Être rabbin : une profession ? Un sacerdoce - Tribu 12

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26.12.2012 Views

4 T12 : La catastrophe de la Shoah vous a profondément marquée. En France, au temps terrible de l’Occupation et de la déportation, de nombreux Protestants ont sauvé des Juifs, je pense notamment au Chambon-sur-Lignon ou au Malzieuville, dans le massif du Gévaudan. Quel regard portez-vous sur cette époque tragique et sur l’action de ceux qu’on appelle les Justes ? F.T. : Vous me posez là deux questions énormes ! Nous portons encore le 20ème siècle sur nos épaules, et restons hantés par la seconde guerre mondiale et la Shoah. Il faut beaucoup de temps, de lectures, de réflexions pour réaliser l’ampleur et la signification de la Shoah. Paradoxalement, c’est en découvrant le judaïsme vivant aujourd’hui, et ce que représente Israël que j’ai pu approfondir mon regard sur la Shoah, ne pas rester paralysée par l’horreur. Quant à l’action des Justes, je la trouve d’autant plus admirable que la plupart d’entre eux ne revendiquent aucun mérite, affirmant n’avoir fait que ce que leur conscience, leur humanité, leur simple sentiment de compassion leur dictaient… Moi qui n’ai pas vécu cette époque, je me puis m’empêcher de me poser deux questions : aurai-je eu assez de lucidité pour voir clair et comprendre ce qui se passait, et aurai-je eu le courage d’agir ? Peut-on le savoir tant qu’on n’est pas en situation ? Heureusement chez un bon nombre de personnes, il y a la compassion. Et la compassion engage l’être plus vite que sa lucidité ou son courage. Pour ma part j’éprouve une grande reconnaissance pour tous ces témoins qui ont agi humainement, quels qu’en soient les risques. T12 : Catholique devenue protestante, vous épousez en 1991, un Juif, Michel Taubmann. Cela paraît surréaliste… F.T. : Non non, c’est très réel ! Et mon mari n’était pas du tout pratiquant. Quant à moi je crois que j’ai vocation à vivre toujours sur les seuils, les frontières , dans la rencontre de personnes différentes ... Mon mariage m’a donc fait entrer dans une famille juive non observante et j’ai été bien accueillie. T12 : Ce parcours, pour le moins déjà atypique ne s’arrête pas là. Voilà qu’un an plus tard vous êtes ordonnée pasteure de l’Église Réformée. Palaiseau, Versailles, Temple de l’Oratoire à Paris puis Limoges, depuis 2007. Y a-t-il beaucoup de femmes pasteures en France ? Comment se déroule, au quotidien, la vie d’une pasteure, qui plus est mère de famille ? Scène du film de Jérémy Paul Kagan, L’ÉLU (1981) F.T : Je préfère pasteur sans « e » ! Être pasteur, c’est exercer un ministère, ou un métier, qui a des points communs avec celui de rabbin ou de prêtre : enseignement, cultes, accompagnement des familles surtout dans les momentsclefs de l’existence : naissances, mariages, décès. Écoute, consolation, aide. Humainement c’est extrêmement riche ! Car les relations que l’on entretient avec les gens ne peuvent être superficielles ou simplement mondaines. Cela demande beaucoup d’énergie …Mais la vie de famille aide en assurant un équilibre affectif, et quand le pasteur est une femme, les paroissiens se montrent attentifs à ne pas trop charger la barque. En France aujourd’hui les femmes doivent représenter environ 30 ou 35°/° des pasteurs. T12 : Madame le pasteur, bien que votre époux, le journaliste Michel Taubmann, soit un Juif non pratiquant, votre second fils a choisi, en 2001, de devenir juif et de faire sa bar-mitsva. Du coup, votre mari a renoué avec sa tradition. Vous dites que tout cela vous a procuré un grand bonheur. Pourquoi ? F.T. : Pour plusieurs raisons. D’abord j’ai pensé que c’était très important pour eux de s’inscrire dans la chaîne de transmission. Ensuite cela m’a permis de connaître la communauté d’Adath Shalom, dont l’enseignement est passionnant. Et je suis personnellement très sensible à la spiritualité profonde du judaïsme et à la richesse de la pensée juive. T12 : En 2008, vous avez été élue présidente de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France. Quels sont les objectifs de cette organisation ? Quels sont vos projets d’avenir ? F.T. : L’Amitié Judéo-Chrétienne est née après la Guerre, sous l’impulsion notamment de Jules Isaac. Depuis le début elle a pour objectif la connaissance mutuelle des Juifs et des Chrétiens, sans prosélytisme et sans syncrétisme, et la lutte contre l’antisémitisme. Elle a dans de nombreuses villes de France des groupes qui organisent des conférences, des voyages, des festivités, et elle édite une revue mensuelle, Sens, qui fait état de tous les travaux réalisés depuis 60 ans. L’Amitié Judéo-Chrétienne a pour objectif de poursuivre sa mission pédagogique auprès d’un public plus large, afin de lutter contre l’antijudaïsme, l’antisémitisme et l’antisionisme. Et pour cela, il faut informer, enseigner, expliquer, favoriser les rencontres…sans oublier surtout de transmettre le flambeau à une nouvelle génération Propos recueillis par Jean-Pierre Allali

Réflexion LE MACCARTHYSME, UN ANTISÉMITISME QUI NE DIT PAS SON NOM À HOLLYWOOD, LE MONDE DU CINÉMA A RENDU HOM- MAGE AUX ACTEURS, RÉALISATEURS ET SCÉNARISTES VICTIMES DU MACCARTHYSME. PLUS DE SOIXANTE ANS PLUS TARD, LA PLUS GRANDE USINE À RÊVES DE LA PLA- NÈTE A RECONNU L’INJUSTICE ET L’ABSURDITÉ D’UNE CAMPAGNE D’HYSTÉRIE QUI BRISA LA VIE ET LA CAR- RIÈRE DE NOMBREUX ARTISTES DE TALENT. Novembre 1947 : l’affrontement EST-OUEST favorise tous les délires, toutes les phobies, les théories les plus absurdes sur les conspirations secrètes. Le sénateur Joseph McCarthy, républicain de la droite extrême, préside la Commission d’enquête sur les activités anti-américaines du Sénat fédéral, à Washington. Son objectif ardent est sans nuances : traquer les «amis de Moscou», à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la société américaine (diplomatie, armée, police, université, presse et … cinéma). Dans sa croisade, il compte sur l’appui de trois acteurs prestigieux : Gary Cooper, Robert Taylor et un très populaire cow-boy, héros de westerns de série B, un certain Ronald Reagan… Les artistes sont alors invités à se présenter devant la Commission et à déclarer s’ils sont ou non communistes. Ils sont aussi invités à dénoncer leurs confrère – une délation «patriotique» à laquelle se soumettra un metteur en scène auparavant classé à gauche : Elia Kazan. Les enquêteurs évitent soigneusement toute référence raciale ou religieuse. La judéité des suspects n’est jamais mentionnée publiquement par McCarthy et ses adjoints. Mais nombreux sont les Juifs soupçonnés de vouloir transformer le cinéma américain en machine de propagande communiste. Car les artistes et les intellectuels juifs américains figuraient parmi ceux qui, très tôt, bien avant la Guerre, avaient dénoncé le totalitarisme nazi et soutenu la République espagnole en lutte contre Franco et ses alliés fascistes. Les enquêteurs soupçonnaient particulièrement les artistes qui, durant la Guerre, avaient participé comme Charlie Chaplin, à la collecte de fonds pour l’URSS (qui était à l’époque, l’alliée de l’Amérique). Attaqué par une presse hystérique, présenté comme un agent communiste, le réalisateur Jules Dassin (qui avait commencé à New York comme acteur de théâtre yiddish), choisira pour poursuivre en toute liberté sa carrière, l’exil en Europe. Progressiste, de gauche, mais nullement communiste, le dramaturge et scénariste Arthur Miller tiendra tête avec courage aux inquisiteurs du Congrès : un climat d’intolérance fanatique qu’il brossera dans Les Sorcières de Salem (1947). Otto Preminger, metteur en scène d’origine autrichienne, sera victime d’une autre campagne, privée, de style maccarthyste : la Légion de la Décence, organisation catholique de lutte contre l’immoralité cinématographique, accuse Preminger de vouloir détruire les valeurs sacrées de l’Amérique – le mariage, la famille, la morale. Ironie de l’histoire : en 1963, Preminger sera le premier scénariste juif décoré par le Vatican pour son film Le Cardinal. Ardent sioniste, il avait réalisé, en 1960, Exodus, sur l’épopée de l’immigration juive clandestine en Palestine. Quant à Kirk Douglas, fils d’immigrés juifs de Russie, il affirmera courageusement ses convictions progressistes. Il ne figurera dans aucune liste noire , sauf celle des pays arabes et de l’Espagne franquiste, qui interdiront la diffusion, dans leurs salles, de L’ombre d’un Géant, biographie romancée du colonel David Marcus, héros de la guerre d’Indépendance d’Israël, interprété par un Douglas passionnément sioniste. Mais d’autres artistes connaîtront le chômage, la misère, le désespoir et verront leurs carrières brisées pour longtemps, parfois définitivement. Plus de soixante ans plus tard, le temps est venu de jeter un nouveau regard, lucide sur cette époque. Mais alors qu’à Hollywood, on critiquait, on enquêtait, on interrogeait, on se livrait à une absurde «chasse aux sorcières», loin, très loin, quelque part dans l’immense Russie, la police secrète de Staline exécutait, dans les sous-sols de la NKVD, les intellectuels juifs. Franklin Rausky Photos du sénateur McCarthy et de Julius et Ethel Rosenberg considérés par certains comme des victimes du Maccarthysme 5

Réflexion<br />

LE MACCARTHYSME,<br />

UN ANTISÉMITISME<br />

QUI NE DIT PAS SON NOM<br />

À HOLLYWOOD, LE MONDE DU CINÉMA A RENDU HOM-<br />

MAGE AUX ACTEURS, RÉALISATEURS ET SCÉNARISTES<br />

VICTIMES DU MACCARTHYSME. PLUS DE SOIXANTE ANS<br />

PLUS TARD, LA PLUS GRANDE USINE À RÊVES DE LA PLA-<br />

NÈTE A RECONNU L’INJUSTICE ET L’ABSURDITÉ D’UNE<br />

CAMPAGNE D’HYSTÉRIE QUI BRISA LA VIE ET LA CAR-<br />

RIÈRE DE NOMBREUX ARTISTES DE TALENT.<br />

Novembre 1947 : l’affrontement EST-OUEST favorise<br />

tous les délires, toutes les phobies, les théories les plus<br />

absurdes sur les conspirations secrètes. Le sénateur Joseph<br />

McCarthy, républicain de la droite extrême, préside<br />

la Commission d’enquête sur les activités anti-américaines<br />

du Sénat fédéral, à Washington. Son objectif ardent est<br />

sans nuances : traquer les «amis de Moscou», à tous les<br />

niveaux et dans tous les secteurs de la société américaine<br />

(diplomatie, armée, police, université, presse et … cinéma).<br />

Dans sa croisade, il compte sur l’appui de trois acteurs prestigieux<br />

: Gary Cooper, Robert Taylor et un très populaire<br />

cow-boy, héros de westerns de série B, un certain Ronald<br />

Reagan… Les artistes sont alors invités à se présenter devant<br />

la Commission et à déclarer s’ils sont ou non communistes.<br />

Ils sont aussi invités à dénoncer leurs confrère – <strong>une</strong><br />

délation «patriotique» à laquelle se soumettra un metteur<br />

en scène auparavant classé à gauche : Elia Kazan. Les enquêteurs<br />

évitent soigneusement toute référence raciale ou<br />

religieuse. La judéité des suspects n’est jamais mentionnée<br />

publiquement par McCarthy et ses adjoints. Mais nombreux<br />

sont les Juifs soupçonnés de vouloir transformer le cinéma<br />

américain en machine de propagande communiste. Car les<br />

artistes et les intellectuels juifs américains figuraient parmi<br />

ceux qui, très tôt, bien avant la Guerre, avaient dénoncé le<br />

totalitarisme nazi et soutenu la République espagnole en<br />

lutte contre Franco et ses alliés fascistes. Les enquêteurs<br />

soupçonnaient particulièrement les artistes qui, durant la<br />

Guerre, avaient participé comme Charlie Chaplin, à la collecte<br />

de fonds pour l’URSS (qui était à l’époque, l’alliée de<br />

l’Amérique).<br />

Attaqué par <strong>une</strong> presse hystérique, présenté comme un<br />

agent communiste, le réalisateur Jules Dassin (qui avait<br />

commencé à New York comme acteur de théâtre yiddish),<br />

choisira pour poursuivre en toute liberté sa carrière, l’exil<br />

en Europe.<br />

Progressiste, de gauche, mais nullement communiste, le<br />

dramaturge et scénariste Arthur Miller tiendra tête avec<br />

courage aux inquisiteurs du Congrès : un climat d’intolérance<br />

fanatique qu’il brossera dans Les Sorcières de Salem<br />

(1947). Otto Preminger, metteur en scène d’origine autrichienne,<br />

sera victime d’<strong>une</strong> autre campagne, privée, de<br />

style maccarthyste : la Légion de la Décence, organisation<br />

catholique de lutte contre l’immoralité cinématographique,<br />

accuse Preminger de vouloir détruire les valeurs sacrées<br />

de l’Amérique – le mariage, la famille, la morale. Ironie de<br />

l’histoire : en 1963, Preminger sera le premier scénariste<br />

juif décoré par le Vatican pour son film Le Cardinal. Ardent<br />

sioniste, il avait réalisé, en 1960, Exodus, sur l’épopée de<br />

l’immigration juive clandestine en Palestine.<br />

Quant à Kirk Douglas, fils d’immigrés juifs de Russie, il affirmera<br />

courageusement ses convictions progressistes. Il ne<br />

figurera dans auc<strong>une</strong> liste noire , sauf celle des pays arabes<br />

et de l’Espagne franquiste, qui interdiront la diffusion, dans<br />

leurs salles, de L’ombre d’un Géant, biographie romancée<br />

du colonel David Marcus, héros de la guerre d’Indépendance<br />

d’Israël, interprété par un Douglas passionnément<br />

sioniste. Mais d’autres artistes connaîtront le chômage, la<br />

misère, le désespoir et verront leurs carrières brisées pour<br />

longtemps, parfois définitivement.<br />

Plus de soixante ans plus tard, le temps est venu de jeter un<br />

nouveau regard, lucide sur cette époque. Mais alors qu’à<br />

Hollywood, on critiquait, on enquêtait, on interrogeait, on<br />

se livrait à <strong>une</strong> absurde «chasse aux sorcières», loin, très<br />

loin, quelque part dans l’immense Russie, la police secrète<br />

de Staline exécutait, dans les sous-sols de la NKVD, les intellectuels<br />

juifs.<br />

Franklin Rausky<br />

Photos du sénateur McCarthy<br />

et de Julius et Ethel Rosenberg<br />

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