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J'attends le numéro 67

Laboratoire de recherches créatives

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J’ATTENDS LE NUMÉRO

SOIXANTE-SEPT

L’AMI GAGARINE !

Mon héros, prophète d’une société du futur où l’harmonie des peuples rimerait avec

liberté ché-é-rie. Avec ta tenue de cosmonaute marquée du marteau et de la faucille forgeant le

sigle CCCP t’as l’air d’un livreur de pizzas à Tchernobyl. Pauvre de moi qui associais les comptes

chèques postaux et l’unité de l’armée rouge défilant au rythme émerveillé des chars et des

lance-missiles. Missiles que je craignais autant que les suppositoires et le médecin en blouse

blanche qui allait avec. Pourtant, cher ami - je peux t’appeler cher ami, n’est-ce pas ? Depuis le

temps ! - tu fus ma première déconvenue. Admiratif de ton exploit autant que de l’éclat dans les

yeux de mon grand-père à ton évocation, j’optai, le jour de Noël, pour la panoplie de cosmonaute.

Plutôt celle de la NASA car on ne trouvait guère du CCCP à portée de porte-monnaie. Ah qu’elle

était belle, non pas ma vallée, mais ma tenue. Avec son tuyau en forme de tuyau et son casque

en forme de boîte à chapeaux. Beaucoup de blancheur et un peu de rouge, comme la croix des

Suisses. Tenue humaine, trop humaine. Est-ce que ce fut de me mirer dans la glace du salon, rue

Gabriel Péri ? Ou bien d’imaginer les camarades, pas ceux de la cellule du parti, mais les zozos

de la cité d’Ormesson ? Première trahison du social traître que j’allais devenir. Passer du mont

Valérien au futur académicien réactionnaire, le saut n’est pas mince. Un saut lunaire du futur, premier

pas pour l’homme, grand trépas pour l’humanité. En tous les cas, lorsque ma mère s’étonna

que je ne veuille pas sortir dehors retrouver mes potos avec ma tenue de boîte de conserve, je

pris conscience du décalage. Un hiatus entre imaginaire et réalité, aurait dit Lacan dans son langage

abscons et pas loin d’être hermétique. Comme le garage du même nom, que je rencontrerai

plus tard, adolescent boutonneux aux idées presque aussi larges que le canal du midi. Pour faire

court, même si c’est un peu trop tard, je découvris les impasses de la propagande et la perfidie

du discours mais sans la méthode. Au final, l’ami Gagarine, je te dois mon premier dépucelage de

l’esprit, l’autre viendra beaucoup plus tard et sera bien plus douloureux. Je devrais à ce dernier

une entrée dans le monde du réel qui ressemble plus à un coup de pied dans un montant de lit,

qu’à une joie du désir assouvi. Finalement, les filles sont plus enclines à nous projeter dans la

réalité du monde comme il va !

...

A force de regarder la lune, on finit par oublier de regarder là où on met les pieds.

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