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(1) Michel Onfray - Théorie de la dictature-Robert Laffont (2019)

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mauvais sera couverte par six mots seulement, qui se ramèneront à un seul 66 .

»

Voilà pourquoi : « Réduire le vocabulaire était une fin en soi, et aucun mot

qui ne fût pas indispensable n’avait gardé droit de cité. Le néoparler avait

été élaboré non pas pour élargir mais pour rétrécir le champ de la pensée,

objectif indirectement servi par la réduction radicale du nombre des mots 352 .

»

Or, qu’est-ce qu’un mot indispensable ? Un mot qui évite l’ambiguïté et la

subtilité, la nuance et la précision, l’exactitude et la rigueur, le contraire

d’un mot comme on les aimait jadis, avant la Révolution socialiste. Le but

ultime ? Le slogan réduit à quelques mots, de quoi crier et beugler, ou bien

encore bêler avec les moutons de la ferme des animaux…

Les mots étaient classés en trois catégories : « le vocabulaire A 353 » est

celui du quotidien le plus simple, c’est le langage de tous les jours, boire,

manger, dormir, se déplacer, mais il est également expurgé de tout ce qui

permettrait une quelconque subtilité. On ne peut l’utiliser pour la littérature,

la politique ou la philosophie tant il est réduit au plus simple afin

d’exprimer les choses les plus élémentaires.

En néoparler, on ne s’occupe pas seulement de réduire les mots, on

attaque également les structures grammaticales qui deviennent

interchangeables. Un mot peut être employé comme verbe, substantif ou

adverbe, et rester invariable : « […] cette règle impliquant de facto la

destruction de nombreuses formes archaïques. Ainsi le mot “pensée”

n’existait pas en néoparler. Il était remplacé par “penser”, qui faisait à la

fois office de verbe et de nom 353-354 ». Si la pensée n’existe plus comme mot,

il est bien évident que la chose elle-même n’existe plus : la mort du

signifiant, c’est assurément le trépas du signifié. Avec cette grammaire

simplifiée il n’y a plus qu’une seule et même terminaison pour les verbes au

passé, et un seul pluriel pareillement formé.

La disparition des mots s’accompagne d’une technique d’appauvrissement

de ceux qui restent. L’ajout de suffixes, -ment ou -eux par exemple, permet

de créer vitessement ou vitesseux – ce qui permet ainsi de supprimer rapide

ou rapidement. On peut également négativer les mots avec le préfixe in- ou

double-, voire doubleplus- si l’on veut insister : « inchaud » permet de faire

sauter « froid », « doublefroid » annihile « très froid », « doubleplusfroid »

évacue « extrêmement froid ». Où l’on voit que l’art de créer des

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