fleury-Duray.

Louis de Potter, franc-maçon ?

Les maçons étant quasiment tous libéraux et, s’étant battu lors de la Révolution

de 1830 pour la liberté de l’enseignement, l’Eglise voyait dans l’activité

des loges une menace pour son emprise. Le résultat fut l’inverse de celui

espéré et donna même lieu à un regain d’engouement pour la maçonnerie

et aussi à la naissance d’un parti libéral structuré en 1846.

Alors que, nous l’avons constaté, la majorité des acteurs de la Révolution

de 1830 faisaient partie des loges, nous n’avons pas trouvé d’indice et encore

moins de preuve de l’appartenance de de Potter à la franc-maçonnerie

et c’est probablement à tort que Paul Delsemme (“Les écrivains francsmaçons

de Belgique”) le signale comme membre d’une loge bruxelloise

“La Paix” en 1814 , époque où il était en Italie.

En 1827, un frère Imbert l’invita à rejoindre la maçonnerie mais il déclina en

raison des “mômeries” (sic) qui accompagnent les cérémonies et les rendent

ridicules (Bologne, “Louis de Potter, un banni de l’histoire”). Il refusera de

même une affiliation que lui proposera Lucien Jottrand. Dans ses rapports

avec Goswin de Stassart – qu’il qualifie à diverses reprises de “mon Frère”

(appellation maçonnique) –, à l’époque Grand Maître du Grand Orient, il

107 u


écrit, le 22 novembre 1838, être un maçon aussi peu zélé que je suis mauvais

catholique (M.R. Thielemans, Goswin de Stassart).

Si le Prince Guillaume, qui avait sa sympathie, avait été initié, le Prince

Frédéric d’Orange, qu’il ne portait pas dans son cœur, avait été élevé, par

la volonté du Roi Guillaume, à la dignité de Grand Maître de l’Ordre en

1818, avant d’être déchu lors de la Révolution. Une des conséquences fut

la naissance, le 18 janvier 1833, du Grand Orient de Belgique qui se sépara

de la Grande Loge d’Administration des Pays-Bas.

Par ailleurs, de Potter devait certainement savoir que Léopold I er , initié

en 1813 dans la loge militaire “l’Espérance” à Berne, avait exercé, avant

son avènement au trône de Belgique, les fonctions de Premier Grand

Surveillant de la Grande Loge d’Angleterre et son peu d’enthousiasme visà-vis

du souverain ne devait pas le pousser à le rejoindre. Il est toutefois

juste de dire que le roi se servit plus de la maçonnerie qu’elle ne se servit

de lui et qu’il prit ses distances vis-à-vis de celle-ci.

Les funérailles de de Potter, qui se firent selon “un de ces modes établis

depuis quelques temps par des sociétés particulières… sans les rites catholiques”

(L. Jottrand, “Louis de Potter”), évoquent la laïcité et non la maçonnerie,

même si ses anciens compagnons, quasiment tous maçons, suivirent

le convoi. La question reste ouverte.

Epilogue

Louis sera donc remplacé par ceux avec qui il avait rompu et devint le

voisin posthume de Léopold I er qui, malice de l’Histoire, du haut de la colonne

du Congrès, peut jouir depuis 1859, année du décès de celui-ci, de

son triomphe sur son vieil adversaire.

En 1850, il refusera de se présenter aux élections comme le lui proposaient

des députés… catholiques.

Le 24 mars 1854, c’est le décès brutal de son jeune fils Eleuthère qui menait

en Italie une carrière d’artiste peintre trop tôt brisée.

La même année, il assiste aux obsèques de Goswin de Stassart, Grand

Maître du Grand Orient en 1835, avant que ce dernier ne soit banni par la

maçonnerie qui l’avait défendu lors de son procès.

u 108


Souffrant depuis des années de bronchites, il tombe malade à Blankenberghe

où il prenait les bains de mer. Ramené à Bruges, c’est dans sa ville

natale qu’il s’éteint le 22 juillet 1859. Son fils Agathon et son beau-fils, le

général Brialmont, conduiront le deuil tandis que son vieil ami le peintre

Navez tiendra l’un des cordons du poêle. Témoins de son histoire et

de l’Histoire, Gendebien, Van der Linden, Rodenbach, Bartels, Quettelet,

Jottrand, Ducpétiaux, oubliant pour un temps leurs querelles seront présents.

Le peuple lui fit de modestes obsèques, d’après un de ces modes nouveaux

établis depuis quelques temps par des sociétés particulières pour

l’inhumation de leurs affiliés. Louis de Potter ayant désiré et réglé d’avance

ce genre d’obsèques (Jottrand), sans les rites de la religion (Je suis loin d’être

un catholique de conviction, et si je feignais de l’être, je serais coupable

d’hypocrisie) et sans discours.

Les Souvenirs personnels de Louis de Potter (2 tomes).

109 u


Analyse des “Souvenirs personnels” de Louis de Potter

par Théodore Juste (1860)

(…) Mais que voulez-vous que fit un simple homme de lettres, un

savant si vous voulez, mais un pur savant, au milieu de la confusion

de rouages d’une machine qu’il n’avait jamais vue auparavant : la

machine gouvernementale ?

Louis de Potter était à la base d’un milieu politique tout neuf où

le hasard avait mêlé quelques lettrés dans l’expérience, et souvent

aux opinions divergentes, avec quelques hommes d’affaires,

capables sans doute, mais déjà trop dégrisés de ce que cette

classe d’hommes appelle “des utopies”.

Il comprenait si bien cependant que les objections qu’il rencontrait

à la mise à exécution de ses principes n’avaient pas une

valeur absolue, et s’en expliqua clairement dans ses “Souvenirs

personnels” : Dans les temps ordinaires, mieux vaut sans doute

une loi passable mais appliquée, exécutée et respectée que tout un

code de bonnes lois que l’on méprise ou qu’on néglige. Mais nous

représentions pour la Belgique une époque toute exceptionnelle :

ce n’étaient point en effet de lois pour le moment présent que

nous promulguions, mais bien des principes que nous posions pour

source et pour base des lois futures.

Et c’était sous ce point de vue tout d’avenir, que je voulais que nous

renversassions le plus possible d’obstacles qui s’étaient jusqu’alors

opposés à notre émancipation et à nos progrès. Je sentais bien que

nos successeurs n’auraient ni le courage, ni la force de revenir sur

nos réformes ; et notre Constitution, une des moins imparfaites qu’il

y ait, entièrement puisée, pour tout ce qu’elle a de bon, dans les

arrêtés du gouvernement révolutionnaire pendant le mois d’octobre,

prouve assez que j’aie eu complètement raison.

u 110


Louis de Potter ne peut être soupçonné d’avoir voulu constituer

la Belgique nouvelle principalement au profit d’une aristocratie.

C’est le défaut de coopération au sein du Gouvernement

provisoire qui lui aura fait donner sa signature aux décrets sur

les élections pour le Congrès. Pas un défaut de démocratie qui

aurait justifié l’adhésion forcée, dans l’intérêt de la Belgique.

Les publicistes les plus avancés à cette époque n’avaient presque

aucune idée de la nécessité de faire descendre le droit électoral

dans les masses démocratiques pour constituer la nation par

suffrage universel. On s’imaginait qu’il suffisait de faire participer

au droit électoral toutes les classes pour que les droits de toutes

les autres fussent parfaitement garantis.

Fin 1830, il fallait admettre que ce défi, intéressant d’ailleurs l’Europe

toute entière, ne se règlerait pas sans l’intervention de

l’Europe. Il déclara : Notre pays se trouvera encore dans des circonstances

où l’intervention de nos voisins sera nécessaire. Ce que

l’exemple de 1830 devrait nous enseigner, c’est à payer d’abord de

nos propres moyens, assez pour garder voix au chapitre où nos affaires

doivent en définitive toujours se régler. Ce que nous voudrons

énergiquement, nous finirons toujours par l’obtenir de l’impossibilité

où tous nos grands voisins se trouvent de s’entendre assez entre

eux tous à formuler une autre volonté qui nous contrarie. Apprenons

des souvenirs de 1830 à ne pas nous lasser si vite, à ne pas céder

de si tôt. Apprenons des Suisses ce que les petites nations gagnent

à savoir d’abord s’affirmer à propos.

Concluons par cet extrait du 8 e volume de “L’Histoire du christianisme”

par Louis de Potter, page 355 : Comme garantie de

toutes ces libertés, le gouvernement avait affranchi la commune,

voulant pourvoir à la recomposition des régences d’après les principes

d’une révolution populaire ; Cette recomposition aurait dû

aboutir à la nomination de tous les magistrats formant le collège

par le peuple.

111 u


Déménagé du cimetière de Bruxelles au début du siècle, il repose

aujourd’hui au cimetière de Saint-Josse ten Node. Sans doute était-il trop

proche de l’église où dorment de leur dernier sommeil les honorables

membres d’une dynastie qu’il tenta en vain de réformer. Son épouse décèdera

en 1896.

Le tableau célèbre de Picqué représentant les membres du Gouvernement

provisoire de 1830 sera l’occasion d’un ultime règlement de comptes, car

les anciens rebelles refusèrent de poser si le portrait du plus rebelle d’entre

eux n’était pas relégué dans l’ombre, occasion d’un dernier bon mot : Mon

crâne pelé fut ce que le public remarqua le plus au milieu de tant de cuirs

chevelus.

En 1870, Agathon publiera “Les Rognures” compilations des souvenirs paternels

datant notamment de ses séjours italiens de jeunesse dans lesquels

religion, indulgences, jeûnes et abstinences, inquisition, administration papale

tiennent une place de choix, mais où il évoque également la reine

de Naples, Caroline, la régente du royaume d’Etrurie Marie-Louise des

Bourbons d’Espagne (mariage de cette branche avec la famille de Potter

dont descendance en Amérique), Joachim Murat, héros des modernistes de

l’époque, à qui il témoigne sa sympathie.

Dans l’histoire sélective et unanimiste de notre pays écrite au XIX e siècle,

son épitaphe aurait pu être de sa plume : Je suis de ceux qu’on ne veut

pas rappeler à la mémoire. Nous lui préférerons celle-ci, également de sa

main : Le nom d’un mort ne peut plus être un épouvantail ; il peut devenir

un symbole.

Que reste-t-il de cet “oublié de l’histoire” dans les annales de notre pays.

Un buste posthume du à Joseph Jaquet dans une galerie du Palais de

la Nation, un nom de rue à Schaerbeek où il voisine avec Gendebien,

d’Hoogvorst, Rogier et Van de Weyer, et enfin, et c’est important, le souvenir

des “premiers pas” de la Belgique dans votre mémoire !

u 112


Louis de Potter, par lui-même… (Souvenirs personnels, 1839)

Fig. 26 : Bref passage sur Louis de Potter, par lui-même …

151

113 u


u 114

Lettre concernant la visite de M. t’Kindt.


Louis de Potter, porte-flambeau de la liberté

et de la nationalité belge, feu-follet politique

ou simple “homme libre” ?

Francis Balace,

professeur honoraire à l’Université de Liège.

Les saints, proclamés santo subito, risquent souvent de voir leur auréole

pâlir très peu de temps après leur hâtive canonisation, parce que leurs

vertus sont passées de mode, parce que leur rigueur morale a été par trop

intransigeante… ou tout simplement par manque de miracles éclatants à

mettre à leur actif et à proposer à la dévotion du bon peuple.

Cette phrase un peu cynique pourrait parfaitement résumer la course du

météore ou de l’étoile filante Louis de Potter dans le ciel politique belge.

Rien ne semblait, hormis les qualités intellectuelles et la vive curiosité pour

les spéculations politico-sociales, prédisposer ce fils de famille, né dans un

milieu aristocratique, à jouer un rôle important dans la naissance du futur

Etat belge.

La famille passait pour joséphiste, pratiquait un subtil mélange d’irrévérence

envers les intrusions de la religion dans l’espace public, doublé de

conservatisme et d’adhésion à l’ordre établi, de rejet craintif des bouleversements

révolutionnaires bien plus que du simple maintien de la fidélité à

l’Empereur.

Le “voyage en Italie” que lui offre une famille bien nantie est peut être

moins motivé par un souci éducatif que par celui de le mettre à l’abri des

aléas de la conscription mais aussi des suites biologiques non désirées

d’une liaison amoureuse.

Se partageant entre une Rome retombée sous un pouvoir pontifical de plus

en plus mesquin et étouffant et une Florence terre protectrice des arts, de

la culture et d’un sage réformisme, courant les bibliothèques, fréquentant

assidûment salons littéraires et ateliers d’artistes, en correspondance avec

Stendhal (qui lui réclame à lui le jeune Brugeois inconnu des lettres de

115 u


recommandation auprès de la haute société florentine), Louis de Potter a

pu acquérir un bagage culturel peu fréquent parmi les Belges du temps.

La documentation recueillie en Italie va lui permettre de publier la vie

de l’évêque réformateur toscan, Scipio de Ricci, et son gros ouvrage sur

“l’Histoire des conciles”. Des fragments en seront bien plus tard traduits

en anglais et publiés à New York pour alimenter à l’époque de l’agitation

nativiste et de la “Protestant Crusade” la polémique contre les couvents

féminins et leurs supposées turpitudes.

Hélas, il n’est bon bec ou bonne plume que de Paris et la critique de Stendhal

fustigera une œuvre “aussi bien pensée que mal écrite”, lui reprochant

un style lourd et pesant d’érudit teutonique qui a fait “de cette amusante

matière un livre assommant”. L’histoire du corps est souvent parallèle à celle

de l’esprit : l’hédoniste guitariste aux cheveux frisés peint par Odevaere en

1811 s’est transformé en quelques années seulement en une espèce de “privat-dozent

bavarois” dont la calvitie fort précoce fait ressortir l’amplitude de

la boîte crânienne en forme d’œuf et l’allure volontairement compassée.

Rappelé en Belgique en août 1823 par la maladie de son père, Louis va

aller s’installer à Bruxelles, capitale alternante d’un royaume hybride dont

le Souverain est tenu par les Huit Articles de Chaumont de pratiquer l’amalgame

le plus parfait entre ses sujets du Nord et du Sud, alors que le même

texte rédigé par les Alliés ne cesse de se référer à l’existence de deux

peuples bien distincts – Belges et Hollandais – réunis sous une même couronne

et dont il faudra préserver les droits et les religions.

Obligé par les Puissances de soumettre aux électeurs belges (1 pour 2.000

habitants !) la wijze Constitutie déjà accordée aux Néerlandais, Guillaume

avait consacré tous ses efforts jusqu’en 1820-1821 à briser la résistance

de l’épiscopat et d’une partie des catholiques, hostiles à une Grondwet

qui mettait sur pied d’égalité la vérité et l’erreur et qui refusent d’y prêter

serment de fidélité puisqu’elle prévoyait la tolérance religieuse et la nonsuprématie

dogmatique du catholicisme.

Obsédé par cette lutte, confiant qu’à terme il finirait par se rallier les Belges

par ses mesures économiques hardies et novatrices, Guillaume I er ne s’est

pas rendu compte à temps qu’entre ses peuples du Nord et du Sud s’est

creusé un fossé de mœurs et d’habitudes rendant illusoire tout réel amalgame.

Les diplomates étrangers sont plus perspicaces : “extrême antipathie

naturelle”, “ils sont comme l’eau et le feu”.

u 116


L’Autrichien Binder signale à Metternich que les Belges sont blessés dans

leur amour-propre d’être réunis à un si petit pays que la Hollande et que

l’amalgame moral est impossible… Or, sur le plan d’éventuelles mesures

liberticides, l’opposition n’est pas forcément là où le Belge de 2011 croit

devoir la trouver.

Lors du vote de la mi-août 1815 sur la Grondwet, les partisans du oui se recrutent

majoritairement en Wallonie et dans les villes du Sud, les opposants

en Flandre (100 % de votes négatifs à Ypres et à Anvers). Des dispositions

contenues dans la Grondwet, comme la liberté de la presse et l’absence de

toute censure préalable, sont corrigées par un simple arrêté royal de 1815

érigeant en délit la critique des actes gouvernementaux ou toute tentative

d’exciter l’opinion publique.

Quand cet arrêté deviendra la loi du 6 mars 1818 qui y ajoute la suppression

du jury dans les affaires de presse, on s’aperçoit qu’elle a été votée par une

majorité parlementaire groupant les députés hollandais et ceux des provinces

du Sud considérés comme de Vieux-Libéraux. L’union des catholiques et libéraux

qui fera l’indépendance belge, cet unionisme de plus en plus vacillant

après 1830 mais qui conditionnera toute la vie politique, avec ses hauts et

ses bas, ses espoirs et ses crises de confiance, jusqu’à la rupture de 1846 et

l’émergence d’un parti authentiquement libéral, est née des efforts maladroits

du Roi Guillaume pour tenter de cimenter l’union de ses peuples.

Il a remporté en 1820 sa victoire facile sur l’opposition catholique grâce au

soutien que lui ont apporté les Vieux-Libéraux belges, disciples de Voltaire

et de Benjamin Constant, qui transposaient dans la personne du souverain

leur révérence philosophique pour la prédominance de l’Etat sur une

Eglise qui prétendait se situer à la fois en dehors et au-dessus de lui.

Une propagande anticléricale avait été discrètement encouragée dans la

presse tandis qu’une législation muselière s’était abattue sur les organes

catholiques comme “Le Spectateur Belge de l’abbé De Foere”, condamné à

deux ans de prison, ou la condamnation de van der Straeten et à la radiation

du barreau de ses avocats.

Le roi croit, naïvement, que le regain d’opposition en Belgique reste d’origine

religieuse. Il craint la force d’attraction que la France bourbonienne de

la Congrégation et des Chevaliers de la Foi pourrait encore exercer sur les

catholiques belges. Les gouvernements voisins se regardent en chiens de

faïence depuis 1815, se soupçonnant de noirs desseins réciproques.

117 u


Ne prêtait-on pas au “conspirateur stendhalien” grenoblois Didier, officiellement

guillotiné pour bonapartisme, le projet de proclamer roi de France

le Prince d’Orange ou son père ? Un certain Libri-Bagnano, plus tard folliculaire

à gages de Guillaume, est comme par hasard mêlé au complot. La

Haye pour sa part soupçonnait le ministère Polignac d’attiser par l’envoi

d’agents secrets l’opposition catholique dans l’espoir de récupérer les départements

belges et, par un succès extérieur éclatant, calmer la fronde

parlementaire en France.

Le projet de Guillaume et de son ministre van Maanen (un ancien jacobin

batave qui avait tonné jadis contre l’exécrable maison d’Orange) était

double, mais les deux hommes tissaient sans le savoir une tunique de

Nessus qui allait les dévorer. Pour combattre les catholiques belges et leur

opposition, il faut profiter de la présence surabondante de Français jacobins,

bonapartistes, girondins ou montagnards de toutes obédiences, dans

les salles de rédaction des journaux, où ils se sont imposés par inaptitude

locale à la littérature politique.

Licence totale leur est donnée d’attaquer la France de la Restauration, les jésuites,

la Congrégation car leur prose anticléricale sert jusqu’en 1820 contre

les partisans de l’évêque de Gand Mgr. de Broglie, contre les opposants

au Collège philosophique après 1825, contre les signataires catholiques du

pétitionnement en 1827-1828.

Comme l’arrêté royal de 1815 et la loi de 1818 érigent en délit toute critique

des actes du gouvernement par voie de presse, comme l’ignorance

linguistique phénoménale d’alors empêche les journalistes de remplir les

colonnes d’articles traduits de l’anglais ou de l’allemand, la surface rédactionnelle

des journaux (même ceux que Guillaume n’a pu ni acheter ni

faire rédiger par des réfugiés français à sa solde) sera de facto consacrée

aux seules choses de France.

Quand le gouvernement des Tuileries se plaint de cette campagne de presse

hostile, le pouvoir hollandais qui, en quelques années, avait fait saisir 23 journaux

et condamner 80 journalistes, se donnera les gants d’invoquer la Grondwet

et la liberté de la presse, pour lui opposer une fin de non-recevoir…

Et là, Guillaume et son ministre n’ont pas perçu le danger d’un phénomène

de génération. Les jeunes diplômés des nouvelles universités fondées en

1817, ces jeunes avocats auxquels la politique linguistique, la méconnaissance

de la “landtaal” ou, tout simplement, la prépondérance scandaleuse

u 118


des ressortissants des provinces du nord dans la distribution des emplois

administratifs ferment bien des carrières, se sont rabattus sur le métier de

journaliste, lui-même empreint d’un intérêt forcé pour les choses politiques

françaises.

Les débats parlementaires, la Charte, les procès de presse, les ordonnances

de Charles X les passionnent. Là où les Vieux-Libéraux, restés joséphistes

ou voltairiens, ne pensaient qu’en termes d’anticléricalisme et d’étatisme,

ils vont penser, à la lecture des journaux d’outre-Quiévrain, en termes de

liberté.

Insensiblement, au fil des mois, ils vont s’apercevoir que la conduite du

roi et du gouvernement, quelles qu’en soient les motivations ou excuses,

relève du même absolutisme, du même sic volo, sic jubeo que celui qu’ils

ont eu pleine licence de dénoncer en France. Et l’inévitable rapprochement

se fera entre Jeunes-Libéraux et Jeunes-Catholiques, influencés par

Lamennais et secouant le poids d’une hiérarchie trop attachée au maintien

de privilèges surannés. On sursaute en lisant au fil des rapports des gouverneurs

et fonctionnaires royaux, la virulente dénonciation de la coalition

jésuito-libérale.

Louis de Potter se situe très exactement à la ligne de séparation des eaux

entre “vieux” et “jeunes” Libéraux. Son goût pour les réformes toscanohabsbourgeoises,

ses restes de joséphisme le situent clairement, à son retour

en Belgique, dans le premier camp.

Le discours de Guillaume devant les Etats généraux lui semble en 1825, à

propos du tant décrié Collège philosophique, franc et loyal, digne de lui

valoir le surnom d’honnête homme. Il a fait hommage au roi de sa biographie

de Scipio de Ricci, louant le sort qui lui permet de vivre sous des

institutions libérales qui, par des principes de modération et d’équité, ne

mettent aucune barrière à la pensée.

Le fougueux tribun commencerait-il une carrière de sycophante ou de

journaliste à gages, à l’exemple du français Louis Teste, pilier de la Loge de

Liège, propagandiste stipendié de Guillaume I er en attendant de devenir le

coryphée de l’agitation orangiste après 1830 et un ministre concussionnaire

de Louis-Philippe ?

Chez de Potter, le royalisme orangiste hérité du joséphisme ne va pas

jusque-là. Sa fréquentation probable des cénacles célébrant pêle-mêle

Buonarotti, carbonari d’Outre-Monts et Egaux chers à Gracchus Babeuf, a

119 u


développé chez ce quadragénaire une volonté de rompre avec l’aristocratie

et la bonne bourgeoisie dont il est issu, comme en témoigne son mariage

avec la fille d’un tapissier, mais aussi son refus, à la mort de son père, de

relever ses titres de noblesse.

A notre sens, il s’agit moins d’un souci d’égalitarisme, ou d’économies sur

les taxes de relief, que de celui d’éviter de se lier politiquement les mains

en risquant d’être désigné par le pouvoir pour siéger dans l’Ordre équestre

au sein des Etats provinciaux. “L’homme libre” de Potter, tonnait encore, au

nom de la liberté de pensée, contre les maudits jésuites dans les polémiques

relatives à la signature d’un concordat entre Rome et Guillaume.

Mais quand cette même liberté de penser, et surtout d’écrire, lui semblera

menacée par les durcissements de la législation sur la presse, qui tournent

allègrement les garanties de la Grondwet, quand il lui semblera, comme

naguère à Beaumarchais, qu’il n’est plus possible de louer si l’on n’a pas

licence de critiquer, le glissement se fera tout naturellement vers les rangs

des Jeunes-Libéraux qui, comme Charles Rogier, Joseph Lebeau ou Paul

Devaux, ont lancé un appel à l’union des catholiques et des libéraux sur

un programme minimal en quatre points qui évitent soigneusement toute

référence de type philosophique ou religieux : liberté des langues – liberté

de la presse – inamovibilité des juges – responsabilité ministérielle.

C’est ce dernier point qui permet à de Potter, adversaire du ministre van

Maanen, de franchir le pont, au nom même des principes libéraux, et

d’exhorter à bafouer et honnir les ministériels, hommes politiques ou journalistes

dévoués au pouvoir. Cet article non signé (8 novembre 1828) lui

vaut inculpation et incarcération, et c’est de sa cellule que partira le fameux

article du Courrier des Pays-Bas du 19 novembre qui concrétrise, en termes

frappants, le ralliement du futur “martyr de Potter” au nouvel évangile

qu’est l’unionisme :

Les anti-jésuites ont tant fait que dans les circonstances actuelles ce serait

une lâcheté que de profiter du peu de liberté de presse que nous laisse le

ministère pour accabler ceux qui, avec nous, la réclament toute entière.

Ce serait une lâcheté d’attaquer le jésuitisme qui est devenu chez nous synonyme

d’opposition. Que dût le mot d’ordre être Saint Ignace, dussent les

drapeaux porter un monogramme et le Sacré-Cœur… Dussent enfin les instructions

partir du Vatican, le devoir de tout vrai patriote est dorénavant de

combattre dans les rangs de cette opposition toujours libérale en ce qu’elle

u 120


empêche les usurpations du ministère, seules véritables causes des malheurs

d’un peuple et des dangers d’un gouvernement.”

On connaît bien la suite : condamnation à dix-huit mois de prison (dans des

conditions confortables aux Petits Carmes : guitare, cage à canaris, petit poêle

et secrétaire, défilé incessant de visiteurs et sympathisants), sans compter la

possibilité laissée au “martyr” de donner un second fils à son épouse.

Il garde toujours un espoir naïf en un roi qui ne serait que mal conseillé,

(vos ministres, vos flatteurs et vos conseillers vous trompent et vous égarent),

auquel il a envoyé sa brochure sur l’union catholico-libérale (cette alliance

qui, jurée sur l’autel de la patrie belge par la philosophie et la religion, est

un des événements les plus remarquables de votre règne ; il nous sera envié

par les peuples civilisés des deux mondes). Mais le gouvernement a perdu

patience devant cet homme qu’on a incarcéré pour le faire taire et qui a

réussi à transformer sa cellule en salle de rédaction, en tribune et en centre

de correspondance.

On saisit ses papiers, feint d’y trouver les traces d’un vaste complot subversif,

on le frappe de huit années de bannissement. Il finira, après diverses

péripéties, contées dans le corps de l’ouvrage, à gagner la France, non

sans avoir adjuré en juin 1830 encore Guillaume I er de sauver la Belgique

tant qu’il en était encore temps. Bref, un Mirabeau malgré lui dont le mythe

patriotique fera un Danton…

Nous touchons ici à un insondable mystère. Comment un publiciste aux

origines flamandes, mais qui ne s’exprime qu’en français, aux formules

ampoulées, aux distinctions subtiles entre anticléricalisme de principe et

union de cœur avec l’opposition catholique, entre révérence envers un

roi qu’il pense honnête et n’être en rien un tyran et la virulente dénonciation

de ses ministres, va-t-il du fond de sa cellule ou de son tardif exil en

France passer pour un “martyr” d’abord, pour l’inspirateur de la révolte et le

Lafayette belge ensuite ?

Il y a certes le battage organisé autour de son incarcération et sa proscription

par les rédacteurs et lecteurs du “Courrier des Pays-Bas” et feuilles alliées ;

les collectes et souscriptions organisées pour couvrir les frais de sa défense

et amendes, les hourvaris autour des tribunaux qui le condamnent.

N’en reste pas moins un fait aveuglant : fin XVIII e siècle, le taux moyen

d’analphabétisme, villes et campagnes confondues, est de 39 % au moins

chez les hommes, 63 % chez les femmes. Dans les premières années du

121 u


règne de Léopold I er , après quarante ans de troubles et de guerres, il a atteint

entre 80 et 90 % et aucune des feuilles d’opposition nées sous le régime

hollandais et qui ont “fait la Belgique” n’avait plus de 3.000 lecteurs !

Les Bruxellois, les Belges qui criaient “Vive de Potter !” n’avaient jamais lu un

traître mot sorti de sa plume. Comment dès lors expliquer cette popularité ?

Un nom facile à retenir et prononçable sans effort dans les deux idiomes ?

Des subsides incitatifs distribués à bon escient par ses amis parmi les classes

populaires qui, au fond, ont toujours été, parce qu’elles n’ont rien à perdre,

les seules à gueuler puis à se faire casser la gueule sur les barricades, parmi

les Waterkapoenen, ces stokslagers utilisables par le plus offrant, comme

certains épisodes de la révolution brabançonne l’avaient montré ?

Des mémoires du temps mentionnent que “ce cri partait de la bouche des

meneurs, car la populace criait vive tout le monde, tantôt de Potter, tantôt

Napoléon, tellement il est vrai que tout est parodie chez ces singes perpétuels

de la France, comme elle criait vive la liberté, vive la république, et

vive ou meure tout ce qui lui passait par la tête”. Il est vrai qu’il est plus

aisé de courir aux armes et au besoin de mourir, en criant “vive quelqu’un”

que “vive l’inamovibilité des juges”.

Le 18 octobre 1830 encore, le commandant local de la Koninklijke

Marechaussee ne signale-t-il pas à Heerlen, ville de l’actuel Zuid-Limburg

hollandais qui n’avait rien de “belge”, une émeute au cri de “Vive de Potter !”

qui se terminera par la pendaison en effigie, à la sonnette du commissariat

de police, de “M. le ministre du Culte protestant” ? Décidément, Louis de

Potter était a man for all seasons dont le nom recouvrait tous les motifs de

toutes les oppositions !

Avec justesse, feu le Professeur Robert Demoulin, le grand spécialiste de la

Révolution de 1830, pouvait clore ce débat en écrivant : Louis de Potter est

un grand nom : sa popularité est immense dans toute la Belgique. C’est un

persécuté, un exilé, et auprès des masses, c’est le plus beau des titres. Bien

sûr, mais reste l’essentielle et insoluble question de savoir qui a popularisé

dans ces masses le nom du “martyr” ?

Réfugiés en France, ni de Potter, ni Bartels, ces deux “porte-drapeaux de

l’anti-Hollande”, ne sont pour rien dans les émeutes qui suivent la représentation

de la “Muette de Portici”. Bartels écrira même en 1836 : de Potter

et moi, nous n’avons jamais prévu ou voulu la Révolution. La presse d’opposition

se déclare encore favorable au maintien de la dynastie, pour autant

u 122


qu’elle enterre “le monstrueux amalgame, cette chimérique centralisation,

cette union contre nature”, se bornant à réclamer la séparation législative et

administrative, et que “dorénavant, tout sera Belge en Belgique”.

C’est un des grands paradoxes de l’Histoire. Tout ce qui s’est fait, en septembre,

au cri de “Vive de Potter !” s’est fait sans de Potter, comme si ses

amis et admirateurs eux-mêmes voulaient bien se servir de son nom, de sa

popularité, mais ne le voyaient nullement, lui l’homme des bibliothèques

et de l’étude, comme un leader charismatique, capable d’enflammer le

peuple, voire tout simplement comme un homme d’action.

Quand à l’heure de l’abattement et du doute, devant l’anarchie politique

régnant à Bruxelles peu avant l’intervention des troupes du Prince Frédéric,

les leaders Gendebien, Van de Weyer, Chazal, etc., ont “un moment de défaillance”,

gagnent Lille ou Valenciennes et vont consulter de Potter, celuici,

loin de les exhorter à la fermeté, se contentera de refuser de se joindre

à eux en un comité en exil et se retirera à Lille.

Ce n’est qu’à l’issue des sanglantes journées de septembre qu’il franchira

la frontière, écrivant encore à Sylvain Van de Weyer qu’il ne se sent pas

indispensable au succès, déjà acquis à ses yeux, de la cause et préférerait

retourner à sa famille et à ses occupations. Faut-il pour autant croire,

comme ce présent livre l’écrit après bien d’autres, qu’il y aurait eu “une

manoeuvre subtile inspirée par Gendebien” visant à adjoindre de Potter au

gouvernement “pour détourner les ouvriers de la lutte des classes au seul

profit de la lutte nationale”.

C’est là une reconstruction postérieure dans la ligne des écrits de Bartels

et des historiens postérieurs tenants du thème d’une “révolution prolétarienne”

confisquée par la bourgeoisie. Beaucoup plus simplement, il était

malaisé de faire passer le “martyr” à la trappe, tout en se rendant compte

qu’il serait encombrant et quelque peu limité, après avoir fait acclamer

son nom pendant de longues semaines. C’est le sens des paroles de Gendebien,

admettant implicitement et prophétiquement qu’on s’est servi du

nom du journaliste exilé mais qu’il fallait lui tenir les rênes très courtes, le

canaliser comme on dirait aujourd’hui.

Le principal service que rend au tout frais Gouvernement provisoire celui

dont la voiture, dételée, est portée à bouts de bras à l’Hôtel de ville

de Bruxelles le soir du 28 septembre est de cautionner devant la foule le

nouveau pouvoir (gouvernement populaire qui est votre ouvrage), d’adjurer

123 u


de conserver l’ordre et de se tenir en garde contre l’anarchie et ses funestes

suites. Toujours beaucoup de Mirabeau et fort peu de Danton...

Ses initiatives font peur, comme cette lettre où il affirmera à un leader

militaire éventuel disposer le 17 septembre de plus de 10.000 vétérans

armés des Trois Glorieuses parisiennes de juillet 1830 (qui s’offrent à moi,

c’est-à-dire à la Belgique par mon entremise), dont 7.000 à 8.000 Belges de

France, le reste des Français recrutés dans le faubourg Saint-Antoine, des

Allemands, des Polonais surtout et quelques Anglais, du vrai peuple (sic).

On sait les difficultés qu’auront le jeune Etat belge et son armée à se débarrasser

plus tard de ces encombrantes légions belges-parisiennes, brigade “La

Victorieuse” et autres corps non-régnicoles attirés vers les juteuses opportunités

de grades et de carrière offertes par la Révolution. Au Gouvernement

provisoire, on ironisait : de Potter voudrait-il par hasard se faire général ?

Il est, au Gouvernement provisoire, comme au Comité central, une sorte

de pièce rapportée, la tête chauve et l’homme mûr (44 ans !), qui tranche

sur le reste de l’équipe, beaucoup plus jeune. Qui tranche aussi parce que

son nom est connu de tous alors que ses collègues sont pour la plupart très

largement ses cadets et de simples notabilités locales soudain propulsées

au premier plan par les événements.

D’emblée, il a persiflé sur le partage du gâteau auquel il ne tient guère à

participer, se mettant volontairement hors jeu en professant des sentiments

ouvertement républicains et ultra-radicaux, qui lui valent de ses collègues

comme d’observateurs étrangers et surtout de la propagande orangiste et

hollandaise le soupçon d’aspirer à la dictature personnelle en flattant le

peuple. Lui-même considère ses collègues et anciens amis comme courant

après titres et prébendes.

Il voulait, à l’image des premiers révolutionnaires d’Amérique, faire des

membres du gouvernement de simples exécutants des volontés d’un

Congrès national élu démocratiquement, et se sentira mis au placard quand

les élections au Congrès se solderont par la défaite de ses idées et le succès

d’options nationales certes, mais solidement conservatrices ou modérées.

Il n’y a dans les rangs des députés qu’une très nette minorité républicaine

dont deux de ses amis, Lucien Jottrand (l’homme de la double contradiction

: catholique et libéral avancé, wallon et flamingant) et l’étrange abbé

Désiré de Haerne, Brugeois comme de Potter. Désormais pour ce dernier,

u 124


qui a traversé comme une comète le ciel de la Révolution belge, tout est

fini quelques semaines seulement après son retour triomphal à Bruxelles.

Deux jours après l’ouverture du Congrès national, il démissionne de ses

fonctions pour, dit-il, couper court aux calomnies qui l’accusent de rêver

de pouvoir personnel. Le 23 novembre 1830, le lendemain de l’adoption

par le Congrès de la monarchie constitutionnelle par 174 voix contre 13, il

publie une dernière et éclatante profession de foi républicaine dans laquelle

il avoue avoir rêvé d’une République des provinces belges, sans se rendre

compte que le seul mot de république faisait, comme Joseph Lebeau

l’affirmera dans son grand discours, l’effet d’un épouvantail sur les nations

européennes, et surtout sur les électeurs et députés âgés de cinquante ans

et qui avaient connu et le pitoyable échec des Etats-Belgique-Unis, utopie

fédéraliste, et les excès des Sans-culottes.

Louis de Potter essaye d’animer la républicaine Association pour l’Indépendance

nationale, mais n’est plus aux yeux cette fois des autorités belges

qu’un encombrant legs des années 1828-1830. On le lui fait sentir, au besoin

par des allusions à des menaces physiques, et le Pater Patriae n’a plus qu’à

s’exiler en France. Cette fois il n’y a bien sûr pas de bannissement judiciaire,

mais un exil volontaire à Paris qui durera de fin février 1831 à septembre

1839. Il pourra y méditer à loisir sur l’ingratitude des masses, de ce peuple

qu’il a naguère déifié mais qu’il n’a jamais vraiment connu, ni compris.

Pour lui, il y a eu une Révolution belge et qui n’a pu tenir ses promesses

d’émancipation sociale parce qu’elle a été mise sous l’éteignoir institutionnel

par ses anciens amis et la nouvelle dynastie. Lucide, il fustigera, dans

une lettre ouverte à Léopold I er , la versatilité des masses et leur ralliement

au roi :

Vous qui, étranger à la révolution, êtes venu à sa suite, vous trouvez moyen

de vous rendre agréable au peuple avec qui, sans elle, vous n’auriez jamais

eu aucun point de contact, en la répudiant aussi naïvement qu’il la répudie

lui-même ; et moi, qui après en avoir rassemblé les éléments, y aurais

volontiers mis obstacle avant qu’elle n’éclatât, je suis, pour l’avoir voulue,

maudit et persécuté par le peuple qui l’a faite...

Dès lors, comme il le reconnaîtra de façon désabusée dans ses Souvenirs

personnels publiés en 1839, il reste “Démophile”, pour le peuple,

mais devient très sceptique sur la possibilité de construire des réformes et

la république de ses rêves par le peuple : Réaliser dans l’état actuel des

125 u


intelligences le suffrage universel n’engendrerait que l’anarchie. Le peuple

n’avait ni les lumières, ni la force de volonté indispensable pour réduire ses

adversaires au silence et les ranger au devoir. La république, je le reconnais

aujourd’hui, était impossible.

En septembre 1839, de Potter rentre en Belgique. Pourquoi ? Il a bien sûr

subi quelques tracasseries de la part de la police de Louis-Philippe à cause

des contacts maintenus avec le catholique ultra-démocrate Bartels soupçonné

d’ourdir des complots, mais aussi avec nombre d’utopistes égalitaires et

“sociologues” de France. Ces coups d’épingle et une perquisition ne sont pas

suffisants. Il y a le désir d’être présent dans sa patrie pour le cas où.

En effet, et sur ce point il a raison, le pays est de nouveau dans une situation

trouble. La période révolutionnaire va-t-elle s’achever et “décéder”

en 1839 où les années écoulées ne sont-elles que pré-révolutionnaires ? La

décision de Guillaume I er , en date du 11 mars 1838, de signer enfin le Traité

des XXIV Articles mettait la Belgique au pied du mur.

Ou elle refusait et se brouillait avec toutes les Puissances, ou elle se ralliait

à un traité qui l’amputait des parties du Limbourg et du Luxembourg qui

s’étaient ralliées à la Révolution belge et qu’elle administrait depuis le refus

de Guillaume dans un provisoire qu’elle croyait naïvement finir par être

définitif. Un Alexandre Gendebien, farouchement opposé à la ratification

du traité, agite des projets de soulèvement de l’armée, travaille les classes

populaires des villes.

Le parti orangiste, qui se tenait plus ou moins coi depuis 1834 et s’effritait,

y voit paradoxalement l’occasion de regagner du terrain en versant l’huile

de ses subsides sur le feu de l’agitation républicaine et anti-dynastique.

Enfin, les débuts de la grande Crise d’Orient de 1839-1841 vont mettre fin

à l’entente cordiale Londres-Paris, les mettre même au bord de la guerre en

1840, ce qui risque de priver le jeune Etat belge de la protection efficace

des deux garants qui sont surtout ses parrains.

Nous touchons à l’épisode le plus délicat et le plus controversé de la vie

de Louis de Potter : le “martyr” de la prison des Petits Carmes devient,

à la stupéfaction de ceux qui connaissent mal l’action des agents orangistes

au sein de l’extrême gauche et de tous les déçus de la Révolution,

partisan non pas d’une reconstitution telle quelle du défunt royaume de

l’amalgame, mais de ce qui était le voeu des pétitionnaires de 1828 : deux

u 126


états séparés unis au sein d’une “Fédération Hollando-Belge”, rêveries de de

Potter en 1839, jugera péremptoirement Henri Pirenne.

Le raisonnement s’apparente à la chanson satirique. C’était bien la peine

assurément de changer de gouvernement. En effet, gommant l’aspect national

de la révolte de 1830, de Potter n’hésite pas à écrire : La Révolution

de 1830 avait pour but de fonder une République sociale. Elle n’a pas atteint

son but et elle n’a eu pour résultat que de diviser un puissant Etat en

deux parties. Il est donc temps de réunir à nouveau deux peuples qui se

complétaient l’un l’autre. Ces propos se comprendraient plus aisément si

de Potter avait envisagé une alliance, fédérale ou confédérale, entre une

République belge et une République des Provinces-Unies ressuscitée. Mais

comme il considère maintenant la République comme une utopie irréalisable

à cause de l’apathie des masses populaires, le voilà devenu orangiste

au sens de partisan de la maison d’Orange-Nassau !

Le Louis de Potter qui a été l’auteur de la première proposition – avortée –

de déchéance de la maison d’Orange et qui a félicité Tielemans de l’avoir

poursuivie au sein de la Commission de Constitution, qui a défini la Belgique

comme une nation longtemps pressurée par la rapacité d’un roi marchand,

dilapidateur pour ses courtisans, avare pour lui-même est retourné à ses

anciennes amours de joséphiste et de vieux libéral. Guillaume I er ? : C’était

tout bonnement un roi progressif, qui ne se contentait pas d’être roi de nom,

roi constitutionnel, pour manger oisif, au râtelier de la liste civile. Il voulait

sincèrement ce qu’il croyait le bien, et ce bien il l’aurait fait, pour autant que

sa position lui permettait ; car il était aussi éclairé que peu méchant...

En effet, c’était bien la peine d’avoir fait la révolution... Même si la

dynastie qui couvrirait de son manteau d’hermine le nouveau pacte fédéral

hollando-belge se devrait d’être une Monarchie socialiste (sic).

Le problème est qu’en reconnaissant la Belgique et une fois le Traité ratifié

le 19 mars 1839, Guillaume a abdiqué en faveur du Prince d’Orange, celui

naguère si populaire en Belgique. Devenu Guillaume II, il fut lui aussi

victime de son imagination, des flatteries prodiguées par les dernières députations

d’orangistes belges, des espoirs insensés de pouvoir, à la faveur

de la crise internationale soit partager la Belgique entre la France et les

Pays-Bas soit établir la monarchie double, but éphémère des premiers jours

de septembre 1830.

127 u


En septembre 1841, Guillaume se compromettra sottement dans le “Complot

des Paniers percés” organisé en son nom contre Léopold I er par une

série de laissés-pour-compte de 1830. L’orangisme est mort et le ralliement

à la Belgique des grands aristocrates et industriels qui l’avaient jadis dirigé

tiendra de la cavalcade, si ce n’est à Gand où l’avocat Metdepenningen et la

Loge Le Septentrion le garderont encore vivace par hostilité libre-penseuse

à l’emprise catholique sur l’Etat belge.

Louis de Potter, homme indiscutablement sincère même dans ses palinodies

politiques, dépourvu de tout esprit de lucre et de recherche d’avantages

personnels, n’a pas été un des folliculaires stipendiés par un orangisme

mourant, mais qui ratissait large parmi tous les mécontents. Désormais, il

boude en pessimiste la politique qui ne peut aboutir qu’au despotisme qui,

quels qu’en soient les oripeaux, sera exactement le même qu’il soit exercé

au nom de la légitimité, ou de la monarchie de fait, ou de la république

tricolore, ou de la démocratie rouge ou enfin du socialisme.

Ultime avatar anarchiste, tous les régimes étant à ses yeux viciés par le

simple fait qu’ils exercent un pouvoir ? Non, il ne veut plus être qu’un

réformateur social, un rationaliste colinsien, resté fidèle aux vues généreuses

du Buonarotti de ses enthousiasmes de jeunesse. Ses revendications

dans de nombreuses brochures éditées à ses frais ou dans l’éphémère

feuille “L’Humanité” sont tantôt prophétiques (prêts à faible taux d’intérêt,

instruction gratuite, législation vieillesse, droits de succession, “dot sociale”

annonçant les actuelles primes d’installation) tantôt illusoires (collectivisation

de la propriété foncière, extinction des dettes au décès des débiteurs,

fin des regroupements capitalistes). Il n’a, faute d’engagement nouveau en

politique, aucune chance de les voir aboutir.

Louis de Potter ? Un homme libre, qui a su et voulu rester libre, n’être

guidé que par sa sincérité indéniable, ce qui explique qu’en Belgique il

sera toujours, en dépit d’une énorme mais très éphémère popularité, à

contre-courant de “l’air du temps”. Ce fut sans doute, là, son honneur...

u 128


Louis de Potter jeune, jouant de la “guitarra” italienne, peint par Joseph-Denis

Odevaere (1775-1830) en 1811. © Collection de la Fondation J. van Caloen, Lophem

(Bruges).

129 u


Auto-portrait par Matilde Malenchini-Meoni (école de Vincenzo Camuccini 1771-1844),

peignant son ami dans la bibliothèque de Scipio de Ricci, évêque de Pistoie et

Prato, conseiller du grand-duc de Habsbourg. Le petit portrait en arrière-plan se

trouve au musée Groeninghe à Bruges et est reproduit à la page suivante.

© Hugo Maertens, Sint-Andries – Courtoisie Musées Royaux des Beaux-Arts de

Belgique et Annuaire des musées de Bruges, 1989-1990, Bruges.

u 130


Louis de Potter de Droogenwalle peint par son amie Matilde Malenchini-Meoni

dans la bibliothèque de Scipion de Ricci, évêque de Pistoye et Prato, Florence,

vers 1818.

© Collection privée à Bruges. Remerciements à M. Dominique Maréchal, conservateur

(hon.) du Musée d’Art Ancien à Bruges et conservateur des Musées des

Beaux-Arts de Bruxelles.

131 u


La sœur de Louis, Marie-Christine de Potter, épouse du baron J. van Caloen, joue

d’une grande harpe au château de Lophem. Elle est peinte par Joseph Odevaere

(Bruges, 1775-1830). Remerciements à la Fondation Jean van Caloen, Lophem.

Château initial de Lophem où naquit Louis de Potter, construit par son père sur

l’ancienne cure de l’évêque de Bruges.

Aquarelle du peintre Holvoet, 1848. © Fondation J. van Caloen, Lophem.

u 132


Entrée triomphante de Louis de Potter à Bruxelles dans le carrosse de Rodenbach,

le 18 septembre 1830. © Archives de la Ville de Bruxelles.

“Scène des Jours du Septembre de 1830” (Louis de Potter tenant le bas du drapeau

belge), peinture de G. Wappers, 1835. © Musées royaux d’art et d’histoire, Bruxelles.

133 u


Louis de Potter dans la prison rue des Petits Carmes, par un auteur non identifié.

© Archives de la Ville de Bruxelles, collection iconographique.

u 134


Louis de Potter, habillé de pots, incite les gens à devenir des “mendiants de la

liberté belge” (S.M. Coster, Amsterdam).

Rogier portant le drapeau belge sur lequel est inscrit le nom de Louis de Potter

et d’autres membres du Gouvernement provisoire (Ch. Soubre, 1878).

© Musée d’Art wallon.

135 u


Premier “gouvernement révolutionnaire de Belgique” dénommé “Gouvernement

Provisoire” dont le Doyen est Louis de Potter et, à la mode Robespierre de France,

le fameux “Comité central” présidé par Louis de Potter. Au premier rang, on trouve

Charles Rogier, Louis de Potter (de profil) et Félix de Mérode. Au second, Gendebien,

Jolly, van de Weyer, de Coppin, van der Linden et d’Hooghvorst.

Dessin d’après la peinture de Picqué, située dans la Cour de Cassation à Bruxelles.

Médaille commémorative “de Potter – Unio”, Vhyrat, F., 1830, Cabinet des médailles,

ministère des Finances.

u 136


Origine des “Potter”

Nicolas de Potter

Pour mieux saisir l’esprit du chef spirituel de la Révolution belge, ses origines

familiales et industrielles – bousculées par plusieurs guerres et exils –

méritent d’être mieux cernées.

Anciennes frontières

Cette vieille souche familiale nommée “Potter” trouve ses origines au cœur

des comtés et principautés de Liège, de Picardie, de Flandre Occidentale

et de Flandre française.

Un texte de la famille Kranenburg cite un Jacob de Potter comme bourgmestre

de Renaix en 1270 tandis qu’un acte de 1357 cite son fils Gilles de

Potter comme étant un échevin de Renaix et en même temps rentier dans

le Franc de Bruges. Sa propriété se nomme “Ten Ysengaerde Bruges” .

C’est de lui que descend la branche du co-auteur .

La généalogie mentionne aussi, en 1530, un Gilles de Potter de Dixmude,

près de Bruges. C’est de ces deux Gilles que descend la branche du célèbre

Louis de Potter, basée à Lophem, également à côté de Bruges .

Ces lignées se rejoignent dans l’antique baronnie de Heule à Courtrai.

Cette métropole, accrochée à Lille, réunit les artisans du textile de la Lys

transfrontalier. Ceux-ci produisent depuis Renaix et Roubaix pour les

Généalogie de la famille Kranenburg, uitgeverij Dijksma, Utrecht, 1922.

Histoire généalogique Potter, Madame Henri de Potter d’Indoye, née Princesse Elisabeth de

Mérode, Tradition & Vie, 1963, 422 p.

Annuaire de la Noblesse de Belgique de 1896, Office Généalogique et Héraldique du Royaume de

Belgique, p. 76.

On y trouve la seigneurie d’Indooie (d’Indoye), un mot qui signifie dégel, fonte des neiges et crues

d’eau.

Les trois références ci-dessus réunies.

137 u


métiers à tisser d’Audenaerde et traitent aussi le lin depuis Tourhout pour

l’exporter à travers Bruges, Courtrai puis Dunkerque.

Corporations et métiers

Les antiques artisans potiers du premier millénaire sont donc devenus de solides

marchands de textiles qui se convertissent au fil de l’eau de la Lys et des

siècles et réussissent à préserver leur patrimoine, jusqu’à l’arrivée de Louis ?

S’agissant des métiers, le patronyme “Droogenwalle” rajouté au nom de

Louis provient d’une seigneurie, dotée de plusieurs arrière-fiefs à Dixmude

qui relevaient au XVII e siècle du comte Louis de Mérode , qui devint la

propriété des Potter en 1713.

Soit, il s’agissait d’un vallon et sa colline à l’abri des fréquentes inondations

du plat pays (droge walle – colline asséchée) . Soit, il s’agissait du blanchiment

de la laine que l’on réalisait avec du lait à Torhout, et son séchage

(drooge wolle – laine séchée) .

Anciennes armes “Potter” représentant le métier de potier fabricants

de récipients indispensables au 1 er millémaire.

Inventaire Patrimoine de Flandre au XVII e siècle., ministère de la Communauté flamande.

Source : Répertoire 42, liasse d’archives A/1553, bibliothèque de la Fondation J. Van Caloen,

château de Lophem, Bruges.

Inventaire du Patrimoine de Flandre, XVII e siècle, blanchisserie de Cuupere de Potter, château

Ravenhof, rue de la Blanchisserie et Marché-aux-laines, Tourhout.

Idem.

Source : Office Généalogique et Héraldique de Belgique. Selon cultures et religions, souhait familial

ou retranscriptions, l’ancien vocable “potteure” (récipents) variait à l’époque en “Pottere” ou “Potter”

voire “Pottier” en France. Notons qu’une branche de la famille, établie en Amérique au XVIII e siècle,

garda le patronyme “Pottere”. L’histoire demeure un éternel recommencement car cette branche

s’allia avec l’illustre famille de Bourbon-Parme, réconciliant ainsi d’anciens opposants.

u 138


Avant les révolutions, les corporations de métiers permettaient aux familles

de s’unir au plan commercial. La branche de Louis y parvint aussi mais on

comprend à présent que son destin littéraire avait été héroïque sur le plan

démocratique, mais financièrement désastreuse. Elle incarna le romantisme

révolutionnaire, style “fleur de lys à la française”.

Ces métiers textiles étaient ancrés sur la Lys, du XIV e au XVII e siècle, dans

la zone frontalière Roubaix-Furnes. La logique était bâtie sur l’axe nordsud,

entre Renaix (contre la Principauté de Liége) et Bruges (chef-lieu du

Franc de Bruges). Les terres Potter bordaient la route Renaix, Avelgem, Ooigem,

Kerckhove au XIV e siècle. Celle de Wevelgem, Marcke et Renaix, au XV e siècle,

puis Tourhout, Aertrycke, Kortemark, Leke, Vladsloo aux XVI e et XVII e siècles

et, au déclin, Lophem et Bruges aux XVIII e et XIX e siècles .

Invasions successives

Hélas, ces commerces familiaux furent brisés successivement par les passages

des troupes des rois d’Espagne et des Pays-Bas, mais aussi par celles

des empires autrichiens, français et prussiens, imposant une très contrariante

division territoriale d’est en ouest, frustrant fortement la famille de Louis.

Au XVI e siècle, les ancêtres Potter durent donc fuir aux Pays-Bas, ensuite

au Royaume-Uni et certains même aux Etats-Unis. Au XVII e siècle, ils

s’enfuyaient en France, au XVIII e siècle ils s’exilaient en Allemagne et, au

XIX e siècle, ils séjournaient en Italie et en Suisse . Les guerres de religion

brisèrent les corporations de métiers et forçaient à l’exode. La famille de

Louis avait donc été victime de cette situation et nous comprenons à présent

toute la frustration de Louis et cette “revanche” qu’il souhaita prendre

sur l’histoire. Plusieurs des lettres papales analysées par Louis concernent

ces anciens ravages (exemple, celle au duc d’Albe).

Liévin de Potter, un aïeul de Louis, est même décapité par les troupes du duc

d’Albe pour ses opinions religieuses exprimées à travers les tapisseries qu’il

produit dans la région avec les de Moore.

Entre croyants, non-croyants, jacobins, protestants, libéraux, catholiques, des

luttes fratricides ont lieu et des séparations douloureuses se produisent. La

Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, 1963 et ANB de

1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.

Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, 1963, 422 p.

139 u


branche de l’ancêtre Abraham de Potter quitta en hâte le sud des Pays-Bas.

Heureusement, Amsterdam la propulsa à la tête de l’un des premiers groupes

d’achat de soies et draperies du nord de l’Europe .

Les ancêtres de Louis sont exilés. En France durant l’invasion autrichienne,

en Allemagne lors de l’invasion française et en Italie à l’arrivée de

Napoléon. Les divers cousins Potter étaient, soit alliés par mariages, soit

par leurs terres voisines, soit par le compagnonnage de métiers (à Bruges

et Renaix et Courtrai), unis dans la défaite lors de faits d’armes .

Seigneuries Potter, 750 ans entre la mer, Roubaix et Renaix.

Source : Google © : Multiples et antiques seigneuries Potter à Aertrycke, Avelghem,

Alveringhem, Ballin, Droogenwalle, Folquinswerve, Ghybalde, Heule, Keyem, Kerchove,

Kortemarck, Leke, Lophem, Marcke, Ooighem, Picquendaele, Renaix, Ryghaertsvliet,

Tourhout, Ysengaerde…

Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, édition de 1963

et ANB de 1896.

Idem.

Les deux branches “Potter”, celle de Louis et celle de Nicolas, furent anoblies par Marie-Thérèse

d’Autriche, pour faits de bravoure distincts mais concomitants.

u 140


Zone de chalandise Potter fracturée par les guerres.

Source : B. Huyghe, De Belgische Revolutie, T. Verschaffel (VUB) et A. Dedijn (KUL).

Carte : Peeters, E., Le labyrinthe du passé, Louvain, 2003.

Abraham de Potter (1592-1650, par Carel Fabritius), commerçant en tissus, et Helena

de Pottere (1586-1637 par J.-A. van Ravesteyn), exilés à Amsterdam.

© Rijksmuseum, Amsterdam.

141 u


Petits-enfants de Abraham de Potter et blason, circ. 1640, école Fabritius.

© Rijksmuseum, Amsterdam.

Apogée à Bruges

Face aux invasions, bien des paysans, artisans et patrons de la zone frontalière

franco-belge eurent à franchir plusieurs fois la démarcation entre Lille

et Courtrai, tissant ou retissant petit à petit leurs précieux contacts commerciaux

à partir de Dixmude et retrouvant d’ancestrales racines à Bruges.

Le doyen des métiers de Bruges n’était pas moins que le grand tisserand

Jacques de Pottere, issu de Courtrai, cousin de Jacob de Pottere alors échevin

de Renaix, dont descend le fameux Liévin, maître ès tapisseries à Audenaerde,

ville-lumière textile . Mais les liens tissés entre la Hollande, les parties nord

et sud du Franc de Bruges, de la Principauté de Liège et le nord de la France

se brisent.

G. de Pottere, fils de Jacques, se rend à Bruges chez le Comte de Flandre, époux de Barbe, fille de Louis.

Ce dernier émigra de Renaix à Bruges. Document Maes, 1609, Renaix. Généalogie Potter p. 271.

u 142


Malgré leur position et leur capacité de signer le “Compromis de Renaix”,

par exemple, on voit que les Potter doivent fuir encore. Pourtant, on

observe un nantissement commercial datant de 1392, en faveur du Franc

de Bruges (sorte de “Principauté”), qui était endossé par le doyen des métiers

de la ville, Jacques de Pottere. Ce dernier était pourtant issu de Renaix

et Courtrai, dès le XIV e siècle alors que Liévin de Pottere était doyen des

métiers au XV e siècle à Renaix. Seule la famille réussit à les unir ainsi.

L’annuaire des métiers du Franc de Bruges reprend Robert de Pottere comme

métayer au XVII e siècle. Alors que le grand-père de Louis (Clément)

était aussi doyen de la guilde Saint-Georges de Bruges au XVIII e siècle. Une

tradition donc solidement ancrée entre Renaix et Bruges, en passant par

Courtrai et Audenaerde.

Sources : Archives Générales du Royaume de Belgique, cartulaires et annuaires des

corps de métiers de ces villes.

143 u


Un passage de l’histoire de la famille van Coppenolle illustre bien l’ampleur

des changements amenés par les grands tisserands au sein des guildes brugeoises

et renaisiennes. On y découvre cette note intéressante au sujet de la

famille de Potter et l’appui discret aux réformes qu’ils fournirent, sans perdre

leur crédit auprès de Marie-Thérèse d’Autriche qui les anoblira d’ailleurs

par la suite : Sous le règne de l’impératrice Marie-Thérèse, Gand fut sauvée

de la famine par les Coppenolle qui fournirent le grain. Au XVII e siècle, ils

vendaient leurs tapisseries à travers le monde, selon la maîtrise des de Moore

et de Pottere. Jacob de Pottere, Bourgmestre de Renaix en 1310, habitait la

région dès le XIII e siècle et, à Bruges, Jan van Coppenolle obtint l’emprisonnement

de l’empereur Maximilien d’Autriche en 1487 durant quatre mois pour

obtenir la libération de Bruges. Il défendit Gand durant un siège de 1490 à

1492. Comme son compagnon d’infortune, Liévin de Potter, il fut décapité.

Un texte de la généalogie confirme ces heurs familiaux, source de plusieurs

des défis relevés par Louis de Potter : Vers 1484 apparaît un certain Leuder

(Liévin) de Pottere, commerçant, né à Ter Lambeke près de Renaix. Il habitait

sur la Grand-Place de Renaix et aussi à Bruges. Il comparut devant le magistrat

et fut décapité pour ses croyances religieuses. Il était veuf de Catalina van

den Berge et s’était marié en 1510 avec Tanneke de Bruderode.

Plutôt que le tissage, le négoce textile avait heureusement pris le dessus et la

famille se redressa à partir de Courtrai et Dixmude, reconquérant sa fortune

entamée par ces guerres passées et ses lettres de noblesse. Comme les ancêtres

du “Compromis de Renaix” (voir page suivante), notre héros, 200 ans plus

tard, marqué par ces épisodes tragiques de l’histoire de sa famille, s’employa

à rendre le pouvoir plus pacifique et son accession plus démocratique.

A la recherche de pacification et développement des affaires, la famille

de Louis prend plusieurs points d’appui dans la région. L’aïeul Guillaume

y épouse, en 1631, Marie de Costere et ensuite, en 1633, Antoinette de

Doppere à Vladsloo (Dixmude).

Elle s’étendra rapidement comme “seigneurs de Droogenwalle, Keiem,

Kerckhove, Leke, Alveringhem, Cortemarck” (Bruges), sans renier ni

perdre pour autant leurs attaches avec leurs fiefs de Heule, Ooigem et

Avelgem (Courtrai) ni celles des antiques origines de Kerckhove, Maarcke

et Kerkem (Renaix) .

Histoire de la famille van Coppenolle, P. Dhaese uitg., Gand, 1978.

Généalogie de la famille Kranenburg, uitgeverij Dijksma, Utrecht, 1922.

ANB 1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.

u 144


Le “Compromis de Renaix” signé par les “Potter” en 1566 lié aux guerres de religions

et aux exécutions de Liévin de Pottere et l’allié Stévin van Coppenolle, maîtres

tisserands. Parchemin aux Archives Générales du Royaume à Alost.

Peinture du XVI e siècle par S. de Ruysdael illustrant les Potter quittant Renaix suite

aux guerres de religion. © Collection de Madame Henri de Potter d’Indoye, née

Princesse Elisabeth de Mérode, château de Melle.

145 u


Jean, le fils de Guillaume, aussi commerçant en textiles, épousa à Cortemark

Pétronille de Cuupere, fille du greffier. Son fils Pierre épousa à Tourhout,

en 1743, Margueritte de Cuupere, fille de Jean, avocat général, receveur

du Duc de Nieubourg à Wynendaele, grand Bailli du pays de Wynendaele.

Cet ancêtre-clé est effectivement Pierre de Potter, précédant à la fois Jean-

Guillaume, Pierre-Clément et Clément-Joseph (ce dernier étant le père de

Louis de Potter) .

Ce dernier est donc installé au XVII e siècle, à Tourhout où vécut Nicolas.

Ce hasard est dû à cette alliance avec la fille du “blanchisseur” Jacobus

de Cuupere dont la famille occupait le château du Ravenhof . Devenu

aujourd’hui le centre culturel de la ville de Tourhout, il se situe sur un

promontoire dominant l’ancien Marché-aux-laines, et possédait une solide

blanchisserie de lin, rue de la Blanchisserie.

Repris par les de Potter de Droogenwalle au XVIII e siècle, le château du

Ravenhof, datant à l’origine du XIII e siècle, est donc situé sur l’un des

rares petits promontoires vallonnés de la région du plat pays ; d’où la

signification du patronyme évoquée plus haut : à l’abri des inondations

(en néerlandais : droge walle).

Le frère de Pierre, marguillier du Saint-Sauveur à Bruges, épousa Marie de

Lannoy, de la famille des métayers des villes de Lille et de Lannoy. Elle

était la fille de Jacques, greffier à la cour de Heule, fief sis à cheval entre

les deux Flandres, belge et française. Un autre ancrage français pour la

famille de Louis.

Les branches (de Renaix et Courtrai) se retrouvent

Suite à ces recherches sur Louis, on découvrit que c’est par deux fiefs

situés dans la baronnie de Heule que les ancêtres de Louis devinrent, en

1698, seigneurs de Droogenwalle, et ceux de Nicolas, en 1643, seigneurs

d’Indoye .

ANB 1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses. Inventaire du Patrimoine de

Flandre, XVII e siècle, blanchisserie de Cuupere de Potter, château Ravenhof, rue de la Blanchisserie

et Marché-aux-laines, Tourhout.

Histoire généalogique “Potter”, ANB 1896, OGHB diverses années et archives familiales diverses.

Inventaire du patrimoine de Flandre, ministère de la Communauté flamande.

(http ://inventaris.vioe.be/dibe/relict/87510)

ANB 1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.

u 146


Toujours au XVII e siècle, Joseph de Potter s’installe au domaine d’Aertrycke .

Par mariage, ce lignage s’allie au procureur général de Flandre et, par métier,

se rattache au puissant vicomte de Dixmude et de Wynendaele .

Au sujet d’Aertrycke, nous avons trouvé cette note : Pierre Clément de

Potter, époux de Marie Erreboot, décédé en 1720, était le septième Bailli de

Dixmude, maître des requêtes au Grand Conseil de Flandre, avait autorité

sur les fiefs d’Aertrycke .

Comme Louis descend de Pierre Clément, voilà la confirmation de cette

convergence et des liens étroits entre les branches “Potter” . A un jet

de pierre, et au XVIII e siècle, Pierre Joseph, l’ancêtre de Nicolas, s’installe

également à Tourhout. C’est dans la zone des prairies boisées dite

Verloren Kost qu’il s’établit, une terre répertoriée dès le XIII e siècle comme

appartenant au “domaine d’Aertrycke”, rapprochant ainsi les deux branches.

Siège du Collège d’Europe, cet hôtel de maître de 98 fenêtres fut bâti au n° 16 du

Dyver à Bruges par le père de Louis de Potter. Il fut saccagé par les soldats de Napoléon.

Source : Province de Flandre Occidentale et © Collège d’Europe, Bruges.

Le site des châteaux de Belgique.

(http ://www.chateauxdebelgique.eu/flandreOC/Aertrycke.aspx ?search_ai=pottere)

Histoire de la famille van Hille, Ed. Tablettes des Flandres, recueil 4, 128 p., Bruges, 1954.

Archives Générales du Royaume de Belgique, inv. lettre “i”, ref. 001, manuscrit, répertoires

397/98/99.

Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, 1963 et ANB

1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.

Inventaire du patrimoine de Flandre, ministère de la Communauté flamande.

(http ://inventaris.vioe.be/dibe/relict/87510).

147 u


Le petit château du Ravenhof à Tourhout, adossé à des terres, une ferme et une

blanchisserie de laine et lin, au lait. Datant partiellement du XIII e siècle, il fut acquis

par les de Potter de Droogenwalle au XVII e siècle, via l’alliance avec la famille de

blanchisseurs, de Margueritte de Cuupere , épouse de Pierre Clément de Potter, fils

de Jean de Potter, arrière arrière-grand-père de Louis de Potter. Il se trouve entre la

rue de la Blanchisserie et le Marché-aux-laines

Jean-Guillaume de Potter, seigneur de Droogenwalle, de Kerchove, de

Ghybalde, de Scheurvliet, de Haveskerke, de Folquinswerve et de Heule,

licencié ès lois, conseiller de Dixmude et de Nieuport, fut anobli, lui et

sa descendance, par charge de maître des requêtes au Grand Conseil de

Flandre à laquelle il fut nommé par lettres patentes de 1726 par S.A.S.

Marie-Elisabeth, archiduchesse gouvernante des Pays-Bas .

Il avait épousé Jeanne Pattheet, fille de Pierre, greffier de Furnes, et de

Pétronille de Cressin, fille de Juste de Cressin, seigneur de Ballin, de

ANB 1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.

Source : Inventaire du patrimoine de Flandre, ministère de la Région flamande.

(http ://inventaris.vioe.be/dibe/relict/87510).

Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, 1963.

u 148


Picquendaele, conseiller de Furnes. Jean-Guillaume décéda en son château

de Kerchove en 1759 à l’âge de 75 ans, étant depuis longtemps le doyen du

Grand Conseil de Flandre . Il engendra Clément de Potter de Droogenwalle,

Bailli de Dixmude, qui acquiert, en 1756, auprès de l’évêque de Bruges,

la cure désaffectée de Lophem qu’il agrandit pour en faire le Château de

Lophem , et fait ériger un hôtel de 98 fenêtres au Dyver à Bruges, devenu

entre-temps le siège du fameux Collège d’Europe .

Au décès du grand-père de Louis, le patrimoine familial comprenait plusieurs

importants fiefs au château de Keyem, au château de Kerchove et

au château de Ooighem. Les châteaux de Lophem, Tourhout et Aertrycke

n’y figuraient pas.

Au vu de ces antécédents, et quand on sait que l’autre branche des “Potter”

comptait, à cette période, trois autres châteaux, on réalise que le noble

sacrifice, par Louis, de tous ses biens matériels et de sa position aristocratique,

au profit de sa “carrière de publiciste belge” bouleversa la famille et le

public .

En approfondissant la partie brugeoise du travail du Père Jacques de

Potter et de madame Henri de Potter d’Indoye, née Princesse Elisabeth de

Mérode , nous avons observé que les branches Potter dites de Renaix et

de Bruges se rapprochent.

Gilles possédait en 1357 un arrentement nommé Ter Ysergaerde Brugghe

à Bruges et était échevin à Renaix. Gilles (1550) exportait du textile de

Renaix à partir de Bruges où il donne naissance à la branche de Louis, à

travers Firmin.

Annuaire de la noblesse de Belgique de 1896, Office Généalogique et Héraldique du

Royaume de Belgique, p. 78.

Histoire du château de Lophem par la Bonne Véronique van Caloen, Fondation Jean van

Caloen, 1990-1995.

Site et brochure du château de Lophem, Fondation J-B. van Caloen.

http ://www.coleurop.be/content/thecollege/locations/images/Dijver-building.jpg

Testament de Pierre Clément de Potter de Droogenwalle, liasse 27, chiro 1, bibliothèque

du château de Lophem, Fondation J-B. van Caloen.

Généalogie “Potter”, Tradition & Vie, 1964, Madame H. de Potter d’Indoye et le R.P. Jacques de

Potter.

149 u


Ci-dessus : Château d’Heye à Kerckhove (Audenaerde) où s’éteint Jean-Guillaume

de Potter, doyen du Grand Conseil des Flandres, en 1759. (J. Delcampe, Bruxelles

et V. Pouilly, Monuments de Flandre Occidentale)

C-dessous : Château de Ooighem sur Lys près de Roulers qui appartenait à Guillaume

de Potter, époux de Marie de Costere au XVII e siècle. Source : ministère de

la Communauté flamande, 2008.

u 150


Outre la concordance des lieux d’origine, celle des époques, des métiers

du textile, des terres contiguës à Torhout, des patronymes…, c’est dans la

petite baronnie de Heule (Courtrai), que l’on trouve le point de convergence

le plus significatif.

Le dit “Seigneur de Heule” n’est autre que Clément Potter Droogenwalle et

la dite “Seigneurie d’Indoye”, qui se situe dans la dite baronnie de Heule,

devient, en 1643, la propriété de… Joseph de Potter d’Indoye.

Les trois documents ci-dessus sont disponibles à présent. Gageons que la

prochaine génération arrivera à apporter les liens matériels requis pour

réunir les branches de cet intéressant remembrement familial.

Celui-ci ne figure pas encore dans le remarquable travail de M. Jean-François

Houtart et permettrait aussi de prolonger l’origine familiale des Potter jusqu’au

XIII e siècle, par rapport au XVIII e siècle actuellement indiqué.

Plusieurs textes officiels requis à cet effet sont disponibles mais requièrent

un travail de réconciliation que Nicolas a entamé avec l’aide d’un généalogiste

hors pair.

Victor Armand de Potter dit d’Elseghem

Selon Joanna Scott, finaliste au “Prix Pulitzer” (USA), et sa mère, Yvonne de

Potter, descendantes de Louis, ce dernier aurait eu un enfant hors mariage,

un dénommé Victor Armand de Potter dit d’Elseghem.

Cet enfant naturel naquit en 1807 et fut assigné, durant l’exil de son père,

au château d’Elseghem , village attenant à la seigneurie de Kerckhove (fief

Potter précité), chez sa cousine à la mode de Bretagne, Reine de Potter ,

née en 1784 et épouse du chevalier Charles-Louis de Ghellinck d’Elseghem,

beau-fils du chancelier hon. de l’empereur d’Autriche, Jean de Bay.

J-Fr. Houtart, Histoire des anciennes Familles de Belgique, en collaboration avec l’Office Généalogique

et Héraldique de Belgique, 2009.

http ://inventaris.vioe.be/dibe/geheel/21265

http ://www.geneall.net/W/per_page.php ?id=1098129

151 u


Arbre généalogique “Potter”.

u 152


Il avait épousé en premières noces Sylvie, fille du général Van den Hende,

membre de l’état-major du Roi Louis-Napoléon qu’il suivit en France lorsque

ce souverain y reprit le trône. En secondes noces il avait épousé

Sophie de More , membre d’une famille citée plus haut dans le cadre de

l’industrie textile des environs d’Audenaerde. Il décéda à Melle en 1894 et

fut inhumé près de la branche “Potter” précitée qui habitait le château de

Melle et tenait le mayorat de la cité gantoise.

Les distinctions du “Mérite civique de 1830, de Grand-officier de l’Ordre

de Léopold et de Chevalier de la Légion d’Honneur de France” font penser

à l’aide donnée à son père. Mais on sait juste qu’il rencontra le général

Lafayette et eut un fils : Pierre Louis Armand de Potter. Ce dernier fit ses

études à Paris et émigra aux Etats-Unis où il devint professeur d’archéologie

et gérant d’une agence de voyages sur Broadway 45 à New York.

Pour services rendus, lui aussi, reçut l’Ordre de Léopold… belge et le brevet

de colonel… belge. Il était chevalier de la Croix Blanche… d’Italie et

de l’Ordre de Mélusine… français. Il avait un diplôme italien de docteur en

philosophie et était membre des Sociétés d’archéologie française et américaine.

Il avait une vaste collection égyptienne exposée aux Etats-Unis.

Après trois voyages autour du monde, il décéda sur les côtes de Grèce...

où son père naturel avait posé un feu-follet ?

Château d’Eselghem (Audenaerde) où serait né Armand de Potter.

http ://gw1.geneanet.org/index.php3 ?b=gillesdumas&lang=fr ;p=albert+francois ;n=de+more

153 u


A gauche : Grand-mère de Louis de Potter, Mme van Hille, dessinée par Eleuthère

de Potter à 17 ans. Source : Alain van Hille.

A droite : Portrait de la mère de Louis de Potter, la douairière Marie Maroucx

d’Opbraekel (1758-1833), fille de Louis Maroucx d’Opbraekel, conseiller de Bruges

au Grand Conseil de Flandre, seigneur de Reyghaertsvliet et de Bellem. Dessin de

Emile J. Verbrouckhoven, reproduction par M. Werkman. Source : famille van Hille,

épouse de Potter.

Château de Lophem où habita Marie-Christine de Potter, sœur de Louis. Commandés

peu avant le décès de son mari, en 1848, les plans pour remplacer le château

Potter furent soumis de 1852 à 1856. Approuvés par la maître d’œuvre, la construction

dura de 1858 à 1862, soit deux ans avant le décès de Marie-Christine de Potter.

Source : livre “Château de Lophem”, © Fondation J. van Caloen, 2001.

u 154


Avis funéraire d’Armand de Potter, petit-fils naturel de Louis.

P.-Louis Armand de Potter Sr, Paris et Détroit.

155 u


Première affiche électorale de Belgique, imprimée le 13 octobre 1830. Elle est

signée par le “Comité central”, composé de six membres représentant le Gouvernement

provisoire, Comité présidé par Louis de Potter.

u 156


157 u


Description de la personnalité de Louis de Potter

par Lucien Jottrand, membre du Congrès de Belgique

Lucien Jottrand, fils d’un notaire de Genappe, fut avocat et journaliste au

“Courrier des Pays-Bas”, comme Louis de Potter. Wallon d’origine mais rebelle

perpétuel, après son passage au Congrès, il rejoindra sur le tard un certain

mouvement flamand. Aux côtés de Louis de Potter, il fut emprisonné aux Petits

Carmes avec Edouard Ducpétiaux (âgé de 26 ans !) et imagina le drapeau

belge, tricolore vertical, bardé de rouge, jaune et noir. Il connaissait donc fort

bien son compagnon d’infortune et voici ce qu’il en dit :

Louis de Potter avait une grande facilité d’esprit, une humeur bienveillante, une égalité

sans nuages qui le rendait sympathique à tous. Sa probité et la dignité de sa

vie lui donnaient une grande importance. Il ne s’agit point ici de sa loyauté privée,

c’était un fait de notoriété universelle qu’il disposait d’un très haut degré de probité

de conduite et du sens du devoir. Il n’était pas de ceux qui, pour sauver leur amourpropre,

s’acharne à défendre une opinion pour le seul fait qu’ils l’ont émise. (…)

Il était vif, gai, parfois jovial, (…) il était spontanément serviable envers tous ceux

pour lesquels il avait estime ou affection. C’était avant tout l’homme de la règle,

d’une grande assiduité au travail disposant des qualités du chercheur alliées à celles

du condisciple. (…) Il s’adonnait beaucoup aux exercices de gymnastique. Tout

Bruxelles l’a connu comme un excellent nageur et élégant patineur. (…)

D’une activité d’esprit qui devait le rendre «autodidacte», il fut comme Jean-Jacques

Rousseau ce que les Anglais appellent “a perfect scholar” c’est-à-dire un homme

versé dans la connaissance des langues anciennes (…) et modernes, et quoiqu’il

parlait familièrement dans le dialecte flamand de Bruges, il ne l’écrivait pas.

Les antécédents de Louis le désignaient naturellement comme conseiller de Guillaume

I er ou comme un excellent instrument à employer, à son insu, à la guerre calviniste

de la maison d’Orange contre le catholicisme belge. Nous nous souvenons

parfaitement de cet ‘entourage politique’ que lui faisaient les Gobbelschroy, Goubau

et autres agents du roi. (…) Les hommes d’Etat hollandais étaient parvenus à diviser

l’opposition belge et essayaient de semer la zizanie entre les parties. (…)

Louis fut confronté à ces manigances en se battant pour l’instauration du suffrage

universel. Bien que très populaire, il fut devancé par ses collègues dans

la mise en place d’élections, hélas censitaires. La bourgeoisie belge substituait

une nouvelle légalité à l’ancienne, et abandonna la révolution.

L’action véritablement démocratique de la Révolution de 1830 cessait ce jour-là, et

la retraite de Louis de Potter devait en être la conséquence. Voyant dévier la Révolution

belge des voies où il croyait sincèrement l’avoir vu entrer, et dans lesquelles il

croyait qu’on l’avait appelé à la guider, se retira dès qu’il reconnut s’être trompé.

u 158


Tirés de son livre édité en 1946,

voici les extraits choisis écrits par Louis de Potter en 1829-1831

L’Union n’est pas le résultat d’une convention humaine au profit de quelques hommes.

Elle est le produit de la Force des choses. Outre la conquête de la liberté civile,

elle a pour but l’affranchissement de toutes les intelligences, l’expression de toutes

les opinions et la garantie de dignité pour ceux qui se sont sacrifiés pour garantir

la stabilité sur laquelle elle repose. (…)

L’union des citoyens, condition sine qua non du bonheur public dans tous les temps,

devenait dans ces moments critiques où l’on se trouvait, une condition de salut et

d’existence. (…)

Marchons consciencieusement et d’un pas ferme dans la nouvelle voie qui s’ouvre

devant nous ; et, libéraux et catholiques, tous également amis des libertés publiques,

serrons cordialement nos rangs en disant, à l’exemple de O’Connell parlant

de Cobbett : “Nous avons ratifié notre éternelle réconciliation pour la liberté de

tous les hommes de toute religion, opinion, profession, espèce, classe ou rang !”

Sire, vos courtisans, vos ministres, vos flatteurs et vos conseillers vous trompent et

vous égarent ; (…) Non, sire, vous n’êtes pas le maître des Belges, vous n’êtes que

le premier d’entre eux (…) La loi qui nous régit, et vous régit avec nous, offre à tous

des garanties pour nos libertés, nos droits et nos obligations. (…)

Aujourd’hui que nous connaissons le peu de longueur de nos chaînes, et qu’à nos

efforts pour les rompre on répond par des actes contraires pour les raccourcir et en

augmenter le poids, peu nous importe ces promesses ombrageuses !

J’écris au roi pour lui faire toucher au doigt les impertinences et le gaspillage de ses

ministres qui, non contents de ruiner le peuple, les injurient encore et les maltraitent..

J’aime ma patrie et mes concitoyens et je ferais bien des sacrifices pour leur

assurer la liberté la plus entière. Mais si nous ne sommes pas encore mûrs pour

elle je me dirai : cela ne dépend pas de moi et je me résignerai.

Les libéraux de tous pays commettent la faute de vouloir réformer les idées par les

lois. Il ne savent donc pas que tourmenter, vexer, violenter les hommes est un très

mauvais moyen de les convaincre ? Et qu’abattre des têtes n’est aucunement les

changer. La conviction ne fait jamais place à une autre conviction. Croit-on parce

que l’on craint ou que l’on espère ? Non. On croit parce qu’on croit. Tout moyen

humain échoue contre la foi qui se fortifie dans la persécution. Le raisonnement

seul est puissant contre le raisonnement.

159 u


u 160

Extraits de “Louis de Potter et la Révolution de 1830”

par le professeur Paul Harsin de l’Université de Liége

Dès 1828, Louis de Potter était un des chefs les plus écoutés du parti libéral avancé.

L’intelligence avertie du publiciste brugeois avait compris le danger que présentaient

pour les Belges leurs divisions. Son but aurait été d’obtenir du roi une autonomie

pour la libre propagation des idées de tous. Un changement dans l’important journal

libéral, le “Courrier des Pays-Bas”, vint lui permettre d’en modifier les tendances. (…)

Il y publiait un article qui eût un immense retentissement : Que quiconque n’aura pas

clairement démontré par ses actions qu’il n’est dévoué à aucun ministre soit mis au ban de

la nation ! (…) Le gouvernement saisit le danger et Louis de Potter était arrêté. De sa

prison, il lança de nouveaux appels à l’opinion publique, appels qui furent entendus.

Le sacrifice de sa liberté galvanisa l’opposition et la victime du patriotisme devint l’idole

de la nation. (…) A peine la sentence de son procès fut-elle prononcée que la salle

d’audience retentit de huées auxquelles répondirent celles de tout un peuple à l’unisson.

(…) A la faveur de l’obscurité, ses juges se soustrayaient à la fureur populaire en

fuyant à pied par des issues secrètes. (…) A peine avions-nous passé la porte que les

vociférations les plus énergiques firent une épouvantable explosion populaire autour

de la voiture :“A bas le ministère ! A bas van Maanen ! Vive de Potter !”

Sa prison devint un centre où l’on agitait tous les moyens pour combattre le despotisme

ministériel. Il vit défiler autour de lui tout ce que la commune patrie avait

de caractères les plus distingués et d’esprits les plus sages, tous voulant comme

lui la liberté de la Belgique. De multiples revendications furent consignées dans ne

multitude de brochures rédigées pas Louis dans sa prison et disséminées avec un

incroyable succès dans tous le pays. Du fond de sa prison, il dirigeait comme s’il était

encore installé dans son bureau, proposant un plan de confédération patriotique.

Il déclina l’offre de ses amis pour les élections de 1829 et contribua au succès de

celles-ci. Le gouvernement pris peur et fit mettre de Potter au secret, saisissant tous

ses papiers de cinq à six années, prétextant à une correspondance subversive pour

le faire ré-inculper. Le bruit que souleva son second procès fut énorme vu la fronde

populaire contre la divulgation de ses lettres. Le 30 avril le président des assises

prononça, pâle comme un mort : huit années d’exil. (…)

Tandis que le peuple saccageait les demeures des ministres et fonctionnaires aux cris

de “Vive de Potter ! Vive la Liberté !”, notre publiciste lança une adresse au peuple

belge l’exhortant à proclamer l’indépendance réelle de la Belgique. Rappelé de France,

de Lille à Bruxelles, son voyage ne fut qu’un cortège triomphal. L’enthousiasme

qu’il soulevait tenait du délire. Dans les moindres villages, on dételait sa voiture pour

avoir l’honneur de la tirer. A Bruxelles, où il parvint le 28 septembre, on porta sa

voiture au dessus des barricades.

La carrière de l’illustre publiciste était loin d’être terminée, mais son rôle dans la

préparation de la Révolution belge se clôt par cette victoire. Son honneur, dans notre

histoire, sera d’avoir su payer de sa personne pour le triomphe d’une noble cause,

d’avoir consacré le premier la formule que les Belges devaient prendre pour devise :

L’union fait la force !


Extraits de la lettre de Louis de Potter

à S.M. Léopold I er , roi des Belges

Sire,

Dans le temps, j’ai écrit plusieurs lettres au Roi Guillaume, toujours aux époques que

ses fautes rendaient les plus critiques, je cherchais à lui signaler ses fautes, à le rappeler

à la raison, et je lui prédisais que, s’il continuait à heurter comme il avait fait jusqu’alors,

la vérité et la justice, son règne ne serait pas de longue durée.

Je crois le moment actuel plus critique encore, pour la Belgique comme pour l’Europe

toute entière, que ne l’a été aucun de ceux des quinze dernières années qui ont hâté

l’explosion de juillet.

Pourquoi hésiterais-je à le dire et à le dire tout haut ? Et pourquoi ne vous le dirais-je

pas de préférence à vous, qui avez accepté une si large part de solidarité dans le grand

drame social dont le dénouement semble approcher à grands pas ? Vous êtes sur le

trône, il est vrai, et je suis sans patrie, mais qu’importe ? (…)

Et puis, je voulais réellement empêcher la chute de l’ex-roi des pays bas. Avant la révolution,

deux choses devaient concourir à préparer la liberté future, c’est-à-dire, le bonheur

durable de la Belgique : il fallait que le gouvernement hollandais continuât à y faire de

l’arbitraire, et que les Belges apprissent chaque jour à mieux résister à l’oppression.

Mes moyens pour atteindre ce but, auquel je me sacrifiais tout entier c’était de l’opposition

constitutionnelle, persévéramment soutenue pendant bien du temps encore.

Les ennemis de Guillaume en Belgique étaient nombreux et acharnés ; mais quels

étaient les motifs de cette haine ? Chez les nobles, leur servilité avait été dédaignée ;

chez les prêtres, la crainte d’une secte dominatrice, chez les hommes avides, la certitude

de ne pouvoir arracher aux Hollandais les faveurs royales ; chez les masses un

instinct aveugle d’aversion contre un autre peuple présomptueux et arrogant.

De véritable amour de la liberté, désintéressé et pur de tout mobile personnel, on n’en

voyait pas, mais grâce au système d’oppression général sous lequel on gémissait, la

liberté, qui était dans toutes les bouches, serait descendue dans tous les cœurs. Il fallait

lui laisser le temps d’y prendre racine. Alors, on n’aurait pas été affligé par le spectacle

de grands seigneurs convertis fraîchement au libéralisme parce que Guillaume les avait

exclus des antichambres, prêts à étaler leur rampante morgue dans les cénacles de

quiconque aurait donné à dîner et à danser dans les salons de l’ex-roi.

En ami sincère de mon pays, j’attendais avec impatience que le temps de la liberté fut

venu, bien décidé néanmoins à ne jamais la devancer. Outre les raisons particulières

Belges, il me semblait imprudent de provoquer le jugement d’un roi quelconque, avant

d’avoir mûrement préparé le jury populaire qui devait se prononcer sur les faits à

charge, non plus d’un individu, mais de la royauté en tant qu’institution ancienne solennellement

traduite devant les assises du genre humain. (…)

161 u


Extrait de la biographie de Louis de Potter

par le professeur d’histoire Emile de Laveleye (1822-1892)

(…) Le nom de Louis de Potter mérite d’être inscrit au tout premier rang de la

Belgique moderne.

Il a pensé avec force et profondeur sur les principales questions qui occupent notre

temps.

Il n’a recherché ni pouvoir ni grandeur, échappant à l’égoïsme qui se fortifie à quand

l’esprit perd en vigueur.

Son désintéressement de tout ce qui est petit et bas était si incontesté, son amour

de vérité si évident, que ses adversaires mêmes se sont vus forcés de lui rendre

hommage.

Chose rare à notre époque de convictions flottantes pour tout, sauf pour la conquête

de la fortune.

Il a ordonné sa vie d’après les notions qu’il s’était faites du vrai, du juste et du bien.

Jamais le penseur ne fut inférieur à l’homme public. (…)

***

Extrait de “Stendhal et ses amis belges” (Le Divan, 1981)

et “Stendhal raconté par ceux qui l’ont vu” (Jourda, 1931)

L’ouvrage de M. de Potter, vaste mine de faits, est le fruit de quatorze ans d’études

consciencieuses dans les bibliothèques de Florence, Venise et Rome. Eh

bien !, se sera-t-il dit, je suis l’homme le plus riche de Rome, je vais en être aussi le

plus brave et me moquer publiquement de tout ce que ces gens-là respectent, qui

ressemble si peu à ce qu’on doit respecter. Car un don Juan, pour être tel, doit être

homme de coeur et posséder cet esprit vif et net qui fait voir clair dans les motifs

des actions des hommes. Si son livre eût paru en 1750, nul doute qu’il n’eut valu à

l’auteur une réputation européenne. Tous les ouvrages de M. de Potter devraient

être traduits en anglais. Ils contiennent une mine de vérités historiques.

Jottrand disait : Stendhal doit beaucoup au “véridique”, au “savant” de Potter, qu’il

qualifiait de “Gelehrter Allemand et historien chevronné”. Une des quelques personnalités

belges que Stendhal tenait en très haute estime.

u 162


163 u


Et le mot de la fin pour Louis de Potter...

Source : Coup d’œil rétrospectif sur 1830, 1857.

u 164


Biographies des auteurs

René Dalemans, licencié agrégé en Philosophie et Lettres,

Histoire de l’art et Archéologie, maître de stages d’agrégation

à l’Université Libre de Bruxelles, directeur honoraire de

l’Académie des Arts de Woluwé-Saint-Pierre, auteur de nombreux

ouvrages et conférences d’art et d’histoire, notamment

celle de Léopold I er .

Nicolas de Potter, issu de Bruges, père de six enfants avec

Carine t’Kint de Roodenbeke, fut conseiller aux gouvernements

du Québec et d’Eurorégions franco-belge et francobritannique.

Il développa les contacts pour plusieurs médias

européens et, à présent, crée une Société coopérative dans

27 pays de l’Union européenne.

Francis Balace, docteur en Philosophie et Lettres, professeur

honoraire de l’Université de Liège, est un des spécialistes

renommés de l’histoire de la monarchie belge, des guerres

et divers autres sujets historiques et philosophiques. Il

est l’époux de Catherine Lanneau, titulaire de la chaire

d’Histoire européenne de l’Université de Liège.

165 u


Déjà parus chez le même éditeur

Michel Quévit

Flandre-Wallonie Quelle solidarité ?

De la création de l’Etat belge

à l’Europe des Régions

Nous sommes le peuple le plus

multilingue et le plus solidaire

du monde. Cela fait cent

soixante-quinze ans que nous

payons pour la Wallonie, ça ne

peut plus durer !, déclarait J-M.

Dedecker à l’hebdomadaire Le

Point en décembre 2008.

A quelle réalité correspond cette

image que la Flandre donne de la Wallonie et

d’elle-même ? Michel Quévit a voulu confronter

le discours nationaliste aux faits. Son analyse a

l’intérêt d’ouvrir les yeux sur l’engrenage nationalitaire

dans lequel la Belgique est entraînée et qui

s’amorce dans d’autres régions européennes.

n 184 p. n 13,5*20,5 cm n 19 e n

Jérôme Adant

Le Baron Rouge ?

Antoine Allard, de Stop-War à Oxfam

Issu des plus hautes branches

de l’aristocratie et de la finance,

rien ne prédestinait Antoine

Allard (1907-1981) à sortir du

simple cercle de charité chrétienne

tracé dans son milieu. Et

pourtant…

Ce livre traverse le siècle passé

en empruntant un sentier historique

encore mal balisé : celui d’un combattant

pour la paix. La personnalité extrêmement riche

d’Allard permet d’aborder des sujets aussi divers

que la Première Guerre mondiale, la montée

des fascismes, le monde diplomatique belge, les

réseaux pacifistes… en passant par l’altermondialisme

d’Oxfam, les attentes œcuménistes de

Vatican II, les relations Est-Ouest…

n 152 p. n 15*22 cm n 18 e n

Sous la direction d’Anne Morelli

Rebelles et subversifs de Belgique

des Gaulois jusqu’à nos jours

L’Histoire de nos régions se

résume-t-elle aux actions des

gouvernants et à la passivité

du bon peuple ? La foule n’a-telle

jamais pour rôle que d’acclamer

les rois ou les cyclistes

vainqueurs ?

Ce livre exhume des moments

de notre histoire où des hommes et des femmes,

mécontents de l’ordre des choses, se sont levés

pour tenter de le changer.

Depuis la révolte gauloise contre les Romains, se

rebeller comporte des risques avérés mais modifie

parfois une situation que l’on estime insupportable.

L’action collective fait aussi partie de l’histoire de

nos régions…

n 296 p. n 15*22 cm n 24 e n

Martial de Selva

Petite histoire de Belgique

De la préhistoire à nos jours,

une petite histoire illustrée de

nos contrées pour mieux appréhender

la complexité de

leur(s) identité(s), en décortiquer

les mythes, en éclairer

les paradoxes et comprendre

les ressorts d’une nation européenne

dont on se demande

chaque automne si elle passera l’hiver.

L’Encyclo, c’est un ton et des illustrations. Une

collection qui a pour ambition de s’intéresser à

tous les aspects de notre histoire, du folklore aux

sujets de société, de l’anecdote à l’essentiel.

n 136 p. n 12,5*18 cm n 12 e n

Questions et débats de société, pédagogie, formation, récits de vie...

www.couleurlivres.be


Table des matières

Remerciements....................................................................................... 3

Introduction ........................................................................................... 5

La vie de Louis de Potter......................................................................11

L’Ancien Régime..............................................................................................11

Un double exil.................................................................................................13

Retour à lophem..............................................................................................14

L’Italie et la découverte des Lumières............................................................17

Les “mauvaises fréquentations”.......................................................................18

Retour au pays qui s’agite...............................................................................23

L’établissement à Bruxelles.............................................................................25

Premières armes dans la presse......................................................................28

Intermède sentimental.....................................................................................29

Le combat politique européen s’impose........................................................30

Concordat, retour à la concorde ou ferment de discorde.............................34

Liberté de la presse, liberté en tout................................................................37

Second procès..................................................................................................50

Libri Bagnano, un escroc au service du pouvoir...........................................57

L’exil une fois de plus.....................................................................................63

La “Muette” fait parler la poudre....................................................................65

Les journées décisives.....................................................................................70

La politique peut reprendre ses droits ...........................................................73

Quelle forme de régime choisir ? ...................................................................81

Les Puissances se concertent ..........................................................................84

Un monarque oui, mais qui choisir ?..............................................................92

Encore et toujours l’exil ..................................................................................97

Pendant ce temps-là en belgique.................................................................100

Retrouver la Belgique....................................................................................104

Louis de Potter, franc-maçon ?......................................................................107

Epilogue.........................................................................................................108


Louis de Potter, porte-flambeau de la liberté et de la nationalité

belge, feu-follet politique ou simple “homme libre” ? ................115

Origine des “Potter”............................................................................137

Anciennes frontières......................................................................................137

Corporations et métiers.................................................................................138

Invasions successives ....................................................................................139

Apogée à Bruges ...........................................................................................142

Les branches (de Renaix et Courtrai) se retrouvent....................................146

Victor Armand de Potter dit d’Elseghem......................................................151

Biographie des auteurs.......................................................................165

***

En savoir plus

Vous trouverez sur le site www.potter.c.la une bibliographie complète ainsi que

de nombreuses archives et illustrations qui témoignent de la richesse de la documentation

réunie par Nicolas de Potter.

Imprimé en Belgique

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