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COUPE DU MONDE 2022<br />
LE QATAR<br />
FACE<br />
AU BUT<br />
LA COMPÉTITION PLANÉTAIRE COMMENCE<br />
LE 20 NOVEMBRE DANS UN CONTEXTE<br />
GLOBAL TENDU. LE MOMENT DE VÉRITÉ<br />
POUR LE RICHISSIME ÉMIRAT.<br />
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA<br />
– Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C<br />
– DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € –<br />
Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA<br />
ISSN 0998-9307X0<br />
Le stade Lusail,<br />
qui accueillera<br />
la finale<br />
du Mondial.<br />
KENYA<br />
L’irrésistible ascension<br />
de WILLI<strong>AM</strong> RUTO<br />
<strong>AM</strong>BITION<br />
ONS JABEUR,<br />
la championne en attente<br />
INTERVIEW<br />
PHILIPPE FAUCON<br />
« Le piège s’est refermé<br />
sur les harkis »<br />
PERSPECTIVES<br />
L’AFRIQUE AU CŒUR<br />
DE LA BATAILLE DU GAZ<br />
N°<strong>433</strong> - OCTOBRE 2022<br />
L 13888 - <strong>433</strong> H - F: 4,90 € - RD
édito<br />
LA FIN DU SAHEL ?<br />
PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
Au moment où ces lignes sont écrites, le Burkina Faso<br />
vit son second coup d’État en huit mois (et le neuvième<br />
depuis l’indépendance…). Un officier, le capitaine Ibrahim<br />
Traoré, en remplace un autre, le lieutenant-colonel Damiba.<br />
Pendant ce temps, l’offensive coordonnée des groupes djihadistes<br />
s’amplifie. 40 % du territoire échappe au contrôle<br />
des autorités. Et les services de base, comme l’école ou la<br />
santé, sont profondément impactés. La situation humanitaire<br />
s’aggrave chaque jour un peu plus, avec son lot de réfugiés,<br />
de déplacés.<br />
Au moment où ces lignes sont écrites, la ville de Djibo,<br />
au nord du pays, est sous blocus djihadiste. Nous ne<br />
sommes qu’à 200 km de la capitale. Plus rien ne rentre : ni<br />
nourriture, ni eau, ni produits de première nécessité, ni médicaments.<br />
Plus personne ne sort depuis la mi- février. Presque huit<br />
mois… La ville est menacée par la famine. Le 26 septembre,<br />
un convoi de ravitaillement, avec plusieurs dizaines de poids<br />
lourds, a été annihilé par les djihadistes. Au moins 11 soldats<br />
ont été tués. Et 50 civils sont portés disparus.<br />
Dans un pays longtemps considéré comme un exemple<br />
de vivre-ensemble, le conflit fait sauter les digues. Les Peuls,<br />
soupçonnés d’être la cinquième colonne du terrorisme, sont<br />
stigmatisés. Les discours de haine se multiplient, traversant les<br />
frontières. Sur les réseaux sociaux, sur les pages Facebook,<br />
certains n’hésitent pas à appeler à « l’épuration ethnique ».<br />
Au Mali voisin, la situation n’est guère plus enviable.<br />
Le régime militaire dirigé par Assimi Goïta paraît incapable de<br />
faire face à l’offensive de l’organisation État islamique dans<br />
le Grand Sahara (EIGS), en particulier dans le nord-est du<br />
pays. Les offensives s’accentuent depuis mars dernier. Et le<br />
retrait de la force Barkhane a fragilisé un peu plus les lignes<br />
de défense. Les troupes du groupe de sécurité privée russe<br />
Wagner ne semblent pas en mesure d’inverser la tendance,<br />
et encore moins d’assurer une meilleure protection des civils. À<br />
Bamako, le pouvoir paraît surtout concentré à ouvrir des fronts<br />
aussi inutiles que contre-productifs. Contre la société civile,<br />
contre ce qui reste de démocratie, contre le Niger, son voisin<br />
historique, en insultant son président à la tribune des Nations<br />
unies. Contre la Côte d’Ivoire, son principal partenaire, son<br />
voisin au sud, là où vivent près de 3 millions de Maliens, en<br />
instrumentalisant ad nauseam la crise des 46 soldats ivoiriens<br />
détenus. Seul le Niger semble tenir, pour le moment, malgré<br />
ses fragilités immenses, ses frontières quasi incontrôlables.<br />
Peut-être parce que le pacte social est plus ancré. Et que la<br />
gouvernance est mieux structurée.<br />
Si les militaires savaient gérer (mieux que les civils),<br />
s’ils avaient cette fameuse recette magique pour gouverner<br />
et sauver un pays, ça se saurait. Les statistiques ne jouent pas<br />
en leur faveur. Sur le plan de la gouvernance, mais aussi sur le<br />
plan de la sécurité. Les militaires n’ont pas les moyens, la logistique<br />
qu’ils demandent à l’État. Mais l’État est pauvre, souvent<br />
faillible, corrompu. Être au pouvoir ne fera pas apparaître, par<br />
miracle, plus d’armes, plus de logistique, plus de moyens…<br />
Évidemment, on peut critiquer la France, faire indéfiniment<br />
le procès du néocolonialisme. Faire de Paris la cible<br />
expiatoire de toutes les douleurs, à Dakar, à Bamako, à Ouagadougou.<br />
On peut continuer à se tromper d’époque pour nourrir<br />
la foule. Alors que l’enjeu, c’est la gouvernance, ses propres<br />
forces. Oui, la France perd son influence. Mais on peut difficilement<br />
lui reprocher l’effondrement sécuritaire de la région.<br />
C’est le seul pays qui a réellement mis ses hommes sur le terrain.<br />
Et si Paris intervient, ce n’est pas pour l’argent, les ressources,<br />
les mines, ou quelque autre improbable trésor. Tout cela est<br />
marginal pour la septième puissance économique mondiale.<br />
Dans le même registre, on peut faire croire que la<br />
grande Russie viendra sauver le Sahel. Qu’elle incarne le<br />
nouvel étendard anticolonial, au moment même où elle s’attaque,<br />
sans provocation, à son voisin, l’Ukraine, dans un pur<br />
moment d’impérialisme. On peut faire croire que la Russie n’utilise<br />
pas l’Afrique pour monter les enchères dans cette nouvelle<br />
guerre froide, semi-chaude, qui s’installe, pour contrer la France<br />
justement. On peut faire croire au peuple qu’une société de<br />
sécurité privée viendra résoudre les problèmes et les impuissances<br />
des armées nationales. On peut faire même croire<br />
qu’elle s’intéresse au développement des « frères africains ».<br />
On peut nous faire croire tout cela. Mais la vraie question,<br />
c’est l’incapacité des États concernés de faire face à<br />
la menace, à mieux combattre. La vraie question, c’est de<br />
faire nation, de rassembler. La vraie question, c’est de rétablir<br />
des institutions civiles viables, promouvoir la gouvernance, la<br />
démocratie interne. La vraie question, c’est d’investir, même<br />
le peu, qu’il y a dans le développement économique, dans<br />
le désenclavement. La vraie question, c’est de promouvoir<br />
la solidarité régionale, s’appuyer sur les institutions ouestafricaines,<br />
sur les alliances entre États de la région pour faire<br />
front ensemble, pour s’entraider.<br />
Bien sûr, les cyniques répondront : on peut rêver. Mais<br />
tout le reste n’est que propagande illusoire et suicidaire. Dont<br />
le coût sera immense pour des dizaines de millions d’Africains<br />
sahéliens. ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 3
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA<br />
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Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA<br />
ISSN 0998-9307X0<br />
Le stade Lusail,<br />
qui accueillera<br />
la finale<br />
du Mondial.<br />
N°<strong>433</strong> OCTOBRE 2022<br />
3 ÉDITO<br />
La fin du Sahel ?<br />
par Zyad Limam<br />
6 ON EN PARLE<br />
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE,<br />
DE LA MODE ET DU DESIGN<br />
Black Power<br />
26 CE QUE J’AI APPRIS<br />
Souad Asla<br />
par Astrid Krivian<br />
29 C’EST COMMENT ?<br />
Pas de rentrée pour tous<br />
par Emmanuelle Pontié<br />
80 VIVRE MIEUX<br />
Prenons soin de nous !<br />
par Annick Beaucousin<br />
90 VINGT QUESTIONS À…<br />
Philomé Robert<br />
par Astrid Krivian<br />
TEMPS FORTS<br />
30 Le Qatar face au but<br />
par Zyad Limam<br />
et Thibaut Cabrera<br />
42 Kenya : L’irrésistible<br />
ascension de William Ruto<br />
par Cédric Gouverneur<br />
50 L’Afrique au cœur<br />
de la bataille du gaz<br />
par Cédric Gouverneur<br />
56 Philippe Faucon :<br />
« Le piège s’est refermé<br />
sur les harkis »<br />
par Astrid Krivian<br />
62 Pierre Audin :<br />
Au nom du Père<br />
par Luisa Nannipieri<br />
68 Olivette Otele :<br />
« Il n’y a pas<br />
à se justifier »<br />
par Astrid Krivian<br />
74 Ons Jabeur,<br />
la championne<br />
en attente<br />
par Frida Dahmani<br />
P.06<br />
COUPE DU MONDE 2022<br />
LE QATAR<br />
FACE<br />
AU BUT<br />
LA COMPÉTITION PLANÉTAIRE COMMENCE<br />
LE 20 NOVEMBRE DANS UN CONTEXTE<br />
GLOBAL TENDU. LE MOMENT DE VÉRITÉ<br />
POUR LE RICHISSIME ÉMIRAT.<br />
KENYA<br />
L’irrésistible ascension<br />
de WILLI<strong>AM</strong> RUTO<br />
<strong>AM</strong>BITION<br />
ONS JABEUR,<br />
la championne en attente<br />
INTERVIEW<br />
PHILIPPE FAUCON<br />
« Le piège s’est refermé<br />
sur les harkis »<br />
PERSPECTIVES<br />
L’AFRIQUE AU CŒUR<br />
DE LA BATAILLE DU GAZ<br />
N°<strong>433</strong> - OCTOBRE 2022<br />
L 13888 - <strong>433</strong> H - F: 4,90 € - RD<br />
<strong>AM</strong> <strong>433</strong> COUV NEW.indd 1 03/10/2022 22:14<br />
PHOTOS DE COUVERTURE : FRANCK FAUGÈRE/PRESSE<br />
SPORTS - SHUTTERSTOCK - FLORIAN PLAUCHEUR/AFP<br />
P.42<br />
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande<br />
nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps.<br />
Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement<br />
de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com<br />
GORDON PARKS - TONY KARUMBA/AFP<br />
4 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
P.50<br />
FONDÉ EN 1983 (38 e ANNÉE)<br />
31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE<br />
Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />
redaction@afriquemagazine.com<br />
Zyad Limam<br />
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION<br />
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION<br />
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Assisté de Laurence Limousin<br />
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RÉDACTION<br />
Emmanuelle Pontié<br />
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DE LA RÉDACTION<br />
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Isabella Meomartini<br />
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Jessica Binois<br />
PREMIÈRE SECRÉTAIRE<br />
DE RÉDACTION<br />
sr@afriquemagazine.com<br />
Amanda Rougier PHOTO<br />
arougier@afriquemagazine.com<br />
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO<br />
Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau,<br />
Frida Dahmani, Catherine Faye, Cédric<br />
Gouverneur, Dominique Jouenne,<br />
Astrid Krivian, Luisa Nannipieri,<br />
Sophie Rosemont.<br />
VIVRE MIEUX<br />
Danielle Ben Yahmed<br />
RÉDACTRICE EN CHEF<br />
avec Annick Beaucousin.<br />
VENTES<br />
EXPORT Laurent Boin<br />
TÉL. : (33) 6 87 31 88 65<br />
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66, rue des Cévennes - 75015 Paris<br />
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MICHAEL KAPPELER/DPA/DPA PICTURES - ADRIAN SHERRATT - FRANCK SEGUIN/PRESSE SPORTS<br />
BUSINESS<br />
82 La course à l’hydrogène vert<br />
86 Cédric Philibert :<br />
« Nous en sommes encore<br />
aux prémices »<br />
88 Flutterwave dans la tempête<br />
89 Des appels d’offres pour<br />
le pétrole et le gaz de RDC<br />
par Cédric Gouverneur<br />
P.74<br />
P.68<br />
COMMUNICATION ET PUBLICITÉ<br />
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AFRIQUE MAGAZINE<br />
EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR<br />
31, rue Poussin - 75016 Paris.<br />
SAS au capital de 768 200 euros.<br />
PRÉSIDENT : Zyad Limam.<br />
Compogravure : Open Graphic<br />
Média, Bagnolet.<br />
Imprimeur : Léonce Deprez, ZI,<br />
Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.<br />
Commission paritaire : 0224 D 85602.<br />
Dépôt légal : octobre 2022.<br />
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos<br />
reçus. Les indications de marque et les adresses figurant<br />
dans les pages rédactionnelles sont données à titre<br />
d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction,<br />
même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique<br />
Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction.<br />
© Afrique Magazine 2022.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 5
ON EN PARLE<br />
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage<br />
Des membres de l'organisation américaine à Los Angeles, en 1966.<br />
PHOTOGRAPHIES<br />
BLACK POWER<br />
La PUISSANCE DES IMAGES de Gordon Parks témoigne de la lutte<br />
de Stokely Carmichael pour la justice raciale et les droits civiques.<br />
EN 1967, le magazine américain Life publie un profil<br />
révolutionnaire de l’activiste controversé du Black Power,<br />
Stokely Carmichael (plus tard, Kwame Ture), avec des images<br />
et des reportages de l’une des figures les plus influentes de<br />
la photographie du XX e siècle, Gordon Parks. Centrée sur les<br />
cinq clichés emblématiques du jeune leader tirés de l’article,<br />
cette exposition au musée des Beaux-Arts de Houston fait écho<br />
aux complexités et aux tensions inhérentes à la lutte pour les<br />
droits civiques. Parks a rencontré Carmichael alors que celui-ci<br />
appelait à rallier le Black Power dans un discours donné<br />
dans le Mississippi en juin 1966, attirant l’attention nationale.<br />
Plus radical que le mouvement américain des droits civiques<br />
– représenté entre autres par Martin Luther King –, le Black<br />
Power revendiquait une affirmation de l'identité noire, avant<br />
toute éventuelle intégration à une société dominée par le<br />
« pouvoir blanc ». L’expo met en lumière des dizaines d'autres<br />
photographies et planches de contacts de la série de Parks,<br />
jamais publiées ou exposées auparavant, ainsi que des images<br />
des discours et des interviews de Carmichael. ■ Catherine Faye<br />
« GORDON PARKS: STOKELY CARMICHAEL AND BLACK<br />
POWER », The Museum of Fine Arts, Houston (États-Unis),<br />
du 16 octobre 2022 au 16 janvier 2023. mfah.org<br />
GORDON PARKS<br />
6 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
GORDON PARKS<br />
L'activiste<br />
photographié<br />
en Alabama,<br />
en 1966.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 7
ON EN PARLE<br />
THRILLER<br />
Le jeune étudiant est joué par<br />
l’Israëlo-Palestinien Tawfeek Barhom.<br />
L’ESPION QUI PRIAIT<br />
Un fils de pêcheur admis<br />
à la prestigieuse université cairote<br />
al-Azhar se retrouve<br />
mêlé à une LUTTE<br />
DE POUVOIR entre<br />
religieux sunnites<br />
et politiques.<br />
SEUL UN ÉGYPTIEN vivant en Suède<br />
et tournant en Turquie pouvait réaliser<br />
ce tour de force : mettre en scène<br />
la corruption politique et l’hypocrisie<br />
de certains dignitaires religieux<br />
dans son pays d’origine (où il est interdit de séjour). Au Caire,<br />
l’université al-Azhar est une référence pour les sunnites du monde<br />
entier, et ses fatwas influencent les lois nationales. Lorsque le<br />
film commence, son grand imam est mourant et sa succession<br />
ouverte. Les cheikhs, extrémistes comme progressistes, ont leurs<br />
candidats, mais le gouvernement veut placer son homme. Un<br />
vieil officier de la sûreté de l’État va se servir d’un jeune novice,<br />
débarqué de sa campagne des bords du Nil, pour tenter d’infiltrer<br />
l’université et sa mosquée… Ruses, doubles jeux, retournements<br />
de situation, autant de ficelles d’un bon thriller qui tissent ici un<br />
récit passionnant, porté par une mise en scène très graphique :<br />
la reconstitution de ces lieux mythiques (réalisée dans la mosquée<br />
Süleymaniye, à Istanbul) est spectaculaire. Le jeune étudiant<br />
modeste est joué avec talent par l’Israëlo-Palestinien Tawfeek<br />
Barhom – découvert dans Le Chanteur de Gaza, d’Hany Abu-Assad,<br />
il sera à l’affiche du prochain Terrence Malick –, et l’homme<br />
d’Al-Sissi est interprété par Fares Fares, comédien libano-suédois<br />
qui incarnait le héros du gros succès de Tarik Saleh en 2017,<br />
Le Caire confidentiel. Récompensé au Festival de Cannes d’un<br />
prix du scénario mérité, son nouvel opus nous fait pénétrer<br />
au cœur d’une institution mythique et fermée, tout en faisant<br />
clairement apparaître les enjeux politiques, religieux et personnels<br />
qui s’y jouent. Le résultat est saisissant. ■ Jean-Marie Chazeau<br />
LA CONSPIRATION DU CAIRE (Suède-France-Finlande),<br />
de Tarik Saleh. Avec Tawfeek Barhom, Fares Fares,<br />
Mohammad Bakri. En salles.<br />
❶<br />
SOUNDS<br />
À écouter maintenant !<br />
Liraz<br />
Roya, Glitterbeat/<br />
Modulor Records<br />
« Roya » signifie « fantaisie »<br />
en farsi et, effectivement, avec<br />
ce troisième album, Liraz apporte un peu<br />
plus de joie de vivre au patrimoine musical<br />
iranien. Née en Israël, la chanteuse n’a pas<br />
oublié les chansons qu’elle écoutait, enfant,<br />
grâce à ses aïeux. Roya a été enregistré<br />
en catimini à Istanbul, avec son sextet de<br />
Tel Aviv mais aussi des musiciens iraniens…<br />
Y résonne la magie du tar, accompagné par<br />
le violon et des rythmes ultra-dansants.<br />
❷ Montparnasse<br />
Musique<br />
Archeology, Real<br />
World Records<br />
C’est de la rencontre entre<br />
le Franco-Algérien Nadjib Ben<br />
Bella et le DJ sud-africain Aero Manyelo, dans la<br />
gare parisienne de Montparnasse, qu’est né ce duo<br />
décapant : sur un terreau traditionnel et organique<br />
se mêlent house, kwaito, techno et gqom. Après<br />
un premier EP prometteur en 2021, signé sur le<br />
prestigieux label de Peter Gabriel, ils présentent<br />
aujourd’hui (toujours chez Real World Records) leur<br />
album Archeology, un récit dansant qui parcourt<br />
le continent du nord au sud, avec une pause à<br />
Kinshasa, centre névralgique de leurs beats.<br />
❸<br />
Bibi Tanga &<br />
The Selenites<br />
The Same Tree, L’Inlassable<br />
Disque/Baco Distribution<br />
Depuis 2008, le bassiste et<br />
chanteur originaire de Bangui, Bibi Tanga, fédère<br />
ses Sélénites, les « habitants de la Lune » (Eric<br />
Kerridge, Arthur Simonini et Arnaud Biscay),<br />
autour d’un son funky et rétrofuturiste. Fruit de<br />
deux ans de sessions enfiévrées et insomniaques<br />
en studio, leur quatrième album, The Same Tree,<br />
explore plusieurs versants du groove, du plus<br />
conscient au plus hédoniste, sous la houlette du DJ<br />
français Professeur inlassable. Et un peu plus haut,<br />
la bénédiction de feu Fela Kuti… ■ Sophie Rosemont<br />
ATMO - DR (4)<br />
8 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
FUSION<br />
KUTU<br />
GROUPE<br />
OVNI<br />
Formé par<br />
deux chanteuses<br />
éthiopiennes<br />
et un jazzman<br />
français, ce projet<br />
est AUSSI<br />
SURPRENANT<br />
que captivant.<br />
AURORE FOUCHEZ<br />
UN SOIR DE 2019,<br />
le violoniste français Théo<br />
Ceccaldi – l’une des grandes<br />
révélations jazz des dernières<br />
années – assiste à un concert<br />
du Jano Band à Addis-Abeba,<br />
sur les traces des merveilles<br />
sonores ethio-jazz. Dans<br />
cet orchestre officient deux<br />
chanteuses qui le subjuguent :<br />
Haleluya Tekletsadik et<br />
Hewan Gebrewold. Le<br />
groupe Kutu voit alors le jour,<br />
l’homme à la composition, et<br />
les deux femmes à l’écriture.<br />
En résulte aujourd’hui ce<br />
premier disque, Guramayle,<br />
où le violon rencontre des<br />
effluves électroniques, dub<br />
et rock, et où se fait entendre<br />
la poésie des ballades tezeta,<br />
jadis sublimée par le roi de<br />
l’éthio-jazz Mulatu Astatke.<br />
Ces multiples variations font<br />
de Kutu un projet ovniesque,<br />
qui met (enfin !) en valeur<br />
le talent de songwriting<br />
d’artistes féminines. De quoi<br />
enthousiasmer au-delà des<br />
frontières éthiopiennes. ■ S.R.<br />
KUTU, Guramayle,<br />
Brouhaha/Bigwax.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 9
ON EN PARLE<br />
10 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
ON EN PARLE<br />
JAZZ<br />
YISSY GARCÍA<br />
LA LUMIÈRE CUBAINE<br />
Officiant depuis de longues années,<br />
cette BRILLANTE BATTEUSE présente<br />
son premier album, le bien nommé Light.<br />
LARISA LOPEZ - DR<br />
ELLE A JOUÉ pour les plus grands,<br />
d’Esperanza Spalding à Dave Matthews,<br />
mais Yissy García s’est très tôt, et<br />
tout naturellement, imposée dans<br />
la cour des grands. Fille du batteur<br />
et percussionniste cubain Bernardo<br />
García, fondateur du groupe Irakere,<br />
elle n’a cessé d’explorer des territoires<br />
musicaux a priori aux antipodes : funk,<br />
jazz, folklore cubain… Tout est possible<br />
pour la musicienne qui, à 35 ans,<br />
s’illustre dans plusieurs projets : « Dans<br />
mon pays, j'ai eu la chance que les gens<br />
s'intéressent à ma musique, même si<br />
elle n’est pas commerciale à proprement<br />
parler, confie-t-elle. Beaucoup de<br />
personnes s'identifient à différentes<br />
chansons, ce qui me réjouit : l'objectif<br />
est d'atteindre le cœur des gens, au-delà<br />
même des frontières. » Parce que la<br />
sororité n’est pas un vain mot, l’artiste<br />
officie aussi dans un collectif 100 %<br />
féminin, Maqueque. « Je pense avoir<br />
beaucoup contribué au son du groupe,<br />
à la fois en tant qu’instrumentiste<br />
et compositrice », commente-t-elle<br />
sobrement. Celle qui aime voir son<br />
« empreinte incarnée » sur sillon a aussi<br />
beaucoup tourné avec Bandancha. D’où<br />
ce premier album, Light, compilation<br />
de toutes ces scènes partagées avec les<br />
quatre instrumentistes qui complètent<br />
cette autre formation : « Je voulais<br />
rassembler tous les sons que le groupe<br />
a traversés depuis sa création, des<br />
ambitions d’abord électroniques jusqu'à<br />
aujourd'hui, où je travaille sur un format<br />
plus acoustique. Cet album est destiné<br />
au public européen, qui ne connaît<br />
pas encore très bien ma musique… »<br />
Avec Light, les présentations sont<br />
faites : en six morceaux chaloupés<br />
et à la structure parfois complexe<br />
sans être aride, le disque nous<br />
transporte à La Havane. Tantôt agité,<br />
tantôt tendre, mué par une facilité<br />
d’improvisation et le talent virtuose de<br />
Yissy García, il confirme l’importance<br />
de celle-ci au sein de ce que le jazz<br />
peut proposer de plus chaleureux…<br />
sans oublier ce je-ne-sais-quoi<br />
de viscéralement rebelle. ■ S.R.<br />
YISSY GARCÍA & BANDANCHA,<br />
Light, Laborie Jazz.<br />
11
ON EN PARLE<br />
EXPOSITION<br />
AFFAIRES<br />
EN OR<br />
Près de 1 100 DINARS<br />
racontent l’histoire complexe<br />
de la civilisation de l’islam.<br />
FAÇONNÉES DANS LE MONDE arabo-musulman entre<br />
les VIII e et XIX e siècles, ces pièces de monnaie en or constituent<br />
un trésor miniature des écritures en alphabet arabe et de<br />
la diversité de la calligraphie. La remarquable collection<br />
qui est actuellement exposée à l’Institut du monde arabe<br />
– présentée pour la première fois au grand public – se<br />
compose exclusivement de dinars, dont de nombreuses<br />
frappes sont rares, voire uniques. C’est le calife omeyyade<br />
Abd al-Malik (685-705) qui a promulgué l’arabe comme<br />
langue de l’administration et instauré un monnayage<br />
dépourvu de représentations figurées, avec uniquement<br />
des inscriptions proclamant la croyance en un Dieu unique<br />
et la date de la frappe. En 1258, après la chute du califat<br />
abbasside, le principe est demeuré en usage, et de la<br />
Turquie à l’Inde, en passant par l’Iran, sultans, chahs et<br />
empereurs ajoutaient parfois sur leurs dinars le portrait<br />
du souverain ou l’emblème figuratif de leur pouvoir. ■ C.F.<br />
Cette collection<br />
de pièces de monnaie<br />
provenant des quatre coins du monde<br />
arabo-musulman est présentée pour<br />
la première fois au grand public.<br />
« UN TRÉSOR<br />
EN OR :<br />
LE DINAR<br />
DANS TOUS<br />
SES ÉTATS »,<br />
Institut du<br />
monde arabe,<br />
Paris (France),<br />
jusqu’au<br />
26 mars 2023.<br />
imarabe.org<br />
HISTOIRE(S)<br />
NOSTALGIE LIBANAISE<br />
Un triptyque littéraire, où imagination<br />
et faits réels témoignent des ambivalences<br />
d’un pays.<br />
« C’EST COMME SI le vrai monde était<br />
ailleurs et que j’étais condamné à vivre<br />
ici, c’est-à-dire nulle part, ou alors<br />
seulement dans ma tête. » Entre évocation<br />
poétique de l'enfance, éveil à la sexualité, nostalgie, tonalité<br />
ouvertement politique et absurdité de la guerre, ce roman<br />
explore les remous de destins individuels façonnés par la<br />
violence du monde. Largement autobiographique, il couvre<br />
ainsi trente années d’un Liban laminé par les tensions et<br />
les ruptures, à travers trois épisodes de la vie du narrateur<br />
et de sa famille juive d’origine syrienne, exilés à Beyrouth.<br />
Trois moments clés de l’histoire de leur pays : la crise de<br />
Suez (1956), l’espoir d’un changement révolutionnaire<br />
(1968), la guerre civile et l’invasion israélienne (1982).<br />
Youssef Hosni, jeune homme épris de justice, devenu<br />
journaliste en France, y incarne l’auteur, envoyé spécial du<br />
quotidien Libération pendant la guerre du Liban. Au fil des<br />
péripéties de sa vie se dessinent peu à peu les contradictions<br />
fascinantes d’un pays et de sa capitale mythique. ■ C.F.<br />
SÉLIM NASSIB, Le Tumulte,Éditions<br />
de l’Olivier, 416 pages, 21,50 €.<br />
ROMAN<br />
ICI ET LÀ<br />
Avec fantaisie et humour, Alain Mabanckou<br />
envisage la mort comme un éclat de rire<br />
dans son dernier ouvrage.<br />
ICI, LA FRONTIÈRE EST ÉTROITE entre<br />
les vivants et ceux qui ne le sont plus.<br />
Là, ce n'est pas le moindre talent de<br />
l’auteur de Petit Piment et de Mémoires<br />
de porc-épic (pour lequel il a reçu le prix Renaudot 2006)<br />
que de nous promener dans cet entre-deux équivoque. Dans<br />
ce grand roman social, politique et visionnaire, son héros,<br />
Liwa, nouveau locataire du cimetière de Frère-Lachaise, brûle<br />
de revenir auprès des vivants pour venger sa mort qu’il juge<br />
injuste. Illusion ? « Tu éprouves un immense bonheur, rien<br />
ne te résiste, aucun obstacle ne se dresse sur ton chemin. »<br />
Ou réalité ? « À peine leur as-tu dit bonjour qu’ils poussent<br />
des cris d’épouvante. » L’un et l’autre, très certainement.<br />
D’ailleurs, à Pointe-Noire, en République du Congo, où<br />
l’écrivain a grandi et puise ses souvenirs, les conversations<br />
entre défunts vont bon train. Et la lutte des classes se<br />
poursuit jusque dans le royaume des morts, où ceux-ci sont<br />
étrangement vivants. Un texte vibrionnant et inspiré. ■ C.F.<br />
ALAIN MABANCKOU, Le Commerce des allongés,<br />
Le Seuil, 304 pages, 19,50 €.<br />
DR - IMA/DR (4) - DR (2)<br />
12 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
DR<strong>AM</strong>E<br />
UNE VIE MEILLEURE ?<br />
Primé à Cannes, le nouveau film des frères Dardenne<br />
est illuminé par deux jeunes acteurs africains incarnant<br />
des MIGRANTS EN SURSIS au cœur de l’Europe.<br />
Ses interprètes,<br />
Joely Mbundu et Pablo<br />
Schils, sont touchants<br />
de justesse.<br />
CHRISTINE PLENUS - DR<br />
UN PETIT GARÇON et une adolescente venus seuls du<br />
continent sont hébergés dans un centre d’accueil en Belgique.<br />
Les conditions sont bonnes, mais la méfiance est grande.<br />
Tori est considéré comme un enfant sorcier dans son pays,<br />
le Bénin, et coche la case « réfugié » sans problème, mais Lokita<br />
n’a qu’une crainte : être renvoyée au Cameroun, où sa famille<br />
compte sur elle pour lui envoyer de l’argent… Tous deux<br />
se font passer pour frère et sœur afin de pouvoir rester en<br />
Europe. Leur amitié va les aider à affronter de nombreuses<br />
situations difficiles – exploités par un restaurateur pour<br />
des petits boulots mal payés, et bientôt un trafic de drogue,<br />
ou par des passeurs qui exigent leur dû. Les frères Dardenne<br />
ne sont pas réputés pour être de joyeux drilles – leurs<br />
longs-métrages décrivent<br />
toujours les difficultés des<br />
plus mal lotis dans les sociétés<br />
occidentales –, mais ils font<br />
souvent mouche, en touchant le spectateur sans aucun effet<br />
(pas de musique) et par la justesse de leurs interprètes. Ici,<br />
le jeune Pablo Schils crève l’écran aux côtés de Joely Mbundu,<br />
tout en retenue, et que la maman originaire de Kinshasa<br />
accompagnait avec fierté au dernier Festival de Cannes,<br />
où le film a obtenu le Prix du 75 e anniversaire. ■ J.-M.C.<br />
TORI ET LOKITA (Belgique), de Jean-Pierre<br />
et Luc Dardenne. Avec Pablo Schils, Joely Mbundu,<br />
Nadège Ouedraogo. En salles.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 13
ON EN PARLE<br />
ÉVÉNEMENT<br />
1-54<br />
À LONDRES<br />
10 ANS, DÉJÀ !<br />
La foire internationale dédiée<br />
à l’art contemporain africain<br />
FÊTERA SA DÉCENNIE<br />
à la Somerset House.<br />
PLUS DE 50 GALERIES en provenance de 21 pays<br />
présenteront, du 13 au 16 octobre, les créations d’au<br />
moins 130 artistes, qu’ils soient connus, comme Ibrahim<br />
El-Salahi, Hassan Hajjaj et Zanele Muholi, ou émergents,<br />
tels Sola Olulode, Pedro Neves ou encore Jewel Ham.<br />
La Portugaise Grada Kilomba, connue pour son travail sur<br />
le racisme, la mémoire et le postcolonialisme, commence<br />
à cette occasion sa carrière au Royaume-Uni : son<br />
installation, O Barco/The Boat, une œuvre puissante qui<br />
sera animée par les créations musicales du compositeur<br />
Kalaf Epalanga, occupera jusqu’au 20 octobre la cour<br />
de la Somerset House. Au-delà des projets spéciaux,<br />
conférences, workshops, performances et projections<br />
qui animeront la célèbre foire internationale dédiée à<br />
l'art contemporain d'Afrique et de sa diaspora, des ventes<br />
spéciales seront proposées sur la plate-forme Artsy<br />
(artsy.net) jusqu’à la fin du mois. ■ Luisa Nannipieri<br />
L'installation de la Portugaise<br />
Grada Kilomba (ci-contre),<br />
O Barco/The Boat (ci-dessus,<br />
exposée dans le MAAT de<br />
Lisbonne, en 2021), occupera<br />
la cour du bâtiment.<br />
Ci-dessous, Encantada,<br />
Pedro Neves, 2022.<br />
1-54,<br />
Somerset<br />
House,<br />
Londres<br />
(Royaume-<br />
Uni), du<br />
13 au<br />
16 octobre.<br />
1-54.com<br />
BRUNO SIMÃO/COURTESY OF THE ARTIST - UTE LANGKAFEL - DR (2)<br />
14 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
FOUAD MAAZOUZ/COURTESY GALERIE 38 - DR<br />
FOIREAKAA<br />
LE TEMPS ET LE MOUVEMENT<br />
Bonne nouvelle pour les <strong>AM</strong>ATEURS<br />
D’ART : la 7 e édition d’Also Known As<br />
Africa aura également lieu ce mois-ci !<br />
ALSO KNOWN AS AFRICA, l’une des plus importantes foires<br />
d’art et design africain contemporain en France, revient au Carreau<br />
du Temple, à Paris, du 21 au 23 octobre avec une sélection de<br />
129 artistes internationaux, représentés par 38 galeries : on retrouvera<br />
les habituées, telles Anne de Villepoix (France), l’October Gallery<br />
(Royaume-Uni) – avec entre autres l’Australo-Nigériane Nnenna<br />
Okore, invitée pour une carte blanche – ou Véronique Rieffel (Côte<br />
d’Ivoire), mais également de nouvelles arrivantes, comme Soview<br />
Gallery (Ghana) et Foreign Agent (Suisse). Cette dernière représente<br />
les quatre designers de renom (Ousmane Mbaye, Bibi Seck, Jean<br />
Servais Somian et Jomo Tariku) qui ont habillé l’espace VIP. La<br />
Galerie 38 présentera, elle, les œuvres du maître malien Abdoulaye<br />
Konaté, qui a créé une installation monumentale sous les verrières<br />
du Carreau du Temple sur le thème du temps et du mouvement.<br />
Fil rouge de la manifestation, cette thématique sera au cœur des<br />
expositions, des rencontres culturelles, des performances et des<br />
colloques à suivre intra et hors les murs, ainsi que du beau livre<br />
Quantité.s de mouvement, spécialement conçu et édité par AKAA. ■ L.N.<br />
Le vent (fié), Abdoulaye Konaté, 2020.<br />
ALSO KNOWN AS AFRICA, Carreau du<br />
Temple, Paris (France), du 21 au 23 octobre.<br />
akaafair.com<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 15
ON EN PARLE<br />
PORTRAIT<br />
EYE<br />
HAÏDARA<br />
LA TOUCHE-<br />
À-TOUT<br />
Entre théâtre, série et cinéma,<br />
cette comédienne française<br />
d’origine malienne fait valoir<br />
son JEU TOUT-TERRAIN.<br />
SI LE GRAND PUBLIC l’a découverte grâce à la série<br />
En thérapie, où elle fait partie des grandes figures<br />
de la deuxième saison, Eye Haïdara témoigne déjà<br />
d’un riche parcours de comédienne. Après un cursus<br />
d’études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle, à Paris,<br />
elle s’est formée à l’Académie internationale de<br />
théâtre de Lorient. Depuis, elle s’illustre sur petit<br />
et grand écrans comme sur scène. Cet automne,<br />
elle joue en alternance avec d’autres actrices une<br />
adaptation de Sorcières, l’essai de Mona Chollet,<br />
au théâtre de l’Atelier, à Paris, et tient le premier rôle<br />
de la comédie sociale Les Femmes du square, de Julien<br />
Rambaldi (qui sortira en salles le 16 novembre) :<br />
« J’aime me lancer des défis et je n’ai jamais voulu<br />
m’installer dans un registre particulier. Il en va<br />
de même avec les formats. Aujourd’hui, on a une<br />
manière différente de consommer l’audiovisuel,<br />
les arts vivants ou le spectacle. Ce serait dommage<br />
de ne pas s’y adapter. Mais il faut que le projet<br />
me parle ! » L’exigence d’une écriture, la force de<br />
caractère d’un personnage, la beauté d’une mise<br />
en scène… C’est ce qui compte pour Eye, née<br />
à Boulogne-Billancourt de parents maliens et très<br />
attachée à ses racines : « Ils vivent dans le sud<br />
de Bamako, entourés d’hectares de plantations,<br />
d’animaux… Il y a des chevaux, une superbe nature.<br />
Je vais régulièrement les voir avec mon fils, et c’est<br />
avant tout là-bas que je me ressource. » ■ S.R.<br />
SORCIÈRES, théâtre de l’Atelier, Paris (France),<br />
jusqu'au 9 novembre. theatre-atelier.com<br />
HENRI COUTANT<br />
16 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
RYTHMES<br />
LES JEUNES ÉTOILES<br />
DE STAR FEMININE BAND<br />
Après le succès de leur premier disque, le groupe béninois confirme<br />
son ÉNERGIQUE ENGAGEMENT dans ce nouvel opus.<br />
ANDRÉ BALAGUEMON - DR<br />
EN 2020, on voyait débarquer le Star Feminine Band avec<br />
un premier album écrit par André Balaguemon, et joué par<br />
sept musiciennes originaires du Bénin. L’année suivante,<br />
après moult péripéties administratives, elles se produisaient<br />
sur scène en France. La plus jeune avait 12 ans, la plus<br />
âgée venait de fêter ses 18 ans. Tant qu’à faire, autant<br />
enregistrer un album ! Le résultat, sorti en septembre,<br />
nous enchante : aux rythmiques peuls ou waama se mêlent<br />
des sonorités plus pop, sans oublier le message féministe<br />
que veulent faire passer ces jeunes filles à forte personnalité,<br />
comme dans « Le Mariage forcé », « Les Filles à l’école »<br />
ou « L’Excision ». Sur l’anglophone « Woman Stand Up »,<br />
ces ambassadrices investies de l’Unicef appellent à la sororité<br />
et à la persévérance face à une société toujours soumise<br />
au bon vouloir patriarcal et qui ne donne aucune chance, ou<br />
presque, à la professionnalisation des jeunes femmes. ■ S.R.<br />
STAR FEMININE BAND, In Paris, Born Bad<br />
Records/L’Autre Distribution.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 17
ON EN PARLE<br />
INTERVIEW<br />
Mia Couto, contrebandier<br />
de l’invisible<br />
Passeur d’une culture multiforme, le Mozambicain<br />
lusophone est aujourd’hui l’un des écrivains les plus<br />
inventifs du continent. L’œuvre foisonnante de ce poète<br />
engagé, également biologiste, puise aux racines de<br />
l’imaginaire et de la tradition orale de son Afrique natale.<br />
<strong>AM</strong> : Vous vous définissez comme étant<br />
à la fois un Blanc et un Africain. Comment<br />
naviguez-vous entre ces mondes ?<br />
Mia Couto : Je ne sais pas vraiment ce que c'est que<br />
d'être un « Blanc », un « Africain » et je ne sais pas si l'une<br />
de ces catégories peut définir l'identité de quelqu'un. Ce que je<br />
peux dire, c'est qu'en raison de circonstances presque toujours<br />
accidentelles, il m'est arrivé d'être un être des frontières :<br />
le fils d'Européens, né et vivant en Afrique, un athée qui se<br />
laisse prendre par les croyances et les mythes, un scientifique<br />
sensible à des raisons qui ne se révèlent<br />
que dans la poésie, un écrivain obsédé par<br />
le démantèlement de la logique de l'écriture<br />
pour faire de la place à l'oralité, quelqu'un qui<br />
n'a de mémoire que si le passé est inventé.<br />
Quelle légitimité vous donne<br />
cette double appartenance ?<br />
Nous avons tous des appartenances<br />
multiples, personne ne peut revendiquer<br />
une identité unique et « pure ». La construction<br />
des clichés sur l'autre n'est pas l'apanage<br />
d'une culture, d'une race, d'une religion. Je<br />
suis bien conscient des stéréotypes créés pour<br />
annuler l'histoire et la culture des Africains.<br />
Mais il est aussi vrai que le regard de ces<br />
derniers sur l'Europe est chargé de stéréotypes<br />
et, curieusement, nombre d'entre eux sont<br />
des héritages de la domination coloniale.<br />
La méconnaissance se développe à l'intérieur<br />
du continent africain lui-même. Nous, les Mozambicains,<br />
ne savons pas ce qu'il se passe juste à côté de chez nous en<br />
Afrique du Sud. À l’inverse, voyez la manière déformée dont<br />
nous y sommes perçus et les vagues de xénophobie contre nos<br />
émigrés. Pourtant, nous sommes des pays-frères, des peuples<br />
qui ont combattu ensemble contre des régimes racistes.<br />
Votre dernier ouvrage interroge les absences.<br />
Pensez-vous jouer un rôle de passeur ?<br />
Si une identité peut m'être donnée, c'est celle<br />
d'un contrebandier entre cultures et identités. Je suis<br />
Le Cartographe<br />
des absences, Métailié,<br />
352 pages, 22,80 €.<br />
né dans une ville métisse dans sa géographie humaine et,<br />
à l’adolescence, j'ai fait partie du mouvement de libération<br />
nationale. Je me suis battu et j'ai rêvé d'un pays dirigé par des<br />
Mozambicains. Ce qui veut dire : dirigé par l'immense majorité<br />
noire. Je vis dans un pays où plus de 95 % des citoyens sont<br />
noirs, mes voisins, mes collègues, mes dirigeants sont noirs.<br />
Quand j'invente un personnage, il m'apparaît comme un<br />
Noir. Ce n'est que plus tard, dans des cas particuliers, que<br />
je pense qu'ils peuvent avoir une autre race. Je ne découvre<br />
que je suis blanc que lorsque je sors du Mozambique.<br />
Dans un poème du Portugais Fernando<br />
Pessoa, la nature nous est présentée<br />
comme une abstraction. Vous<br />
inscrivez-vous dans cette pensée ?<br />
Je suis d'accord avec ce point de vue. Dans<br />
aucune des langues du Mozambique, il n'y a de<br />
mot pour dire « nature ». Cette distinction entre le<br />
naturel et le social n'a été construite dans aucune<br />
des sagesses présentes dans le pays. De même,<br />
il n'y a pas de séparation claire entre le monde<br />
des vivants et celui des morts. Il n'y a pas non<br />
plus de mot pour dire « mort ». Cela m’intéresse<br />
de connaître l'existence de termes qui semblent<br />
n'avoir aucune équivalence entre le portugais<br />
et nos autres langues. On apprend beaucoup sur<br />
la pensée dominante au Mozambique à travers<br />
cet inventaire des absences. C’est aussi dans ce<br />
sens que je suis un cartographe des absences.<br />
La poésie peut-elle tout investir ?<br />
Elle est plus qu'un genre littéraire. C'est une façon<br />
de comprendre le monde. Un moyen de se rendre compte<br />
des dimensions non visibles de la soi-disant réalité.<br />
D'une certaine manière, il n'y a personne qui ne soit pas<br />
poète, même si la poésie a été dévalorisée ou entourée<br />
de préjugés. J'ai choisi d'être biologiste pour cela. Pour<br />
rester proche des voix et des créatures qui ne semblent<br />
en apparence n'exister qu'en dehors de nous. [Retrouvez<br />
la version longue de cette interview sur notre site Internet :<br />
afriquemagazine.com.] ■ Propos recueillis par Catherine Faye<br />
PHILIPPE MATSAS/OPALE.PHOTO - DR<br />
18 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
MÉMOIRE<br />
UNE LÂCHETÉ NATIONALE<br />
Les SUPPLÉTIFS ALGÉRIENS<br />
de l’armée française abandonnés<br />
à l’heure de l’indépendance…<br />
JACQUES REBOUD - DR<br />
LES TROIS DERNIÈRES ANNÉES de la guerre d’Algérie<br />
vécues aux côtés des harkis, ceux qui ont rejoint<br />
l’armée française par conviction ou pour nourrir leur<br />
famille, comme ceux qui entendent bien se venger<br />
des moudjahidines qui s’en sont pris aux leurs… Face<br />
à eux, une hiérarchie militaire méfiante à laquelle Paris<br />
demande de ne pas charger la barque des rapatriés, mais<br />
aussi des appelés fraternels. À l’heure où se négociait<br />
la fin de l’Algérie française, ces soldats ont été désarmés<br />
et, pour beaucoup, abandonnés à la bonne volonté<br />
des vainqueurs : plus de 70 000 hommes auraient ainsi<br />
été tués après le cessez-le-feu de mars 1962. Philippe<br />
Faucon [voir son interview pages 56-61], réalisateur<br />
subtil de Fatima et de La Trahison, a vécu cette guerre<br />
durant son enfance. Devant sa caméra, les comédiens<br />
algériens et marocains qu’il a choisis sont d’une puissante<br />
sobriété, au service d’un film qui raconte avec une<br />
grande clarté un impensable abandon. ■ J.-M.C.<br />
LES HARKIS (France), de Philippe Faucon. Avec Théo<br />
Cholbi, Mohamed Mouffok, Omar Boulakirba. En salles.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 19
ON EN PARLE<br />
Sa collection<br />
« Morphism »<br />
valorise les formes<br />
avec des volants<br />
aux couleurs<br />
et aux tailles<br />
audacieuses.<br />
MODE<br />
Le grand prix a été décerné au Sud-Africain Jacques Bam…<br />
AFRICA FASHION UP<br />
UN RENDEZ-VOUS<br />
INCONTOURNABLE<br />
Un parterre enthousiaste<br />
a célébré la DEUXIÈME<br />
ÉDITION de cette vitrine<br />
parisienne de la créativité<br />
du continent, où se mélangent<br />
qualité et passion.<br />
PROMOUVOIR LE SAVOIR-FAIRE africain en Europe tout<br />
en accompagnant les jeunes designers de talent. C’est le but<br />
du programme Africa Fashion Up, imaginé par l’ancienne<br />
mannequin ivoirienne Valérie Ka et son association Share<br />
Africa, qui avait déjà fait parler de lui lors de son lancement<br />
en 2021. Cette deuxième édition, clôturée par un défilé à<br />
l’hôtel parisien Salomon de Rothschild le 16 septembre dernier,<br />
confirme son statut de rendez-vous incontournable pour les<br />
MATTHIEU WADELL (2) - JACQUES B<strong>AM</strong><br />
20 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
MATTHIEU WADELL (2) - MUYISHIME EDI PATRICK<br />
… mais aussi au Rwandais<br />
Muyishime Edi Patrick.<br />
passionnés de mode africaine contemporaine. Les cinq<br />
créateurs sélectionnés, sur une centaine de candidatures,<br />
ont offert un spectacle de grande qualité, couronné par la<br />
présentation des nouvelles collections du Nigérian Emmanuel<br />
Okoro, le grand gagnant de la première édition, et de la<br />
créatrice guadeloupéenne ultra-chic Clarisse Hieraix. Les<br />
pièces ont tellement plu au jury que le prix Designer Africa<br />
Fashion Up a été décerné à deux lauréats : le Sud-Africain<br />
Jacques Bam et le Rwandais Muyishime Edi Patrick auront<br />
accès à une plate-forme internationale pour présenter leurs<br />
créations, en plus de pouvoir profiter, avec leurs collègues,<br />
d’une formation en management et d’un programme<br />
de mentorat avec Balenciaga. De nombreux fashionistas<br />
et influenceurs, des collectionneurs d’art, des artistes<br />
afro-urbains et même l’ex-ministre de l'Égalité Élisabeth<br />
Le créateur a remporté<br />
l’adhésion du jury avec<br />
ses robes envoûtantes<br />
et ses pièces maxi.<br />
Moreno, étaient présents. Le défilé a été inauguré par les tenues<br />
à l’allure afro-punk du Congolais Jean-Cédric Sow, fabriquées<br />
à partir de nguiri, de grands sacs en plastique. Jacques Bam<br />
a étonné avec une preview de sa collection « Morphism »,<br />
qui valorise les formes avec des inserts psychédéliques et des<br />
volants aux couleurs et aux tailles audacieuses. Les tailleurs<br />
finement décorés de milliers de boutons argentés et dorés de<br />
la Marocaine Mina Binebine, la collection tout en légèreté de<br />
l’Ivoirien Ibrahim Fernandez ou encore les robes envoûtantes<br />
signées Muyishime ont montré toute la diversité qui anime<br />
l’univers effervescent de la jeune mode du continent.<br />
On attend avec impatience la troisième édition. ■ L.N.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 21
ON EN PARLE<br />
DESIGN<br />
ATELIER<br />
LILIKPÓ<br />
Imaginer des MOSAÏQUES<br />
MULTIMATIÈRES pour<br />
des intérieurs d’exception.<br />
AUJOURD’HUI, ses travaux décorent les boutiques de Cartier<br />
à travers le monde. Mais c’est un peu par hasard que Sika<br />
Viagbo, 43 ans, a découvert la mosaïque dans les années 2000.<br />
Prise d’une passion presque obsessionnelle, l’étudiante en<br />
musicologie recouvre de tesselles tout ce qui lui passe sous<br />
les mains : murs, éviers, tables… Tant de projets qui poussent<br />
une amie à lui passer sa première commande. Autodidacte<br />
de talent, elle entame un parcours d’apprentissage dans<br />
un atelier et suit une courte formation d’architecture, avant<br />
de se mettre à son compte à Paris en 2006. Des expériences<br />
qui lui « ouvrent un champ de possibilités en dehors de la<br />
mosaïque traditionnelle » : inspirée par la mode et l’architecture<br />
d’intérieur, elle travaille avec le verre, le laiton ou le bois et<br />
dessine des créations qui ont fait de l’Atelier Lilikpó un ovni<br />
artisanal de succès. Le nom de la marque (« nuage » en éwé,<br />
la créatrice étant d'origine togolaise) renvoie à sa capacité<br />
de passer son temps la tête dans les nuages, à imaginer de<br />
nouvelles œuvres. Comme les deux cabinets qu’elle a présentés<br />
au salon parisien « Révélations », en juin dernier : Transitio,<br />
en dalles de verre noir et bambou, s’inspire d’une technique<br />
de vitraillistes qui consiste à éclater le verre pour obtenir des<br />
effets de lumière spectaculaires, tandis qu’Amazonia reprend<br />
la technique de la marqueterie pour créer un contraste<br />
fascinant entre le bois foncé et les nuances vertes du décor.<br />
Sublimes. ■ L.N. atelierlilikpo.com<br />
Autodidacte de<br />
talent, Sika Viagbo<br />
a découvert<br />
cette technique<br />
dans les<br />
années 2000.<br />
ATELIER LILIKPÓ - ANTOINE LIPPENS<br />
22 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
ATELIER LILIKPÓ (2) - ERIC WELLES-NYSTRÖM<br />
Inspirée par la mode et l’architecture d’intérieur,<br />
elle travaille avec le verre, le laiton ou le bois.<br />
Ci-dessus, un zoom sur le cabinet Amazonia.<br />
HIGHLIFE<br />
ALHAJI WAZIRI<br />
OSHOMAH,<br />
OU LA TRANSE<br />
SPIRITUELLE<br />
Le label de David Byrne<br />
(Talking Heads) réédite des<br />
morceaux de l’artiste en anglais<br />
comme en etsako. DIVIN !<br />
« LE MONDE dans lequel nous vivons est basé sur<br />
les contributions de chacun / Nous avons besoin de nous<br />
tous pour faire une société meilleure, car c’est lorsque<br />
deux mains se lavent qu’elles se purifient. » C’est de la<br />
transe hautement spirituelle, fédératrice, hypnotique et<br />
profondément musulmane que l’on entend dans les (longs)<br />
morceaux d’Alhaji Waziri Oshomah, alias l’Etsako Super Star.<br />
Né à Afenmailand, au sud du Nigeria, dans une région où<br />
les différentes religions cohabitent paisiblement, il lance son<br />
propre groupe en 1970, en pleine guerre civile. Prédicateur<br />
façon highlife, l’artiste puise son inspiration dans la pop,<br />
le folk, et chante inlassablement la foi et sa reconnaissance<br />
d’être au monde. Sa musique étrangement new age sonne<br />
toujours aussi fort aujourd’hui. Le musicien David Byrne ne<br />
s’y est pas trompé et a réuni sept titres dans une nouvelle<br />
compilation de son label Luaka Bop, qui rejoint celle d’Alice<br />
Coltrane dans la série World Spirituality Classics. ■ S.R.<br />
ALHAJI WAZIRI OSHOMAH, The Muslim Highlife<br />
of Alhaji Waziri Oshomah, Luaka Bop.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 23
ON EN PARLE<br />
Le Bacha Coffee se niche<br />
dans une cour du somptueux<br />
palais Dar el Bacha,<br />
à Marrakech.<br />
SPOTS<br />
COFFEE<br />
LOVERS<br />
Un salon marocain historique<br />
ou un bar nigérian artistique ?<br />
Même si l’ambiance change,<br />
la QUALITÉ DU CAFÉ<br />
est toujours au rendez-vous.<br />
The Cube Café,<br />
à Abuja, est un hub<br />
culturel qui attire<br />
un public jeune et<br />
cosmopolite.<br />
C’EST L’UN DES PETITS PLAISIRS de la vie pour beaucoup<br />
d’entre nous. À Marrakech, chez Bacha Coffee, c’est<br />
autour de tasses fumantes de café d’Arabie, les yeux rivés<br />
sur les anciennes boiseries, que l’on se retrouve. Spécialisé<br />
dans les cafés 100 % arabica, ce salon-boutique historique<br />
se niche dans une cour du somptueux palais Dar el Bacha<br />
(aujourd’hui le musée des Confluences). Il en propose plus<br />
de 200 variétés, sourcées dans 33 pays. Certains crus,<br />
comme le Zanzibar Gold, sont des appellations à origine<br />
unique, inimitables. D’autres sont des mélanges élaborés<br />
par les maîtres de la maison. Et tous sont torréfiés et<br />
préparés à la main, pour sublimer les arômes de chaque<br />
graine. À déguster avec des gourmandises, salées ou<br />
sucrées, plongés dans une atmosphère Belle Époque.<br />
bachacoffee.com<br />
À ABUJA, The Cube Café propose également de l’arabica :<br />
la variété sélectionnée par les propriétaires, Dante et Khenye,<br />
est cultivée traditionnellement dans l’État de Taraba,<br />
au nord-est du pays. Ouvert en 2016 et installé depuis deux<br />
ans dans les locaux de l’Institut français du Nigeria, ce café<br />
est devenu un hub artistique et culturel qui attire un public<br />
jeune et cosmopolite. Une véritable communauté, qui se<br />
retrouve pendant la journée pour chiller, siroter une tasse,<br />
grignoter un sandwich ou une pâtisserie (au basilic !), ou<br />
encore profiter d’une exposition ou des événements organisés<br />
par Khenye, artiste professionnelle et âme créative du<br />
lieu. Le soir, place à un effervescent resto-pub, parce que<br />
les amoureux de café savent aussi faire la fête… ■ L.N.<br />
instagram.com/thecubecafe<br />
ADRIAN KOH - DR - CAPTURE D’ÉCRAN<br />
24 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
DR<br />
ARCHI<br />
LA RENAISSANCE<br />
DE NGARANN<strong>AM</strong><br />
Tosin Oshinowo a RECONSTRUIT<br />
UN VILLAGE nigérian détruit<br />
par Boko Haram : un projet imaginé<br />
avec la communauté, qui veut<br />
retourner y vivre.<br />
LE PROGR<strong>AM</strong>ME des Nations unies<br />
pour le développement (PNUD)<br />
et le gouvernement nigérian ont<br />
identifié la reconstruction du village<br />
de Ngarannam, dans le nord du<br />
pays, comme le pivot du projet de<br />
repeuplement d’une région dévastée<br />
par les attaques de Boko Haram<br />
en 2015. Le plan de réédification<br />
de plus de 500 maisons, d’une école,<br />
d’un marché et d’une clinique a été<br />
confié à la Nigériane Tosin Oshinowo,<br />
récemment nommée curatrice<br />
de la triennale d’architecture de<br />
Sharjah 2023. Partisane d’un design<br />
durable et adaptable, elle a travaillé<br />
avec les communautés locales pour<br />
proposer des bâtiments qui<br />
respectent la culture du peuple<br />
Kanouri. Construites suivant un<br />
schéma radial autour des bâtiments<br />
publics, les maisons individuelles ont<br />
été dotées d’une zaure, une pièce qui<br />
sépare les espaces privés et publics de<br />
l’habitation. Les toits sont un mélange<br />
de terre, pour réduire les coûts et<br />
assurer une meilleure maintenance<br />
par les habitants. La palette du<br />
projet, des murs ocre aux toits verts<br />
et jaunes du futur marché et agora,<br />
a été convenue avec les locaux, afin<br />
de le rendre le plus accueillant possible<br />
aux yeux des déplacés, qui souhaitent<br />
retourner dans la région. ■ L.N.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 25
CE QUE J’AI APPRIS<br />
Souad Asla<br />
POUR LA CHANTEUSE ALGÉRIENNE,<br />
la musique est un art d’émancipation et de liberté. Avec son groupe<br />
100 % féminin Lemma, elle fait vibrer les chants ancestraux<br />
de la région désertique de la Saoura et célèbre un patrimoine menacé.<br />
propos recueillis par Astrid Krivian<br />
J’ai grandi à Béchar, aux portes du désert. J’ai eu une enfance joyeuse. Je rêvais de danse, de<br />
théâtre, de cinéma. Comme il n’y avait pas de conservatoire, j’ai appris à créer mes spectacles avec mes nièces<br />
et mes cousins. J’étais la cheffe ! Je sentais qu’il y avait une puissance, un monde à découvrir. J’étais très curieuse<br />
des autres pays, des différents styles musicaux, d’ici et d’ailleurs.<br />
Je voulais aussi être photographe de guerre. Mon père, politicien, me parlait des actualités<br />
du monde. J’avais envie de voyager, de couvrir les conflits. Mais mon père jugeait que ce n’était pas un métier<br />
pour moi. C’est là que s’est produit un déclic en moi : pourquoi me le refuse-t-on ? Dès l’adolescence, les interdits<br />
commençaient à tomber, ça me dérangeait beaucoup. J’ai d’abord mis de l’eau dans mon vin. Je n’avais pas<br />
le choix, j’étais très jeune. J’ai suivi des études scientifiques selon le souhait de mon père. Puis, je suis tombée<br />
amoureuse d’un Français. On se voyait en cachette. Il a demandé ma main, mais mes parents ont refusé.<br />
Mon père m’a expliqué : ce n’était pas une décision personnelle qui lui appartenait, il fallait l’accord des frères,<br />
des oncles, tout ce poids de la société.<br />
À 20 ans, j’ai tout quitté. Même si je voulais construire dans mon pays, mes rêves étaient plus grands<br />
que ma vie quotidienne. C’était un choix déchirant, mais je tenais à ma liberté. Mes parents n’étaient pas d’accord,<br />
je suis donc partie sans prévenir. Trouver ma place en France, m’habituer à l’éloignement, c’était difficile au<br />
début. J’ai fait les vendanges, ça m’a plu cette responsabilité, de travailler pour gagner son argent. Et j’ai intégré<br />
une école de théâtre. J’étais très bonne en improvisation. Mais le milieu du cinéma m’a déçue. Je voulais jouer<br />
tous les rôles, or on ne me proposait que des personnages caricaturaux.<br />
La musique est arrivée par hasard. La grande musicienne Hasna El Bacharia recrutait des chanteuses<br />
et m’a proposé de devenir choriste. J’ai d’abord refusé, je n’avais pas confiance en ma voix. Mais quand elle m’a<br />
présenté la feuille de route de la tournée, je me suis dit : quel moyen de voyager ! J’ai compris que nos musiques<br />
traditionnelles étaient un vrai trésor. Je l’ai accompagné pendant dix-sept ans, tout en initiant mes projets à côté.<br />
Pendant longtemps, je refusais de jouer en Algérie, ou je me cachais derrière une percussion<br />
pour ne pas être filmée. C’était très dur de me libérer. J’ai fini par me réconcilier avec ma famille. Ils ont compris<br />
ma démarche. Et monter le groupe Lemma, avec des femmes de la Saoura, de toutes générations, a été une<br />
libération [spectacle notamment présenté au festival Les Suds, à Arles, ndlr]. Libres, elles affrontent la société, elles<br />
jouent sur scène. Elles m’ont libérée de mes peurs, donné de la force. Aujourd’hui, j’adore jouer dans mon pays.<br />
En revenant des années après dans ma région natale, j’ai compris la grandeur de ce désert,<br />
sa spiritualité. Et pourquoi nous sommes plutôt calmes, taciturnes. Avant, ça m’énervait, je trouvais les gens lents,<br />
pour moi, il fallait parler, vivre ! Pour me ressourcer, je pars dans mon désert. Je remercie l’Univers d’être née<br />
là-bas. J’y ai appris l’importance de la famille, des racines. Quand on est bien enracinés, on peut s’élever après. ■<br />
26 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022
MOH<strong>AM</strong>MED MENNI<br />
« Pour me ressourcer,<br />
je pars dans mon<br />
désert. Je remercie<br />
l’Univers d’être<br />
née là-bas. »<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>433</strong> – OCTOBRE 2022 27
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C’EST COMMENT ?<br />
PAR EMMANUELLE PONTIÉ<br />
PAS DE RENTRÉE POUR TOUS<br />
DOM<br />
Le saviez-vous ? Dans le monde, 244 millions d’enfants de 6 à 18 ans ne sont pas<br />
scolarisés. Et la plus grande partie d’entre eux (98 millions) réside en Afrique subsaharienne.<br />
Un bien triste record. La principale raison, c’est le nombre important de zones<br />
d’insécurité. Au Burkina Faso, 2,6 millions d’écoliers seront privés de rentrée, notamment<br />
dans six régions en proie à des crises sociales, des tensions ou autres trafics. Pas d’école<br />
non plus au Nord-Kivu, ravagé par la guerre en République démocratique du Congo.<br />
La région séparatiste anglophone du Nord-Ouest au Cameroun a aussi vu de nombreux<br />
élèves rester chez eux lors de la rentrée scolaire le 5 septembre dernier… Etc., etc.<br />
Il faut également compter avec les grèves récurrentes d’enseignants, qui ont<br />
souvent des arriérés de salaires abyssaux et profitent des débuts d’année académique<br />
pour faire pression sur leur gouvernement, tel au Congo. Sans oublier les zones où il n’y<br />
a pas d’écoles, comme dans la plus grande partie du Tibesti au Tchad, et les autres,<br />
trop reculées, dans lesquelles les enseignants refusent de<br />
s’installer. Là-bas, comme dans certains villages maliens,<br />
les arbres poussent dans les établissements abandonnés,<br />
avec quelques ânes qui parfois viennent s’y abriter<br />
de la chaleur…<br />
Ajoutons à cela la question cruciale des moyens<br />
insuffisants pour envoyer ses enfants à l’école pour nombre<br />
de ménages du continent. Alors, on en choisit un sur la fratrie,<br />
en oubliant les filles évidemment, bien plus utiles pour<br />
les corvées domestiques ou le travail dans les champs.<br />
Parce que les fournitures sont trop chères, les livres pas<br />
toujours subventionnés par les gouvernements. Il faut<br />
parfois apporter son banc en classe, car l’État ne les fournit<br />
pas, comme dans certains villages nigériens. Et cette<br />
année, la crise mondiale de l’énergie, du transport, du prix<br />
du papier a fait flamber encore davantage les tarifs. Le<br />
paquet de cahiers est passé de 1 000 à 1 500 francs CFA<br />
à Lomé, au Togo.<br />
Bref, chaque rentrée scolaire laisse sur le bord de<br />
la route des millions d’enfants, qui partent mal pour jouir d’une bonne intégration sociale.<br />
Et la situation ne s’améliore pas. Alors, que faire ? Contre l’insécurité, sûrement pas grandchose.<br />
Mais les gouvernements, dont le portefeuille de l’enseignement est souvent le<br />
mieux loti côté budget, pourraient faire une priorité absolue de payer les professeurs, de<br />
les déployer sur tout le territoire, de subventionner les livres ou les bancs d’école. Et surtout,<br />
se creuser globalement les méninges pour que cette situation insupportable s’améliore<br />
au lieu de s’aggraver d’année en année… ■<br />
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