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02.11.2022 Views

INTERNATIONALTexte Antoine LévêqueIllustration Wikimedia CommonsUn État neutre comme « phare » de lacommunauté internationaleL’élection de la Suisse au Conseil de sécurité de l’ONU en juilletdernier pose la question du rôle que peut jouer un État neutre danscette enceinte chargée de régler le sort des grandes confrontationsinternationales.La neutralité de la Suisse est-ellecompatible avec son engagementau sein du Conseil de sécurité ?En 1844, quatre ans avant la création de notreÉtat fédéral, François-René de Chateaubriandécrivait : « rompre avec les chosesréelles, ce n’est rien ; mais avec les souvenirs! Le cœur se brise à la séparation des songes». Il semblait avoir pris conscience ducaractère matriciel des chimères qui dirigentla vie des peuples et des nations. En effet,les sociétés humaines ont presque toujoursété régies par un tissu de références symboliqueset culturelles capables de créer lesferments d’un sentiment d’appartenancecollective. Depuis le XIXe siècle, le peuplesuisse, comme ceux des autres États européens,a cherché à donner vie à cet idéald’unité sociale en se référant à un passéidéalisé et à l’image d’une Suisse restée attachéeà ses traditions et à son indépendance.Le symbole le plus saisissant de cette visionmythique de l’Helvétie, profondément attachéeà sa souveraineté et toujours insoumise,luttant constamment pour le maintiende son autonomie politique, est sans contestel’idée de la neutralité perpétuelle de laSuisse, dont le succès est principalement liéà la nécessité de créer un narratif unificateurau moment de la fondation de notre État fédéral.En effet, si encore aujourd’hui, au momentde rejoindre l’un des organes décisionnelsles plus importants de la communautéinternationale, la neutralité de la Suisse estprésentée comme un élément irréductiblede notre dispositif institutionnel, c’est quedepuis 1848 elle constitue le fondement denotre imaginaire politique.Le Conseil fédéral, dans les nombreusespublications qu’il a diffusées pour assurer lapréparation de la candidature de la Suisseau Conseil de sécurité, rappelle régulièrementla nécessité de distinguer le droit dela neutralité, dont le cadre et les principes,bien qu’ils soient restreints, sont relativementrigides, de la politique de neutralité,qui garantit aux États qui s’en réclamentune liberté d’action considérable. Or, si l’onpeut aisément identifier les fondements juridiquesde notre neutralité perpétuelle, ilparaît impossible d’établir précisément lanature de sa dimension politique, tant sonévolution au cours des dernières décenniesa dépendu du contexte stratégique dans lequelelle a pu s’inscrire.Il semble que cette indéfinité inhérente à notrevision de la neutralité a constitué l’un deséléments déterminants de l’argumentationdu Conseil fédéral en faveur de la candidaturede la Suisse au Conseil de sécurité. D’ail-leurs, les membres du corps législatif, lorsdes débats parlementaires consacrés à cettequestion, ont semblé accepter avec une certaineaisance de voir la définition de notrepolitique de neutralité évoluer une nouvellefois au profit d’impératifs stratégiques d’unordre supérieur, sans exiger du Conseil fédéralqu’il se réfère à l’avis de la populationet des cantons. Cette reconnaissance parles parlementaires de prérogatives propresau Conseil fédéral en ce qui concerne lesprincipales décisions de politique étrangèrede la Suisse marque un tournant dans notrehistoire politique et institutionnelle, carbien que le parlement partage avec le gouvernementla responsabilité de la conduitede notre politique extérieure, il a rompuavec une longue tradition démocratique enrenonçant à accorder au peuple le pouvoirde donner à ces nouvelles orientations unelégitimité supplémentaire. Alors qu’il y a unencore un an nous devions nous prononcersur un accord de libre-échange avec l’Indonésie,et que la question de notre adhésionà plusieurs organisations internationales atrès souvent fait l’objet de votations populaires,nous assistons peut-être à l’avènementd’une ère dans laquelle l’exercice de la diplomatiepourra en partie se libérer de la tutelledu politique.4 spectrum 10.22

La salle du Conseil de Sécurite de l'ONUQuelle place pour la Suisse au sein duConseil de sécurité ?Pour faire de sa participation au Conseil desécurité un succès, la Suisse se devra de favoriserle dialogue et la coopération entredes acteurs aux valeurs et aux aspirationsopposées, d’affirmer son attachement à unerésolution pacifique des conflits et de porterla voix des petits pays auprès des membresles plus influents du Conseil.Il ne fait aucun doute que c’est sa longuetradition de neutralité active qui donnera ànotre pays la légitimité nécessaire pour assumerce triple sacerdoce. Ainsi, alors quedepuis plusieurs mois nous nous interrogeonssur les limites et les buts de notre politiquede neutralité, notre entrée au Conseilde sécurité est une opportunité de dépasserles doutes et les hésitations qui ont dominénotre classe dirigeante quant à notre positionnementstratégique mais aussi de renforcernotre crédibilité en tant que forced’équilibre et de modération. En effet, si lesmesures prises par la Suisse après l’invasionde l’Ukraine par la Russie ont été perçuespar certains États comme une rupture avecla politique de neutralité qui faisait notre renommée,nous devons saisir l’occasion qui seprésente pour réaffirmer notre attachementaux principes qui guident notre pratique dela neutralité depuis plusieurs décennies etretrouver la place d’État médiateur qui nousétait dévolue.En outre, la Suisse, si elle entend jouer unrôle proéminent dans le développement desolutions pérennes et acceptées par la communautéinternationale, devra assumer pleinementsa singularité et faire de sa longuetradition humanitaire et pacifiste le symbolede son engagement au sein du Conseil de sécurité.En effet, il semble que c’est en tirantprofit de notre position particulière au seindu concert des nations que nous pourronsrépondre à la question fondamentale de lacompatibilité de nos valeurs humanistesavec les impératifs liés à l’exercice de nosfonctions de membre non-permanent duConseil de sécurité. En tant qu’État neutremais actif sur la scène internationale pourporter la voix de la paix auprès des plusgrandes puissances, la Suisse pourra poserles bases d’une politique de neutralité plusinteractionnelle, qui lui permettra d’envisageravec davantage de sérénité les débatsinternes liés aux attributions, à la directionet aux finalités de sa politique étrangère.Or, C’est aussi en assumant pleinement sonstatut d’État de moyenne envergure que laSuisse pourra apporter une contributionsignificative aux débats futurs et à la résolutiondes grands défis du moment. En effet,c’est seulement en nous engageant auxcôtés d’États de taille comparable et partageantles mêmes valeurs que les nôtres quenous aurons la possibilité de défendre nosintérêts et ceux de nos partenaires les moinspuissants avec force et efficacité. En outre, ilsemble que l’idée d’une réforme du Conseilde sécurité, dont la Suisse a fait une prioritépour les deux années à venir, ne puisse aboutirque par le biais d’une coopération intenseentre les États les plus affectés par les déséquilibresinhérents à l’organisation actuellede l’instance exécutive des Nations Unies.Or, il ne fait aucun doute que la Suisse, quis’est engagée dès 2006 pour une modificationdu fonctionnement de cet organe etqui coordonne un groupe d’États œuvranten vue de ce but, sera en mesure d’assumeravec diligence le rôle de membre non-permanentdu Conseil de sécurité, de porteravec éclat les valeurs qui lui sont chères etde répondre aux attentes de la communautéinternationale, dont elle est déjà l’un des «phares » selon Antonio Guterres, secrétairegénéral des Nations Unies. P10.22spectrum5

La salle du Conseil de Sécurite de l'ONU

Quelle place pour la Suisse au sein du

Conseil de sécurité ?

Pour faire de sa participation au Conseil de

sécurité un succès, la Suisse se devra de favoriser

le dialogue et la coopération entre

des acteurs aux valeurs et aux aspirations

opposées, d’affirmer son attachement à une

résolution pacifique des conflits et de porter

la voix des petits pays auprès des membres

les plus influents du Conseil.

Il ne fait aucun doute que c’est sa longue

tradition de neutralité active qui donnera à

notre pays la légitimité nécessaire pour assumer

ce triple sacerdoce. Ainsi, alors que

depuis plusieurs mois nous nous interrogeons

sur les limites et les buts de notre politique

de neutralité, notre entrée au Conseil

de sécurité est une opportunité de dépasser

les doutes et les hésitations qui ont dominé

notre classe dirigeante quant à notre positionnement

stratégique mais aussi de renforcer

notre crédibilité en tant que force

d’équilibre et de modération. En effet, si les

mesures prises par la Suisse après l’invasion

de l’Ukraine par la Russie ont été perçues

par certains États comme une rupture avec

la politique de neutralité qui faisait notre renommée,

nous devons saisir l’occasion qui se

présente pour réaffirmer notre attachement

aux principes qui guident notre pratique de

la neutralité depuis plusieurs décennies et

retrouver la place d’État médiateur qui nous

était dévolue.

En outre, la Suisse, si elle entend jouer un

rôle proéminent dans le développement de

solutions pérennes et acceptées par la communauté

internationale, devra assumer pleinement

sa singularité et faire de sa longue

tradition humanitaire et pacifiste le symbole

de son engagement au sein du Conseil de sécurité.

En effet, il semble que c’est en tirant

profit de notre position particulière au sein

du concert des nations que nous pourrons

répondre à la question fondamentale de la

compatibilité de nos valeurs humanistes

avec les impératifs liés à l’exercice de nos

fonctions de membre non-permanent du

Conseil de sécurité. En tant qu’État neutre

mais actif sur la scène internationale pour

porter la voix de la paix auprès des plus

grandes puissances, la Suisse pourra poser

les bases d’une politique de neutralité plus

interactionnelle, qui lui permettra d’envisager

avec davantage de sérénité les débats

internes liés aux attributions, à la direction

et aux finalités de sa politique étrangère.

Or, C’est aussi en assumant pleinement son

statut d’État de moyenne envergure que la

Suisse pourra apporter une contribution

significative aux débats futurs et à la résolution

des grands défis du moment. En effet,

c’est seulement en nous engageant aux

côtés d’États de taille comparable et partageant

les mêmes valeurs que les nôtres que

nous aurons la possibilité de défendre nos

intérêts et ceux de nos partenaires les moins

puissants avec force et efficacité. En outre, il

semble que l’idée d’une réforme du Conseil

de sécurité, dont la Suisse a fait une priorité

pour les deux années à venir, ne puisse aboutir

que par le biais d’une coopération intense

entre les États les plus affectés par les déséquilibres

inhérents à l’organisation actuelle

de l’instance exécutive des Nations Unies.

Or, il ne fait aucun doute que la Suisse, qui

s’est engagée dès 2006 pour une modification

du fonctionnement de cet organe et

qui coordonne un groupe d’États œuvrant

en vue de ce but, sera en mesure d’assumer

avec diligence le rôle de membre non-permanent

du Conseil de sécurité, de porter

avec éclat les valeurs qui lui sont chères et

de répondre aux attentes de la communauté

internationale, dont elle est déjà l’un des «

phares » selon Antonio Guterres, secrétaire

général des Nations Unies. P

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