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COUPE DU MONDE 2022<br />

LE QATAR<br />

FACE<br />

AU BUT<br />

LA COMPÉTITION PLANÉTAIRE COMMENCE<br />

LE 20 NOVEMBRE DANS UN CONTEXTE<br />

GLOBAL TENDU. LE MOMENT DE VÉRITÉ<br />

POUR LE RICHISSIME ÉMIRAT.<br />

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA<br />

– Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C<br />

– DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € –<br />

Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />

Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA<br />

ISSN 0998-9307X0<br />

Le stade Lusail,<br />

qui accueillera<br />

la finale<br />

du Mondial.<br />

KENYA<br />

L’irrésistible ascension<br />

de WILLI<strong>AM</strong> RUTO<br />

<strong>AM</strong>BITION<br />

ONS JABEUR,<br />

la championne en attente<br />

INTERVIEW<br />

PHILIPPE FAUCON<br />

« Le piège s’est refermé<br />

sur les harkis »<br />

PERSPECTIVES<br />

L’AFRIQUE AU CŒUR<br />

DE LA BATAILLE DU GAZ<br />

N°<strong>433</strong> - OCTOBRE 2022<br />

L 13888 - <strong>433</strong> H - F: 4,90 € - RD


édito<br />

LA FIN DU SAHEL ?<br />

PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />

Au moment où ces lignes sont écrites, le Burkina Faso<br />

vit son second coup d’État en huit mois (et le neuvième<br />

depuis l’indépendance…). Un officier, le capitaine Ibrahim<br />

Traoré, en remplace un autre, le lieutenant-colonel Damiba.<br />

Pendant ce temps, l’offensive coordonnée des groupes djihadistes<br />

s’amplifie. 40 % du territoire échappe au contrôle<br />

des autorités. Et les services de base, comme l’école ou la<br />

santé, sont profondément impactés. La situation humanitaire<br />

s’aggrave chaque jour un peu plus, avec son lot de réfugiés,<br />

de déplacés.<br />

Au moment où ces lignes sont écrites, la ville de Djibo,<br />

au nord du pays, est sous blocus djihadiste. Nous ne<br />

sommes qu’à 200 km de la capitale. Plus rien ne rentre : ni<br />

nourriture, ni eau, ni produits de première nécessité, ni médicaments.<br />

Plus personne ne sort depuis la mi- février. Presque huit<br />

mois… La ville est menacée par la famine. Le 26 septembre,<br />

un convoi de ravitaillement, avec plusieurs dizaines de poids<br />

lourds, a été annihilé par les djihadistes. Au moins 11 soldats<br />

ont été tués. Et 50 civils sont portés disparus.<br />

Dans un pays longtemps considéré comme un exemple<br />

de vivre-ensemble, le conflit fait sauter les digues. Les Peuls,<br />

soupçonnés d’être la cinquième colonne du terrorisme, sont<br />

stigmatisés. Les discours de haine se multiplient, traversant les<br />

frontières. Sur les réseaux sociaux, sur les pages Facebook,<br />

certains n’hésitent pas à appeler à « l’épuration ethnique ».<br />

Au Mali voisin, la situation n’est guère plus enviable.<br />

Le régime militaire dirigé par Assimi Goïta paraît incapable de<br />

faire face à l’offensive de l’organisation État islamique dans<br />

le Grand Sahara (EIGS), en particulier dans le nord-est du<br />

pays. Les offensives s’accentuent depuis mars dernier. Et le<br />

retrait de la force Barkhane a fragilisé un peu plus les lignes<br />

de défense. Les troupes du groupe de sécurité privée russe<br />

Wagner ne semblent pas en mesure d’inverser la tendance,<br />

et encore moins d’assurer une meilleure protection des civils. À<br />

Bamako, le pouvoir paraît surtout concentré à ouvrir des fronts<br />

aussi inutiles que contre-productifs. Contre la société civile,<br />

contre ce qui reste de démocratie, contre le Niger, son voisin<br />

historique, en insultant son président à la tribune des Nations<br />

unies. Contre la Côte d’Ivoire, son principal partenaire, son<br />

voisin au sud, là où vivent près de 3 millions de Maliens, en<br />

instrumentalisant ad nauseam la crise des 46 soldats ivoiriens<br />

détenus. Seul le Niger semble tenir, pour le moment, malgré<br />

ses fragilités immenses, ses frontières quasi incontrôlables.<br />

Peut-être parce que le pacte social est plus ancré. Et que la<br />

gouvernance est mieux structurée.<br />

Si les militaires savaient gérer (mieux que les civils),<br />

s’ils avaient cette fameuse recette magique pour gouverner<br />

et sauver un pays, ça se saurait. Les statistiques ne jouent pas<br />

en leur faveur. Sur le plan de la gouvernance, mais aussi sur le<br />

plan de la sécurité. Les militaires n’ont pas les moyens, la logistique<br />

qu’ils demandent à l’État. Mais l’État est pauvre, souvent<br />

faillible, corrompu. Être au pouvoir ne fera pas apparaître, par<br />

miracle, plus d’armes, plus de logistique, plus de moyens…<br />

Évidemment, on peut critiquer la France, faire indéfiniment<br />

le procès du néocolonialisme. Faire de Paris la cible<br />

expiatoire de toutes les douleurs, à Dakar, à Bamako, à Ouagadougou.<br />

On peut continuer à se tromper d’époque pour nourrir<br />

la foule. Alors que l’enjeu, c’est la gouvernance, ses propres<br />

forces. Oui, la France perd son influence. Mais on peut difficilement<br />

lui reprocher l’effondrement sécuritaire de la région.<br />

C’est le seul pays qui a réellement mis ses hommes sur le terrain.<br />

Et si Paris intervient, ce n’est pas pour l’argent, les ressources,<br />

les mines, ou quelque autre improbable trésor. Tout cela est<br />

marginal pour la septième puissance économique mondiale.<br />

Dans le même registre, on peut faire croire que la<br />

grande Russie viendra sauver le Sahel. Qu’elle incarne le<br />

nouvel étendard anticolonial, au moment même où elle s’attaque,<br />

sans provocation, à son voisin, l’Ukraine, dans un pur<br />

moment d’impérialisme. On peut faire croire que la Russie n’utilise<br />

pas l’Afrique pour monter les enchères dans cette nouvelle<br />

guerre froide, semi-chaude, qui s’installe, pour contrer la France<br />

justement. On peut faire croire au peuple qu’une société de<br />

sécurité privée viendra résoudre les problèmes et les impuissances<br />

des armées nationales. On peut faire même croire<br />

qu’elle s’intéresse au développement des « frères africains ».<br />

On peut nous faire croire tout cela. Mais la vraie question,<br />

c’est l’incapacité des États concernés de faire face à<br />

la menace, à mieux combattre. La vraie question, c’est de<br />

faire nation, de rassembler. La vraie question, c’est de rétablir<br />

des institutions civiles viables, promouvoir la gouvernance, la<br />

démocratie interne. La vraie question, c’est d’investir, même<br />

le peu, qu’il y a dans le développement économique, dans<br />

le désenclavement. La vraie question, c’est de promouvoir<br />

la solidarité régionale, s’appuyer sur les institutions ouestafricaines,<br />

sur les alliances entre États de la région pour faire<br />

front ensemble, pour s’entraider.<br />

Bien sûr, les cyniques répondront : on peut rêver. Mais<br />

tout le reste n’est que propagande illusoire et suicidaire. Dont<br />

le coût sera immense pour des dizaines de millions d’Africains<br />

sahéliens. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 3


France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA<br />

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– DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € –<br />

Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />

Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA<br />

ISSN 0998-9307X0<br />

Le stade Lusail,<br />

qui accueillera<br />

la finale<br />

du Mondial.<br />

N°<strong>433</strong> OCTOBRE 2022<br />

3 ÉDITO<br />

La fin du Sahel ?<br />

par Zyad Limam<br />

6 ON EN PARLE<br />

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE,<br />

DE LA MODE ET DU DESIGN<br />

Black Power<br />

26 CE QUE J’AI APPRIS<br />

Souad Asla<br />

par Astrid Krivian<br />

29 C’EST COMMENT ?<br />

Pas de rentrée pour tous<br />

par Emmanuelle Pontié<br />

80 VIVRE MIEUX<br />

Prenons soin de nous !<br />

par Annick Beaucousin<br />

90 VINGT QUESTIONS À…<br />

Philomé Robert<br />

par Astrid Krivian<br />

TEMPS FORTS<br />

30 Le Qatar face au but<br />

par Zyad Limam<br />

et Thibaut Cabrera<br />

42 Kenya : L’irrésistible<br />

ascension de William Ruto<br />

par Cédric Gouverneur<br />

50 L’Afrique au cœur<br />

de la bataille du gaz<br />

par Cédric Gouverneur<br />

56 Philippe Faucon :<br />

« Le piège s’est refermé<br />

sur les harkis »<br />

par Astrid Krivian<br />

62 Pierre Audin :<br />

Au nom du Père<br />

par Luisa Nannipieri<br />

68 Olivette Otele :<br />

« Il n’y a pas<br />

à se justifier »<br />

par Astrid Krivian<br />

74 Ons Jabeur,<br />

la championne<br />

en attente<br />

par Frida Dahmani<br />

P.06<br />

COUPE DU MONDE 2022<br />

LE QATAR<br />

FACE<br />

AU BUT<br />

LA COMPÉTITION PLANÉTAIRE COMMENCE<br />

LE 20 NOVEMBRE DANS UN CONTEXTE<br />

GLOBAL TENDU. LE MOMENT DE VÉRITÉ<br />

POUR LE RICHISSIME ÉMIRAT.<br />

KENYA<br />

L’irrésistible ascension<br />

de WILLI<strong>AM</strong> RUTO<br />

<strong>AM</strong>BITION<br />

ONS JABEUR,<br />

la championne en attente<br />

INTERVIEW<br />

PHILIPPE FAUCON<br />

« Le piège s’est refermé<br />

sur les harkis »<br />

PERSPECTIVES<br />

L’AFRIQUE AU CŒUR<br />

DE LA BATAILLE DU GAZ<br />

N°<strong>433</strong> - OCTOBRE 2022<br />

L 13888 - <strong>433</strong> H - F: 4,90 € - RD<br />

<strong>AM</strong> <strong>433</strong> COUV NEW.indd 1 03/10/2022 22:14<br />

PHOTOS DE COUVERTURE : FRANCK FAUGÈRE/PRESSE<br />

SPORTS - SHUTTERSTOCK - FLORIAN PLAUCHEUR/AFP<br />

P.42<br />

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande<br />

nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps.<br />

Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement<br />

de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com<br />

GORDON PARKS - TONY KARUMBA/AFP<br />

4 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


P.50<br />

FONDÉ EN 1983 (38 e ANNÉE)<br />

31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE<br />

Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />

redaction@afriquemagazine.com<br />

Zyad Limam<br />

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION<br />

DIRECTEUR DE LA RÉDACTION<br />

zlimam@afriquemagazine.com<br />

Assisté de Laurence Limousin<br />

llimousin@afriquemagazine.com<br />

RÉDACTION<br />

Emmanuelle Pontié<br />

DIRECTRICE ADJOINTE<br />

DE LA RÉDACTION<br />

epontie@afriquemagazine.com<br />

Isabella Meomartini<br />

DIRECTRICE ARTISTIQUE<br />

imeomartini@afriquemagazine.com<br />

Jessica Binois<br />

PREMIÈRE SECRÉTAIRE<br />

DE RÉDACTION<br />

sr@afriquemagazine.com<br />

Amanda Rougier PHOTO<br />

arougier@afriquemagazine.com<br />

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO<br />

Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau,<br />

Frida Dahmani, Catherine Faye, Cédric<br />

Gouverneur, Dominique Jouenne,<br />

Astrid Krivian, Luisa Nannipieri,<br />

Sophie Rosemont.<br />

VIVRE MIEUX<br />

Danielle Ben Yahmed<br />

RÉDACTRICE EN CHEF<br />

avec Annick Beaucousin.<br />

VENTES<br />

EXPORT Laurent Boin<br />

TÉL. : (33) 6 87 31 88 65<br />

FRANCE Destination Media<br />

66, rue des Cévennes - 75015 Paris<br />

TÉL. : (33) 1 56 82 12 00<br />

ABONNEMENTS<br />

TBS GROUP/Afrique Magazine<br />

235 avenue Le Jour Se Lève<br />

92100 Boulogne-Billancourt<br />

Tél. : (33) 1 40 94 22 22<br />

Fax : (33) 1 40 94 22 32<br />

afriquemagazine@cometcom.fr<br />

MICHAEL KAPPELER/DPA/DPA PICTURES - ADRIAN SHERRATT - FRANCK SEGUIN/PRESSE SPORTS<br />

BUSINESS<br />

82 La course à l’hydrogène vert<br />

86 Cédric Philibert :<br />

« Nous en sommes encore<br />

aux prémices »<br />

88 Flutterwave dans la tempête<br />

89 Des appels d’offres pour<br />

le pétrole et le gaz de RDC<br />

par Cédric Gouverneur<br />

P.74<br />

P.68<br />

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ<br />

regie@afriquemagazine.com<br />

<strong>AM</strong> International<br />

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Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />

AFRIQUE MAGAZINE<br />

EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR<br />

31, rue Poussin - 75016 Paris.<br />

SAS au capital de 768 200 euros.<br />

PRÉSIDENT : Zyad Limam.<br />

Compogravure : Open Graphic<br />

Média, Bagnolet.<br />

Imprimeur : Léonce Deprez, ZI,<br />

Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.<br />

Commission paritaire : 0224 D 85602.<br />

Dépôt légal : octobre 2022.<br />

La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos<br />

reçus. Les indications de marque et les adresses figurant<br />

dans les pages rédactionnelles sont données à titre<br />

d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction,<br />

même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique<br />

Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction.<br />

© Afrique Magazine 2022.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 5


ON EN PARLE<br />

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage<br />

Des membres de l'organisation américaine à Los Angeles, en 1966.<br />

PHOTOGRAPHIES<br />

BLACK POWER<br />

La PUISSANCE DES IMAGES de Gordon Parks témoigne de la lutte<br />

de Stokely Carmichael pour la justice raciale et les droits civiques.<br />

EN 1967, le magazine américain Life publie un profil<br />

révolutionnaire de l’activiste controversé du Black Power,<br />

Stokely Carmichael (plus tard, Kwame Ture), avec des images<br />

et des reportages de l’une des figures les plus influentes de<br />

la photographie du XX e siècle, Gordon Parks. Centrée sur les<br />

cinq clichés emblématiques du jeune leader tirés de l’article,<br />

cette exposition au musée des Beaux-Arts de Houston fait écho<br />

aux complexités et aux tensions inhérentes à la lutte pour les<br />

droits civiques. Parks a rencontré Carmichael alors que celui-ci<br />

appelait à rallier le Black Power dans un discours donné<br />

dans le Mississippi en juin 1966, attirant l’attention nationale.<br />

Plus radical que le mouvement américain des droits civiques<br />

– représenté entre autres par Martin Luther King –, le Black<br />

Power revendiquait une affirmation de l'identité noire, avant<br />

toute éventuelle intégration à une société dominée par le<br />

« pouvoir blanc ». L’expo met en lumière des dizaines d'autres<br />

photographies et planches de contacts de la série de Parks,<br />

jamais publiées ou exposées auparavant, ainsi que des images<br />

des discours et des interviews de Carmichael. ■ Catherine Faye<br />

« GORDON PARKS: STOKELY CARMICHAEL AND BLACK<br />

POWER », The Museum of Fine Arts, Houston (États-Unis),<br />

du 16 octobre 2022 au 16 janvier 2023. mfah.org<br />

GORDON PARKS<br />

6 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


GORDON PARKS<br />

L'activiste<br />

photographié<br />

en Alabama,<br />

en 1966.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 7


ON EN PARLE<br />

THRILLER<br />

Le jeune étudiant est joué par<br />

l’Israëlo-Palestinien Tawfeek Barhom.<br />

L’ESPION QUI PRIAIT<br />

Un fils de pêcheur admis<br />

à la prestigieuse université cairote<br />

al-Azhar se retrouve<br />

mêlé à une LUTTE<br />

DE POUVOIR entre<br />

religieux sunnites<br />

et politiques.<br />

SEUL UN ÉGYPTIEN vivant en Suède<br />

et tournant en Turquie pouvait réaliser<br />

ce tour de force : mettre en scène<br />

la corruption politique et l’hypocrisie<br />

de certains dignitaires religieux<br />

dans son pays d’origine (où il est interdit de séjour). Au Caire,<br />

l’université al-Azhar est une référence pour les sunnites du monde<br />

entier, et ses fatwas influencent les lois nationales. Lorsque le<br />

film commence, son grand imam est mourant et sa succession<br />

ouverte. Les cheikhs, extrémistes comme progressistes, ont leurs<br />

candidats, mais le gouvernement veut placer son homme. Un<br />

vieil officier de la sûreté de l’État va se servir d’un jeune novice,<br />

débarqué de sa campagne des bords du Nil, pour tenter d’infiltrer<br />

l’université et sa mosquée… Ruses, doubles jeux, retournements<br />

de situation, autant de ficelles d’un bon thriller qui tissent ici un<br />

récit passionnant, porté par une mise en scène très graphique :<br />

la reconstitution de ces lieux mythiques (réalisée dans la mosquée<br />

Süleymaniye, à Istanbul) est spectaculaire. Le jeune étudiant<br />

modeste est joué avec talent par l’Israëlo-Palestinien Tawfeek<br />

Barhom – découvert dans Le Chanteur de Gaza, d’Hany Abu-Assad,<br />

il sera à l’affiche du prochain Terrence Malick –, et l’homme<br />

d’Al-Sissi est interprété par Fares Fares, comédien libano-suédois<br />

qui incarnait le héros du gros succès de Tarik Saleh en 2017,<br />

Le Caire confidentiel. Récompensé au Festival de Cannes d’un<br />

prix du scénario mérité, son nouvel opus nous fait pénétrer<br />

au cœur d’une institution mythique et fermée, tout en faisant<br />

clairement apparaître les enjeux politiques, religieux et personnels<br />

qui s’y jouent. Le résultat est saisissant. ■ Jean-Marie Chazeau<br />

LA CONSPIRATION DU CAIRE (Suède-France-Finlande),<br />

de Tarik Saleh. Avec Tawfeek Barhom, Fares Fares,<br />

Mohammad Bakri. En salles.<br />

❶<br />

SOUNDS<br />

À écouter maintenant !<br />

Liraz<br />

Roya, Glitterbeat/<br />

Modulor Records<br />

« Roya » signifie « fantaisie »<br />

en farsi et, effectivement, avec<br />

ce troisième album, Liraz apporte un peu<br />

plus de joie de vivre au patrimoine musical<br />

iranien. Née en Israël, la chanteuse n’a pas<br />

oublié les chansons qu’elle écoutait, enfant,<br />

grâce à ses aïeux. Roya a été enregistré<br />

en catimini à Istanbul, avec son sextet de<br />

Tel Aviv mais aussi des musiciens iraniens…<br />

Y résonne la magie du tar, accompagné par<br />

le violon et des rythmes ultra-dansants.<br />

❷ Montparnasse<br />

Musique<br />

Archeology, Real<br />

World Records<br />

C’est de la rencontre entre<br />

le Franco-Algérien Nadjib Ben<br />

Bella et le DJ sud-africain Aero Manyelo, dans la<br />

gare parisienne de Montparnasse, qu’est né ce duo<br />

décapant : sur un terreau traditionnel et organique<br />

se mêlent house, kwaito, techno et gqom. Après<br />

un premier EP prometteur en 2021, signé sur le<br />

prestigieux label de Peter Gabriel, ils présentent<br />

aujourd’hui (toujours chez Real World Records) leur<br />

album Archeology, un récit dansant qui parcourt<br />

le continent du nord au sud, avec une pause à<br />

Kinshasa, centre névralgique de leurs beats.<br />

❸<br />

Bibi Tanga &<br />

The Selenites<br />

The Same Tree, L’Inlassable<br />

Disque/Baco Distribution<br />

Depuis 2008, le bassiste et<br />

chanteur originaire de Bangui, Bibi Tanga, fédère<br />

ses Sélénites, les « habitants de la Lune » (Eric<br />

Kerridge, Arthur Simonini et Arnaud Biscay),<br />

autour d’un son funky et rétrofuturiste. Fruit de<br />

deux ans de sessions enfiévrées et insomniaques<br />

en studio, leur quatrième album, The Same Tree,<br />

explore plusieurs versants du groove, du plus<br />

conscient au plus hédoniste, sous la houlette du DJ<br />

français Professeur inlassable. Et un peu plus haut,<br />

la bénédiction de feu Fela Kuti… ■ Sophie Rosemont<br />

ATMO - DR (4)<br />

8 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


FUSION<br />

KUTU<br />

GROUPE<br />

OVNI<br />

Formé par<br />

deux chanteuses<br />

éthiopiennes<br />

et un jazzman<br />

français, ce projet<br />

est AUSSI<br />

SURPRENANT<br />

que captivant.<br />

AURORE FOUCHEZ<br />

UN SOIR DE 2019,<br />

le violoniste français Théo<br />

Ceccaldi – l’une des grandes<br />

révélations jazz des dernières<br />

années – assiste à un concert<br />

du Jano Band à Addis-Abeba,<br />

sur les traces des merveilles<br />

sonores ethio-jazz. Dans<br />

cet orchestre officient deux<br />

chanteuses qui le subjuguent :<br />

Haleluya Tekletsadik et<br />

Hewan Gebrewold. Le<br />

groupe Kutu voit alors le jour,<br />

l’homme à la composition, et<br />

les deux femmes à l’écriture.<br />

En résulte aujourd’hui ce<br />

premier disque, Guramayle,<br />

où le violon rencontre des<br />

effluves électroniques, dub<br />

et rock, et où se fait entendre<br />

la poésie des ballades tezeta,<br />

jadis sublimée par le roi de<br />

l’éthio-jazz Mulatu Astatke.<br />

Ces multiples variations font<br />

de Kutu un projet ovniesque,<br />

qui met (enfin !) en valeur<br />

le talent de songwriting<br />

d’artistes féminines. De quoi<br />

enthousiasmer au-delà des<br />

frontières éthiopiennes. ■ S.R.<br />

KUTU, Guramayle,<br />

Brouhaha/Bigwax.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 9


ON EN PARLE<br />

10 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


ON EN PARLE<br />

JAZZ<br />

YISSY GARCÍA<br />

LA LUMIÈRE CUBAINE<br />

Officiant depuis de longues années,<br />

cette BRILLANTE BATTEUSE présente<br />

son premier album, le bien nommé Light.<br />

LARISA LOPEZ - DR<br />

ELLE A JOUÉ pour les plus grands,<br />

d’Esperanza Spalding à Dave Matthews,<br />

mais Yissy García s’est très tôt, et<br />

tout naturellement, imposée dans<br />

la cour des grands. Fille du batteur<br />

et percussionniste cubain Bernardo<br />

García, fondateur du groupe Irakere,<br />

elle n’a cessé d’explorer des territoires<br />

musicaux a priori aux antipodes : funk,<br />

jazz, folklore cubain… Tout est possible<br />

pour la musicienne qui, à 35 ans,<br />

s’illustre dans plusieurs projets : « Dans<br />

mon pays, j'ai eu la chance que les gens<br />

s'intéressent à ma musique, même si<br />

elle n’est pas commerciale à proprement<br />

parler, confie-t-elle. Beaucoup de<br />

personnes s'identifient à différentes<br />

chansons, ce qui me réjouit : l'objectif<br />

est d'atteindre le cœur des gens, au-delà<br />

même des frontières. » Parce que la<br />

sororité n’est pas un vain mot, l’artiste<br />

officie aussi dans un collectif 100 %<br />

féminin, Maqueque. « Je pense avoir<br />

beaucoup contribué au son du groupe,<br />

à la fois en tant qu’instrumentiste<br />

et compositrice », commente-t-elle<br />

sobrement. Celle qui aime voir son<br />

« empreinte incarnée » sur sillon a aussi<br />

beaucoup tourné avec Bandancha. D’où<br />

ce premier album, Light, compilation<br />

de toutes ces scènes partagées avec les<br />

quatre instrumentistes qui complètent<br />

cette autre formation : « Je voulais<br />

rassembler tous les sons que le groupe<br />

a traversés depuis sa création, des<br />

ambitions d’abord électroniques jusqu'à<br />

aujourd'hui, où je travaille sur un format<br />

plus acoustique. Cet album est destiné<br />

au public européen, qui ne connaît<br />

pas encore très bien ma musique… »<br />

Avec Light, les présentations sont<br />

faites : en six morceaux chaloupés<br />

et à la structure parfois complexe<br />

sans être aride, le disque nous<br />

transporte à La Havane. Tantôt agité,<br />

tantôt tendre, mué par une facilité<br />

d’improvisation et le talent virtuose de<br />

Yissy García, il confirme l’importance<br />

de celle-ci au sein de ce que le jazz<br />

peut proposer de plus chaleureux…<br />

sans oublier ce je-ne-sais-quoi<br />

de viscéralement rebelle. ■ S.R.<br />

YISSY GARCÍA & BANDANCHA,<br />

Light, Laborie Jazz.<br />

11


ON EN PARLE<br />

EXPOSITION<br />

AFFAIRES<br />

EN OR<br />

Près de 1 100 DINARS<br />

racontent l’histoire complexe<br />

de la civilisation de l’islam.<br />

FAÇONNÉES DANS LE MONDE arabo-musulman entre<br />

les VIII e et XIX e siècles, ces pièces de monnaie en or constituent<br />

un trésor miniature des écritures en alphabet arabe et de<br />

la diversité de la calligraphie. La remarquable collection<br />

qui est actuellement exposée à l’Institut du monde arabe<br />

– présentée pour la première fois au grand public – se<br />

compose exclusivement de dinars, dont de nombreuses<br />

frappes sont rares, voire uniques. C’est le calife omeyyade<br />

Abd al-Malik (685-705) qui a promulgué l’arabe comme<br />

langue de l’administration et instauré un monnayage<br />

dépourvu de représentations figurées, avec uniquement<br />

des inscriptions proclamant la croyance en un Dieu unique<br />

et la date de la frappe. En 1258, après la chute du califat<br />

abbasside, le principe est demeuré en usage, et de la<br />

Turquie à l’Inde, en passant par l’Iran, sultans, chahs et<br />

empereurs ajoutaient parfois sur leurs dinars le portrait<br />

du souverain ou l’emblème figuratif de leur pouvoir. ■ C.F.<br />

Cette collection<br />

de pièces de monnaie<br />

provenant des quatre coins du monde<br />

arabo-musulman est présentée pour<br />

la première fois au grand public.<br />

« UN TRÉSOR<br />

EN OR :<br />

LE DINAR<br />

DANS TOUS<br />

SES ÉTATS »,<br />

Institut du<br />

monde arabe,<br />

Paris (France),<br />

jusqu’au<br />

26 mars 2023.<br />

imarabe.org<br />

HISTOIRE(S)<br />

NOSTALGIE LIBANAISE<br />

Un triptyque littéraire, où imagination<br />

et faits réels témoignent des ambivalences<br />

d’un pays.<br />

« C’EST COMME SI le vrai monde était<br />

ailleurs et que j’étais condamné à vivre<br />

ici, c’est-à-dire nulle part, ou alors<br />

seulement dans ma tête. » Entre évocation<br />

poétique de l'enfance, éveil à la sexualité, nostalgie, tonalité<br />

ouvertement politique et absurdité de la guerre, ce roman<br />

explore les remous de destins individuels façonnés par la<br />

violence du monde. Largement autobiographique, il couvre<br />

ainsi trente années d’un Liban laminé par les tensions et<br />

les ruptures, à travers trois épisodes de la vie du narrateur<br />

et de sa famille juive d’origine syrienne, exilés à Beyrouth.<br />

Trois moments clés de l’histoire de leur pays : la crise de<br />

Suez (1956), l’espoir d’un changement révolutionnaire<br />

(1968), la guerre civile et l’invasion israélienne (1982).<br />

Youssef Hosni, jeune homme épris de justice, devenu<br />

journaliste en France, y incarne l’auteur, envoyé spécial du<br />

quotidien Libération pendant la guerre du Liban. Au fil des<br />

péripéties de sa vie se dessinent peu à peu les contradictions<br />

fascinantes d’un pays et de sa capitale mythique. ■ C.F.<br />

SÉLIM NASSIB, Le Tumulte,Éditions<br />

de l’Olivier, 416 pages, 21,50 €.<br />

ROMAN<br />

ICI ET LÀ<br />

Avec fantaisie et humour, Alain Mabanckou<br />

envisage la mort comme un éclat de rire<br />

dans son dernier ouvrage.<br />

ICI, LA FRONTIÈRE EST ÉTROITE entre<br />

les vivants et ceux qui ne le sont plus.<br />

Là, ce n'est pas le moindre talent de<br />

l’auteur de Petit Piment et de Mémoires<br />

de porc-épic (pour lequel il a reçu le prix Renaudot 2006)<br />

que de nous promener dans cet entre-deux équivoque. Dans<br />

ce grand roman social, politique et visionnaire, son héros,<br />

Liwa, nouveau locataire du cimetière de Frère-Lachaise, brûle<br />

de revenir auprès des vivants pour venger sa mort qu’il juge<br />

injuste. Illusion ? « Tu éprouves un immense bonheur, rien<br />

ne te résiste, aucun obstacle ne se dresse sur ton chemin. »<br />

Ou réalité ? « À peine leur as-tu dit bonjour qu’ils poussent<br />

des cris d’épouvante. » L’un et l’autre, très certainement.<br />

D’ailleurs, à Pointe-Noire, en République du Congo, où<br />

l’écrivain a grandi et puise ses souvenirs, les conversations<br />

entre défunts vont bon train. Et la lutte des classes se<br />

poursuit jusque dans le royaume des morts, où ceux-ci sont<br />

étrangement vivants. Un texte vibrionnant et inspiré. ■ C.F.<br />

ALAIN MABANCKOU, Le Commerce des allongés,<br />

Le Seuil, 304 pages, 19,50 €.<br />

DR - IMA/DR (4) - DR (2)<br />

12 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


DR<strong>AM</strong>E<br />

UNE VIE MEILLEURE ?<br />

Primé à Cannes, le nouveau film des frères Dardenne<br />

est illuminé par deux jeunes acteurs africains incarnant<br />

des MIGRANTS EN SURSIS au cœur de l’Europe.<br />

Ses interprètes,<br />

Joely Mbundu et Pablo<br />

Schils, sont touchants<br />

de justesse.<br />

CHRISTINE PLENUS - DR<br />

UN PETIT GARÇON et une adolescente venus seuls du<br />

continent sont hébergés dans un centre d’accueil en Belgique.<br />

Les conditions sont bonnes, mais la méfiance est grande.<br />

Tori est considéré comme un enfant sorcier dans son pays,<br />

le Bénin, et coche la case « réfugié » sans problème, mais Lokita<br />

n’a qu’une crainte : être renvoyée au Cameroun, où sa famille<br />

compte sur elle pour lui envoyer de l’argent… Tous deux<br />

se font passer pour frère et sœur afin de pouvoir rester en<br />

Europe. Leur amitié va les aider à affronter de nombreuses<br />

situations difficiles – exploités par un restaurateur pour<br />

des petits boulots mal payés, et bientôt un trafic de drogue,<br />

ou par des passeurs qui exigent leur dû. Les frères Dardenne<br />

ne sont pas réputés pour être de joyeux drilles – leurs<br />

longs-métrages décrivent<br />

toujours les difficultés des<br />

plus mal lotis dans les sociétés<br />

occidentales –, mais ils font<br />

souvent mouche, en touchant le spectateur sans aucun effet<br />

(pas de musique) et par la justesse de leurs interprètes. Ici,<br />

le jeune Pablo Schils crève l’écran aux côtés de Joely Mbundu,<br />

tout en retenue, et que la maman originaire de Kinshasa<br />

accompagnait avec fierté au dernier Festival de Cannes,<br />

où le film a obtenu le Prix du 75 e anniversaire. ■ J.-M.C.<br />

TORI ET LOKITA (Belgique), de Jean-Pierre<br />

et Luc Dardenne. Avec Pablo Schils, Joely Mbundu,<br />

Nadège Ouedraogo. En salles.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 13


ON EN PARLE<br />

ÉVÉNEMENT<br />

1-54<br />

À LONDRES<br />

10 ANS, DÉJÀ !<br />

La foire internationale dédiée<br />

à l’art contemporain africain<br />

FÊTERA SA DÉCENNIE<br />

à la Somerset House.<br />

PLUS DE 50 GALERIES en provenance de 21 pays<br />

présenteront, du 13 au 16 octobre, les créations d’au<br />

moins 130 artistes, qu’ils soient connus, comme Ibrahim<br />

El-Salahi, Hassan Hajjaj et Zanele Muholi, ou émergents,<br />

tels Sola Olulode, Pedro Neves ou encore Jewel Ham.<br />

La Portugaise Grada Kilomba, connue pour son travail sur<br />

le racisme, la mémoire et le postcolonialisme, commence<br />

à cette occasion sa carrière au Royaume-Uni : son<br />

installation, O Barco/The Boat, une œuvre puissante qui<br />

sera animée par les créations musicales du compositeur<br />

Kalaf Epalanga, occupera jusqu’au 20 octobre la cour<br />

de la Somerset House. Au-delà des projets spéciaux,<br />

conférences, workshops, performances et projections<br />

qui animeront la célèbre foire internationale dédiée à<br />

l'art contemporain d'Afrique et de sa diaspora, des ventes<br />

spéciales seront proposées sur la plate-forme Artsy<br />

(artsy.net) jusqu’à la fin du mois. ■ Luisa Nannipieri<br />

L'installation de la Portugaise<br />

Grada Kilomba (ci-contre),<br />

O Barco/The Boat (ci-dessus,<br />

exposée dans le MAAT de<br />

Lisbonne, en 2021), occupera<br />

la cour du bâtiment.<br />

Ci-dessous, Encantada,<br />

Pedro Neves, 2022.<br />

1-54,<br />

Somerset<br />

House,<br />

Londres<br />

(Royaume-<br />

Uni), du<br />

13 au<br />

16 octobre.<br />

1-54.com<br />

BRUNO SIMÃO/COURTESY OF THE ARTIST - UTE LANGKAFEL - DR (2)<br />

14 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


FOUAD MAAZOUZ/COURTESY GALERIE 38 - DR<br />

FOIREAKAA<br />

LE TEMPS ET LE MOUVEMENT<br />

Bonne nouvelle pour les <strong>AM</strong>ATEURS<br />

D’ART : la 7 e édition d’Also Known As<br />

Africa aura également lieu ce mois-ci !<br />

ALSO KNOWN AS AFRICA, l’une des plus importantes foires<br />

d’art et design africain contemporain en France, revient au Carreau<br />

du Temple, à Paris, du 21 au 23 octobre avec une sélection de<br />

129 artistes internationaux, représentés par 38 galeries : on retrouvera<br />

les habituées, telles Anne de Villepoix (France), l’October Gallery<br />

(Royaume-Uni) – avec entre autres l’Australo-Nigériane Nnenna<br />

Okore, invitée pour une carte blanche – ou Véronique Rieffel (Côte<br />

d’Ivoire), mais également de nouvelles arrivantes, comme Soview<br />

Gallery (Ghana) et Foreign Agent (Suisse). Cette dernière représente<br />

les quatre designers de renom (Ousmane Mbaye, Bibi Seck, Jean<br />

Servais Somian et Jomo Tariku) qui ont habillé l’espace VIP. La<br />

Galerie 38 présentera, elle, les œuvres du maître malien Abdoulaye<br />

Konaté, qui a créé une installation monumentale sous les verrières<br />

du Carreau du Temple sur le thème du temps et du mouvement.<br />

Fil rouge de la manifestation, cette thématique sera au cœur des<br />

expositions, des rencontres culturelles, des performances et des<br />

colloques à suivre intra et hors les murs, ainsi que du beau livre<br />

Quantité.s de mouvement, spécialement conçu et édité par AKAA. ■ L.N.<br />

Le vent (fié), Abdoulaye Konaté, 2020.<br />

ALSO KNOWN AS AFRICA, Carreau du<br />

Temple, Paris (France), du 21 au 23 octobre.<br />

akaafair.com<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 15


ON EN PARLE<br />

PORTRAIT<br />

EYE<br />

HAÏDARA<br />

LA TOUCHE-<br />

À-TOUT<br />

Entre théâtre, série et cinéma,<br />

cette comédienne française<br />

d’origine malienne fait valoir<br />

son JEU TOUT-TERRAIN.<br />

SI LE GRAND PUBLIC l’a découverte grâce à la série<br />

En thérapie, où elle fait partie des grandes figures<br />

de la deuxième saison, Eye Haïdara témoigne déjà<br />

d’un riche parcours de comédienne. Après un cursus<br />

d’études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle, à Paris,<br />

elle s’est formée à l’Académie internationale de<br />

théâtre de Lorient. Depuis, elle s’illustre sur petit<br />

et grand écrans comme sur scène. Cet automne,<br />

elle joue en alternance avec d’autres actrices une<br />

adaptation de Sorcières, l’essai de Mona Chollet,<br />

au théâtre de l’Atelier, à Paris, et tient le premier rôle<br />

de la comédie sociale Les Femmes du square, de Julien<br />

Rambaldi (qui sortira en salles le 16 novembre) :<br />

« J’aime me lancer des défis et je n’ai jamais voulu<br />

m’installer dans un registre particulier. Il en va<br />

de même avec les formats. Aujourd’hui, on a une<br />

manière différente de consommer l’audiovisuel,<br />

les arts vivants ou le spectacle. Ce serait dommage<br />

de ne pas s’y adapter. Mais il faut que le projet<br />

me parle ! » L’exigence d’une écriture, la force de<br />

caractère d’un personnage, la beauté d’une mise<br />

en scène… C’est ce qui compte pour Eye, née<br />

à Boulogne-Billancourt de parents maliens et très<br />

attachée à ses racines : « Ils vivent dans le sud<br />

de Bamako, entourés d’hectares de plantations,<br />

d’animaux… Il y a des chevaux, une superbe nature.<br />

Je vais régulièrement les voir avec mon fils, et c’est<br />

avant tout là-bas que je me ressource. » ■ S.R.<br />

SORCIÈRES, théâtre de l’Atelier, Paris (France),<br />

jusqu'au 9 novembre. theatre-atelier.com<br />

HENRI COUTANT<br />

16 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


RYTHMES<br />

LES JEUNES ÉTOILES<br />

DE STAR FEMININE BAND<br />

Après le succès de leur premier disque, le groupe béninois confirme<br />

son ÉNERGIQUE ENGAGEMENT dans ce nouvel opus.<br />

ANDRÉ BALAGUEMON - DR<br />

EN 2020, on voyait débarquer le Star Feminine Band avec<br />

un premier album écrit par André Balaguemon, et joué par<br />

sept musiciennes originaires du Bénin. L’année suivante,<br />

après moult péripéties administratives, elles se produisaient<br />

sur scène en France. La plus jeune avait 12 ans, la plus<br />

âgée venait de fêter ses 18 ans. Tant qu’à faire, autant<br />

enregistrer un album ! Le résultat, sorti en septembre,<br />

nous enchante : aux rythmiques peuls ou waama se mêlent<br />

des sonorités plus pop, sans oublier le message féministe<br />

que veulent faire passer ces jeunes filles à forte personnalité,<br />

comme dans « Le Mariage forcé », « Les Filles à l’école »<br />

ou « L’Excision ». Sur l’anglophone « Woman Stand Up »,<br />

ces ambassadrices investies de l’Unicef appellent à la sororité<br />

et à la persévérance face à une société toujours soumise<br />

au bon vouloir patriarcal et qui ne donne aucune chance, ou<br />

presque, à la professionnalisation des jeunes femmes. ■ S.R.<br />

STAR FEMININE BAND, In Paris, Born Bad<br />

Records/L’Autre Distribution.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 17


ON EN PARLE<br />

INTERVIEW<br />

Mia Couto, contrebandier<br />

de l’invisible<br />

Passeur d’une culture multiforme, le Mozambicain<br />

lusophone est aujourd’hui l’un des écrivains les plus<br />

inventifs du continent. L’œuvre foisonnante de ce poète<br />

engagé, également biologiste, puise aux racines de<br />

l’imaginaire et de la tradition orale de son Afrique natale.<br />

<strong>AM</strong> : Vous vous définissez comme étant<br />

à la fois un Blanc et un Africain. Comment<br />

naviguez-vous entre ces mondes ?<br />

Mia Couto : Je ne sais pas vraiment ce que c'est que<br />

d'être un « Blanc », un « Africain » et je ne sais pas si l'une<br />

de ces catégories peut définir l'identité de quelqu'un. Ce que je<br />

peux dire, c'est qu'en raison de circonstances presque toujours<br />

accidentelles, il m'est arrivé d'être un être des frontières :<br />

le fils d'Européens, né et vivant en Afrique, un athée qui se<br />

laisse prendre par les croyances et les mythes, un scientifique<br />

sensible à des raisons qui ne se révèlent<br />

que dans la poésie, un écrivain obsédé par<br />

le démantèlement de la logique de l'écriture<br />

pour faire de la place à l'oralité, quelqu'un qui<br />

n'a de mémoire que si le passé est inventé.<br />

Quelle légitimité vous donne<br />

cette double appartenance ?<br />

Nous avons tous des appartenances<br />

multiples, personne ne peut revendiquer<br />

une identité unique et « pure ». La construction<br />

des clichés sur l'autre n'est pas l'apanage<br />

d'une culture, d'une race, d'une religion. Je<br />

suis bien conscient des stéréotypes créés pour<br />

annuler l'histoire et la culture des Africains.<br />

Mais il est aussi vrai que le regard de ces<br />

derniers sur l'Europe est chargé de stéréotypes<br />

et, curieusement, nombre d'entre eux sont<br />

des héritages de la domination coloniale.<br />

La méconnaissance se développe à l'intérieur<br />

du continent africain lui-même. Nous, les Mozambicains,<br />

ne savons pas ce qu'il se passe juste à côté de chez nous en<br />

Afrique du Sud. À l’inverse, voyez la manière déformée dont<br />

nous y sommes perçus et les vagues de xénophobie contre nos<br />

émigrés. Pourtant, nous sommes des pays-frères, des peuples<br />

qui ont combattu ensemble contre des régimes racistes.<br />

Votre dernier ouvrage interroge les absences.<br />

Pensez-vous jouer un rôle de passeur ?<br />

Si une identité peut m'être donnée, c'est celle<br />

d'un contrebandier entre cultures et identités. Je suis<br />

Le Cartographe<br />

des absences, Métailié,<br />

352 pages, 22,80 €.<br />

né dans une ville métisse dans sa géographie humaine et,<br />

à l’adolescence, j'ai fait partie du mouvement de libération<br />

nationale. Je me suis battu et j'ai rêvé d'un pays dirigé par des<br />

Mozambicains. Ce qui veut dire : dirigé par l'immense majorité<br />

noire. Je vis dans un pays où plus de 95 % des citoyens sont<br />

noirs, mes voisins, mes collègues, mes dirigeants sont noirs.<br />

Quand j'invente un personnage, il m'apparaît comme un<br />

Noir. Ce n'est que plus tard, dans des cas particuliers, que<br />

je pense qu'ils peuvent avoir une autre race. Je ne découvre<br />

que je suis blanc que lorsque je sors du Mozambique.<br />

Dans un poème du Portugais Fernando<br />

Pessoa, la nature nous est présentée<br />

comme une abstraction. Vous<br />

inscrivez-vous dans cette pensée ?<br />

Je suis d'accord avec ce point de vue. Dans<br />

aucune des langues du Mozambique, il n'y a de<br />

mot pour dire « nature ». Cette distinction entre le<br />

naturel et le social n'a été construite dans aucune<br />

des sagesses présentes dans le pays. De même,<br />

il n'y a pas de séparation claire entre le monde<br />

des vivants et celui des morts. Il n'y a pas non<br />

plus de mot pour dire « mort ». Cela m’intéresse<br />

de connaître l'existence de termes qui semblent<br />

n'avoir aucune équivalence entre le portugais<br />

et nos autres langues. On apprend beaucoup sur<br />

la pensée dominante au Mozambique à travers<br />

cet inventaire des absences. C’est aussi dans ce<br />

sens que je suis un cartographe des absences.<br />

La poésie peut-elle tout investir ?<br />

Elle est plus qu'un genre littéraire. C'est une façon<br />

de comprendre le monde. Un moyen de se rendre compte<br />

des dimensions non visibles de la soi-disant réalité.<br />

D'une certaine manière, il n'y a personne qui ne soit pas<br />

poète, même si la poésie a été dévalorisée ou entourée<br />

de préjugés. J'ai choisi d'être biologiste pour cela. Pour<br />

rester proche des voix et des créatures qui ne semblent<br />

en apparence n'exister qu'en dehors de nous. [Retrouvez<br />

la version longue de cette interview sur notre site Internet :<br />

afriquemagazine.com.] ■ Propos recueillis par Catherine Faye<br />

PHILIPPE MATSAS/OPALE.PHOTO - DR<br />

18 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


MÉMOIRE<br />

UNE LÂCHETÉ NATIONALE<br />

Les SUPPLÉTIFS ALGÉRIENS<br />

de l’armée française abandonnés<br />

à l’heure de l’indépendance…<br />

JACQUES REBOUD - DR<br />

LES TROIS DERNIÈRES ANNÉES de la guerre d’Algérie<br />

vécues aux côtés des harkis, ceux qui ont rejoint<br />

l’armée française par conviction ou pour nourrir leur<br />

famille, comme ceux qui entendent bien se venger<br />

des moudjahidines qui s’en sont pris aux leurs… Face<br />

à eux, une hiérarchie militaire méfiante à laquelle Paris<br />

demande de ne pas charger la barque des rapatriés, mais<br />

aussi des appelés fraternels. À l’heure où se négociait<br />

la fin de l’Algérie française, ces soldats ont été désarmés<br />

et, pour beaucoup, abandonnés à la bonne volonté<br />

des vainqueurs : plus de 70 000 hommes auraient ainsi<br />

été tués après le cessez-le-feu de mars 1962. Philippe<br />

Faucon [voir son interview pages 56-61], réalisateur<br />

subtil de Fatima et de La Trahison, a vécu cette guerre<br />

durant son enfance. Devant sa caméra, les comédiens<br />

algériens et marocains qu’il a choisis sont d’une puissante<br />

sobriété, au service d’un film qui raconte avec une<br />

grande clarté un impensable abandon. ■ J.-M.C.<br />

LES HARKIS (France), de Philippe Faucon. Avec Théo<br />

Cholbi, Mohamed Mouffok, Omar Boulakirba. En salles.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 19


ON EN PARLE<br />

Sa collection<br />

« Morphism »<br />

valorise les formes<br />

avec des volants<br />

aux couleurs<br />

et aux tailles<br />

audacieuses.<br />

MODE<br />

Le grand prix a été décerné au Sud-Africain Jacques Bam…<br />

AFRICA FASHION UP<br />

UN RENDEZ-VOUS<br />

INCONTOURNABLE<br />

Un parterre enthousiaste<br />

a célébré la DEUXIÈME<br />

ÉDITION de cette vitrine<br />

parisienne de la créativité<br />

du continent, où se mélangent<br />

qualité et passion.<br />

PROMOUVOIR LE SAVOIR-FAIRE africain en Europe tout<br />

en accompagnant les jeunes designers de talent. C’est le but<br />

du programme Africa Fashion Up, imaginé par l’ancienne<br />

mannequin ivoirienne Valérie Ka et son association Share<br />

Africa, qui avait déjà fait parler de lui lors de son lancement<br />

en 2021. Cette deuxième édition, clôturée par un défilé à<br />

l’hôtel parisien Salomon de Rothschild le 16 septembre dernier,<br />

confirme son statut de rendez-vous incontournable pour les<br />

MATTHIEU WADELL (2) - JACQUES B<strong>AM</strong><br />

20 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


MATTHIEU WADELL (2) - MUYISHIME EDI PATRICK<br />

… mais aussi au Rwandais<br />

Muyishime Edi Patrick.<br />

passionnés de mode africaine contemporaine. Les cinq<br />

créateurs sélectionnés, sur une centaine de candidatures,<br />

ont offert un spectacle de grande qualité, couronné par la<br />

présentation des nouvelles collections du Nigérian Emmanuel<br />

Okoro, le grand gagnant de la première édition, et de la<br />

créatrice guadeloupéenne ultra-chic Clarisse Hieraix. Les<br />

pièces ont tellement plu au jury que le prix Designer Africa<br />

Fashion Up a été décerné à deux lauréats : le Sud-Africain<br />

Jacques Bam et le Rwandais Muyishime Edi Patrick auront<br />

accès à une plate-forme internationale pour présenter leurs<br />

créations, en plus de pouvoir profiter, avec leurs collègues,<br />

d’une formation en management et d’un programme<br />

de mentorat avec Balenciaga. De nombreux fashionistas<br />

et influenceurs, des collectionneurs d’art, des artistes<br />

afro-urbains et même l’ex-ministre de l'Égalité Élisabeth<br />

Le créateur a remporté<br />

l’adhésion du jury avec<br />

ses robes envoûtantes<br />

et ses pièces maxi.<br />

Moreno, étaient présents. Le défilé a été inauguré par les tenues<br />

à l’allure afro-punk du Congolais Jean-Cédric Sow, fabriquées<br />

à partir de nguiri, de grands sacs en plastique. Jacques Bam<br />

a étonné avec une preview de sa collection « Morphism »,<br />

qui valorise les formes avec des inserts psychédéliques et des<br />

volants aux couleurs et aux tailles audacieuses. Les tailleurs<br />

finement décorés de milliers de boutons argentés et dorés de<br />

la Marocaine Mina Binebine, la collection tout en légèreté de<br />

l’Ivoirien Ibrahim Fernandez ou encore les robes envoûtantes<br />

signées Muyishime ont montré toute la diversité qui anime<br />

l’univers effervescent de la jeune mode du continent.<br />

On attend avec impatience la troisième édition. ■ L.N.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 21


ON EN PARLE<br />

DESIGN<br />

ATELIER<br />

LILIKPÓ<br />

Imaginer des MOSAÏQUES<br />

MULTIMATIÈRES pour<br />

des intérieurs d’exception.<br />

AUJOURD’HUI, ses travaux décorent les boutiques de Cartier<br />

à travers le monde. Mais c’est un peu par hasard que Sika<br />

Viagbo, 43 ans, a découvert la mosaïque dans les années 2000.<br />

Prise d’une passion presque obsessionnelle, l’étudiante en<br />

musicologie recouvre de tesselles tout ce qui lui passe sous<br />

les mains : murs, éviers, tables… Tant de projets qui poussent<br />

une amie à lui passer sa première commande. Autodidacte<br />

de talent, elle entame un parcours d’apprentissage dans<br />

un atelier et suit une courte formation d’architecture, avant<br />

de se mettre à son compte à Paris en 2006. Des expériences<br />

qui lui « ouvrent un champ de possibilités en dehors de la<br />

mosaïque traditionnelle » : inspirée par la mode et l’architecture<br />

d’intérieur, elle travaille avec le verre, le laiton ou le bois et<br />

dessine des créations qui ont fait de l’Atelier Lilikpó un ovni<br />

artisanal de succès. Le nom de la marque (« nuage » en éwé,<br />

la créatrice étant d'origine togolaise) renvoie à sa capacité<br />

de passer son temps la tête dans les nuages, à imaginer de<br />

nouvelles œuvres. Comme les deux cabinets qu’elle a présentés<br />

au salon parisien « Révélations », en juin dernier : Transitio,<br />

en dalles de verre noir et bambou, s’inspire d’une technique<br />

de vitraillistes qui consiste à éclater le verre pour obtenir des<br />

effets de lumière spectaculaires, tandis qu’Amazonia reprend<br />

la technique de la marqueterie pour créer un contraste<br />

fascinant entre le bois foncé et les nuances vertes du décor.<br />

Sublimes. ■ L.N. atelierlilikpo.com<br />

Autodidacte de<br />

talent, Sika Viagbo<br />

a découvert<br />

cette technique<br />

dans les<br />

années 2000.<br />

ATELIER LILIKPÓ - ANTOINE LIPPENS<br />

22 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


ATELIER LILIKPÓ (2) - ERIC WELLES-NYSTRÖM<br />

Inspirée par la mode et l’architecture d’intérieur,<br />

elle travaille avec le verre, le laiton ou le bois.<br />

Ci-dessus, un zoom sur le cabinet Amazonia.<br />

HIGHLIFE<br />

ALHAJI WAZIRI<br />

OSHOMAH,<br />

OU LA TRANSE<br />

SPIRITUELLE<br />

Le label de David Byrne<br />

(Talking Heads) réédite des<br />

morceaux de l’artiste en anglais<br />

comme en etsako. DIVIN !<br />

« LE MONDE dans lequel nous vivons est basé sur<br />

les contributions de chacun / Nous avons besoin de nous<br />

tous pour faire une société meilleure, car c’est lorsque<br />

deux mains se lavent qu’elles se purifient. » C’est de la<br />

transe hautement spirituelle, fédératrice, hypnotique et<br />

profondément musulmane que l’on entend dans les (longs)<br />

morceaux d’Alhaji Waziri Oshomah, alias l’Etsako Super Star.<br />

Né à Afenmailand, au sud du Nigeria, dans une région où<br />

les différentes religions cohabitent paisiblement, il lance son<br />

propre groupe en 1970, en pleine guerre civile. Prédicateur<br />

façon highlife, l’artiste puise son inspiration dans la pop,<br />

le folk, et chante inlassablement la foi et sa reconnaissance<br />

d’être au monde. Sa musique étrangement new age sonne<br />

toujours aussi fort aujourd’hui. Le musicien David Byrne ne<br />

s’y est pas trompé et a réuni sept titres dans une nouvelle<br />

compilation de son label Luaka Bop, qui rejoint celle d’Alice<br />

Coltrane dans la série World Spirituality Classics. ■ S.R.<br />

ALHAJI WAZIRI OSHOMAH, The Muslim Highlife<br />

of Alhaji Waziri Oshomah, Luaka Bop.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 23


ON EN PARLE<br />

Le Bacha Coffee se niche<br />

dans une cour du somptueux<br />

palais Dar el Bacha,<br />

à Marrakech.<br />

SPOTS<br />

COFFEE<br />

LOVERS<br />

Un salon marocain historique<br />

ou un bar nigérian artistique ?<br />

Même si l’ambiance change,<br />

la QUALITÉ DU CAFÉ<br />

est toujours au rendez-vous.<br />

The Cube Café,<br />

à Abuja, est un hub<br />

culturel qui attire<br />

un public jeune et<br />

cosmopolite.<br />

C’EST L’UN DES PETITS PLAISIRS de la vie pour beaucoup<br />

d’entre nous. À Marrakech, chez Bacha Coffee, c’est<br />

autour de tasses fumantes de café d’Arabie, les yeux rivés<br />

sur les anciennes boiseries, que l’on se retrouve. Spécialisé<br />

dans les cafés 100 % arabica, ce salon-boutique historique<br />

se niche dans une cour du somptueux palais Dar el Bacha<br />

(aujourd’hui le musée des Confluences). Il en propose plus<br />

de 200 variétés, sourcées dans 33 pays. Certains crus,<br />

comme le Zanzibar Gold, sont des appellations à origine<br />

unique, inimitables. D’autres sont des mélanges élaborés<br />

par les maîtres de la maison. Et tous sont torréfiés et<br />

préparés à la main, pour sublimer les arômes de chaque<br />

graine. À déguster avec des gourmandises, salées ou<br />

sucrées, plongés dans une atmosphère Belle Époque.<br />

bachacoffee.com<br />

À ABUJA, The Cube Café propose également de l’arabica :<br />

la variété sélectionnée par les propriétaires, Dante et Khenye,<br />

est cultivée traditionnellement dans l’État de Taraba,<br />

au nord-est du pays. Ouvert en 2016 et installé depuis deux<br />

ans dans les locaux de l’Institut français du Nigeria, ce café<br />

est devenu un hub artistique et culturel qui attire un public<br />

jeune et cosmopolite. Une véritable communauté, qui se<br />

retrouve pendant la journée pour chiller, siroter une tasse,<br />

grignoter un sandwich ou une pâtisserie (au basilic !), ou<br />

encore profiter d’une exposition ou des événements organisés<br />

par Khenye, artiste professionnelle et âme créative du<br />

lieu. Le soir, place à un effervescent resto-pub, parce que<br />

les amoureux de café savent aussi faire la fête… ■ L.N.<br />

instagram.com/thecubecafe<br />

ADRIAN KOH - DR - CAPTURE D’ÉCRAN<br />

24 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


DR<br />

ARCHI<br />

LA RENAISSANCE<br />

DE NGARANN<strong>AM</strong><br />

Tosin Oshinowo a RECONSTRUIT<br />

UN VILLAGE nigérian détruit<br />

par Boko Haram : un projet imaginé<br />

avec la communauté, qui veut<br />

retourner y vivre.<br />

LE PROGR<strong>AM</strong>ME des Nations unies<br />

pour le développement (PNUD)<br />

et le gouvernement nigérian ont<br />

identifié la reconstruction du village<br />

de Ngarannam, dans le nord du<br />

pays, comme le pivot du projet de<br />

repeuplement d’une région dévastée<br />

par les attaques de Boko Haram<br />

en 2015. Le plan de réédification<br />

de plus de 500 maisons, d’une école,<br />

d’un marché et d’une clinique a été<br />

confié à la Nigériane Tosin Oshinowo,<br />

récemment nommée curatrice<br />

de la triennale d’architecture de<br />

Sharjah 2023. Partisane d’un design<br />

durable et adaptable, elle a travaillé<br />

avec les communautés locales pour<br />

proposer des bâtiments qui<br />

respectent la culture du peuple<br />

Kanouri. Construites suivant un<br />

schéma radial autour des bâtiments<br />

publics, les maisons individuelles ont<br />

été dotées d’une zaure, une pièce qui<br />

sépare les espaces privés et publics de<br />

l’habitation. Les toits sont un mélange<br />

de terre, pour réduire les coûts et<br />

assurer une meilleure maintenance<br />

par les habitants. La palette du<br />

projet, des murs ocre aux toits verts<br />

et jaunes du futur marché et agora,<br />

a été convenue avec les locaux, afin<br />

de le rendre le plus accueillant possible<br />

aux yeux des déplacés, qui souhaitent<br />

retourner dans la région. ■ L.N.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 25


CE QUE J’AI APPRIS<br />

Souad Asla<br />

POUR LA CHANTEUSE ALGÉRIENNE,<br />

la musique est un art d’émancipation et de liberté. Avec son groupe<br />

100 % féminin Lemma, elle fait vibrer les chants ancestraux<br />

de la région désertique de la Saoura et célèbre un patrimoine menacé.<br />

propos recueillis par Astrid Krivian<br />

J’ai grandi à Béchar, aux portes du désert. J’ai eu une enfance joyeuse. Je rêvais de danse, de<br />

théâtre, de cinéma. Comme il n’y avait pas de conservatoire, j’ai appris à créer mes spectacles avec mes nièces<br />

et mes cousins. J’étais la cheffe ! Je sentais qu’il y avait une puissance, un monde à découvrir. J’étais très curieuse<br />

des autres pays, des différents styles musicaux, d’ici et d’ailleurs.<br />

Je voulais aussi être photographe de guerre. Mon père, politicien, me parlait des actualités<br />

du monde. J’avais envie de voyager, de couvrir les conflits. Mais mon père jugeait que ce n’était pas un métier<br />

pour moi. C’est là que s’est produit un déclic en moi : pourquoi me le refuse-t-on ? Dès l’adolescence, les interdits<br />

commençaient à tomber, ça me dérangeait beaucoup. J’ai d’abord mis de l’eau dans mon vin. Je n’avais pas<br />

le choix, j’étais très jeune. J’ai suivi des études scientifiques selon le souhait de mon père. Puis, je suis tombée<br />

amoureuse d’un Français. On se voyait en cachette. Il a demandé ma main, mais mes parents ont refusé.<br />

Mon père m’a expliqué : ce n’était pas une décision personnelle qui lui appartenait, il fallait l’accord des frères,<br />

des oncles, tout ce poids de la société.<br />

À 20 ans, j’ai tout quitté. Même si je voulais construire dans mon pays, mes rêves étaient plus grands<br />

que ma vie quotidienne. C’était un choix déchirant, mais je tenais à ma liberté. Mes parents n’étaient pas d’accord,<br />

je suis donc partie sans prévenir. Trouver ma place en France, m’habituer à l’éloignement, c’était difficile au<br />

début. J’ai fait les vendanges, ça m’a plu cette responsabilité, de travailler pour gagner son argent. Et j’ai intégré<br />

une école de théâtre. J’étais très bonne en improvisation. Mais le milieu du cinéma m’a déçue. Je voulais jouer<br />

tous les rôles, or on ne me proposait que des personnages caricaturaux.<br />

La musique est arrivée par hasard. La grande musicienne Hasna El Bacharia recrutait des chanteuses<br />

et m’a proposé de devenir choriste. J’ai d’abord refusé, je n’avais pas confiance en ma voix. Mais quand elle m’a<br />

présenté la feuille de route de la tournée, je me suis dit : quel moyen de voyager ! J’ai compris que nos musiques<br />

traditionnelles étaient un vrai trésor. Je l’ai accompagné pendant dix-sept ans, tout en initiant mes projets à côté.<br />

Pendant longtemps, je refusais de jouer en Algérie, ou je me cachais derrière une percussion<br />

pour ne pas être filmée. C’était très dur de me libérer. J’ai fini par me réconcilier avec ma famille. Ils ont compris<br />

ma démarche. Et monter le groupe Lemma, avec des femmes de la Saoura, de toutes générations, a été une<br />

libération [spectacle notamment présenté au festival Les Suds, à Arles, ndlr]. Libres, elles affrontent la société, elles<br />

jouent sur scène. Elles m’ont libérée de mes peurs, donné de la force. Aujourd’hui, j’adore jouer dans mon pays.<br />

En revenant des années après dans ma région natale, j’ai compris la grandeur de ce désert,<br />

sa spiritualité. Et pourquoi nous sommes plutôt calmes, taciturnes. Avant, ça m’énervait, je trouvais les gens lents,<br />

pour moi, il fallait parler, vivre ! Pour me ressourcer, je pars dans mon désert. Je remercie l’Univers d’être née<br />

là-bas. J’y ai appris l’importance de la famille, des racines. Quand on est bien enracinés, on peut s’élever après. ■<br />

26 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022


MOH<strong>AM</strong>MED MENNI<br />

« Pour me ressourcer,<br />

je pars dans mon<br />

désert. Je remercie<br />

l’Univers d’être<br />

née là-bas. »<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 27


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C’EST COMMENT ?<br />

PAR EMMANUELLE PONTIÉ<br />

PAS DE RENTRÉE POUR TOUS<br />

DOM<br />

Le saviez-vous ? Dans le monde, 244 millions d’enfants de 6 à 18 ans ne sont pas<br />

scolarisés. Et la plus grande partie d’entre eux (98 millions) réside en Afrique subsaharienne.<br />

Un bien triste record. La principale raison, c’est le nombre important de zones<br />

d’insécurité. Au Burkina Faso, 2,6 millions d’écoliers seront privés de rentrée, notamment<br />

dans six régions en proie à des crises sociales, des tensions ou autres trafics. Pas d’école<br />

non plus au Nord-Kivu, ravagé par la guerre en République démocratique du Congo.<br />

La région séparatiste anglophone du Nord-Ouest au Cameroun a aussi vu de nombreux<br />

élèves rester chez eux lors de la rentrée scolaire le 5 septembre dernier… Etc., etc.<br />

Il faut également compter avec les grèves récurrentes d’enseignants, qui ont<br />

souvent des arriérés de salaires abyssaux et profitent des débuts d’année académique<br />

pour faire pression sur leur gouvernement, tel au Congo. Sans oublier les zones où il n’y<br />

a pas d’écoles, comme dans la plus grande partie du Tibesti au Tchad, et les autres,<br />

trop reculées, dans lesquelles les enseignants refusent de<br />

s’installer. Là-bas, comme dans certains villages maliens,<br />

les arbres poussent dans les établissements abandonnés,<br />

avec quelques ânes qui parfois viennent s’y abriter<br />

de la chaleur…<br />

Ajoutons à cela la question cruciale des moyens<br />

insuffisants pour envoyer ses enfants à l’école pour nombre<br />

de ménages du continent. Alors, on en choisit un sur la fratrie,<br />

en oubliant les filles évidemment, bien plus utiles pour<br />

les corvées domestiques ou le travail dans les champs.<br />

Parce que les fournitures sont trop chères, les livres pas<br />

toujours subventionnés par les gouvernements. Il faut<br />

parfois apporter son banc en classe, car l’État ne les fournit<br />

pas, comme dans certains villages nigériens. Et cette<br />

année, la crise mondiale de l’énergie, du transport, du prix<br />

du papier a fait flamber encore davantage les tarifs. Le<br />

paquet de cahiers est passé de 1 000 à 1 500 francs CFA<br />

à Lomé, au Togo.<br />

Bref, chaque rentrée scolaire laisse sur le bord de<br />

la route des millions d’enfants, qui partent mal pour jouir d’une bonne intégration sociale.<br />

Et la situation ne s’améliore pas. Alors, que faire ? Contre l’insécurité, sûrement pas grandchose.<br />

Mais les gouvernements, dont le portefeuille de l’enseignement est souvent le<br />

mieux loti côté budget, pourraient faire une priorité absolue de payer les professeurs, de<br />

les déployer sur tout le territoire, de subventionner les livres ou les bancs d’école. Et surtout,<br />

se creuser globalement les méninges pour que cette situation insupportable s’améliore<br />

au lieu de s’aggraver d’année en année… ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 29


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