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La libération de la parole rendue possible d’abord par les radios libres,
puis par les facilités du Net, son caractère anonyme, la totale impunité de ce
réseau planétaire sous prétexte qu’il serait un lieu d’expression libertaire,
tout cela fait qu’une zone de non-droit éthique fournit le modèle de toute
intersubjectivité.
Avant 1789, il y eut le modèle du salon et de la conversation, des lieux de
mémoire intellectuels. Ensuite, avec la presse contemporaine de la
Révolution française, sont apparus des journaux haineux qui avaient moins
le souci de porter une parole libre et éclairée que de salir – les uns,
majoritaires : la famille royale et la monarchie, les autres, minoritaires, les
acteurs de la Révolution française. L’esprit de cette presse à charge a
été démultiplié par la Toile au XX e siècle. Les échanges, de la cour de
récréation au débat présidentiel en passant par ceux de l’Assemblée
nationale, sans oublier ceux de la télévision, ne visent plus le dialogue
raisonnable et rationnel, mais la destruction de l’interlocuteur – pas même
de ses thèses.
Les médias ont besoin d’argent. Ils ne vendent que par le « buzz ». Pas
question, donc, de débattre intelligemment quand on sait qu’une rencontre
éruptive conduira plus de spectateurs devant leurs écrans qu’un débat
intelligent, argumenté et courtois. L’anonymat fait la loi sur le Net,
l’annonceur la fait dans les supports médias et l’actionnaire en attend ses
dividendes. La haine fait plus vendre que le débat. Elle n’a pas besoin d’un
regardeur avec un cerveau, il lui faut juste un sujet pourvu d’un foie pour la
bile.
La haine génère un perpétuel état de guerre civile intérieur. Or elle
débouche également sur des guerres véritables. Ce qui fait la loi entre les
individus vaut désormais entre les États. L’intersubjectivité haineuse entre
les personnes s’élargit de façon internationale.
Pour exister, le pouvoir a besoin d’ennemis qui ont pu être les amis de la
veille. L’Allemagne fut l’ennemie héréditaire de la France pendant des
siècles, elle est devenue, depuis l’après-nazisme, l’amie privilégiée. L’Irak
et la Libye furent amis de la France, et de leurs présidents de l’époque qui y
avaient fort intérêt, avant de devenir des ennemis emblématiques
responsables de toute la misère du monde. Certains pays – Turquie, Iran,
Russie, Hongrie, Pologne… – génèrent aujourd’hui une salivation
pavlovienne dans laquelle la haine tient le rôle principal.