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ses cheveux et ses dents, il pleure, il a été détruit par le Parti. O’Brien lui dit qu’il est « le dernier
homme 318 ». Il a perdu jusqu’au sens du temps.
On le conduit dans la salle 101 de triste réputation. On ne sait ce qui s’y passe. Il le découvre : on y
fait subir à chacun ce qu’est sa pire terreur – pour l’un c’est un enterrement vivant, pour l’autre être
brûlé vif, pour un troisième, la noyade, un autre, subir le supplice du pal, etc.
Pour lui ce sera un dispositif particulier. Il craint les rats par-dessus tout. O’Brien lui montre une
cage dans laquelle se trouvent les rongeurs affamés tout excités ; ils sont carnivores. Cette cage se
fixe sur le visage de Winston, une grille sépare les rats de son visage. O’Brien précise : « Le masque
va s’adapter sur ton crâne, sans laisser d’issue. Quand j’actionnerai cette autre manette, la porte de la
cage coulissera, et les bêtes affamées jailliront comme des boulets de canon. Tu as déjà vu un rat faire
un bond ? Ils vont te sauter à la figure et ronger ta chair. Parfois ils commencent par attaquer les
yeux, parfois ils fouissent dans tes joues pour dévorer la langue 333 . » À deux doigts du supplice, il
demande qu’on l’épargne et qu’on aille plutôt faire dévorer le visage de Julia.
Le pouvoir a gagné : la haine a triomphé, l’amour a perdu. C’est la loi du totalitarisme. Il est passé
de l’autre côté. On peut donc le libérer. Il sort.
Quelque temps plus tard, il rencontre Julia dans un parc. Ils n’ont plus rien à se dire. Le pouvoir lui
a trouvé du travail. Plus personne ne s’intéresse à lui. Winston se met à aimer Big Brother, Big
Brother a donc vaincu. C’est à ce moment-là qu’une balle lui est tirée dans la nuque.
Cette trame romanesque est finalement simple : dans un régime totalitaire,
un homme tombe amoureux d’une femme ; l’amour y est interdit en même
temps que les sentiments et tout ce qui humanise ; il est donc arrêté et
emprisonné, torturé mentalement et physiquement ; il finit par renoncer à
l’amour en lui préférant la haine ; il est donc sauvé, selon les principes du
système, autrement dit : il est perdu, le régime le supprime – et continue
d’exister.
Sur cette trame romanesque se trouve greffé un discours philosophique. Et
c’est ici qu’on peut entrevoir en quoi notre époque relève de la dictature
entendue comme tyrannie d’une minorité. Orwell entretient du pouvoir et
du totalitarisme, de la nature humaine, mais aussi et surtout de notre
modernité : double langage ; police de la pensée ; usage du politiquement
correct ; fabrication de l’opinion par les médias de masse ; contrôle de
l’existence par les écrans ; abolition de la vie privée ; destruction du
langage ; réécriture de l’histoire ; construction d’un ennemi médiatique ;
propagation de fausses nouvelles ; gouvernement des élites ; éviction du
peuple des centres de pouvoir ; invisibilité du gouvernement véritable ;
appauvrissement de la langue ; production d’un corps hygiénique ; recours à
la procréation médicalement assistée ; abolition de la vérité ; suppression de
la solitude ; scénarisation des moments de haine ; réjouissance aux fêtes
obligatoires ; réaffectation des églises ; création de musées de la