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J'attends le numéro 64

Laboratoire de recherches créatives

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THIERRY

FAGGIANELLI

LD

RC

BRÈVE DE TROTTOIR

Il était une fois trois balayeurs : Martial, Monsieur

Hocine et Aminata. Leur métier consiste à embellir

nos paysages, à les débarrasser du surplus

organique et végétal de la rue. Leur job: racler

l’écume des nuits, procéder à la mise

à jour des trottoirs. Nous sommes aux

portes de l’automne. Les feuilles des arbres

tombent en escadrille. Elles marquent leur

désapprobation avant l’arrivée du froid

imminente. Surtout après un été si peu glamour.

Ils appartiennent à la Brigade des Feuilles de

la Grande Ceinture. Ils se retrouvent là, chaque

matin sur ce morceau de bitume prisé des

connaisseurs.

Le large trottoir est bordé de jolis arbres,

d’érables, de cerisiers du Japon et même d’un

ou deux platanes. Tout autour, des demeures

à la fois élégantes et discrètes, de style et d’architecture

différents. Les populations non plus

n’ont rien d’homogène. Et alors. On peut trouver

toutes sortes de gens qui y vivent en bonne entente,

quitte à déjouer les pronostics populistes.

Aminata fait passer le thermos de café chaud à

monsieur Hocine qui décline. Il n’aime pas l’eau

chaude. Martial lui enlève des mains et boit pour

se réchauffer et se donner du courage. Il le rend

à Amin’. Sourires.

Ils échangent des banalités sur la famille, le

temps, la négligence des riverains. Il y a des

années, monsieur Hocine rappelle qu’il a trouvé

au pied d’un immeuble une baignoire émaillée

ancienne avec des robinets en or massif au

milieu des gravats. Un enfant de Neuilly dormait

encore à l’intérieur. On raconte que c’était un des

fils naturels de Monsieur Sarkozy. Du buzz, oui.

Chacun des trois est content d’être là. La rue est

cruelle mais généreuse. On y trouve des trésors.

Dans certaines bennes, camouflé sous la répugnante

ordure, c’est connu, il y a l’or.

Chaque rue porte, gravée dans le bitume, une

part de l’histoire des hommes, de leur chevauchée

vers le chaos. Organisé et propre, bien sûr le

chaos. Le portable d’Aminata sonne. Elle avertit

ses comparses que leur chef d’équipe ne serait

là qu’en fin de matinée. Ils n’ont pas à se presser.

Là, ils décident, je ne sais plus qui en a l’idée, de

raconter chacun une histoire.

Martial hésite à se lancer. Il a bien eu vent d’un

récit. Il ne peut garantir qu’il est vrai. Il le tient de

son cousin qui fait le planton devant un commissariat

du quartier. Celui-ci lui a lâché d’une voix

monocorde au cours d’un dîner arrosé :

« Il devait être minuit, dans la guérite, j’avais

du mal à rester éveillé. Un individu caucasien,

bien habillé s’est présenté à moi pour faire une

déposition. Il portait un chien de race… canine

dans les bras. » Un type affolé et nerveux qu’il a

placé d’emblée au rang des victimes, précise-t-il

à Martial en connaisseur. « Le gars voulait nous signaler

un phénomène assez curieux qui était advenu.

Il allait faire ses besoins à son chien comme

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