Être rabbin : une profession ? Un sacerdoce - Tribu 12
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NOTRE PHILOSOPHE S’AVOUE TOUTEFOIS FASCINÉ<br />
PAR L’INDOCILITÉ DES JUIFS À TRAVERS L’HISTOIRE. Ce<br />
peuple a su se révolter contre bien des totalitarismes et<br />
s’affranchir du joug de l’esclavage égyptien. Dans Aurore, il<br />
écrit : « les Juifs, en dépit de leur soumission abjecte à Dieu,<br />
ont toujours manifesté <strong>une</strong> velléité d’indépendance ». Si<br />
notre philosophe avait davantage connu la tradition <strong>rabbin</strong>ique,<br />
il aurait découvert que l’insoumission d’Israël s’applique<br />
même (pour ne pas dire « surtout ») à l’encontre de<br />
Dieu. Dans le récit biblique, Abraham ou Moïse ne cessent<br />
de s’opposer aux desseins divins. Par exemple, quand Dieu<br />
annonce au patriarche la destruction de Sodome, Abraham<br />
s’oppose fermement à la décision céleste. Le Créateur ne<br />
reproche à aucun moment son audace au patriarche.<br />
La négociation est introduite par<br />
l’expression « Abraham se tint debout<br />
(omed) devant Dieu » (Genèse<br />
18, 22). Cette posture a toute<br />
son importance : le <strong>rabbin</strong><br />
Léon Askénazi (1922-1996,<br />
intellectuel français, surnommé<br />
« Manitou ») aimait<br />
à rappeler que si<br />
les Musulmans prient<br />
en se prosternant<br />
complètement face<br />
contre sol (en signe<br />
de soumission totale<br />
à Dieu) et si<br />
les Chrétiens s’agenouillent,<br />
le Juif,<br />
quant à lui, prie debout<br />
(d’où le nom<br />
de amida, « position<br />
debout », donné à la<br />
principale prière juive).<br />
Prier debout, c’est refuser<br />
d’être écrasé par<br />
l’omniprésence de Dieu,<br />
c’est s’affirmer comme sujet.<br />
Il faut ici remarquer qu’en<br />
hébreu le mot « se tenir debout »<br />
(omed) est l’anagramme du mot<br />
« pourquoi ? » (madoua) : se tenir debout,<br />
c’est oser questionner, demander des comptes...<br />
même au Créateur. Le judaïsme proclame la toutepuissance<br />
divine, mais en même temps, il accorde<br />
à l’homme <strong>une</strong> place de « partenaire de<br />
Dieu », ayant un rôle actif dans le projet<br />
divin et se tenant « face<br />
à Dieu ».<br />
Cette idée pourrait<br />
être étayée par bien des<br />
exemples. Évoquons, pour<br />
n’en retenir qu’un seul, cet<br />
étonnant récit talmudique (traité Baba Metsia,<br />
p.59a) où deux <strong>rabbin</strong>s se disputent sur un point de<br />
droit. L’un des deux, Rabbi Éliézer, en appelle à l’aide<br />
providentielle et plusieurs miracles ont lieu qui attestent<br />
que son avis a les faveurs du Ciel. <strong>Un</strong>e voix céleste se fait<br />
même entendre et donne raison à Rabbi Éliézer. Alors le<br />
second sage –Rabbi Josué- se lève et s’exclame « La Tora<br />
n’est plus au Ciel ! ». Autrement dit, elle a été donnée aux<br />
hommes et Dieu n’a plus à se mêler des débats entre les<br />
<strong>rabbin</strong>s. Et effectivement, la Loi retiendra l’avis de Rabbi<br />
Josué ! Le texte talmudique conclut : « Alors Dieu a ri et<br />
il s’est exclamé : Mes enfants m’ont vaincu ! ». Parions que<br />
Nietzsche aurait été séduit par cette image d’un Dieu rieur,<br />
désireux d’être dépassé par ses créatures…<br />
CÉLÉBRER LA VIE.<br />
L’<strong>une</strong> des critiques les plus sévères de Nietzsche à l’égard<br />
du christianisme concerne l’idéal ascétique et la détestation<br />
du corps. Il accuse l’Église d’avoir fait des plaisirs des sens<br />
et de la sexualité un objet de mépris. À cette logique d’austérité,<br />
le philosophe oppose la figure solaire et joyeuse de<br />
Dionysos. Le judaïsme est-il concerné par cette condamnation<br />
? Le Talmud n’invite-t-il pas, au contraire à <strong>une</strong><br />
célébration de la vie en déclarant, comme<br />
<strong>une</strong> injonction dionysiaque : « L’homme<br />
devra rendre des comptes pour<br />
tous les bons fruits auxquels il n’a<br />
pas goûté » ? Le psychanalyste<br />
Otto Rank, lecteur très attentif<br />
de Nietzsche, écrit :<br />
« Le peuple juif est resté<br />
au milieu des autres<br />
peuples, en relation directe<br />
avec la nature et<br />
la sphère de la sexualité.<br />
Nietzsche n’avait<br />
d’indulgence pour le<br />
judaïsme que dans<br />
la mesure où il avait<br />
compris que les Juifs<br />
étaient le peuple le<br />
plus ‘naturel’, le plus<br />
‘féminin’, le moins<br />
marqué par la répression<br />
de la sexualité. »<br />
Illustrons le regard singulier du<br />
judaïsme sur la sexualité à partir<br />
d’un commentaire biblique traditionnel<br />
: après avoir raconté les débuts<br />
d’Adam et d’Ève au jardin d’Eden et leur désobéissance<br />
à l’injonction divine leur interdisant la<br />
consommation du fruit de l’arbre de la connaissance<br />
du Bien et du Mal (Genèse, chapitre 3), le<br />
récit biblique se poursuit ainsi : « L’homme<br />
avait connu Ève son épouse. Elle conçut<br />
et enfanta Caïn (…)» (4,1).<br />
L’enchaînement des<br />
évènements laisse<br />
à penser que les<br />
enfants du couple<br />
originel ont été<br />
conçus après la faute et<br />
donc hors du Gan Eden.<br />
Nombre de théologiens chrétiens s’ap-<br />
Le Golem<br />
puieront sur cette chronologie pour affirmer<br />
que les appétits sexuels sont fruits du pêché originel.<br />
Mais Rachi nous propose <strong>une</strong> lecture radicalement différente.<br />
Partant du fait qu’il existe, en hébreu biblique, deux<br />
moyens d’exprimer le passé, Rachi remarque que le verbe<br />
utilisé ici (yada) renvoie à un passé très lointain. Ce qui signifie<br />
que (comme souvent) la chronologie n’a pas été respectée<br />
par le récit biblique et qu’en réalité, la conception<br />
et la naissance de Caïn et Abel est antérieure à la faute :<br />
on a bien fait l’amour au paradis ! Il faut mesurer la por-