J'attends le numéro 63
Laboratoire de recherches créatives
Laboratoire de recherches créatives
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
3 e TRIMESTRE 2021 - EAU
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
3 e TRIMESTRE 2021 - EAU
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
J’ATTENDS LE NUMÉRO 1
2011 • 2021
CRÉATION
Isabelle Souchet & Ivan Leprêtre
DESIGN
Ivan Leprêtre
CONTACT
ivanlepretre@gmail.com
PHOTOS 1 re • 2 e DE COUVERTURE
Bessi • Pixabay
PHOTO 4 e DE COUVERTURE
Erda Estremera • Unsplash
03
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SOMMAIRE
PHOTO : MATHEO JBT
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
LES DIX TÔT D’ALAIN DIOT • 06
Maître de conférence en arts plastiques • alaindiot2@orange.fr
INTERVIEW D’ISABELLE SOUCHET • 10
Artiste numérique • couleur-lilas@wanadoo.fr
LILAS LEPRÊTRE • 18
Étudiante • lilaslepretre@gmail.com
CHRYSTEL EGAL • 22
Artiste, écrivaine • chrystel.egal@me.com - c-egal.com
IVAN LEPRÊTRE • 28 ET 44
Directeur de création • ivanlepretre@gmail.com • ivanlepretre.com
GEORGES FRIEDENKRAFT • 34
Écrivain • Poète • georges.chapouthier@upmc.fr
FRÉDÉRIC ADAM • 36
Poète • frederic_adam@hotmail.fr
ALAIN CRÉHANGE • 41
Écrivain • alain.crehange.pagesperso-orange.fr
RAOUL HARIVOIE • 41
Poète • raoul.harivoie@laposte.net
NICOLAS QUANTIN • 42
quantinnicolas@gmail.com
ALINE HANSHAW • 42
Bricoleuse • aline.hanshaw@wanadoo.fr
ÉRIC RABBIN • 43
Capitaine de vaisseau grammatical • devie.celine@neuf.fr
LAURENT VERNAISON • 43
Épicurien - lvernaison@wanadoo.fr
YVES LECOINTRE • 44 et 84
Érudit • yves.lecointre@gmail.com
DOMINIQUE GAY • 46
Photographe • dgcphotography@gmail.com • www.dgc-photography.com
DO SÉ • 54
Unijambiste sur le fil des douceurs • dose.mots@gmail.com
OLIVIER ISSAURAT • 56
Enseignant • oissaurat@ac-creteil.fr • olivier.issaurat.free.fr
KARINE SAUTEL • 62
Ellipse formation • karine@ellipseformationcom • ellipseformation.com
JEAN-MARC COUVÉ • 72
Écrivain, critique et illustrateur • jeanmarc.couve@gmail.com
THIERRY FAGGIANELLI • 90
Poète du quotidien • thierry.faggianelli@sfr.fr
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ÉDITORIAL
ALAIN DIOT
PHOTO : THOMAS DE LUZE
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
C’EST MA CAME, L’EAU !
Ah ! L’eau, qui est à l’appareil,
notre chère eau qui n’a pas son
pareil, pas l’eau low cost, c’est
trop chaud à son poste, mais
cette brave eau qui hausse
l’eau, comment lui rendre
hommage avant d’être au tombeau
? Bien sûr, tout dépend de
ce que les eaux valent quand
l’eau vide, que l’eau peine
quand elle hache deux os, l’eau
pressée à l’opposé de l’eau posée
qui ne sait plus qu’elle bout,
l’eau, et que l’eau graisse quand
on sent l’eau frire. Qu’elle garde
son style, l’eau, à plume ou à
bille, ce qui permet, sans bisbille,
quand elle est bonne fille,
qu’elle rigole, l’eau, pour éviter
que l’eau tôt stoppe.
Et si, dans notre bulle nous le
savons, l’eau bue éclate, on voit
parfois l’eau rayer le parquet
parce que quand l’eau râle, l’eau
racle. Et l’eau rage aussi quand
l’eau sature ou quand l’eau tarit,
surtout l’eau primée. En fait
on sait que l’eau paiera parce
qu’elle veut gagner les gros
lots, l’eau, et ne pas être l’eau
pâle qu’on avale sans y penser.
Et quand ce que l’eau perd
culmine de rien, çà n’empêche
pas que le bidon d’eau rit fort de
se voir si beau dans l’eau pure
d’un miroir même obscur. Et
si dans les waters, l’eau, bonne
à part, te chiffonne, donne sa
nappe au Léon qui, comme un
prolo, boit l’eau dans la bassine
de la cuisine et bricole l’eau. Et
quand elle va chercher de l’eau,
Perette chante et çà l’enchante
de trouver son poteau pas si
laid, pas ballot et de partager
la fleur d’eau rangée pour son
mariage où elle joue à l’ange,
l’eau, quand elle se mue, l’eau,
en chic eau pour aller au bal,
l’eau.
A propre eau, cher.es écolos, si
attaché.es aux eaux tôt bues,
avez-vous vu votre pote Hulot,
dans un vague halo sur
son ilot, jouer du pipeau pour
se consoler quand il a paumé
l’eau ? C’est bien Nicolas qui s’y
colla pour chanter des histoires
d’eaux en nous jetant l’opprobre
parce que nos eaux ne sont pas
toujours au propre ! Et ce matin,
avez-vous bu de l’eau tôt,
de l’eau céans, bien sûr, ou de
l’eau tard si, sans le bon tempo,
vous alliez à vaut l’eau pour ne
pas vous retrouver le bec dans
l’eau ? Et sous les palmiers et
leurs plumeaux, en pleine rando,
avec vos amis quand il fait
si chaud, quand on boit l’eau,
nu dans le désert, avez-vous
pensé à prendre de l’eau à six
pour le dessert, quand on sait
que là, c’est méga, l’eau, même
si, dans ces sables si beaux, elle
est très molle l’eau !
Tiens, si vous souhaitez monter
très tôt sur les tréteaux, fardés
mais sans fardeaux, choisissez
plutôt l’eau qu’a Rina, la
grande prêtresse du Nirvana,
celle qui cacha l’eau mais qui
sait ôter l’eau dans son verre de
vin si Léonardo, ce fier routard
de l’Art, ne met pas trop haut
son veto habile de vieux roublard
subtil ! De même quand
- alléluia ! - Ali a lu qu’Allah à dit
d’aller où il y a l’eau pour aller à
l’eau avant d’aller au lit vide, il a
mit l’eau, comme Vénus, à son
programme de vélo, même si
sa mère se rit de lui quand il
07
file, haut sophiste, ce couche
tôt qui fait de l’eau Dieu ! On
comprend alors comment ce
mélimélo peut rendre Ali baba !
Mais peut-on dire que c’est Ali
qui a tort ? Certes pas ! Par ailleurs,
est-ce l’Italie qui donna
telle eau, voire l’eau Torino et
la France plutôt la clémence
eau ou même Victor Hughes
Eaux ? Méfions-nous cependant,
car on ne sait jamais
vraiment où un verre d’eau
mène, et comme on entend
rarement l’eau s’taire, si l’eau
dit : ‟ Scions !”, rien ne nous dit
que l’on verra un verre d’eau
scier quand bien même il s’agit
d’un verre d’eau mignon ou
d’un verre d’eau due ! De toutes
façons, on ne saura jamais si
l’eau scie tôt parce qu’en réalité
l’eau part avant qu’on puisse
vérifier si c’est de l’eau pacifiée
puisque c’est de l’eau pas citée.
Et à la question des idiots qui se
demandent, mal à l’aise, si l’eau
baise, plutôt que de répondre
sans malaise : « L’eau ? Mon
cul ! Bande d’hurluberlus ! Vous
avez bu trop d’eau, tocards ! »,
demandez leur fort à propos :
« Aimez-vous quand l’eau rit,
fils ? »
Bon, ben après un tel boulot,
retrouvons-nous au caboulot
pour boire enfin quelques bons
verres de vins avec les copines
et les copains tous enivré.es du
ciboulot !! Et Ciao, avec un petit
bec, eau !!!
Alain (bu) DIOT. Juillet 2021.
QUEL MONDE À FABLES !
AH ! L’EAU !
On vit une époque formidable
où l’on met, tranquille, sans se
faire de bile, les deux pieds sous
la table, avant de se fourrer la
tête dans le sable comme une
autruche nunuche, gonflée
comme une baudruche, parce
qu’on n’est plus capable que
de se réciter des fables inénarrables
que même ce bon Lafontaine
n’aurait pas osé écrire
de peur de nous faire trop
rire jusqu’à en périr, voire pire !
On vit dans un monde fort aimable
qui perd de la bonde
improbable où n’importe qui
vagabonde à son gré, sans se
demander si sa liberté chérie
ne serait pas que les abus d’un
abruti qui croit que tout lui est
permis surtout si c’est au détriment
d’autrui. C’est vrai que
quand çà tourne au tracas, il
peut toujours dire qu’il ne savait
pas, que de faute, il n’en a pas,
qu’il va dire à son papa qu’on
lui fait des embarras et qu’on va
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
voir ce qu’on verra parce qu’il a
bien le droit ! Le droit de quoi ?
Il ne sait pas !
On vit des choses invraisemblables
quand on écoute les
complots de déglingos de
ces charlatans à la déroute
qui nous les broutent sans
vergogne, quand même les
cognes s’en prennent plein la
trogne alors qu’ils ne font que
garder les ivrognes, quand les
cigognes volent bien moins
que ces gentils garnements si
conciliants qui, sur les paliers,
surveillent avec opiniâtreté les
cages d’escaliers des appartements
fragiles des HLM de la
ville où des citoyens forcément
bien intentionnés viennent leur
acheter de quoi s’éclater. Bien
sûr, on ne sait pas avec quoi.
Eux-mêmes ne le savent pas,
parce que s’il le savait, il nous le
dirait ! Pas vrai ?! Même Marie
Jeanne et son amie Coco ne le
savent pas, ces gentilles fifilles
de la Bastille, plutôt friandes
de pastilles de menthe, ces héroïnes
si charmantes !
On vit des temps inavouables
où l’extrême droite la plus misérable
vient nous jouer, imperturbable,
celle qui va nous sauver
la France trop rance dont la
pestilence serait due, c’est tout
vu, à ces rastaquouères poilus
qui, devant comme derrière,
nous attendent au coin de la
rue pour nous faire la peau du
dos et nous remplacer, comme
des colons, dans nos maisons.
Chez les catéchumènes de la
souveraine LE PEN, ainsi font
font font les petites marionnettes
qui leur bouffent le plafond
avec les araignées qui s’y
sont installées depuis si longtemps
déjà qu’on avait oublié
qu’elles étaient là !
On vit sur une planète admirable
où au G7 tout le monde se
fait risette et ramène sa gouaille
en Cornouailles, où, ohé !, Joé
nous caresse la bedaine à
l’américaine (Amen, Biden !)
où Boris (on sait de qui il est le
fils !), nous fait croire qu’il nous
a à la bonne - il bouffonne, le
Johnson ! - où Angela minaude
et se baguenaude alors qu’elle
va surement, la demoiselle,
nous remonter les bretelles (rebelle,
la Merkel ?), où Suga, tout
juste échappé de Fukushima
( il a des idées, Yoshihide ?) ne
sait pas s’il doit venir avec ses
ninjas ou ses yakusas, voire les
deux à la fois, où Trudeau (Y en
a juste un de Justin ?) vient faire
le joli coco, le gentil bobo tout
droit sorti de Toronto, même
pas alcoolo, où Mario, qui s’y
connait à manier les euros, va
nous emberlificoter à l’infini
(Il en rit, le Draghi ?) et nous
faire prendre les tortellinis pour
des macaronis, quand notre
vieux pote Manu (Et oui, il a été
élu !) va se presser le citron, le
Macron, pour sortir de ces idées
auxquelles personne n’a songé
parce que pour y penser il faut
être super costaud du cerveau,
qu’il a, lui, hyper chaud, le rigolo
!
Et Jinping fait le forcing pour
dire que les Ouïghours se
gourent, parce qu’ils sont
gourds, que les tibétains font
tintin parce qu’ils sont zinzins,
que les Hans se pavanent parce
que, dans leur caleçon, ils ont
le havane comme des dragons.
Et Poutine, le Vladimir, ce triste
sire aux sourires de satire, enferme
même ses copains et ses
copines dans des boîtes de sardine
en partance pour la Sibérie
divine pour être bien certain
qu’ils ne feront pas les malins
ni les malines. Est-ce qu’ils rigolent,
tous ces guignols sanguins
? Est-ce qu’ils s’amusent
tous ces virus malsains ?
On vous l’a dit, on vit une
époque formidable dans un
monde admirable ! Allez, tous
à table !!
Alain (battable) DIOT. Juillet 2021.
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INTERVIEW
ISABELLE SOUCHET
ARTISTE NUMÉRIQUE
IMAGE : ISABELLE SOUCHET
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
LA NATURE COMME
GALERIE D’ART
J’attends : Quand avez-vous
eu conscience que vous étiez
une artiste, est-ce que cela
vient tôt ?
Isabelle Souchet : Enfant, je
ne pense pas que l’on se dise
tout de suite artiste, on a certainement
un comportement
un peu différent des autres
enfants, et chaque artiste doit
être, à ce moment de sa vie,
différent à sa façon. Moi, je me
souviens que j’ai très tôt été
attirée par la nature et je souffrais
que les adultes ne soient
pas fascinés par ce que je leur
montrais. Je ne comprenais pas
qu’ils n’éprouvent rien, qu’ils ne
voient pas la beauté et la délicatesse
de toute cette vie végétale.
Cette indifférence m’était
insupportable, certainement
parce qu’elle me laissait seule
avec mon émerveillement.
J’avais aussi du mal à accepter
que cette nature ne soit pas
éternelle. Arrivée à son apogée,
elle se flétrissait et disparaissait,
et moi, j’aurai voulu tout
garder. Je me souviens d’un
jour en automne, où j’avais ramassé
les feuilles d’un pêcher
parce que leurs couleurs rouge
et jaune m’avaient fascinées, je
les avais mises dans un panier
en espérant qu’elles restent en
l’état, mais bien sûr, elles ont
séché et se sont racornies. Je
me souviens de ma déception.
Il me semble qu’ensuite, peu à
peu, j’ai compris qu’en les dessinant,
ou en les peignant, je
pouvais garder la trace de ce
que j’avais vu et ressenti en les
découvrant.
JN1 : De quelle manière avezvous
été en contact avec des
œuvres d’art ?
I.S. : Au risque de me répéter,
je dirais que la Nature a été la
première galerie d’art dans laquelle
j’ai pénétré. On y rencontre
la beauté, l’étonnement,
mais aussi la mort. Je me souviens
de mes terreurs quant
au détour d’un chemin, je me
retrouvais face à des oisillons
tombés du nid et qui gisaient
dans l’herbe, c’était saisissant.
Ensuite, les premières œuvres
d’art que j’ai vues étaient certainement,
des reproductions
dans des livres, nous vivions à
la campagne et il n’y avait pas
beaucoup de galeries d’art
contemporain à l’époque là où
j’habitais, il n’y avait que des
musées. Mon père était passionné
d’archéologie, donc il y
avait beaucoup de livres et de
magazines qui traitaient de
ce sujet à la maison, je les regardais
beaucoup. En allant à
la bibliothèque, j’ai découvert
des peintres plus contemporains,
Dali, Matisse, Picasso,
Miro, Bonnard… mais dans ce
cas également, mon éducation
s’est faite par le livre. C’est à 16
ans, lorsque je suis venue à Paris
toute seule, que j’ai pu être
en présence d’œuvres d’art.
J’allais beaucoup à Beaubourg,
qui venait d’ouvrir, j’ai visité
tous les musées de Paris, c’était
formidable.
11
ISABELLE SOUCHET
JN1 : De cette période, quels ont
été les artistes qui vous ont influencé
?
I.S. : Je ne sais pas quelle a été
l’influence exacte. Je ne sens
pas le besoin de me référer à
quelqu’un en particulier, ni à
un mouvement, cela m’ennuie
et je m’en méfie instinctivement.
Je dirais que je n’ai pas
été influencée, mais que j’ai
aimé, et que j’aime toujours
les primitifs flamands, toute la
peinture de la renaissance italienne
également : les enluminures,
les impressionnistes, les
fauves, Cézanne, Matisse, Picasso…
je me souviens d’avoir
vu une exposition consacrée à
Tinguely à Beaubourg, j’avais
été étonnée et éblouie. Je ne
fais pas de différence entre
ancien et nouveau. Pour moi,
un tableau de Giotto ou de
Van Eyck est toujours aussi
moderne qu’une œuvre dite
contemporaine. Je pense que
j’ai une relation forte à l’histoire
et à la mémoire, aux mythes,
aux contes, au mystère. À l’adolescence,
j’ai été intéressée par
la psychologie, l’inconscient,
et plus particulièrement par
Jung, qui avait à mon sens
une relation plus spirituelle au
monde que Freud. J’ai énormément
lu de livres à ce sujet.
Le bouddhisme, l’hindouisme,
la théosophie m’ont également
beaucoup marquée.
JN1 : Quel a été ensuite votre
parcours professionnel ?
I.S. : J’ai suivi une formation de
Designer textile aux Arts Appliqués
Duperré et j’ai dessiné
des tissus pendant plusieurs
années. Nous travaillions de
façon traditionnelle, avec de
la gouache, des pinceaux, des
calques… et fin des années 80,
les ordinateurs ont commencé
à faire leur apparition. Cela
m’a tout de suite attirée. En
plus, cela coïncidait avec un
moment de ma vie où j’avais
envie de découvrir autre chose,
j’étais un peu à saturation de
ce côté peint de façon traditionnel,
d’autant plus, qu’en
parallèle de mon travail, je peignais,
mais dans ce domaine
également, je n’étais pas
contente de ce que je faisais, je
m’ennuyais. Par chance, j’ai pu
suivre une formation sur un ordinateur
Amiga. L’image avait
des pixels tellement gros, qu’on
aurait dit des grilles de point
de croix, mais j’étais heureuse
quand même. Dans les années
90 sont arrivés les premiers
Macintosh, leur image était tellement
fine, c’était impressionnant,
puis les premiers logiciels
graphiques Illustrator et Photoshop
de la suite Adobe, ont fait
leurs apparitions.
JN1 : Qu’est-ce que ça a changé
dans votre façon d’envisager
une œuvre, une image ?
I.S. : Au-delà de l’aspect « jouet
nouveau » qu’il faut dépasser
rapidement. J’ai, dès le début,
eu la sensation d’avoir entre les
mains un outil extrêmement
subtil qui pouvait me permettre
d’exprimer mes émotions et
ma pensée bien mieux qu’avec
de la peinture. Quand j’étais
en formation, un détail m’avait
tout de suite interpellée au-delà
de la complexité des outils
et des fonctionnalités, c’était
de pouvoir revenir sans cesse
dans l’image pour la modifier,
sans que le tableau ou l’image
soit sali et embrouillé de repentirs.
En dupliquant l’image,
on pouvait garder des traces
de chacun de ces essais, y revenir,
les retravailler à l’infini…
Quand on y pense, c’est assez
incroyable. Cela nous entraine
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
vers une plus grande mobilité
mentale, comme si nous choisissions
après avoir expérimenté
plusieurs chemins. Cela à
l’air anodin, parce qu’on s’y est
vite habitué, mais je pense que,
dans la pensée artistique, c’est
une vraie révolution. D’ailleurs,
je remarque que de nombreux
artistes, même si leur travail
n’est pas totalement numérique,
s’aident de l’ordinateur
pour faire des recherches, puis
ils finalisent le rendu de leurs
oeuvres, avec des outils traditionnels,
parfois sans mentionner
ce détail…
JN1 : Alors sans ordinateur,
point de salut ?
I.S. : Je ne sais pas ce que
vous entendez par salut, mais
je pense que si nous venions
à perdre cet outil, cela serait
une terrible régression. Bien
sûr, on pourrait vivre, l’homme
s’adapte toujours, mais cela serait
une vraie perte. Un abaissement
de notre intellect.
JN1 : Comment êtes-vous perçu
en tant qu’artiste numérique ?
I.S. : La plupart du temps, les
gens ne connaissent pas vraiment
les logiciels, ni de quelle
manière, nous travaillons, nous
ne sommes pas toujours bien
perçus. Je dirais qu’il y a souvent
deux catégories : ceux
qui nous prennent pour des
idiots qui ne font que cliquer
sur des boutons sans avoir de
talent ou de pensées et ceux
qui nous prennent pour des
sortes de matheux qui font
de la programmation toute la
journée, je tiens à préciser que
les deuxièmes sont les plus
rares, on est plus souvent pris
pour des imbéciles rivés à nos
écrans s’abreuvant bêtement
d’images que pour des petits
génies. Les deux visions sont
fausses. En ce qui me concerne.
Je ne fais qu’utiliser des logiciels,
je ne les invente pas et je
réfléchis à ce que je fais. Je ne
clique pas au hasard, je connais
le logiciel, je l’ai appris, parce
que c’est une des notions qui
est aussi souvent ignorée, nous
apprenons les logiciels, comme
un peintre apprenait son métier.
La plupart des logiciels
sont complexes et on ne peut
pas se lancer comme ça. Et
même si on le fait, il vient toujours
un moment où l’on est
obligé pour aller plus loin, de se
former. J’ai moi-même été formatrice
et j’ai vu des gens pleurer
parce qu’ils réalisaient que
ce n’était pas aussi simple qu’ils
le croyaient.
Finalement, l’arrivée dans nos
vies de l’ordinateur est récente,
elle nous a tous marqués, bien
plus qu’on ne le pense, ce qui
entraine des réactions qui sont
toujours un peu les mêmes
face à la nouveauté. J’avais lu,
il y a longtemps, qu’à l’arrivée
de l’imprimerie, les sociétés de
l’époque avaient été traversées
par des courants violents et
contradictoires, il y avait ceux
qui se réjouissaient de cette invention
parce qu’ils en avaient
compris l’énorme potentiel,
notamment de démocratiser
le livre et il y avait ceux qui disait
que ça allait faire perdre
la mémoire aux gens, parce
qu’on passait d’une civilisation
de l’oral à celle de l’écrit. Vous
voyez, c’est toujours un peu les
mêmes tensions.
JN1 : Que pensez-vous des gens
qui passent leur temps sur les
réseaux sociaux ?
I.S. : Vivre peut être difficile, on
est confronté à la solitude, à
des difficultés de tous ordres, je
suppose que ça aide ou que ça
comble un manque. Comme
tout le monde, je suis souvent
excédée par certains comportements,
mais je pense que,
sur le fond, toutes ces applications
nous réunissent bien plus
qu’on ne voudrait le croire. À
une époque quand les images
étaient peintes à la main,
13
ISABELLE SOUCHET
elles étaient rares, réservées
à une élite. Maintenant, nous
sommes confrontés à une multitude
d’images. Cette multitude
n’est pas, à mon sens, négative.
Elle permet à chacun de
se trouver, de choisir ce qu’il a
envie de regarder. Les gens se
détournent des médias traditionnels,
un peu comme s’ils
partaient à la recherche d’euxmêmes.
La culture ne peut plus
être aussi « monolithique » que
par le passé. Si on y réfléchit
bien, elle était imposée par un
petit nombre de personnes.
Pour être cultivé, il fallait aimer
tel artiste, tel mouvement, tel
courant de pensée. Je pense
que tout ça a volé en éclats ou
est en train de le faire. On est
dans ce moment. Chacun suit
sa voie, s’individualise. Cela fait
peur, parce que c’est hors de
contrôle. Désormais, tout est
la faute des réseaux sociaux,
mais avons-nous assez de recul
pour avoir une opinion qui soit
juste ? Je suppose que, dans
quelques siècles, il y aura des
historiens spécialistes, d’Instagram,
de Facebook, de Youtube
ou autres… et qu’ils auront
peut-être une vision un peu différente
de la nôtre, moins négative.
En France, on dénigre
beaucoup, c’est souvent excessif.
On doit adorer ou détester,
c’est une pensée dualiste qui
ne mène à rien, à mon sens.
JN1 : Pour en revenir à votre
exploration de la création sur
ordinateur, quels ont été les
autres points positifs qui vous
ont semblé intéressants dans
le travail numérique ?
I.S. : Tous les réglages inhérents
au traitement de l’image,
comme l’opacité, les filtres…
La possibilité de dessiner avec
beaucoup de précision, de
mettre du texte. Maintenant,
on a des brosses qui ont le
rendu des textures traditionnelles
comme le crayon, l’aquarelle,
le feutre, l’encre… on peut
jouer aussi avec les trames, les
couleurs, la 3D, l’animation, la
vidéo, le son… ce qui est formidable,
c’est que l’on peut associer
tous ces différents médias
en restant tranquillement chez
soi, devant son ordinateur.
L’ergonomie des logiciels nous
entraine naturellement à nous
ouvrir à des médias auxquels
on n’aurait pas forcément pensé
avant, je trouve que c’est une
chance formidable.
JN1 : Quel va être la suite de
votre travail ?
La 3D. Il faut que je me forme
un peu mieux dans ce domaine
pour être à l’aise avec les logiciels.
J’ai envie de travailler
l’idée de nature morte abstraite
inspirée de mes souvenirs d’enfants.
La mémoire, et plus exactement
la réminiscence me
passionne et me fascine.
JN1 : Qu’est-ce qui vous donne
de l’espoir ?
I.S. : L’envie d’explorer, la curiosité,
le besoin de se garder
mobile pour changer. Être lucide
me semble essentiel aussi,
il faut identifier les problèmes,
les défauts, les points faibles et
travailler sur soi, pour s’améliorer.
Je trouve important de se
sentir en paix, apaisée, comme
si les choses ne pouvaient être
autrement.
INTEVIEW RÉALISÉE EN JUIN 2021
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
IMAGE : ISABELLE SOUCHET
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IMAGE : ISABELLE SOUCHET
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
IMAGE : ISABELLE SOUCHET
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LILAS LEPRÊTRE
POIULPE•01
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
POULPE•02
19
LILAS LEPRÊTRE
CHATPOULPE
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
CHIENPOULPE
21
CHRYSTEL ÉGAL
DOUBLE SEA
Redoubler une image
à la recherche de sa vie intérieure.
Je dis vague.
by C.=
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
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CHRYSTEL ÉGAL
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
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CHRYSTEL ÉGAL
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
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IVAN LEPRÊTRE
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
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IVAN LEPRÊTRE
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
31
IVAN LEPRÊTRE
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LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
Les deux pieds dans l’eau
Chauffé au soleil d’été
Rond, l’œil du poisson
33
GEORGES FRIEDENKRAFT
PHOTO : TISHINE NDIAYE
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
HAÏKUATIQUES
Si la pluie le pousse
l’escargot grimpe à son pas
la fourche du buis
Quand la pluie s’écarte
du vertical de ta jupe
douche sur tes jambes
Le chant monotone
de l’averse me ramène
à ma vie foetale
Le ruisseau damier
ombre et soleil sur le parc
l’envol de la pie
Pourquoi d’être saule
pleurerais-je : le chat miaule
aux rides de l’eau
Loin sur la jetée
le vent se roule en bourrasques
se drape d’embruns
La méduse avale
en fougueuse transparence
la vague rebelle
L’océan salé
par le trop-plein de tes larmes
l’écume des jours
Je glisse vers toi
débarrassé de ma bogue
comme une pirogue
35
FRÉDÉRIC ADAM
PHOTO : JOEL FILIPE
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
LA VERVE DE L’EAU
La verve de l’eau ne doute de rien
C’est dans ses bouillons qu’elle interroge
Sur ses pianos qu’elle cuisine
Les confessions d’une terre assoiffée
Sa fougue aussi dans le grain brusque
Dans le luxe des saucées
Sous l’onde ample des emphases
Qu’elle emplit de ses allants, de ses averses
Elle est à la glaise
Ce que le fil est à l’ourlet
Sans ses points nul pli ne tient
Sans ses avances aucune écuelle ne se façonne
Quand elle ergote
Elle fait feu de tout bois
Et se déverse dans les sécheries
Des lèvres closes, des non-dits indociles
Et si elle s’ombrage
C’est que le manque la recrache
Oubliant torrents et ruisseaux
Où il s’abreuvait autrefois
Giboulées et bourrasques
À verse dans ses orages
Bruine et brume
À même son désarroi
Elle est l’eau de son propre moulin
Le vin de ses abondances
L’endiguer c’est fuir son verbe
La réduire, en exalter à la fois et le goût et l’aridité.
37
FRÉDÉRIC ADAM
L’EAU DE L’ONDE
Je démêle l’eau de l’onde, le cours du fluide. Pourtant
le collet qui les attelle, se coule sous d’autres
lacs, d’autres figures. Il esquive mes prises, mes
tirailleries en se glissant dans l’attentatoire, le renversé.
Chaque butée est un vortex ou une loupe,
chaque trouée un fil rompu ou une coque vide.
Les fortunes de mer font que parier sur l’un ou
sur l’autre, c’est jeter ses dés à la baille. Je connais
les ruses du hasard. Il œuvre en sous-marin et
guette le moment propice, alcyonien pour porter
ses coups bas, piper ses carottes. Il en fait son
bois flotté. Ses faire-part n’ont rien d’étanches, ils
invitent en s’enfuyant, récitant un acier trempé
à l’ancre des rafiots, balançant la veine comme
un bout à quai. L’imprévu écrit aux haubans de la
chance se lit aléatoirement.
Ce que l’à-vau-l’eau bouchonne, les grèves le
choient. Le bord a la peau douce des rêves oints.
J’y fais mes vendanges, les mains pleines de ce
raisin de mer qui est le fruit du bon sort et des
aléas. Mon vin est fait de ces grappes. Il en a la
pruine et la genèse saline. Je m’enivre, bercé par
le flot des desseins inécrits, une soif juste deviné
pour seule boussole. Elle est mon amure, le nœud
coulant autour de ces eaux vives où je pèche par
excès d’arabesques. C’est de cette vigie que je
carde, débrouille les loteries des baquets du beau
pétrin des eaux entremêlées.
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
LA MER EN EAU
De l’eau à foison
Dans la convoitise du vortex
La spirale est l’eau
De mes minoteries foncières
Le cadastre de mes voies d’eau atteste
De la témérité de mes barcasses
Les coquilles de noix dont je me sers pour écoper l’eau
De mes poèmes n’ont d’encrier que sec de toute lisière
Au bord de l’eau
Je touche le lointain
L’ailleurs se perche dans le vague
Comme un oiseau dans l’eau
Le flot, au guichet des jetées
Prend l’eau pour argent comptant
Sur le champ, le temps punaisé
Je jette l’eau à la baille
La mer, en eau
En bave
L’écume se mousse du col
Son tirant d’eau au plus haut-fond
Le bref, en coucou dans l’outrance
Fait ses grands airs de ces eaux-là
Avec la même quantité j’équilibre
Le fil de l’eau à son pendant de bris et de mots
Un verbe pour gueuze
Je leste la griserie d’eau lourde
Mes graves affinées à l’extrême et lancées dans le vertige
Ricochent, l’eau à la bouche
Le bec dans l’eau, je bois l’hallali
Pour me maintenir à flot.
39
LOGOS-RALLYE
PHOTO : MATHEO JBT
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
ALAIN CRÉHANGE
Conservateur, savoir, eau,
avant, cardinal. / Cloche,
demi-heure, crâne,
étrangère, chercher
Un conservateur, c’est quelqu’un qui essaie de mettre le
temps sous cloche. Moi, cela ne me concerne pas : tout
mon savoir se limite à la demi-heure qui vient de passer.
C’est la seule terre émergée au milieu de toute l’eau que
j’ai dans le crâne. L’idée qu’il puisse y avoir un avant m’est
complètement étrangère – et j’ai pour règle cardinale de
ne pas chercher à en savoir plus. C’est ce qui fait de moi
un progressiste.
H. Le Tellier, Les amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable.
RAOUL HARRIVOIE
Conservateur, savoir, eau,
avant, cardinal. / Cloche,
demi-heure, crâne,
étrangère, chercher
MUGUÊPIÈRE. Lingerie printanière très glamour de
couleur verte comportant des grappes de petites cloches
très odorantes et sans conservateurs.
« Le 1 er mai, vous le savez peut-être, j’ai le droit de vendre
dans la rue, pendant une demi-heure maximum, les muguêpières
de mes amies volées dans leurs salles d’eaux,
à condition d’installer mon stand à plus de cinquante
mètres des boutiques de lingerie officielles et à condition
de ne pas prendre de photos lors des essayages entre les
camions ou sur les ronds-points. J’emmène mon muguépard
avec moi pour me protéger des coups portés sur le
crâne avec violence par des compagnons jaloux, étrangers
à l’art, qui frappent avant de parler. Le cardinal passe
parfois chercher un cadeau pour un ami. »
41
NICOLAS QUANTIN
Conservateur, savoir, eau,
avant, cardinal. / Cloche,
demi-heure, crâne,
étrangère, chercher
Allez que cent drains
Ô rocs si hauts que de ma geôle j’aperçois
Aux vents trépidants auxquels vous êtes soumis
Vous résistez fiers comme des gars géants
Aux soubresauts de la nature élégiaque
Comme des binturongs aux mots logorrhéiques
Ô clos chiches et moches desquels je merdoie
Cette heure demie heureuse que j’oublie
Certainement me vaincra n’est-ce pas séant
Alors condamné sur l’écran j’ère maniaque
À la recherche de la chère chair magique
Et de concert, vas, torpedo stupide et froid
Sans l’effroi de ceux qui savent, War infinie
Que je ne sais brimer, ô grand Dieu, mécréant
Me battre contre mes moulins à vent, me braque
Au quart, dis, n’allez pas chercher la polémique
ALINE HANSHAW
Conservateur, savoir, eau,
avant, cardinal. / Cloche,
demi-heure, crâne,
étrangère, chercher
La cloche sonnait la demi-heure, mon crâne résonnait,
étranger à ce tumulte intérieur, je cherchais son
prénom. J’étais conservateur pourtant, j’aurais dû le
savoir. Je passais de l’eau sur mon visage avant mon
rendez-vous, Claudia Cardinale, OUF !
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
ÉRIC RABBIN
Conservateur, savoir, eau,
avant, cardinal. / Cloche,
demi-heure, crâne,
étrangère, chercher
J’avais beau savoir que le conservateur se trouvait depuis
une demi-heure dans l’aile des crânes de Néandertal
sous cloches, je continuais quand même à jeter de l’eau
de vaisselle sur le portrait du Cardinal de Richelieu avant
qu’un des gardiens ne commence à me chercher.
Il est évident que ma haine des religieux n’était pas étrangère
à mes tentatives criminelles sur les toiles de ce musée,
elle me poussait même à ce sacrilège, mais je n’en
pouvais plus, dès que je croisais un cardinal, je voyais
rouge !
LAURENT VERNAISON
Conservateur, savoir, eau,
avant, cardinal. / Cloche,
demi-heure, crâne,
étrangère, chercher
Je suis très conservateur des traditions familiales. C’est
pourquoi, comme Mère, j’ai toujours une cloche de service
pour sonner le personnel. C’est assez pratique. Au lieu de
hurler une demi-heure pour appeler la bonne dont on ne
sait trop ce qu’elle a dans le crâne, je tintinabulle... «ding
ding» et elle rapplique avec mon verre d’eau sur un plateau.
C’est une étrangère. J’ai dû me séparer de celle que
j’avais avant, elle cherchait par tous les moyens à séduire
mon cousin le cardinal. À moins que ce ne soit l’inverse...
Les traditions, toujours les traditions...
43
YVES LECOINTRE
Conservateur, savoir, eau,
avant, cardinal.
Le marquis d’Eu fut le premier conservateur du
musée des additifs alimentaires. Son savoir dans
les eaux et les œufs et des œufs dans l’eau qu’il mit
en avant en fit une référence dans son domaine,
sans omettre ses connaissances dans les colorants
lui valant dans le milieu le surnom tant convoité
de cardinal.
IVAN LEPRÊTRE
Conservateur, savoir, eau,
avant, cardinal.
Expérience amusante
01 - Choisissez un cardinal (sans conservateur et pas
trop mur)
02 - Installez-le dans un riche lieu
03 - Patientez trois jours avant de le sortir du carton
d’emballage sans le froisser (il est particulièrement
susceptible)
04 - Trempez-le dans l’huile
05 - Trempez-le dans l’eau
06 - Allez déjeuner avec le carton d’emballage
07 - Au retour, vous aurez un escargot tout chauve* !
À bientôt pour un nouveau partage du savoir.
*quand j’étais petit (et même encore maintenant), je
préférais que l’escargot soit tout chauve, c’est bien
plus rigolo !
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
PHOTO : JEREMY BISHOP
45
DOMINIQUE GAY
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
47
DOMINIQUE GAY
ANNECY
ANNECY
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
CORSE
CORSE
49
DOMINIQUE GAY
ANNECY
VIETNAM
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
ANNECY
CASSIS
51
DOMINIQUE GAY
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
53
DO SÉ
LES BEAUTÉS
INSAISISSABLES
Le soleil sur les flots bleuets
Miroir d’écailles de lumière
Des étoiles dans le reflet
Des éclats argentés d’éclair
Une nuit sur les flots bleuets
Dans l’obscurité de la mer
La rutilance d’un portrait
Dans le noir, un éclat lunaire
Ce sont des beautés sans filet
Jour ou nuit sur nos univers
Bonheur ne s’en remplit qu’à quai
Par l’œil avisé de l’expert
Pêcher ces perles par des jets
De nos doigts, flotteurs de bannière
Des rondes sur l’eau, ricochets
Le vide dans notre cloyère
Ce sont des beautés sans filet
Leur bonheur ne se saisit guère
Bonheur dans nos yeux à jamais
D’un instant de grâce éphémère
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
L’EAU
Où est cet ange aquifère ?
Ce nuage d’angelot
Dans le ciel de Lucifer
Au-dessus du brasero
Où est l’or venu des mers ?
Ce nuage de cristaux
Qui trop lourds dans l’atmosphère
Arrosent de minéraux
Pluie, descends ! Une prière !
Sur les crevasses d’un dos
Aux pelotes de poussière
Tombe l’avalanche d’eau
Mais l’eau bave sur la terre
La terre vomit tous les flots
Où sont les haies bocagères ?
Les gorges de végétaux ?
L’eau est un butin de guerre
Dans une «retenue d’eau»
L’envahisseur, un désert
Livre son dernier assaut
55
OLIVIER ISSAURAT
PHOTO : MAXIME DORÉ
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
LE FRANCHISSEMENT
Le murmure d’une multitude d’écoulements
Une course folle au milieu de la prairie
L’eau qui ruisselle dans l’herbe humide
La terre détrempée
Un faux pas, glissade, déséquilibre
Vautré dans l’eau gelée
Les cimes enneigées
Le vent froid qui dévale
Retour au campement
Ôter les habits alourdis
Le corps qui tremble
Rentrer dans le duvet
Un corps nu, un autre corps nu
Se serrer, se réchauffer au plus vite
Ressortir pour remplir une gourde
Faire bouillir et pourtant
Le liquide est à peine brûlant
Un sachet de thé, le gaz chantant
La lumière bleue sous l’auvent
Quelques gâteaux secs
Deux corps nus à nouveau
Qui se serrent et se serrent encore
Et l’eau qui ruisselle
Le soleil inonde enfin la vallée
57
OLIVIER ISSAURAT
MARCHER EST TOUT
CE QU’IL LEUR RESTE
Le fleuve épais, obscur, s’écoule pesamment.
Si regard perçant, l’on plonge attentivement,
On y distingue une armée de spectres maudits.
Ils avancent lentement, leurs pas alourdis,
Enlisés dans la vase d’une étoffe moirée.
Ils remontent ainsi au pont de l’Archevêché
Qui enjambe la Seine pour l’Île de la Cité.
Les terrassiers ont creusé des marches pavées.
Les spectres sans morale, remontant des abysses,
Se répandent en villes parmi les fleurs de lys.
Cherchant des édifices élancés et pieux,
Ils essaient comme ils peuvent d’atteindre tous les cieux.
Avec les grands anciens, émergeant du sommeil,
Déchirant les nuages pour manger le soleil,
Les spectres font grincer les portails de l’enfer,
Se couchent sur le Porphyre, en chutant de l’éther.
Ils prient de mauvais dieux sensibles à leurs plaintes,
Chapelets de tristesse, qui leurs cœurs noirs, éreinte.
Si divinité fut, elle détourne les yeux
Et s’en va ripailler en d’autres sombres lieux.
Les spectres désolés s’en retournent alors,
Ils rampent dans la terre nauséabonde encore,
Qui n’accouchera que d’horribles silures.
Les figures spectrales rêvent pourtant d’un futur :
Elles rêvent, sans autre fin, qu’on trouve les clefs, un soir
Jetées de par les rampes, celles du Pont des Arts
Celle-là qui scellait une promesse d’amour
Et déferrons le lien mortel de leurs atours.
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
APRÈS LUI LE DÉLUGE
Mes souvenirs ne sont pas très
clairs en ce qui concerne cette
période. D’abord parce que
je n’étais qu’un bonhomme
tout juste au sortir de la petite
enfance, ensuite parce que les
adultes ont une façon bien à
eux de raconter l’irracontable.
Je sais qu’on empruntait la
voie qui passait par la moyenne
corniche et qu’on filait avec la
Dauphine à bonne allure dans
la descente impressionnante
qui revient sur Nice. A cette
époque, la route portait encore
le nom de nationale 7. Nous
avions passé l’après-midi chez
des amis. Du moins ce que le
copain de mes parents, devenu
entre-temps beau-frère
de mon père, appelait ainsi. Il
s’était acoquiné avec un Corse,
appelons-le Filipetti histoire de
ne pas surcharger ce récit de « le
Corse » à tout bout de champ.
Le repas avait été ennuyeux
car il n’y avait pas d’autre enfant
pour venir meubler les
discussions interminables des
adultes. Je n’avais pas noté
l’animosité qui avait plombé
l’atmosphère à l’heure du digestif.
Une histoire de ligne du
parti, communiste à n’en pas
douter puisqu’autour de moi,
il n’y avait que ça. J’ai même,
une fois et contre l’avis de ma
mère, assisté à une réunion de
cellule avec mon grand-père.
Réunion de cellule, cette appellation
revêt encore pour moi le
caractère d’une aventure sans
pareille. On avait désobéi à l’injonction
maternelle et il n’en
fallait rien dire. Dans une pièce
aussi enfumée que le Londres
du 19ième siècle lorsque le
smog s’abattait d’un coup sur
la ville, j’écoutais les secrets
qui se racontaient. J’imaginais
un projet terroriste à coup de
bombe toute ronde de laquelle
sortait une longue mèche. Je
voyais la politique par les yeux
des héros de bandes dessinées,
essayez de n’en pas trop vouloir
à l’enfant que j’étais. Mais
revenons à Nice et laissons la
proche banlieue dionysienne
en paix. Donc, dans cette Dauphine
aussi enfumée que la réunion
de cellule sus-citée, nous
descendions à tombeau ouvert
en direction de Nice. Mon père
s’énervait tout seul à son volant
et ma mère écoutait distraitement
ce discours politique destiné
à un enfant et une épouse.
Pour elle, il ne faisait aucun
doute que le Filipetti était un
crétin notoire et qu’il était inutile
d’user sa salive pour en résumer
la pensée. Si pensée il y
avait, ce qui n’était pas certain
au demeurant. Les arrivistes
de tous poils ont cette aptitude
à dénaturer la pensée des
autres pour la rendre simpliste.
Il s’adresse au peuple comme
à des demeurés en pensant
qu’une argumentation trop
sophistiquée risquerait de les
faire voter chez le voisin. Mais
laissons cela et occupons-nous
de la route qui défile avec vue
sur la Méditerranée. D’un coup,
le ciel s’est assombri et a mangé
la lumière pour jeter la nuit en
pleine après-midi. De grosses
gouttes avaient commencé à
parsemer le pare-brise d’éclats
humides cerclés de poussière.
Mon père s’amusa de l’orage
qui menaçait, nous aussi. Mais
deux évènements allaient
bousculer nos certitudes en
l’avenir. Je passe sous silence la
qualité des essuie-glaces mono
vitesse de la Dauphine qui n’essuyaient
guère plus que le papier
journal. Soudainement, les
grosses gouttes se changèrent
59
OLIVIER ISSAURAT
en un déluge apocalyptique,
on aurait dit que le Bon Dieu
faisait son ménage et déversait
de gigantesques bassines sur
la région. L’asphalte se transforma
en torrent, torrent sur lequel
roulaient des embarcations en
déroute. Un concert de klaxons
replaçait dans le droit chemin
ceux qui pensaient que les
autres avaient disparu comme
par enchantement puisqu’on
n’y voyait pas à vingt mètres.
Mon père avait oublié le Filipetti,
le beau-frère et tout ce qui allait
avec pour se concentrer sur
le tableau de bord et la jauge
à essence. Celle-ci indiquait le
zéro avec un aplomb proche de
l’impertinence. Mon père tapota
le tableau de bord sous le regard
circonspect de ma mère.
Elle avait devancé l’indicateur
de quelques minutes car le
moteur avait annoncé sa mise
au repos sous peu par quelques
soubresauts bien sentis. Nous
étions donc en perdition sur un
océan déchaîné lorsqu’apparut
dans le lointain, une trentaine
de mètres pour tout dire, une
pancarte Esso. Ce n’est qu’une
fois le nez pratiquement dessus
que nous reconnûmes
cette balise pour automobilistes
malavisés. Il faut vous dire
qu’une panne d’électricité avait
plongé tout le secteur dans
l’obscurantisme moyenâgeux.
La fée électricité avait déserté
l’endroit pour aller se faire voir
ailleurs. Heureusement nous
étions dans le sens de la descente,
car le moteur, qui nous
avait prévenu encore une fois
de sa fin prochaine, rendit son
tablier. En roue libre nous abordâmes
ce lieu plein d’espoir et
d’essence. Un homme courageux
affronta la tempête pour
nous rejoindre. « En panne
sèche par ce temps, vous avez
le sens de l’à propos ! » s’amusa
notre pompiste. « Heureusement,
nous avons encore le
moteur débrayable ! » J’écoutais
ces informations, intrigué
par ce moteur débrayable imaginant
je ne sais quelle course
magique de pompe à essence
déboulant à tout berzingue
sur le circuit des 24 heures du
Mans. Mais l’homme revint
avec un long manche de bois
qu’il leva bien haut. « Voilà ce
qui va redonner de l’élan à votre
véhicule ! » s’écria-t-il sous une
pluie qui persistait à être torrentielle
malgré l’avis éclairé de
mon père. « Ça ne va pas durer,
c’est aussi soudain que ce sera
court ! » Ma mère avait observé
mon père d’un air songeur. En
y repensant maintenant, je me
demande si l’air en question
n’était pas plutôt teinté d’ironie.
Mais revenons à l’homme
et son balai magique qui allait
porter notre voiture dans
les airs à la façon des sorcières
d’antan. Il planta son bout de
bois dans un logement prévu à
cet effet et le voici qui actionna
la pompe à grands coups de va
et vient remplissant le réservoir
par giclées d’essence successives.
Je fus impressionné par
la modernité de cette installation
qu’on pouvait faire fonctionner
par un moteur ou bien
à bras comme la charrette de
pépé et mémé. Cette modernité
a disparu en même temps
que mon enfance. Cependant
il me restera toujours en mémoire
une aventure aux odeurs
électriques, mais tombées du
ciel et cet homme providentiel
affichant un grand sourire,
capable d’affronter à lui seul
la colère des dieux, armé d’un
unique manche à balai.
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
PHOTO : GATIS MARCINKEVICS
61
KARINE SAUTEL
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
63
KARINE SAUTEL
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
65
KARINE SAUTEL
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
67
KARINE SAUTEL
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
69
KARINE SAUTEL
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
71
JEAN-MARC COUVÉ
FAVELA ?
Favela de la hOnte
Il manque beaucoup d’eau
Prends garde : la mer mOnte
Émoussant nOs couteaux
[nOs coûts tÔt ?]
Pêche en mangrove
érythréenne
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
Fissure
en Arctique
Des glaci-ers la fonte
Est tracée au cordeau
Attention ce qui compte 1
Échappe à tout rObOt !
1. Citation-clin d’œil pour Fabrice Nicolino (voir son Ce qui compte vraiment)
73
JEAN-MARC COUVÉ
– « Je n’ai plus un réal 2
à me mettre sous dent. »
Ô Brésil, Ô Soudan :
[Os soudant?]
Pluies acides
– symboles ?
La misère est banale
[Misère – ah, tombe anale !]
Mais si, Signor, souvent
« internati-Onale ».
Jean-Marc Couvé (17/05/2021)
2. Monnaie du Brésil
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
Bocaux code “eau” Dolto fog ou fuego oh, ho Iô Jojo koko lolo mômo none oh poco
coraux rose ô saute haut Toto toute eau vaut vos woks eaux exos boxe eau yoyo Zoo !
Ça, l’eau, ah, l’eau qui coul’
de source… sûre, en jets, jaillit, beau glissando...
L’eau, telle, en lots ses parts-z-obsède, ou remords scelle
Cello fane ; eau… l’eau douce ou l’os soûlo’ salé
Héros sans Palais Ainsi font fontaine
75
JEAN-MARC COUVÉ
L’eau pour les culs bénis ; bénite - aube hennit tôt :
l’ogre italien / l’eau qui sang fut, l’eau qui s’immisce
l’eau serpentine ; invasive eau, l’eau purifiant,
l’eau pour l’histoire, accroupie peau, âcre houppe – ton
eau, Danaïdes,
tonneau tonnant, très oppressant
en rade ; eau, dote, avant d’appareiller pour quel
El D’Eau-Radeau ?
L’entrave
à l’entr’ rêve
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
Temps insigne,
au-dessus
de la mer...
Ton eau déviant vers quelle embouchure où l’eau part, vagues levées, par
monts et vaux, l’eau sinue et remplit les seaux recto verso rend vermisseaux bêtas
d’œufs… d’eau ! Plus beaux, plus gros, tout gorgés d’eau, de fac’, j’eus dos ?
Ah, l’eau, à flots, de rut en rus, en ruisseaux, en rit !… vit… hère
- ô fleuve : Homère ; eau de la mer, homme on berce haut !
Eau secourant ou noyant taux, eau de vie d’ange ou haut-dégoût
eau hissée haut ou eau d’ bas ceinte, eau minérale ou eau dure, eau
douce à la peau, ou plus calcaire ; eau d’Oc, gas-Oil : paradoxale !
Haut du seau d’eau, bas dû, bath – eau ?
Homonyme « eau », mot, faux phono, eaux maux gras faux
Orthographions le « e » dans l’« o », et l’eau, mollo du tremolo,
l’eau qui perle ou, à gros bouillons, bout - toute eau bout puis sève a pores…
L’eau de la vie eauriginelle, eau pour la soif, hello : deux pluies !
77
JEAN-MARC COUVÉ
Oui, en perdant les eaux l’on gagne occasion de donner en-vie
de naître au beau, aube, au milieu de têt’s pleines d’eau,
Edo, et d’os ou d’aulx pis d’ Hopis - hop, pipeau !
et piano. Ode au dodo !
Poisson
au corps d’eau
Que d’eaux, queue dos, ça daube, ado !
Un ver bande haut, qui rime en « do »
ou en fado - fade eau ?
- Pas faux… Tirons rid’
eau !
Jean-Marc Couvé (25/05/2021)
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
L’EAU FRÉMIT...
TOUT AU BOUT !
(à l’offre, à la demande ; au gué – ris, erre, Eau)
L’eau, c’est l’O, sous cello, cellophane
Eau sous scellés, eau qu’on profane et qui se fane
– os sous soûle eau...
L’épié dans l’au[-delà] Anneaux disent : huis tends !
79
JEAN-MARC COUVÉ
L’eau, c’est le sel, aile ocellée,
celle – ô véloce – en base, en haut,
tôt, qui se lève, love en l’alcôve, ou sourd des peaux
C’est l’eau, beau lot : son plein s’égoutte ;
sont-ce nos mots : agua, aqua, water, Wasser…
qui donnent à la perméable eau du roseau tel air ployable
au verbe en eau, au vers bonne, eau, au vert-Bonnard
tout le lexique à toute lyre en tous délires, histoire d’O ?
L’eau, que l’on longe, où l’on s’allonge,
eau fraîche et pure, eau de vaisselle au ciel nuage,
eau de passage, eau tout en haut, hôte où tant nages !
Esquisse d’un débarquement
La jetée, au loin...
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
Neverland & cow
L’eau, badour, Ode où Ronsard rode, où tout s’érode
eau d’un Bosphore, eau de la Seine (assez peu saine)
eau de vitale élan : étanche et soif de fluide
et faim d’osmose, en ce cosmos où l’eau glaciale
eau d’icebergs, irrigue encore, hors tout barrage,
un beau corps d’eau, au cordeau pâle
corde sensible, aspirant corps de la belle Ursula
Andress sortant de l’eau / Vénus moderne /
Botticelli sur grand écran / ô pêcheuse de coquillages
eau, la belle, oh… Bond ensorcelle, et, d’un bond, scelle
en ruisselant tout le mystère autant terrestre
qu’odore di femina céleste
que nul Mythe n’effleure ni déflore :
en gerbe, en cascade, en fontaine –
eau : jouvence !
Eau minérale, homme inné râ le…
eau végétale et animale ; eau jou-is-sance !
81
JEAN-MARC COUVÉ
Eau du puits, eau de pluie, eau du bassin, eau de source,
eau diluvienne, eau de la Vienne ou torrent d’eau
eau de Montagne, eau du Nil, eau du Gange et amaz-eau-nienne
eau qui s’infiltre, eau qu’on retient, eau qui sinue, eau serpentine
eau de mer, ou bien phréatique
d’Adriatique et aquatique : eau en aval, eau de chantier
océan d’eau, l’autre est amont ; frérot, céans, à l’eau trinquons
afin qu’elle, Quelle, nous deaunne encore un peu, toujours longtemps
du grain à moudre à nos moulins… et de l’art osé à nos aubes !
Jean-Marc Couvé (21/06/2021)
Peu t’iras... meurs !
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
AVIS DE PARUTION
Si tu as aimé Dais I, tu ne peux que tout attendre Dais
autres. Après le tome II du daDais, mon cadet, injustement
passé inaperçu pour cause de “crise sanitaire”,
tout comme fut mis au banc Dais III, pourtant entièrement
écrit et illustré de ma main, voici – ô inconscients
éditeurs z’et auteurs !
– Dais IV. Tu y croiseras des uns, connus (Amanda
Gorman, Bernard Noël, Denise Desautels, Labou
Tansi, Nick Mason & Pink Floyd, Soupault, encore et
toujours…), et des moins connus, qui méritent de ne pas
le rester : Daniel, Johan, Jean-Claude. Comme pour les
tomes précédents, s’y trouvent des thèmes que t’aimeras,
j’en suis à peu près sûr, ainsi que des lieux (Anvers,
Paris, le Royaume Uni) vus ou rêvés.
Le port (hélas très élevé, désormais, voire supérieur
au coût de fabrication d’un livre !) est de 4€ pour un
exemplaire. Il reste de 4€ pour l’envoi de deux, manière
de fidéliser les fans de mes œuvrettes. Et, ne reculant
devant aucun sacrifice, en bon commercial [que l’écrivain
se doit d’être, de nos jours si marchandisés], le port
est offert à partir de trois livres commandés.
Soit, pour les amis rétifs au calcul : 15 + 4€ pour 1 livre,
30 + 4€ pour 2, 45€ pour 3 (60€ pour 4, etc.).
Je t’embrasse, avec chaleur, mais en pensée, ce qui rassurera
les ceuss qui n’aiment point les bises, par crainte
des microbes et autres virus !
Jean-Marc Couvé - jeanmarc.couve@gmail.com
* On peut aussi, bien sûr, commander mes derniers livres directement chez les éditeurs (voire sites
de éditinter ou de la revue À L’Index), ou bien à notre nouvelle adresse, si une dédicace est souhaitée.
83
YVES LECOINTRE
PHOTO : JEREMY BISHOP
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
MARRE DE L’EAU
L’assemblée générale du mouvement
anti-précipitations qui
suite au refus du maire de Massy-Palaiseau
s’est tenu dans la
salle polyvalente de Lamballe,
malgré quelques réserves relatives
à l’hygrométrie du lieu,
vient de s’achever dans le
calme.
Avant son ouverture, agissant
avec le soutien bienveillant
des experts d’assurances, des
marchands d’imperméables
et de parapluie, des couvreurszingueurs,
et autres lobbies
hydrophiles ; les organisateurs
durent décoller des grandes
baies vitrées de l‘entrée,
selon leur décompte deux
mille escargots (Cinq mille
selon les manifestants) adhérents
du groupuscule centriste
des adorateurs de rosée, qui
reliés entre eux formaient les
lettres des slogans hostiles aux
participants.
En marge dans le hall, encadrant
l’accès à la salle de
conférence se tenait le village
des mécènes, représentant
un appui financier à cette
organisation promise à un
grand avenir. Pêle-mêle on y
trouva : la filière merguez et chipolatas,
aux marges asséchées
quand les cumulonimbus canadérisent
les barbecues ; puis
le syndicat des crèmes solaires
avec ses services de protection
hiérarchisés, ou encore la délégation
déguisée des parcs
d’attraction en plein air, sans
oublier celle des exploitants de
terrasses découvertes.
Après le mot de bienvenue du
nouveau président international,
le Nippon Ossa Hara, la
professeure Faye Shaw durant
son discours intitulé : « l’effet de
serre, à quoi ça sert ? » présenta
les avantages espérés d’un
climat sec avec la réduction
drastique des pluies.
Les pollueurs et leurs filiales
dépollueuses se délectèrent de
ces chaudes paroles porteuses
de bénéfiques espérances.
Le docteur A. Fané présenta
de nouvelles plantes cactées,
ascètes du robinet, capables
de remplacer les arbres hexagonaux
connus pour leur soif
inextinguible, tout en servant
de clôture vraiment défensive.
On remonta un peu plus tard
avec le Père Maihable au déluge,
mythe de l’accouchement
planétaire, qui emporta les présents,
probables pêcheurs vers
les douloureux et inextricables
abysses originels, mais acheva
sa communication sur les épisodes
du buisson ardent chaleureusement
acclamé tout
comme celui de la traversée du
désert.
Après une pause déjeuner
servie par la boucherie Sanzo,
que beaucoup parmi les plus
engagés, jugèrent trop arrosée,
les travaux reprirent avec
le récit d’un explorateur agronome
Dupicardi, revenant d’un
département inhospitalier : la
Somme, avec ses crues et ses
croyances.
Pour clore ces travaux, les
objectifs pour les années à
venir ont été fixés et les moyens
d’action arrêtés :
Encouragement de la croissance,
la désalinisation systématique
des mers, la mise au
85
YVES LECOINTRE
bûcher des sourciers, arrêt du
nucléaire, arrêt de la production
d’houille blanche, réouverture
des mines de charbon avec
subvention pour les chaudières
correspondantes, interdiction
des panneaux solaires, des éoliennes,
de la laine de verre et
autres isolants, suppression
des transports en commun,
construction de nouvelles autoroutes
dans les forêts restantes
et la diminution sensible
des taxes sur les carburants.
L’assemblée surchauffée vota toutes
ces décisions à l’unanimité.
Avant que les congressistes
ne se séparent, le thème principal
du prochain congrès qui
se tiendra à Salt Lake City a
été dévoilé : achever l’œuvre
des yankees, en éradiquant la
pratique des danses des cordes
exécutées par les sorciers
amérindiens.
LA CRUE DE LA SOMME
Les Picards craignent que
comme en l’an 2000, le créateur
ayant peut-être trop fêté
son anniversaire, abusant de
paradis naturels, de tisane aux
queues de cerises, et en outre
des nectars de ses saints Joseph,
Emilion, Julien, et Esthèphe,
a démontré que si son
gosier était au niveau du sud,
son déversoir était à l’aplomb
d’Amiens. Conséquence : les
cieux tonnent, oh ! Le vin divin
devient eau, enfle les cours,
les bouchons créent les crues,
accroissant le territoire des rainettes
et des colverts nomades,
ennemis héréditaires du local
canardeur américain, qui n’a
que bals, balles et vaches pour
se distraire.
Or, ces férus du plomb, qui n’ont
pas lu, mini hommes au QI véreux
et éteints, fondirent désargentés
au zinc et après avoir
dénigré les bronzés, comme
des Lettons durs, allument un
fourneau, alors Assis et galvanisés
par la gnôle, gobèrent une
explication, limpide comme
l’esprit du bouilleur de cru.
Ainsi, ces malheurs que certains
interprétèrent comme
les signes d’une volonté supérieure,
étaient pour beaucoup
censés servir les futurs jeux
olympiques à Paris, pour que
les épreuves de voile en haute
mer puissent s’y dérouler à
moins de 30 minutes en TGV.
Par ailleurs, un latiniste éminent,
l’abbé Vil corrobora définitivement
cette thèse, en rappelant
la devise de la capitale, signifiant
que même s’il flotte, elle ne sera
jamais immergée. Les exceptions
de 1910 et autres ne faisant
que confirmer cette règle.
63
Après avoir subi l’épreuve du
feu en 1815, 1870, 1914 et 1940,
l’épreuve du vent en 1999, la
Somme devrait subir l’épreuve
de l’eau.
Le gouvernement ne pouvant
pas rester insensible à la détresse,
même si les caméras
supportent mal l’humidité, et si
la lumière est forcément mauvaise,
surtout en hélico, fit appel
à un collège d’universitaires,
pour résoudre ce cas d’école,
dont on lut les mesures maternelles
à prendre, lissées lors du
conseil des ministres :
A. Dépêcher sur place le spécialiste
des nappes de Vichy,
pour tenir à carreau les râleurs.
B. Elire la miss du cru, miss
France et laisser la capitale régionale
participer à la finale de
la coupe nationale de football.
C. Envoyer l’armée qui pour les
pompes a une longue expérience.
D. Demander le truc de l’apprenti
sorcier qui peut avec un
seau tout vider.
E. Et puis, surtout leur laisser
espérer du liquide.
On se tourna vers le ministre
concerné : « De toutes parts
on me harcèle, nous sommes
en caleçon, on doit faire la
manche. Pour indemniser, le
calcul est simple : si l’on ajoute
Total à la Somme, que l’on retranche
les troncs soustraits
des comtés, et que l’on divise
les fractions de la majorité, il
n’y a qu’une solution : doubler
les tiers pour multiplier les produits.
Cela veut dire que je n’ai
pas plus rien à leur avancer», répliqua-t-il
sèchement.
« Alors on va beaucoup promettre,
car on doit s’attendre à
un accueil délicat dans un des
fiefs des chasseurs ; qui veut aller
à Péronne ? Personne ? »
On évita Péronne !
« Alors Monsieur le Président
de la République va devoir
nous départager.» Déclara le
premier ministre.
« D’accord » acquiesça le juge
improvisé, qui demanda à chacun
des participants, d’utiliser
le mot crue de façon spirituelle,
le perdant devant faire le ou la
bête dans la Somme.
Le ministre de la culture commença
:
« La crue ôtée ramènera le bonheur.
»
Le ministre du culte poursuivit :
« Doux Jésus, il croit que la crue
ici fit un sauveur. »
La chargée de l’environnement
succéda :
« La crue dictait à la nature les
limites des champs. »
Le ministre de l’Intérieur enchaîna
: « La crue, elle ment. »
« Si les crues se tassaient très
vite, on pourrait retrouver des
écrevisses dans la cuisine», enchaîna
le ministre de la pêche.
Mais, pour le ministre des affaires
étrangères : «Au Brésil, les
crues : Zéro ».
« L’us tue crue », selon le droit
coutumier, pour le garde des
sceaux, qui pourrait en prêter
en la circonstance.
« La crue, cheu nous, n’amène
pas que de l’eau » glissa le ministre
des transports.
« Une robe, un son, crut Zoé,
mais c’était vendredi déguisé »
clôt le Premier Ministre.
A l’issue du concours, le Président
désigna ce dernier
comme perdant.
Arrivé sur place, il écouta beaucoup,
promit encore plus : « On
est avec vous, on va vous aider,
on va tout arranger. »
La foule bottée écoutait non
sans invectiver sourdement
ce visiteur extra-lacustre, et les
mots crûs montaient de plus
en plus fort, scandées par des
gorges rouillées.
Il était temps de rentrer, on prévoyait
à la radio une ondée.
Somme hors du lit.
(Aurélie Nondé,
Editions fixes eaux)
87
YVES LECOINTRE
PHOTO : RYAN LOUGHLIN
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
QUESTION D’EAU
« Quand un bus tombe à l’eau, est-ce un carnage ? »
« A l’issue du banquet les marchands d’eau qui est
parti avec la nappe ? »
« Vichy : fut-il un régime déviant ? »
« Pour se laver, faut-il dans l’ordre : nous, le savon, de
l’eau ? »
« Quand on doit payer sa note d’eau, perçoit-on
mieux les dangers de la facturation hydraulique ? »
« Comme la Terre est surtout en surface de l’eau et
n’étant pas plate, serait-elle gazeuse ? »
« Placer l’obus dans son canon n’est-ce pas mettre
de l’eau dans son vin ? »
« Les anorexiques voudraient-ils n’avoir que l’impôt
sur les eaux ? »
« Vous paieriez pour boire de l’eau gazeuse vous ? »
« Pourquoi dans les restaurants on ne te fait jamais
goûter l’eau de la carafe ou de la bouteille servie,
sont-ils certains du cru ? »
« Le sous-marinier sobre est-il à sa place sous l’eau ? »
« Une île est-elle un espace clos d’eau ? »
« Quand dans l’eau les raies pètent cela fait-il de la
musique ? »
« A qui faire confiance dans le monde de l’eau ? »
« Dans le paysage fou qu’est l’Auvergne, est-ce que le
château d’eau de Volvic compte ? »
« Les experts d’assurances que ce soit avec les
incendies où les dégâts des eaux sont-ils noyés de
travail ? »
« L’amante à l’eau désespérée rejoint-elle au ciel
l’infirme amant ? »
« La grenouille étudiante se sent elle dans l’amphi
bien ? »
« L’eau pâle est-elle riche en silice ? »
« Le plongeur espion allait-il l’épier dans l’eau ? »
« Les ours sains vivent-ils dans l’eau ? »
« N’ayant plus rien à boire, l’ivrogne désespéré se
met-il à l’eau ? »
« L’abus d’eau la conduit-elle à flotter dans ses
toilettes en Vichy ? »
« La glace crée-t-elle une voie d’eau au vapeur ? »
« Quand on est à sec doit-on se jeter à l’eau ? »
« Avec la sécheresse à Sydney, tombe-t-il à l’eau
ce rallye ? »
« Pourquoi la présence des seiches dans l’eau
continue-t-elle de faire couler autant d’encre ? »
« Un fleuve à sec est-il à court d’eau ? »
« Encore sans eau reste-t-il de l’encre ? »
« Doit-on utiliser de la peinture à l’eau pour l’art
osé ? »
« Si vous buvez et suez trop en général des os, en
ressort-il que c’est un cas d’addiction d’eau ?
« S’il but l’eau, rentra-t-il dans sa coquille ? »
« Avec un peu d’eau gazeuse est-ce que le père
riait ? »
« La bande à Bonnot défendait-elle les eaux
primées ?
TUYAU
Pour sans scie au puits pouvoir couper : prendre
une bouteille de Vittel, un verre d’Évian, deux de
Badoit, un doigt de Vichy, un trait de Contrexéville
puis une bonne dose de Perrier, et avec ces six
eaux c’est facile.
89
THIERRY FAGGIANELLI
PHOTO : JIMMY LARRY
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
LES PARAPLUIES DU BURNIKA
Dans ce Royaume imaginaire,
il ne pleuvait pas. Tout était
sec. Oui, comme du bois mort.
De façon très aléatoire, un
avion-cargo effectuait parfois
une livraison. Peu importe que
cette mission ait été mandatée
par une O.N.G. ou qu’elle ait
été larguée par erreur d’un canadair
qui n’avait pas respecté
son plan de vol, il tombait enfin
quelque chose. Du ciel forcément.
C’était tellement rare
que l’on ne cherchait pas trop
à savoir à qui on devait cette
faveur. D’ailleurs, sur les cartes
des colons qui représentaient
ce pays grand comme un
confetti*, il y avait très peu de
zones vertes ou bleues pour la
jungle ou les cours d’eau. Tout
était ocre, quasi blanc.
En cette période de forte chaleur,
les habitants, se réunissaient
par grappes le long des
rives du « fleuve » Didong. Certains
avaient quitté la brousse
très tôt et avaient marché de
nombreuses heures dans la
poussière pour avoir le privilège
d’être là. C’était le jour anniversaire
du Sacre Impérial du
Grand Badadong Didongué, les
familles des principales ethnies
Kamoulés, Ormonces, Claves,
Druduks, vêtues de pagnes richement
décorés, de crânes
d’animaux et de coques de portables
venaient accueillir le Souverain
Potentat. Elles tâchaient
de toucher sa grande pirogue à
roulettes fétiche qu’une sculpture
géante d’hyène peinte ornementait
à sa proue. Elles profitaient
de cette occasion pour
respirer les particules de flotte
au-dessus de ce qui n’était
plus que l’ombre d’un fleuve.
Munis de l’éventail rituel, elles
tentaient de faire remonter les
gouttelettes pour aspirer leur
fraîcheur suave, d’un geste désinvolte,
plein de dignité.
Bien qu’il aimât beaucoup
se faire attendre, Badadong
Didongué finissait par les honorer
de sa présence, précédé
de ses bagages à main. Il était
débordant de confiance, de sagesse
et de graisse. Après avoir
offert à ses sujets des hochements
de tête millimétrés, il
les saluait ensuite en joignant
les paumes comme il l’avait vu
faire lors d’une réunion d’Amma
dans un clip sur You tube.
Après ces saluts et grâce à un
mécanisme mis au point par
un horloger suisse exilé qui
avait perdu le nord depuis,
la sculpture d’hyène tachetée
sur la poupe de l’embarcation,
commandée en hommage à sa
mère**, se mettait à ricaner de
façon sardonique. Ah-ah-ahah-ah
!
Le public, aussi, il faut le concéder
se marrait. Surtout lorsque
son Excellence quittait son
royal costume et enfilait son
maillot de bain couleur brun,
taché de noir au vu et au su
de tous. A la seule vision des
chairs flaccides, les femmes se
* Un confetti isolé peut sembler manquer d’entrain.
** Les hyénidés sont une des rares organisations animales où les femelles dominent.
91
THIERRY FAGGIANELLI
mettaient alors à se tordre de
rire, du moins celles dont les
lèvres n’étaient pas fendillées.
Certaines, par jeu, se voilaient
la poitrine pour en souligner le
galbe. Si on ne se faisait pas pipi
dessus, c’était encore pour économiser
le liquide.
La pirogue à roulettes s’arrêtait
afin que les cyclistes qui
avec leur pédalier faisaient
tourner la petite roue à aube
puissent reprendre leur souffle.
Le Monarque, sûr de lui et de
l’étanchéité de son costume
nautique, se jetait alors sur la
rive saturée de monde pour
prendre son bain de foule annuel.
Après s’être roulé au
milieu de ses sujets dans la
clameur des tambours et des
calebasses, après avoir batifolé
quelques minutes sur ses
flots humains à la verticale
des fesses, des visages et des
seins des visiteurs, après s’être
essoufflé de quelques brasses
dans la foule étanche, après
avoir fait la planche sur de robustes
partisans, il finissait par
se lasser, le distingué bougre.
Là, quelques robustes gardes
du corps venaient le tirer des
griffes d’enfants affamés qui
commençaient gentiment à le
mordre. Ils le ramenaient daredare
dans sa nef par l’élastique
de son shorty. Comme la foule
énervée par ce spectacle grondait,
les cyclistes, à qui l’on avait
promis une double ration de
flotte et de ragondin, se mettaient
en branle et l’éloignaient
dare-dare du danger. Chaque
année, on échappait à un massacre
et les traditions étaient
respectées.
Sinon, les habitants étaient assez
urbains. Il arrivait même
qu’ils se soufflent dessus en
file indienne pour s’éventer les
uns les autres. Mais au Burnika,
la file ne reste pas longtemps
indienne. Elle s’africanise. Ca
se mettait à fourmiller en tous
sens de façon atomique, pour
tenir éveillé Dieu au cas peu
probable où il les observerait au
microscope.
Cette pratique avait le mérite
d’occuper et de rafraîchir.
Quand on manque de tout,
un savoir-vivre ensemble est
une richesse renouvelable. À
Donguéville, certains n’avaient
même jamais connu « l’aqua
sin gaz ». On ne souvenait pas
de ce que c’était. Alors oui, il y
avait bien eu le concept d’eau,
la sensation d’eau, des histoires
sur l’eau. Mais les puits restaient
taris comme les mamelles
pointues des vieilles allaitantes.
Ce qui explique qu’ici les bébés
avaient la voix rauque.
Petit ou grand, chacun finissait
par palabrer à voix basse, ce qui
allait à l’encontre des traditions,
cela va sans dire - tout bas, bien
sûr -.
Les crocodiles du cru avaient
l’allure de grands lézards. Ils
rampaient à défaut de nager. A
leur voracité - crainte par tous
les opposants du régime - avait
succédé une apathie vicelarde.
Quand un vieux mâle partait,
dégoutté, épuisé, asséché
comme un vieux cuir, le troufignon
plissé comme un accordéon,
on disait qu’il gagnait
l’ « Eau-delà ». L’au-delà de
quoi, personne ne s’en souciait.
63
Depuis quelques temps, il se
disait qu’une usine israélienne
avait mis au point la fabrication
d’eau synthétique. C’était une
substance hydraulique pulvérisée
que l’on pouvait mélanger
à de la farine, des larmes,
voir à de l’urine. Ce « liquide »
ne coulait pas vraiment, ne se
renversait pas, ne vous arrosait
pas. Il ne désaltérait pas
non plus. Il restait semi solide.
C’était inscrit en hébreu sur la
bouteille. On ne pouvait même
pas prétendre que ça mouillait.
Si c’était de l’eau, elle n’était pas
bonne, à peine potable. Vous
pouviez garder une goutte de
ce truc sur la langue toute la
journée, la faire rouler le long de
votre palais, la mâcher comme
du bétel. Elle avait un goût métallique.
L’H2O officielle était depuis
longtemps privatisée. Réservée
aux visiteurs et à l’élite du pays,
cela va sans dire, même dans
la tradition orale. De gros trust
liquides Neslo, Glouglou, Vitalia
avaient purement détourné les
cours et les faisaient transiter
par pipeline dans les pays industriels
pour que des spéculateurs
apaisent leur angoisse de
profits faméliques. L’eau n’était
plus une ressource « naturelle ».
Lorsqu’on chasse le naturel,
il revient au galop, lui. Pas la
flotte. C’était devenu un bien,
un consommable comme les
autres. Ceux qui l’exploitaient
pouvaient la boire et la vendre
en bouteille, en douche ou en
toilette, voir en bain de pieds.
Subséquemment, chaque
goutte qui restait était numérotée.
Ou presque. Ce qui
n’empêchait pa que les nappes
phréatiques soient surveillées
comme des banques et que
l’argent liquide n’ait plus cours.
Dans les écoles et les ministères,
on avait aussi fini par enlever
le O de l’alphabet pour
éviter de faire saliver le peuple
inutilement.
Ce qui provoquait des effets
rigolos en cascade : on allait
voir le « dacteur », on mangeait
du « maniac », on ne poussait
plus d’onomatopées mais des
cris. On ne se déplaçait qu’en
« vélu » ou en car. L’imaginaire
collectif s’appauvrissait, le
champ lexical s’asséchait aussi.
Mais les populations restaient
confiantes. De temps à autre,
entre deux réjouissances, les villageois
s’extirpaient de l’ombre
noire et s’agglutinaient par dizaines
sous les pistes écrasées
d’un soleil omnipotent.
Là, ils se répandaient en
grappes de couleurs joyeuses
répandant les arcs-en-ciel de
leurs magnifiques parapluies,
les ouvrant et les fermant au
rythme des tambours, irradiant
les caméras des drones qui les
filmaient 24 heures sur 24 de
milliers de fragments humains
scintillants, de regards mouillés
et de sourires de nacre que l’on
diffusait en boucle en Europe,
en hiver, aux interludes.
THIERRY FAGGIANELLI
Juillet 2021.
93
63
LABORATOIRE DE RECHERCHES CRÉATIVES
3 e TRIMESTRE 2021 - EAU