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THIERRY
FAGGIANELLI
LD
RC
BRÈVE DE TROTTOIR
Il était une fois trois balayeurs : Martial, Monsieur
Hocine et Aminata. Leur métier consiste à embellir
nos paysages, à les débarrasser du surplus
organique et végétal de la rue. Leur job: racler
l’écume des nuits, procéder à la mise
à jour des trottoirs. Nous sommes aux
portes de l’automne. Les feuilles des arbres
tombent en escadrille. Elles marquent leur
désapprobation avant l’arrivée du froid
imminente. Surtout après un été si peu glamour.
Ils appartiennent à la Brigade des Feuilles de
la Grande Ceinture. Ils se retrouvent là, chaque
matin sur ce morceau de bitume prisé des
connaisseurs.
Le large trottoir est bordé de jolis arbres,
d’érables, de cerisiers du Japon et même d’un
ou deux platanes. Tout autour, des demeures
à la fois élégantes et discrètes, de style et d’architecture
différents. Les populations non plus
n’ont rien d’homogène. Et alors. On peut trouver
toutes sortes de gens qui y vivent en bonne entente,
quitte à déjouer les pronostics populistes.
Aminata fait passer le thermos de café chaud à
monsieur Hocine qui décline. Il n’aime pas l’eau
chaude. Martial lui enlève des mains et boit pour
se réchauffer et se donner du courage. Il le rend
à Amin’. Sourires.
Ils échangent des banalités sur la famille, le
temps, la négligence des riverains. Il y a des
années, monsieur Hocine rappelle qu’il a trouvé
au pied d’un immeuble une baignoire émaillée
ancienne avec des robinets en or massif au
milieu des gravats. Un enfant de Neuilly dormait
encore à l’intérieur. On raconte que c’était un des
fils naturels de Monsieur Sarkozy. Du buzz, oui.
Chacun des trois est content d’être là. La rue est
cruelle mais généreuse. On y trouve des trésors.
Dans certaines bennes, camouflé sous la répugnante
ordure, c’est connu, il y a l’or.
Chaque rue porte, gravée dans le bitume, une
part de l’histoire des hommes, de leur chevauchée
vers le chaos. Organisé et propre, bien sûr le
chaos. Le portable d’Aminata sonne. Elle avertit
ses comparses que leur chef d’équipe ne serait
là qu’en fin de matinée. Ils n’ont pas à se presser.
Là, ils décident, je ne sais plus qui en a l’idée, de
raconter chacun une histoire.
Martial hésite à se lancer. Il a bien eu vent d’un
récit. Il ne peut garantir qu’il est vrai. Il le tient de
son cousin qui fait le planton devant un commissariat
du quartier. Celui-ci lui a lâché d’une voix
monocorde au cours d’un dîner arrosé :
« Il devait être minuit, dans la guérite, j’avais
du mal à rester éveillé. Un individu caucasien,
bien habillé s’est présenté à moi pour faire une
déposition. Il portait un chien de race… canine
dans les bras. » Un type affolé et nerveux qu’il a
placé d’emblée au rang des victimes, précise-t-il
à Martial en connaisseur. « Le gars voulait nous signaler
un phénomène assez curieux qui était advenu.
Il allait faire ses besoins à son chien comme
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