Atlas historique de l'Algérie-Karim Chaibi
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Conception graphique : Farida Jeannet
Mise en page : Pixellence
© Nouveau Monde éditions, 2022
44, quai Henri-IV – 75004 Paris
ISBN : 978-2-38094-118-0
Dépôt légal : mars 2022
Imprimé en France par CPI
KARIM CHAÏBI
ATLAS
HISTORIQUE
DE L’ALGÉRIE
Préface de Jacques Frémeaux
C’est à un homme d’Afrique que je souhaite spécialement dédier cet atlas :
Gabriel Médina. Car il a été celui qui m’a conduit au bord de la mer Méditerranée
en 1992, afin de partir à la découverte d’une terre encore inconnue pour moi :
l’Algérie. Trente ans auparavant, Gaby avait quitté son village natal de Hammam
Bou Hadjar, au sud-ouest d’Oran. Il en a rapporté une force et une générosité
impressionnantes. Avec son épouse Raymonde (disparue récemment), Gaby a
accompagné ma jeunesse et m’a transmis la confiance, l’endurance, le dépassement
de soi. Merci beaucoup Gaby !
PRÉFACE
C’est une vérité première que de dire que les événements historiques se
manifestent à la fois dans le temps et dans l’espace. Pourtant, les ouvrages
d’histoire contiennent trop rarement des cartes qui permettraient au lecteur
de se familiariser avec la topographie des pays dont ils traitent, les réseaux
de toute sorte, notamment urbains et routiers, qui les parcourent, leurs principales
divisions politiques et administratives, et permettraient enfin de situer
précisément les principaux événements dont ils furent le cadre. Ceci est particulièrement
vrai de l’histoire de l’Algérie, pourtant si proche.
C’est pour remédier à ces carences que Karim Chaïbi a conçu cette version
renouvelée et développée de son Atlas historique de l’Algérie. Il suffit de le
feuilleter pour comprendre que les ambitions en sont très vastes, puisque le
lecteur est invité à suivre une histoire qui commence avec le paléolithique, il
y a un million d’années, et s’achève provisoirement avec les manifestations
du hirak des années 2019 et suivantes. On parcourt ainsi successivement la
préhistoire, l’installation des royaumes berbères, l’occupation romaine, l’épisode
vandale, la conquête arabe, la succession des royaumes musulmans,
l’occupation turque, la colonisation française, et la guerre d’Algérie, avant
d’arriver aux soixante années de l’indépendance.
La question qui se posera sera inévitablement celle de l’unité de cette
histoire. Après tout, jusqu’à l’occupation turque, les épisodes d’unification du
Maghreb central sous la même autorité sont rares, et la chronique peine à
rendre compte des divisions qui l’ont fractionné. À quoi il est facile de
répondre que c’est par la lecture rétrospective qu’en a fait le mouvement
nationaliste algérien, dans les limites précisées par le régime colonial avec
le Maroc et la Tunisie, et élargies vers le sud par les conventions internationales,
que se lit le destin de l’Algérie. Une histoire qui progresse par ruptures,
peut-être parce que le fondement réside dans la permanence de son vieux
fonds ethnique et de son unité religieuse.
Le travail n’était pas facile, pour plusieurs séries de raisons. La première,
la plus évidente, résidait dans le choix des événements à représenter, et des
symboles à adopter pour rendre ces représentations lisibles. La seconde était
dans les difficultés du choix d’une échelle : si l’essentiel de l’histoire de l’Algérie
se situe dans un cadre méditerranéen, sur environ 400 000 km², les dépendances
sahariennes qui rattachent fortement le pays au continent africain, ne
représentent en effet pas moins de deux millions de km².
8 Atlas historique de l’Algérie
La plupart des cent trente-cinq cartes sont consacrées à regrouper, sur
un même support, les éléments divers qui permettent de synthétiser à
chaque fois une période historiquement délimitée, avec, fort logiquement, une
précision croissante à mesure que l’on s’avance vers les temps actuels. De
ce point de vue, l’effort du cartographe pour représenter l’Algérie d’après 1962
sera probablement le premier à retenir l’attention, tant la bousculade des
événements a rendu cette période peu lisible. En revanche, c’est peut-être en
se reportant à l’histoire du passé ancien jusqu’au XVI e siècle, trop négligée au
profit des confrontations menées depuis les temps modernes, que le lecteur
s’instruira le plus. Outre l’intérêt de retrouver les grands traits de ces
périodes trop oubliées, il éprouvera des surprises agréables, comme celle de
pouvoir retrouver les itinéraires du grand Ibn Khaldoun. On notera enfin que,
loin de montrer une Algérie isolée, les cartes la situent dans plusieurs des
ensembles auxquelles elle se rattache : Maghreb, monde méditerranéen,
avec une alternance ou une concurrence des influences orientale et occidentale,
Afrique dans son ensemble.
Dans un temps où d’aucuns cherchent à rapprocher les mémoires sans y
parvenir, il est indispensable de fournir, à ceux qui ont seulement le souci de
savoir, des instruments d’un abord accessible. Celui-ci en est un. Sa consultation
aisée invite les passionnés à des approfondissements innombrables.
Jacques Frémeaux
Professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne
Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer
Carte du monde dressée par l’amiral ottoman Piri Reis, 1513.
PRÉSENTATION
a volonté de diffuser un résumé pratique et dynamique des grandes
L
périodes historiques de l’Algérie a fait naître cet atlas de plus de
130 cartes. À travers les siècles, cette cartographie fine parcourt
tous les territoires de l’Algérie, de la préhistoire à nos jours. La première
production moderne d’une cartographie historique de l’Algérie avait été le
fruit du travail impressionnant de Georges Duby, avec son Atlas historique
mondial (plusieurs fois réédité). Les grandes lignes de l’histoire algérienne y
avaient été tracées, une première après la colonisation. En 2011, Guy Pervillé
franchit un seuil graphique et scientifique majeur, en écrivant l’Atlas de la
guerre d’Algérie, actualisé en 2011. Jusqu’à aujourd’hui, ces représentations
cartographiques de la période 1954-1962 sont une documentation des plus
riches.
Avant que ne soient édités ces premiers atlas historiques, la production
d’atlas généraux de l’Algérie à l’époque coloniale se trouvait principalement
intégrée au domaine géographique (éditions Vidal-Lablache, Atlas général de
Pierre Gouraud, Hachette, etc.) dans le cadre des travaux encyclopédiques et
scolaires. À l’Algérie étaient ainsi consacrées des pages dédiées dans les
parties concernant l’Afrique, mais plus généralement à la partie France. Les
éditions de revues et atlas spécialement consacrées à l’Algérie connurent un
développement inédit à l’occasion de la célébration du centenaire de la
conquête en 1930. Une grande production d’ouvrages faisait l’éloge et la promotion
de l’Empire français et de la colonie algérienne en particulier. L’Algérie
y était le plus souvent vantée pour sa terre riche en ressources naturelles et
la diversité de ses populations. Ces atlas, très diffusés dans le monde scolaire
pour leur aspect encyclopédique et didactique, incarnaient l’exaltation de la
puissance impériale française (les fameux territoires en rose, de Dunkerque
à Brazzaville).
L’utilisation des cartes pour l’enseignement de la géographie et de l’histoire
a effectivement toujours intéressé un large public, car les représentations
des réalités géographiques ou historiques y sont simplifiées. La
découverte d’un pays ou d’une région du monde est ainsi souvent passée par
l’étape de la carte, laissant l’esprit imaginer les paysages ou les batailles
résumés par une couleur ou un symbole. L’observateur d’une carte est libre
de fixer son regard sur n’importe quel point. Les cartes dessinées dans cet
12 Atlas historique de l’Algérie
atlas peuvent être exploitées à la fois comme outils de localisation des événements
de l’histoire, mais également comme éléments signifiants pour comprendre
le contexte géographique des distances et du relief. De telles
informations géographiques sont incontournables pour l’historien comme
pour tout lecteur découvrant ces siècles méconnus de l’histoire franco-algérienne.
Ce travail de représentation du territoire nord-africain a une longue
histoire. Dessinant ces rivages méconnus depuis l’Antiquité, la cartographie
produite par les civilisations méditerranéennes antique (Grecs), médiévale
(Arabes) et ottomane (Piri Reis notamment) avait précédé les travaux
« modernes » des écoles européennes des XVII e -XVIII e siècles. Ces cartes
« anciennes » ont constitué un apport documentaire très précieux pour la
localisation et la toponymie.
Ainsi, parmi les cartes exploitées pour la rédaction de cet atlas historique,
se trouve une des premières représentations du « monde connu » au II e siècle,
la Géographie de Ptolémée. Cette carte a été la référence des rédacteurs
d’atlas européens pendant plusieurs siècles, se présentant tout en longueur
de la Méditerranée. Avant d’approcher les côtes d’Alger ou de Tunis, les Européens
n’avaient longtemps disposé que de la toponymie romaine pour décrire
les sites de l’Afrique du Nord. Jusqu’au XIV e siècle, l’ensemble des noms africains
de la cartographie européenne furent d’abord les territoires de Mauretania,
de Numidia et d’Africa.
Les rivages du sud de la Méditerranée occidentale, où nombre de cités
sont d’origine carthaginoise, ont maintenu une relation particulière avec
l’Orient, accentuée lors de son intégration au monde romain, pendant près de
cinq siècles. L’Algérie romaine a été profondément marquée par cette civilisation
« globale », notamment avec la très forte urbanisation, les cultures agricoles
et l’accueil fait à la jeune religion chrétienne, dont Augustin d’Hippone
Carte de l’écoumène de Ptolémée.
Présentation 13
Carte dressée par Al Idrissi, maître géographe du Moyen Âge.
fut le célèbre représentant. Cet atlas historique de l’Algérie consacre de nombreuses
cartes aux principaux événements de cette période romaine. La fin
de cette Afrique « occidentale » y est aussi présente, avec l’épopée méconnue
des Vandales de la mer Baltique à la Numidie. Les quelques cartes de la
période byzantine illustrent quant à elles une période peu renseignée de l’histoire
algérienne, pendant laquelle des royaumes « romano-africains » se sont
constitués. Des décennies d’histoire échappent encore à la compréhension
scientifique et la cartographie ne peut qu’approcher des hypothèses représentables.
Afin d’apporter une focale plus régionale de l’Algérie médiévale, il a été
nécessaire de renvoyer parfois au cadre de l’Orient musulman. Quelques
cartes décrivent ainsi le berceau arabe de l’Islam jusqu’à la Syrie, où les
ancêtres des Algériens participèrent à l’aventure fatimide. Une fois réunifiées
par l’Islam au VIII e siècle, les anciennes provinces antiques d’Afrique du Nord
recevront le nom de Maghreb (pays du Couchant) ou Bilad al Barbar (pays des
Berbères). Cette dénomination « arabo-centrée » sera réutilisée jusqu’à nos
jours pour définir l’ensemble des pays nord-africains du Maroc à la Libye.
C’est ce cadre « maghrébin » qui a été retenu pour dessiner les cartes de
l’époque arabo-islamique, car on ne peut dissocier ces territoires « algérien,
tunisien et marocain », particulièrement à cette période. IMAGE Idrissi Les
cartes « médiévales » proposées s’appuient notamment sur les deux grands
atlas actuels du monde musulman (An Historical Atlas of Islam de Hugh Kennedy,
rééd. 2002 ; et l’Atlas du monde arabo-islamique à l’époque classique de
Georgette Cornu, 1985), qui constituent des références d’un apport considérable,
synthèse de nombreux travaux sur la période. Le présent ouvrage
consacre plusieurs cartes à l’aventure des Berbères Kotama fatimides ainsi
qu’à l’itinéraire de personnalités qui ont vécu une partie de leur vie dans cette
Algérie médiévale, comme le chef almohade Abd el Moumen ou Ibn Khaldûn.
Le tournant historique de 1492 situe les territoires de l’Algérie dans le
contexte de l’émergence de la puissance ottomane en Méditerranée, tandis
que les Espagnols découvrent le Nouveau Monde. La période « turque » correspond
à la diffusion des premières cartes européennes conçues pour les
navigateurs. Ces portulans inaugurent le développement d’une cartographie
en plein essor, principalement à Anvers et à Amsterdam, dans le contexte des
14 Atlas historique de l’Algérie
« grandes découvertes ». Les royaumes de Tlemcen, d’Alger et de Béjaïa, qui
avaient précédé l’arrivée des corsaires ottomans, étaient donc déjà connus et
représentés.
Avec la mise en place du pachalik d’Alger (la régence), la connaissance du
sud de la Méditerranée s’est considérablement précisée pour les Européens.
Dans la documentation de cet atlas, plusieurs cartes de cette époque ont
ainsi été évoquées pour leurs indications toponymiques et l’importance des
cités algériennes de l’époque ottomane. Le terme même d’atlas fut d’ailleurs
mentionné une première fois par le cartographe flamand Mercator au
XVI e siècle. On dispose de plusieurs cartes hollandaises et françaises au
moment où la flotte d’Alger est la plus puissante. Cet atlas cherche à représenter
aussi bien les enjeux de la lutte en Méditerranée que la formation du
territoire nord-algérien, dont les limites se précisent entre le XVI e et le
XVII e siècle, alors que les pachas repoussent les tentatives expansionnistes
des royaumes voisins.
La régence d’Alger, encore mieux décrite sur les cartes produites par les
Français à partir du XVII e siècle et surtout du XVIII e , est devenue une actrice
incontournable de la Méditerranée occidentale. À partir du XVIII e siècle, une
approche plus scientifique se met en place, notamment avec les cartographes
français « royaux » d’Anville, qui commencent à identifier plus finement le
territoire des pachaliks d’Alger et de Tunis. Les rois installés à Versailles
s’intéressent au sud de la Méditerranée. Tous les travaux de reconnaissance
qui précédent la conquête française sont une mine d’informations sur la
situation de la régence avant 1830.
Avec le débarquement français de juillet 1830, le territoire qui deviendra
officiellement l’Algérie est systématiquement exploré et dessiné, puis cartographié
par les brigades topographiques du ministère de la Guerre. Car disposer
de cartes revient effectivement à contrôler un espace, mission confiée
naturellement à l’armée, engagée dans les opérations contre les tribus qui
résistent à la conquête. Les échelles régionales s’imposent de nouveau dans
ces années qui voient la progression détaillée des colonnes dans les territoires
« indigènes ». Dans la période consacrée à la conquête française,
l’accent a été mis sur les grandes campagnes de Kabylie et les explorations
dans le Sahara, dont la durée a nécessité une représentation sur plusieurs
cartes.
La colonisation, autre grande thématique de la période française, est illustrée
par plusieurs cartes assez précises, localisant les nombreux villages
européens, dans les trois principales régions d’immigration : l’Algérois, le
Constantinois et la région d’Oran-Mostaganem. Représentant une période
complexe et riche, les cartes de cette période jusqu’à la Première Guerre
mondiale mettent en avant les nombreuses insurrections, dont celle de 1871,
ainsi que la question des Algériens exilés. On sort là du cadre géographique
nord-africain pour découvrir le monde de la diaspora algérienne, des
bagnards aux émigrants du Proche-Orient.
La cartographie de la Première Guerre mondiale détaille les différents
fronts où se sont battus les soldats « indigènes » algériens tandis que la carte
des opérations de représailles dans les Aurès-Belezma apporte un éclairage
régional sur un épisode méconnu. Le processus de politisation des Algériens
est complexe à représenter, les mouvements changeant souvent de nom et
Présentation 15
Plan d’Alger, XVII e siècle.
de chefs. Cependant, la carte de l’entre-deux-guerres est capitale pour comprendre
l’évolution des courants nationalistes algériens et leurs répercussions
sur la société « indigène ».
Comme pour la Grande Guerre, les cartes de la Seconde Guerre mondiale
sont « régionalisées », montrant l’itinéraire des régiments de tirailleurs algériens
et leur participation à la Libération.
La répression de 1945 fait l’objet de plusieurs cartes, résultat de longues
recherches, dont plusieurs enquêtes de terrain, notamment dans la région de
Sétif, dans le prolongement de l’ouvrage Sétif 1945-1962, Atlas historique régional
(Karim Chaïbi, Dalimen, Alger, 2015). La guerre dans les djebels paraît
commencer à ce moment clé des prémices de la décolonisation, avec les
opérations de ratissage dans des régions montagneuses. Le cadre cartographique
de la guerre d’Algérie semble déjà planté en mai-juin 1945 : des reliefs
escarpés et des refuges inexpugnables.
Cartographier la guerre d’indépendance met en lumière la complexité de
certains thèmes, comme celui de la stratégie insurrectionnelle en France et
des moyens particuliers de l’armée. Des combats aux méthodes de cette
guerre, les cartes exposent des aspects militaires du conflit mais aussi les
implications internationales sur trois échelles : européenne, régionale du
monde arabe et internationale. Les conséquences du conflit, comme le mouvement
migratoire des rapatriés européens et des supplétifs de l’armée française,
font quant à elles l’objet de cartes illustrant leur situation de
postindépendance.
16 Atlas historique de l’Algérie
La complexité de l’été 1962 nécessitait une carte à elle seule, comme celle
traduisant l’importance du Sahara pour de Gaulle, dans le contexte de la
guerre froide.
Les trente premières années de l’indépendance algérienne, dominées par
une politique socialiste de construction nationale, sont l’occasion de noter
l’ouverture tiers-mondiste et solidaire des mouvements nationaux, africains
en particulier. Les années 1990 constituent une situation historique, taboue
et relativement peu documentée pour un conflit aussi contemporain. Pourtant,
une cartographie est réalisable afin de pouvoir, a minima, localiser les
régions les plus affectées par les pires violences de masse commises contre
des civils depuis la fin de la guerre froide. Enfin, la fin du règne de la famille
Bouteflika permet d’envisager la cartographie des ressources stratégiques
de l’Algérie, longtemps violentée, « empêchée », mais toujours déterminée à
s’exprimer.
Cet atlas ne prétend pas épuiser les sujets qui ont pu faire l’objet d’une
représentation exhaustive cartographiée. Les textes sont destinés à éclairer
la lecture des cartes. La documentation bibliographique – pour laquelle la
recherche ne cesse d’avancer – permet de compléter et de corriger les inévitables
lacunes sur certaines questions historiques.
Atlas de l’Algérie signifie également « atlas des Algériens », dans toute la
diversité de ses populations. Cela renvoie à la situation géographique des
minorités juives et chrétiennes en Algérie, dont la présence millénaire juive.
Les sites de la chrétienté en terre africaine, de l’Antiquité romaine aux missions
dans l’Algérie coloniale, dans les montagnes du Djurdjura en particulier,
donnent à voir une puissante acculturation méditerranéenne.
L’exploitation de travaux historiques et d’archives pour la conception de
cet atlas implique néanmoins une bonne connaissance topographique de
l’Algérie. La consultation minutieuse de nombreuses cartes, recoupées avec
L’Algérie du nord, sans forêts.
les données toponymiques, a permis de mieux situer des tribus et des villages
dont l’histoire est souvent méconnue. Reconstituer une toponymie algérienne
qui a subi de très nombreux mouvements au cours de l’histoire a été nécessaire
pour apporter le plus de précisions géographiques sur les cartes.
Cependant, l’un des défis majeurs de cet atlas aura été de proposer des fonds
en relief, sur lesquels le récit historique prend une tout autre compréhension.
La réalité du paysage de l’Algérie, et notamment de ses nombreuses montagnes,
devait effectivement être dessinée sur ces cartes, où la complexité de
la géographie se présente comme le support physique de l’histoire. Obstacles
naturels, massifs refuges, forêts et oasis sont autant d’éléments qui se
devaient de figurer sur les cartes, lorsqu’ils ne gênaient pas leur compréhension.
Ainsi, plusieurs cartes topographiques (citées en référence) ont été
nécessaires au dessin des cartes régionales, tandis que le fonds général du
territoire algérien et nord-africain a entièrement été dessiné. Même si les
techniques du dessin assisté par ordinateur s’améliorent d’année en année,
la main du cartographe ne peut faire l’économie du dessin. Pour les villes,
ces outils permettent cependant un usage plus adapté, avec la possibilité de
comparer les centres historiques à partir de cartes anciennes.
La terre d’Algérie se présente comme un territoire ouvert sur deux
grandes portes. Au sud, le Sahara, qui a été le témoin de la circulation du
monde berbère avec l’Orient égyptien, chrétien, juif puis musulman, héritages
profondément ancrés. Au nord, la mer Méditerranée fut quant à elle la porte
des Carthaginois, Romains et Européens, Français en particulier. Ces derniers
ont laissé une empreinte encore fraîche sur l’Algérie d’aujourd’hui, de
la langue française à l’urbanisme. Cet Atlas historique témoigne de ce double
héritage qui a façonné le caractère original de ce pays.
Présentation 17
LA GENÈSE D’UN TERRITOIRE,
ENTRE SAHARA ET MÉDITERRANÉE
L’ALGÉRIE PRÉHISTORIQUE
e territoire algérien se présente comme un véritable musée d’histoire
à ciel ouvert. Les principales ères préhistoriques se trouvent
L visibles en Algérie, avec des sites s’étalant du paléolithique au néolithique.
L’immensité des régions sahariennes a révélé des trésors artistiques
datant du V e millénaire, notamment dans le tassili des Ajjer, région montagneuse
classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1982. Le nord de
l’Algérie est quant à lui plus ancien, avec ses sites dispersés de la mer Méditerranée
à l’Atlas saharien, où nombre d’outils et foyers de vie ont attesté
d’une présence humaine il y a plus de 2 millions d’années.
Les sites algériens du paléolithique se trouvent essentiellement dans
des régions fouillées par les premiers chercheurs français. C’est bien
dans l’Algérie utile (hautes plaines céréalières, sites miniers…) que
les premières découvertes se sont déroulées, soit de manière fortuite
soit par le travail d’exploration des sociétés savantes européennes.
Après la période pionnière de l’exploration scientifique de
l’Algérie dans les premières années de la conquête française, plusieurs
sociétés de géographie ou archéologiques (Société archéologique de la province
de Constantine fondée en 1852, Revue africaine en 1856…) ont été
Pierre taillée
créées. Bien qu’essentiellement tournés vers les périodes de l’Antiquité
de type atérien.
romaine, les travaux, descriptions et autres relevés des années 1850-
1900 préparèrent cependant les premières études préhistoriques alors à leurs
débuts en Europe.
À partir du début du XX e siècle, notamment avec la pénétration saharienne,
les travaux préhistoriques se développent sous l’impulsion de géographes
comme Hanotaux qui, dès 1889, présente l’Afrique comme la plus ancienne et
la plus récente conquête de l’humanité (congrès de géographie d’Oran). Le
Sahara dépasse alors les départements du nord en matière de découvertes
préhistoriques, car l’état de conservation et le nombre de sites font apparaître
ces régions du tassili des Ajjer comme un monde fascinant, avec sa civilisation
racontée sur les gravures rupestres. Il en est tout autrement des chercheurs
du Tell qui, avec Camille Arambourg dans les années 1948, procèdent à un
travail de fouilles de longue haleine. Cet héritage scientifique a depuis été
exploité par les chercheurs actuels, comme les sites de la région de Sétif,
20 Atlas historique de l’Algérie
berceau des premiers Algériens, où
le spécialiste Mohamed Sahnouni
entreprend depuis plusieurs années
un travail approfondi. Le grand
public dispose de matériaux très
parlants pour illustrer cette période
lointaine de l’histoire algérienne.
Des ossements d’animaux que l’on
retrouve aujourd’hui dans les
réserves du Kenya aux fines flèches
retrouvées sur les sites du néolithique,
les musées d’Algérie ont conservé, depuis les travaux de la France coloniale
à aujourd’hui, des témoignages de ce passé, dont la plus grande partie
nous échappe encore. Il faut se rendre dans ces musées archéologiques d’Oran
à Tébessa, en passant par le Bardo à Tunis, pour réaliser la lente progression
matérielle des premiers habitants de l’Algérie. Quant aux gravures du Tassili,
elles sont le lien avec cette protohistoire qui prend justement naissance au
Sahara. Un désert qui n’était pas aussi sec qu’aujourd’hui, avec ses images
dessinées de troupeaux de chevaux et de bovins, élevés par une population
que les chercheurs qualifient de proto-berbère, notamment du fait de leurs
similitudes artistiques avec leurs familles de l’Atlas.
Ces populations évoluent dans un Sahara communiquant culturellement
avec sa partie orientale, comme en
témoignent les sites de Libye et
d’Égypte. Ce monde des Libyens
des auteurs grecs ou phéniciens
s’étend alors bien au-delà du
Maghreb actuel. Un monde complexe,
avec en commun une langue,
le berbère. C’est dans la région
méditerranéenne de ce monde berbère
que leurs lointains cousins
orientaux prennent pied vers le
VIII e siècle, faisant ainsi entrer dans
l’histoire antique le littoral de
l’Algérie actuelle.
Peintures rupestres découvertes dans le Tassili n’Ajjer.
LES PHÉNICIENS
ET LES RIVAGES DE LA
MÉDITERRANÉE BERBÈRE
e monde berbère s’étendait très loin au-delà des pays de l’Atlas,
L
jusqu’aux confins de l’Égypte pharaonique. Un monde au contact de
l’Orient par la terre et par des proximités linguistiques, monde qui
n’a laissé que peu de témoignages. Les rivages méditerranéens de cette
partie de l’Afrique du Nord furent très tôt convoités par les puissances maritimes
de la haute Antiquité, Grecs et Phéniciens. Ces derniers, peuple sémite
de la région cananéenne (Palestine), essaiment à partir du VIII e siècle avant J.-
C. dans la plus grande partie du sud de la Méditerranée. Des villes mères
comme Tyr, Sidon ou Byblos envoient leurs marins pratiquer leurs talents
commerciaux le long des côtes, notamment à la recherche de métaux précieux,
en échange de produits de luxe, dont les objets colorés à la fameuse
22 Atlas historique de l’Algérie
pourpre. Utique puis Carthage (Qart hadash – cité nouvelle) sont fondés,
simples comptoirs commerciaux et diffuseurs de la culture punique, dont
l’alphabet phénicien. Tout le long de la côte nord-africaine sont ensuite
construits des ports, pratiquement tous les 40 km (correspondant à une étape
de navigation), constituant autant de cités sur des sites choisis comme des
abris naturels, des rus (têtes ou caps) naissent sur la côte de l’Algérie actuelle
tel que Rusgania. En dehors du commerce, on connaît assez mal les rapports
qu’entretenaient les Phéniciens avec les royaumes numides et maures.
Au VII e siècle avant J.-C., la Méditerranée occidentale se trouve largement
dominée par la puissance maritime carthaginoise. La thalassocratie grecque
a également essaimé en Méditerranée occidentale, mais n’a rien fondé sur
l’actuelle côte algérienne, exclusivement punique. La pénétration phénicienne
à l’intérieur des royaumes berbères locaux, numides ou maures, est mal
connue. Dans l’arrière-pays de Carthage sont entretenues des alliances, avec
paiement de tribut. C’est davantage le développement des échanges économiques
et culturels qui marquent la période. La région comprise entre
l’actuelle frontière tunisienne et Constantine a ainsi livré des centaines
d’inscriptions libyques (écriture punico-berbère) attestant d’une influence
punique très marquée, tant en matière religieuse (culte de la déesse Tanit)
que dans la sphère domestique (lampes à huile, céramique…). Ayant étendu
son domaine à l’ouest, jusqu’à la région de Tébessa, Carthage entretient des
relations stratégiques a minima avec les royaumes numides voisins, dont le
soutien pouvait leur être utile.
À l’ouest de l’Algérie actuelle et au-delà de la Moulouya s’étend le domaine
des massæsyle. Leur roi siège à Siga, au nord de l’actuelle Tlemcen. À l’est
se déploie le royaume Massyles, autour de Cirta (Constantine). Ces deux
royaumes sont décrits par les auteurs antiques comme habités par les
peuples numides ou maures, « Berbères » étant le terme générique employé
pour les non-Romains, ou non-latinisants, extension de barbaros (ceux qui ne
parlent pas le latin, et par extension tous les peuples hors de la civilisation
romaine). À l’intérieur du royaume Massyles, les souverains berbères
apportent leur soutien au voisin punique, dans le contexte d’un conflit entre
Carthage et la République romaine, dont l’enjeu est le contrôle de la Méditerranée
occidentale.
Depuis le III e siècle, Carthage n’est effectivement plus vraiment seule en
Méditerranée. Son expansionnisme se heurte aux ambitions romaines. Après
une première guerre entre les deux puissances maritimes entre -264 et -241,
le roi massæsyle Syphax se trouve impliqué dans ce conflit qui s’étend alors
sur le territoire africain : c’est l’enjeu de la deuxième guerre punique (219-
201).
Proue d’un navire phénicien.
Les Phéniciens et les rivages de la Méditerranée berbère 23
UNE CIVILISATION
ROMANO-AFRICAINE
DE LA SECONDE GUERRE
PUNIQUE (−219 −201)
À LA DESTRUCTION
DE CARTHAGE (−146)
endant la deuxième guerre punique, la République romaine a porté
P
la guerre sur la terre africaine. Battue à Zama en 202, l’armée
punique d’Hannibal se replie sur Carthage, tandis que son allié
Syphax se retrouve affaibli, laissant son royaume conquis par Massinissa. Ce
dernier apportant son appui militaire aux Romains avant Zama, cela lui permit
d’étendre sa domination sur la Numidie agrandie vers l’est, et largement
ouverte sur la Méditerranée et son commerce. La Numidie attire nombre de
marchands dont des Italiens établis notamment à Cirta, et dans la région de
Rusicada (Skikda). Syphax, l’autre souverain numide, hésitant dans sa politique
proromaine, finit par rallier le camp punique. Son choix l’a condamné à
subir la nouvelle donne politique à l’est. Les successeurs de Syphax sont
cependant sollicités par Rome comme contre-pouvoir régional à l’ouest d’une
Numidie ambitieuse.
Massinissa poursuit quant à lui sa minutieuse conquête du domaine
carthaginois et précipite la chute de la cité punique. Ayant poussé l’armée
carthaginoise à contre-attaquer, Massinissa donne la possibilité à Rome
d’achever la destruction de Carthage. Les partisans romains de Caton en
finirent en -146. Plus que la fin du monde carthaginois, c’est là le commencement
de la conquête romaine en terre africaine. Ils fondent ainsi la nouvelle
province d’Africa (confiée au sénat et commandée par un proconsul).
LA GUERRE DE JUGURTHA
la mort de Massinissa, le royaume de Numidie est agité par une
A
crise de succession. Ses fils se disputent le titre d’aguellid, Rome
propose alors d’arbitrer cette succession, tandis qu’à l’ouest le
royaume maure de Bocchus envisage de reprendre pied au-delà de la rivière
Ampsaga (actuels oueds Deheb-Dehemcha-el Kebir).
Parmi les prétendants à la succession de Massinissa, son petit-fils Jugurtha
s’impose en écartant les autres en -116. Cirta, siège du pouvoir numide,
se voit assiégée par l’armée
de Jugurtha en -112. Mais la
prise de la cité prend un autre
tournant, avec le massacre
des commerçants d’Italie.
Rome entreprend d’intervenir
en Numidie. Un premier général,
Metellus, est envoyé dans
la région pour affronter
l’armée de Jugurtha en -109.
C’est le moment que choisit le
roi Bocchus pour s’entendre
avec les Romains, en attaquant
Jugurtha par l’ouest.
Les campagnes des armées
romaines se trouvent ainsi
appuyées par l’armée maure
de Bocchus à l’ouest, l’armée
républicaine romaine attaquant
à partir d’Utique. Cerné
Captifs berbères, mosaïque de la basilique judiciaire de
de toutes parts, Jugurtha finit Tipasa.
par se rendre aux Romains.
L’honneur de la victoire sur Jugurtha permet alors un levier de pouvoir entre
les ambitieux généraux romains Marius, Sylla et Metellus. L’Afrique devint
une terre d’enjeux, autant économiques que politiques, pour le pouvoir
romain. Affaibli, le royaume de Numidie est confié à Juba I er , déclaré « ami et
allié de Rome ».
28 Atlas historique de l’Algérie
CÉSAR EN AFRIQUE,
LA CRÉATION DE L’AFRICA NOVA
’Africa et la Numidia, régions devenues le nouveau grenier à blé de
L
Rome (après l’Égypte), prennent alors une importance telle qu’elles
ne pouvaient rester dans l’instabilité. De grands généraux romains
s’y rendent, combattent Jugurtha et mesurent sa richesse. Ils peuvent en
outre compter sur des tribus locales. C’est ainsi que l’Africa devint le théâtre
de luttes opposant plusieurs généraux romains de la République. Parmi eux,
un certain Pompée, autrefois en campagne contre Jugurtha, défie le sénat
romain (institution qui détient l’essentiel du pouvoir dans la République).
Entrant en dissidence à partir d’Utique, Pompée se prépare à affronter César,
l’autre grand général chargé de l’affaiblir. Bénéficiant du soutien du roi
numide Juba I er , dont l’armée avance jusqu’au littoral tunisien, Pompée est
finalement battu à la grande bataille de Thapsus en -46. Mais la campagne
de César en Africa prend une tout autre ampleur, avec l’intervention d’acteurs
régionaux à l’ouest (Bocchus II), et du mercenaire romain Sittius au nord de
Cirta. Ce dernier fait débarquer son armée dans la région de Rusicada
(Skikda) et parvient à occuper la capitale numide.
La nouvelle situation créée par la fin de Juba profite à Bocchus II, qui
bénéficie du démantèlement de la Numidie souveraine, malgré les veines tentatives
de Massinissa de reprendre pied en débarquant dans la région. César
créer ainsi une nouvelle province romaine dans la plus grande partie de la
Numidie, l’Africa Nova, tandis que la région au nord de Cirta forme une nouvelle
confédération de cités romanisées, vouées à un rapide essor. Le sud
de la Numidie demeure cependant sous la domination des Gétules, peuple
fournissant aussi bien des troupes auxiliaires aux Romains que semant l’insécurité.
C’est bien dans la région la plus anciennement urbanisée, entre la côte
méditerranéenne au nord et l’axe Cirta-Calama-Hippone, que la romanisation
expérimente ses premiers développements.
La Maurétanie de Bocchus, devenue vassale de Rome, s’étend donc de
l’Atlantique à l’oued-el Kebir. Le souverain maure permet – signe des bonnes
relations avec la Rome césarienne – l’installation de colonies romaines sur
son territoire, notamment dans la vallée de la Soummam. Cette grande Maurétanie
connaître son âge d’or avec le jeune Juba II. Élevé à la cour de Rome,
30 Atlas historique de l’Algérie
on lui a enseigné la culture romaine et orientale (monde hellénistique). La
nouvelle capitale, qui porte le nom du parrain de ce royaume, Iol-Caesarea,
se présente comme la vitrine d’un monde africain riche d’influences culturelles.
De par ses relations familiales avec l’Égypte hellénistique (dynastie des
Lagides, avec Cléopâtre…) et le développement des échanges maritimes, le
règne de Juba II entretient des liens privilégiés avec l’Orient méditerranéen.
Les grands mausolées maurétaniens, dont celui situé à proximité de Tipasa
(dénommé Ksour el Roumia ou tombeau de la chrétienne) atteste de ces
influences qui ont marqué la période (-27 à 40).
Mosaïque de sol représentant le triomphe de Neptune et son épouse Amphitrite,
trouvée à Cirta en 1880.
L’ALGÉRIE AU TEMPS DES
PREMIERS EMPEREURS ROMAINS
andis que les relations de vassalité avec Rome se confirment avec
T
l’avènement du premier empereur romain Octave, en 27 avant J.-C.,
la province d’Africa Nova-Numidie poursuit son orientation économique
tournée vers le blé, la vigne et l’olivier. La colonisation romaine est à
ce moment-là très active, avec des colons italiens ou indigènes, issus généralement
de l’armée romaine, qui recrute à tour de bras. Riche terre à céréales,
la Numidie fait cependant l’objet d’une forte pression fiscale, sur fond de
développement de la grande propriété (les latifundia). Ces conséquences
sociales aboutissent à des révoltes, dont la plus importante est menée par
Tacfarinas, un officier berbère, et se transforme en une guerre antiromaine
d’ampleur régionale. Cristallisant les tensions latentes des populations
numides, notamment des Gétules, soumises à de nouvelles contraintes foncières,
l’insurrection de Tacfarinas mobilise les forces militaires de la principale
légion romaine. Stationnée jusqu’alors à Ammaedara, non loin de
Tébessa, la III e légion Augusta se redéploie à l’ouest, au nord du massif des
Aurès. La participation du roi maure Juba II contre Tacfarinas empêchera ce
dernier d’étendre sa révolte à l’ouest, où il est défait une première fois non
loin d’Auzia (Sour el Ghozlane). C’est vers le cœur de la Numidie, dans la
région des Musulames, dont il est issu, que Tacfarinas finit par être tué au
combat.
La fin des campagnes romaines contre Tacfarinas correspond au crépuscule
du règne de Juba II (en -24). Avec Ptolémée, la Maurétanie vit ses dernières
années de relative indépendance. Les empereurs de la dynastie des
Julio-Claudiens mettent fin au statut préférentiel de la Maurétanie, tandis que
l’empire ne cesse de s’étendre militairement. C’est l’empereur Caligula qui
liquide la dynastie maurétanienne, que son tempérament instable perçoit
comme trop prestigieuse. Mais il s’agit-là d’un processus d’annexion inéluctable.
La conquête du reste de l’Afrique paraît avoir été envisagée de manière
inéluctable à Rome.
Avec l’empereur Claude, la Maurétanie est divisée en deux nouvelles provinces.
De l’Atlantique à l’ouest de la Moulouya est ainsi formée la Maurétanie
34 Atlas historique de l’Algérie
Mons.
Tingitane, tandis que la Maurétanie Césarienne succède au royaume de Ptolémée,
avec la même capitale de province Caesarea. Du fait de leur position stratégique,
les provinces d’Africa Nova et d’Africa Vetus
sont réunies dès l’avènement d’Octave Auguste en une
grande province d’Afrique proconsulaire, directement
commandée par un envoyé du sénat. Quant à la Numidie
de Cirta, elle est en partie militarisée par le déploiement
de la légion Augusta au sud, commandée par un
légat, sorte de « superpréfet » aux pouvoirs étendus. La
multiplication des positions militaires en Numidie précède
de fait l’extension de la colonisation romaine.
À partir du II e siècle, on assiste à la création de nouveaux
camps militaires installés le long des axes stratégiques
au nord du massif des Aurès. La III e légion
Augusta se trouve située dans un camp fixe à Lambeasis
(Lambèse), contrôlant les hautes plaines au nord
des montagnes. De nouvelles cités-casernes sont fondées
dans toute la région, dessinant comme une ceinture
militaire le long de laquelle sont positionnés
Thamugadi (Timgad) et Mascula (Khenchela). La Pax
Romana se matérialise par l’élaboration d’un limes défensif, érigé à la limite
sud du pays utile, comme dans la région du chott el Hodna, mais aussi au sud
des Aurès, avec la multiplication des petits postes fortifiés. Achevé par l’empereur
Trajan, ce système de défense passive est composé de fossés, murets et
autres tours de guet, afin de dissuader les déplacements ou tentatives d’incursion
de groupes nomades ou tribus autonomes du nord du Sahara. Ces populations
mouvantes restent une préoccupation pour l’armée impériale, qui fait
appel à leurs cavaliers comme troupes auxiliaires.
La Pax Romana est vraisemblablement bien assurée sous le règne des
empereurs flaviens qui multiplient les fondations de cités, toujours en direction
de l’ouest. Après le sud de la Numidie et ses imposantes cités militaires
comme Timgad fondée en 100 par Trajan, c’est la proche Maurétanie qui
requiert l’attention des empereurs. Ils souhaitent non seulement y développer
la colonisation agricole du pays mais également installer leurs fidèles soldats
démobilisés. Ainsi sont fondées les cités de Sitifis (Sétif), Cuicul (Djemila) par
l’empereur Nerva, tout comme que Diana Veteranorum (Zana), dont le nom
évoque la vocation initiale. Au II e siècle, c’est l’expansion vers les terres de
l’ouest et la création de nombreux postes militaires le long des nouvelles
voies romaines. La plaine du Chélif puis l’Oranie sont colonisées, tout en se
protégeant par de nombreux camps militaires. Les camps et nouvelles villes
romaines sont en général établis sur des sites maures ou numides préexistants.
C’est ainsi que sont souvent conservés les anciens toponymes (Sitifi, Cuicul, Thamugadi,
etc.). Du processus d’urbanisation de l’Algérie romaine naissent
500 cités, de 5 000 à 10 000 habitants, administrées par des magistrats élus et
par des assemblées (municipes). La romanisation correspond à la naturalisation
des populations urbaines maures ou numides, notamment à partir de 212 (édit
de Caracalla), tous les habitants de l’empire devenant citoyens. Une brillante
L’Algérie au temps des premiers empereurs romains 35
Vue aérienne de Timgad.
civilisation romano-africaine voit le jour, atteignant son apogée au III e siècle.
Pourtant, les menaces aux marges de ce monde confortable vont se préciser.
À partir du III e siècle, c’est tout l’Empire romain qui se trouve menacé à ses
frontières, d’abord par les Germains au nord de l’Europe,
mais aussi par les Parthes, dans la région de l’Euphrate.
En Afrique romaine, ce sont de grandes confédérations
maures qui déstabilisent les régions de l’Atlas
tellien, avec l’émergence de grands groupes, comme
les Bavares ou Baquates. Une première insurrection
a déjà secoué le centre et l’est des provinces « algériennes
» en 118-122. L’empereur Hadrien déploie
toutes les forces disponibles pour en venir à bout. Il
hérite des plus grandes conquêtes de ses prédécesseurs,
legs difficile à protéger de la pression « barbare
». D’Hadrien (117) à Septime Sévère (198),
l’armée romaine et ses alliés locaux font construire
de nouveaux postes, notamment autour de Tlemcen,
au nord de la région de l’Ouarsenis, mais aussi au
bord de l’Atlas saharien, avec Castellum Dimmidi,
non loin de Laghouat.
Pièce romaine retrouvée dans
l’oued el Abiod, Aurès.
CHRISTIANISATION ET GRANDES
RÉVOLTES BERBÈRES AU III E SIÈCLE
es empereurs Valérien (en 253) et Gallien (en 289) sont confrontés à
L
une insurrection beaucoup plus difficile à contenir, du fait de l’ouverture
quasi simultanée de plusieurs fronts aux frontières incertaines
de l’empire. Les développements de la nouvelle religion chrétienne préoccupent
les empereurs, dont le culte officiel se trouve marginalisé par une
partie de la population, dans le contexte d’une période troublée par les
menaces d’invasions barbares. Pour eux, l’ordre confessionnel ne saurait être
mis à mal par cette minorité chrétienne grandissante. La diversité religieuse
est connue et admise dans cet empire méditerranéen où se diffusent nombre
de cultes orientaux comme le judaïsme. La religion hébraïque est présente
sur les côtes africaines dès l’époque phénicienne. Avec la Pax Romana, les
Tombeau de Scipion, Sétif.
38 Atlas historique de l’Algérie
migrations de populations issues du peuple hébreu sont constantes, au travers
des grands itinéraires commerciaux, notamment sahariens. La guerre
dans la province romaine de Judée et la destruction du second temple de Jérusalem
en 70 modifie durablement la nature de ces flux. Des populations juives
(habitants de Judée) prennent la route de l’Ouest africain, depuis l’Égypte. Les
routes sahariennes accueillent une nouvelle diaspora juive dans les oasis de
Libye puis du Touat, principalement après 135 et la répression romaine des
révoltes juives en Cyrénaïque (est de la Libye actuelle).
Après les premières campagnes
de Paul de Tarse, la religion
chrétienne se répend hors de
son berceau juif de Palestine. Son
extension géographique prend
ensuite les routes des commerçants
et militaires de l’empire en -
Méditerranée. Judéo-chrétiens (la
première communauté après
Jésus) puis néochrétiens (sortis du
judaïsme) diffusent labonnenouvelle.
ÀlafinduII e siècle, la minorité
chrétienne est présente dans
toute la partie urbanisée de l’Algérie
romaine et n’apparaît plus
seulement comme l’expression de
cet Orient et de ses cultes mystérieux.
En 256, le concile de Carthage
révèle l’importance de
Mosaïque de la Vénus marine, Sétif.
l’Église africaine, avec Cyprien
comme principal représentant et défenseur. C’est en effet à cette époque que
se profilent de graves menaces. Les Pères apostoliques et leurs communautés
sont stigmatisés, perçus comme instigateurs d’une cinquième colonne qui mettrait
en péril l’ordre impérial romain.
Au III e siècle, les minorités chrétiennes pratiquent dans la discrétion un
culte devenu suspect aux yeux des autorités romaines. Avec l’empereur Valérien,
une grande persécution, très violente, s’abat alors sur les chrétiens
romano-africains.
Christianisation et grandes révoltes berbères au III e siècle 39
Stèle funéraire d’un soldat auxiliaire romain en Maurétanie césarienne, II e siècle.
LA RÉORGANISATION
DES PROVINCES AFRICAINES
SOUS DIOCLÉTIEN
ace au problème que posent les menaces barbares autour de
F
l’empire, les provinces sont réorganisées avec Dioclétien tandis
qu’en 293 le commandement est partagé avec deux empereurs, l’un
en Orient à Constantinople, l’autre à Ravenne, au bord de l’Adriatique. Une
nouvelle province est créée dans ce nouveau cadre, la Maurétanie Sétifienne,
dans une région très romanisée, avec de nombreux domaines agricoles impériaux.
Les Bavares dans le Nord montagneux représentent une réelle menace.
Repoussés vers 280, ils tentent plusieurs raids sur les riches hautes plaines
sétifiennes. La chaîne montagneuse des Babors porte encore un nom dérivé
de cette population. Des cités comme Sitifis resteront encore longtemps à
l’abri de ces attaques et continuent de se développer jusqu’au IV e siècle. Les
précieux vestiges retrouvés sur place témoignent du niveau élevé de civilisation
atteint alors dans l’Algérie romaine à cette époque. Cependant, la réorganisation
des provinces africaines correspond également à des nécessités
militaires, face à des tribus difficiles à soumettre, dans les régions montagneuses
du centre, où éclate une nouvelle révolte en 289, des monts du Djurdjura
à l’Atlas blidéen. C’est l’empereur Gallien qui mène campagne à partir
des places fortes de Rapidum. La Numidie, divisée depuis 284 en deux provinces
(au nord, la Numidia Cirtea et au sud la région sera placée sous le
commandement militaire jusqu’en 313), est quant à elle pacifiée mais se
trouve confrontée à de nouveaux troubles d’ordre religieux. Dioclétien poursuit
l’action répressive de son prédécesseur Valérien, en lançant une nouvelle
campagne contre les chrétiens, entre 303 et 305. Cette dernière vague de
persécutions sera une des pires jamais vécues en Afrique. Elle provoqua de
profondes dissensions au sein des chrétiens africains.
LA QUESTION DONATISTE
ET LA GUERRE DES NUBEL
a terreur employée contre les chrétiens consiste à les obliger à abjurer
leur foi en procédant au culte romain. Ils sont contraints, sous
L peine d’une mort souvent atroce, à sacrifier aux dieux ou au culte
impérial, dont la pratique très politique donne des gages de patriotisme. De
nombreux chrétiens résistent et finissent martyrs, imitant la passion de
Jésus, modèle central de la pensée des premiers chrétiens persécutés. Les
Pères de l’Église ont en cela donné l’exemple, tel Cyprien en 258. Les populations
urbaines de Numidie et d’Afrique proconsulaire très christianisées
payent un lourd tribut aux vagues de persécutions, jusqu’à la paix de l’Église
concédée par l’empereur Constantin en 312. L’Église africaine, dont le siège
se trouve à Carthage, peut enfin s’exprimer au grand jour. Un grand mouvement
de construction de nouvelles basiliques débute dans toute l’Afrique
romaine. Alors que des provinces ecclésiastiques sont organisées, une partie
de la population chrétienne fait sécession avec cette nouvelle Église officielle.
Regroupés essentiellement en Numidie, ces chrétiens, qui ont résisté aux
persécutions, ne peuvent accepter des clercs aient abjuré leur foi. Ils considèrent
cette normalisation comme inacceptable, au regard des centaines de
martyrs qui ont résisté. Pour l’évêque Donat
de Casae Nigrae (El Mahder, région de Aïn
M’Lila) il y a désormais deux catégories de
chrétiens : les martyrs (les purs) et les
autres. Les donatistes se renforcent sur
fond de révoltes locales avec l’apparition
d’une « branche armée » : les circoncellions
(ceux qui tournent autour des celliers). Ces
derniers s’appuient sur les cités de la
région de Baghaï, Mascula. L’armée impériale
doit intervenir entre 345 et 347, sous
les ordres de Constant. La Numidie reste
effectivement cette riche province dont les
ressources ne sauraient échapper à Rome. Mosaïque chrétienne, Tipasa.
44 Atlas historique de l’Algérie
Cette dépendance économique de Rome vis-à-vis des provinces africaines
est exploitée par certains chefs maures tels Firmus et Gildon, dont la puissante
famille administre une partie de la Maurétanie intérieure. Étant intervenues
maladroitement dans les affaires de succession de la famille des Nubel,
les autorités romaines se trouvent face à une dissidence armée de l’un des
frères, Firmus. Tout le centre de l’Algérie romaine est pris dans cette nouvelle
révolte en 370-375, qui menace cette fois gravement de grandes cités
romaines comme Caesarea, Saldae ou encore Sitifis. Les campagnes militaires
romaines sont à la mesure du péril. L’empereur Théodose lui-même
mène les opérations, appuyé par l’autre frère Gildon, allié pour un temps. La
situation se trouve aggravée par les troubles du mouvement donatiste. Une
paix finit par se maintenir jusqu’en 396, lorsque Gildon décèle la faiblesse
des Romains et leur dépendance aux céréales africaines. Soutenu par les
donatistes, dont l’Église est définitivement condamnée par les lois de Théodose
en 379 et 395, Gildon procède à la rupture des approvisionnements céréaliers
de Rome, en occupant les ports. Rome, qui nourrissait gratuitement sa
population (service de l’annone) envoie le chef de guerre Stilicon pour réduire
Gildon.
Ruines de Thamugadi.
SAINT AUGUSTIN, UN ENFANT
DE THAGASTE
e Berbère naît à Thagaste (Souk Ahras) en 354, d’une mère chrétienne
C
(Monica) et sa première instruction lui fut dispensée vers 365-366 à
Madaure (M’Daourouch). Il se trouve à Carthage dès 370 dans les
milieux de l’enseignement supérieur où il apprend la culture latine, dont la
rhétorique et la philosophie). Il enseigne entre 374 et 383 à Thagaste et Carthage.
C’est en se rendant à Rome en 383 qu’il développe sa notoriété par
l’enseignement, collaborant avec l’évêque Ambroise à Milan, l’autre capitale
impériale. À ce tournant de sa vie, il décide de s’engager dans la nouvelle
religion chrétienne, et se convertit en 386. Ayant perdu sa mère qui n’a cessé
de l’accompagner dans sa carrière, il regagne sa Numidie natale en 388 et se
consacre à une vie monastique jusqu’en 391. Mais assez rapidement il est
convoité par le milieu ecclésiastique d’Hippo Regius (Hippone, actuelle Annaba).
Ordonné prêtre en 391, Augustin entame sa nouvelle carrière qui le voit s’installer
en Numidie et dans les Maurétanie Sétifienne et Césarienne. C’est en 396
qu’il est choisi pour succéder à l’évêque d’Hippone. Alors qu’il rédige Les
Confessions et La Cité de Dieu, il participe à de nombreux conciles, sur fond de
confrontations avec les donatistes. C’est pendant le concile de Carthage en 411
qu’il apparaît comme l’un des maîtres d’œuvre de la pensée catholique, désormais
ligne officielle exclusive définie par l’empereur Honorius (408). Affaibli, le
mouvement donatiste reste quant à lui encore assez influent en Numidie. Le
véritable danger pour l’Afrique arrive de l’ouest, avec l’invasion des Vandales.
Augustin demeure évêque d’Hippone jusqu’au siège de la cité par les envahisseurs
venus du nord de l’Europe. Saint Augustin succombe en 430 dans la cité
assiégée.
LES VANDALES, DE LA BALTIQUE
ÀLANUMIDIE
ien avant le IV e siècle, de nombreux raids de populations de langue
B
germanique ont frappé l’Empire romain. C’est sous les empereurs
flaviens que sont construites les principales fortifications pour les
contenir. Toute la région du Rhin, premier obstacle naturel, se trouve fortifiée
contre la menace des Germains, les barbares du nord.
Mais les mouvements migratoires qui affectent la période dite des « invasions
barbares » sont d’une ampleur telle que toutes les frontières de l’empire
furent submergées. Cependant, les légions romaines, bien qu’appuyées par
des troupes auxiliaires germaniques, ne peuvent faire face à l’ouverture quasi
simultanée de plusieurs fronts, des Balkans à la mer du Nord.
C’est au bord de la mer Baltique que le peuple vandale se trouve au
moment de son départ pour les terres prometteuses de l’Empire romain. Ce
dernier est connu des Germains, soit qu’ils participent à sa défense comme
auxiliaires, soit qu’ils y commercent des produits précieux tels que l’ambre.
En outre, la diffusion du christianisme a déjà atteint ces régions de l’Europe,
notamment par le travail des missionnaires ariens à partir de la région de
l’actuelle Bulgarie. Ce courant de pensée naît à Alexandrie, où le prêtre Arius
professe que Jésus est une créature issue de la volonté du Père et constitue
donc une personne distincte, contrairement à l’orthodoxie catholique, qui le
condamne (concile de Nicée en 325) au même titre que d’autres écoles de
pensée, toutes nées en Orient et considérées comme des hérésies. Parmi
les Vandales, deux groupes se distinguent : les Hasdings et les Silings, qui
franchissent ensemble le Rhin en 406. Après leur établissement en Espagne,
une guerre oppose plusieurs groupes germaniques, tandis que les armées
romaines les attaquent à partir de la côte et de la Narbonnaise. Établis dans
le sud, en Bétique, dans la région qui prendra leur nom à la conquête arabe,
les Vandales échappent aux autres Germains en débarquant en Afrique, après
avoir franchi les 14 km du détroit. Mais seul le groupe des Vandales Hasdings
parvient à s’extirper de la péninsule pour envahir l’Afrique romaine, où le commandement
romain avait été affaibli par des troubles politiques en 427-428.
LA CONQUÊTE VANDALE
l n’y a quasiment aucune résistance romaine au débarquement vandale
dans la région de Tanger. Les régions de Maurétanie Tingitane
I et Césarienne sont depuis longtemps livrées aux grands groupes
maures, indépendants de fait. C’est en Numidie que les Vandales ralentissent
leur marche, dans cette partie de l’Algérie romaine très urbanisée avec ses
hautes plaines céréalières. Une première tentative romaine pour les arrêter
échoue dans la région de Guelma (Calama), et précède le long siège d’Hippone,
où disparaît l’évêque saint Augustin. Finalement, un premier traité est
signé en 435 avec les autorités romaines repliées à Carthage. Les Vandales
s’installent entre la région de Sétif et Hippone. Mais l’appétit de leur chef
Genséric les pousse à envahir le reste de la province d’Africa en 442. L’empereur
Valentinien procède à une réorganisation des provinces, de pure forme,
car il n’y a plus d’autorité romaine en Afrique. La plus grande partie de l’Algérie
romaine échappe aux Vandales, dominée par de nouveaux royaumes
romano-africains. L’installation préférentielle des Vandales dans le nord de la
Numidie et de l’Africa favorise la poussée des tribus chamelières au nord du
chott el Djérid.
Carthage est occupée par les Vandales en 439, qui cherchent à conquérir
l’Italie, avec la flotte qu’ils ont construite depuis leur séjour andalou. En outre,
leur armée est constituée de groupes maures, qui à partir de 455 frappent
directement Rome. La flotte vandale a notamment rapporté, en Afrique, le
trésor du temple de Jérusalem, pillé en 70 par Titus. Les seules autorités qui
tiennent face aux Vandales sont bien celles de l’Église chrétienne, convoquée
par Hunéric en 484, pour une confrontation théologique avec l’Église des Vandales,
adeptes de l’arianisme. L’histoire de ce rendez-vous rapporté par
l’évêque de Vita permet de reconstituer l’état des provinces à cette époque. À
l’issue de ce concile suit une grande campagne de persécution anticatholique.
De nombreux clercs sont déportés dans la région du Hodna.
Les forces byzantines ont pourtant tenté quelques raids sur Carthage en
431, puis en 468, à partir des bases égyptiennes, tous repoussés. Cependant,
l’autorité des Vandales ne s’étend pas au sud de la Numidie et de l’Africa.
Ainsi, un chef maure du nom d’Antalas vaincu les Vandales dans la région de
Capsa, sous le règne d’Hildéric (vers 527).
LA RECONQUÊTE BYZANTINE
ssu de la partie orientale de l’Empire romain qui a pu résister aux
I
invasions barbares au V e siècle, l’Empire byzantin a patiemment
reconstitué ses forces, à partir d’une capitale (Constantinople) bien
protégée. Les échecs des campagnes pour reprendre l’Africa aux Vandales
sont en partie dus à la mobilisation des armées sur le front oriental. Les
Perses n’ont pas cessé d’envahir les confins de la Syrie romaine, dont
l’Euphrate ne constitue plus une sérieuse frontière. L’Asie Mineure, l’Égypte
et la Terre sainte demeurent les priorités des nouveaux empereurs byzantins.
Une fois la paix intervenue avec les Perses en 532, l’empereur Justinien se
prépare à reprendre Carthage.
Les forces byzantines aux ordres de Bélisaire débarquent sur les côtes
tunisiennes en 533. Défaites non loin de Carthage, les forces vandales se
replient en Numidie, au relief plus avantageux.
La campagne byzantine, prise en
main par le général Solomon, se développe
ensuite sur une partie du territoire africain,
détruisant le reste de l’armée vandale
tandis que les nomades chameliers sont
refoulés après leurs tentatives d’intrusion
en Byzacène. Alors que Solomon s’emploie
à pacifier la région des Aurès en 535, il fait
face à plusieurs révoltes. L’une d’entre
elles est dirigée par un chef romanonumide,
Iabdas, tandis qu’éclate une sédition
de soldats byzantins menée par Stozas
entre 536 et 539. Ayant souvent pris des
épouses parmi les captives vandales, ces
dernières poussent leurs hommes à
conquérir les terres censées leur revenir.
Solomon doit ainsi guerroyer sur plusieurs
fronts, pour lesquels il entreprend de
consolider l’ancien maillage urbain hérité
de la domination romaine, par toute une
série de reconstruction de places fortes et Forteresse byzantine.
54 Atlas historique de l’Algérie
autres fortins, de Carthage à la région de M’Sila, à Nova Justiniana (Zabi)
où il établit des garnisons sûres. La limite de l’extension byzantine s’étend
principalement jusqu’à Sitifis (Sétif), cité autour de laquelle il crée la nouvelle
province de Maurétanie Première (entre 582 et 602). Au-delà de cette région,
quelques fortins formeront une frontière incertaine face aux prétentions des
royaumes romano-africains. Ces derniers sont connus par le nom de leurs
rois, mais aussi par les grands tombeaux situés dans la région de Frenda :
les Djeddars. Le paysage de l’Algérie byzantine reprend le modèle romain
avec des cités toujours nombreuses et renforcées par les nécessités militaires,
tout en s’appuyant sur la permanence de l’Église catholique, qui se
trouve confrontée à la politique de Byzance, fort différente en matière religieuse.
Depuis le V e siècle, des royaumes indigènes ont cependant reconstitué
leur autonomie, surtout dans les Aurès et à l’ouest, et ce jusqu’au VII e siècle.
Souvent investis par l’autorité byzantine, les chefs tribaux se présentent également
comme des alliés potentiels. L’emprise byzantine demeure essentiellement
urbaine, avec l’indispensable entretien de ses communications en
Méditerranée. Les ports de Caesarea et de moindre importance tels ceux de
Rusguniae, Cap Matifou (Bordj el Bahri) et Tigzirt abritent une flotte byzantine
qui reste maîtresse de la côte algérienne, même après la conquête terrestre
arabo-musulmane.
Vestiges de Diana Veteranorum.
La reconquête byzantine 55
LA CIVILISATION ARABO-
MUSULMANE
LES ARABO-MUSULMANS
ET LA CONQUÊTE DE L’AFRICA
a menace principale à laquelle se trouve confronté l’Empire byzantin
L
au VII e siècle ne se situe pas en Afrique. Les incursions des Perses
sassanides parviennent à envahir fréquemment la Syrie et l’Anatolie.
Si le désert syrien forme une marche incertaine face aux Perses, celui
d’Arabie n’a jamais constitué une menace. Pour ses habitants arabes, le bilad
er Rum (pays des Romains) est aussi synonyme de commerce.
Mais dans les années 630, les Arabes, qui embrassent la nouvelle religion
de l’islam, entament une conquête aussi rapide qu’imprévue de la Syrie-
Palestine et de l’Égypte byzantines. Après la prise d’Alexandrie en 642, la
Cyrénaïque est occupée par l’armée arabo-musulmane. La Libye se trouve
être la première terre de population berbère entrée dans le domaine arabomusulman.
Ainsi, l’armée qui mène les premiers raids sur l’Africa des Rum
(l’Ifriqiya en arabe) vers 647 est déjà arabo-berbère.
C’est un ancien compagnon du prophète Muhammad qui dirige la première
campagne d’importance en Africa byzantine. Cette expédition est exclusivement
terrestre, la flotte arabe n’étant pas encore constituée à cette
58 Atlas historique de l’algérie
époque. En revanche, les Byzantins maîtrisent encore la Méditerranée par
laquelle ils sont ravitaillés. L’armée d’Uqba ibn Nafi est essentiellement
composée de troupes arabo-syriennes avec les groupes berbères convertis
en Libye. Ne s’engageant pas
jusqu’à Carthage, le chef arabe
s’installe au milieu de l’ancienne
province de Byzacène et fonde
Kairouan en 670. La prise des
cités de la côte encore trop
bien défendues par les Byzantins
est retardée. Avançant plus
à l’ouest, Uqba se heurte à la
résistance des groupes numides
autonomes ou alliés aux Rum. Il
contourne le massif des Aurès
pour une grande expédition de
reconnaissance qui le mène
jusqu’aux rivages de l’Atlantique.
Grande Mosquée de Kairouan, 1890.
Un de ses lieutenants affronte
les Barbar (Berbères en arabe) dans la région de Pomaria (Tlemcen) en 674.
En 682, Uqba a presque achevé son retour à Kairouan, quand il doit se battre
contre une coalition de Rum et de Barbar au sud des Aurès. C’est le chef Koceila
qui défait l’armée musulmane à Tahuda, au bord du massif montagneux, au
nord-est de Biskra. Cette embuscade précipite alors la retraite en Cyrénaïque
du reste de l’armée commandée par Zuhayr ibn Kaïs.
LES CAMPAGNES DE HASSAN
IBN NU’ MAN ET MUSSA
IBN NUSAYR
partir de 692, Hassan ibn Nu’man revient à Kairouan reconquérir la
A
région de l’Ifriqiya. Sa première campagne est très difficile. Il attaque
dans les Aurès face aux Garawa et Hawara qui le repoussent à l’est.
Il s’emploie à conquérir les cités côtières de Carthage et Hippone (devenue
Bona). Le contexte des troubles en Orient n’est pas propice à l’accomplissement
de sa tâche. Après la première fitna, liée à la succession entre Ali et les
Qoreïch, survint une seconde fitna avec l’écrasement d’Ibn al Zubair par al
Hadjadj, exécutant des Omeyyades de Damas. C’est donc dans les
60 Atlas historique de l’algérie
années 697-698 que Hassan ibn Nu’man entreprend une grande campagne
militaire afin de soumettre définitivement l’Ifriqiya. Son armée comprend alors
180 000 hommes, composée d’Arabes (surtout de Syrie) et de Berbères. Son
armée s’engage à l’ouest, au contact des grandes formations tribales. Les
Garawa restés hors de l’Islam et dirigés par la devineresse al Kahina sont
définitivement vaincus. Les Harawa, Kotama et les groupes Zenata et Sanhadja
entrent progressivement dans l’Islam.
LE MAGHREB AU VIII E SIÈCLE
n 718, moment du débarquement de Tariq ibn Ziyad en Espagne,
E
l’islam est alors répandu dans toute l’Afrique du Nord. L’héritage du
monothéisme chrétien comme juif facilite les conversions, processus
complexe lié au nouveau statut proposé par la loi islamique. Restés chrétiens
ou juifs, les nouveaux protégés (dhimmis) demeurent malgré tout,
comme les nouveaux musulmans, des non-Arabes. En temps de guerre, les
populations de convertis Berbères-Rum sont pourtant conviées à participer
aux campagnes jusqu’en Europe, dont ils entreprennent la conquête. Il s’agit
principalement des raids, jusqu’à Lyon et Autun (en Bourgogne), sites moins
évoqués que la traditionnelle bataille de Poitiers.
Mais les pressions fiscales et certains comportements des gouverneurs
aboutissent à de nombreuses révoltes en Ifriqiya. La découverte de l’islam
s’accompagne, chez les Berbères, de la recherche d’une pratique se voulant
la plus fidèle à la tradition prophétique, sur fond d’idéal égalitariste, attitude
dont les mouvements kharidjites font la promotion en Ifriqiya depuis l’arrivée
des premiers prêcheurs vers le milieu du VIII e siècle. Comme en Orient, les
mouvements d’opposition au pouvoir central omeyyade se déploient auprès
des populations du Maghreb (les pays du Couchant vus d’Orient). Entré dans
le Dar al Islam, le Maghreb accueille un flux permanent d’Orientaux, du soldat
au commerçant, et aussi ceux qui fuient le pouvoir omeyyade de Damas.
Parmi eux, Idris ibn Abdallah, descendant de la famille d’Ali, réfugié au nord
de l’Atlas, au Maghreb el Aqsa (Couchant extrême correspondant au Maroc
actuel), et qui fonde un nouveau royaume. Idriss s’installe à Walila, avec
l’appui de tribus berbères locales qui le protègent. Son influence s’étend
jusqu’à la région de Tlemcen. C’est le commerce transsaharien qui fait la
fortune de ces deux cités rivales. La route de l’or du Bilad es Soudan (pays
des Noirs) passe par Sidjilmasa, pays des Beni Midrar adeptes du kharidjisme.
L’autre route, qui traverse les oasis de Ouargla jusqu’à Tahert en passant
par le Djérid, forme un autre axe économique majeur du nouvel émirat
fondé par Ibn Rustem au centre du Maghreb.
Abdel Rahman Ibn Rustem, d’origine persane, établit en 758 un nouvel
émirat à Tahert pour accueillir les partisans du mouvement des khawaridj
(kharidjites). Fidèles à un courant séparatiste, issu des rivalités entre partisans
d’Ali, ils prônent rigorisme et égalitarisme. Comme dans le djebel
62 Atlas historique de l’algérie
Nefusa, des îlots berbéro-kharidjites se forment puis menacent directement
le pouvoir central en occupant Kairouan entre 758 et 761.
L’Ifriqiya connaît cependant une certaine stabilité avec l’installation de
gouverneurs Aghlabides à Kairouan. La nouvelle dynastie abbasside de
Bagdad, qui a renversé les Omeyyades de Damas après la révolution des
années 750, soutiendra activement ce gouvernorat, notamment sous le règne
d’Harun al Rachid (786-809). Les Aghlabides installent des garnisons arabes
dans toutes les cités d’importance jusqu’à la région de Stif (Sétif), le centre
du Maghreb échappant à leur autorité. C’est en direction du djebel Nefusa et
de la route du Soudan que sont lancées plusieurs campagnes militaires. Un
essor économique accompagne la période du IX e siècle, avec entre autres
l’expansion maritime en Méditerranée. La flotte aghlabide entreprend des
conquêtes en Méditerranée occidentale, principalement vers la Sicile et les
côtes de Provence, poussant jusqu’aux vallées alpines (massif des Maures,
vallée de la Maurienne, etc.).
ABU ABDALLAH : ITINÉRAIRE
D’ UN PRÉDICATEUR CHIITE
a révolution abbasside exclut certains groupes qui l’ont appuyée,
L
notamment les Alides, en oubliant les promesses d’équité. Alors
qu’une partie des chiites, les Hassanides, tentent de se révolter, les
Husseinides se réunirent autour de Dja ‘far al Sadiq. Son fils, l’imam Ismaïl,
donne son nom à un nouveau groupe chiite : les ismaéliens. Le fils d’Ismaïl
ayant été considéré comme un imam caché, débute un nouveau cycle d’occultation
(satr) suivi de la manifestation (zuhur) du mahdi. Le moment de la prédication
(da’wa) fut alors lancé à partir de Médine puis s’étend à la péninsule
Arabique (Bahreïn, Yémen) jusqu’à la Syrie (vers 755), à Salamyeh plus particulièrement.
C’est pendant la période des années 830-890, théâtre de graves
troubles en Orient (révolte des Zandj, mouvement des Qarmates) que le titre
d’imam est donné au mahdi (898). La prédication prend un nouveau départ à
partir de Salamyeh vers tout le monde musulman.
Parmi les prédicateurs se trouve un certain Abu Abdallah, originaire de
Koufa. Après sa formation en Syrie, il se rend au Yémen afin d’effectuer une
sorte de stage pratique à l’occasion de son pèlerinage à La Mecque
en 892. Il y fait connaissance des pèlerins berbères, des Kotama.
C’est à Mina, étape incontournable du hadj, que se nouent ces rencontres.
Le da’i (prédicateur) Abu Abdallah décide d’accompagner
ses nouveaux amis et hôtes jusqu’en Ifriqiya.
Céramique médiévale découverte
dans la région de Sétif.
64 Atlas historique de l’algérie
LE PRÉDICATEUR CHIITE
EN PAYS KOTAMA
’Ifriqiya des Aghlabides se trouve sous l’autorité lointaine des Abbassides
de Bagdad. La préoccupation du prédicateur Abu Abdallah est
L avant tout de se dérober aux autorités locales susceptibles de le
démasquer, ceux-ci étant considérés comme des fomenteurs de troubles et
traités durement. Il s’installe très rapidement dans la région montagneuse au
nord de Sétif, loin de la garnison arabe (djund) de la cité entourée de ses
remparts antiques.
Le da’i considère ces montagnes à la fois comme le refuge idéal éloigné
des Aghlabides, mais leur attribue aussi un caractère religieux voire mystique.
Il choisit de se fixer dans le fedj al Akhyar (la vallée des gens de bien), à
Tazrut, entre Ikdjan et Mila. Il réside par alternance entre Ikdjan (site fortifié
à proximité du village actuel de Beni Aziz) et Tazrut, dont la localisation est
mal établie. Perçue par Abu Abdallah telle une étape symbolique de sa hijra
(de son exil, à l’image du scénario prophétique), son installation dans ces
montagnes qui l’accueillent avec bienveillance suit une « logique historique
et mystique » du projet chiite ismaélien.
Les tribus Kotama (Saktan) font effectivement preuve d’une grande hospitalité
envers le da’i. Cherchant à rester discret, il ne s’en trouve pas moins
troublé du fait de certaines pratiques immorales ayant cours chez certains
groupes Kotama. Abu Abdallah entame sa prédication au sein des tribus qui
l’accueillent, par tradition certes, mais aussi en quête de savoir religieux. Ils
boivent littéralement sa da’wa (prédication), sur fond de défiance face au pouvoir
central aghlabide, représenté par la garnison de Sétif.
Une communauté berbéro-chiite naît ainsi dans cette région, fruit de la
cohésion tribale nourrie des nouveaux enseignements du da’i. Mais le gouverneur
de Kairouan ne tarde pas à connaître la présence de ce troublant prédicateur.
Ibrahim II a d’autres sources de préoccupation. Il vient de mater dans
le sang une révolte de soldats dans la forteresse de Belezma en 895, tandis
que la région du djebel Nefusa (sous influence de l’émirat kharidjite de Tahert)
tente d’entrer en dissidence.
Abu Abdallah profite de cette conjoncture favorable pour renforcer son
autorité dans la montagne kotama qui ne lui est pas entièrement acquise.
66 Atlas historique de l’algérie
Entre 893 et 900, il fait face à plusieurs tentatives des garnisons de Sétif et
Mila appuyées par des groupes kotama hostiles à son fief d’Ikdjan-Tazrut.
Une première coalition antichiite marchant contre Ikdjan est en déroute. La
deuxième campagne décide Abu Abdallah et ses fidèles à s’installer à Tazrut,
au milieu des tribus restées hostiles (Ajjam, Malusa, Lahisa, Lataya, Djimla),
afin de les impliquer davantage dans cette guerre qui commence avec l’armée
aghlabide. Tazrut se trouve assez proche de Mila, l’autre ville de garnison.
En 900 se déroule une bataille décisive. Tazrut se trouve assiégée par
une coalition kotama hostile (de la région proche de Sétif), le da’i entreprend
plusieurs sorties décisives. Il en sort vainqueur. Tazrut devient le Dar al Hijra
(Terre de l’exil) et la base de départ d’offensives désormais dirigées contre
Sétif et Mila.
Après la première prise de Mila par le da’i en 902, le gouverneur aghlabide
décide de mettre fin à ce mouvement. C’est la grande campagne d’Abdallah II
qui débarque à Béjaïa et s installe à Sétif une armée de 12 000 hommes. Son
offensive s’ouvre par le djebel Meghris puis se dirige vers Tazrut. Abu Hawal
repousse Abu Abdallah qui se replie sur Ikdjan. Bien qu’elle ait occupé les
forteresses de Tazrut et Mila, l’armée d’Abu Hawal se trouve limitée dans ses
mouvements par les conditions hivernales qui permettent à Abu Abdallah de
se dérober et même de se maintenir. L’armée aghlabide se replie sur Sétif,
les troubles de Tunis rappelant précipitamment Abu Hawal. En 903 l’armée
d’Abu Abdallah entame le premier long siège (40 jours) de l’antique Sitifis
avec ses remparts, ses sources et sa garnison détestée par les Kotama de la
montagne. C’est après un second siège, un mois plus tard, que Sétif tombe.
La muraille est en partie détruite, la garnison arabe éliminée. À Kairouan, le
gouverneur Ziyadat Allah prépare la reconquête de Sétif avec une armée de
40 000 hommes qui, à partir de Constantine, marchent sur Sétif en 905. Mais
ils ne dépasseront pas Kabuna, surpris par un raid de la cavalerie kotama.
Désorganisée, l’armée aghlabide bat en retraite sur Baghaï.
Site actuel d’Ikdjan, au nord-est de Sétif.
Le prédicateur chiite en pays Kotama 67
LA CONQUÊTE DE L’IFRIQIYA
PAR L’ ARMÉE D ’ABU ABDALLAH
bu Abdallah s’empare de Tobna en 906, grande cité sur la route
A
stratégique qui traverse le Maghreb. Quelques batailles jalonnent
l’avancée de l’armée du da’i Abu Abdallah, qui fait route vers Kairouan.
Après la bataille de Dar Malluwal, Tigis est prise en 907. Les combats
se déroulent principalement au nord du massif des Aurès. Les Aghlabides
tentent bien de sauver leur émirat dans les années 907-908, mais la route de
Tébessa est ouverte, Baghaï s’étant livrée sans combat à l’armée chiite.
Tébessa, puis Téboursouk, subissent les premiers raids en 908, tandis que
Guelma et Bona (maltraitée pour avoir tué un missionnaire chiite) sont occupées.
La route de Kasserine s’avère plus difficile tandis que Gafsa est prise.
La chute des Aghlabides est inéluctable en 909 alors que l’armée de Kairouan
est battue à Laribus. Kairouan se livre à Abu Abdallah et attend son mahdi
(envoyé de Dieu à la fin des temps) qui s’était rendu au Maghreb el Aqsa, à
l’issue de la victoire de son prédicateur. Car c’est vers l’ouest que s’était dirigé
le mahdi, parti de Salamyeh en Syrie, devenue trop risquée pour lui (menacé
par les Abbassides et les Qarmates). Depuis 902, il a entrepris sa hijra vers
le Maghreb. Recherché par les autorités de Kairouan (informées des desseins
millénaristes du da’i), le mahdi s’éloigne jusque chez les Beni Midrar de Sidjilmasa,
mais se fait enfermer par le gouverneur local.
Le temps de sa « révélation au monde » doit passer par sa libération,
première action du nouveau maître de Kairouan. Abu Abdallah se rend jusqu’à
Sidjilmasa avec son armée afin de libérer le mahdi. Puis c’est le retour triomphal
à Kairouan, en passant par Tahert, où l’émirat kharidjite est détruit. Mais
les tribus de la région ne cesseront pas de se révolter contre le nouveau
pouvoir fatimide. Installé dans la nouvelle cité éponyme Mahdia, le nouveau
khalifat est quasi immédiatement affaibli par une conjuration, à l’issue de
laquelle Abu Abdallah est condamné et exécuté, entraînant la révolte de ses
partisans Kotama.
Bras armé de toutes les campagnes chiites au Maghreb, les Kotama continuent
malgré tout à former un groupe majeur de l’armée fatimide, concurrencé
progressivement par les troupes noires et slaves, plus particulièrement
réservées à la protection du souverain.
70 Atlas historique de l’algérie
LES CAMPAGNES FATIMIDES
ÀL’ OUEST
ès 917, les forces fatimides cherchent à s’imposer à l’ouest du
D
Maghreb, vers lequel ils dirigent une grande campagne. L’émirat de
Fès traite avec les Fatimides et accepte de reconnaître leur autorité.
Mais une partie du Maghreb extrême échappe encore au mahdi qui mène
des raids sur les côtes de Sicile et de Calabre, facilités par les précédentes
expéditions aghlabides.
Le second khalife fatimide El Qaïm Billah entreprend quant à lui la reprise
en main du Maghreb el Aqsa en 935, après les tentatives omeyyades (d’Andalousie)
d’asseoir son pouvoir dans la région. Quant à l’émirat ibadite de
Tahert, il cesse d’exister et ses populations s’exilent loin, vers les oasis nordsahariennes,
la région de Qastiliya, en direction du Djérid. Elles fonderont des
villes nouvelles comme Sedrata (Ouargla).
Dinars d’or de la dynastie fatimide El Qaïm Billah.
72 Atlas historique de l’algérie
LA RÉVOLTE D’ABU YAZID
Partie en 944 d’une région particulièrement acquise à la doctrine kharidjite,
la prédication d’Abu Yazid et sa condamnation de l’autorité fatimide
déclenchent une insurrection, qui menace l’existence même du nouveau khalifat.
À partir de la région des Aurès, Abu Yazid lance des raids sur Baghaï et
Tébessa, puis sur Laribus et enfin Kairouan, qui est prise en 945. Seule subsiste
Mahdia, la capitale fatimide, protégée par ses remparts et la mer, qui
résiste à l’armée d’Abu Yazid. Mahdia et les dernières forces fatimides bénéficient
d’un soutien logistique venant de la région à l’ouest de Sétif. Ce sont les
troupes fatimides commandées par la famille Ziri qui permettent d’engager
la contre-offensive en Ifriqiya.
Installé dans les palais de Kairouan, le chef de la rébellion renonce très
vite à son ascèse spirituelle, déroutant ainsi nombre de ses fidèles. Tandis
que son armée se désagrège, Abu Yazid se retrouve rapidement encerclé par
les forces fatimides qui passent à l’attaque depuis Mahdia et à l’ouest avec
l’armée de Ziri. Abu Yazid est contraint de quitter le luxe de Kairouan pour la
région du Zab. Traquée autour de Tobna, son armée est battue au nord-ouest
de M’Sila, lors d’une grande bataille en 947. Les montagnes escarpées du
Hodna fournissent un sursis à Abu Yazid qui se réfugie sur les hauteurs du
Maadid. Mais il est rattrapé et vaincu dans cette région, fief du Berbère sanhadjien
Bologhin ibn Ziri, où le fils établira sa résidence principale quelques
années plus tard. Le fils d’Abu Yazid tente vainement de continuer la révolte
dans la région des oasis de Tozeur.
LES CAMPAGNES D’ÉGYPTE
vec l’établissement des Fatimides en Ifriqiya, l’ambition chiite ismaélienne
d’installer un khalifat universel dans le monde musulman les
A pousse à s’engager en Orient et à libérer le Dar al Islam des « tyrannies
» abbassides. En 914 et 919 sont vainement tentées deux premières
expéditions vers Misr (Égypte en arabe). En 960, tout le Maghreb est pacifié,
dominé par les armées fatimides, sorties renforcées de la guerre contre Abu
Yazid. La flotte de Mahdia s’engage alors dans des expéditions maritimes
contre la Sicile, le sud de la péninsule italienne et jusqu’en Crète. Mais c’est
bien la campagne d’Égypte qui constitue l’objectif principal.
Ainsi, en 969, est réunie une armée considérable autour du groupe principal
« algérien », les Kotama et les forces zirides de l’Ouest. En trois mois,
100 000 hommes atteignent l’Égypte. La conquête se déroule pacifiquement,
Alexandrie ayant ouvert ses portes par la négociation (les Kotama ont souffert
de nombreuses pertes lors des campagnes précédentes). L’événement marquant
de la conquête de 969 reste la fondation d’Al Qahira (Le Caire), à proximité
de Fustat, par l’armée kotamienne commandée par le
khalife fatimide Al Mu’izz. C’est dans cette nouvelle cité
du Caire que sera fondée la mosquée Al Azhar et,
jouxtant cet édifice, un quartier « algérien », le Haï
Kotama. L’armée fatimide ne s’arrête cependant
pas au bord du Nil. Le khalife entreprend d’étendre
sa conquête en Palestine. Ramla est ainsi occupée la
même année que l’Égypte, puis Tibériade en 970. Atteignant
la Syrie, l’armée kotamienne se heurte à la vive
résistance de Damas qui finit par se livrer en octobre Dinars en or, Fatimides,
970. Les Abbassides d’Iraq menacent les nouvelles vers 1010.
possessions fatimides en Syrie-Palestine, ainsi que les
Qarmates qui viennent assiéger l’Égypte. Le khalife Al Mu’izz (953-975), qui
s’était retiré à Mahdia, doit rapidement regagner le front oriental. Il délègue
son autorité en Ifriqiya à l’un de ses plus fidèles lieutenants, Bologhin ibn Ziri.
Mosquée Al Azhar du Caire, fondée par les Fatimides.
L’ AVÈNEMENT DES ZIRIDES
ET DES HAMMADIDES
L
e nouveau gouverneur berbère
du Maghreb Youssouf
Bologhin doit faire campagne contre
plusieurs foyers de rébellion. Avec son
fils Mansur, ils s’emploient à réduire les
révoltes au Maghreb extrême. L’autorité
fatimide est rétablie à Fès en 979,
comme chez les Beni Midrar de Sidjilmasa.
Les forces berbères zirides
poussent jusqu’à la région de Tanger,
sous influence directe des Omeyyades
de Cordoue. Mansur fait ensuite campagne
contre les Kotama en 988-990
alors qu’il vient de recevoir l’investiture
de gouverneur à Mahdia. Le fils de
Mansur, Badis, devient gouverneur de
l’Ifriqiya en 996, sur fond de lutte de succession
avec son oncle Hammad. Ce
dernier faisait partie du commandement
de l’armée fatimide dans la région
stratégique du Hodna qui avait été précédemment
le théâtre de la guerre
contre Abu Yazid. Parmi les lieux stratégiques
de la région centre, une forteresse
(qala’a) est établie par Hammad
qui s’y retire à la suite de désaccords Site actuel de Manar Kalaa des Beni Hammad.
avec la famille ziride. La rupture est
consommée en 1007, Badis siégeant à
Mahdia et Hammad dans sa Qal’a.
À Kairouan, les milieux de l’orthodoxie sunnite (malékites) pressent la
famille ziride à rompre avec le chiisme officiel. C’est Al Mu’izz qui franchit le
pas vers 1050, en proclamant la séparation avec le khalifat fatimide du Caire.
LES BÉDOUINS BENI HILLEL
ET SULEYM
vant leur déplacement vers l’Égypte, les tribus Beni Hillel et Suleym
A
nomadisent dans l’ouest de la péninsule Arabique. Au moment des
premiers temps de l’islam, les Beni Hillel stationnent à l’est de Taïf,
non loin de La Mecque. Ils font partie des nombreuses tribus qui combattirent
le Prophète de l’Islam, notamment lors de l’épisode de la bataille de Honein.
Alors que La Mecque est prise pacifiquement par les musulmans, certaines
tribus tentent de résister vainement à la progression de l’armée musulmane,
dont les Beni Hillel. Dans un second temps, la première communauté musulmane
de Médine est assiégée par une grande coalition de tribus en 627. La
bataille d’el Khandaq (bataille du Fossé) marque un tournant décisif dans la
guerre entre les Qoraïchites de La Mecque et les musulmans. Avec la mort
du Prophète de l’Islam en 632, la tribu des Beni Suleym est combattue par
Khalid ibn Walid pour sa participation au « front des apostats », groupe de
tribus qui ont renié leurs engagements dans l’Islam.
Les Beni Suleym continuent de migrer dans les régions limitrophes, dont
l’Égypte, où ils sont éloignés de la vallée du Nil par les gouverneurs. Générant
de l’insécurité, ils sont invités à migrer en direction de l’Ifriqiya. C’est à la
suite de tensions qui perdurent entre l’envoyé du khalife et les Zirides de
Mahdia que Le Caire favorise le déplacement massif des tribus bédouines
vers l’Ifriqiya. Cependant, les tribus arabes bédouines nomadisaient déjà dans
le désert libyen. Cette nouvelle permission qui leur a été donnée a d’une part
amplifié le phénomène de la migration bédouine, et d’autre part leur a ouvert
l’espace du Tell maghrébin, jusqu’alors limité au sud, dans la région du Djérid
et du Zab.
ZIRIDES ET HAMMADIDES FACE
ÀL’ INVASION BÉDOUINE
vant même la lente arrivée des nomades Beni Hillel, une certaine
A
confusion règne en Ifriqiya. Les Zirides de Mahdia cherchent à
défendre leur domaine face aux ambitions de leur cousin Al Nasir
qui contrôle plusieurs itinéraires stratégiques. La route qui longe le massif
du Tell passe à proximité de la Qal’a. De même, Béjaïa est un port de premier
choix sur la côte méditerranéenne. L’arrivée des tribus bédouines en Ifriqiya
met un terme aux manœuvres zirides. Dès 1042, les Beni Hillel se trouvent
dans le golfe de Gabès et aucune armée n’est en mesure de les arrêter. Seule
Mahdia et ses remparts résiste à leur inexorable avancée. Après Kairouan,
les Bédouins parviennent sur la côte de Tunis à Bona. Les hautes plaines du
Constantinois leur sont ouvertes. Ils y séjourneront de manière quasi permanente.
Les massifs montagneux des Aurès et du Hodna leur sont pratiquement
inaccessibles. Ils n’ont cependant pas encore une connaissance
suffisante du pays ni la prétention de tout envahir. Ils cherchent avant tout à
s’installer. Ils ont des familles à nourrir et l’Ifriqiya semble pouvoir répondre
à leurs besoins immédiats. Les habitants des cités d’Ifriqiya amorcent un
mouvement de repli vers les grandes villes de l’ouest, notamment Tlemcen,
Fès, tandis que la côte accueille les réfugiés tunisois ou kairouanais.
Pour le chef hammadide Al Nasir, la position de la Qal’a ne peut défendre
indéfiniment les intérêts de sa famille. Aussi, entreprend-il de déménager plus
loin son palais, à l’abri des nomades. Ce sera Béjaïa, entourée de montagnes et
respirant économiquement par la mer. Avant cela, Al Nasir, profitant de l’instabilité
qui règne en Ifriqiya, tente de s’emparer, en vain, de Mahdia en 1066. L’unité
du Maghreb réalisée par les souverains fatimides et leurs lieutenants zirides a
complètement disparu. Mais c’est un autre mouvement militaro-religieux qui va
tenter de la réaliser, à l’extrême sud du Maghreb el Aqsa.
AL MURABITUN, LA CONQUÊTE
ALMORAVIDE
ssue d’un groupe berbère saharien (groupe sanhadjien), qui nomadise
dans le territoire de la Mauritanie actuelle, cette formation mili-
I taro-religieuse prend naissance autour d’un chef de tribu revenu du
pèlerinage de La Mecque. Après la création d’un ribat (sorte d’ermitage fortifié)
vers 1048, ce groupe de guerriers se donne pour mission d’islamiser les
peuples noirs du royaume du Ghana vers 1054.
Développant une idéologie malékite stricte, ils souhaitent reproduire le
modèle de la communauté islamique primitive et combattante, unie autour
d’un chef charismatique, Youssouf ibn Tachfin. Ils conquièrent le Sous en
1056-1057, puis ils se dirigent vers le Tafilalt et fondent Marrakech en 1060,
base de leurs conquêtes au nord du Maghreb et en Espagne. Les Al Murabitun
(Almoravides) – habitants du ribat – entament en 1079 la conquête du Maghreb
central. Tlemcen, Ténès, Oran puis El Djazaïr sont ainsi successivement
occupées, aucun pouvoir organisé ne pouvant s’opposer à leur avancée. À
l’est, les cités des Hammadides comme Miliana ne peuvent retarder la prise
d’El Djazaïr. Cependant, le front principal de la conquête almoravide se trouve
en Espagne (prise de Valence en 1102). Leur présence à Tlemcen et à Alger
s’est manifestée de manière monumentale. Parmi les constructions que les
Almoravides ont léguées figurent notamment les grandes mosquées d’Alger
(Masjid el Kebir, début XII e ) et de Tlemcen (1135).
Timbre dédié à la période almohade.
84 Atlas historique de l’algérie
Grande mosquée d’Alger.
LE MAGHREB D’AL IDRISSI
’est sur la commande du roi Roger II de Sicile (l’arabe est alors la
C
langue du palais des rois de Palerme avec le grec) que le géographe
arabe Al Idrissi écrit son Kitab Rudjar (Le Livre de Roger) vers 1154,
pendant que les Hammadides sont à Béjaïa et les Zirides à Mahdia, face aux
ambitions siciliennes. Héritier de la tradition des géographes arabes, Al
Idrissi a en outre exploité les travaux d’Ibn Khurradadhbeh (Bagdad, 885),
Jayhani (Le Livre des Routes et des Royaumes, vers 930), Mas’udi (Livres des
Merveilles), Ibn Hawqal (voyageur
vers 973), Ahmad al Udhri
(Kitab ’Ajaib), Kharezmi (Description
du monde), Al Bakri (Livre des
routes et des royaumes) et Ya’qubi
(Kitab al Buldan – Le Livre des
pays –, 890). Cependant, El
Idrissi ne s’est pas contenté de
les reprendre, il procède avec un
nouvel esprit vis-à-vis des autres
géographes arabes. Le légendaire
se trouve réduit à peu de
notations. Son travail s’est voulu
plus méthodique et plus scientifique.
L’ensemble de son savoir
date de l’époque almoravide. El
Idrissi a particulièrement suivi la
progression almohade en
Afrique du Nord, au moment où
Abd el Mumen s’emparait de
Tlemcen (1145) ainsi que de la
Qal’a des Beni Hammad en 1152. Carte du monde par Al Idrissi, vers 1165.
LES ALMOHADES
près son voyage en Orient entre 1106 et 1116, Ibn Tumart, qui a suivi
A
une formation juridique et théologique, retourne au Maghreb. C’est
dans les villes de Tunis, Constantine puis Béjaïa qu’il commence sa
prédication rigoriste, notamment vis-à-vis des mœurs. À proximité de Béjaïa,
il rencontre Abd el Mumen, originaire de Nedroma, qui devient son fervent
disciple. Ibn Tumart retourne ensuite dans la région de l’Anti-Atlas et du Sous
où il fonde une première communauté des « Unitaristes », les al Muwahhidun
ou Almohades. Il est alors proclamé mahdi à Tinmel (Haut Atlas) en 1121. À
la mort d’Ibn Tumart, c’est son disciple Abd el Mumen qui lui succède en
1132.
Il entreprend la conquête progressive du Draa, du Sous, du Haut et Moyen
Atlas puis du Tafilalt. Il s’empare du Rif et de la région d’Oran en 1145. Alors
que son armée progresse inexorablement vers l’est du Maghreb, les Bédouins
Beni Hillel tentent de le repousser dans la haute plaine de Sétif en 1152.
Mais la victoire almohade est totale. Les Hammadides de Béjaïa ne peuvent
s’opposer à cette armée qui marche sur les pas de leur mahdi. Le domaine
des Zirides est quant à lui annihilé en 1160, avec la prise de Mahdia. Les
Bédouins n’en continueront pas moins de porter atteinte à la stabilité almohade,
particulièrement dans le sud de l’Ifriqiya. Avec le débarquement des
Beni Ghaniya à Béjaïa en 1185, les Bédouins se mettent au service de la
résistance almoravide dans la région orientale du Maghreb.
L’ÉPOPÉE DES BENI GHANIYA
n débarquant à Béjaïa en 1185, une branche de la dynastie des
E
Almoravides, les Beni Ghaniya, tente de reprendre pied au Maghreb.
Alger et Miliana sont reprises par les Beni Ghaniya tout comme les
anciennes cités hammadides d’Achir et de la Qal’a. Habilement, les Beni Ghaniya
s’allient aux nombreuses forces bédouines présentes dans la région des
hautes plaines et dans le bassin du Hodna, entretenant une dissidence permanente
dans tout le Maghreb central et oriental. Les troupes almohades,
qui combattent aussi en Andalousie, interviennent principalement dans la
région de la Tunisie actuelle. Elles affrontent et défont la coalition des Beni
Ghaniya, appuyées par le mercenaire arménien Qaraquch. Mais les Beni Ghaniya
ne renoncent pas à ce qu’ils considèrent comme leur héritage familial.
En 1203, Al Nacir entreprend une nouvelle campagne pour en finir avec les
insaisissables Beni Ghaniya. L’émir almohade désigne Abou Mohammed ibn
Abu Hafs comme gouverneur militaire de l’Ifriqiya. En 1209, les Beni Ghaniya
sont repoussés dans le sud du Djérid et du djebel Nefusa où ils subissent
une lourde défaite.
LE MAGHREB AUX XIII E
ET XIV E SIÈCLES
’instabilité liée en partie à la guerre des Beni Ghaniya, dans l’est du
L
Maghreb, précipite l’affaiblissement almohade. Les lieutenants de la
famille des Hafsides se trouvent ainsi livrés à eux-mêmes à partir de
1229, puis deviennent définitivement indépendants en 1236. Autour de Tlemcen,
le relâchement de l’emprise almohade favorise la dynastie locale des Abdelwadides.
Cependant, Tlemcen reste très convoitée par le royaume voisin de Fès.
Depuis 1248, les Berbères Beni Marin (ou Mérinides) ne cessent d’entreprendre
des campagnes pour conquérir Tlemcen. Les Mérinides sont, avec Abu al
Hassan, à leur apogée quand ils tentent de s’emparer de Tunis en 1347. De
même, Abu Inan s’engage, en 1357, dans une grande campagne de conquête de
l’Ifriqiya par la côte. Les Abdelwadides de Tlemcen, constamment sous la pression
des Mérinides, sont défaits à deux reprises, en 1337 et 1352. Mais,
s’appuyant sur les armées bédouines, ils se maintiennent malgré tout. Les
grands itinéraires commerciaux, notamment en provenance du Sahara, transitant
par elle, la cité de Tlemcen est constamment convoitée. Les Hafsides de Tunis
maintiennent finalement assez difficilement l’héritage almohade. L’instabilité
chronique des tribus provoque des troubles intérieurs tandis que les côtes sont
menacées par les Espagnols installés dans la Sicile toute proche. Quant aux
royaumes de Fès et Tlemcen, ils interviennent au moindre signe de faiblesse des
Hafsides.
L’ ITINÉRAIRE ALGÉRIEN D ’IBN
KHALDUN, GRAND HOMME
DU XIV E SIÈCLE
é à Tunis d’une famille arabe d’origine andalouse en 1332, Ibn Khaldun
débute ses études en Ifriqiya puis à Fès, en passant par Biskra
N et Béjaïa. Il devient haut conseiller permanent de plusieurs souverains
du Maghreb, à la cour des Mérinides en 1354. Voyageant souvent dans
le cadre de son activité diplomatique, il se réfugie auprès des tribus bédouines
des hautes plaines sétifiennes afin d’échapper aux intrigues de palais en
cours à Béjaïa. Il apprend beaucoup du monde bédouin tout en exerçant
comme condottiere, agent recruteur de troupes armées. À partir des
années 1370, il se détache de cette activité professionnelle pour entamer une
sorte de retraite spirituelle consacrée au savoir religieux. Il rédige la Muqqadima
(La Présentation), introduction à son Kitab al I’bar (Le Livre des exemples,
ou Histoire universelle), dans un village isolé au sud de Frenda (1379). Il se
rend par la suite en Orient. De l’Égypte à la Syrie, il rencontre Timur Lang
(Tamerlan), le grand chef des Mongols. Il meurt en 1406 au Caire.
L’EMPIRE OTTOMAN ET
LE PACHALIK D’ALGER
LA MÉDITERRANÉE EN 1492
n Méditerranée orientale, Mamelouks et Ottomans dominent depuis
E
le XIV e siècle. L’Égypte et la Syrie sont passées sous le commandement
de chefs militaires, anciens esclaves-soldats, originaires du
Caucase. Ces derniers ont écarté les souverains ayyubides, connus pour avoir
longtemps combattu les croisés. Ces nouveaux sultans mamelouks restent
sans rivaux jusqu’à la fin du XV e siècle, forts d’une armée bien organisée,
mais reposant sur une économie prospère (contrôle des routes commerciales
entre l’océan Indien et l’Orient musulman). Les Ottomans (descendants
d’Osman ou Uthman) sont quant à eux issus de la décomposition du sultanat
seldjukide de Rum (royaume turco-mongol islamisé) au XIII e siècle. Originaire
des régions turco-mongoles (Kazakhstan, Ouzbékistan-Mongolie-Xinqiang
chinois actuels), la petite dynastie ottomane s’installe et organise son beylik
(petit émirat) dans la région de Konya. Ils sont face aux Byzantins mais ne
tardent pas à conquérir la majeure partie de l’Anatolie aux dépens des autres
beyliks au cours du XIV e . Les Ottomans étendent leur domination tout autour
de Constantinople, dernier bastion byzantin, qui sera finalement conquise en
1453. La flotte ottomane devient très puissante en Méditerranée orientale.
Elle s’emploie à démanteler méthodiquement les positions génoises, entre la
mer Égée et le sud de l’Adriatique. Si Rhodes parvient à résister aux sièges
ottomans, les Mamelouks ne peuvent stopper l’avancée ottomane en Syrie.
Ils finiront par livrer l’Égypte en 1517.
Entretemps, l’activité maritime ottomane s’est manifestée en Méditerranée
occidentale. Toutes les côtes entourant la Grèce se trouvent sous la domination
ottomane, et sont le point de départ de multiples expéditions contre
les positions chrétiennes. C’est ainsi que les corsaires ottomans Kemal Raïs
puis Aroudj entreprennent de nombreux raids sur le sud de l’Italie et en Libye.
Tripoli fut prise par les Espagnols en 1510, tandis qu’Alger faisait appel aux
corsaires ottomans.
ESPAGNOLS ET OTTOMANS
AU MAGHREB CENTRAL DE
1509 À 1518
près avoir tenté d’occuper durablement les régions de Syrie-Palestine
Orient au cours des croisades (XI e et XII e siècles), les royaumes
A d’Europe occidentale se sont renforcés dans le reste de la Méditerranée.
Tandis que les ordres chevaleresques veillent sur les îles stratégiques
de Malte et de Rhodes, les royaumes chrétiens regagnent du terrain en
Espagne. Les Almohades n’ayant pu se maintenir après leur échec lors de la
bataille de Las Navas de Tolosa en 1212, la Reconquista a morcelé l’Andalousie
musulmane en plusieurs principautés rivales. Au XIII e siècle, les Arabomusulmans
monnayent leur sécurité aux Espagnols. De 1391 à 1482, les
royaumes chrétiens réduisent l’Andalousie musulmane au seul royaume de
Grenade qui est pris en 1492. Mais le royaume de Castille et d’Aragon est
une grande puissance maritime en Méditerranée. À la suite du morcellement
territorial au Maghreb et de l’affaiblissement du pouvoir central almohade,
les Espagnols s’emparent de plusieurs cités de la côte.
Mers el Kebir et Oran sont occupées par la flotte espagnole en 1509, de
même que Béjaïa en 1510 (première tentative espagnole en 1282). Affaiblis en
mer, les Hafsides paient un tribut à la Sicile depuis 1285. Quant aux Marocains, ils
sont sous la pression constante des Portugais (prise de Ceuta en 1415, Safi et
Agadir en 1504-1505). En Espagne, le régime de l’Inquisition des Rois Catholiques
de Castille et d’Aragon a provoqué l’expulsion des populations musulmanes et
juives vers les cités du Maghreb.
Le corsaire raïs Aroudj est originaire d’une famille albanaise islamisée,
installée à Lesbos, à quelques heures de voile d’Istanbul. C’est sous l’autorité
bienveillante du sultan que sont dirigées les expéditions en Méditerranée
occidentale. Pour les Ottomans, la côte du nord de l’Afrique ne peut rester en
possession des puissances chrétiennes. Tripoli et Rhodes doivent être occupées
au même titre que Tunis, qui a pactisé avec les Espagnols. Quant à
Alger, sa libération intervient seulement après l’occupation d’une base sûre.
À défaut de pouvoir prendre Béjaïa en 1510, Aroudj, grièvement blessé suite
à un siège infructueux, choisit Mansouria (Ziama Mansouriah) pour se fixer
98 Atlas historique de l’algérie
sur le littoral « algérien ». Jijel est ensuite reprise à la garnison génoise qui
l’occupe. Ce dernier l’attaquant par la terre en 1512, à l’aide des tribus
locales. Aroudj tente une deuxième attaque sur Béjaïa en 1514, mais il
renonce en poursuivant vers l’ouest, accompagné des nouveaux alliés parmi
les tribus locales. Il débarque alors à Cherchell.
C’est seulement en 1516 qu’Aroudj se décide à occuper el Djazaïr (Alger),
sollicité par le souverain local. Les Espagnols ont établi sur les îlots en face
de la cité toute une série de fortifications, El Peñón de Vélez, pointant ses
canons sur Alger. Pour Alger, refuser de payer le tribut imposé par les Espagnols
revient à faire appel à une flotte amie. En se dirigeant sur Alger, Aroudj
a d’autres plans en tête. Salué comme le sauveur de la ville, il ne tarde pas
à exécuter le roi. La ville passe alors sous le commandement d’Aroudj qui
prépare une grande expédition vers l’ouest. Tlemcen se trouvant sans successeur
depuis 1512, Aroudj décide de s’en emparer avec son armée composée
de soldats ottomans et de tribus de la région alliée de Jijel. Avec son frère
Ishaq, Aroudj occupe Tlemcen en 1517. Mais les Espagnols réagissent. Avec
les forces arabes locales, ils contre-attaquent. Alors qu’Ishaq est tué dans la
Qal’a des Beni Rached, Aroudj est poursuivi par les Espagnols dans sa retraite
vers l’est, et meurt à Delbou (Tlemcen).
Espagnols et Ottomans au Maghreb central de 1509 à 1518 99
Carte de Barbarie et de Biled ul Djerid, dessinée par Abraham Orteluis, 1574.
LA CONQUÊTE DES PAYS
D’ EL DJAZAÏR (ALGER) ET
LES NOUVEAUX ALLIÉS
DE KHAYR AL DIN,
DIT BARBEROUSSE (1519-1534)
hayr al Din, dont la flotte maîtrise les ports de la côte orientale de
K
l’Algérie, poursuit la mission entamée par ses frères. Aroudj et Ishaq
ont payé de leur vie pour cette conquête des régions intérieures,
notamment celle du royaume de Tlemcen. Istanbul met à sa disposition une
armée de 6 000 janissaires, le corps d’élite de l’armée ottomane, ainsi que
de l’artillerie. Khayr al Din envoie son armée reprendre Tlemcen et les régions
de l’est. Cependant, l’impact de ces campagnes se trouve limité par le
manque de soutien des grandes tribus locales. Khayr al Din a besoin de leur
participation pour sa conquête de l’intérieur.
Ces grandes tribus dominant les régions centrales
entre Alger et Sétif sont les Kouko, dont le
territoire s’étend du Djurdjura à l’arrière-pays de
Béjaïa, et les Beni Abbes (connus sur les cartes
européennes comme les sultans de Labez). Ces
deux grands groupes rivaux ont joué un rôle
majeur dans les premiers développements de la
conquête d’Aroudj dans les années 1512-1516.
Les Kouko ont soutenu Aroudj contre Béjaïa et
pour la prise d’Alger. Ces alliés de la première
heure furent ensuite perçus comme suffisamment
menaçants pour que Khayr al Din s’engage
contre eux en 1518. Mais il sera quasi impossible
pour Alger de les soumettre définitivement, d’où
l’association avec leurs concurrents : les Beni
Abbes. Originaire du Hodna, cette famille s’est
Khayr al Din, dit Barberousse.
fixée dans les montagnes des Bibans. Cette
102 Atlas historique de l’algérie
région devient incontournable sur la route d’Alger à Constantine (sauf par le
sud de l’Ouanougha, impliquant une semaine de marche supplémentaire).
Seul le passage par des gorges étroites (Bibans signifie « les portes ») permet
d’accéder aux hautes plaines de l’Est. À défaut de pouvoir les dominer par
les armes, comme en 1520, alors que les Hafsides de Tunis tentent de
reprendre pied à l’est, le pouvoir ottoman s’emploie à les engager comme de
grands alliés. C’est ainsi que les Beni Abbes participent à toutes les grandes
campagnes ottomanes dans les régions insoumises, contre les Marocains ou
contre les Tunisiens, qui sont définitivement repoussés hors du Constantinois.
Les beys d’Alger organisent toutes leurs campagnes militaires avec l’appui
de ces grandes tribus, exemptées des impôts soumis aux autres tribus dites
makhzen.
Siège de Rhodes par les Ottomans en 1480.
La conquête des pays d’el Djazaïr 103
LES CAMPAGNES DE HASSAN
AGHA ET SALAH RAÏS
(1534-1556)
aître des mers et des ports algériens, sauf ceux d’Oran et Mers el
M
Kebir, Khayr al Din, appelé au poste de grand amiral de la flotte
ottomane à Istanbul, délègue la reprise en main de l’arrière-pays
d’Alger à ses fidèles lieutenants Hassan Agha et Salah Raïs. Ces derniers
organisent plusieurs campagnes décisives, dans un premier temps pour
reprendre la région de Tlemcen. Cette dernière est très convoitée par les
ennemis héréditaires des Tlemcéniens, les Beni Marin de Fès. L’armée chérifienne
est écrasée et poursuivie jusqu’à la Moulouya, après leur défaite au
Rio Salado (El Malah) en 1555. Les places fortes d’Oran et de Mers el Kebir
restent tenues par les Espagnols, bien que fréquemment assiégées par la
flotte des raïs.
La guerre en mer menée par Charles Quint, et son échec à Alger en 1541,
ne décourage pas sa flotte à lancer des expéditions sur le reste de la côte
algérienne. Les Espagnols tentent de prendre Mostaganem en 1558, tout en
soutenant les derniers Hafsides de Tunis. Ces derniers ne renoncent pas à
maintenir leur domination sur la partie orientale des territoires conquis par
les Ottomans dans les années 1520. L’armée des janissaires mène plusieurs
campagnes contre Tunis, dont l’une, en 1569, est décisive. Suite à la défaite de
l’armée tunisienne à Béja, Euldj Ali anéantit la dynastie des Hafsides. Après
la reprise de Tunis par les Espagnols en 1572, les Algériens se replient dans
la région de Bône, marquant ainsi une première étape dans l’établissement
des frontières orientales de l’Algérie ottomane. Auparavant, Salah Raïs a
entrepris de s’engager très loin vers les oasis de Touggourt et Ouargla, après
la prise de Biskra en 1552. Les Marocains ne tenteront plus de reprendre la
région de Tlemcen jusqu’au XVII e siècle tandis que le domaine des Hafsides
devient un nouveau pachalik dépendant d’Istanbul en 1574. Après leur prise
de Tripoli en 1551, les Ottomans se sont rendus progressivement maîtres de
tout le littoral tunisien.
ALGER ET LA MÉDITERRANÉE
AU XVI E SIÈCLE
e XVI e siècle correspond à l’apogée de la puissance ottomane. Avec
L
les sultans Selim I er et Süleyman (Soliman le Magnifique), l’Empire
ottoman accroît considérablement son territoire. Il contrôle les
routes venant d’Asie et d’Afrique. L’Égypte est enlevée aux Mamelouks en
1517, faisant ainsi entrer les lieux saints de l’islam dans le giron ottoman.
Quant à l’Europe, elle se trouve extrêmement préoccupée par l’avancée du
Grand Turc. Après la prise de Rhodes, dernier bastion chrétien sur la route
de Jérusalem avec Chypre (1571), ce sont les peuples slaves et hongrois qui
sont défaits (Belgrade 1521, Mohács 1526). Cependant, Istanbul entretient des
relations particulières avec le royaume de France, dans lesquelles Khayr
al Din va jouer un rôle décisif.
L’empire espagnol de Charles Quint menace directement le royaume de
François I er , soumis à une situation d’isolement. Les possessions espagnoles
des Pays-Bas et d’Italie provoquent plusieurs guerres avec la France qui sollicite
l’aide d’Istanbul et d’Alger. Après la signature d’une convention avec la
France, prévoyant notamment l’installation de consuls ainsi que la liberté
d’exercice du commerce en Méditerranée, Khayr al Din intervient en faveur
des Français avec sa flotte devant Nice en 1543. Khayr al Din, chef de la
flotte ottomane, affronte Doria, grand corsaire au service des Espagnols et
de Venise. Cette guerre pour la Méditerranée aboutit, en 1571, à une grande
confrontation lors de la bataille de Lépante qui marque un tournant dans la
puissance maritime ottomane, qui ne parviendra plus à regrouper une telle
armada, alors que les Européens sont déjà présents sur toutes les mers du
globe, accumulant les richesses du Nouveau Monde. Même si l’or et l’argent
sud-américains permettent à l’Espagne de se doter d’une flotte redoutable,
Charles Quint ne parviendra pas à s’emparer d’Alger, malgré la mise en place
d’une armada devant Alger en 1571.
1571, LA BATAILLE D’ALGER
harles Quint, à la tête de l’empire sur lequel le soleil ne se couche
C
jamais, décide de neutraliser Alger, le plus redoutable repaire de
corsaires de la Méditerranée. Il rassemble une flotte considérable
confiée à Doria et Cortès, le conquérant du Mexique. L’empereur prend quant
à lui personnellement le commandement d’une armée européenne (Espagnols,
Italiens, Allemands, chevaliers de Malte…) qui débarque sur la plage
du Hamma en octobre 1571. Alger est nouvellement fortifiée par Hassan
Agha. La position particulière de la ville, avec ses hauts murs entourés de
fossés, oblige les assiégeants à se positionner sur les hauteurs, ce que fait
Charles Quint en occupant le site qui prendra le nom de « Sultan Kalasi »
(fort de l’Empereur). Son armée tente d’attaquer, appuyée par une armée de
Kouko. C’est en direction de la ville basse, par Bab el Oued, que l’armée
attaque par le Frais Vallon. Mais une terrible tempête survient l’après-midi,
mettant hors d’état la plus grande partie de la flotte espagnole, bombardée
par les batteries côtières, tandis que les orages gonflent dangereusement les
oueds. L’armée des janissaires s’engage hors des murs d’Alger alors que les
Espagnols n’ont pas solidement établi leur siège. L’armée de Charles Quint,
coupée de ses renforts et du ravitaillement, doit finalement battre en retraite.
Le corps des chevaliers de Malte couvre cette désastreuse retraite vers le cap
Matifou.
L’ ORGANISATION DE L ’ALGÉRIE
OTTOMANE AU XVII E SIÈCLE
vec les campagnes de Hassan Pacha et de Hassan Corso, les Algériens
s’imposent fermement dans la région de Tlemcen, après avoir
A repris Mostaganem. L’unification des territoires du Maghreb central
par les beys à partir des îles d’Alger (al Djazaïr) redéfinit une nouvelle identité
géographique. On peut désormais parler d’une entité algérienne, certaines
cartes européennes du XVII e siècle employant le terme de « royaume d’Alger »
ou de « régence d’Alger » (pachalik).
À partir de 1587, l’Empire ottoman réorganise ses territoires d’Afrique du
Nord en trois pachaliks. Alger, Tripoli et Tunis sont dirigés directement par
des pachas envoyés d’Istanbul. Dans l’Algérie ottomane, on procède à la mise
en place de beyliks, régions administrées par des beys nommés par le Pacha.
Médéa devient le siège du Titteri, Constantine du grand beylik de l’Est, tandis
que le siège de l’Ouest se situe à Mazuna (au nord
de Relizane), avant d’être transféré à Oran, une
fois libérée des Espagnols. Quant à la capitale,
Alger, elle contrôle le Dar el Sultan, qui s’étend
jusqu’à Ténès. Tout un réseau de villes de garnisons,
composées de troupes ottomanes, est organisé
le long des itinéraires stratégiques. Mais
plusieurs régions montagneuses peuplées de
nombreuses tribus échappent à la domination
d’Alger, et se trouvent indépendantes de fait. Les
deys d’Alger se contentent le plus souvent
d’entretenir des troupes (nouba) dans leurs fortins
(bordj) autour des massifs des Qabaïles,
ensemble de tribus berbères qui s’étend de la
chaîne du Djurdjura à la presqu’île d’El Qoll.
Parmi elles, certaines ont toutefois d’excellents
rapports avec l’autorité ottomane. Il en est ainsi
des Beni Foughal (sud de Jijel), qui fournissent du
Mosquée de Guidjel, gravure de
bois de construction pour la flotte des raïs. Les
Delamare, 1839.
tribus procurant de tels services ou participant
112 Atlas historique de l’algérie
aux campagnes avec l’armée des janissaires sont privilégiées, soit par l’octroi
de bonnes terres, soit par l’exemption fiscale. Mais la grande majorité des
habitants restent soumis à l’impôt de gré ou de force. Des colonnes militaires
turques sillonnent le pays à chaque campagne de recrutement. Ces mehella
sont bien entendu appuyées par des caïds, administrateurs locaux d’origine
turque ou kouloughli, nommés par le bey (kouloughli, du turc kül oglu, qui
signifie littéralement « enfant d’esclave », et désignant les populations issues
de mariages entre Ottomans et femmes indigènes ou captives européennes).
Ces caïds désignent localement des cheikhs indigènes pour assurer un
contrôle efficace des tribus.
C’est au cours du XVII e siècle que le pachalik d’Alger ou régence d’Alger
(terme utilisé par les Français à partir du XVI e siècle) s’éloigne progressivement
du giron d’Istanbul. Avec la fin des émirs, des pachas triennaux, censés
dépendre de l’autorité directe du Sultan, sont envoyés à la djenina (palais des
pachas puis des deys). Ces pachas doivent composer avec un pouvoir local
assez complexe. La flotte militaire d’Alger, très puissante, a ses proches
chefs, la plupart d’origine européenne et convertis à l’islam : les raïs. Leur
rôle dans l’accumulation de richesses du pachalik, par la pratique de la
course en Méditerranée, place ces chefs dans une position de premier ordre.
Ces soldats, généralement issus du recrutement d’enfants (devchirmé) dans
les Balkans et aux frontières caucasiennes de l’Empire ottoman, reçoivent
une solide formation militaire en Anatolie avant de rejoindre les provinces ou
l’armée sur le front. Cette troupe d’élite (l’odjak) ne se laisse pas abuser
facilement et n’hésite pas à éliminer leur agha. À partir de 1671, la place
du dey (étymologiquement « oncle maternel » en turc), qui est le véritable
administrateur du pays, efface le rôle du pacha, qui est en réalité assez symbolique,
assurant une sorte de suivi impérial du pouvoir en place. Le dey
nomme les beys dans les régions, et commande l’armée avec laquelle il doit
composer. Il est choisi par les officiers et les raïs, d’où une instabilité chronique
au palais et des crises de succession à répétition. La période du
XVII e siècle marque cependant l’apogée de la puissance maritime d’Alger en
Méditerranée.
Plan d’Alger au XVII e siècle.
L’organisation de l’Algérie ottomane au xvii e siècle 113
SITUATION GÉNÉRALE
AU XVII E SIÈCLE
a principale ressource du pachalik d’Alger provient de la course en
L
Méditerranée qui atteint un essor considérable au XVII e siècle. Entre
1580 et 1670, Alger est au maximum de sa force. La flotte algéroise
ne peut pourtant compter que sur elle-même. Depuis son échec en 1671 à
Lépante, face à la puissante coalition chrétienne, la flotte impériale d’Istanbul
ne s’aventure guère en Méditerranée occidentale. C’est le domaine des corsaires
d’Alger qui tentent d’empêcher les Espagnols de reprendre pied sur
les côtes tunisiennes. Pourtant, les Espagnols ne sont plus les seuls à intervenir
sur les côtes barbaresques . Les rois de France cherchent à protéger
leurs intérêts en Méditerranée, comme dans comptoirs commerciaux de Barbarie.
Car depuis 1560, Alger accorde à la France le monopole de la pêche
du corail sur les côtes orientales du pays. Un établissement est construit à
l’est de Bona : le Bastion de France. Mais cette petite enclave subit plusieurs
manifestations d’hostilité des tribus locales qu’elles occupent, même en 1568,
et la détruisent en 1604. Raison pour laquelle la flotte française intervient à
plusieurs reprises entre 1618 et 1620. À partir de 1634, le Bastion est récupéré
à l’issue de négociations avec Alger, ce qui permet aux commerçants
français de fortifier le village de pêcheurs du Bastion qui devient La Bastille,
et de fonder un autre établissement à El Qala (anciennement La Calle). Cette
position française commerciale continue de provoquer des tensions entre
Alger et le royaume de France, jusqu’à la conquête. Le roi Louis XIV, sûr de
sa puissance, tente une expédition sur la côte algérienne et s’empare de Jijel
en 1664, mais son armée, harcelée par les tribus locales et sans réelle
connaissance du pays, doit rembarquer. Les accords signés, de 1666 à 1688,
par les délégations algéroises à Versailles améliorent les relations francoalgériennes,
sans toutefois régler la question des garanties concernant les
établissements français de La Calle (El Qala). Ces négociations alternent avec
plusieurs campagnes de bombardement d’Alger par la flotte française, précédée
par leurs concurrents anglais décidés à stopper la piraterie algéroise.
Au cours du XVII e siècle, la régence d’Alger a bien du mal à exercer sa
domination sur de nombreuses régions, en proie à de multiples révoltes. De
grandes tribus furent notamment à l’origine d’une rébellion entre 1637 et 1649
116 Atlas historique de l’algérie
dans le beylik oriental, tandis que le bey de Tunis cherchait à s’emparer de
Constantine dès 1620. Le bey Mourad assiège vainement la cité en 1698 pour
être finalement battu en 1700 dans la région de Sétif. La révolte qu’affrontent
les deys d’Alger trouve son origine dans la politique de désignation, voire d’élimination
des cheikhs de grandes tribus, telles que les Hanencha, Nememcha
et Harakta, écartées du commandement régional au bénéfice des Duwawida
(famille Bou Akkaz). Ces contentieux entre le pouvoir beylical et les tribus
arabes ou chaouias perdurent jusqu’à la conquête française.
Intérieur de la mosquée de la Pêcherie, Alger, 1884.
À l’ouest, le renforcement du royaume alaouite se manifeste par la tentative
de Moulay Ismaël de conquérir la région de Tlemcen. Parvenant au-delà
de Mascara, il est repoussé par l’armée algérienne. Le dey Cha’ban reprend
l’initiative à l’ouest en chassant définitivement les Espagnols d’Oran en 1708.
Il avait auparavant stoppé une seconde expédition de Moulay Ismaël sur Tlemcen
en 1691, et mis un terme aux ambitions du grand souverain marocain.
C’est en direction du Maroc et du littoral algérien que débarquent, à partir
de 1609, les morisques, populations musulmanes supposées converties au
christianisme par les Espagnols.
Extrait de la carte du Royaume d’Alger par Pierre Duval, 1877.
Situation générale au XVII e siècle 117
ALGER ET SES RELATIONS
INTERNATIONALES
onséquence de la progression des essors économiques français
C
outre-mer, avec la volonté de concurrencer les Anglais, les relations
diplomatiques avec Alger marquent la deuxième moitié du
XVII e siècle. Alors que les Européens se partagent le Nouveau Monde et
s’installent progressivement en Extrême-Orient, l’Empire ottoman déploie une
grande activité diplomatique de Moscou à Versailles. Face aux Européens, aux
Autrichiens et aux Russes, il est sur la défensive, surtout après l’échec du
siège de Vienne en 1683. C’est par l’intermédiaire des deys algériens qu’Istanbul
joue la carte française. Alger veut donner des garanties aux rois de France
pour leur commerce en Méditerranée. Parmi les autres pays européens,
beaucoup paient cher la liberté de circuler en Méditerranée. Mais ils en ont
les moyens… La Hollande est déjà une puissance maritime dans le monde
(Fondation de New Amsterdam, Cap Staad en 1665, de la Compagnie des Indes
néerlandaises en 1602). Les États-Unis d’Amérique sont quant à eux entrés
en contact avec les Algériens, après la capture de deux de leurs voiliers en
1625.
L’ALGÉRIE OTTOMANE
AU XVIII E SIÈCLE
a pression européenne sur l’Algérie s’exerce de manière continue à
L
partir de la deuxième moitié du XVIII e siècle et se manifeste par plusieurs
bombardements d’Alger, tandis qu’Oran est reconquise ponctuellement
par les Espagnols en 1732. Malgré leurs stratégies souvent
opposées, les flottes européennes s’emploient toutes à essayer d’abattre la
base des raïs d’Alger. Les Espagnols tentent même un débarquement qui
échoue sur l’oued el Harrach en 1775. Si les ressources algériennes liées à
la course en Méditerranée sont menacées par les attaques européennes, le
dey possède malgré tout des moyens militaires suffisants pour attaquer le
bey de Tunis, contre lequel il mène campagne en 1735 et 1745. La régence
dispose d’une sorte d’arme économique : ses substantielles ressources céréalières,
qui sont commercialisées vers la France depuis 1793. La jeune république
a pu bénéficier d’achat à crédit de céréales algériennes afin de
suppléer aux conséquences de son instabilité agricole. Ces prêts consentis à
la France sont à l’origine de la crise entre le consul Deval et Hussein Dey peu
avant la conquête.
La paix intérieure reste une source de préoccupation pour les deys de la
période. Car si l’administration du « pays utile » est bien huilée, avec ses
complexes relations familiales liant les beys aux caïds locaux (de nombreux
mariages entre les familles des beys et leurs administrateurs assurent les
liens de fidélité au pouvoir), la masse des populations rurales obéissent à
leurs cheikhs, mais aussi à certains chefs de confréries religieuses, à l’origine
de nombreux troubles au début du XIXe siècle.
Les mouvements des confréries ou tariqas ont une audience très forte
auprès des populations. Les chefs spirituels de ces mouvements, cumulant
souvent pratiques ésotériques (ils se prétendent ou sont perçus comme
détenteurs de la baraka – la bénédiction) et prédication, dirigent des zaouïas,
qui hébergent les ikhwan (les frères) et font office d’école. Les élèves y
reçoivent dans certains cas, outre l’enseignement traditionnel, une pensée
dirigée contre le pouvoir des beys. À la fin du XVIII e siècle naît la confrérie
éponyme des Tidjaniya (Ahmed el Tidjani, 1737-1815), dont l’école mère se
trouve très loin d’Alger, à Aïn Madhi. N’ayant pas réussi à résister aux beys,
122 Atlas historique de l’algérie
plusieurs confréries dirigent leurs efforts vers le Sahara. Celle des Rahmaniya
apparaît pendant la seconde moitié du XVIII e siècle en plein cœur du pays
des Qabaïles (cette dénomination figure sur plusieurs cartes françaises du
XVIII e ). C’est un habitant du Djurdjura, Abderahman bou Qobrin (aux deux tombeaux)
qui aurait une double sépulture, l’une à Alger (quartier du Hamma) et
l’autre sur place. La Qadiriyya se présente quant à elle comme la grande
confrérie de l’Ouest algérien, notamment de l’Oranie. Le mouvement qui
inquiète le plus le pouvoir central est celui de la Derqaoua. Bien implantés
chez les populations montagnardes du Titteri et de l’Ouarsenis, ses membres
prônent la guerre sainte ouverte contre les Turcs. De même, de fréquentes
révoltes éclatent dans le massif du Djurdjura. Les tribus Guechtoula et Flissa
attaquent les places fortes turques de Boghni et Sebaou en 1757, tandis que
les Zouaoua descendent jusqu’à la Mitidja en 1768.
Gravure d’Alger, XVIII e siècle.
L’Algérie ottomane au XVIII e siècle 123
L’ALGÉRIE OTTOMANE
AU DÉBUT DU XIX E SIÈCLE
ésormais contenue par le blocus maritime européen et plus spécialement
français, l’activité économique delacoursealgérienneenMédi-
D terranée se tarit. L’Empire ottoman se trouve lui-même menacé par les
nouveaux appétits européens. Après le débarquement français en Égypte
(40 000 soldats) et les succès du corps expéditionnaire contre les Turcs, la question
d’Orient se trouve plus que jamais à l’ordre du jour dans les chancelleries
des grandes puissances européennes. Aux offensives russes et autrichiennes
dans les Balkans et les détroits répondent les avancées anglaise et française en
Méditerranée orientale. Avant de partir pour l’Égypte en 1798, Napoléon avertit
Alger en cas d’attaque de bâtiments français, « le premier acte d’hostilité que se
permettra le dey sera le signal de la destruction d’Alger ». Cependant, les Français
ont encore besoin de l’Algérie et de son ravitaillement car ils se trouvent en
grande difficulté après la destruction de leur flotte par les Anglais à Aboukir.
Napoléon signe donc un traité de paix en 1800 avec Alger, alors qu’il
évacue en catastrophe son armée de Palestine (1801). L’Algérie, à l’instar de
Tripoli et Tunis, n’a pas répondu à l’appel d’Istanbul d’entrer en guerre contre
les Français. C’est seulement après la défaite navale de Trafalgar en 1805
que le dey fait emprisonner les commerçants italiens et confisque les possessions
de La Calle qu’il cède… aux Anglais. Pendant que se déroulent ces
tractations, éclate en 1804 une grande révolte à l’instigation de la confrérie
Derqaoua, qui est déclenchée dans deux régions très éloignées l’une de
l’autre. À partir de son fief des montagnes d’El Qoll, le chérif derqaoui se
lance à l’assaut de Constantine et défait l’armée turque venue l’arrêter. Les
tribus de l’Ouarsenis ferment quant à elles le passage vers le beylik de
l’Ouest. Alors que les janissaires s’emploient à mater ces insurrections, les
Français sur place à Alger et Tunis cumulent toutes les informations jugées
utiles à une future expédition française contre la régence. Ce travail de renseignement
commence au moment de la Révolution française. Les concessions
d’Afrique en Algérie expriment l’idée d’un développement de la présence
française face aux prétentions anglaises. Talleyrand évoque en 1794 la côte
d’Afrique comme possible établissement pour des colonies françaises tandis
que le consul de France à Tunis, Barthélémy de Saizieu, parle d’une expédition
militaire en Barbarie, en vue de ravitailler le sud de la France. La décision
126 Atlas historique de l’algérie
de s’engager en Égypte en 1798
constitue une étape avant d’occuper
l’Algérie, perçue comme un indispensable
grenier à blé.
En 1801, alors que Bonaparte
envoie une expédition (avec Clauzel et
Bugeaud) contre les Anglais à Saint-
Domingue, Bergé écrit son rapport
pour la reconnaissance d’Alger. Thédenat
complète quant à lui ces documents
avec son Coup d’œil sur la
régence d’Alger. Les mémoires et
autres rapports s’accumulent, avec
Montlosier en 1802 qui soulève l’intérêt
en faveur de l’exploration scientifique
et commerciale de l’Afrique.
C’est en 1808 que Boutin, faisant suite
à la demande de Napoléon d’enquêter
et d’établir des reconnaissances
secrètes, établit un plan précis d’Alger
et de ses environs, afin de préparer
une expédition. Avec le soulèvement
contre les Français en Espagne et
l’attaque des Autrichiens, le projet est
finalement abandonné. Les Anglais,
Reconnaissance de la Régence d’Alger par l’officier
dans une démarche se voulant antiesclavagiste,
proposent une action
Vincent Boutin, 1808.
maritime internationale contre Alger.
La pression extérieure pousse Alger à tenter vainement de s’emparer du
pachalik de Tunis en 1807, puis en 1813. Mais les insurrections tribales
ressurgissent dans les pays des Qabaïles, successivement dans les Babors,
entre 1810 et 1815 puis dans le Djurdjura en 1818-1819. Les Beni Abbes,
souvent alliés aux deys d’Alger, rompent ces liens en 1824. Toutes ces tribus
indépendantes menacent l’organisation même des beys et, par leur dissidence
armée, mettent en péril trois siècles d’unification ottomane.
Alger n’a quasiment plus de possibilité de mouvement en 1825, date du
bombardement de la ville par l’amiral Neale, à la suite duquel le dey avait dû
se résoudre à signer avec les Anglais. Avec la fin des guerres napoléoniennes,
les Anglais souhaitent intervenir contre Alger. Depuis 1816, signe de la faiblesse
d’Alger, les Américains cessent de payer le tribut qui garantissait leur
flotte. En 1827, les flottes européennes se mobilisent contre un Empire ottoman
sur la défensive, après en avoir en réalité planifié le démantèlement.
C’est la fameuse question d’Orient, avec l’enjeu des détroits entre la Russie
et les puissances occidentales mais aussi la mainmise britannique sur
l’Égypte, sur fond du développement industriel qui agite l’Europe. En octobre
1827, la flotte turco-égyptienne est défaite à la bataille de Navarin par une
coalition anglo-russo-française, alors que le soulèvement des Grecs contre
les Ottomans suscite le soutien des Occidentaux, dont la France, qui y envoie
son armée (expédition de Morée en 1828). Le peintre romantique Delacroix
L’Algérie ottomane au début du XIX e siècle 127
immortalisera cette guerre, avant de se rendre en Algérie pour y peindre son
célèbre tableau des Femmes d’Alger.
Les Français qui participent au blocus intermittent contre Alger envisagent
davantage qu’une pression maritime sur Alger. C’est à Paris, où les royalistes
ont repris le pouvoir, que se prépare l’expédition pour enlever Alger. Le gouvernement
de la Restauration (de la monarchie des Bourbons), qui n’a toujours
pas honoré sa dette envers les courtiers algériens Bacri et Busnach,
trouve son compte dans l’exploitation de l’incident du 30 avril 1827. Ayant
convoqué Deval, représentant de la France dans cette affaire, le dey Hussein
a un geste impulsif (coup d’éventail) contre le diplomate en s’emportant au
sujet du remboursement des fournitures de blé algérien par la France pendant
les années 1790. Cette affaire du coup d’éventail, devenue une image
d’Épinal des relations franco-algériennes, ne fut pourtant pas immédiatement
exploitée. Après sa participation à la guerre européenne contre les Ottomans
en mer et dans le Péloponnèse, la France doit faire face aux appétits anglais
en Méditerranée. Mais la situation à Paris est très instable pour la famille
des Bourbons. Le roi Charles X, qui a succédé à son frère en 1824, est très
impopulaire. Ayant rétabli la censure, il s’emploie à museler l’opposition des
milieux républicains et ouvriers. Avec le prétexte de l’incident entre le dey et
le consul Deval, Charles X ressort le plan de l’expédition contre Alger. Le roi
de France pense relancer le projet monarchique en rehaussant le prestige de
la France, après la fin de l’épopée napoléonienne. Le gouvernement et la
population parisienne constituent une menace pour le maintien des Bourbons
au pouvoir. Quant à la campagne militaire contre Alger, elle est prévue à
moindres frais, puisque l’accaparement du trésor du bey doit largement pourvoir
à son coût…
CONQUÊTE FRANÇAISE
ET COLONISATION
LE DÉBARQUEMENT FRANÇAIS
À SIDI-FERRUCH
ommandée par de Bourmont, la flotte française, composée de
C
500 navires, s’embarque à Toulon le 16 mai 1830. Transitant par l’île
espagnole de Palma pour des raisons logistiques, la flotte arrive,
conformément aux renseignements du plan Boutin, en face de la petite
presqu’île de Sidi-Ferruch (Sidi Fredj) le 14 juin 1830. Sidi-Ferruch, du nom
d’un saint homme musulman reposant sous une petite kouba (coupole) audessus
de la plage, n’est défendue par aucune batterie côtière. Le corps expéditionnaire
installe rapidement son camp sur la plage et s’y maintient pendant
quatre jours afin d’y débarquer tous les moyens nécessaires à l’attaque
d’Alger.
Entretemps, Ibrahim Agha a rassemblé ses 7 000 janissaires à Staoueli,
renforcés de 15 000 hommes du pays des Qabaïles. Les beys d’Oran et
Constantine ont quant à eux envoyé respectivement 6 000 et 13 000 hommes
totalisant 30 000 à 50 000 hommes. La bataille ne s’engage que le 18 juin
avec l’attaque des Algériens contre les positions françaises sur la plage et
sur la presqu’île. Les trois divisions (37 000 hommes) de Berthezène résistent.
Les techniques militaires de cette armée française, qui ont réalisé la synthèse
des guerres napoléoniennes et du génie de Vauban, sont très éprouvées. Les
cavaliers algériens se heurtent avec courage aux fortifications françaises ainsi
qu’aux carrés hérissés de baïonnettes. L’armée hétéroclite du bey doit se
replier sur les hauteurs et tenir les forts qui protègent Alger. Les colonnes
françaises se mettent en marche en direction d’Alger, dans un terrain difficile,
une succession de maquis et de ravins, en passant par le col de Sidi Khalef,
à partir duquel la résistance des Algériens se renforce sensiblement. Les
combats pour les hauteurs d’Alger durent deux semaines et se terminent par
la prise du fort ottoman de Sultan Kalasi à El Biar (Château de l’Empereur,
sur l’emplacement du camp de Charles Quint lors du siège d’Alger en 1571).
Il sera bombardé continuellement puis détruit par ses propres servants algériens.
Une fois ce dernier verrou enlevé le 4 juillet, la route de la casbah est
ouverte. Ce sont finalement les négociations avec le bey d’Alger qui aboutissent
à la fin du siège d’Alger, épargnant à la population un sort encore plus
tragique. Une grande partie de la population, estimée à 10 000 personnes,
130 Atlas historique de l’algérie
quittera précipitamment la ville, notamment des grandes familles liées à la
cour du dey.
Pourtant, la reddition de la ville le matin de ce fatidique 5 juillet 1830
s’accompagnait d’accords signés avec le dey Hussein, garantissant les biens
des habitants ainsi que le libre exercice du culte musulman. En réalité, c’est
essentiellement le trésor du bey, qui avait fait l’objet de plusieurs enquêtes
avant la conquête, qui intéressait un cercle restreint du commandement du
corps expéditionnaire, vraisemblablement chargé en haut lieu de cette mission
spéciale. L’enquête très documentée de Pierre Péan (Main basse sur
Alger) révèle ce volet « financier » de l’expédition, qui aurait constitué un des
objectifs officieux de l’expédition d’Alger.
L’amiral Duperré dans la rade d’Alger.
Paris exultait de cette victoire sur la régence et y trouvait le moyen d’y
entretenir un nouveau prestige politique. Cependant, les événements de fin
juillet mirent rapidement un terme à ces ambitions. À Paris, l’insurrection
populaire des 27, 28 et 29 juillet 1830, épisode des Trois Glorieuses, et immortalisée
par Delacroix dans La Liberté guidant le peuple, précipita la chute de
Charles X. Le camp des monarchistes fut ébranlé mais un compromis politique
accorda finalement à Philippe d’Orléans le pouvoir exécutif. Parmi les
premières préoccupations de la nouvelle monarchie constitutionnelle ne semblait
pas figurer la question du sort d’Alger.
À ce moment-là, Paris songe même à évacuer Alger, doutant du bénéfice
réel de l’expédition. C’est le général Clauzel qui est chargé de la gestion de
la ville occupée, succédant à Bourmont, désavoué pour s’être montré trop
proche des royalistes pendant la crise. C’est également le signataire des
accords du 5 juillet, qui laisse la ville sans assurances sur son sort. Clauzel
s’empresse d’y installer son armée le plus confortablement possible dans
Alger, redécoupée selon les besoins du corps expéditionnaire.
Le débarquement français à Sidi-Ferruch 131
Tout d’abord, toutes les places fortes et casernes de janissaires avaient
été les premiers sites investis par l’armée du corps expéditionnaire. Les officiers
et hauts gradés avaient quant à eux occupé toutes les habitations spacieuses
de la cité ottomane, comme tous les palais de la ville basse (basse
casbah). À partir de septembre 1830, l’armée s’installe partout dans la ville
et réquisitionne nombre d’espaces collectifs tels que mosquées, zaouïas, violant
les engagements du 5 juillet. C’est la première phase du réaménagement
de la ville ottomane, avec notamment le dégagement d’une place d’armes
(achevée en 1842) : la place du Gouvernement ainsi que le percement de
plusieurs rues, de part et d’autre de la ville basse, de Bab Azzoun à Bab el
Oued. Ces aménagements urbains inaugurent non seulement un modèle pour
les villes coloniales à venir mais annoncent également le projet d’Hausmann
à Paris.
Des positions fortifiées sont démantelées mais d’autres maintenues, car
le ministre de la Guerre tient à défendre Alger contre toute tentative étrangère
venant de la mer. Ainsi, certaines batteries côtières sont renforcées. La partie
littorale de la ville agrandit en outre ses entrepôts et dépendances de la
Marine. Car aucun soutien logistique ne peut arriver par l’intérieur des terres,
encore largement inexploré et hostile.
Avis aux habitants d’Alger, 1830.
OPÉRATIONS FRANÇAISES
AUTOUR D’ALGER
utour d’Alger, la Mitidja, qui échappe encore totalement aux Français,
est dominée par les tribus, dont les chefs s’étaient réunis à
A Tamenfoust, après la prise d’Alger. Si l’organisation ottomane avait
bien cessé d’exister à Alger, il demeurait encore des structures politiques
fortes pour organiser une résistance contre ceux qui étaient avant tout considérés
comme des roumis, des chrétiens. C’est notamment dans les villes où
siégeaient les beyliks que subsistait un commandement, avec des troupes
permanentes. Mais la formation de coalitions tribales susceptibles d’appuyer
les beyliks restait une entreprise des plus incertaines.
Relativement bien informé sur l’arrière-pays d’Alger, le maréchal Clauzel était
bien décidé à s’imposer au-delà de la Mitidja, en direction de Médéa, vers laquelle
il entreprend sa première expédition. C’est au bas du massif de l’Atlas blidéen que
se déroule la première bataille pour l’occupation de Médéa. C’est au moment de
franchir le col de Mouzaïa que les 10 000 hommes de Clauzel se heurtent aux
forces du bey du Titteri. Les soldats français finissent par déborder les positions
algériennes dans cette montagne escarpée et boisée. Médéa est finalement occupée
le 22 septembre, alors que le bey se rend à Clauzel. Cependant, les tribus de
la région, qui ne dépendent d’aucune autorité, telles que les redoutables Flissa,
continuent d’attaquer les positions françaises dans la Mitidja, entraînant de dures
représailles contre les tribus locales. Clauzel envisage pourtant de faire appel aux
Algériens, invités à s’engager comme troupes auxiliaires, notamment après les
premiers engagements des montagnards Zouaoua en août 1830, à l’initiative de
Bourmont. Les troupes de janissaires démobilisées se présentèrent quant à elles
comme un réservoir fort utile de soldats expérimentés. Dans les premières cités
algéro-turques occupées par les Français, celles du littoral en particulier, une
partie de la population masculine, livrée à elle-même, participa à la composition
d’unités de garde des bordjs (forts) ou de cavalerie légère (les goums) et fut payée
pour participer aux opérations militaires.
LA CONQUÊTE FRANÇAISE
EN 1830
Les Français débarquent à Bona (Bône, Annaba) dès le mois d’août 1830,
tandis que Mers el Kebir est investie en décembre de la même année. Pour
le maréchal Clauzel, il s’agit de prendre rapidement position dans les régions
frontalières de la régence d’Alger, afin de prévenir toute tentative de récupération
territoriale de la part du royaume chérifien ou du bey de Tunis. La région
de Tabarka, convoitée et revendiquée par les Tunisiens, fera l’objet d’un long
processus de délimitation.
À l’initiative de Clauzel, la diplomatie française s’active en direction de
Tunis, dont la neutralité est perçue comme incertaine. Clauzel proposera au
bey de Tunis, rival traditionnel d’Alger, de le nommer au poste de bey de
Constantine, moyennant le paiement d’un tribut conséquent. Mais le bey
cherche à gagner du temps et… de l’argent avant de pénétrer dans cette
province de l’Est, encore sous l’autorité du bey de Constantine. Il en est de
même dans la région de l’ouest de la régence, avec l’intervention du chérif
marocain Moulay Ali dans les affaires de Tlemcen. Craignant de subir le sort
d’Alger, les Tlemcéniens firent appel à Moulay Ali, en demandant à être rattachés
au royaume chérifien. Le souverain marocain, en installant son cousin
Abdel Rahman à Tlemcen, provoqua cependant de graves troubles dans la
région, notamment par son attitude brutale contre les kouloughlis (algéroturcs)
et les tribus makhzen. Les Français s’étaient contentés d’occuper Oran,
avec l’appui du fils du bey de Tunis, installé rapidement mais précairement.
Les tribus locales ne cesseront pas d’assiéger Oran et Mers el Kebir, ne
reconnaissant que l’autorité de Belamri, l’émir nommé par le chérif du Maroc
dans la région. Cependant, d’autres tribus reconnaissent le cheikh Mahieddin,
qui prône la guerre sainte contre les Français.
Les positions françaises d’Oran et Mers el Kebir resteront longtemps fragiles,
sans renforts suffisants et en l’absence d’appuis locaux. Desmichels
finit par dégager Oran et occupe Mostaganem, après un premier accord
en février 1833 avec le fils du cheikh Mahieddin, le jeune Abd el Kader. Ce
traité Desmichels institue une étape importante dans la reconnaissance et
l’ascension régionale du jeune émir.
136 Atlas historique de l’algérie
À Bona (qui devient Bône en 1831), plusieurs tentatives françaises d’occuper
durablement la ville échouent jusqu’à l’envoi de nouvelles troupes (troisième
expédition) ainsi qu’avec l’apport de soldats d’origine ottomane, passés
en partie sous l’autorité française. Plusieurs sorties sont entreprises contre
les forces algériennes du bey de Constantine.
Les autorités françaises n’ont pas encore vraiment statué sur l’avenir des
territoires de la régence d’Alger. C’est alors le temps de la politique dite
« d’occupation restreinte ». Le commandement militaire français se contente
de prendre les villes importantes de la côte et traite avec les chefs de tribus
de l’intérieur. Médéa est la seule cité de l’intérieur conquise par les Français,
mais sa position reste difficile, car elle se trouve assiégée par les tribus environnantes.
En juin 1831, le général Berthezène lance une nouvelle expédition
sur Médéa, qui reste menacée par les forces du chef Boumezrag. La garnison
française sera finalement évacuée le 5 juillet 1831.
À partir de 1833 et le départ de Berthezène, le nouveau commandement
français, tout en complétant l’occupation du littoral avec la prise de Béjaïa
par Trézel en septembre 1833, s’emploie à consolider les positions autour
d’Alger (premiers villages européens…). Il s’agit pour le duc de Rovigo d’établir
une première ligne de défense face à l’insécurité de la Mitidja, où les tribus
entretiennent une guérilla contre les colonnes et postes français. D’autres
villages sont pourtant fondés dans le cercle d’Alger, comme Douera en 1833.
La population européenne se trouve déjà invitée à profiter des premiers lots
de colonisation, et commence à s’installer, principalement dans cette région
dite du Sahel d’Alger, qui surplombe la Mitidja encore dangereuse et assez
marécageuse.
Chargé d’assurer la sécurité d’Alger, le duc de Rovigo s’emploie à dégager
des places et esplanades au-delà des portes de Bab Azzoun et Bab el Oued,
non sans avoir rasé les cimetières musulmans. Ces nouveaux besoins militaires
s’accompagnent de graves violations du traité du 5 juillet, avec la
La conquête française en 1830 137
confiscation de plusieurs mosquées, jusque-là relativement épargnées par
ses prédécesseurs. La mosquée Ketchaoua se trouve complètement déformée
pour l’édification de la première grande église à Alger. Cette gestion peu
respectueuse de la population musulmane, associée aux représailles contre
les tribus de la Mitidja, inaugure une nouvelle politique militaire plus agressive,
alors qu’en juillet 1834 prend forme le statut de ces nouveaux territoires,
désormais possessions françaises dans le nord de l’Afrique. Paris reconnaît ces
conquêtes comme définitivement acquises, mais pour lesquelles la question
de l’occupation totale ou restreinte divise encore les généraux de l’armée. À
partir de 1835, l’armée française engage des campagnes contre toutes les
tribus qui refuseraient son autorité, comme les Hadjoutes, à l’ouest de la
Mitidja.
La prise de Mascara par l’armée française en 1835.
LA PREMIÈRE GUERRE
CONTRE ABD EL KADER
Ayant remplacé Desmichels dans la région d’Oran en février 1835, le général
Trézel cherche à s’imposer sur l’émir Abd el Kader. Il lance son armée
contre Sig et engage le combat dans la forêt de Moulay Ismaël. Au moment
de son repli sur Arzew, la colonne française est surprise par les forces de
l’émir dans le défilé de la Macta le 28 juin 1835. La défaite de la colonne
Trézel, qui a perdu le quart de ses effectifs dans la bataille, a irrité le gouvernement,
qui décide d’adopter une nouvelle stratégie en Algérie. Clauzel est
spécialement envoyé sur place et d’Arlanges remplace Trézel. Ces changements
à la tête du commandement militaire donnent l’initiative aux partisans
de l’occupation totale. Une nouvelle campagne est engagée contre les cités
de l’émirat d’Abd el Kader à partir de décembre 1835.
Une première colonne de 11 000 hommes est lancée contre Mascara, évacuée
par l’émir, puis c’est Tlemcen qui est occupée le 13 janvier 1836. Cependant,
la plupart des forces françaises finissent par quitter la région, laissant
Mascara redevenir la capitale de l’émir, dont les forces assiègent rapidement
Tlemcen. Le 25 avril, une colonne française de secours partie de Rachgoun
se retrouve attaquée par l’émir sur la Tafna. Il est contraint à la retraite.
L’échec du général d’Arlanges provoque l’envoi de Bugeaud en Algérie en
juillet 1836. L’intervention de ce général expérimenté (il a notamment participé
aux campagnes en Espagne et à Saint-Domingue) permet ponctuellement
de repousser les forces de l’émir après le combat de la Sikkak, puis de
débloquer le camp de la Tafna. Après cette courte campagne, Bugeaud rentre
en France.
LES EXPÉDITIONS
CONTRE CONSTANTINE
n 1836, Béjaïa et Bône se trouvaient être les seuls points occupés
E
par les Français dans l’est de la régence. Paris avait également
échoué à installer le bey de Tunis à la place d’Ahmad bey, qui résistait
à partir de Constantine. Clauzel décide ainsi de conquérir l’ancien beylik
de l’Est.
Aussi, commande-t-il personnellement la colonne de 8 700 hommes qui,
en novembre 1836, marche sur l’ancienne capitale numide. Les attaques lancées
par Clauzel contre la ville, protégée par le ravin du Rhummel, s’avèrent
vaines. La porte d’El Kantara, par laquelle les soldats français tentent deux
assauts, ne s’ouvrira pas. Plusieurs contre-attaques algériennes sont ensuite
lancées contre les forces de Clauzel. Déjà épuisée par sa marche épouvante
depuis Bône, l’armée de Clauzel, qui aura 1 000 tués, finit par entamer sa
retraite le 23 novembre, harcelée jusqu’à Guelma.
Damrémont, nouveau gouverneur de l’Algérie, remplace le maréchal
Clauzel en février 1837. Il prépare la deuxième expédition de Constantine et
tâcher d’achever la conquête de la province rebelle. Voulant disposer de
toutes les forces possibles pour engager la campagne à l’est, Damrémont
recherche la neutralité de l’émir Abd el Kader à l’ouest. Le 20 mai 1837,
Bugeaud signe le traité dit de la Tafna (ratifié par le roi le 15 juin 1837),
accordant à l’émir l’autorité sur toute la partie occidentale de la régence, de
Tlemcen aux gorges de l’oued Keddara. La France administre quant à elle
directement les territoires d’Oran, d’Arzew et de Mostaganem ainsi que la
Mitidja. L’émirat d’Abd el Kader dispose du port de Rachgoun, ce qui lui
permet de se ravitailler en armes.
142 Atlas historique de l’algérie
Prise de Constantine, par Horace Vernet, 1837.
LA DEUXIÈME EXPÉDITION
DE CONSTANTINE
20 400 hommes sont mobilisés pour la campagne de l’Est algérien, dont
la prise de Constantine est la clé. Six années après la conquête d’Alger, la
province de l’Est reste globalement une terra incognita pour le commandement
français. Damrémont a cette fois une nouvelle stratégie pour prendre
Constantine. Après avoir disposé son artillerie sur toutes les hauteurs dominant
la ville, comme le plateau de Mansourah et le Coudiat Aty, il procède au
bombardement méthodique des murailles, tandis qu’il place son armée sur
l’unique côté de la ville non entouré par le ravin. Le siège de Constantine mis
en place, l’artillerie entame la brèche dans les murailles le 13 octobre 1837.
Trois colonnes, dont le corps des zouaves, attaquent simultanément. De durs
combats – parmi les plus coûteux de la conquête – se déroulent dans la ville
de Constantine où la population, toutes confessions confondues, résiste avec
acharnement. Les généraux Damrémont et Perrégaux y laissent la vie ainsi
que 15 officiers et une centaine de soldats. Le bey Ahmed, chef de la résistance,
tout comme un certain nombre d’habitants réussissent à quitter la ville
par les falaises, tandis que la ville est investie par l’armée. De nombreuses
victimes périssent dans la panique de la fuite, en empruntant les chemins
périlleux à la sortie des gorges du Rhummel. Ahmed Bey et ses partisans
gagnent les Aurès en vue de continuer la résistance.
LA CONQUÊTE EN 1839
vec le nouveau gouverneur Valée, l’autorité militaire française
A
nomme des cheikhs locaux, en empruntant le modèle de l’organisation
ottomane. Ayant à administrer depuis 1837 les nouveaux territoires
du beylik de Constantine, le commandement français s’efforce de
nommer des grands chefs régionaux qui prennent le titre de khalife.
Ces territoires de la région du nord de Constantine sont montagneux et
peuplés par des tribus « jalouses de leur indépendance » et ayant pour la
plupart échappé à la domination ottomane. L’autorité française est déléguée
auprès de Ben Aïssa dans toute la région à l’ouest de Bône, entre le massif
de l’Edough et Jijel, tandis que la région de Ferdjioua est confiée à El Hamlaoui.
La région au contact de l’émirat d’Abd el Kader, le pays des Beni Abbes
ou Mokrani (qui signifie « les grands » en berbère) est quant à elle « confiée »
à Ahmed el Mokrani, récemment déchu par son cousin Abdesselem, qui avait
fait allégeance à l’émir Abd el Kader. La plus grande partie des territoires
sous-administrés par des cheikhs se trouve au sud du beylik de Constantine.
Elle échoit à Ben Gana, nommé cheikh el Arab, qui n’hésitera pas à combattre
des tribus alliées à Abd el Kader.
Toutes ces nominations ne signifient cependant pas la fidélité totale des
tribus. Elles interviennent sur fond de conflits au sein même des grandes
familles. Des révoltes éclatent dans les régions de Souk Ahras et de Aïn
Beïda, à la suite des comportements jugés trop autoritaires des caïds ou
cheikhs nommés par les khalifats (exploitation fiscale…).
Les généraux Négrier et Galbois doivent intervenir militairement jusqu’en
juillet 1838 contre les Zouagha, Harakta, Hanencha et Ameur Cheraga, procédant
en même temps aux premières reconnaissances dans ces régions, dont
la partie la plus montagneuse, désormais dénommée « Kabylie » par les
Français, leur échappe encore. Le « pays kabile insoumis » est difficilement
accessible. Mais l’accès par la mer à la Kabylie des Babors est réalisé avec
l’occupation de Jijel (rebaptisé Djidjelli) le 13 mai 1839, après avoir déjà
conquis le petit port de Rusicada (Skikda) le 8 octobre 1838.
La région des hautes plaines de Sétif n’est quant à elle reconnue qu’en
mai 1838, préparant l’expédition dite « des Portes de Fer ».
146 Atlas historique de l’algérie
Avec la fin du beylik d’Ahmed Bey à l’est, l’émir Abd el Kader se retrouve
seul face aux Français. Il doit administrer son émirat, avec plusieurs dissidences
dans la région des Hauts Plateaux. C’est la confrérie d’Aïn Madhi qui
lui refuse le titre de commandeur des croyants. Les cheikhs de la Tidjaniya
de Aïn Madhi, école confrérique concurrente, résistent à l’émir, qui assiège la
zaouïa en juin 1838. Le cheikh Tidjani se retire à Laghouat. L’influence de
l’émir s’exerce bien au-delà du territoire délimité par le traité de la Tafna. De
nombreuses tribus du centre lui ont prêté allégeance et reconnaissent son
autorité dans le Hodna, le M’Zab, le djebel Amour et une partie du Sahara.
De même, certaines régions du nord comme la Medjana (famille Mokrani), du
sud de Béjaïa et une partie de la Kabylie (sud de Dellys) sont informés de son
l’autorité de sa personnalité.
Or le territoire de la région de Hamza (Bouira) se trouve contesté entre le
territoire « français » et l’émir. Les tribus de la Medjana, qui commandent les
Bibans, ou « Portes de Fer », ayant reconnu Abd el Kader, avec Abdesselem
el Mokrani, l’émir considère cette région comme vassale. Si le roi de France
(Louis-Philippe) ne souhaite pas reprendre la guerre contre l’émir, il autorise
cependant une expédition pour reconnaître les communications entre
Constantine et Alger.
L’ EXPÉDITION DES PORTES
DE FER, OCTOBRE 1839
Afin de conférer un caractère prestigieux à cette expédition, le propre fils
du roi, le duc d’Orléans, y participe. Pourtant, les régions concernées par
l’expédition ne sont pas faciles à traverser pendant l’automne algérien. L’itinéraire
de Constantine à Sétif, première partie de l’expédition des Portes de Fer,
avait déjà été reconnu par une colonne française en 1838, qui y avait rencontré
de grandes difficultés, les pluies d’automne et le paysage très accidenté
constituant autant d’obstacles naturels. La région de Ferdjioua est cependant
sous l’autorité de Bou Akkaz, le khalifa nommé par Valée, pour administrer
les tribus locales. Son pouvoir s’étend sur une région fertile entre les monts
du Zouagha et les hautes plaines des Abdenour au sud. La colonne française
bénéficie des services de goums et de troupes de cavaliers indigènes, qui
accompagnent l’expédition aussi loin que nécessaire, et relayée ensuite par
les hommes d’Ahmed el Mokrani, cousin d’Abdessele, à partir de Sétif. Avant
d’atteindre l’ancienne Sitifis, la colonne française doit passer par Djemila,
où les reconnaissances précédentes (Galbois en 1838) avaient été quasiment
assiégées par les tribus montagnardes des environs. Une garnison laissée
sur place avait dû évacuer la place sécurisée par Bou Akkaz.
Djemila avait été gardée comme point d’appui le long de l’itinéraire Mila-
Sétif de par son site antique entourée de ravins, avec les ruines de Cuicul
comme abri. À partir de l’expédition des Portes de Fer, à laquelle se sont
joints plusieurs peintres et autres hommes de science, tous les sites antiques
sont soigneusement répertoriés et dessinés. C’est à ce moment-là que le duc
d’Orléans envisagea de faire transporter l’arc de triomphe romain de Djemila
vers la France. Adolphe Delamare, capitaine d’artillerie accompagnant l’expédition,
procéda quant à lui au dessin systématique de toutes les ruines
antiques ou médiévales retrouvées dans la province de Constantine.
Après avoir traversé l’oued Deheb, l’Ampsaga antique, la colonne expéditionnaire
s’installe à Sétif, déjà occupée par une petite troupe. C’est à la suite
de la reconnaissance Galbois qu’avait été installée une petite force francoalgérienne
à l’intérieur de l’enceinte antique de Sétif. Les tribus du nord
avaient attaqué la colonne sur la route de Sétif. Galbois avait décidé de maintenir
une force à Sétif, position qu’il jugea alors particulièrement stratégique.
La situation de Sétif, dominant les Hautes Plaines, et au seuil des premières
148 Atlas historique de l’algérie
montagnes de l’Atlas tellien, permet d’observer d’assez loin tous les mouvements
aux alentours sauf ceux du nord, plus difficiles à déceler. En outre, la
cité antique, dont l’enceinte est demeurée en assez bon état de conservation,
permet une défense efficace, d’autant plus que la ville est pourvue d’importantes
sources naturelles.
C’est à Sétif que fut représentée une première rencontre formelle entre
les Français et leurs alliés locaux, qui eut lieu vraisemblablement en mai
1839. Le tableau de Dauzats, improprement intitulé La Bataille de Sétif, illustre
cet événement. Il s’agit plutôt de la rencontre avec les chefs indigènes
nommés par le commandement français, avec, dans l’arrière-plan, la citadelle
de Sétif occupée par la force indigène d’origine ottomane.
Le rôle d’Ahmed el Mokrani apparaît à ce moment-là capital. Il représente
la région de la Medjana et des Bibans, qui commandent le passage stratégique
vers la région d’Alger. Bien qu’il ait rompu avec son cousin, allié de
l’émir Abd el Kader, il est encore à la tête d’une troupe de cavaliers et connaît
assurément le territoire restant à parcourir jusqu’aux Portes de Fer. Les
tribus de la région des Hautes Plaines au sud de Sétif se trouvent assez
divisées quant à l’adhésion à l’une des deux forces antagonistes. Certaines
ont cependant reconnu Abdesselem, qui de fait, se pose en résistant contre
les Français. Les tribus des monts du Hodna avaient fait le choix de l’émir
Abd el Kader avec Abdesselem el Mokrani comme représentant local, exerçant
une pression supplémentaire sur la garnison française de Sétif. Au commencement
de la conquête, certaines tribus du sud de Sétif avaient été
réprimées par Ahmed Bey, qui s’était efforcé de renforcer son beylik avec des
caïds, liés à sa famille (parmi les Righa). Cette complexité des allégeances
tribales allait faire le jeu de la stratégie française et faciliter le ralliement des
chefs et autres caïds mécontents.
Après le renforcement militaire à Sétif, la colonne française, en s’engageant
à l’ouest, se trouvera harcelée par la cavalerie d’Abdesselem. Elle n’en
continuera pas moins de poursuivre son itinéraire à travers les terres des
Beni Abbes. C’est à Bordj Bou Arreridj, dans la plaine de la Medjana, que
s’établit une garnison française appuyée par des éléments alliés. Les Français
se contentent de prendre position le long de l’ancien itinéraire turc,
depuis leur départ de Constantine, remplaçant les garnisons ottomanes
démantelées.
L’expédition atteint enfin le défilé des gorges des Bibans, si étroites que le
passage s’effectue très progressivement. Cet épisode historique fut immortalisé
par Adrien Dauzats dans plusieurs de ses tableaux. Il s’agit là d’illustrer
un événement à caractère royal avec la présence du duc d’Orléans. C’est
d’ailleurs principalement au musée des beaux-arts d’Orléans et au château
de Versailles que seront conservées ces toiles, classées dans le thème de
l’orientalisme, très en vogue à cette époque.
Ayant saisi l’opportunité de reconnaître l’autorité française, Ahmed el Mokrani,
en appuyant l’expédition des Portes de Fer, s’imposant définitivement dans la
Medjana, ralliant ainsi le reste du clan familial. Les Beni Abbes, en contrôlant le
défilé des Bibans depuis le XVII e siècle, en avaient disposé adroitement pour leurs
intérêts. L’armée du dey elle-même, quand elle ne faisait pas campagne contre
eux, devait baisser ses drapeaux lorsqu’elle traversait ces Portes de Fer. Celles-ci
L’expédition des Portes de Fer 149
ne cesseront de s’élargir (pour
disparaître quasi complètement
depuis la construction de la
récente autoroute en 2014). Une
fois l’étroite gorge franchie,
l’armée royale rejoignit Hamza,
ancien camp ottoman, sur le
site de Bouira. Cette région se
trouve contestée par l’émir,
dont le domaine s’étend théoriquement
jusqu’à l’oued Keddara.
Les massifs kabyles
échappant à l’émir, son
influence pénétrait cependant
la région entre Sour el
Ghozlane et Bir Ghabalou. En
traversant la région jusqu’à la
Mitidja, la colonne française ne
rencontre portant aucune hostilité.
Mais cette action surprise
de la France sera perçue
comme un casus belli par
l’émir, qui motive son entrée en
guerre dans un courrier
adressé à Valée le 3 novembre
1839, le lendemain de l’arrivée
de la colonne à Alger.
Le Passage des Portes de Fer, par Dauzat, 1839.
LA DEUXIÈME GUERRE CONTRE
L’ ÉMIR ABD EL KADER
Appuyé par les tribus hadjout et kabyles, l’émir attaque la Mitidja dès le
18 novembre 1839. Toutes les positions françaises sont assiégées, les cavaliers
de l’émir atteignant même les abords d’Alger au niveau du jardin d’essai.
Tous les villages et postes français du Sahel et de la Mitidja sont alors évacués,
tandis que l’armée de Valée prépare la riposte pendant l’hiver 1839-
1840. À partir de mars, les Français lancent une offensive sur Cherchell et sa
région, et Médéa est réoccupée en mai. Partisan de l’occupation totale du
pays, le maréchal Bugeaud prépare ses campagnes avec le souci de la mobilité
des troupes contre un ennemi qui mène une guérilla contre les positions
françaises. La première grande campagne de Bugeaud commence en mai
1841, après son débarquement à Mostaganem.
S’appuyant sur un réseau de places fortes et sur les nombreuses tribus
alliées de gré ou de force, l’armée de l’émir Abd el Kader ne peut cependant
résister à la tactique de Bugeaud. Ce dernier dispose d’une armée nombreuse,
bien entraînée et accompagnée de plusieurs corps indigènes, composés
de redoutables guerriers. Le corps des zouaves (issus du recrutement
chez les Zouaoua du Djurdjura) fut la première troupe locale, créée en 1831,
qui se composera ensuite d’Européens (engagés parisiens notamment) et
d’indigènes. Les bataillons de la Légion étrangère, constitués exclusivement
d’étrangers, sont créés la même année à Alger puis basés à Sidi bel Abbes.
Après avoir utilisé des forces auxiliaires de kouloughlis à Oran, Bône et
Constantine, un nouveau corps de tirailleurs exclusivement composé d’indigènes,
aussi appelés « turcos » est formé à partir de 1841. Une cavalerie
indigène, les spahis (du persan sipahi, « cavalier »), est créée en 1842. Leur
rôle consistait à protéger les abords des nouvelles villes coloniales. Ces Algériens
constituent une force d’élite pendant les campagnes militaires contre
l’émir et les régions insoumises. En outre, des goums issus des tribus hostiles
à l’émir fourniront un appoint pour l’armée française.
Les colonnes de Bugeaud et Baraguey d’Hilliers pénètrent au travers du
massif de l’Ouarsenis, en se dirigeant directement vers les places fortes de
l’émir Abd el Kader. Bugeaud atteint rapidement Tagdempt le 25 mai puis Mascara
le 30. La prise de ces deux principales villes contraint l’émir à déplacer sa
152 Atlas historique de l’algérie
smala, ou capitale nomade, le long des hauts plateaux. Toutes les tribus alliées
à l’émir subissent des attaques ou razzias des forces françaises. Bugeaud veut
contraindre par la force toutes les tribus tentées de soutenir l’émir. Avec l’occupation
de Boghari (Ksar el Boukhari) et Taza, l’armée procède à l’encerclement
progressif de l’Ouarsenis, massif très boisé (importantes forêts de cèdres
notamment à Theniet el Had) et peuplé de nombreuses tribus, le plus souvent
berbérophones. Cette région ayant offert un asile aux forces de l’émir, elle subit
les premières razzias des Français, qui attaquent à partir de Miliana et Médéa,
emplacement des deux premiers camps militaires du centre de l’Algérie (nom
remplaçant désormais officiellement celui des anciennes possessions françaises
d’Afrique depuis le 14 octobre 1839).
Éloigné de ses villes du Tell, l’émir constitue cependant encore une menace
pour la stabilité des nouvelles conquêtes. De même, les nombreuses tribus
montagnardes n’ont pas désarmé face à la présence française. Ayant occupé
les villes de l’émir, les colonnes françaises regagnent leurs positions initiales,
Cherchell et Mostaganem. Les nouveaux camps militaires ont principalement
été installés dans les plaines au sud d’Oran, comme à Sidi bel Abbes mais les
régions du Dahra et de l’Ouarsenis restent indépendantes de fait. Ces régions
ont la particularité d’abriter un nombre important de marabouts, dont les
reliques d’un homme pieux qualifié de saint, autour duquel des cérémonies
voire des pèlerinages (ziyara) avaient lieu régulièrement. Les confréries comme
celle de la Derqaoua y jouent un rôle très important et, par leur audience auprès
des populations, ont la capacité d’appeler à la guerre sainte.
Bugeaud lance une nouvelle campagne au printemps 1842 pour soumettre
définitivement ces montagnes rebelles. Mais auparavant, il réoccupe Tlemcen
en février 1842 et entreprend d’écarter les menaces au sud de la ville, où les
forces de l’émir se tiennent à l’affût. C’est ainsi que Sebdou, située en bordure
d’une région montagneuse et boisée, est détruite le 9 février. Les colonnes
françaises achèvent ensuite la conquête autour de Tlemcen en attaquant les
tribus entre Nedroma et la Tafna. La région du djebel Trara, à la limite du
royaume marocain, est soumise, achevant la pacification des territoires de
Tlemcen, Oran et Mascara. C’est au nord de l’oued Chélif, que la partie
majeure de la campagne française de 1842 se déroule, avec un caractère
extrêmement répressif.
Le 18 mai, le massif du Dahra se trouve encerclé par deux armées françaises,
celle de Bugeaud à l’ouest et Changarnier à l’est. Avec ses 7 000 soldats
et 2 000 auxiliaires indigènes, Bugeaud pénètre au cœur du massif pour
écraser les irréductibles tribus Sbeah et Beni Zeroual tandis que les soldats
de Saint-Arnaud dévastent la région entre Miliana et Cherchell. Les tribus
Beni Menacer, Sindgès, Braz, Beni Nalasseur subissent massacres, pillages,
viols… S’étant réfugiés dans les grottes, les Beni Zeroual sont exterminés sur
ordre de Changarnier, qui les fait asphyxier en enfumant les issues.
En septembre 1842, l’émir tente de reprendre pied dans la région du bas
Chélif, dont les tribus s’étaient ralliées à Bugeaud. Ce dernier riposte à partir
de l’hiver 1842, en menant campagne contre les tribus de l’Ouarsenis. Mais
le champ d’action des colonnes françaises se trouve limité par l’absence de
postes militaires au nord du massif. Est ainsi créé le poste stratégique d’El
Asnam en 1843 (rebaptisé Orléansville en mai à la suite du décès du prince
d’Orléans) sur la route Oran-Alger afin de contrôler la vallée du Chélif et
La deuxième guerre contre l’émir Abd el Kader 153
constituer la base de départ des expéditions militaires dans les massifs du
Dahra et de l’Ouarsenis, dont le sud voit la création des postes de Tiaret,
Theniet el Had et Boghar. Toute la ligne des hautes plaines et plateaux se
trouve sous le contrôle des forces françaises en 1843. Mais Bugeaud a bien
l’intention d’en finir avec l’émir, dont la smala lui échappe encore. Constituée
de 30 000 personnes, cette « ville volante » est composée de nombreuses
tribus alliées de gré ou de force, constituant autant de cercles relationnels
autour de la famille d’Abd el Kader. Les forces les plus fidèles forment le
cœur de l’armée de l’émir, notamment la cavalerie des Hachem de Mascara,
encadrant toute une administration fiscale et religieuse, avec la masse des
femmes et enfants de la famille. Malgré cette charge nombreuse à protéger
et à nourrir, l’émir a su déplacer sa smala au gré des menaces des colonnes
françaises, qui s’efforcent de la retrouver dans l’immensité des Hauts Plateaux.
Une chasse à la smala est organisée par Bugeaud à partir des postes
de Boghar et Tiaret. C’est finalement le 14 mai 1843 à Taguin, que la smala
sera surprise par la cavalerie française, appuyée par des tribus locales avides
de butin. Mais l’émir, qui faisait campagne plus à l’ouest, leur échappe encore,
et trouve finalement refuge dans la région d’Oujda, au Maroc voisin. Bénéficiant
de la bienveillance du sultan chérifien, l’émir pense ouvrir un nouveau
front dans une région où il est apprécié par les tribus. La France presse le
sultan de cesser de soutenir l’émir. Bugeaud décide d’intervenir directement
en territoire marocain, alors que l’émir mène des raids dans la région du
Trara. Pénétrant dans la région d’Oujda, Bugeaud se retrouve à combattre
l’armée de Si Mohammed, le fils du sultan venu défendre le royaume. Défait
à la bataille de l’Isly (oued Isly) par Bugeaud, le sultan décide d’éloigner Abd
el Kader hors du royaume. Une convention dite de Lalla Maghnia est signée
le 18 mars 1845 entre le sultan chérifien et la France, fixant les nouvelles
frontières jusqu’aux ksour de Figuig attribués au Maroc.
L’émir reprend cependant ses raids dans la région du djebel Trara et au-delà,
notamment dans la vallée de la Tafna, où les troupes de Montagnac sont anéanties
le 24 septembre 1845. Cette bataille de Sidi Brahim et l’appel au djihad de
Bou Ma’za dans le Dahra conduisent au rappel de Bugeaud et à la préparation
d’une nouvelle campagne tout aussi dévastatrice que les précédentes.
Sans aucune stratégie d’action commune avec Abd el Kader ou les Kabyles du
bas Sebaou, Bou Ma’za entreprend d’attaquer directement Mostaganem. L’action
des colonnes françaises est impitoyable contre les tribus insurgées. Les généraux
Pélissier et Cavaignac font massacrer les populations Sbeah et Ouled Riah
réfugiées dans les grottes, les Beni Snouss subissant un sort analogue.
L’émir Abd el Kader et ses derniers fidèles s’étaient repliés dans la région
semi-désertique de Figuig. Il était désormais devenu persona non grata pour le
souverain marocain, sur lequel la pression française ne s’était pas relâchée. En
1847, l’émir trouve refuge auprès des tribus du Rif, dans la région de Taza, mais,
harcelé par les forces chérifiennes, il ne peut plus s’y maintenir, ses alliés
marocains se trouvant eux-mêmes exposés. L’émir finit donc par négocier sa
reddition avec le général de Lamoricière. Le reste de ses hommes et sa famille
se livrent à Djemaa el Ghazaouet, avant de prendre le chemin de l’exil, non vers
l’Orient comme convenu initialement, mais en direction de Toulon, comme
captifs.
LES EXILS DE L’ ÉMIR
ABD EL KADER
ébarqué à Toulon avec sa toute sa famille, l’émir se retrouve emprisonné
environ un mois à fort Lamalgue, avant d’être transféré au
D château de Pau en février 1848. Avec l’arrivée au pouvoir de l’empereur
Napoléon III, dont la politique algérienne se veut tournée vers les indigènes
(le projet de « royaume arabe »), la famille de l’émir bénéficie d’un
traitement plus digne, avec son hébergement au château d’Amboise, non loin
de Paris, où il sera invité par l’empereur et d’autres milieux éclairés, rencontres
immortalisées par plusieurs peintures.
Ayant regagné sa liberté, l’émir Abd el Kader n’a pas abandonné son projet
initial de partir pour l’Orient. L’Empire ottoman n’ayant toujours pas reconnu
l’Algérie comme territoire français, mais comme un beylik occupé, Paris avait
longtemps refusé tout départ de l’émir vers l’Empire ottoman. Comme les
militaires d’Alger, tout déplacement des Algériens vers l’Orient musulman
était susceptible de favoriser l’appel à la résistance contre la présence française
en Algérie ou bien de créer des troubles à la frontière tunisienne.
La requête de l’émir déchu finit par être accordée et c’est en 1852 qu’il se
rend à Bursa (Brousse), puis à Damas en 1855, une des cités symboles de la
résistance aux croisés. L’intervention de l’émir en faveur des chrétiens, menacés
du massacre par les Druzes, une des minorités religieuses du pays, augmenta
le prestige du cheikh algérien dans la région du Cham. L’émir se rendit
une nouvelle fois au pèlerinage dans les lieux saints de l’islam, qu’il avait
découverts la première fois à 17 ans, en accompagnant son père. C’est autour
de la famille de l’émir que se développa une communauté algérienne en exil
dans le pays du Cham et dans toute la région, terre qui allait accueillir encore
de nombreux exilés (muhajiruns) pendant la période coloniale.
LA CONQUÊTE DU BEYLIK
DE L’EST
Avec la nomination de plusieurs khalifats autour de Constantine, le commandement
français prépare la conquête de l’ancien beylik avec l’appui de
goums indigènes. Les régions au sud de la province ne sont pas d’un accès
aisé, avec le massif des Aurès, du Belezma et du Hodna, autant d’obstacles
naturels peuplés de tribus berbères. En 1844, le duc d’Aumale commande
une expédition jusqu’à Biskra et occupe les oasis des Ziban.
Dans les montagnes et hautes plaines de l’est, les chefs militaires français
entendent bien jouer sur la rivalité entre certaines grandes tribus, comme
entre les Nememcha et les Hanencha. C’est à partir des années 1844-1846
que les premières colonnes françaises s’avancent à travers les hautes plaines
d’Aïn Beïda, en direction de Tébessa, ainsi que le long de la vallée entre le
Belezma et les Aurès. Plusieurs camps sont établis comme Batna. Canrobert
se charge de parcourir l’ouest du Belezma, puis se dirige vers la région du
Hodna qui avait rallié l’émir Abd el Kader. Ses colonnes attaquent à l’intérieur
du massif des Aurès en janvier 1850, sans rencontrer de résistance organisée,
sauf dans la vallée de l’oued Abdi, où des tribus sont durement frappées.
Le colonel Daumas entreprend quant à lui une expédition en direction de
l’oasis de Bou Saada, dans la région des Ouled Naïl, qui avaient précédemment
reconnu l’autorité de l’émir. Plus au nord, les tribus des monts du Hodna
subissent plusieurs campagnes à partir du camp de Sétif. L’armée française
s’emploie à soumettre successivement les tribus qui sont contraintes à verser
un impôt, voire à participer à certaines campagnes, reprenant une stratégie
utilisée par les beys pendant la domination ottomane.
Bou Ziane, chef religieux des Ziban, déclenche un mouvement de rébellion
à l’encontre de l’administration militaire française, qui procédait à la levée d’un
impôt sur les palmiers. En tentant de l’arrêter le 17 juillet 1849, l’armée provoque
une insurrection de toute la région des Ziban, jusqu’aux Aurès. Attendant
la fin de l’été, le général Herbillon mobilise alors une armée de 4 000 soldats
pour réduire l’oasis de Zaatcha, fief de la résistance. La première attaque du
20 octobre est un échec, car l’armée s’est heurtée à de solides fortifications
dans le dédale de la palmeraie. Le 28 octobre, ce sont trois colonnes qui encerclent
le ksar de Zaatcha. La bataille est extrêmement violente, avec 150 soldats
français ou alliés tués ou blessés. La population (estimée à 800 personnes) est
quant à elle entièrement massacrée, et la palmeraie rasée.
ORGANISATION ADMINISTRATIVE
DE L’ALGÉRIE EN 1845
Les autorités militaires françaises reprennent globalement le découpage
régional de la régence en instituant trois provinces (ordonnance royale du
15 avril 1845) : Oran, Alger et Constantine, elles-mêmes divisées en trois
types de territoire. Le premier est de caractère civil, regroupant tous les territoires
des villes occupées par les Français avec leurs faubourgs, où vit une
population européenne relativement importante. C’est le cas de toutes les
villes du littoral et des grandes villes de l’intérieur sauf pour certaines, qui
dépendent d’une administration mixte, du fait d’une population indigène
conséquente et vivant dans sa banlieue immédiate, comme à Constantine,
Sétif, Jijel, Bougie, Dellys, Médéa, Miliana, Mascara et Orléansville.
Mais la majeure partie de l’Algérie consiste en un territoire sous juridiction
militaire, où vit une population exclusivement indigène. Cette dernière catégorie
est également désignée sous le nom de « territoires arabes », en attendant
de préciser une géographie en plein processus d’élaboration depuis Paris
(dans le service géographique de l’armée). En outre, ces territoires sont gérés
localement par des « bureaux arabes », chargés de s’informer sur les tribus,
avec lesquelles ils entretiennent des relations étroites, par le moyen de traducteurs.
Ces bureaux ont pour mission de maintenir la sécurité des postes
militaires et des voies de communication en s’assurant de la stabilité des
tribus, qu’ils répertorient et dont les chefs ou cheikhs sont leurs interlocuteurs
directs. Dans les régions peuplées d’Européens, les bureaux arabes
cherchent à établir le plus souvent un relatif équilibre dans la question des
plans d’extension de la colonisation, d’où l’existence de certaines tensions
avec les milieux civils.
LA COLONISATION EUROPÉENNE
mmédiatement après la conquête d’Alger, des essais de colonisation
I
furent entrepris autour d’Alger, en vue d’établir un système défensif
sur les hauteurs, comme à Kouba, site qui domine la plaine de l’oued
el Harrach. Avant d’attirer les milieux d’affaires européens, l’arrière-pays
d’Alger, que les Français désigneront sous le nom de « Sahel », fut l’objet
d’acquisitions et de spéculations de toute nature pendant une dizaine
d’années de 1832 à 1842. Les terres ayant fait partie du domaine beylik furent
les premières à se trouver rapidement livrées aux Européens.
La plaine de la Mitidja, encore peu sûre, attira tout de même quelques
tentatives d’installation. La première d’entre elles fut la Ferme expérimentale
d’Afrique, qui fut construite au bord même de l’oued el Harrach (site du village
colonial de Maison-Carrée). Mais l’environnement naturel était particulièrement
facteur de maladies pour la population européenne. De nombreuses
162 Atlas historique de l’algérie
victimes européennes succomberont
dans la plaine de la Mitidja,
une terre prometteuse riche en
alluvions, mais entrecoupée de
nombreux marécages.
À partir de 1842 s’organise
véritablement une colonisation
officielle, à l’initiative du maréchal
Bugeaud, promoteur du
« soldat-laboureur ». Sa politique
d’occupation totale de l’Algérie, à
l’issue de la deuxième guerre
contre l’émir Abd el Kader, comprend
la mise en coupe réglée du
Plan de la ferme de Kouba, 1832.
pays utile, et en premier lieu du
domaine beylik, dont l’autorité a échu directement à la France, ainsi que de
toutes les terres des tribus hostiles, notamment celles de la Mitidja et de
la plaine d’Oran. De même, l’arrière-pays bônois et la plaine de la nouvelle
Philippeville (Skikda) sont les premières régions colonisées. Des pionniers
européens s’y établissent, protégés par la proximité immédiate des villes de
garnison françaises. Ces premiers colons n’accèdent cependant que difficilement
à la réussite espérée ou garantie par les agents commerciaux qui
sillonnent l’Europe occidentale pour recruter des candidats à l’émigration
outre-mer. Dans ces années 1840, les flux de migrants européens choisissent
principalement les Amériques.
Dans la région d’Alger, c’est le Sahel (arrière-pays d’Alger) qui intéresse
principalement les Européens. À partir de 1841, les villages de Draria,
El Achour, Saoula, Chéragas et Aïn Benian sont construits sur des terres en
général retirées du domaine beylikal. Avec la fondation de ces villages de
colonisation dans la Mitidja, comme à Fondouk (1843), Souma (1845), Chiffa
et Mouzaïa en 1846, une nouvelle étape est franchie, bien qu’encore hésitante.
Car la mortalité reste élevée dans la Mitidja, où
sévit le paludisme et autres maladies favorisées
par la stagnation des eaux. La nouvelle province
d’Oran attire quant à elle de nombreuses nationalités
(Allemands, Espagnols…) dans les premiers villages
proches d’Oran, Arzew et Mostaganem. Les
projets d’extension de la colonisation se développent
très rapidement à partir des années 1848,
avec l’organisation de nombreux départs depuis la
France.
En 1847, 110 000 Européens vivent déjà en Algérie,
dont moins de 50 000 Français. Les territoires
civils voient leur population européenne augmenter
sensiblement, notamment avec l’arrivée d’ouvriers
parisiens invités à quitter la France, suite aux
troubles de juin 1848. La répression de l’insurrection
populaire à Paris par Cavaignac (qui avait également
écrasé les tribus du Dahra) a provoqué Affiche datant de 1848.
la
La colonisation européenne 163
déportation de centaines de prisonniers
vers le pénitencier de Lambèse ainsi que la
mise à disposition de terres quasi gratuites
pour 12 000 ouvriers parisiens, dans le
cadre de mesures d’éloignement des militants
et personnes considérées comme
agitateurs.
C’est sur fond de crise économique en
France que Napoléon III arrive au pouvoir.
Favorable aux milieux financiers et industriels,
il développe une forme encore plus
étendue de colonisation en Algérie, rattachée
administrativement à la France
depuis la chute de Louis-Philippe et la
Plan du centre d’Ain Taftikia.
naissance de la III e République. C’est avec
la participation de grandes sociétés dites capitalistes, françaises et étrangères,
que l’empereur compte relancer la colonisation officielle. À partir des
années 1850, ces grandes sociétés bénéficient de l’appui de Paris pour engager
des projets ambitieux de colonisation, principalement dans les régions
d’Arzew-Mostaganem et de Sétif.
Parmi elles, la Compagnie genevoise de Sétif, qui est issue de capitaux
suisses, dispose en 1853 de 20 000 hectares dans la région des riches plaines
céréalières de Sétif, afin d’y installer des colons suisses ou savoyards. Censée
contribuer au développement du peuplement européen, la société ne parviendra
cependant pas à remplir ses fermes, qui seront essentiellement louées à
des paysans indigènes.
La Société de l’Habra et de la Macta, nom associé aux marais et rivières
de la région au sud-est d’Arzew, sera créée en 1864, toujours à l’initiative de
capitaux privés. Son programme
colonial reposait
sur un plan de développement
d’une région à assécher
en construisant un
barrage et tout un réseau
d’irrigation. Les 24 100 hectares
dont cette société a
disposé n’ont pas attiré de
colons européens, qui ont
laissé ces terres aux indigènes.
En 1868, la Société
générale algérienne (devenue
Compagnie algérienne
Église Saint-Arnaud.
en 1878) obtient quant à elle 100 000 hectares pour développer la colonisation
dans les trois départements algériens, surtout dans le Constantinois, où elle
enlève 89 500 hectares. Elle conquiert plus de 6 000 hectares autour de
Médéa, Miliana et Orléansville, 4 500 hectares vers Tlemcen et Relizane. Elle
aura créé 5 villages et 20 fermes en 1878 et planté 90 000 arbres dont
70 000 eucalyptus.
164 Atlas historique de l’algérie
À partir de 1863, les terres consacrées à la colonisation officielle ont vu
leur patrimoine augmenter, suite à la mise en place d’un processus administratif
complexe voulu par Napoléon III : le sénatus-consulte sur la propriété
indigène. L’empereur avait émis la préoccupation que l’on protège les terres
indigènes en délimitant les territoires respectifs de chaque tribu. Dans le
même temps, toutes les terres en surplus du découpage seraient allouées au
bénéfice de la colonisation officielle. Le processus de délimitation des territoires
de tribus en douars permit de dégager plus d’un million d’hectares. Les
tribus se sont progressivement retrouvées encadrées dans un espace géographique
délimité, le plus souvent de manière aléatoire, car reposant sur des
questions de commodité administrative. Pourtant, l’esprit qui gouverna cette
mesure du sénatus-consulte était assez clair, déclarant que : les tribus sont
propriétaires des terres dont elles ont jouissance permanente et traditionnelle.
En fait, cette nouvelle étape dans le processus de privatisation des terres
indigènes (d’abord collectivement) faisait suite à tout un arsenal juridique
(D. Sari) utilisé dès les premières années de la conquête. Après les premières
confiscations du domaine ottoman, ce furent les biens habous, ou biens des
fondations pieuses (dont faisait
partie le patrimoine légué aux
deux saintes mosquées de
Médine et La Mecque) qui furent
traités comme prises de guerre.
Bugeaud, dans sa guerre de
conquête, avait créé le séquestre
collectif pour frapper les terres
jugées trop mobiles pour être
irréprochables. Amendes collectives
et séquestration de terres
frappaient toutes les tribus qui
avaient résisté par les armes.
Centre de Sétif, carte postale.
Quant à l’expropriation légale, elle
consistait à éloigner des grandes villes certaines populations indigènes dont
les terres gênaient l’agrandissement. Ainsi, nombreuses d’entres elles furent
contraintes à se déplacer vers d’autres terres données par l’administration à
titre de compensation. Ce processus d’acquisition provoquait une dispersion
complexe de ces populations. C’est ainsi que l’on peut comprendre comment
la colonisation a pu disposer d’autant de terres pour son développement. La
guerre de conquête et l’entrée dans une forme d’économie capitaliste étaient
la cause principale des acquisitions foncières coloniales. Mais les conséquences
de l’insurrection de 1871 et la mise sous séquestre de 2 639 600 hectares
de terres indigènes provoquèrent une catastrophe économique pour les
populations impactées et une aubaine pour la colonisation. Dans certaines
régions où dominait la culture céréalière, les propriétaires européens ne disposaient
pas de ressources toujours garanties. L’augmentation substantielle de
terres restait donc le mode d’acquisition le plus pratique pour accroître leurs
revenus. Quant à la masse de la population indigène, comme dans d’autres
sociétés rurales, elle subissait une précarité alimentaire, aggravée par les
sécheresses et les cycles révoltes-répression.
La colonisation européenne 165
Les mesures de répression économique qui dépossédèrent des milliers
d’Algériens provoquèrent d’importants déplacements de population. Ainsi, des
tribus de la riche Medjana se trouveront déplacées vers le Hodna. Le nouveau
gouvernement républicain décida de réserver une partie des terres confisquées
au profit d’émigrants alsaciens-lorrains. 3 000 d’entre eux débarquèrent
en 1873. Ils s’installèrent dans les 7 000 hectares pris sur les tribus
autour de Tizi Ouzou, où plusieurs villages furent créés, dont Haussonvilliers
(Naciria) et Camp-du-Maréchal (Tadmaït). Ailleurs, les nouveaux villages de
colonisation d’Oued Fodda, Strasbourg, Rouffach, La Robertsau les
accueillirent. Les colons profitèrent de la nouvelle politique de Gueydon pour
réclamer la fin de la propriété indigène. Il s’agissait de mettre sur le marché
des terres à caractère collectif jusqu’alors inaliénables. En 1873, la loi Warnier
donna rapidement satisfaction aux colons. Elle permit de placer toutes
les terres indigènes sous la législation française, en mettant fin à l’indivis.
309 891 hectares (biens d’origine beylik ou vacants) furent saisis par les
domaines.
De 1871 à 1881, la colonisation prend un essor considérable. 197 centres
sont créés entre 1871 et 1878, notamment dans les régions de la vallée du
Chélif, autour de Mascara et Sidi bel Abbes, ainsi que dans la région de Médéa
et Aumale (Sour el Ghozlane). Dans le Constantinois, le nord de Sétif est
colonisé sur les terres confisquées en 1871, comme autour de Batna.
Dans les années 1880, la colonisation commence à saturer. Pourtant, des
projets d’expropriations massives sont encore proposés au gouvernement.
Des concessions gratuites de 30 000 hectares sont offertes entre 1885 et 1886
dans le Constantinois, tandis que d’importantes terres des domaines sont
vendues aux enchères. Des régions, jusque-là très peu colonisées comme la
Kabylie, accueillent de nouvelles implantations, de même dans les zones propices
au vignoble et sur les coteaux du massif du Zaccar et de l’Ouarsenis
ainsi que la plaine d’Arib (Vialar, actuel Tissemsilt).
Mais la colonisation officielle s’essouffle dans les années 1882-1901. Les
années 1883 voient s’accentuer la pression sur les populations forestières,
soupçonnées de provoquer des incendies. Amendes et séquestre collectif ne
cessent de les frapper à la suite des nombreux incendies de 1881 et jusqu’à
la mise en place du code forestier en 1885, limitant encore davantage l’accès
des populations indigènes aux forêts. Quelques villages sont encore fondés
dans la vallée de la Mina, sur la plaine littorale d’Oran et le plateau de Sidi
bel Abbes. Les zones montagneuses sont habitées par des colons dans le
Dahra et le massif côtier de Bône. Les derniers villages sont fondés dans les
années 1891-1900 sous l’administration Trézel dans le djebel Amour et à la
frontière marocaine (Turenne). Les ressources au sud des hautes plaines sétifiennes
permettent de fonder Colbert (Aïn Oulmene) et Ampère (Aïn Azel),
tandis qu’au sud de l’Atlas central étaient créés Bourbaki (Khemisti) et
Letourneux.
À partir de ces années, les indigènes commencent à racheter des terres
aux colons, notamment dans le Constantinois, sur fond de décroissance de
la colonisation européenne. En outre, on assiste à la concentration de la propriété,
grâce au développement des cultures intensives liées à l’exportation
comme le vignoble et les agrumes.
ALGER TRANSFORMÉE
PAR LA COLONISATION
Rattachée depuis 1529 aux îlots du Peñón espagnol qui la contraint à payer
un tribut jusqu’à l’arrivée de Khayr al Din, la ville d’el Djazaïr (Alger ottoman)
a depuis résisté à de nombreuses attaques européennes, protégée par un site
naturel exceptionnel. Avec sa forme triangulaire, la ville « turque » s’étend sur
le site médiéval de Djazaïr Beni Mezrana, lui-même dissimulant l’antique Icosium.
Descendant graduellement sur la mer, le site d’el Djazaïr formait une
sorte d’escalier très densément construit. Dominant la ville et ses alentours,
la forteresse principale, la casbah, ferme l’angle ouest de la muraille triangulaire,
elle-même entourée de plusieurs grands forts.
Ces bordjs (fortins) de Bab Azzoun au sud et Ezzoubia et Fort des 24 heures
au nord ont été la cible constante des attaques maritimes européennes contre
Alger depuis le XVI e siècle. Quant au fort du Sultan Kalasi à l’ouest (Fort
l’Empereur), sa chute a précédé la reddition de la ville et marqué la fin de la
résistance des forts d’Alger, qui ouvrit ses six portes aux Français. Quand le
corps expéditionnaire français s’empare d’Alger le 5 juillet 1830, il entre dans
une cité restée inviolée pendant trois cent douze ans.
De Bourmont a permis à l’armée de se répandre dans la ville sans porter
atteinte aux biens de la population, conformément à la convention du 5 juillet
signée avec le dey Hussein. Mais l’armée de son successeur Clauzel s’empressera
de réquisitionner de nombreux édifices « publics » pour y héberger ses soldats et
entreposer son ravitaillement. Plusieurs zaouïas et mosquées sont occupées, dont
la Masjid el Kebir (Grande Mosquée). De nombreuses résidences privées sont également
accaparées par des officiers français tandis que le commandement
s’installe dans le palais de la Djenina et la casbah, dont le nom a par la suite été
appliqué à toute la ville « indigène ».
La confusion créée par l’entrée des troupes françaises dans Alger a
cependant provoqué la fuite de milliers d’habitants vers l’intérieur du pays
mais aussi hors de la régence, en direction des villes ottomanes d’Orient.
Alger, qui comptait 60 000 habitants en 1830, voit s’exiler la plupart des
grandes familles aisées, suivant le dey et sa cour dans son exil oriental. Pendant
que les hésitations du gouvernement français laissent le sort de la
régence d’Alger en suspens, les militaires continuent de démolir un certain
168 Atlas historique de l’algérie
nombre de constructions ottomanes sous le commandement de Rovigo qui
fait disparaître plusieurs mosquées parmi la centaine que compte la cité.
Avec les gouverneurs Clauzel et Rovigo, les premiers réaménagements de la
ville « turque » sont entrepris pour répondre aux « nécessités » militaires.
À partir d’avril 1831, une place Louis-Philippe remplace le vieux centre de la cité
ottomane. Cette place d’armes est choisie comme point central, dans une ville que
l’armée souhaite contrôler en s’installant sur un site entouré des principaux édifices
précoloniaux (grandes mosquées et palais de la Djenina). L’armée cherche
dans le même temps à libérer des espaces où elle puisse manœuvrer en cas
d’intervention contre des troubles. La ville ottomane restant encore difficilement
pénétrable, des travaux de « percement » de rues à travers la « ville basse » sont
effectués, afin de permettre la circulation entre les portes Bab Azzoun et Bab el
Oued. Après une première confiscation en 1832 pour servir d’église, la mosquée
Ketchaoua transformée en cathédrale. Les nouvelles rues de la Marine, de Bab
Azzoun et de Bab el Oued sont achevées en 1839, convergeant toutes en direction
de la place Louis-Philippe (place du Gouvernement à partir de 1870).
À partir de 1840, les autorités militaires, qui ont désormais pour mission
de conquérir le reste de la régence (la politique « d’occupation totale » l’ayant
emporté), envisagent de nouveaux travaux au-delà des limites de la ville ottomane.
Jusque-là, le génie militaire français s’était contenté de « dégager »
des espaces de circulation. À partir de 1840, une stratégie de contrôle militaire
à long terme se met en place, avec la construction d’une enceinte fortifiée
au-delà des murailles et des fossés de l’époque ottomane. Achevée vers
1845, l’enceinte « bastionnée » s’étend au-delà des faubourgs de Bab el Oued
au nord et de Bab Azzoun au sud. Entretemps, en 1843, un plan d’aménagement
d’Alger est établi, incluant de nouveaux espaces à urbaniser. Ce « plan
directeur » reste cependant limité par la « forte empreinte militaire » de la
ville (CRESTI, F, Université de Catane).
Mais le génie militaire français se trouve confronté aux nombreux obstacles
naturels qui enserrent la ville, limitée par une étroite bande côtière à
l’est. N’excluant pas une opération anglaise contre Alger, le commandement
français fortifie la façade maritime de la ville entre 1840 et 1850, alors qu’une
rue du Rempart est dégagée en 1849, le long de la falaise qui surplombe la
mer de 15 m de haut.
À proximité de l’ancienne porte de Bab Azzoun, une nouvelle place est aménagée
en 1850. C’est la place du square Bresson (Port Saïd), rebaptisée square de la
République après 1870. Avec ses éléments coloniaux (théâtre, grands cafés, cercle
militaire…), cette place se présente comme plus européenne que la place du Gouvernement,
entourée par ses deux mosquées. Ce nouvel espace public déplace un
peu plus vers lui le centre d’attraction de la ville, qui voit affluer les immigrés européens.
Bien que ces derniers soient déjà présents depuis la prise d’Alger, ils ont
surtout été conviés à habiter les premiers villages de colonisation autour de la ville.
Mais l’insécurité et les maladies poussent la population « civile » à s’installer en
ville. L’occupation de la ville ottomane a par ailleurs suscité une « ruée » vers
l’achat d’habitations en ville et dans le Sahel d’Alger, souvent à des prix très attractifs.
Avec la création de nouveaux quartiers « civils », une nouvelle Alger « européenne
» se dessine dans les années 1845, notamment vers la partie sud, de Bab
Azzoun jusqu’aux remparts et sa porte de Constantine. Les cimetières musulmans
qui se trouvaient au-delà des murs de la casbah, au niveau des rampes Rovigo
(rues Patrice-Lumumba et Debbih-Cherif actuelles) furent rasés. Au-delà du fort
Alger transformée par la colonisation 169
de Bab Azzoun, le génie militaire prépare dès 1846 un plan d’aménagement des
quartiers de l’Agha et de Mustapha, dont le développement ira de pair avec l’extension
des espaces portuaires. Le port d’Alger sera étendu jusqu’au quartier de l’Agha
dans les années 1898-1904.
Afin de « gagner » des terrains sur la mer, le plan d’aménagement d’Alger
prévoit en 1848-1849 la construction de nouveaux quais avec des remblais et
terre-pleins pour « remplir » l’espace entre la rue du Rempart et la mer. Des
escaliers et rampes doivent permettre d’accéder aux nouveaux quais tandis
qu’un grand boulevard maritime prend place sur les hauteurs. Construit entre
1860 et 1864, le nouveau « boulevard panoramique » est baptisé boulevard de
l’Impératrice, après la visite de l’empereur Napoléon III à Alger. La structure
qui soutient le boulevard est aménagée en magasins situés sous les voûtes.
C’est une société anglaise dirigée par Morton Peto (construction du palais de
Westminster, statue de Nelson à Trafalgar Square) qui finança les coûteux
travaux, obtenant ainsi la concession des magasins. Les années du gouvernement
de Napoléon III sont marquées par le percement de la rue de la Lyre.
C’est l’époque pendant laquelle le baron Hausmann réaménage Paris, avec
ce souci de rationaliser l’espace urbain, sur fond de développement économique
de la France et d’entente avec le Royaume-Uni.
C’est en direction du fort des Anglais, au-delà de la porte de Bab el Oued,
que les Français réaménagent le bordj Ezzoubia (Fort Neuf) tandis qu’un arsenal
est construit sur le site du bordj Sitti Takelilet (Fort des 24 heures). Traversé
par un grand ravin aux pentes abruptes, ce faubourg de Bab el Oued sera surtout
aménagé à l’extérieur des nouveaux remparts, après la grande esplanade
qui abritait l’arsenal et le lycée Bugeaud (1868), à proximité du jardin Marengo.
À l’ouest de la ville ottomane, un grand quartier militaire est construit sur le site
des écuries du Dey, dominant la ville et la vallée du Frais Vallon. Avec le lancement
des premiers travaux du chemin de fer en 1862 (ligne Alger-Oran), le port
d’Alger continue à s’étendre vers le sud, participant au développement des
quartiers de l’Agha et de Mustapha (inférieur), où les militaires ont déplacé leur
champ de manœuvre et la caserne d’artillerie. Les quartiers relativement plats
de Mustapha inférieur et Belcourt accueillent une petite industrie qui marque
la limite sud de l’urbanisation d’Alger vers 1900. Le faubourg de Bab el Oued
devient quant à lui progressivement un véritable quartier, au-delà duquel le
relief plus tourmenté impose des limites à l’extension d’Alger vers le nord.
Après la Première Guerre mondiale, les espaces à l’ouest de la ville, moins
faciles à aménager, finissent par être agglomérés dans le contexte d’un important
exode rural des populations « indigènes » qui s’installent surtout au sud
d’Alger. Pendant que se dessine la ville coloniale, la vieille casbah est malgré
tout restée un îlot « arabe » dans une Alger européanisée. À partir des
années 1930, les « indigènes » algériens sont bien plus nombreux autour de la
ville, avant que l’indépendance ne leur ouvre les portes du centre européen.
LA CONQUÊTE DES MONTAGNES
DE KABYLIE
Dès le XVII e siècle était apparu sur certaines cartes européennes le nom
de « Kabilie » ou de « Pays des Cabaïles » (notamment la carte des « Pays
des Cabaïles et Salé » de Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville) pour nommer
les territoires correspondant à la chaîne de montagnes du Djurdjura jusqu’à
la presqu’île d’El Qoll, ou englobant les tribus situées entre l’oued Boudouaou
et Rusicada. Mais généralement, seuls les domaines des tribus Kouko et Beni
Abbes figuraient à l’emplacement de la Kabylie actuelle sur les cartes de la
régence ou des États barbaresques du XVI e au XVIII e siècle.
Ce pays des tribus (bilad al qabaïles) est très divers, tant géographiquement
que linguistiquement. Ces territoires regroupent des populations essentiellement
berbérophones, mais aussi arabophones, comme dans les régions
ensuite dénommées pendant la conquête « Petite Kabylie » et « Kabylie de
Collo ». De même, les cités du littoral kabyle, comme Bougie et Jijel se
trouvent différenciées par leur longue influence ottomane et plus généralement
méditerranéenne. Ainsi, le terme de « Kabylie » fut finalement employé
par les généraux français pour désigner l’ensemble des régions montagneuses
peuplées par des tribus regroupées en djemaa, ou assemblées traditionnelles,
et berbérophones pour la plupart avec de nombreuses nuances,
notamment dans les régions de contact, au nord de Sétif, à l’est des monts
Babors et dans la région de Draa el Mizan-Palestro.
Les régions dénommées « Kabylie » se sont trouvées divisées par les
autorités militaires françaises en deux parties distinctes géographiquement :
la Grande Kabylie, correspondant à la chaîne de montagnes du Djurdjura
jusqu’à la mer Méditerranée et limitée par la Soummam à l’est, et la Petite
Kabylie avec les monts Babors. Quant au vocable de « kabyle », transformé
en terme générique, il finit par désigner tout habitant d’Algérie locuteur de la
langue berbère, c’est-à-dire un des nombreux dialectes du tamazight, excluant
cependant les populations du Sahara. Issus des écoles de l’anthropologie
française du début du XX e siècle, les classements des populations dans les
régions explorées de l’Algérie conquise devaient, tout comme dans le reste
de l’Afrique, peser durablement sur les rapports socio-identitaires entre
172 Atlas historique de l’algérie
Algériens et Français, mais également entre populations indigènes ellesmêmes.
Les tribus de ces territoires kabyles avaient entretenu des rapports assez
complexes avec les autorités ottomanes avant la conquête, avec des statuts
très différenciés. Certaines combattaient avec les troupes du dey et avaient
contribué à la résistance en 1830, tandis que d’autres fournissaient des soldats
à l’armée française (Zouaoua). Mais la grande majorité des tribus de
Kabylie vivait assez repliée sur sa région, sinon sur ses crêtes défensives. Les
rapports entre les villages étant loin d’être harmonieux, car une des caractéristiques
décrites par les officiers français à leur sujet était bien l’indépendance
de la tribu et sa propension à utiliser les armes pour défendre ses
intérêts, sinon son honneur. Le pays reste encore « insoumis », au moment
où l’émir Abd el Kader déclenche son attaque sur la Mitidja en 1839. Certaines
tribus, comme celles du Sebaou avaient soutenu l’émir, tandis que dans la
région de Sétif, d’autres tribus menaçaient de couper l’itinéraire français
jusqu’à Mila. Bien que ces tribus n’aient pas toutes déclaré leur alliance avec
l’émir, elles supportaient mal la présence française aux portes de leurs montagnes.
Avec les premières reconnaissances au nord de Sétif en 1842 et 1846, les
généraux français mesuraient les difficultés à venir pour soumettre la région.
Difficile d’accès, les monts des Babors constituaient un obstacle majeur aux
communications avec le littoral. Les nouvelles conditions économiques liées à
la colonisation dans la région des Hautes Plaines (nombreuses terres beyliks
récupérées par les Français) décidèrent les autorités militaires à entreprendre
la construction d’une route sûre jusqu’à Bougie. La route traditionnelle
traversait une région dominée par des tribus décrites comme assez
farouches, suivant un itinéraire dit « des crêtes ». En 1847 et 1849, deux expéditions
importantes furent lancées à travers le Guergour, en relation avec
d’autres colonnes parties de Béjaïa et de Bouira. En 1850, une nouvelle offensive
se heurta à une vive résistance de la part des Beni Himmel. Avec la mort
du général de Barral dans cette campagne militaire, le haut commandement
de l’armée prépara le déploiement de forces considérables pour réduire ces
tribus.
Au-delà de la Mitidja, le général Bugeaud avait entrepris de soumettre les
tribus qui avaient soutenu l’émir pendant la deuxième guerre. Fin 1845, les
tribus Sebaou, du cercle de Dellys, furent attaquées, préparant l’installation
de camps en bordure des massifs de Grande Kabylie. Dellys, Bordj Menaïel et
Bouira formaient la limite des zones sous contrôle français, l’intérieur restant
insoumis. Cependant, avec le soulèvement de Bou Baghla en 1851, les premières
grandes campagnes militaires furent lancées dans le massif du Djurdjura.
Proclamé chérif dans la région, Bou Baghla étendit son mouvement sur
les Guechtoula, les Maatkas, Beni Aïssi et surtout les Flissa. Le commandement
français lança une nouvelle offensive dans la vallée de la Soummam et
détruit quelque 300 villages autour d’Ouzellaguen. Dans la région de Draa el
Mizan, les généraux Bourbaki et Pélissier attaquèrent les Flissa et Maaktas
en août et novembre 1851.
Les généraux Saint-Arnaud et Pélissier pénètrent dans la région des
Babors à partir de l’été 1851. Cette région montagneuse, où le couvert forestier
est très important, n’avait jamais été explorée. Elle abrite des tribus berbérophones
et arabophones ayant été pratiquement indépendantes pendant
La conquête des montagnes de Kabylie 173
la domination ottomane. C’est à partir de Jijel et Mila que les colonnes françaises
avancent au cœur des Zouaghas, qui n’avaient pas reconnu les cheikhs
nommés par la France. Précédemment, seules quelques reconnaissances
avaient été entreprises dans la région en 1848-1849, mais sans s’aventurer
plus loin. La presqu’île d’el Qoll (Collo) est parcourue en 1852, mais la soumission
des tribus locales sera longue et nécessitera encore plusieurs expéditions
militaires.
L’année 1852 correspond à la prise de pouvoir par Napoléon III, et la nomination
du maréchal Randon comme gouverneur de l’Algérie, qui relance le
projet de campagnes militaires de grande ampleur pour conquérir définitivement
les régions de Kabylie. C’est dans la région au nord de Sétif que la
première phase des grandes campagnes se déroule en 1853. Le projet d’une
nouvelle route entre Sétif et Bougie ainsi que la résistance des tribus des
Babors ont rendu inéluctable une grande opération militaire. Les généraux
Mac-Mahon et Bosquet commandent les colonnes qui pénètrent au cœur des
massifs. Les djebels Takintouch, Babors, Tababort, Tamesguida, qui forment
la grande arête de la Kabylie des Babors, sont tous conquis en 1853. Trois
ans plus tard, le poste militaire de Takitount est créé dans le territoire des
Amoucha, pour sécuriser la nouvelle route de Bougie. Achevée seulement en
1878, la route de Sétif à Bougie, qui longe en partie les gorges de l’oued
Agrioun, aura nécessité quinze ans de travaux.
En mai-juin 1854, après la révolte des tribus kabyles contre l’agha du
Sebaou (nommé par les militaires français), la région montagneuse comprise
entre Dellys et Bougie est investie par les colonnes du général Camou. Ce
dernier pousse ensuite jusqu’aux Aït Yahia, aux environs du futur village de
Michelet. À ce moment-là, un noyau de tribus entre Tizi Ouzou et le Djurdjura
reste toujours insoumis, leur sort se trouvant retardé par la guerre de Crimée.
Entre 1854 et 1856, le meilleur des effectifs militaires français se trouve
détourné en partie du théâtre algérien. Mais la campagne finale de réduction
des derniers foyers de résistance dans la Kabylie du Djurdjura est prévue pour
1857. Les populations de la région avaient été préparées à cette confrontation
inéluctable avec l’envahisseur français. Depuis une dizaine d’années, la
conquête de leurs villages par les « Roumis » était attendue avec un fervent
esprit de résistance, entretenu par les nombreuses zaouïas, dont celle de Sidi
Mohammed Abderahman bou Qobrin.
LA CONQUÊTE DES DERNIÈRES
CRÊTES DE KABYLIE
e matin du 24 mai 1857, trois colonnes françaises avancent depuis
L
leur camp de Tizi Ouzou. Elles attaquent toutes en direction de Souk
el Arba (Larbaâ Nath Iraten, le marché du mercredi chez les Beni
Iraten) qui domine la vallée des Beni Yenni. Ces villages se trouvent perchés
sur les crêtes à l’extrémité nord-est du massif du Djurdjura, dont la forme
ressemble à un hameçon. Ces tribus (ou djemaas) kabyles, qui ont une vieille
tradition guerrière, ont fortifié leurs villages déjà naturellement sur la défensive.
Les combats sont très durs pour l’armée française, qui doit entreprendre
plusieurs assauts pour occuper ces villages. Après la prise de Larbaâ Nath
Iraten, les colonnes s’engagent contre la montagne des Beni Yenni, avec sa
forme de presqu’île et sa nombreuse population. Ses villages de Taourirt
Mimoiun, Aït Hassem, Aït Larba et Taourirt el Hadjadj opposent une farouche
résistance aux soldats français. Le dernier d’entre eux finit par tomber le
1 er juillet 1857. Les combattants kabyles n’en continuent pas moins de résister,
et se replient plus haut sur les crêtes du Djurdjura. C’est auprès des Aït
Menguellet que les combattants livrent leurs dernières batailles début juillet,
puis, avec la prise du dernier bastion d’Icheriden, prennent fin quarante-cinq
jours d’une campagne très meurtrière. Avec 67 tués et 442 blessés, l’armée
française enregistre de fortes pertes tandis que les Algériens ont 400 tués et
le double de blessés. Quant à Lalla Fatma n’Soumer, veuve de Bou Baghla
qui avait « succédé » à son époux dans la conduite de la résistance, elle est
capturée le 11 juillet.
Pour marquer la présence militaire française au cœur de la région, de
nouveaux camps sont construits avec Fort l’Empereur (en hommage à Napoléon
III) sur le site du village de Larbâa Nath Iraten, qui deviendra Fort National
en 1870 (IIIe République). Quant au village de Michelet, il sera fondé sur
la crête qui mène aux cols de Tirourda et de Chellata, vers la vallée de la
Soummam. La prise des dernières crêtes du Djurdjura par les Français en
1857 achève les conquêtes du nord de l’Algérie.
Alors qu’il entreprenait d’achever la conquête de la Grande Kabylie, le
maréchal Randon envisageait une nouvelle politique d’expansion vers le sud
de l’Algérie.
Le lieutenant Cottenest et ses Chaambas dans le Hoggar, vers 1902.
LA CONQUÊTE DU SAHARA :
DE AÏN SEFRA À OUARGLA
Pour les cartographes français du XVII e siècle, le territoire de la régence
d’Alger était globalement divisé en deux grands espaces : d’une part le nord,
avec les différentes provinces ou beyliks. Ces territoires s’étendaient sur toute
la partie septentrionale de l’Algérie appelée le Tell. Il s’agissait du pays utile
composé de montagnes de l’Atlas et d’étroites vallées littorales, territoires
relativement bien connus par les descriptions de voyageurs européens à
l’époque de la régence. Au sud de ces régions, des territoires immenses figuraient
sur les cartes européennes avec le toponyme de Biled ul Djérid, Pays
du Djérid, c’est-à-dire le Sahara méconnu.
Avec la conquête et la mise en place de l’exploration scientifique de l’Algérie,
les espaces du Tell et sa bordure saharienne sont connus en 1844.
Conscients de se trouver au bord d’un océan désertique, les militaires français
sont encore trop occupés à la conquête du Tell pour entreprendre des
reconnaissances au-delà de Biskra.
Bien que l’explorateur français René Caillié soit parvenu à atteindre Tombouctou
en 1828 à partir des côtes de Guinée, le Sahara demeurait encore
méconnu pour s’y aventurer à partir du nord. Après la conquête militaire des
oasis de Biskra en 1844, des colonnes furent lancées en direction de Bou
Saada qui fut occupée en 1850, après la prise de Zaatcha. À l’ouest, la poursuite
de la smala de l’émir jusqu’à Taguin avait permis de reconnaître la
région des hauts plateaux, sans pour autant atteindre Laghouat. Le camp de
Saïda avait constitué le point de départ d’expéditions vers le Sud oranais,
domaine des Ouled Sidi Cheikh. Géryville fut fondée en 1845, au pied de la
chaîne montagneuse du djebel Amour, tandis que Cavaignac s’enfonçait dans
les Ksour, autour de Aïn Sefra en 1846-1847.
En 1851, alors qu’il prépare les campagnes de Kabylie, le nouveau gouverneur
général de l’Algérie Randon envisage l’expansion française dans le
Sahara. Dans ces années 1850, l’immense désert se trouvait exploré et
convoité par d’autres puissances européennes. En parallèle des conquêtes à
caractère militaire s’étaient développées des approches scientifiques de ces
contrées. Alors que le Français Berbrugger entreprenait ses voyages d’études
178 Atlas historique de l’algérie
dans les oasis algériennes entre le Souf et le M’Zab en 1850, l’Allemand Heinrich
Barth explorait le Sahara libyen. Ayant étendu ses connaissances linguistiques
auprès des peuples du Sahara, Heinrich Barth était le principal
connaisseur de ces régions. Ces années 1850-1855 correspondent aux nouveaux
travaux de traduction des langues arabe et berbère, avec notamment
la grammaire de la langue tamasheq de Hanoteau, tandis que le baron de
Slane traduisait L’Histoire des Berbères d’Ibn Khaldun en 1852.
L’insurrection du chérif Mohammed ben Abdallah dans la région des Ouled
Sidi Cheikh précipita cependant la conquête de Laghouat, ville-clé pour la
pénétration dans le Sahara. Ancien rival de l’émir Abd el Kader, Mohammed
ben Abdallah finit par déclarer le djihad contre les Français en 1852. Randon
envoya trois colonnes commandées par les redoutables Pélissier, Youssouf et
Mac-Mahon pour occuper Laghouat. Après une résistance vigoureuse contre
les assauts français, les insurgés sont massacrés. L’armée se lance ensuite
à la poursuite de Mohammed ben Abdallah en direction de Ouargla, tout en
nommant Si Hamza nouveau khalifa des territoires sahariens entre Géryville
(El Bayadh) et Djelfa.
La région du M’Zab préféra quant à elle traiter avec les Français, après la
nouvelle du massacre de Laghouat.
La conquête du Sahara : de Aïn Sefra à Ouargla 179
Carte du Sahara, 1880.
L’ALGÉRIE DANS LES
ANNÉES 1864-1868
Bien qu’étant le fils du khalifa des territoires des hauts plateaux du Sud-
Oranais, nommé par Randon depuis 1852, Si Sliman ben Hamza, finit par se
révolter à la tête des Ouled Sidi Cheikh. Cette grande tribu s’étendait des
hauts plateaux à l’ouest de Laghouat jusqu’au Maroc, pratiquant le seminomadisme.
Avec la fixation des frontières avec le royaume du Maroc, la tribu
se retrouva coupée en deux. Après l’anéantissement de la colonne Beauprêtre
en avril 1864, le commandement militaire envoie deux colonnes pour réprimer
l’insurrection, qui s’étend dans l’Ouarsenis et le Dahra, où certaines participent
à l’attaque de villages d’Ammi Moussa et Zemmora. Quelques
années auparavant, la région de Tlemcen avait été secouée par l’insurrection
de plusieurs tribus, dont les Beni Snassen. Ils répondaient à l’appel d’un
marabout du Sous, autoproclamé moul ’sa’a (le sauveur de la fin des temps),
et qui avait suscité l’adhésion de nombreuses tribus au Maroc.
Le mécontentement contre des chefs nommés par l’administration militaire
suscita de nouvelles révoltes peu étendues. Les tribus du Zouagha s’insurgèrent
contre Ben Azzedin. La région des Babors se révolta jusqu’au Zouagha
en 1864-1865. Les chefs de la révolte arrêtés rejoindront les convois de déportés
vers la Guyane, nouvelle destination des prisonniers politiques depuis 1852.
L’Algérie européenne pourtant se trouve en plein essor lorsque l’empereur
Napoléon III entreprend de se rendre dans le pays en mai-juin 1865. Il visite
presque toute l’Algérie hormis les villes de Tlemcen, d’Orléansville et Sétif. Car
c’est bien dans les villes que vivent principalement les Français et autres Européens.
Sur les 217 000 Européens (1866), 85 000 sont étrangers (Espagnols, Italiens,
Maltais…). L’empereur souhaite parcourir ce grand territoire, pour lequel
il a initié plusieurs projets, notamment économiques. Napoléon III a favorisé la
participation des grandes sociétés capitalistes, en vue de la colonisation. La
période du Second Empire s’était caractérisée par de nombreux investissements
à caractère industriel en Algérie, avec le lancement récent des premiers chantiers
de construction du chemin de fer en 1863 (ligne Alger-Oran). La loi du 20 juin
1860 avait rendu d’utilité publique le projet de construction des lignes Constantine-Philippeville,
Alger-Blida (achevée en 1862) et Oran-Saint-Denis-du-Sig.
C’est au cours de ce voyage que l’empereur déclara aux Européens : « Ce
pays est à la fois un royaume arabe, une colonie européenne et un camp
182 Atlas historique de l’algérie
L’Algérie dans les années 1864-1868 183
français. » Après avoir bénéficié des retombées foncières du sénatus-consulte de
1863, les villages de colonisation européenne voient leur organisation administrative
modifiée en 1866. Le processus de fractionnement des tribus avait commencé
à privatiser les terres indigènes, mais pas assez pour les colons. Les
propriétés indivis restaient encore à l’abri des appétits européens. Les villages
peuplés principalement d’Européens forment à partir de 1868 une nouvelle catégorie
de communes dites de « plein exercice » qui sont financièrement indépendantes.
À partir de 1868 sont instituées les communes mixtes dans les territoires
peuplés d’Européens et d’une majorité d’indigènes. Ces communes se présentent
comme une sorte de régime transitoire, en vue de devenir une commune
de plein exercice, une fois les conditions réunies (population européenne conséquente,
ressources économiques…). Dix-sept communes mixtes sont créées en
1868 : Zemmora, Ammi Moussa, Saïda, Sidi bel Abbes, Dhaya, Lalla Maghnia et
Sebdou dans la province d’Oran ; Laghouat, Djelfa, Tizi Ouzou, Draa el Mizan et
plus tard Fort-Napoléon dans le département d’Alger ; Collo, Tébessa, Biskra,
Bou Saada et Bordj Bou Arreridj dans le département de Constantine. Mais le
régime fiscal était au service de la minorité européenne. Les impôts indigènes qui
constituaient la majeure partie des perceptions entretenaient un budget municipal
pour les colons. Pratiquement aucune ressource n’était réservée aux écoles
indigènes, qui périclitent. Quant aux fondations religieuses musulmanes, chargées
de répondre aux urgences humanitaires, elles se trouvaient démunies
depuis la confiscation de leurs biens mobiliers au service du Domaine. Seuls les
chefs pouvaient éventuellement subvenir aux indigènes frappés de calamités.
De 1866 à 1868, des désastres s’abattent sur une grande partie du pays.
Les invasions d’acridiens (sauterelles) sont accompagnées de périodes de
sécheresse successives qui compromettent les récoltes de céréales. La
famine et les épidémies frappent les populations indigènes en grand nombre,
provoquant une décroissance de la population. Le nombre de victimes est
estimé entre 300 000 et 400 000.
LES SOLDATS ALGÉRIENS
AU SERVICE DE L’EMPIRE
Avec la constitution de troupes indigènes dans les premières années de la
conquête, l’armée française dispose d’une force d’élite, qui sera rapidement
envoyée sur les théâtres d’opérations extérieures, puis intégrée aux grands
corps expéditionnaires à partir de 1881. Avec l’arrivée de Napoléon III au pouvoir
en 1852, une nouvelle politique internationale est lancée, avec la participation
aux campagnes de Crimée aux côtés des Britanniques en 1854-1855.
Cette guerre fait suite aux tensions avec la Russie concernant la question
d’Orient. La nouvelle intervention des puissances occidentales dans la région
des Détroits fait suite à la tentative russe de s’imposer, se posant notamment
comme protectrice des chrétiens orthodoxes en Orient.
Napoléon III cherche à se présenter comme le protecteur des catholiques
du Levant, tout en se joignant à la coalition anglo-ottomane contre la Russie.
La France fait intervenir son armée dans la guerre de Crimée, avec des
tirailleurs et des zouaves. Plusieurs villages de colonisation porteront des
noms de batailles, dont celles de la guerre de Crimée comme Alma et Inkerman.
Les troupes algériennes se trouvent impliquées en 1859 en Italie, participant
aux batailles de Magenta et Solferino. Avec la guerre francoprussienne
de 1870, l’élite des troupes algériennes sera durement éprouvée
aux batailles de Wissembourg et Frœschwiller.
Avec la III e République, la politique d’expansion française en Afrique et en
Asie prend un nouvel essor avec Jules Ferry. De 1881 à 1912, cinq grands
corps expéditionnaires furent constitués en vue de conquérir la Tunisie
(encore sous administration ottomane), le Maroc, le Tonkin, Madagascar, ainsi
que pour appuyer les interventions britanniques en Chine. Les Algériens
prirent une part majeure dans ces conquêtes, de par leur résistance physique
et leur expérience guerrière (Algérie, Europe, Mexique…). On les voit représentés
sur plusieurs dessins historiques, comme à la bataille de Lang Song
en 1885 contre les Chinois.
LA GRANDE INSURRECTION
DE 1871
En juillet 1870, Napoléon III décida d’intervenir contre la Prusse. Défait à
Sedan, il finit par se rendre et capitule le 2 septembre 1870. Deux jours plus
tard la III e République est proclamée à Paris, tandis que le gouvernement
républicain s’était réfugié à Tours avant de rentrer à Versailles. Toutes les
forces militaires disponibles avaient été mobilisées dans cette guerre, dont la
plupart des corps d’élite algériens (tirailleurs, zouaves, spahis…). Avec l’instabilité
du nouveau gouvernement français, qui fait face à une insurrection
armée en plein Paris de mars à mai 1871, les autorités militaires françaises
se trouvent affaiblies en Algérie. D’une part, certains corps refusent de partir
sur le front et, d’autre part, certains chefs indigènes, assistant à la fin de
l’autorité militaire en Algérie, s’inquiètent pour leur avenir. Quelques
années seulement après la vague de calamités qui s’était abattue sur les
Algériens, la situation était propice aux velléités de changement.
La mobilisation du corps des spahis provoqua des émeutes dans plusieurs
camps, comme à Moudjebeur, El Tarf et Aïn Guettar. Ces révoltes de cavaliers
ayant refusé de partir pour le front se traduisirent par des combats aux portes
mêmes des villes censées se trouver sous la protection de ces smalas de
spahis. Souk Ahras fut assiégée par les cavaliers Hanencha, passés à la dissidence
fin janvier 1871. Avec la proximité de la Tunisie, les insurgés finirent
par s’enfuir au-delà des frontières algériennes. Plus au sud, à Tébessa, l’agitation
était entretenue à partir des oasis tunisiennes du chott el Djérid.
Depuis mars 1870, Mahieddin, membre de la famille de l’émir Abd el Kader,
entretenait l’agitation des tribus dans la région de Negrine et Ferkane, qui
accueillirent favorablement son mouvement.
Cependant, la principale région où couvait l’insurrection se situait entre
Sétif et Tizi Ouzou. Deux foyers de révolte se trouvèrent alimentés par des
personnalités indigènes, dans la Medjana et la vallée de la Soummam.
Mohammed ben el Hadj el Mokrani, le fils d’un des grands alliés des Français
pendant la conquête française des régions de Sétif aux Portes de Fer, ainsi
que le cheikh El Haddad, chef religieux de la confrérie Rahmaniya dans la
Soummam. Mohammed el Mokrani avait hérité du rôle de son père comme
khalifa de la Medjana, mais avec des pouvoirs réels bien inférieurs. Il ne devait
188 Atlas historique de l’algérie
plus en référer au gouverneur de la province mais à un simple capitaine du
bureau arabe de Bordj Bou Arreridj. De même, plusieurs de ses privilèges lui
avaient été supprimés par l’administration française.
La colonisation européenne avait bouleversé les rapports de force dans
ces riches régions des hautes plaines céréalières. Les tribus avaient subi les
ponctions du sénatus-consulte de 1863 ainsi que les charges fiscales
(5 000 hectares confisqués autour de Bordj Bou Arreridj). Avec les années terribles
de 1867 et 1868, alors que les paysans vendaient une partie de leurs
terres pour survivre, les chefs indigènes contractaient des dettes pour subvenir
aux besoins de la population affamée. Mohammed el Mokrani emprunta
respectivement 350 000 et 200 000 francs aux financiers Mesrine et Lavie, qui
étaient devenus 500 000 francs avec les intérêts. L’hypothèque qui pesait sur
ses biens ne manquait pas de susciter une grave inquiétude à Mohammed el
Mokrani. Il avait pris soin de garantir son prêt auprès du général Mac-Mahon,
gouverneur général et vétéran de la conquête de Kabylie. Mais avec la chute
de l’Empire en 1870, l’administration militaire remit aux civils la gestion du
pays. Mac-Mahon, remplacé, ne put honorer ses engagements.
La famille Mokrani se trouve quant à elle toujours divisée par la lutte de
clans. Abdesselem el Mokrani, l’ancien allié de l’émir Abd el Kader, avait
repris contact avec le bureau arabe de Sétif, après avoir cessé le combat. Les
Français avaient tenté de réconcilier les deux principaux clans de la famille
en décembre 1870 ainsi que les deux grands chefs religieux du pays kabyle.
Ben Ali Chérif, marabout de Chellata, et le cheikh El Haddad, marabout de la
Soummam, furent réunis par le commandement de Sétif. Mais les khouans
ou frères de la confrérie préparaient le soulèvement depuis septembre 1870.
À partir de janvier 1871, Mohammed el Mokrani n’était plus isolé et disposait
d’alliés de premier ordre dans la région. Toutefois, il entreprit d’ultimes
démarches officielles à partir de février 1871 auprès des autorités françaises,
en demandant sa démission. La dissidence devint effective en mars, quand
Mohammed el Mokrani comprit que la nouvelle administration coloniale républicaine
comptait bien reprendre en main les riches terres de la région. Le
vieux cheikh El Haddad franchit le pas décisif le 8 avril 1871 au marché de
Seddouk, en proclamant le djihad, soutenu par son fils Aziz.
La plus grande partie des tribus kabyles du Djurdjura et des Babors se
joignit au mouvement. À l’ouest de la Grande Kabylie, les forces rebelles atteignirent
le village européen d’Alma le 22 avril 1871. La Mitidja ne s’était pas
trouvée menacée depuis trente ans mais les insurgés ne dépassèrent pas
l’oued Boudouaou. La situation fut bien plus inquiétante dans la région des
hautes plaines de Sétif et de Bordj Bou Arreridj. Ces deux villes furent assiégées
en vain par les groupes d’insurgés conduits par Mohammed el Mokrani
et Aziz el Haddad. Il devenait évident pour les insurgés que ces villes, comme
toutes celles d’importance, ayant été fortifiées, ne se livreraient pas facilement.
Les chefs de la rébellion entreprirent de bloquer les routes et de mener
une guerre mobile.
Le gouvernement français, conscient de la gravité d’une telle insurrection,
envoya des colonnes chargées d’écraser la révolte. Commandée par l’amiral
Gueydon, l’armée commença à se déployer à partir de mi-avril 1871. Parties
d’Alger, Aumale et Constantine, les colonnes dégagent toutes les villes assiégées.
Elles se renforcent de goums ou troupes de cavaliers indigènes fournies
La grande insurrection de 1871 189
par les tribus alliées. Ainsi, dans la région de Sétif, les offensives françaises
se précisent dans la région d’Amoucha, où Aziz el Haddad a replié ses forces.
À l’est du djebel Babor, l’armée française peut compter sur Benhabylès pour
contenir l’insurrection, qui s’étend quand même en direction de Jijel à partir
de juin.
C’est à ce moment que les colonnes françaises investissent totalement la
Grande Kabylie. Des combats très durs se déroulent dans les villages du
Djurdjura, dont nombre sont détruits. Comme en 1857, la région d’Icheriden
résiste plus longtemps, mais est finalement investie le 24 juin. Dans la région
des Bibans et de l’Ouanougha, l’armée des Mokrani a perdu leur chef Mohammed
el Mokrani, tué dès le 4 mai 1871. Son successeur, Boumezrag, tente
vainement d’arrêter la progression des colonnes dans la région. Boumezrag
se replie dans les montagnes au relief tourmenté des Bibans, et combat à
plusieurs reprises l’armée française autour des Beni Mansour. La progression
des colonnes françaises est plus difficile dans cette région de Petite Kabylie,
où il n’y a aucun poste militaire ou facilité entre Bordj Bou Arreridj et Bouira.
Dans la région du Belezma, où s’était étendue l’insurrection, plusieurs
combats opposent les colonnes de Sétif et Batna aux tribus dissidentes. Après
les massacres de colons perpétrés par certains insurgés à Batna, la répression
s’abat encore plus durement dans cette région, comme autour du village
de Palestro au centre du pays, dont la population européenne avait subi un
sort analogue. À ce stade de la guerre, les massacres de populations indigènes
ainsi que le pillage ne sont pas rares, d’autant plus que le concours
de forces indigènes hostiles aux insurgés a fait accroître ces violences.
LA GUERRE DE JUILLET
À OCTOBRE 1871
Une fois la Grande Kabylie pacifiée par les colonnes françaises, et la reddition
des chefs locaux Ali Oukaci et Aziz el Haddad effective, l’armée française
entreprend de réduire la principale poche de résistance formée autour de
Boumezrag.
Le chef du clan des Mokrani continue de combattre dans son fief des
montagnes au nord de la plaine de la Medjana. Les colonnes françaises
partent de Sétif et pénètrent jusqu’au pays des Beni Ourtilane. Plusieurs combats
ponctuent cette progression des colonnes pour encercler Boumezrag.
Les batailles de Draa el Arba, Tala Ifacène, Beni Yala illustrent la résistance
des tribus locales, alors que le vieux cheikh El Haddad avait fini par se constituer
prisonnier le 13 juillet 1871. Boumezrag décide de se replier dans les
montagnes du Hodna, autre région de vieille tradition guerrière, qui avait
résisté pendant la conquête. Les colonnes françaises poursuivent inlassablement
Boumezrag dans le djebel Maadid au mois d’août 1871. Avec sa smala,
Boumezrag se réfugie plus à l’est dans les forêts du djebel Afghane, non loin
de Salah Bey. Traqués par les Français et les goums qui participent à cette
chasse à l’homme, les chefs Braham ben Illès et Ahmed Bey finissent par se
livrer le 21 octobre 1871. Quant à Boumezrag, il tente de s’enfuir par le
Sahara, tandis que la plupart des familles Mokrani, Ouled Gandouz et Ouled
el Hadj prennent la route de la Tunisie. Boumezrag est finalement capturé le
20 juin 1872 vers Ouargla.
C’est dans cette région du Sahara que le chef indigène Bouchoucha était
entré en rébellion en mars 1871. Jusqu’en janvier 1872 et l’arrivée de la
colonne Delacroix, la région de Ouargla avait échappé complètement à l’autorité
française malgré la tentative d’Ali Bey, allié à la France, de soumettre ces
oasis en juin-juillet 1871.
La III e République enfanta dans la douleur avec les événements de la Commune
de Paris. Les insurgés de Paris avaient été réprimés sans indulgence
par l’armée du gouvernement de Versailles. Après la déportation de
4 000 Français envoyés vers les bagnes, le nouveau gouvernement de Thiers
voulait imposer l’ordre à tout prix. Avec la fin des opérations contre les insurgés
algériens, la politique de conciliation de Napoléon III devenait un lointain
192 Atlas historique de l’algérie
souvenir. La III e République mène une politique coloniale résolument en
faveur de la minorité européenne. Gueydon, nouveau gouverneur général,
déclare à ce sujet : « Les indigènes sont des vaincus, qui doivent subir notre
loi. » Lorsque Gueydon parle d’indigènes, il ne fait probablement pas allusion
à la minorité juive des départements algériens. Cette dernière vient d’être
naturalisée française, un peu malgré elle, par le ministre Crémieux, en pleine
guerre. Pendant la guerre contre la Prusse et alors que Paris était assiégée,
le gouvernement en exil à Tours avait statué sur le décret de naturalisation
des Juifs d’Algérie. Adolphe Crémieux avait été à l’initiative de ce décret
éponyme.
Le sort des responsables de l’insurrection fut établi par des tribunaux
spéciaux. De lourdes contributions de guerre furent imposées aux tribus ayant
participé de près ou de loin à l’insurrection de 1871. La responsabilité collective
des tribus fut appliquée par les tribunaux. Le séquestre collectif confisqua
2 639 600 hectares de terres indigènes. Une partie de ces terres fut ensuite
proposée en 1872 au rachat par les tribus qui en avaient encore les moyens,
en payant un cinquième du prix. Le coût de ces mesures répressives fut
estimé à 70 % du capital des tribus. Les derniers paiements furent honorés
seulement en 1890. Les insurgés déclarés coupables d’avoir mené la révolte
furent soumis à de lourdes peines. En plus des amendes qui frappaient leurs
tribus, de nombreux chefs furent condamnés à mort en 1873, mais finalement
déportés vers les bagnes. Ce fut le cas de Braham ben Illès, Ali Oukaci,
Ahmed Bey, Boumezrag el Mokrani, Aziz el Haddad. Un convoi de trente et
un chefs algériens arriva en Nouvelle-Calédonie en 1875. Aziz el Haddad finit
par s’enfuir de la petite île des Pins en 1884 tandis que Boumezrag retourna
en Algérie après avoir été gracié en 1905, et mourut à Koléa l’année suivante.
LA DIASPORA DES PRISONNIERS
ALGÉRIENS DANS LE MONDE
Depuis les événements de 1848 à Paris, de nombreux prisonniers d’opinion
prenaient la route des bagnes d’Algérie (Lambèse et Berrouaghia) tandis
que les Algériens, soumis au régime militaire, pouvaient être condamnés à la
déportation en Corse ou à Toulon, lorsqu’ils étaient condamnés à de longues
peines. Avec l’arrivée au pouvoir de Napoléon III en 1852, les bagnes d’outremer
connaissent un développement sans précédent. Le nouvel empereur veut
« nettoyer » Paris et la France de toute la population considérée comme dangereuse.
C’est la mise en place d’une nouvelle politique de tolérance zéro à
l’époque de l’hygiénisme et de l’urbanisme aseptisé du baron Hausmann. En
même temps, il s’agit de remplacer les esclaves libérés depuis 1848 et de
mettre en valeur à moindres frais ces terres tropicales. La Guyane se présente
alors comme la destination principale des condamnés aux assises
(crimes graves) et des récidivistes. Les Algériens ne sont pas épargnés par
ces mesures d’éloignement.
Avec les criminels classiques, ce sont surtout les insurgés des nombreuses
révoltes qu’a connues l’Algérie coloniale qui seront les principaux
hôtes des bagnes français d’outre-mer. Une fois condamnés au bagne, les
Algériens étaient traditionnellement dirigés vers un des bagnes portuaires
français. C’est généralement vers Toulon, Brest ou Rochefort que les prisonniers
transportés continueront de transiter avant le grand départ pour la
Guyane, nouvelle destination des condamnés politiques (déportés) et des
détenus de droit commun à partir de 1852. En outre, tout Algérien condamné
à plus de huit ans de détention se trouvait systématiquement envoyé au
bagne, avec le statut de transporté. À partir de 1885, tous les récidivistes
prennent la même route.
Entre 1871 et 1880, le principal bagne de Cayenne en Guyane, connu pour
la forte mortalité des détenus, aura accueilli en permanence quelque
1 100 « Arabes ». Les Algériens, qui ne sont définis ni comme Français ni
comme Algériens, figurent sur les listes de détenus « arabes », regroupant
principalement les indigènes musulmans d’Algérie, mais également de Tunisie
à partir de 1881. Les Arabes condamnés pour insurrection sont en général
194 Atlas historique de l’algérie
les principaux chefs des tribus concernées. On retrouve parmi eux des
membres des familles des Ouled Sidi Cheikh, des Mokrani, etc.
Avec l’ouverture du bagne de Nouvelle-Calédonie, environ 150 « Arabes »
seront en permanence détenus sur place, dans des conditions bien plus favorables
qu’en Guyane. Considérés comme plus résistants que les Européens,
les Algériens seront ensuite systématiquement envoyés en Guyane. Alors
qu’en 1887 est suspendu l’envoi des Européens vers la Guyane, un troisième
site de détention français se trouvait à Obock, sur le territoire de la Côte
française des Somalis après son ouverture en 1886, mais le pénitencier
d’Obock s’avéra beaucoup trop propice aux évasions, du fait de la proximité
des Algériens avec la population arabe locale et sera finalement évacué en
1895.
Les camps de travaux forcés de la Guyane accueillaient de nombreuses
populations de détenus coloniaux, dont des Malgaches, des Africains, des
Indochinois… les Algériens représentant environ 25 % de la population pénale
totale (jusqu’en 1871). Dès son ouverture, le bagne de la Nouvelle-Calédonie
accueillit 300 « Arabes » de 1867 à 1869. Environ 1 200 prisonniers tunisiens
et algériens, notamment les condamnés de 1872, débarquèrent ensuite en
1873 et 1874, dont Mohammed Amezian, fils du cheikh El Haddad. L’une des
particularités du statut de déporté ou transporté était de se trouver condamné
à résider sur place après avoir purgé sa peine. Ce fut le cas de nombreux
Algériens en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, qui finirent souvent par
s’installer définitivement sur des terres, épousant des Européennes libérées
ou des indigènes. Ces libérés astreints à résidence formaient en 1880 plus
de la moitié des détenus arabes de Nouvelle-Calédonie tandis qu’en Guyane
ils sont 294 libérés sur 1221 détenus. Certaines épouses d’Algériens firent
même l’effort de se rendre auprès de leurs maris libérés en Guyane, parfois
avec leur enfant. Les tentatives d’évasion réussies ou non furent nombreuses
chez les détenus algériens. Parmi eux, le célèbre chef Aziz el Haddad, enfui
de l’île des Pins (Nouvelle-Calédonie) en 1884. Il se rendit en Australie puis
en Orient pour faire son pèlerinage. Amezian el Haddad s’évada quant à lui
en 1895.
En 1938, les derniers détenus algériens sont envoyés en Guyane purger
leur peine de relégation. Les relégués, dont la moitié étaient algériens,
devaient, après avoir purgé la totalité de leur peine en métropole, être envoyés
au bagne en plus. Après la Seconde Guerre mondiale, les libérés nord-africains
sont très progressivement renvoyés en France et en Afrique du Nord.
Jusqu’en 1953, quelque 1000 prisonniers algériens repartent chez eux ou
ailleurs, après la fermeture officielle du bagne en mars 1948.
Registre des transportées algériennes pour la Guyane.
CHRISTIANISME ET JUDAÏSME
DANS L’ALGÉRIE COLONIALE
DU XIX E SIÈCLE
’est dans les principales villes occupées par les Français que sont
C
bâties les premières églises. Des temples protestants sont
construits par les Allemands et les Suisses, qui sont parmi les premiers
contingents d’émigrants. Ces modestes constructions des années 1840
avaient été précédées par l’établissement du diocèse d’Alger en 1838.
L’armée, qui a confié au génie l’aménagement des villes selon les normes
architecturales françaises, entreprit d’élever la plupart des édifices religieux,
d’abord pour les propres besoins de sa garnison. Les nombreuses pertes des
Français face aux maladies durant les premières années de la conquête ont
rapidement nécessité des besoins de chapelles auprès des hôpitaux ainsi
qu’un personnel religieux.
Avec la redécouverte des sites de l’Algérie romaine par les Français,
le thème du retour de la chrétienté dans le pays de saint Augustin fit son
apparition dans les milieux catholiques. Les ordres
religieux se déploient en Algérie dès les
années 1840. Parmi eux, les trappistes, les sœurs
de Saint-Vincent-de-Paul, les ursulines et les
jésuites, spécialistes des missions lointaines, encadraient
une population européenne souvent isolée,
loin des villes principales. Des jésuites sont présents
dans nombre de casernes, comme à Fort
National, après la conquête de la Grande Kabylie en
1857.
Mais c’est surtout la nomination du cardinal
Lavigerie à Alger en 1867, qui relance l’idée du
retour dans une Afrique chrétienne, dont les
populations devraient pouvoir naturellement revenir
à la religion de leurs ancêtres, et parmi elles
les habitants de Kabylie, qui seraient moins arabisés
et donc – déduit-il – moins islamisés. Les
Ketchaoua, mosquée devenue
cathédrale.
198 Atlas historique de l’algérie
pères blancs, corps missionnaire spécialement affecté en Afrique, sont chargés
par Lavigerie de seconder les jésuites dans leur travail d’évangélisation,
notamment en Grande Kabylie, qui vient d’être justement éprouvée par les
terribles contributions de guerre ayant suivi l’insurrection de 1871. Le premier
poste missionnaire est fondé à Taguemount Azouz, au sud de Tizi Ouzou.
Auparavant, le cardinal Lavigerie entreprit d’acquérir un certain nombre de
domaines pour accueillir les orphelins rescapés des famines et épidémies de
1867 et 1868. L’Église construit plusieurs établissements comme le domaine
des Attafs (avec 1 171 hectares achetés dans la vallée du Chélif), ou à Maison-
Carrée pour y construire des orphelinats et des séminaires en 1869.
1 753 enfants furent recueillis et formèrent le noyau des villages arabes chrétiens,
projet de colonisation indigène lancée par le cardinal Lavigerie dans ses
domaines. La mise en place de ces espaces dédiés aux œuvres catholiques
de bienfaisance coïncidait avec la fondation de la Société des missionnaires
d’Afrique et des Sœurs missionnaires d’Afrique, les Sœurs blanches.
Mais Lavigerie se heurte à Mac-Mahon, le gouverneur général voulant
éviter tout conflit dans les régions kabyles, qu’il connaît bien pour les avoir
conquises. C’est seulement à partir du nouveau régime civil que Lavigerie
bénéficiera de tout le soutien de l’amiral de Gueydon, nouveau gouverneur
général de l’Algérie. Une nouvelle ère illustrée par la construction de Notre-
Dame d’Afrique dans le faubourg de Bab el Oued en 1872. Dans la région
d’Alger, l’ordre des moines trappistes avait quant à lui bénéficié de grands
Projet de chapelle à Sétif, 1863.
Christianisme et judaïsme dans l’Algérie coloniale du XIX e siècle 199
domaines dans la région de Staoueli en 1843. Plus
tard, ils créeront le monastère de Tibhirine, à
proximité de Médéa (1934) au cœur de l’Atlas
blidéen.
La nomination de Gueydon coïncide avec le
nouveau statut des Juifs indigènes devenus
citoyens français par le décret d’Adolphe Crémieux.
Seules les populations juives vivant dans
les trois départements algériens bénéficièrent de
cette mesure, soit 37 000 personnes. Les autres
minorités juives des Territoires du Sud (Laghouat,
M’Zab…), relevant des autorités militaires, demeuraient
indigènes. Issue de communautés antiques
et médiévales très anciennement constituées en
Afrique du Nord, la population des Juifs d’Algérie
s’était diversifiée, notamment avec les apports
européens au cours de la période ottomane.
Judéo-arabes, judéo-berbères, judéo-espagnols
et Juifs francs formaient une minorité juive très Synagogue d’Alger.
hétérogène. Les Juifs francs avaient joué un rôle
premier dans la diplomatie et les échanges économiques qu’entretenait Alger
avec l’Europe.
La conquête française avait été accueillie diversement par les Juifs algériens.
Les grandes familles commerçantes d’Alger avaient entrepris des
contacts utiles avec un commandement français très méfiant. Les commerçants
juifs participèrent à la reprise d’une certaine activité économique, que
favorisait la création de villes nouvelles. De nombreux acteurs économiques
juifs formèrent souvent avec les quelques Européens civils les habitants des
premières cités coloniales. Mais la guerre contre l’émir Abd el Kader à l’ouest
avec l’implication de grandes villes indigènes comme Tlemcen, Mostaganem,
Mascara et Oran confronte les communautés juives au conflit. Dans l’instabilité
des années 1840-1845, les Juifs combattent l’envahisseur français,
notamment à Constantine en 1836-1837.
Dès 1841, une volonté de prendre en charge ces Juifs indigènes se fait
jour en France. Le Consistoire israélite de France (appuyé par Crémieux)
intervient à ce moment pour essayer d’organiser ces communautés. C’est
finalement une ordonnance royale de 1845 qui statue sur une première organisation
du culte israélite. Trois consistoires régionaux sont créés à Alger,
Oran et Constantine. C’est bien essentiellement dans les grandes villes
d’Algérie où vit la majorité des juifs indigènes que s’organise la cohabitation
avec les Européens, avec la construction de synagogues dans les nouvelles
villes françaises. En 1842, le rapport Altaras-Cohen sur les Juifs d’Algérie
renseigne sur la répartition de cette population qui totaliserait 16 000 personnes,
essentiellement regroupées à Alger, Constantine, Oran et Tlemcen.
Viennent ensuite des communautés de moindre importance à Bône, Mostaganem,
Médéa, Miliana, Mascara et Blida ainsi qu’environ 1 500 juifs bédouins
dans le sud.
De nombreuses petites communautés judéo-arabes et judéo-berbères
subsisteront dans les campagnes jusqu’aux années qui suivront le décret de
200 Atlas historique de l’algérie
naturalisation de 1870. À ce moment, on assiste à un bouleversement mental,
sociologique et économique (Benjamin Stora) sans précédent chez les Juifs
algériens. L’assimilation ou la francisation de cette minorité se heurtera
cependant à la fin du XIX e siècle à un fort courant antisémite, entretenu par
des activistes français d’Alger et d’Oran. Cette crise anti-juive survient sur
fond de scandales politico-financiers. Entre 1881 et 1898, plusieurs émeutes
dirigées contre les juifs sont orchestrées par des groupes politiques antisémites.
Malgré cela, la nouvelle situation sociale des Juifs d’Algérie, qui s’intègrent
progressivement dans la fonction publique et les professions libérales,
s’est globalement améliorée, surtout en comparaison de leurs coreligionnaires
marocains et tunisiens, qui émigrent vers l’Algérie quand ils le peuvent
car leur statut est moins enviable, restant sujets du souverain chérifien ou du
pacha de Tunis.
LES MISSIONS CHRÉTIENNES
EN GRANDE KABYLIE
La Grande Kabylie reste un des objectifs principaux de la politique missionnaire
de Lavigerie. C’est dans une région assez enclavée au sud-est du
Djurdjura que les missionnaires s’investissent. Avec la création de dispensaires,
d’écoles et de pensionnats, l’Église cherche à développer les conversions,
dans une région où sévit une grande pauvreté, surtout après la
répression de 1871. Dès 1873, trois villages sont investis par les pères blancs :
Taguemount Azouz, les Ouahdias et Beni Arrifs. Une dizaine d’écoles accueille
les enfants de plusieurs villages du Djurdjura à partir de 1873. Dans un
contexte de rareté de l’offre scolaire auprès des indigènes (en 1921, il y a
seulement 46 000 élèves musulmans dans l’enseignement primaire), ces
écoles le plus souvent internats vont connaître un grand succès. Ayant au
commencement été perçues avec beaucoup de méfiance, elles finirent par
attirer un nombre croissant d’enfants de notables notamment. L’attrait pour
la connaissance en général et l’apprentissage de la langue française en particulier
permirent à nombre de jeunes Kabyles de partir ensuite travailler en
France et de former les premiers contingents de convoyeurs kabyles, premiers
émigrants algériens vers la métropole. Arrivées en 1880, les Sœurs
blanches s’attachent à gagner les cœurs par leur travail d’assistance médicale,
notamment en direction des femmes. À partir de Fort National, les
jésuites et autres membres de l’Église d’Alger organisent leurs missions à
travers les villages de Kabylie, jusqu’à Kerrata, où un poste est créé en 1895.
À cette époque, en 1894, l’hôpital Sainte-Eugénie s’ouvre à Michelet, tenu par
la congrégation des Sœurs Blanches qui parviennent également à convertir
quelques enfants souvent orphelins.
LA CONQUÊTE DU GRAND
SAHARA
En 1854, Randon avait invité Si Hamza à se rapprocher des Touareg. L’un
de leurs chefs, le cheikh Othman, fut d’ailleurs invité à Alger. Les Français
recherchaient un itinéraire sûr jusqu’au Soudan, par les oasis de Ghadamès
et d’In Salah.
La traque de Mohammed ben Abdallah amena les forces françaises à marcher
sur Ouargla en décembre 1854. Après les combats de Megarine et
N’Gouça, les oasis de Touggourt et Ouargla furent définitivement occupées
par les Français. Avec Ghardaïa occupée en 1855, ces oasis constituaient les
positions françaises les plus avancées dans le Sahara.
Les explorateurs scientifiques entreprirent plus facilement leurs expéditions
en direction d’El Goléa et de Timimoun. La mission de reconnaissance
Duveyrier compléta la connaissance des régions entre Laghouat et El Goléa
en 1860 tandis que la mission de l’officier interprète Ismaël Bouderba (1858)
poussait jusqu’à Ghat (Libye ottomane). La difficile traversée du Grand Erg
oriental jusqu’à Ghadamès fut confiée à Bonnemain en 1858. Quant à l’Allemand
Rohlfs, il entreprit en 1864 de traverser tout le Sahara algérien d’est en
ouest, reconnaissant In Salah et les oasis de la Saoura alors que les Français
Colonieu et Burin traversaient le Grand Erg occidental.
La guerre de 1870 en France et l’insurrection qui suivit en Algérie en 1871
provoquèrent une interruption de plusieurs années des expéditions dans le
Sahara. Mais déjà, le développement du chemin de fer avait débuté entre
les grandes villes du nord de l’Algérie entre 1862 et 1875. Ce réseau atteint
progressivement les régions du sud. Saïda est reliée à Arzew en 1874, ouvrant
l’accès à la région des hauts plateaux.
Avec le nouveau projet très ambitieux d’une liaison ferroviaire transsaharienne
en 1875, et l’extension du chemin de fer jusqu’à Aïn Sefra en 1887 et
Biskra en 1888, la conquête du Sahara se trouve relancée par les milieux
industriels français.
À partir de 1874, plusieurs tentatives de pénétration vers le massif du
Hoggar sont entreprises. Les positions françaises les plus méridionales se
trouvent à Colomb-Béchar et Ouargla, d’où part la première mission Flatters
en 1880. Le Sahara est dans ces années parcouru par plusieurs explorateurs
204 Atlas historique de l’algérie
notamment allemands, comme Rohlfs, qui s’enfonce en direction de Tombouctou
à partir du lac Tchad au moment où le Britannique Stanley découvrait
le lac Victoria. Les conditions climatiques du grand désert rendent cependant
très difficiles les missions d’exploration européennes. Mais c’est d’abord le
manque d’alliés parmi les tribus du Sahara, qui limite les possibilités de
pénétration. La connaissance du pays et surtout des puits est incontournable.
La conquête du Grand Sahara 205
Au-delà d’El Goléa, les Touareg empêchent cette pénétration française vers
les massifs du Hoggar. Si la première mission Flatters permet de dépasser
le puits de Temassissin, elle doit se replier sur Ouargla.
En 1881, la deuxième mission, renforcée de nomades de la région, parvient
quant à elle à s’enfoncer dans le massif du Hoggar mais est attaquée par les
Touareg. Les survivants regagneront Ouargla dans des conditions extrêmes.
Si le Hoggar reste imprenable à ce moment, le commandement français
entreprend de conquérir la Tunisie, et s’empare de Tunis le 12 mai 1881. Le
bey de Tunis signe le traité de protectorat avec la France tandis que les tribus
du sud tentent de résister.
Après dix ans d’interruption des campagnes vers le sud suite à l’échec de
la mission Flatters, les militaires se lancent simultanément à la conquête du
Gourara et de la Saoura, après l’occupation définitive d’El Goléa en 1891. À
l’est, une grande expédition est préparée en vue d’atteindre les oasis du Niger.
En 1898, la grande mission Foureau-Lamy ambitionne de traverser totalement
le Sahara. Avec 300 hommes bien équipés, la mission traverse le massif
du Hoggar, empruntant la majeure partie de l’itinéraire Flatters. Elle atteint
les oasis du Niger en 1899 au moment où la mission Flamand-Pein conquiert
In Salah, non sans avoir combattu les guerriers Touareg. La région de Beni
Abbes finit par être occupée en 1900, mais doit être défendue contre les raids
des nomades Beraber, attaquant depuis les confins marocains du Tafilalt.
Dans les années 1900-1904, les Français s’imposent finalement sur la plus
grande partie du Sahara, notamment dans le Hoggar et le Tanezrouft. Les
Touareg se trouvent sur la défensive dans leur bastion du Hoggar, mais les
Français lancent plusieurs campagnes au cœur même des montagnes du
Tidikelt et du Tassili à partir d’un réseau de forts solidement établis. Alors
que Cottenest reconnaît le nord du Hoggar, et que les Touareg sont vaincus
à la bataille de Tit en 1902, non loin de Tamanrasset, Laperrine poursuit des
raids audacieux en direction de l’Adrar des Ifoghas avec les nouvelles troupes
sahariennes. Les unités méharistes atteignent les nouvelles frontières sahariennes
de l’Algérie qui sont fixées entre 1905 et 1909. De l’autre côté de ces
lignes géométriques dessinées de manière assez aléatoire, avec la signature
de la convention de Niamey, s’étendent les autres territoires français de
l’Afrique-Occidentale française.
Depuis le 24 décembre 1902 et la constitution de la nouvelle entité administrative
des Territoires du Sud, les forces françaises s’emploient à installer
des nouveaux forts tout autour du Hoggar, avec In Salah comme poste principal.
Le poste d’Illizi est construit en 1904 en même temps que le bordj Flye
Sainte Marie, établi au milieu de l’erg Chech. À partir de l’oasis des Beni
Abbes, les Français finissent par défaire les nomades Beraber et Reguibat
qui entretenaient l’insécurité à la limite du royaume marocain. Rabat est invité
à négocier la fixation de sa frontière avec l’Algérie dès 1904, tandis que les
Espagnols s’entendent avec les Français pour dessiner la ligne verticale qui
sépare leur Rio de Oro (Sahara espagnol) de l’Algérie.
Alors que pratiquement tout le Sahara algérien est découvert en 1909, les
Français doivent garder la frontière algéro-libyenne, qui se trouve surveillée
par le nouveau poste de Fort Charlet (Djanet), dans le Tassili. Les forces ottomanes
ont repris pied dans le Fezzan alors que leurs territoires africains se
trouvent convoités par les puissances européennes. Conscients des enjeux
206 Atlas historique de l’algérie
internationaux en cours au Maroc, les Français s’empressent de faire pression
sur le souverain chérifien, qui signe le traité du protectorat le 30 mars 1912.
La France exerce son l’autorité dans la partie centrale du territoire marocain,
tandis que les Espagnols occupent le nord et le sud.
C’est au moment où les Français pénétraient dans le sud-ouest saharien
que furent signés les premiers accords de délimitation de la frontière avec
le royaume chérifien. Un premier traité élaboré en 1902 partage les zones
d’influence avec l’Espagne, tandis que la limite extrême du territoire marocain
est fixée sur l’oued Draa. En 1905, alors que la Maurétanie est occupée par
les Français, une ligne verticale est dessinée à l’ouest de Tindouf, procédé
employé par méconnaissance concrète de ces territoires. Cependant, les souverains
marocains n’auront de cesse de remettre en cause les traités avec la
France, jusqu’à la mise en place du protectorat sur le royaume en 1912. Le
Sud marocain et notamment le Sahara occidental sera le théâtre de plusieurs
séditions tribales contre l’autorité chérifienne (1910…).
Raid automobile Alger-Fort Lamy, 1935.
Carte du Sahara par Henry Barrère, 1930.
La conquête du Grand Sahara 207
LES ALGÉRIENS EN ORIENT
es années 1880 furent particulièrement difficiles pour les Algériens.
L
Une succession de famines et de calamités naturelles s’abattit sur
la population musulmane, aux ressources déjà compromises par les
dernières lois foncières (loi Warnier du 26 juillet 1873, loi du 22 avril 1887).
Les terres musulmanes ne permettent plus d’assurer l’alimentation de toute
la population indigène, notamment en cas de mauvaise récolte. Avec le
recours à des prêts aux taux exorbitants, les paysans finissent par vendre
leurs dernières terres pour devenir simples travailleurs saisonniers, ou émigrent
vers les gourbis en bordure des villes européennes. 400 000 hectares
sont passés aux mains de la colonisation européenne entre 1873 et 1887.
Dans les années 1907-1908, une partie de la population vivant autour de
Tlemcen avait décidé de quitter ses terres pour émigrer vers l’Orient musulman.
En France, les nouvelles lois de séparation du culte (1905) ainsi que la
volonté des autorités militaires d’imposer une conscription obligatoire en
Algérie avaient été perçues comme des nouvelles
épreuves par les milieux religieux algériens.
Subissant déjà les contraintes particulières du
code de l’indigénat, des musulmans revendiquent
leur droit à l’émigration.
Les notables de Constantine avaient précédemment
affirmé leur attachement aux principes
inaliénables de l’islam : « la chose à laquelle nous
tenons le plus, c’est de conserver la Shari’a »,
déclaraient-ils en 1895. La politique anticléricale
en France alimentait les rumeurs chez les Algériens,
les autorités allaient-elles interdire le culte
musulman ? C’est dans ce contexte tendu que
140 jeunes musulmans quittent la région de Tlemcen
pour l’Orient vers 1907. L’application des premières
mesures de conscription des jeunes
Algériens paraît avoir amplifié ce phénomène des
migrations vers l’Orient. Environ 526 personnes de Affiche de compagnie maritime
la région de Tlemcen, Sebdou, Remchi et Nedroma transportant les pèlerins algériens
entreprirent de quitter leurs douars pour l’Orient. pour La Mecque.
210 Atlas historique de l’algérie
Issus de milieux très pieux, ils ne supportaient plus la politique antireligieuse
des autorités coloniales. Avec la perte des biens habous, les établissements
musulmans ne disposent d’ailleurs plus des ressources suffisantes pour
assurer les frais de l’enseignement. De même, la substitution des cadis par
des juges leur est inacceptable. Enfin, encadrés par un code de l’indigénat,
système policier réservé aux seuls Algériens musulmans, ils sont empêchés
de créer leurs propres associations religieuses. La plupart des mouhajirun,
ces émigrés, sont essentiellement des notables. Ce seront quelque
794 familles (4 000 personnes) qui s’exileront vers l’Orient entre 1910 et 1912.
Plusieurs régions d’Algérie furent le point de départ de populations de
notables, mais également des hommes seuls ou en famille souhaitant s’extirper
de problèmes locaux, ou en quête d’un monde meilleur.
C’est surtout vers les pays du Cham, la Syrie et le Liban, que partent les
Algériens. Les routes du pèlerinage offraient déjà la possibilité de gagner la
région de Palestine-Syrie après l’accomplissement des rites à Médine et La
Mecque. Cependant, le manque de ressources a contraint de nombreux Algériens
à réclamer leur rapatriement vers l’Algérie. Cette démarche impliquait
pourtant d’être transféré au pénitencier militaire de Tadmit, une fois le voyage
retour payé par les consulats français de Jaffa ou Djeddah. La correspondance
archivée des consuls français du Levant concernant ces cas d’Algériens
venus demander l’assistance française permet de comprendre les difficultés
de l’exilé algérien en Orient, à la fois musulman auprès de ses coreligionnaires,
mais bénéficiant toujours de la qualité de ressortissant français à
l’étranger, pour éventuellement redevenir l’indigène en Algérie.
Pèlerins algériens en partance pour La Mecque.
Les Algériens en Orient 211
La liberté de circulation des Algériens était extrêmement limitée par les
autorités françaises. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les indigènes
algériens ne quittaient pratiquement pas le pays, hormis les convoyeurs
kabyles et les pèlerins. Seuls les détenteurs d’un passeport en vue d’accomplir
le pèlerinage aux lieux saints de l’islam avaient le droit de voyager vers
l’Orient. Cet événement se trouvait très encadré par les autorités françaises,
qui surveillaient quasiment toute l’organisation du hadj, notamment avec
leurs consulats à Yanbu et Djeddah. Cependant, la grande majorité des
Algériens contournaient les procédures autant fastidieuses que coûteuses
pour obtenir un passeport. Ils empruntaient le chemin parcouru par leurs
ancêtres depuis des siècles : la route saharienne du pèlerinage.
Perçu le plus souvent par les populations comme l’aboutissement d’une
vie, le pèlerinage à La Mecque impliquait de renoncer à son confort et aux
siens pendant toute la durée du voyage. Pendant six mois, les pèlerins algériens
marchaient donc jusqu’en Arabie pour arriver pendant la saison du hadj.
Par groupes, ils se rassemblaient dans le sud-est de l’Algérie pour longer la
route des palmeraies tunisienne et libyenne jusqu’en Égypte. Parmi ces pèlerins
algériens non officiels, nombreux sont restés en Orient. Le pèlerinage à
La Mecque a souvent été suivi d’une émigration dans la région, pour tous les
musulmans de passage. Ainsi, certains Algériens se fixent dans les régions
de Palestine, Syrie après leur pèlerinage. D’autres Algériens embarquaient
de Tunisie (surtout avant l’occupation française) pour les ports de l’Empire
ottoman. Pour les candidats algériens à l’exil, la Tunisie fut le lieu de transit
idéal pour émigrer illégalement en Orient. Mais séjourner à Damas ou Jaffa
impliquait de pouvoir subvenir à ses besoins. La petite minorité algérienne
de Syrie, relativement ancienne depuis l’arrivée de la famille de l’émir Abd el
Kader, semble s’être organisée pour accueillir ses frères. Dans les
années 1910 et l’afflux important d’Algériens (ils sont estimés à 6 000 à
Damas en 1912), le petit-fils d’Abd el Kader, l’émir Khaled (né à Damas en
1875), semble avoir joué un rôle important pour l’intégration des émigrés.
De 1876 à 1909, le règne du sultan ottoman Abdülhamid apparut comme
très favorable aux émigrés algériens en Syrie, à qui sont octroyés des lots de
terrain et une première assistance financière. Mais avec l’arrivée de
Mehmed V en 1919, la situation économique des nouveaux émigrés algériens
se serait dégradée. C’est alors que certains Algériens se tournèrent vers les
autorités consulaires françaises pour être… rapatriés.
La fondation du journal El Muhadjir (l’Émigrant) illustre le travail des
notables algériens d’Orient, notamment leurs liens avec les autorités ottomanes
en Syrie et les milieux religieux dans le Hedjaz. À cette époque, des
relations particulières se nouent entre les milieux religieux algériens et des
cheikhs d’Orient, illustrées par la visite du cheikh Abduh à Alger et Constantine
en 1903. Les tensions entre l’administration coloniale et les milieux religieux
musulmans sont très fortes. Le pèlerinage a été suspendu en 1903 et
1904, suite aux protestations des délégués financiers musulmans. Environ
1500 Algériens – c’est le chiffre moyen des départs à cette époque – n’ont
pas participé au hadj. Le nouveau gouverneur général Jonnart pratiquera une
politique plus conciliante, en autorisant davantage de départs. Les départs
n’avaient jamais été réguliers, le déclenchement d’épidémies en Orient interdisant
souvent le pèlerinage aux Algériens.
GUERRES MONDIALES ET MONTÉE
DU NATIONALISME ALGÉRIEN
LES ALGÉRIENS DANS LA
PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
173 000 Algériens musulmans participent comme soldats à la guerre qui
commence en 1914 entre la France et l’Allemagne. La réquisition de travailleurs
connaît un développement sans précédent, avec le départ de
119 000 Algériens musulmans en métropole. Envoyés dans les principales
régions industrielles françaises comme mineurs, ouvriers spécialisés, notamment
dans l’armement, les usines à gaz, la voirie. Ils seront chargés d’effectuer
les travaux spécifiques à l’arrière du front (terrassement, creusement
des tranchées…).
Tirailleurs et spahis se retrouvent à combattre sur le front du nord de la
France. Avec les premières grandes batailles de l’Yser, de la Marne, les Algériens,
qui n’ont pour la plupart jamais quitté leur pays, sont confrontés au
feu industriel, avec l’utilisation massive de l’artillerie dans les combats. La
participation de l’infanterie algérienne et plus généralement nord-africaine
tout au long de la guerre dans le nord de la France se trouve tragiquement
illustrée par l’étendue des nécropoles musulmanes. Avec les tirailleurs sénégalais,
marocains et tunisiens, les Algériens paieront le prix du sang, avec
25 711 tués ou disparus, 72 035 blessés dont 8779 mutilés. Les Européens
d’Algérie laisseront quant à eux 22 000 morts en France sur 155 000 hommes
mobilisés.
En Algérie, l’organisation du recrutement indigène avait suscité de nombreuses
réactions d’hostilité. Le système de la conscription établi depuis 1912
avait déjà créé des troubles dans l’ouest de l’Algérie en mai 1912 (Nedroma).
Chaque année, 5 500 soldats indigènes avaient été fournis à l’armée française.
Après le déclenchement des hostilités, l’état-major sollicita rapidement
de nouveaux contingents indigènes. Après le succès des premières campagnes
d’engagement, le doute et la méfiance s’installent dans plusieurs
régions d’Algérie. Les informations sur les mutineries d’Algériens et les horreurs
des champs de bataille ne parviennent pas facilement en Algérie. En
plus de la censure, les autorités françaises firent tout pour isoler les soldats
indigènes en France. Quand ils ne se trouvent pas sur le front, ils sont cantonnés
dans des dépôts, casernes et autres sites de transit, qui ont surtout pour
objectif de les séparer de la population.
214 Atlas historique de l’algérie
De nombreuses notes administratives témoignent de cette ségrégation des
soldats africains et nord-africains, dont la proximité physique avec les Français
et surtout avec les Françaises devait être surveillée. De nombreux indigènes
algériens ne comprennent pas pourquoi ils doivent se sacrifier pour la
France, alors qu’ils n’ont pas la nationalité française, aucun droit civique, et vivent
toujours soumis au code de l’indigénat, qui les empêche de voyager, de porter des
armes, etc. Après la période troublée des années 1905 et la crainte des milieux
musulmans pour leurs traditions, seules les motivations matérielles poussaient
les Algériens à s’engager. Pour la plupart des indigènes engagés, ce pouvait être
l’occasion de gagner un peu d’argent, et sortir du marasme des campagnes algériennes
où se succèdent famines, épidémies, etc.
C’est pourtant par la méfiance et la résistance que réagissent les jeunes
conscrits dans plusieurs régions, notamment autour de Mascara où éclatent
les premiers troubles graves en octobre 1914. Dans la région des Beni Chougrane,
à proximité de Mascara, une colonne de 1 500 conscrits est empêchée
Les Algériens dans la Première Guerre mondiale 215
de poursuivre sa route par la population. Cet incident dégénère rapidement
en révolte locale que l’armée réprime durement. Les deux douars incriminés
sont terriblement écrasés. Autour de Batna, la résistance au recrutement
provoque une véritable guerre dans la région.
À partir de novembre 1914, on avait assisté à de nombreux actes de désobéissance
collective de la part des jeunes conscrits. Le 2 août 1916, le départ
de 875 appelés avait entraîné des protestations. À la fin du mois d’août 1916,
le recensement de la classe 1917 provoque un soulèvement dans toute la
région du Bélezma. Les jeunes désertent en masse et prennent le maquis, la
région montagneuse du Bélezma étant très boisée. La rébellion s’étend aux
communes voisines de Barika puis à tout le massif des Aurès jusqu’à Khenchela.
Environ un millier de révoltés du Bélezma attaquent le bordj de Mac-
Mahon (Aïn Touta) le 11 novembre 1916. Le lendemain, l’administrateur de la
commune mixte et le sous-préfet de Batna sont tués par les insurgés tandis
que la gare du village est livrée au pillage. L’armée engage rapidement ses
soldats de Biskra à dégager le village de Mac-Mahon. Parmi eux, les
bataillons de tirailleurs sénégalais et des zouaves. L’insécurité se répand
dans toute la région, les recrues sortant de Barika se retrouvent libérées par
les insurgés.
La situation est critique pour les autorités militaires françaises qui
manquent de troupes en Algérie. Une armée de 6 000 soldats finit par être
216 Atlas historique de l’algérie
rassemblée avec deux régiments
d’infanterie et deux escadrons de
chasseurs d’Afrique, appuyés par
l’aviation et l’artillerie de montagne.
La 250 e brigade est même spécialement
retirée du front. Tout le massif
du Bélezma se trouve encerclé à
partir du 8 décembre 1916. C’est
surtout dans le djebel Mestaoua,
proche des villages révoltés, que
l’armée entreprend de réprimer les
douars rebelles. Le 1 er janvier 1917,
14 167 soldats attaquent de nouveau
le Bélezma ainsi que les djebels Bou
Arif et Guerioun au nord de Batna.
Après le bouclage des zones censées
abriter les rebelles, l’armée
procède au ratissage, ponctué de
massacres, viols et incendies de
mechtas (hameaux indigènes). Les
bataillons de tirailleurs sénégalais
furent particulièrement impliqués
dans ces crimes, de même que les
zouaves, ce dont se plaindra le général
Moinier. Les opérations militaires
Cimetière musulman de Pantin.
se succédèrent ensuite entre janvier et février 1917 dans les massifs du djebel
Metlili (région d’El Kantara) et du djebel Chechar. Si le nombre de victimes
de cette guerre de représailles ne sera jamais connu, il y eut 825 personnes
arrêtées et jugées et 165 inculpés par un conseil de guerre (Constantine).
Vivant assez isolée, la population pauvre et fière des tribus chaouias des
Aurès subit cette répression dans la quasi-indifférence générale, cet épisode
de la résistance algérienne ayant été rapidement dissimulé par les autorités
françaises. Comme plus tard en mai 1945, les événements d’Europe étouffèrent
la voix des révoltés algériens.
Les Algériens n’en continuaient pas moins de donner leur sang sur les
théâtres d’opérations de l’armée française. Les tirailleurs et spahis algériens
étaient envoyés au Proche-Orient, où la France comptait appuyer l’offensive
britannique contre les territoires de l’Empire ottoman, allié à l’Allemagne. Un
détachement français de Palestine fut formé pour combattre sur le front du
Sinaï. En juin 1917, des soldats algériens attaquent leurs coreligionnaires de
l’armée ottomane dans la région de Gaza puis entrent à Jérusalem, après le
général Allenby. Cette fitna (la guerre entre musulmans) avait déjà fait ses
preuves dans le Hedjaz avec l’action de l’agent britannique Lawrence auprès
des tribus bédouines. Le commandement français prit d’ailleurs sa part dans
la formation d’unités arabes dans le nord du Hedjaz. Avec son corps expéditionnaire
algérien, l’armée française finit par atteindre la Syrie en janvier 1918
puis fait débarquer des troupes au Liban en septembre. À ce moment-là,
de nombreux Algériens rejoignent l’armée française installée en Syrie. Ces
Algériens avaient été faits prisonniers par les Allemands sur le front du nord
Les Algériens dans la Première Guerre mondiale 217
de la France puis avaient été invités à se joindre à l’armée ottomane alliée.
Après leur intégration dans l’armée du sultan, les soldats algériens devenaient
des travailleurs sur le front oriental. Leurs difficiles conditions au sein
d’une armée malmenée sur tous les fronts les incitèrent à s’enfuir d’Iraq
après l’arrivée des armées occidentales.
Avec l’intervention des Britanniques au Moyen-Orient, l’Empire ottoman
perdait une à une ses anciennes conquêtes (Arabie, Balkans, Iraq…). Le sultan
Mehmed V, qui détenait toujours le titre d’émir des croyants, avait pourtant
appelé au djihad les peuples musulmans. Mais son appel n’avait pas été suivi
ni en Orient ni dans les colonies d’Afrique du Nord, notamment dans l’ancien
beylik d’Algérie. Seules les tribus Sennoussis avaient réagi dans le désert
libyen. En 1916, ils attaquèrent les postes français au-delà de Ghadamès et
Ghat, anciens forts ottomans. Les Italiens, qui avaient entrepris la conquête
de la Libye ottomane depuis 1911, avaient été contraints de replier leurs
unités sur les forts algériens.
Spahi algérien dans le nord de la France.
L’ALGÉRIE DE 1918 À 1939
remier grand choc et bouleversement socio-économique dans les
P
sociétés européennes, la Première Guerre mondiale aura provoqué
plusieurs phénomènes dans la société coloniale algérienne. Bien
que son territoire n’ait pas été directement touché par la guerre, hormis le
bombardement naval de Bône et Philippeville par la Kriegsmarine, l’insurrection
régionale dans les Aurès annonce d’autres formes de contestation. La
société de l’Algérie coloniale assiste à la naissance de nouveaux acteurs politiques
musulmans. De nouvelles voix s’élèvent progressivement dans le paysage
politique, que la population européenne ne percevra que tardivement.
Des migrations massives de travailleurs indigènes vers la France, où les Algériens
découvrent une autre société française, avec des organisations syndicales,
des partis politiques et des conditions de vie autrement intéressantes,
émerge progressivement une prise de conscience du sort réservé aux indigènes
dans les départements algériens. Le prix du sang acquitté par les Algériens
sur les champs de bataille avait suscité une certaine bienveillance à
leur égard. Les autorités françaises avaient souhaité rendre hommage aux
musulmans en faisant construire la première mosquée de France à Paris
inaugurée en 1926. C’est dans le cadre de cette politique de reconnaissance
aux musulmans soldats que seront édifiés en 1935 l’Hôpital franco-musulman
et le cimetière musulman en 1937 au nord de Paris (Bobigny).
En Algérie, la nationalité française est accordée à de nombreux soldats
musulmans décorés de la Grande Guerre. Mais la situation économique est
très difficile au lendemain de la guerre. L’Algérie a été affectée par le blocus
maritime de l’Allemagne ayant frappé les importations de sucre, riz, savon,
outils, combustibles. En 1917, des régions ont particulièrement été touchées
par la crise agricole comme la Kabylie et le Constantinois, entraînant des
disettes en 1917. Les céréales firent ainsi l’objet de spéculations provoquant
une insécurité alimentaire générale. L’intervention des SIP (sociétés indigènes
de prévoyance) et la réquisition de céréales des régions ouest réduisirent
les effets de cette crise mais les récoltes de 1919 et 1920, très
mauvaises, eurent les mêmes conséquences. Cette fois, l’ouest de l’Algérie
fut touché par la famine. Les indigènes de Marnia, Ammi Moussa, Zemoura,
Nedroma, Theniet el Had, Saïda eurent de nombreuses victimes. Des camps
d’accueil pour les affamés furent ouverts par les autorités. Ces années 1918
220 Atlas historique de l’algérie
à 1921 virent s’accumuler les épreuves de la faim et des épidémies, en particulier
celle du typhus, qui fit environ 80 000 morts en 1921. La croissance
démographique de la population indigène baissa brusquement durant ces
années (entre 1901 et 1910 il y eut 65 000 naissances par an, entre 1911 et
1921 plus que 18 440). En fait, les années noires se succèdent jusqu’en 1923.
Mosquée de Paris en cours d’achèvement, 1925.
L’émigration vers la France, qui avait perdu 1 400 000 hommes pendant la
guerre et dont une partie du territoire était en ruines, se présentait pour de
nombreux Algériens comme la seule manière de pouvoir faire vivre leurs
familles. Cependant, l’émigration algérienne vers la métropole était très
contrôlée et nécessita l’obtention d’un contrat de travail à partir de 1924. Un
certificat d’aptitude était requis en 1926. Les paysans pauvres qui ne pouvaient
se rendre en France grossissaient donc les flots de l’exode rural vers les villages,
se rassemblant dans des gourbis ou « villages nègres » (quartiers spontanés
bâtis le plus souvent par les nomades aux abords des villes européennes).
Les principales villes d’Algérie voyaient quant à elles se former à leurs faubourgs
les bidonvilles comme à Alger, où ce terme aurait été inventé vers 1934.
Avec le phénomène de concentration des terres au profit de la grande
colonisation, une masse d’ouvriers agricoles forme un nouveau prolétariat
composé de travailleurs saisonniers ou faisant partie des grands domaines
viticoles. Avec l’apparition des nouveaux outils, la mécanisation de l’agriculture
algérienne (moissonneuses-batteuses) n’a fait qu’accentuer la précarité
des travailleurs indigènes. Sur 26 000 propriétaires européens, 20 %
détiennent 74 % du domaine agricole algérien, principalement en Oranie et
dans la Mitidja. Avec l’accès au crédit, les petits propriétaires européens se
sont souvent endettés, accélérant le regroupement des terres au profit des
gros colons. Certaines cultures tournées vers l’exportation comme les
L’Algérie de 1918 à 1939 221
agrumes et la viticulture maintiennent ainsi la domination d’une catégorie
d’Européens proche des milieux politiques. Mais ces barons de l’Algérie ne
mesurent pas la lente évolution politique qui se réalise chez les musulmans.
Les ouvriers algériens découvrent en France les premiers mouvements
nationalistes avec la fondation de l’Étoile nord-africaine (ENA) par Messali
Hadj en 1926. Après ses contacts avec le Parti communiste français dans le
contexte de la guerre du Rif, l’émigré de Tlemcen Messali réclame rapidement
l’indépendance totale de l’Algérie en… 1927. Son organisation ne tarde pas à
être dissoute par les autorités françaises. Alors que l’on célèbre le centenaire
de la conquête de l’Algérie et inaugurer l’Exposition coloniale en 1931 à Paris,
comment laisser se développer un tel parti ? Après sa dissolution en 1929, l’ENA
réapparaîtra en 1933 sous une forme plus algérienne avec le nom de Parti du
peuple algérien (PPA). De telles initiatives n’étaient possibles qu’en France, dans
le contexte du multipartisme et du monde associatif (loi 1901). Car avec le système
policier sévissant en Algérie contre toute organisation indigène, le PPA
évoluera longtemps dans une semi-clandestinité.
Plus visibles en Algérie, les mouvements religieux n’étaient quant à eux
pas restés inactifs dans le contexte du « renouveau », la Nahda, en Orient. Au
cours des années 1910, plusieurs intellectuels musulmans ou ulémas (jurisconsultes
musulmans) entretenaient des relations avec l’Orient islamique, à
l’occasion du pèlerinage ou de séjours d’apprentissage dans les établissements
de Damas, Médine, Le Caire ou Tunis. Le cheikh Abduh, qui s’était
rendu en Algérie en 1903, joua un rôle important dans la défense du mouvement
de l’Islah, la pratique d’un islam basé sur les sources (Coran et sunna,
la tradition prophétique), épuré des superstitions. Très répandu parmi les
populations d’Algérie, le maraboutisme et ses pratiques hétérodoxes était fermement
condamné par ce mouvement des ulémas réformistes. Parmi eux
avait émergé la figure d’Abdelhamid Ben Badis. Né à Constantine en 1899, il
entreprit le pèlerinage en 1914 puis étudia à la chaire islamique de Tunis
(Zeytouna). Avec les chouyoukh (savants musulmans) Tayeb el Oqbi, qui étudia
à Médine puis revint à Biskra en 1920 et Bachir el Ibrahimi, Ben Badis met
en place la nouvelle organisation des ulémas dans les années 1924-1925. Les
ulémas fonderont officiellement leur association à
Alger en 1931. Pour diffuser leurs idées, ils disposent
des journaux (en arabe) Al Muntaqid et Al Chihab.
Les autorités d’Alger tolèrent ces associations
qu’elles considèrent comme modérées. Il en est de
même pour la première formation politique musulmane
qui émerge dans les années 1930 : la Fédération
des élus musulmans. Issue de la tendance
Jeunes Algériens à l’instar du mouvement marocain
d’Allal el Fassi, la fédération des élus musulmans est
animée en 1934 par Ferhat Abbas, jeune pharmacien
installé à Sétif. Né en 1899 dans la région de Jijel,
il entreprit ses études supérieures à Alger tout en
dirigeant des associations d’étudiants. Après la Première
Guerre mondiale, il se revendique du mouvement
Jeunes Algériens (depuis la Syrie, l’émir
Khaled avait réclamé l’autodétermination de l’Algérie
Timbre à l’effigie de Ferhat
Abbas.
222 Atlas historique de l’algérie
dès 1919 au président américain Wilson) et défend l’égalité des droits entre
tous les habitants de l’Algérie. L’adhésion complète à la France tout en restant
musulman se présentait pour Ferhat Abbas comme le seul choix possible, à
défaut de disposer d’une patrie algérienne. Avec les autres élus musulmans
du département de Constantine comme Bendjelloul et Mostefaï, Ferhat Abbas
forme le courant dit assimilationniste musulman, qui souhaite l’abolition du
statut de l’indigénat.
En 1936, le projet Blum-
Viollette envisageait d’attribuer
la citoyenneté française
à un certain nombre
d’Algériens indigènes, tout en
conservant leur statut musulman.
Considérées comme
trop généreuses par certains
milieux européens d’Algérie,
ces mesures ne seront pas
ratifiées par le Parlement, fréquemment
soumis aux pressions
du lobby colonial. Alors
que le gouvernement du Front
populaire s’impose en France
Groupe d’oulémas réformistes dans les années 1930. en 1936, les ulémas réformistes
organisent leur premier
grand congrès musulman à Alger. Leur audience est alors en plein essor,
surtout à partir de leurs fiefs de Constantine, Tlemcen et Nedroma. Leur programme
consiste à défendre l’identité culturelle des Algériens que répètent en
chœur les nombreux scouts qui sont affiliés au mouvement avec leur credo :
« L’Algérie est mon pays, l’arabe ma langue, l’islam ma religion. » Le cheikh Ben
Badis définit également que la personnalité algérienne « repose sur un trépied,
l’ethnie berbère, la langue arabe, la religion musulmane ». La progression de ces
deux organisations algériennes, dirigées par des élites occidentalisées d’une part
et un milieu savant musulman d’autre part, marquera la vie politique et sociale de
l’Algérie des années 1930. Ces formations précisent leurs idées et leurs programmes
dans un contexte international marqué à la fois par des innovations sociopolitiques
dans le monde arabe (mouvements nationalistes au Maroc et en Tunisie,
Frères musulmans en Égypte…) et la diffusion du communisme dans les colonies.
Les autorités françaises, conscientes du risque de contagion de l’agitation
nationaliste qui sévit au Maroc (Comité d’action marocaine en 1934) et en
Tunisie (le parti Néo-Destour a été fondé en 1934), ont fait le choix prioritaire
de la répression de l’ENA-PPA.
Les années 1933-1934 sont marquées par une forte agitation populaire
autour des idées nationalistes. En fondant le journal L’Entente franco-musulmane,
Ferhat Abbas veut pourtant encore croire à une politique coloniale plus
généreuse. Cependant, la situation économique difficile de l’Algérie dans les
années 1933 aggravait le mécontentement des masses musulmanes. Avec la
mondialisation de la grande crise américaine de 1929, qui avait fini par
atteindre l’Algérie, des milliers de travailleurs algériens avaient été licenciés
dans les mines (comme à El Kouif) et le bâtiment. Quant aux travailleurs
L’Algérie de 1918 à 1939 223
émigrés en France, ils repartaient massivement en Algérie, entraînant une
baisse des mandats postaux en direction de la en Grande Kabylie. L’agriculture
céréalière subissait la chute des cours mondiaux, appauvrissant de nombreux
paysans indigènes et européens, souvent endettés. Les sociétés
indigènes de prévoyance s’efforçaient d’assister les paysans touchés tandis
que le gouvernement procéda à partir de 1936 à la construction de grands
silos et de docks, afin de suppléer aux crises céréalières endémiques. Avec
les nouveaux crédits accordés aux paysans algériens et le recul de la petite
colonisation européenne, on assiste à une reprise des achats de terres par
les propriétaires indigènes, notamment dans le Constantinois.
La région de Constantine-Sétif apparaît bien
comme l’un des fiefs des mouvements nationalistes.
Ferhat Abbas, qui prône la modération
auprès des masses, dit comprendre les idées
nationalistes de l’ENA-PPA, mais ne les partage
pas, car il les estime explosives. Les émeutes
antijuives d’août 1934 qui se produisirent à
Constantine, puis les troubles de Sétif en février
1935 avaient inquiété Ferhat Abbas. En ces temps
de formation d’une nouvelle conscience politique
algérienne, les moindres provocations ou rumeurs
pouvaient rapidement dégénérer. Le Gouvernement
général accusait d’ailleurs les ulémas réformistes
d’entretenir ce climat de tension dans la
population musulmane. Avec le décret de délit
politique de 1935, la pression policière restait très Le cheikh Bachir el Ibrahimi.
forte sur les militants nationalistes algériens.
C’est ainsi que le parti de Messali Hadj est dissous en 1937 par le gouvernement
du Front populaire, sous la pression du Gouvernement général d’Alger.
Devenue Parti du peuple algérien, l’ENA a réussi à mobiliser bien au-delà
des milieux ouvriers algériens en France. Ses militants en Algérie sont devenus
la bête noire de la police et de la DST. Le mouvement nationaliste algérien
du PPA s’organise désormais à partir de l’Algérie, efficacement encadré par
une nouvelle génération d’intellectuels comme Mohamed Debaghine Lamine.
Avec les arrestations successives de Messali Hadj, le PPA doit souvent décider
sans son chef. À Alger, le bureau des centralistes prendra une importance
grandissante vis-à-vis du chef historique du PPA, surtout après son arrestation
en 1937 et sa déportation à Brazzaville.
En 1938, Ferhat Abbas, déçu après l’échec du projet Blum-Viollette, fonde
l’Union populaire algérienne. Avec plusieurs élus de l’Est algérien, qui avaient
démissionné en 1937 pour protester contre l’abandon du projet Blum-Viollette,
son nouveau parti politique veut défendre les intérêts des masses indigènes, tout
en prenant conscience des limites de son ambition franco-musulmane. Tout en
prônant la modération, il déclarera aux autorités : « Vous nous refusez d’être
Français, nous serons autre chose. » Au moment où la Seconde Guerre mondiale
commence, le nouveau PPA de Messali Hadj est de nouveau dissous le 30 septembre
1939 avec les autres formations politiques indigènes. Mais la défaite française
de 1940 et le débarquement anglo-américain en Algérie en 1942 précipitent
« la maturation d’une situation révolutionnaire » (Benjamin Stora).
L’ALGÉRIE DANS LA SECONDE
GUERRE MONDIALE
n mai 1940 les Algériens se trouvent directement témoins et acteurs
E
de la guerre, comme ouvriers dans le nord de la France, mais surtout
comme militaires engagés dans les régiments de tirailleurs.
Ces unités prennent une part active aux premiers combats de mai 1940. Neuf
régiments de tirailleurs algériens (RTA) participent aux tentatives pour contenir
l’armée allemande, qui déferle sur les lignes françaises. Sur la Dyle, au
Quesnoy et sur la Meuse, les Algériens se battent face la Wehrmacht, dont
la supériorité tactique est évidente. De nombreuses unités algériennes se
retrouvent capturées. Le 31 e RTA subira de fortes pertes en résistant dans la
région de Châtillon-sur-Indre. Le 22 e RTA réussit quant à lui à s’embarquer
à partir de la poche de Dunkerque après la bataille de la Dyle. Comme de
nombreuses unités françaises, les RTA se retrouvent vite encerclés et capturés.
Le commandement allemand placera tous les prisonniers africains et
nord-africains dans des Frontstalags, camps de prisonniers réservés aux non-
Européens, selon les principes raciaux nazis, qui prônaient une nette séparation
des races. Les soldats africains des colonies françaises subiront un
traitement particulièrement difficile, les autres Blancs comme les Nord-
Africains se trouvant progressivement libérés en juillet 1941. Un certain
nombre d’entre eux seront employés par l’industrie allemande ou l’organisation
Todt, chargée de la construction du mur de l’Atlantique.
Après l’armistice et l’installation d’un nouveau gouvernement à Vichy, les
départements de l’Algérie prennent une importance nouvelle, avec l’assurance
de disposer de tout son potentiel économique. Avec les conditions d’armistice
imposées à la France, l’Algérie se trouve ponctionnée par les importations réservées
à l’Allemagne nazie. Le rationnement et les nombreuses pénuries (commerce
maritime très limité par la guerre) affectent gravement la population tant
européenne que musulmane. En ravitaillant l’armée allemande qui se bat en
Libye, une grande partie des ressources agricoles est soustraite à la population.
Le cheptel camelin finira par être entièrement consommé.
Cependant, l’épidémie de typhus qui fit 60 000 victimes européennes et
encore davantage d’indigènes sera l’une des plus graves conséquences de
cette crise. Les deux premières années de la guerre sont très difficiles pour
226 Atlas historique de l’algérie
l’Algérie, dont les autorités ont
rapidement fait allégeance au
maréchal Pétain. Le gouverneur
général Chatel et le général Juin
s’efforcent de suivre le programme
de la Révolution nationale
du nouveau gouvernement
d’extrême droite, notamment en
appliquant la politique antijuive
de Vichy. Déchus de la nationalité
française en octobre 1940, les
Juifs algériens surmontent une
difficile épreuve. Aux interdictions
d’exercer dans la fonction
publique, et dans certaines professions,
les juifs algériens se
retrouvent confrontés à de nombreuses
spoliations et arrestations,
avec, en arrière-plan, une
population européenne séduite
dans sa majorité par le pétainisme
(Stora). Les formations
politiques indigènes subissent
quant à elles une surveillance
accrue du nouveau régime,
encore plus policier. En réalité, le
Gouvernement général est en
situation de faiblesse et craint
Affiche du ministère de la Guerre, 1939.
toute agitation populaire. Les
milieux militaires, qui n’ont pas
vraiment digéré la défaite de 1940, sont divisés par l’intervention du général
de Gaulle, qui a appelé à continuer le combat. L’homme de la France libre est
bien conscient qu’il doit s’appuyer sur l’Algérie pour libérer la France. Mais,
en se trouvant à Londres, il est encore mal perçu en Algérie, où la flotte
française basée dans le port de Mers el Kebir a été bombardée par la Royal
Navy le 3 juillet 1940.
Les Britanniques s’inquiètent de l’utilisation possible de la flotte française
par l’Allemagne. L’Afrique du Nord se trouve en partie occupée par les Italiens
de Mussolini, le grand allié d’Hitler. Avec l’intervention de l’Africa Korps contre
les Britanniques en Libye, la frontière égyptienne et le Moyen-Orient se
trouvent menacés en 1942. Avec l’entrée des États-Unis dans le nouveau
conflit mondial depuis décembre 1941 et son concours au ravitaillement britannique,
l’Afrique du Nord apparaît désormais comme une base intéressante
à proximité d’une Europe quasi totalement occupée par les forces de l’Axe.
DU DÉBARQUEMENT AMÉRICAIN
EN ALGÉRIE À LA CAMPAGNE
DE TUNISIE (1942-1943)
e 8 novembre 1942, 150 000 soldats américains débarquent sur les
L
plages d’Oran et d’Alger. La flotte de l’US Navy met en place les
forces armées sur plusieurs têtes de pont, à l’ouest d’Alger, entre
Bou Ismaïl et Sidi-Ferruch, où les plages ne sont pas défendues par les Français.
À l’ouest d’Alger, les Américains doivent débarquer dans le secteur
d’Aïn Taya, afin de neutraliser les batteries côtières. Le gouvernement de
228 Atlas historique de l’algérie
Vichy ayant donné l’ordre aux forces françaises d’Alger d’empêcher toute tentative
alliée sur l’Algérie, de nombreux tirs sont échangés entre les fortifications
autour d’Alger et les troupes américaines. Avec l’aide des réseaux
gaullistes, les Américains parviennent cependant à investir rapidement les
aérodromes et les faubourgs d’Alger. Après quelques résistances, l’amiral
Darlan et le général Giraud finiront par négocier rapidement la fin des hostilités
avec le général américain Clark. Dans la région d’Oran où se déroule
l’autre débarquement, les forces américaines doivent neutraliser plusieurs
nids de résistance français. Les troupes de la région avaient gardé le souvenir
de l’intervention anglaise à Mers el Kebir en 1940. Les soldats anglais qui
débarquent avec les Américains furent insérés parmi les régiments américains
afin de prévenir toute réaction d’hostilité de la population.
Avec l’arrivée des Américains, c’est le débarquement de milliers de tonnes
de ravitaillement et produits « made in USA » distribués gracieusement aux
populations, qui impressionnent les Algériens des villes et villages, traversés
par cette armée qui fait route vers l’est du pays. Mais les Allemands ont réagi
dès le 10 novembre en bombardant Alger et les grandes villes de la côte
est, Bougie et Bône. Jusqu’en mai 1943, la Luftwaffe mènera plusieurs raids
meurtriers. L’avance des forces américaines est cependant très rapide. Moins
d’une semaine après leur débarquement, ils sont à Bône et à Tébessa, en
face de la Tunisie occupée par les forces de l’Axe. Depuis 1939, les Allemands
ont fortifié des positions défensives dans le sud de la Tunisie (ligne Mareth),
permettant à l’armée de Rommel de se replier en bon ordre après l’échec
d’El Alamein (Égypte) en octobre 1942.
La campagne de Tunisie sera le baptême du feu pour la plupart des soldats
américains mais aussi celui de milliers de soldats algériens engagés
sur ce front à partir de 1943. Le recrutement des soldats indigènes après le
débarquement allié en Algérie apparaît comme un enjeu politique majeur,
d’une part pour le général de Gaulle, qui s’appuiera sur cette armée d’Afrique
jusqu’en 1945 pour négocier le retour de la France parmi les Alliés, et d’autre
part pour les mouvements nationalistes algériens. Ferhat Abbas entreprend
Du débarquement américain en Algérie à la campagne de Tunisie (1942-1943) 229
230 Atlas historique de l’algérie
effectivement des négociations directes avec Robert Murphy, diplomate américain
à Alger. Le 22 décembre 1942, Abbas lance un appel aux nations alliées,
que le Gouvernement général ignore. Pourtant, avec les principes comme celui
du « droit de tous les peuples à choisir la forme de gouvernement sous laquelle
ils veulent vivre » énoncés dans la Charte de l’Atlantique de Churchill et
Roosevelt le 14 août 1941, les militants nationalistes algériens pensent avoir
trouvé un nouvel appui moral des États-Unis. À ce moment-là, Ferhat Abbas
s’applique à organiser un front uni des mouvements militants algériens et présente
son Manifeste du peuple algérien, texte destiné autant aux autorités françaises
qu’aux États-Unis. Le pharmacien de Sétif fonde les Amis du Manifeste
et de la Liberté (AML) en mai 1943, qui rassemblera 100 000 adhérents en 1945.
Cet événement marque une étape significative dans le mouvement nationaliste
algérien (Charles André Julien). En permettant à Messali Hadj de le
rejoindre à Sétif le 10 juin 1943, après avoir obtenu sa libération, Ferhat Abbas
se présente comme un médiateur incontournable, entre les indépendantistes
du PPA et l’immobilisme du Gouvernement général. Toutefois, le général de
Gaulle, qui est arrivé en Algérie pour constituer le Comité français de libération
nationale (CFLN) en mai 1943, est bien conscient de la nécessité de faire
un geste en direction des milieux politiques indigènes. De Gaulle annonce des
réformes en faveur des musulmans, dans son discours de Constantine du
12 décembre 1943. L’ordonnance du 7 mars 1944 ouvre aux musulmans
l’accès aux emplois civils et militaires. Elle met fin aux mesures d’exception
et accorde la citoyenneté française à quelques milliers d’indigènes, pouvant
désormais participer aux élections à l’Assemblée algérienne divisée en deux
collèges. Les communes mixtes sont quant à elles supprimées.
De nombreux Algériens n’auront bientôt plus l’occasion de profiter de ces
mesures. Ils mourront sur les champs de bataille d’Italie, où ils débarqueront
en 1944, après avoir participé en partie à la campagne de Tunisie. De février à
avril 1943, l’armée américaine est appuyée par les régiments indigènes d’une
nouvelle « armée d’Afrique ». Reprenant le vocable des troupes de la conquête,
cette nouvelle force commandée par le général Juin, un Européen d’Algérie, n’a
pu voir le jour qu’avec tout l’armement américain débarqué en 1942. La formation
des nouvelles recrues algériennes, qui s’engagent cette fois en masse, a
été organisée dans les grands camps militaires américains tels que ceux de
l’Oranie. Il s’agissait de préparer ces troupes fraîches aux techniques de débarquement
et à l’utilisation de tout un nouveau matériel américain. La formidable
logistique américaine débarquée en Algérie a certainement impressionné les
populations, prenant conscience de la puissance de ce pays méconnu.
Mais les Algériens sont rapidement confrontés aux réalités de la guerre.
Dans le front du sud-est algérien, la division de marche de Constantine est
envoyée de février à avril 1943 pour barrer la route aux Italiens, qui tentent
d’attaquer à partir de Gafsa. Après leurs échecs face à Rommel en février
1943, les Américains finissent par percer le front allemand pendant la grande
offensive du printemps 1943, avec le déploiement de plusieurs régiments de
tirailleurs algériens. Dans le Sahara algéro-libyen, les Français s’efforcent de
reprendre les positions italiennes de Ghat et poussent jusqu’à Serdelès. La
compagnie saharienne des Ajjer, qui a rejeté les Italiens en janvier 1943, est
ensuite rejointe dans la région de Djanet par la compagnie méhariste de
Touat, qui a parcouru 1500 km à partir d’Adrar.
Affichette arabe en l’honneur du général Giraud.
LES SOLDATS ALGÉRIENS SUR
LE FRONT D’ITALIE
(JUILLET 1943-JUIN 1944)
e corps expéditionnaire du général Juin se trouve engagé dans la
L
campagne d’Italie. La péninsule italienne était perçue par les Alliés
comme le « ventre mou du crocodile » (Churchill) et donc un front
secondaire en Europe, avant le grand débarquement dans le nord de la
France. Pourtant, ce sont 120 000 hommes qui sont envoyés d’Algérie vers le
front italien. Après le débarquement anglo-américain en Sicile et en Calabre
en juillet 1943, la forte résistance de l’armée allemande dans la région de
Naples surprend le commandement allié. L’engagement de la 3 e division
d’infanterie algérienne (DIA) prend toute son importance. Arrivés en
décembre 1943, les régiments de tirailleurs algériens font face à la dureté
des combats. S’appuyant sur le relief des Abruzzes, les Allemands sont solidement
retranchés sur la ligne Gustav. À Monte Cassino, de janvier à mai
1944, c’est le baptême du feu pour la grande majorité des Algériens. Le
monastère détruit par les bombardements alliés devint un nid de résistance
très difficile à reprendre aux parachutistes allemands. À l’issue de plusieurs
batailles dans la région de Monna Casale et Castelforte, les régiments algériens
et marocains finissent par contourner la montagne sanglante et franchir
victorieusement la rivière Garigliano en mars 1944. Jusqu’en juin, les
tirailleurs progressent lentement jusqu’à la rivière Sacco, traversée le 2 juin
1944, puis entrent à Rome le 5 juin, la veille du débarquement allié en Normandie.
Le 7 e RTA continue de poursuivre son offensive au nord de Viterbo et
engage plusieurs combats pour la traversée de l’Orcia le 21 juin. Les Algériens
atteignent ensuite la ville de Sienne. La campagne d’Italie aura fait
1 978 tués et 5 860 blessés parmi les soldats de la 3 e DIA.
LA LIBÉRATION DE LA FRANCE,
DE LA PROVENCE À L’ALSACE
eux mois après le débarquement anglo-américain en Normandie le
D
6 juin 1944, le commandement allié ouvrait un second front dans le
sud-est de la France. L’opération « Anvil » consistait à débarquer sur
les côtes de Provence les armées d’Afrique du Nord et d’Italie. Au lendemain
de la première phase du débarquement dans la région de Saint-Raphaël le
15 août 1944, la 3 e DIA débarque à son tour vers Saint-Tropez. Rassemblés
ensuite à Cogolin, dans le massif des … Maures, les Algériens passent à
l’offensive en direction de Toulon. Une bataille de trois jours s’engage pour la
prise de la ville, dont le port abrite de grandes installations militaires. Les
tirailleurs attaquent l’armée allemande en encerclant Toulon le 20 août
(3 e régiment de spahis algériens) tandis que d’autres unités sont envoyées
sur les faubourgs de Marseille avec les soldats de la 9 e division d’infanterie
coloniale. Ayant atteint Marseille le 22 août, tirailleurs algériens du 7 e RTA et
tabors marocains livrent bataille jusqu’au sommet de Notre-Dame de la
Garde pour réduire les nids de résistance allemands. Appuyés par les résistants
locaux, les soldats de la 3 e DIA libèrent Marseille, dont la garnison
allemande capitule le 29 août 1944. Les forces françaises ont perdu
4 500 hommes en deux semaines.
La 3 e DIA poursuit alors son avancée à travers les vallées des Alpes
jusqu’à Grenoble tandis que le gros des forces alliées remonte la vallée du
Rhône. Le repli des armées allemandes au nord de Lyon explique la progression
assez facile de la 3 e DIA jusqu’au Jura, qui est atteint en septembre 1944.
L’armée allemande s’est solidement retranchée autour de l’Alsace, région
considérée comme faisant partie du Vaterland (Patrie) allemand et donc à
défendre en conséquence. À l’automne 1944, les armées américaines (général
Patton) ont également atteint la Lorraine, au moment où les forces françaises
se trouvent aux pieds des Vosges, sur fond de grandes difficultés logistiques
(aucun port d’importance n’est encore disponible en septembre 1944).
Entre le 4 octobre et le 14 novembre 1944, la 3e DIA est alors lancée dans
plusieurs offensives contre les positions allemandes, mais fait face à une très
forte résistance. Tenant les crêtes du massif des Vosges, les Allemands infligent
de lourdes pertes aux soldats algériens, qui progressent malgré tout
236 Atlas historique de l’algérie
dans les dures conditions hivernales. Alors que Mulhouse et Strasbourg sont
libérées les 21 et 23 novembre 1944, les nouvelles offensives au sommet
des Vosges, coûteuses en hommes, n’aboutissent que très péniblement. La
dernière ligne de crêtes est ainsi occupée le 24 décembre 1944. La 3 e DIA
participe ensuite à la première tentative sur Colmar à la mi-décembre, mais
sans y parvenir malgré de lourdes pertes. Alors que presque toute l’Alsace
est libérée, la deuxième bataille de Colmar du 20 janvier au 2 février 1945
retient encore les soldats de la 3 e DIA, qui est positionnée au nord, en direction
de Strasbourg. C’est à partir de la grande cité alsacienne que la division
prendra part aux opérations du Rhin de mars 1945.
Le front des Vosges (hiver 1944-1945)
La libération de la France, de la Provence à l’Alsace 237
LES SOLDATS ALGÉRIENS
EN ALLEMAGNE
L’offensive générale des armées françaises en direction du Rhin est
déclenchée le 15 mars 1945. Censée couvrir le flanc sud de l’offensive américaine,
son rôle devait en principe être limité. Mais le général de Gaulle a
chargé de Lattre de Tassigny de tout faire pour traverser le Rhin et entrer en
Allemagne. De Gaulle a bien mesuré l’enjeu politique international pour la
France à ce stade du conflit. En faisant pénétrer l’armée française en Allemagne,
il renforce la position française auprès des Alliés. La politique proallemande
de Vichy ayant en effet compromis la position française en Europe, le
chef de la France libre entendait regagner la confiance des Alliés, tant américains
que soviétiques.
Les soldats coloniaux, dont les Algériens, deviennent ainsi le principal bras
armé de cette politique internationale et franchissent la frontière allemande
le 18 mars 1945. Parmi eux, le régiment du 3 e RTA, qui se distingue particulièrement.
Avec la prise de Spire le 31 mars, le Rhin est atteint puis traversé
avec très peu d’embarcations. Mais les combats pour la tête de pont sont
âpres. Les forces armées françaises progressent jusqu’à la grande ville de
Karlsruhe puis s’avancent en direction de l’Enz, qui est atteinte le 8 avril. Les
derniers efforts des unités algériennes sont récompensés par la prise de
Stuttgart le 21 avril 1945. Avant de retourner en Algérie, beaucoup séjourneront
en Alsace, et, une fois démobilisés en Algérie, retrouveront une compagne
ou travailleront dans les chantiers de reconstruction. Sur les
134 000 Algériens mobilisés de 1943 à 1945, 6 000 Algériens musulmans tués
ne reverront jamais leur famille. Le prix de ce sacrifice, ajouté à celui des
quelque 10 000 autres Européens d’Algérie tués, permet à la France de participer
à la signature de la capitulation allemande du 8 mai 1945, avec la présence
du maréchal de Lattre de Tassigny. À Sétif, un autre 8 mai commence.
Avenue Clemenceau au centre de Sétif, 1945.
RÉVOLTES ET RÉPRESSIONS
DE SÉTIF À GUELMA
LA RÉPRESSION
DISPROPORTIONNÉE DE 1945
près le succès du mouvement des Amis du Manifeste et de la
A
Liberté, la population musulmane d’Algérie envisageait réellement
la prise en compte de ses nouvelles revendications. Parmi les sympathisants
des AML, les militants du PPA apparaissent comme bien décidés à
obtenir gain de cause, surtout après l’arrestation de Messali Hadj. Alors que se
préparait une intervention militaire alliée en France, le général de Gaulle voulait
certainement montrer qu’il avait bien entendu les Algériens avec l’ordonnance
du 7 mars 1944, avant de se consacrer à la restauration de la République.
Au sein des AML, la tendance PPA restera très forte au sein du mouvement
d’Abbas, qui tient son congrès le 2 avril 1945. Les dirigeants du PPA vont
jusqu’à soulever la question d’un futur État algérien. Le Gouvernement général
ne pouvait rester sans réagir à ce qu’il considérait comme des provocations
et enferme Messali, qui ne devait plus recouvrer sa liberté avant
plusieurs années.
Le PPA, principal mouvement nationaliste, envisageait de réclamer la libération
de son chef à la moindre occasion. Celle-ci se présenta enfin le 1 er mai
1945, pendant lequel de nombreux cortèges d’Algériens manifestèrent. Rassemblant
1 500 personnes à Guelma, 3 000 à Sétif, la plupart des manifestations
de la fête du Travail se déroulèrent sans incident contrairement à celle
d’Alger, où la police et les gendarmes usèrent de la force, par peur d’être
débordés par le nombre, tuant plusieurs manifestants algériens. La dernière
année de la guerre en Europe se fit encore sentir durement chez la masse
de la population algérienne, touchée par les pénuries et par les ravages du
typhus.
Mais en ce début mai 1945, la population musulmane entretenait également
l’espoir d’une Algérie qui prendrait en compte leurs nouvelles aspirations
développées depuis les années 1930. Les militants entretenaient cet
espoir par leurs discours quasi religieux. Dans la conscience du peuple algérien,
la fin de la guerre en Europe ne pouvait être suivie que d’une amélioration
de leur sort, sous une forme matérielle ou politique. Notamment dans le
Constantinois très politisé, on préparait avec ferveur la date de la prochaine
libération… de l’Europe mais aussi de l’Algérie.
SÉTIF, 8MAI 1945
a manifestation qui se prépare à Sétif le 7 mai 1945 est très attendue
L
par les militants des AML comme du PPA. Ils souhaitent profiter de
cet événement historique pour parader fièrement en chantant des
hymnes nationalistes. Quant au drapeau algérien, interdit par les autorités, il
nécessitera de la discrétion. Le rendez-vous du départ de la manifestation n’a
pas été prévu n’importe où. Il s’agit de la mosquée Abou Dar el Ghifari (du
nom d’un compagnon du Prophète de l’Islam) dite aussi Masjid et Atiq,
(ancienne mosquée), située à cinq minutes de la gare de Sétif. Contrairement
àlaMasjid el Atiq (Ancienne Mosquée) construite dans les années 1845, la
mosquée de la gare illustre le travail entrepris par les milieux religieux dans
la région pendant les années 1930,. La région de Sétif se trouve entre le pôle
religieux de Constantine et la région d’origine de Bachir el Ibrahimi (douar
Ouled Braham, à l’ouest de Colbert, anciennement Aïn Oulmene). Le faubourg
supérieur de la gare, dans lequel la mosquée est située, est un quartier abritant
une population mixte, d’Européens et d’indigènes aisés. Sétif est très
aérée avec ses grands boulevards militaires qui entourent la ville, sortie de
ses remparts depuis les années 1920. Les indigènes peuvent se rendre facilement
vers le grand marché arabe, à proximité de la porte de Biskra. C’est un
rendez-vous hebdomadaire des paysans des hautes plaines au sud de la ville
et des montagnards du nord.
Avec la mise en marche du cortège indigène le matin du 8 mai en direction
de la porte de Constantine, une masse de paysans rejoindra spontanément le
défilé. La grande avenue Georges-Clemenceau, bordée d’arcades, est l’artère
principale de la ville, sa vitrine. Les milliers d’Algériens s’avancent en direction
du monument aux morts pour y déposer une gerbe, et devront donc
tourner à gauche en passant devant le Café de France. La grande avenue est
légèrement en pente avant d’aboutir à Aïn el Fouara, la fontaine emblématique
de la ville. Au croisement de la rue Sillègue, un barrage de police ferme
l’accès à la place où se trouvent la mairie et la sous-préfecture. Les scouts,
qui ouvrent la marche depuis la mosquée de la gare, continuent d’entonner
leurs chants patriotiques quand surgit un commissaire de police ; à la vue du
drapeau interdit, tendu par un jeune militant, il essaie de s’en emparer par la
force, le policier se retrouve débordé et tire.
244 Atlas historique de l’algérie
Cet incident déclenche une panique générale, les policiers tirent sur la
foule qui s'éparpille par les rues adjacentes. Le gros du cortège, en cherchant
à reprendre l’avenue en sens inverse, se retrouve face à un barrage de gendarmes
qui ouvrent le feu. Parmi les manifestants qui ont reflué par les rues
en direction de la porte de Biskra, certains réagissent très brutalement sur
les Européens qu’ils croisent, tuant une vingtaine de personnes et blessant
35 autres, le plus souvent par arme blanche. Le nombre d’indigènes abattus à
ce moment du drame est quant à lui resté inconnu mais a dû être de plusieurs
dizaines, les policiers et gendarmes ne disposant pas d’armes lourdes de
part et d’autre de l’avenue où le plus grand nombre a été tué.
La confusion qui régnait à ce stade de l’émeute provoque un effet d’entraînement
des indigènes restés au marché arabe, qui s’enfuirent tous à la nouvelle
de la fusillade. Le mouvement de reflux des paysans arrivés dans la
matinée à Sétif vers leurs douars amplifie la peur et le désir de vengeance.
Quant aux autorités françaises, elles prennent la mesure de la gravité de
l’émeute, en activant un plan d’action militaire, en fait préparé depuis plusieurs
mois. La riposte était inéluctable surtout pour le milieu des quelques
policiers mêlés à la fusillade sur le porte-drapeau. Ils détestent Ferhat Abbas
et son réseau d’amitiés européennes comme Deluca, élu communiste de la
ville, blessé pendant l’émeute. Ils veulent en finir avec la menace que représentent
les militants du PPA sur leur Algérie française, et ont d’ailleurs très
bien accueilli le programme de Vichy en 1940. La répression est très dure
pour la population de Sétif.
Dans les campagnes, les nouvelles de cette répression sont diffusées en fin de
matinée, le long de la route de Bougie, par le chauffeur de taxi Eel Adouani, militant
PPA, qui annonça le début d’une guerre contre les Français. Dans le village
des Amoucha et plus haut de Kerrata, quelques indigènes sont revenus de Sétif.
Des rassemblements se forment spontanément. Parmi la population, des jeunes
probablement militants se rassemblent. À Amoucha, Périgotville, Chevreul,
Lafayette et Kerrata, des groupes décident d’attaquer les casernes locales de
gendarmerie et de s’emparer des armes.
En tournant leur violence contre les habitants européens des villages, les
émeutes spontanées prennent un tournant irrationnel. En tuant, le plus souvent
à l’arme blanche, et en mutilant leurs victimes européennes, les paysans survoltés
par l’appel à la vengeance sont inconscients des conséquences
dramatiques de tels actes. Situés au plus près des montagnes, ces villages
sont au cœur de la zone d’action de l’armée, qui intervient dès le lendemain.
Une partie des émeutiers étant parvenue à s’emparer de fusils, la population
assiège les casernes et essaie de couper les routes le 8 et surtout le 9 mai.
Le commandement local de Sétif accentue la gravité de la situation, en interprétant
tout acte de violence rapporté dans son secteur comme le signe de
l’extension d’une insurrection armée de grande ampleur. C’est ainsi que le
colonel Bourdila demande à la X e Région militaire d’Alger tous les moyens
possibles pour dégager les villages au nord de Sétif et reprendre la région
aux insurgés.
Les tentatives de pillages par des groupes de nomades dans la région des
chotts, entre Colbert et Saint-Arnaud, sont associées à des troubles insurrectionnels
et réprimées à la mitrailleuse. De nombreux incidents isolés et règlements
de comptes accentuent la confusion, comme à Tamentout. Dans
Sétif, 8 mai 1945 245
plusieurs villages comme à Sillègue (Beni Fouda) et à Aïn Abessa, le caractère
limité des violences n’empêche cependant pas l’armée et l’aviation d’intervenir.
À partir du 9 mai et l’arrivée des renforts sur les routes du nord, l’armée
se déploie massivement dans la région. En faisant appel à l’aviation et la
marine, le commandant Henri Martin prépare une réaction totalement disproportionnée.
Alors que les routes et les villages commencent à être libérés
par les premiers véhicules blindés, des troupes spéciales sont envoyées sur
Sétif. La Légion étrangère (Sidi Bel Abbès) et les régiments de tirailleurs
sénégalais entrent en jeu à partir du 9 mai, pour une action immédiate sur
les villages, appuyés par des bombardements sur les rassemblements de
population, déclarés suspects. Avec la découverte des cadavres d’Européens
sur les routes, le mitraillage à vue sera systématique, entraînant la mort de
plusieurs centaines d’Algériens comme à Kerrata, Périgotville et Chevreul.
Les populations indigènes s’enfuient massivement dans les champs et les
montagnes.
LA GUERRE DE REPRÉSAILLES
AU NORD DE SÉTIF
À partir du 13 mai 1945, le commandement décide le lancement de
grandes opérations de nettoyage des massifs où se terrent toujours hommes
en armes et paysans fuyant les mitraillages. L’aviation procède à de nombreux
bombardements des zones encore peu accessibles aux troupes. Les unités
de Sénégalais et la Légion étrangère pénètrent dans le massif des Babors et
dans le secteur des gorges du Chabet el Akhira (le ravin de l’au-delà) pour y
déloger les rebelles. Le colonel Bourdila entreprend de faire descendre toute
la population des douars autour de Kerrata pour le 15 mai. Ce rassemblement
illustré par plusieurs images d’archives permet à l’armée d’afficher son travail
de pacification dans la zone de l’émeute, avec des scènes d’hommes
rassemblés levant les bras avec des fusils qu’on leur a distribués. Le colonel
Bourdila lui-même donne un discours moralisateur sur le comportement des
émeutiers et la force de la France. Mais ce rassemblement au bord de l’oued
de Kerrata cache une tout autre réalité. Des arrestations et des interrogatoires
suivent ce rassemblement et, encadrés par des gendarmes, un certain
nombre de suspects prend la route des gorges où ils seront précipités vivants.
Le pont Hanouz, du nom de l’une des victimes, commémore ces exécutions
sommaires de mai 1945.
Mais le plus important des rassemblements de population orchestrés par
les autorités militaires se déroula sur la grande plage des Falaises, en contrebas
de la route de Bougie à Djidjelli. Tous les douars du secteur sont rassemblés
de force pour assister à la cérémonie de l’aman ou « demande de
pardon » (en arabe). Tous les responsables civils et militaires de l’Est algérien
sont présents pour assister à la soumission des tribus à qui il est demandé
de proférer des imprécations contre les chefs nationalistes et de reconnaître
la toute-puissance de la France. Le survol de la plage à basse altitude par
des avions de chasse ainsi que la présence de navires de guerre pour impressionner
les populations compose cet événement, censé marquer la fin des
hostilités. Plusieurs images de ce 22 mai ont été diffusées et conservées
contrairement aux autres actions de la guerre de représailles, qui continue
jusqu’en juin 1945. L’armée qui ratisse la région a étendu sa zone d’opération
aux montagnes du Bou Andas et dans le djebel Tamesguida. Dans ces massifs
248 Atlas historique de l’algérie
boisés se seraient cachés les émeutiers de la première heure, qui sont traqués
par les légionnaires, tirailleurs sénégalais et tabors marocains venus en
renfort après leur action autour de Guelma. Les opérations de réduction des
poches de résistance ne laissent aucun doute sur le sort réservé aux
hameaux qui abriteraient des suspects. C’est à huis clos que des crimes
terribles sont commis dans ces régions reculées autour du Tamesguida et de
Tala Ifacène, à l’ouest de Kerrata. La dernière opération se déroule le 16 juin
dans le djebel el Halfa, au sud-est de Chevreul ; elle est suivie d’un rassemblement
forcé des populations le 25 juin. Mais la population s’enfuit en partie
avant la fin, sachant qu’il s’agit d’un piège tendu par les Français pour capturer
et liquider nombre de personnes.
Toute la région de la mer à Saint-Arnaud gardera le souvenir des atrocités
commises par les tirailleurs sénégalais. Quant à la population de Kerrata-
Djermouna, elle voit graver sur la roche de l’oued el Akhira la trace des opérations
répressives de la Légion étrangère et de la gendarmerie. Pendant quarante-cinq
jours, la gendarmerie et l’armée, souvent appuyées par des
Européens locaux, ont obtenu carte blanche des autorités pour écraser les
émeutiers. En fait, des milliers d’innocents ont été mitraillés, bombardés,
La guerre de représailles au nord de Sétif 249
pillés ou sommairement abattus en fuyant ou en croisant la route des escadrons
de la mort. La réponse disproportionnée de l’armée et des forces
locales (police, gendarmerie) succède à une concentration de tensions au sein
de la société coloniale. Confrontée à la montée d’un nationalisme décomplexé
dans un contexte de recul de la petite colonisation pendant les dernières
années, la minorité européenne, surtout dans le Constantinois où elle est la
moins nombreuse, avait accumulé des peurs parfois irrationnelles face aux
masses qui l’entouraient.
Quant aux autorités civiles et militaires, elles avaient été préparées
quelques mois auparavant à réagir à toute éventualité. Le contexte de la fin
de la Seconde Guerre mondiale en Europe et les enjeux politiques internationaux
qui entouraient la position de la France avaient convaincu le GPRF
d’éviter toute manifestation d’hostilité dans les colonies. À défaut de pouvoir
prévenir des émeutes (comme ce fut le cas le 1 er mai 1945), les autorités
d’Alger devaient parvenir à les étouffer dès les premiers incidents. De même,
les informations rapportées par la presse française sur les pudiques événements
du Constantinois furent soigneusement censurées. Quant aux commissions
d’enquête qui suivirent, elles furent assez rapidement interrompues en
haut lieu. La France était en train de se reconstruire tant matériellement que
politiquement et ne pouvait rendre publics les faits de massacres commis
par ses soldats. Les informations furent cependant bien dissimulées sinon
détruites au moment où les premiers chercheurs commencèrent leur travail
d’investigation, assez tardivement, dans les années 1980. Malgré tout, en
recoupant un certain nombre d’archives militaires avec les témoignages des
survivants et une bonne connaissance du terrain, il était possible de reconstituer
ce printemps sanglant de mai-juin 1945. Après la terrible répression du
Bélezma et des Aurès en 1917 et les répressions dans les régions de Sétif et
Guelma en 1945, le contentieux avec la colonie européenne d’Algérie se trouvait
aggravé dans l’Est algérien, qui deviendra le berceau de la guerre d’indépendance
à venir.
250 Atlas historique de l’algérie
Le pont Hanouz, site d'un massacre.
La guerre de représailles au nord de Sétif 251
EXÉCUTIONS SOMMAIRES
PRÉVENTIVES À GUELMA
Comme à Sétif, le 1 er mai 1945 avait été l’occasion pour les militants nationalistes
algériens de démontrer leur capacité à se rassembler, même dans des
petites villes. Ils étaient 1 500 à Guelma et, bien que pacifique, cette démonstration
politique du 1 er mai alimentait l’inquiétude des Européens. Ils n’étaient en
fait pas rassurés depuis un certain nombre d’années. Non seulement les thèses
du PPA progressaient dans la région mais on assistait à un recul de la colonisation
européenne. Depuis les années 1930, un mouvement de rachat de terres
par les indigènes s’était développé sur fond de crises agricoles à répétition. Les
sociétés indigènes de prévoyance (SIP) avaient joué un rôle non négligeable. Le
désarroi économique de nombreux petits propriétaires européens avait entretenu
cette peur, déjà ancienne, d’être submergé par « les Arabes ». Leur
nombre n’était plus le seul motif d’inquiétude. Non seulement ils reprenaient
progressivement une partie des terres dépossédées à leurs ancêtres, mais ils
faisaient également de la politique. Avec les idées nationalistes du PPA, le mouvement
le plus récent était celui des Amis du Manifeste et de la Liberté de
Ferhat Abbas, que toute la région constantinoise avait soutenu. À Guelma, certains
avaient décidé de prévenir toute tentative de déstabilisation du système.
C’est un certain Achiary, sous-préfet de Guelma, qui entreprit de constituer dès
le 14 avril 1945 les premières milices d’Européens dans plusieurs villages
autour de la ville. Les petits villages de colonisation d’Héliopolis, Petit, Millésimo,
Guelaat Bou Sbaa, Clauzel, Gounod, Gallieni et Hammam Meskoutine
eurent des milices armées, prêtes à toute éventualité. La minorité européenne
trouvait avec ces armes un moyen de se rassurer.
Les événements de Sétif de la matinée du 8 mai exacerbent cette psychose
des Européens qui entreprennent des exécutions sommaires préventives sur
ces indigènes perçus comme des menaces. Membres actifs du PPA, membres
des AML ou simplement classés comme intellectuels constitueront la cible
prioritaire d’une sinistre milice. Pourtant, contrairement à Sétif, aucune violence
ne fut commise contre des Européens dans la ville de Guelma. Le souspréfet
Achiary, à la nouvelle des événements survenus le matin du 8 mai,
exécuta l’ordre du préfet Lestrade-Carbonnel de réprimer violemment le
254 Atlas historique de l’algérie
cortège indigène prévu pour la célébration de la victoire alliée. Achiary fit ainsi
tirer sur la foule rassemblée en fin d’après-midi.
L’aggravation des violences autour de Sétif ayant déclenché une réaction
armée de grande ampleur, le sous-préfet de Guelma prépara sa guerre avec
ses milices. 80 hommes défendaient Guelma contre toute attaque, en se positionnant
autour de la ville. Cette attaque ne survint jamais. La gendarmerie
et la milice entreprirent alors de traiter l’ennemi intérieur, les militants algériens
de Guelma. Alors que le 9 mai commença le temps des règlements de
comptes, des opérations militaires répressives étaient également engagées
autour de Guelma du fait de rassemblements indigènes suspects et à la suite
de la mort de 11 paysans européens tués par des émeutiers. La réaction
militaire fut terriblement disproportionnée. Comme autour de Sétif à partir
du 9 mai, des bombardements furent effectués contre les rassemblements
de population indigène, et des colonnes militaires parcouraient les routes et
villages pour « dégager » ou « nettoyer », sombres euphémismes officiels de
l’armée. La campagne de Guelma fut le théâtre de mitraillages et de pillages
commis par une armée composite. Goumiers marocains (à partir du 16 mai),
troupe de choc de l’armée coloniale, troupes venues de Tunisie ainsi que
trains de mitrailleuses (Sénégalais) s’employaient à tirer sur tout indigène
aperçu fuyant ou tout simplement suspect d’avoir participé à quelque trouble.
Le calme est officiellement rétabli le 10 mai 1945. La répression prend
une autre dimension dans la ville de Guelma, avec la création d’un tribunal
illégal, où transitent des centaines d’Algériens en vue de leur exécution sommaire.
Un conseil – illégal – de guerre, présidé par Achiary lui-même, traite
2 500 suspects, écumant les milieux PPA et autres sympathisants nationalistes.
Aux opérations militaires (par bombardements et mitraillages) succèdent
les exécutions par les autorités civiles et milices autoproclamées à
Guelma et dans les villages alentour. Du 13 au 19 mai, les milices d’Achiary
et la gendarmerie procèdent à une exécution systématique des Algériens suspects
actifs ou proches des courants nationalistes indigènes. Leur liquidation
et leur disparition dans des fosses communes aux alentours de Guelma se
firent en toute impunité. Le préfet Lestrade-Carbonnel, accompagné du général
Duval, ayant promis de tout couvrir, « même les bêtises » alors qu’il s’était
rendu à Guelma le 13 mai 1945. Les exécutions ne cesseront qu’en juin tandis
qu’une mission d’enquête fut entretemps diligentée. Missionnée par Paris, la
commission Tubert fut interrompue le 26 mai… les premières informations
difficilement recueillies sur place s’étant révélées être trop sensibles politiquement
pour le GPRF.
Courant juin, Achiary et ses milices, comprenant qu’ils ne peuvent cacher
les atrocités commises depuis un mois, commencent à faire disparaître les
cadavres des Algériens massacrés, utilisant des fours à chaux au nord-est de
Guelma. Mais les charniers sont nombreux, dans plusieurs sites autour de
Guelma. Le nombre de victimes dans la région est estimé à 12 Européens et
2 000 indigènes dont pratiquement la moitié de la ville de Guelma. À Paris,
alors que l’épuration continue de s’étendre tout en affaiblissant le GPRF, les
autorités minimisent la réalité de la répression dans le Constantinois. Les
forces de souveraineté n’ont pas reçu de renforts de métropole, mais la
liberté d’action qui leur a été accordée de fait aura donné l’illusion d’une
pacification durable.
Exécutions sommaires préventives à Guelma 255
LA GUERRE D’INDÉPENDANCE
1954-1956, LE DÉBUT
DE LA GUERRE D’ INDÉPENDANCE
arallèlement aux opérations militaires qui frappent Sétif et Guelma,
P
la police procède à des arrestations massives dans tous les milieux
militants, AML, PPA et ulémas. Ferhat Abbas lui-même est emprisonné
alors qu’il se trouve à Alger pour adresser un message de félicitations
au Gouverneur général. Il sera détenu avec Bachir el Ibrahimi dans la même
cellule à la prison civile de Constantine.
La répression qui s’abat sur tous les militants à partir de mai 1945 touche
particulièrement le PPA. Alors que celle-ci frappe les régions de Sétif et de
Guelma, la direction du PPA tente de réagir en lançant
un mot d’ordre d’insurrection aux cellules les
plus actives, mais, avec les arrestations dans les
villes, l’ordre est annulé. Ceux parmi les militants
qui ont pu échapper à la nasse policière entreprennent
la formation d’un groupe spécialement
prévu pour la lutte armée : l’Organisation secrète
(OS). Avec des cadres discrets et disciplinés s’organise
progressivement une branche armée du
MTLD, émanant du bureau d’Alger (tendance centraliste).
On trouve à sa tête Mohamed Belouizdad
à qui succéderont Aït Ahmed et Ben Bella. Mais
l’OS sera démantelée par la police en 1950. Sur
le millier d’activistes clandestins de l’OS, seule la
moitié parviendra à échapper aux arrestations.
Parmi les militants sortis des filets de la DST française,
certains se réfugient à l’étranger comme
Ben Bella et Aït Ahmed (après leur hold-up de la
Les six chefs du FLN avant le
poste d’Oran en 1949) tandis que le MTLD cherche
déclenchement de la révolution du
à se démarquer de l’organisation, pour ne pas finir 1 er novembre 1954.
emporté à son tour.
Debout, de gauche à droite : Rabah
Dans ces années 1950-1953, le parti de Messali Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche
Hadj voit sa cohésion affaiblie, avec plusieurs Mourad et Mohamed Boudiaf. Assis :
tendances antagonistes, dont celle issue des Krim Belkacem et Larbi Ben M’Hidi.
1954-1956, le début de la guerre d’indépendance 257
membres de l’OS. Jusqu’en 1954, ces activistes essaient de rallier les autres
ailes du MTLD à leur projet d’action armée. Avec la création par Mohamed
Boudiaf du CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’action) en mars 1954,
les diverses tendances du MTLD tentent une dernière fois d’aligner une position
commune sur le projet d’insurrection. À la suite de cette ultime tentative
qui n’a pas abouti à l’adhésion de l’ensemble des groupes MTLD, messalistes
et centralistes, un nouveau groupe de militants issus de l’OS apparaît. Très
déterminé, ce « groupe des 22 » est réuni par Boudiaf en juin 1954, dans une
villa du Clos-Salembier (El Madania), à Alger. Parmi eux, Mostefa Ben Boulaïd,
Larbi Ben M’Hidi, Didouche Mourad, Rabah Bitat forment avec Boudiaf
le groupe très restreint des décideurs de l’insurrection à venir. Avec Krim
Belkacem, vivant déjà replié dans le maquis de Grande Kabylie depuis 1947,
ils se donnent quatre mois pour organiser l’insurrection, avec des moyens
matériels très faibles.
Quant aux autres membres de l’OS réfugiés en Égypte, Ben Bella, Khider
et Aït Ahmed, ils bénéficient du soutien du mouvement des Officiers libres
dirigé par Nasser depuis 1953. En octobre 1954, le groupe clandestin des six
chefs historiques de l’insurrection algérienne crée le FLN, ou Front de libération
nationale, rassemblant un millier d’hommes mal armés. Ces jeunes militants
sont prêts à se battre aussi longtemps qu’il faudra pour que les
Algériens recouvrent leur indépendance, tel est l’objectif fixé par le FLN, dont
le nom est encore totalement inconnu des autorités françaises.
Quatre mois plus tôt, en juillet 1954, la France, qui venait de subir une lourde
défaite face aux indépendantistes vietnamiens à Diên Biên Phu, doit également
affronter l’instabilité dans les deux protectorats du Maroc et de la Tunisie, où
règne un calme précaire à la suite des émeutes nationalistes en 1952 et 1953.
À Paris et Alger, peu se doutent que se prépare une insurrection nationaliste.
Pourtant, le général Duval, responsable du commandement militaire lors de la
répression de 1945, avait bien annoncé qu’il avait donné « la paix pour dix ans ».
Le réveil nationaliste était en effet inéluctable surtout dans les régions du
Constantinois, marquées par la répression. La région la moins colonisée de
toute l’Algérie est en outre habitée par de nombreuses populations montagnardes,
demeurées très peu en contact avec les populations européennes,
notamment dans la région des Aurès, restée longtemps sous-administrée. Des
milliers d’hommes de l’Est algérien ont surtout participé aux deux guerres
mondiales et à la récente guerre d’Indochine avec leurs voisins européens. De
nombreux Algériens mettront leur expérience de la guerre au service de la lutte
armée, anciens officiers de tirailleurs algériens comme Krim Belkacem, ou soldats
survivants des combats de l’Indochine. De même, les premières armes
modernes seront pour la plupart issues des stocks de la Seconde Guerre mondiale,
cachées à la suite des combats de 1943 en Tunisie et en Libye (armes allemandes
et anglaises…), d’où partira un important trafic en direction des maquis
du FLN. Les hommes du FLN (Bachir el Kadi notamment) organisent un trafic
d’armes dès l’été 1954 par la Libye et le Sud tunisien.
LA «TOUSSAINT ROUGE »
es attaques orchestrées par le FLN le 1 er novembre 1954 sont le
L
signal de départ de l’insurrection des indépendantistes algériens. En
ayant réussi à s’attaquer quasi simultanément à plusieurs casernes
et dépôts en plusieurs points du territoire algérien, le FLN a montré sa capacité
à organiser une première opération spectaculaire, malgré la faiblesse de
ses moyens. Le résultat militaire des quelque 70 attentats du 1 er novembre
est en effet relativement limité. Mais la présence de victimes européennes
choque l’opinion française. Avec les attaques de casernes et les sabotages
plus ou moins réussis, l’embuscade des gorges de Tighanimine et le siège
d’Arris sont les événements sur lesquels se focalisent l’opinion publique mais
surtout les autorités militaires françaises. Avec la région des Aurès, c’est
surtout dans l’est de l’Algérie que le FLN a le plus agi. Alger et la Kabylie
toute proche, fief de Krim Belkacem, sont le théâtre de plusieurs actions.
C’est autour de Constantine et Batna où des chefs du FLN ont constitué des
premiers maquis que les attaques ont été les plus hardies.
La réaction d’Alger fut d’abord policière, en procédant aux traditionnelles
arrestations massives et en s’attaquant au MTLD, qui ignore lui-même le
FLN. Après l’embuscade du 1 er novembre sur la route de Batna à Ghoufi et
les attaques à Khenchela, la région des Aurès apparaît bien vite pour les
autorités militaires comme la principale région où elles déploient leurs
troupes.
La première opération militaire vise tout particulièrement le secteur du
douar Ichmoul, supposé abriter les meneurs des attaques du 1 er novembre.
À l’opération « Ras Trabouch » et « Ali Baba » de décembre 1954 où Grine
Belgacem sera abattu, succèdent « Véronique » et « Violette » en janvier 1955.
La région est très boisée, notamment le nord des Aurès entre Khenchela et
Batna, ce qui complique les bouclages et ratissages d’une armée française
encore inadaptée, malgré l’envoi de parachutistes et du 11 e choc (force spéciale
de l’armée et du contre-espionnage). Considérées comme des opérations
de maintien de l’ordre, les actions de l’armée et de la gendarmerie, qui
sont loin de maîtriser le terrain, s’accompagnent cependant de nombreuses
destructions de douars, supposés ravitailler les rebelles.
Le général Cherrière qui arrive sur le front constantinois début 1955 comprend
qu’il lui faut non seulement des renforts en hommes mais qu’il doit
260 Atlas historique de l’algérie
également pratiquer un contrôle des populations des douars suspects. C’est
ainsi qu’il fait déplacer de force plusieurs populations indigènes hors des
zones montagneuses. En les faisant descendre vers la plaine, ces populations
se retrouvent enfermées dans le premier camp de regroupement à Touffana,
qui servira de modèle pendant tout le reste de la guerre, qui ne dira jamais
son nom.
Pourtant, les soldats du contingent seront maintenus dès mars 1955 en
Algérie, face à la recrudescence des attentats du FLN. Des moyens supplémentaires
sont donnés progressivement à l’armée française, émanant du
gouvernement d’Edgar Faure, qui permet la mise en place de l’état d’urgence
(avril 1955, d’abord dans les Aurès et la Grande Kabylie) et de mesures
répressives contre toutes les populations suspectes de collusion avec les
rebelles (pratique de la punition collective, mai 1955). Avec ce nouvel arsenal
légal dont disposent l’armée, les gendarmes et les policiers en Algérie, des
populations se trouvent brutalement confrontées à la répression très violente,
provoquant de nombreux recrutements auprès de la jeune ALN.
La « Toussaint rouge » 261
Subissant une forte pression militaire dans les Aurès, les chefs de l’ALN,
dont Youcef Zighoud, préparent une extension de l’insurrection dans le Nord-
Constantinois. Le 20 août 1955 les attaques contre les centres européens et
les casernes affecteront toute la région au nord et à l’est de Constantine.
Avec la terrible répression consécutive aux attaques du 20 août, un tournant
s’opère dans la guerre. L’armée française et les milices, après les exactions
commises, font entrer dans le camp des indépendantistes des centaines de
volontaires. Après l’été 1955, le travail des chefs du FLN-l’ALN notamment à
partir des zones Aurès et Kabylie est d’essaimer de nouvelles cellules organisées
dans toutes les villes. Mais c’est seulement à partir de fin 1955-début
1956 que les actions militaires de l’ALN connaissent un nouveau développement.
La région des Aurès-Nementcha, où se trouve déployée une grande
partie des forces françaises, est également la partie de l’Algérie qui reçoit la
plus grande partie des armes en provenance de la Tunisie. Avec la fin du
protectorat français à Tunis en mars 1956, l’ALN accroît considérablement
son potentiel militaire en établissant plusieurs bases arrière et en y faisant
transiter les précieuses armes attendues par les maquis.
Depuis avril 1955, les indépendantistes du FLN ne sont plus vraiment
seuls. Leur cause a été évoquée à la conférence des pays afro-asiatiques de
Bandung en Indonésie. Avec l’Égypte et la Tunisie, le FLN dispose de solides
appuis parmi les « pays frères ». Le président Nasser est à ce sujet désigné
par le gouvernement Guy Mollet, socialiste, comme en partie responsable
de la situation en Algérie. En juillet 1956, un corps expéditionnaire francobritannique
interviendra contre sa politique sur le canal de Suez. Mais Guy
Mollet, qui a fait voter les pleins pouvoirs en mars 1956, sous la pression de
la rue algéroise, voudrait écraser la rébellion, qui multiplie les embuscades
spectaculaires. C’est dans toutes les régions montagneuses de l’Algérie que
les plus fortes pertes de l’armée française sont recensées. Avec l’embuscade
retentissante de mai 1956 dans les gorges de Palestro, l’opinion publique
française mesure la réalité d’une guerre toujours censurée par le pouvoir
politique. Car pour ce dernier ces événements se produisent bien dans des
départements français et non pas contre un pays étranger. L’afflux massif de
soldats français et le maintien des appelés en Algérie à partir de 1956 provoquent
inévitablement plus de pertes de part et d’autre.
Malgré son déploiement massif dans tout le territoire algérien, les forces
françaises ne maîtrisent toujours pas les régions montagneuses où le commandement
fait appel à des troupes supplétives d’indigènes. L’idée n’était pas
nouvelle mais avait émergé dans les Aurès, où l’ethnologue Jean Servier avait
monté en février 1956 une petite harka pour lutter contre les maquisards de
l’ALN. Malgré tout, l’ALN inflige de nombreuses pertes aux forces françaises
dans les Aurès. Les populations subissent quasi systématiquement les
réponses disproportionnées de l’armée. Des milliers d’Algériens fuiront ainsi
vers la Tunisie, et s’installeront dans des camps de réfugiés, alimentant l’ALN
de nouvelles recrues, toujours plus nombreuses. Car les arrestations systématiques
des hommes et la destruction des mechtas et villages ne laissent
que peu de choix aux Algériens des Aurès. Ils partent en Tunisie ou prennent
le maquis sur place. Dans les forêts de Bouhmama ou dans les grottes des
Nementcha, toute une armée invisible harcèle les postes français la nuit
tombée. Mostefa Ben Boulaïd, l’un des premiers chefs du FLN, est l’un de
262 Atlas historique de l’algérie
ces combattants. Il est activement recherché par l’armée française depuis
son évasion de Constantine. Localisé dans la région de l’oued el Abdi, il est
pourtant difficile de mener des opérations contre lui dans cette région au
relief tourmenté. C’est le Service de documentation extérieure et de contreespionnage
(SDECE) dépendant du Premier ministre français qui organise
l’élimination de Ben Boulaïd. En parachutant un poste radio piégé, l’ancêtre
de la DGSE parvient à tuer le chef FLN de la wilaya I en mars 1956. Cependant,
le massif des Aurès, même déclaré zone interdite depuis mars 1956,
continue d’abriter plusieurs katibas (bataillons) de l’ALN. La bataille de l’oued
el Hallail en juin 1956 dans le sud des Nementcha témoigne de la solidité
des unités algériennes dans cette région au relief lunaire, très propice à la
guérilla. C’est par cette région, qui forme la bordure du Sahara, que transite
une partie des armes en provenance de Tunisie. Cette région sera le théâtre
d’opérations militaires françaises jusqu’en 1961.
La Dépêche quotidienne, 2 novembre 1954.
AOÛT 1955 : L’ EMBRASEMENT
DU NORD-CONSTANTINOIS
e soulèvement pro-FLN autour de Constantine en août 1955 est le plus
L
souvent désigné sous le nom de « massacres du Nord-Constantinois »
ou massacres de Philippeville. Mais le département de Constantine en
1955 est bien plus vaste que la région concernée, limitée aux secteurs de Philippeville,
Collo, El Milia, Guelma, el Khroub et Aïn Abid, Sidi Mabrouk (faubourg de
Constantine) et dans les villages entre Constantine et la baie de Philippeville.
Quant à Philippeville, c’est dans cette ville que l’insurrection fut la plus surprenante
et la répression de l’armée la plus massive. Ainsi, une localisation cartographiée
s’avère indispensable pour mesurer l’étendue réelle des actions des
insurgés et de l’armée à partir d’août 1955. Le déclenchement d’un soulèvement
paysan encadré par des soldats de l’ALN provoqua des opérations militaires massives
jusqu’en septembre 1955 et la mise place d’un déploiement militaire quasi
permanent dans les campagnes de la région, marquant un changement brutal
dans la politique algérienne du gouvernement français.
Plusieurs cibles avaient été préparées par Youcef Zighoud avant l’attaque
du 20 août 1955. Des commandos de l’ALN appuyés par les paysans munis
d’armes blanches devaient attaquer diverses casernes, commissariats, cafés
européens, gares, postes… Des villages coloniaux dans lesquels la population
européenne se trouvait en minorité furent assiégés par des hommes en
armes mais surtout par une foule de civils. Toute une population indigène
participa aux attaques dans les villages désignés, dont Philippeville où les
habitants des douars proches investissent le centre-ville avec ou sans armes.
Malgré le nombre des insurgés descendus pour attaquer le centre de Philippeville,
la réaction immédiate des militaires fait rapidement fuir les milliers
d’Algériens. Ce fut le cas à Guelma et à Constantine, où les garnisons locales
sortent immédiatement mitrailler les insurgés. Cependant, plusieurs villages
ont été attaqués simultanément par les révoltés ou cernés par une foule de
paysans notamment au sud de Philippeville et dans le secteur d’El Halia, où la
population européenne est en partie massacrée. 33 personnes ont été tuées
à l’arme blanche, dont plusieurs enfants. Un scénario quasi similaire se produit
dans le village d’Aïn Abid, où 7 habitants européens sont tués dans les
mêmes conditions. Dans les autres villages isolés et à Philippeville, on
compte 31 tués parmi les Européens ; une cinquantaine d’Algériens sont
266 Atlas historique de l’algérie
assassinés parce qu’ils sont supposés profrançais
ou pour d’autres motifs, de nombreux indigènes
ayant choisi de s’interposer et de protéger des
familles européennes.
Après le premier choc de l’attaque lancée en plein
jour (à midi) dans le centre de Philippeville, à Guelma
et à Constantine, la réaction immédiate de l’armée
avait rapidement et violemment éclairci la foule des
insurgés, poursuivis jusqu’aux douars proches.
L’ampleur de l’insurrection et les massacres des
familles européennes d’El Halia et Aïn Abid entraînent
une riposte militaire massive et aveugle pendant plus
de trois semaines. Les régiments de parachutistes
coloniaux déjà présents à Philippeville ainsi que plusieurs
autres régiments d’élite seront déployés dans
toute la région autour de Philippeville jusqu’à El Milia.
Couverture de Paris Match,
Comme en 1945, les populations des douars, surtout
septembre 1955.
les hommes, s’enfuient dans les forêts et les montagnes.
L’armée, appuyée par des gendarmes et miliciens européens procèdent à
de nombreuses exécutions sommaires. Les reportages de l’envoyé spécial du journal
Le Monde Georges Penchenier, qui se trouve sur place, témoignent de cette
répression impitoyable dès le 20 août 1955. À Philippeville, il constate que la troupe
opère « un ratissage impitoyable dans les quartiers périphériques ; et si les chiffres
officiels ne situent qu’aux environs de deux cents le nombre de musulmans abattus
à Philippeville même, on admet, d’une façon générale, que les communiqués ont
voulu minimiser l’importance de la répression et qu’il doubler, sinon tripler, ces
chiffres » (Le Monde, 23 août 1955). En réalité il y aura environ 1 500 musulmans
tués dans la banlieue de Philippeville. Dans ses pages du 24 août 1955, le journaliste
du Monde rapporte la destruction de hameaux dans le Constantinois. Il estime
qu’environ 5 200 « rebelles » ont été tués de sang-froid par les militaires dans les
secteurs de Condé-Smendou (Zighoud Youcef), Oued Zenati (Aïn Abid) et Hammam
Meskoutine. Autour d’El Halia, où s’est produite la tuerie des familles européennes,
l’armée extermine des populations entières, comme la mechta Zef Zef, proche des
carrières romaines, où femmes, enfants et vieillards sont massacrés…
L’aviation bombarde quant à elle tous les secteurs isolés, notamment les
montagnes boisées à l’est d’El Arrouch et la région autour d’El Milia. Bien
que ce secteur n’ait pas été attaqué par les insurgés, il est particulièrement
réprimé par l’armée française, qui bombarde les montagnes, refuge de petits
groupes de maquisards. Des fosses communes apparaissent, comme dans le
djebel Filfila, sur le littoral proche de Collo et à proximité du Khroub. Les
opérations répressives se poursuivent jusqu’à la fin du mois d’août au
moment où des tracts sont parachutés pour faire revenir la population dans
ses douars. Plusieurs opérations seront malgré tout lancées dans la
presqu’île de Collo à partir du 13 septembre 1955.
Cette guerre de représailles d’août 1955 transforme le visage de la guerre.
Avec la vision des corps suppliciés d’Européens et l’implication de certaines
unités françaises dans des opérations de répression aveugle, qui ont fait
12 000 morts, les « événements » se transforment en une guerre, dans
laquelle les non-combattants sont particulièrement exposés.
Août 1955 : l’embrasement du Nord-Constantinois 267
Les marins conduisent au cimetière les victimes d’Oued Zenati, 20 août 1955.
LA RIPOSTE MILITAIRE
FRANÇAISE EN 1954-1956
vec les nouveaux pouvoirs spéciaux dont dispose l’armée en Algérie,
A
les militaires, gendarmes et policiers ont quasiment carte blanche
pour détruire le FLN et l’ALN. Les opérations s’étendent à toute
l’Algérie, que le gouverneur Jacques Soustelle a voulu faire contrôler dans
toutes les régions même isolées, avec la mise en place des nouvelles sections
administratives spécialisées. Créées en 1955, les SAS doivent combler le vide
administratif dans les bleds, notamment dans les régions de montagne,
pauvres et livrées à un vague contrôle des caïds et autres notables musulmans
censés les représenter. Il s’agit en outre de disposer de toutes les
informations utiles sur les populations en partie acquises au discours nationaliste
du FLN. Mais avec les méthodes coercitives du FLN (levée d’un impôt
de guerre, justice expéditive des traîtres…), les indépendantistes ne font pas
toujours l’unanimité dans tous les douars. La population des campagnes
découvre le FLN quasiment en même temps que les autorités françaises,
surtout dans l’ouest où son implantation est encore moins forte. Avec les
massacres et les opérations répressives de 1955, pratiquement tout l’Est
algérien est cependant acquis aux thèses du FLN. Les autorités françaises
entreprennent néanmoins de susciter des forces concurrentes, avec le
recours aux groupes mobiles de protection rurale (GMPR), moghaznis (qui
protègent les SAS) et autres harkas, où s’engagent de gré ou de force des
paysans attirés par la solde, ou voulant se venger des exactions des hommes
du FLN.
Le 2 e bureau de l’armée s’intéresse particulièrement à la branche armée
du MNA (Mouvement nationaliste algérien). Interdit depuis novembre 1954, le
MTLD avait éclaté et laissé le FLN se développer hors des bureaux centraliste
et messaliste. Cette dernière tendance dénonce et condamne le choix du FLN
d’avoir déclenché une insurrection jugée prématurée. Messali Hadj, en résidence
surveillée, n’a plus la main sur les militants d’Algérie impliqués malgré
eux dans la guerre du FLN. Le MNA, nouveau parti que Messali Hadj fonde
en décembre 1954, disposera malgré tout de son bras armé en Algérie, sous
l’autorité de Mohammed Bellounis. En France, de nombreux militants algériens
du MNA sont originaires de la Soummam, où Bellounis tente d’abriter
270 Atlas historique de l’algérie
son armée mais Amirouche Aït Hamouda, qui commande la wilaya III,
l’empêche de s’installer. Bellounis est contraint de trouver refuge dans les
régions au sud des Bibans, dans les montagnes
de l’Ouennougha et chez les Ouled Nail.
C’est dans cette région que le
2 e bureau arme discrètement
Bellounis, afin qu’il dispose de
moyens substantiels contre les
maquis de l’ALN.
La priorité de l’État-major français
est avant tout de quadriller le terrain
dans le nord de l’Algérie. Le territoire à
surveiller est immense : environ 700 km de long
entre la Tunisie et le Maroc aux frontières encore perméables et 200 km de
large, de la mer au bord du Sahara. C’est pourquoi l’armée française utilise
massivement l’hélicoptère, moyen encore assez marginal en 1955, quand plusieurs
bases sont spécialement aménagées. À Sétif (Aïn Arnat) et à Boufarik,
deux grandes bases d’hélicoptères servent l’ALAT (aviation légère de l’armée de
terre) non seulement pour la reconnaissance mais surtout, à partir de 1956, pour
lancer des assauts surprises contre les maquis de l’ALN. Ce fut la tâche des
unités d’élite (parachutistes et légionnaires) d’utiliser les héliportages en contreguérilla,
inaugurant une technique qui sera systématisée et reprise massivement
par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam. Des bases opérationnelles
supplémentaires seront ensuite implantées sur tout le territoire et tout le long
des barrages est-ouest. Sur mer, la marine française s’emploie à intercepter
les convois d’armement destinés aux bases de l’ALN au Maroc comme avec
l’arraisonnement du navire Athos en mars 1956. Malgré ces nouveaux moyens
militaires, les embuscades contre l’armée française augmentent sensiblement
en 1956.
L’État-major français est conscient des limites de ses opérations contre
une armée extrêmement mobile et ravitaillée aux frontières tunisiennes et
marocaines. La construction de barrages se trouve entreprise à partir de l’été
1956 tandis que le littoral algérien est le théâtre d’interceptions de navires
remplis d’armes à destination de l’ALN. La fermeture hermétique de l’Algérie
est décidée par le ministre de la Défense André Morice, qui donne son nom
aux 1 200 km de barbelés en partie électrifiés, qui sont installés le long de la
frontière tunisienne. Cette première ligne sera doublée en 1957 par un second
barrage dit arrière, longeant la voie ferrée Bône-Tébessa.
Le 20 août 1956, les indépendantistes du FLN tiennent leur congrès dans
une maison reculée sur les hauteurs de la vallée de la Soummam. Organisé
par les chefs FLN de l’intérieur, ce congrès reprend et précise les modalités
d’un futur État algérien, en rédigeant une plateforme, qui détermine les différentes
limites des wilayas, organise le fonctionnement de l’ALN, et souligne
la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, c’est-à-dire la place centrale du gouvernement
FLN et de son armée combattant en Algérie par rapport à la délégation
extérieure et l’ALN basée aux frontières. Un Conseil national de la
Révolution algérienne (CNRA) est institué, chargé des décisions fondamentales
(Stora).
La riposte militaire française en 1954-1956 271
La France n’a pas négligé la voie diplomatique pour tenter d’obtenir un
cessez-le-feu. Dès avril, puis en juillet et en septembre 1956, des négociations
secrètes sont entamées entre le gouvernement Guy Mollet et la délégation
extérieure du FLN. Mais la voie diplomatique est brutalement
interrompue avec l’interception de l’avion qui transporte la délégation FLN le
22 octobre 1956. Les quatre chefs historiques du FLN Ahmed Ben Bella,
Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Khider sont envoyés en
prison à Paris.
LA KABYLIE DANS LA GUERRE
a Kabylie constitue avec les Aurès l’autre fief des indépendantistes
L
du FLN. Sa situation géographique à une heure d’Alger et ses montagnes
crénelées de villages représentent le refuge idéal des militants
du FLN, dont le chef historique Krim Belkacem y vit recherché depuis
1947 avec son adjoint Ouamrane. Dès le 1 er novembre 1954, plusieurs sites
de la région ont été ciblés par le FLN. La présence française s’y trouve assez
réduite, dans les villes de Tizi Ouzou, Bougie et Dellys et les quelques villages
où vit une petite population européenne autour du massif du Djurdjura comme
Camp-du-Maréchal, Palestro, Draa el Mizan, Maillot, Akbou. L’état d’urgence
est décrété en Grande Kabylie où les premières opérations militaires sont
engagées dès l’hiver 1954-1955. C’est autour de Draa el Mizan que les forces
françaises tentent de déloger les maquisards commandés par Krim Belkacem
et Ouamrane, évoluant dans les forêts des Beni Khalfoun et les gorges
de l’oued Isser, dans la région de Palestro. L’ALN mène de nombreuses
embuscades en 1956, notamment dans les gorges de Palestro, où 20 militaires
français tombent à proximité en mai (oued Djerrah). Aux actions spectaculaires
des unités ALN succèdent plusieurs grandes opérations militaires,
au nord et au sud de Tizi Ouzou où se trouvent les reliefs boisés. Après la
tentative manquée du 2 e bureau de créer un maquis anti-FLN (opération
« Oiseau Bleu »), l’opération « Djenad » est lancée dans la région de Tigzirt
mais les chasseurs alpins qui y sont installés continuent de subir de nombreuses
pertes. La région orientale de la Grande Kabylie, couverte en partie par
l’immense forêt d’Akfadou, est quant à elle le repaire du colonel Amirouche Aït
Hamouda qui contrôle toute la Soummam depuis son intervention contre les
Ifraten en avril 1956. Une partie de la population ayant été armée par les autorités
françaises fut massacrée pour « passage à l’ennemi ».
La tenue du congrès de la Soummam à proximité d’Ifri témoigne de cette
maîtrise du terrain par l’ALN locale. Les traditionnels bouclages-ratissages
de l’armée française ne parviennent pas à entamer le potentiel de la wilaya III
qui atteindra 19 katibas en 1957. La Petite Kabylie est occupée par les maquis
de la wilaya III et II, où l’armée française tente d’affaiblir l’ALN avec l’opération
« Espérance », lors de laquelle plusieurs villages sont détruits et leur population
regroupée de force. La population paie le prix fort de la répression militaire,
avec de très nombreuses destructions de villages kabyles (situés en
général sur les crêtes) et la mise en place de camps de prisonniers pour
traiter les suspects d’une région acquise au FLN.
L’ALN À SON APOGÉE EN 1957
partir de ses grandes régions refuges des Aurès et de Kabylie, l’ALN
A
s’était progressivement constitué des nouvelles zones de maquis.
Dans la région littorale entre Bougie et Collo, 16 katibas tenaient la
chaîne montagneuse des Babors-Zouagha jusqu’aux forêts de Collo. La
région, qui bénéficie du transfert d’armes en provenance de Tunisie mais qui
aurait obtenu des parachutages, est en 1957 et 1958 le théâtre de nombreux
combats. Une véritable bataille se déroule en avril 1958 dans le secteur d’El
Milia tandis que les moudjahidine des Babors multiplient les embuscades dans
les gorges de Kerrata. Cependant, la Grande Kabylie et la Soummam sont frappées
par des purges sanglantes, conséquence d’une opération de désinformation
menée par le 2 e bureau (« les bleus de chauffe »). Des jeunes militants FLN
« retournés » lors de la bataille d’Alger sont engagés par le capitaine Léger
pour infiltrer les maquis de Grande Kabylie et créer la suspicion générale. Des
centaines d’Algériens auraient été tués pendant ces purges de la wilaya III.
Les massifs de l’Atlas blidéen et du Dahra accueillent de nombreux jeunes
fuyant Alger, dont la population algérienne est prise dans l’étau des régiments
parachutistes (voir carte Bataille d’Alger). Les soldats de l’ALN infligent parfois
de lourdes pertes aux colonnes de l’armée française, comme à proximité
de Dupleix (Gouraya) où elle perd 22 soldats. De même, les moudjahidine
commandés par Si Azzedine occupent encore la région à l’ouest des gorges
de Palestro. La région au sud de la Grande Kabylie, peu peuplée, est sous
l’influence de l’armée de Bellounis, qui dispose de 3 000 hommes. Le commandement
français compte bien l’utiliser pour neutraliser les maquis ALN
du djebel Amour, où les moudjahidine
commandés par Si Haouès ont infligé
des pertes sensibles à l’armée française
en 1957. Malgré quelques
succès contre l’ALN, Bellounis se
retrouve assez vite isolé, suite à la
désertion d’une partie de ses
hommes passés à l’ALN. Lâché par
ses contacts militaires français, il
finit par être éliminé avec ses derniers
fidèles en mai 1958, au nord de Ticket de cotisation pour le FLN.
276 Atlas historique de l’algérie
Djelfa. Mais les manœuvres de Bellounis dans la région de l’Ouanougha ont
placé les populations locales dans des situations intenables. Amirouche
envoie son lieutenant Mohammed Saïd reprendre le contrôle des douars dissidents
en mai 1957. Mais l’intervention des djounouds kabyles tourne au massacre
avec la mort de 320 hommes de la Mechta Kasba chez les Beni Ilmane.
Par sa position, le massif du Hodna voisin assure le passage des convois de
l’ALN entre les Aurès et l’Algérois. Deux bataillons occupent ces montagnes très
boisées, que de nombreux militants
des villes nationalistes de Sétif-Saint-
Arnaud rejoignent. À l’ouest du massif,
une grande embuscade sera tendue
aux spahis de Bordj Ghedir en
février 1958, trois mois après la bataille
de Ras Guedanne dans les Aurès
(20 tués chez les paras du 18 e RCP).
Dans l’ouest de l’Algérie avaient été
constitués plusieurs grands maquis
ALN, entretenus par l’armement
stocké au Maroc. C’est principalement
dans les régions les plus boisées,
comme au sud de Tlemcen, autour de
Saïda et dans l’Ouarsenis, que les katibas
sont installées. Plus au sud, la
Groupe de moudjahidine dans la wilaya I.
région d’Aïn Sefra est la porte d’entrée de nombreux convois vers l’Algérie, les
monts des Ksour assurant des abris favorables aux 8 katibas de l’ALN. Avec la
proximité des bases marocaines de l’ALN, la région des Ksour est le théâtre de
plusieurs combats, mais l’intervention systématique de l’aviation française dans
ces régions semi-désertiques limite fortement la mobilité des moudjahidine.
LES OPÉRATIONS FRANÇAISES,
1957-1958
a bataille d’Alger focalise tous les regards en janvier 1957, avec la
L
mobilisation d’un grand nombre d’unités d’élite, dont une partie
(1 er RCP, 2 e RCP, 3 e RCP) avait participé à l’opération sur le canal
de Suez avec les Britanniques en novembre 1956. Cependant, la guerre n’en
continue pas moins dans le reste de l’Algérie avec un nouveau commandement
français déterminé à écraser les indépendantistes. Depuis le
1 er décembre 1956, le général Salan a été nommé chef d’État-major de
l’armée. Il attend avec impatience l’achèvement du barrage électrifié en face
de la Tunisie et de ses bases de l’ALN. L’armée du FLN est parvenue à étendre
son emprise sur la majeure partie du territoire algérien. Quant à l’Organisation
politico-administrative (OPA) du FLN, son démantèlement constitue un
des objectifs principaux du général Salan. Ce sont les deux grands fronts sur
lesquels il a l’intention de porter ses efforts. Détruire l’OPA et asphyxier l’ALN
en verrouillant les frontières.
En juillet 1957, le barrage intérieur (ligne Morice) est achevé sur 1200 km.
Salan déploie le maximum de troupes très mobiles (paras, légionnaires) à l’affût
sur le barrage pour traquer et détruire tout convoi de l’ALN qui parviendrait à
franchir les champs de mines et les barbelés électrifiés. Il s’agit de bloquer le
ravitaillement en armes et munitions vers les maquis de l’intérieur. Avant
même d’atteindre les côtes algériennes ou marocaines, plusieurs navires sont
arraisonnés par la marine française en 1958. Quant aux convois en provenance
des bases et dépôts de l’ALN en Tunisie, ils passent très difficilement. L’utilisation
du napalm pendant les appuis aériens a été une pratique très fréquente
pendant la guerre d’Algérie. Les opérations militaires s’intensifient sous le
commandement du général Salan qui est un ancien d’Indochine. Il est un des
principaux haut gradés partisans des techniques de la guerre antisubversive.
En 1957, le général Salan dispose de moyens considérables avec
400 000 soldats, pour contrôler le territoire algérien, qui est maintenant quasi
hermétique aux frontières. Les forces françaises sont appuyées par les nombreux
corps auxiliaires locaux. Depuis 1955 leur nombre s’est considérablement
accru tandis que leurs missions ont évolué de positions défensives à
offensives. Les supplétifs de l’armée française qui combattent l’ALN étaient
278 Atlas historique de l’algérie
12 000 en 1957. Salan décide de les intégrer aux unités régulières et d’augmenter
leur nombre à 25 000 en 1958, dont 4 500 au sein de groupements ou
commandos (avec des chefs ralliés). Ces soldats volontaires seront employés
dans presque toutes les opérations offensives tandis que les moghaznis, qui
sont 13 000 en 1958, continuent de protéger les SAS. En plus des soldats
algériens musulmans, Français de souche nord-africaine (FSNA) de l’armée
régulière française, le total des effectifs musulmans s’élève à environ
70 000 hommes. Mais une partie collabore avec le FLN, et déserte parfois
au profit de l’ALN (quelques centaines en 1957-1958). Les soldats de l’ALN
combattent l’armée française à un contre dix, et connaissent à partir de 1957
une baisse progressive de leur activité militaire dans les wilayas de l’intérieur.
Leurs pertes sont très importantes, avec environ 3 000 tués par mois dans les
premières années du commandement Salan. Les forces armées françaises
atteignent cependant un pic de 364 tués en mai 1958 (combats sur le barrage
à la frontière tunisienne).
Après la grande opération de nature policière dite « bataille d’Alger »,
Salan engage en 1958 l’élite de son armée sur le front est-constantinois, où
elle sera opposée à l’ALN basée en Tunisie pendant l’autre bataille, dite « des
frontières » ou encore « du barrage ». Ce combat fut probablement la seule
confrontation armée d’une telle ampleur pendant la guerre d’Algérie, opposant
des milliers de soldats français à l’ALN de la frontière est.
LA BATAILLE MILITARO-
POLICIÈRE D’ALGER
n accordant à l’armée l’autorité de police à Alger en janvier 1957, le
E
ministre résident Robert Lacoste déclare la guerre totale aux activistes
du FLN, après leurs attentats anti-européens de l’automne
1956. C’est de cette façon violente que la direction du FLN avait riposté quarante
jours après la mort de 53 personnes (dont de nombreuses femmes et
enfants) tuées le 10 août 1956 au cœur de la haute casbah, rue de Thèbes,
par une bombe de l’ORAF (Organisation de la résistance de l’Algérie française),
groupe extrémiste composé de Français de souche européenne. Ces
derniers, inquiets de la gestion de la guerre par le gouvernement socialiste,
étaient décidés à répondre eux-mêmes aux attaques du FLN qui touchent
particulièrement les Algériens profrançais et autres personnalités depuis le
début de l’insurrection. Auparavant, l’exécution de Zabana et Ferradj, premiers
militants FLN condamnés par une justice expéditive (le ministre de la
Justice Mitterrand ne graciait pas les activistes du FLN…) et guillotinés le
19 juin à la prison Barberousse, avait aggravé l’insécurité des Européens
d’Algérie, visés par de nombreuses attaques.
Malgré le bouclage de la casbah, où se trouve le commandement de la
zone autonome d’Alger (ZAA) dirigée par Larbi Ben M’Hidi, les activistes féminines
du FLN franchissent les barrages et font exploser les premières bombes
le 30 septembre 1956 au centre-ville, dans le quartier européen d’Alger. En réalité,
l’attentat du Milk Bar est surtout spectaculaire parce qu’il frappe le cœur
de la capitale de l’Algérie, vitrine de la réussite coloniale où réside la plus importante
population européenne du pays avec près d’un million d’habitants dont
600 000 Européens. Tous les journalistes étrangers résident dans le centreville,
à la recherche des informations sur les événements d’une guerre très censurée
par les autorités militaires.
Car les attentats FLN touchent pratiquement toutes les villes de l’Algérie,
où les rues principales avec leurs terrasses de café fréquentées par des
militaires sont fréquemment la cible d’attaques à la grenade ou au colis
piégé. La décision du FLN de frapper Alger s’inscrit dans une démarche de
visibilité internationale, à l’heure des premières discussions à l’ONU sur la
question algérienne en janvier 1957.
280 Atlas historique de l’algérie
Fin décembre, le climat de haine « anti-arabe » est illustré par la ratonnade
qui suivit l’attentat FLN contre Amédée Froger, président des maires
d’Algérie et activiste notoire des pro-Algérie française. Le FLN, qui contrôle
pratiquement toute la population indigène d’Alger à partir de la casbah, prépare
en outre un appel à la grève générale pour la fin janvier 1957. Mais avec
l’arrivée de Salan à la tête de l’armée depuis décembre 1956, la réponse des
autorités militaires sera terrible. La 10 e division parachutiste du général
Massu obtient carte blanche des autorités civiles (Lacoste) pour détruire
l’organisation FLN à Alger.
Le 7 janvier 1957, c’est une armée de 10 000 soldats qui quadrille la ville
et notamment les quartiers indigènes, avec la casbah comme objectif principal.
Il ne s’agit pourtant pas d’une campagne militaire classique mais d’une
vaste opération de police qui, pour aboutir à l’objectif fixé par le commandement,
se donne tous les moyens possibles sans aucun compte à rendre à la
justice légale sinon les résultats obtenus. Afin de parvenir au démantèlement
des structures du FLN, l’armée procède à des arrestations massives d’Algériens,
raflés dans toute la ville et dispersés dans plusieurs centres de triage
et de transit (CTT) ainsi que de nombreux sites d’interrogatoire dans les quartiers
périphériques d’Alger, souvent de belles villas sur les hauteurs. Car
l’acquisition du renseignement et son exploitation sont au cœur du système
mis en place par le commandement Massu et le colonel Godard pour détruire
l’organisation FLN en remontant progressivement aux chefs. Les interrogatoires
poussés, déjà utilisés par la police et la gendarmerie bien avant 1954
en Algérie, deviennent dans la bataille d’Alger une pratique systématisée.
Le contexte politique et la nature des unités employées dans cette bataille
expliquent la mise en place de certaines méthodes violentes de renseignement
pour obtenir des informations opérationnelles et détruire les réseaux
FLN. Face au développement du FLN et de ses actions spectaculaires pour
frapper l’opinion française et internationale, les politiques ont choisi la solution
du tout-militaire et de reporter d’éventuelles négociations pourtant au
programme de Mollet à son arrivée au pouvoir. Après avoir contraint Guy
Mollet à revoir sa politique jugée trop tiède en février 1956, et réclamé des
exécutions capitales de militants FLN, les Européens d’Algérie finissent par
obtenir leurs paras du ministre résident Robert Lacoste. En livrant Alger aux
4 000 parachutistes, le commandement Salan donnait aux unités du 1 er RCP,
2 e RPC et 3 e RPC qui avaient participé à l’expédition de Suez en octobre 1956
et parfois à la guerre d’Indochine l’occasion de gagner cette nouvelle bataille,
avec tout le soutien politique.
Le grand Alger se trouve découpé en plusieurs zones attribuées aux différents
régiments, qui y établissent PC et centre de renseignements. Mais deux
jours après l’impressionnant déploiement militaire, le FLN frappe le stade de
football d’El Biar le 9 janvier 1957. Les pleins pouvoirs de police attribués au
général Massu permettent à plusieurs officiers d’appliquer pleinement leurs
méthodes de lutte antisubversive. Le lieutenant-colonel Trinquier, ancien d’Indochine,
met en place son dispositif de protection urbaine (DPU) qui consiste en un
quadrillage des populations vivant en zone urbaine (casbah, bidonvilles…), avec la
numérotation des habitations et la désignation de chefs d’îlots, ces responsables
malgré eux sont contraints à renseigner les officiers français.
La bataille militaro-policière d’Alger 281
Remise de drapeau aux anciens parachutistes de la 10 e DP.
De gauche à droite : Marcel Bigeard, Jacques Massu, Roger Trinquier, Paul-Alain
Léger, 1957.
Les méthodes utilisées par les officiers de police et unités parachutistes
pour accumuler les renseignements sur les structures du FLN à Alger aboutissent
au recrutement d’activistes retournés ou ralliés, qui formeront le
groupe des « bleus de chauffe » du capitaine Léger, spécialiste de l’infiltration
du FLN et de l’ALN. À l’issue de l’arrestation de dizaines de milliers de personnes
et leur traitement dans les centres de tri et de renseignement,
l’armée élimine des centaines de suppliciés, et fait disparaître les morts ou
les militants jugés importants.
Le rouleau compresseur militaro-policier ne parvient pas cependant à
empêcher les trois bombes du FLN qui explosent le 26 janvier en plein centre
d’Alger, non loin des facultés. C’est à ce moment-là que le FLN lance son
mot d’ordre de grève générale. Le 28 janvier 1957, l’armée fait cependant
ouvrir de force les commerces ou les livre au pillage tandis que les travailleurs
algériens sont contraints à reprendre leurs activités. Les Algériens
sont soumis à un système de terreur, avec peur d’être dénoncés et détenus
dans les centres d’interrogatoire.
La remontée des filières avec les moyens extrêmes aboutit le 16 février
1957 à l’arrestation de Larbi Ben M’Hidi, le responsable de la zone autonome
d’Alger, qui sera liquidé une semaine plus tard par le commando d’Aussaresses
(unité spéciale du 11 e choc), qui avait déjà participé à de très nombreuses
exécutions sommaires à Philippeville en août 1955. Alors que
282 Atlas historique de l’algérie
l’organisation FLN est décimée, la direction du CCE (Comité de coordination
et d’exécution), menacée, quitte Alger, où les bombes se taisent jusqu’au
3 juin 1957, grâce aux derniers réseaux actifs de Yacef Saadi. L’attentat du
casino de la Corniche est quant à lui perpétré par Ali la Pointe, le lieutenant
de Yacef Saadi, pour tenter de détourner l’opinion du massacre de la Mechta
Kasba à Melouza fin mai par une unité de la wilaya III, et dont la couverture
médiatique avait porté atteinte à l’image du FLN.
Gendarmes et prisonniers délateurs lors de la bataille d’Alger, 1957.
En juillet-août 1957, la tentative de médiation de l’ethnologue Germaine
Tillion qui propose une trêve au FLN n’aboutit pas. Sa demande de suspendre
les exécutions des militants FLN comme le réclamait Yacef Saadi est refusée
par les autorités militaires, déterminées à achever le « travail ». En septembre,
le colonel Godard poursuit la traque des réseaux FLN avec ses infiltrés,
qui conduisent les parachutistes jusqu’aux caches de Yacef Saadi le
24 septembre 1957 et d’Ali la Pointe le 8 octobre 1857. Le dernier lieutenant
de Saadi, accompagné de Hassiba ben Bouali, périt dans l’explosion dans la
maison qui les abrite dans la basse casbah, à proximité de la rue qui porte
son nom depuis l’indépendance. Après l’élimination de plusieurs centaines
d’Algériens, dont les corps ont le plus souvent disparu, l’armée a bien rétabli
l’ordre à Alger, réduisant totalement l’activité armée du FLN.
La bataille militaro-policière d’Alger 283
L’armée et la police, qui ont suivi la logique politique d’élimination totale
de l’ennemi FLN, n’ont pas épargné certains militants européens liés aux
attentats, comme Maurice Audin ou Fernand Iveton, ni certaines personnalités
comme l’avocat Ali Boumendjel, qui a rejoint les disparus. De nombreuses
personnalités françaises se mobilisent contre les méthodes de la répression,
jugées inqualifiables. Les généraux Pâris de Bollardière et Billotte dénoncèrent
une « déchéance morale de l’armée ». Paul Teitgen, le secrétaire général
de la police d’Alger, demande sa démission. Plusieurs écrivains et
intellectuels de France et d’Algérie comme René Capitant (université d’Alger),
Jean-Paul Sartre, Hubert Beuve-Méry, directeur du Monde, Jean-Jacques
Servan-Schreiber de L’Express, Pierre Vidal-Naquet (alors jeune historien)
expriment leur rejet des pratiques militaires jugées immorales.
Les milieux ultras d’Algérie croient être quant à eux les grands bénéficiaires
du nouvel ordre militaire à Alger. La population européenne d’Alger a
fortement soutenu les régiments parachutistes qui ont régné dix mois dans
la ville. Des relations particulières de sympathie ont été nouées entre les
Européens et ces unités, surtout avec les ultras. Pour ces derniers, la solution
au conflit ne saurait être que militaire car ils ne font pas confiance aux politiques.
Le 13 mai 1958, les Européens d’Algérie se rassureront une nouvelle
fois par la présence des unités parachutistes. Parmi les futurs chefs de l’OAS
figureront plusieurs responsables français de cette « bataille d’Alger »
comme Godard ou Chateau-Jobert.
Après avoir participé aux opérations militaro-policières d’Alger contre le
FLN, plusieurs officiers des régiments parachutistes étrangers (de légion) se
sentent encore plus impliqués moralement dans cette guerre. Au-delà du
FLN, une partie du commandement entretenait l’idée d’un ennemi plus global
qui se cacherait derrière les indépendantistes algériens, celui du communisme
soviétique, qui menacerait les terres françaises d’Afrique du Nord et
plus généralement l’Occident chrétien… En 1961, c’est sur ces officiers que
s’appuieront les putschistes. Ayant pris part à une guerre de type antisubversive,
ils repartent combattre dans les djebels et laisser la mission spécifique
du renseignement aux nouveaux DOP (détachements opérationnels de protection),
corps spécialement créé pour faire parler.
284 Atlas historique de l’algérie
LA BATAILLE DU BARRAGE
EST EN 1958
n 1958, le général Salan afficha clairement sa détermination à
E
détruire tous les groupes de l’ALN qui franchiraient la frontière de
la Tunisie pour aller alimenter les maquis de l’intérieur. En
octobre 1957, Robert Lacoste et le ministre de la Défense André Morice
avaient d’ailleurs inspecté le barrage électrifié construit le long de la frontière.
Les passages de convois de l’ALN envisagent d’emprunter surtout l’itinéraire
qui contourne le barrage, au sud de l’oasis de Negrine. Ainsi, de la
fin 1957 au début janvier 1958, le rythme des passages effectués par le nord
s’accélère, notamment dans la région de Souk Ahras, où plusieurs raids et
harcèlements des postes français sont entrepris, afin de saturer les alertes
sur le barrage. Au milieu de 1957, l’armée évaluait le nombre annuel de passages
à 2 000 avec 1 000 armes entrées. La zone de l’Est-Constantinois (ZEC)
fut confiée au général Vanuxem, avec à sa disposition toutes les réserves
générales (cinq régiments).
N’étant pas autorisées à franchir la frontière tunisienne, les unités qui
surveillent la ligne Morice laissent l’aviation opérer à Sakiet Sidi Youssef,
village tunisien où se trouve une base de repli de l’ALN. Le 8 février 1958, le
raid aérien effectué en plein jour sur le village est un carnage pour les civils.
Les frappes aériennes n’ont pas été « chirurgicales » faisant 70 morts et 150 blessés,
dont de nombreux enfants. L’attaque aérienne de Sakiet provoque un tollé
dans l’opinion internationale. La Tunisie saisit le Conseil de sécurité de l’ONU pour
dénoncer « l’agression française » sur son territoire tandis que la base militaire
de Bizerte est assiégée par les forces tunisiennes. Les Anglo-Américains, dont
Robert Murphy (qui avait dialogué avec Ferhat Abbas en 1943), imposent leur
médiation par la voie diplomatique, affaiblissant le gouvernement français.
La bataille du barrage commença avec les nombreux accrochages dans la
région du Bec de Canard, et autour de la vallée de la Medjerda. L’ALN lance
plusieurs colonnes d’abord en direction de Mondovi le 18 mars, puis autour
de Souk Ahras où ses pertes sont très élevées. Plusieurs bataillons de l’ALN
pénètrent entre Tébessa et Negrine. À El Ma Labiod, un groupe de 600 moudjahidine
parvient jusqu’aux montagnes des Nementcha. La première vague
des unités de l’ALN a subi d’énormes pertes en février-mars 1958, et une
partie avait été contrainte de retourner dans les bases tunisiennes.
286 Atlas historique de l’algérie
Une nouvelle offensive est lancée en avril 1958. Le 29 avril, un bataillon
algérien de plus d’un millier d’hommes, soutenu par deux katibas, destiné au
Nord-Constantinois, franchit le barrage au sud de Souk Ahras, tandis que
sept katibas franchissent discrètement la frontière, en passant sous les barbelés
par des tunnels. Une fois le passage découvert et l’alerte donnée, toutes
les troupes françaises de réserve disponibles affluent dans la zone. Dans les
montagnes à l’ouest de Souk Ahras s’engage une grande bataille. Les crêtes
du djebel el Mouadjene sur lesquelles se posent les hélicoptères chargés de
parachutistes sont déjà occupées par les moudjahidine. Malgré l’afflux de
renforts, les parachutistes ont 28 tués dans les combats. Encerclés entre
Souk Ahras et Guelma par des milliers de soldats français appuyés par l’aviation
qui lâche ses bombes au napalm, les Algériens se battent avec acharnement,
perdant 270 hommes et ne laissant pratiquement pas de prisonniers.
Dès le lendemain, une autre katiba franchit le barrage, mais est repoussée.
Les dernières poches de résistance des unités ALN infiltrées sont détruites
dans le djebel Nador les 2 et 3 mai.
En quatre mois, l’ALN des bases de Tunisie a perdu 4 000 hommes, et
laisse 590 prisonniers tandis que les Français ont 279 tués et 800 blessés. Le
général Salan, à qui le gouvernement avait refusé sa demande d’envahir la
Tunisie, finit par se contenter de l’efficacité de la ligne Morice, constatée
après la bataille du barrage. La frontière marocaine allait se couvrir du même
système sur 1400 km. En octobre 1958, les autorités militaires décidèrent de
construire un nouveau barrage « avant », au plus près de la frontière tunisienne,
pour prévenir toute installation de bases ALN sur le territoire algérien.
LA STRATÉGIE CONTRE-
INSURRECTIONNELLE FRANÇAISE
’arrivée du général Salan à la tête de l’armée en décembre 1956
L
avait marqué un tournant dans la stratégie de lutte contre les indépendantistes
du FLN. Déjà en partie appliquées par certaines unités
de l’armée en Algérie, les techniques de la lutte antisubversive connaîtront
un développement sans précédent à partir de 1957. Comme de nombreux
militaires de carrière de l’armée française envoyés en Algérie, le général
Salan est un « ancien d’Indochine » où il fut commandement en chef (il porte
d’ailleurs le surnom de mandarin). En ayant participé à cette guerre particulière,
il en est non seulement revenu avec le goût amer de la défaite de Diên
Biên Phu en octobre 1954 mais aussi avec son expérience de la longue guerre
de guérilla menée par les Viêt-cong, qui a bouleversé les officiers français.
La lutte du corps expéditionnaire français (avec les régiments de la Légion
étrangère) contre un ennemi en partie invisible dissimulé parmi une population
elle-même hostile avait généré une nouvelle vision de la guerre.
Contre le harcèlement permanent de la guérilla Viêt-cong, les Français
avaient commencé à mettre en place des mesures contre-insurrectionnelles,
avec l’armement de groupes vietnamiens locaux, un renseignement méthodique,
des punitions collectives, etc. Mais en plus de la guérilla classique,
le général vietnamien Giap avait disposé d’un armement conventionnel pour
assiéger les camps retranchés français. En plus des difficiles conditions sanitaires
du Sud-Est asiatique et de la captivité de plusieurs centaines de soldats
français ou « coloniaux », cette guerre fut un premier traumatisme pour de
nombreux officiers de régiments parachutistes, la génération de Bigeard.
Les indépendantistes vietnamiens avaient suivi les enseignements du
grand frère chinois. Ayant conquis le pouvoir en 1949, les communistes chinois
emmenés par Mao avaient influencé et soutenu leurs « frères » Viêtcong
contre « l’impérialisme » français. Pour le Grand Timonier, « le révolutionnaire
doit être dans le peuple comme un poisson dans l’eau ».
Face au développement de l’insurrection des indépendantistes algériens,
de nombreux cadres et officiers français tentent d’appliquer les méthodes de
la nouvelle école de « la guerre antisubversive ». Cette théorie militaire a été
développée par le colonel Lacheroy, qui fait intégrer ses thèses en 1954 à
288 Atlas historique de l’algérie
l’École supérieure de guerre de Paris. De nouveaux concepts font leur apparition
comme « la stratégie des fourmis » (Lacheroy) ou encore la « guerre dans
le milieu social » ou « guerre dans la foule » (Nemo, J).
Responsables de la formation de nombreux officiers spécialement envoyés
en Indochine, les théoriciens de « la guerre psychologique » trouvent dans le
nouveau conflit algérien un nouveau théâtre pour faire appliquer leurs
« méthodes ». L’idée principale de l’école de « la guerre révolutionnaire » est
le contrôle et la « prise en main » des populations qui soutiennent les insurgés.
Le « poisson » doit donc être séparé de son « eau » grâce à un certain
nombre de techniques apprises et développées directement en Algérie avec
la création de plusieurs centres de formation. Début 1955 est fondé à Arzew
le centre d’instruction de la pacification et de la contre-guérilla ainsi que le
centre d’instruction Jeanne-d’Arc sur une plage proche de Philippeville. À ce
moment-là, « le phénomène de la guerre psychologique est la préoccupation
dominante au sein de la société militaire » (Marie Claire Villatoux, SHAA).
Le 5 e bureau fait son apparition avec la nouvelle mission militaire de
« l’action psychologique » qui doit accompagner le travail des SAS depuis
1955.
SAS ET CAMPS DE REGROUPEMENT
Le gouverneur général Jacques Soustelle avait créé les sections administratives
spécialisées en septembre 1955, chargées de combler le « vide »
administratif des campagnes d’Algérie. Mais l’objectif principal était bien de
pouvoir contrôler une population longtemps livrée à elle-même et soutenant
les mouvements nationalistes, dont le FLN qui s’imposera par la force et le
nombre. La mise en place des « camps de regroupement » fut une des
mesures militaires les plus impressionnantes de la guerre d’indépendance
algérienne. Le déplacement forcé de 2 millions d’Algériens vivant dans des
régions montagneuses ou de populations semi-nomades vers des camps
entourés de barbelés et de miradors avait bien entendu comme objectif
d’étouffer l’ALN. Dans son ouvrage sur la question, Cornaton définit l’objectif
militaire de ces camps, « complément indispensable d’une politique efficace
de zones interdites […] de l’aveu même des autorités françaises, les regroupements
sont avant tout une machine de guerre qui permet de couper l’ALN
de ses masses populaires et de ses soutiens logistiques indispensables ».
400 000 nomades ont été « enfermés » dans ces camps aux conditions de vie
misérables, surtout dans les régions des oasis de Touggourt, El Oued, dans
les hauts plateaux de Tiaret-Saïda, Colomb-Béchar mais également autour
de villes comme Oran, Médéa, Batna et Bône.
Depuis la mise en place des zones déclarées « interdites » dès le début
du conflit et surtout à partir de 1955, les populations montagnardes des Aurès
sont les premières à se trouver massivement déplacées vers les plaines et
plateaux (premier camp à Touffana, au nord de la région boisée de Bouhmama).
Après le massif des Aurès, ce sont les régions du Nord-Constantinois
et de l’Edough qui subissent dès 1955 les déplacements forcés de populations,
suivis des montagnes de Kabylie. Le massif boisé du Dahra est ensuite
dépeuplé comme l’Atlas saharien.
La stratégie contre-insurrectionnelle française 289
Camp de regroupement dans la région de Saïda, 1959.
Loin de leurs mechtas qui sont le plus souvent détruites par l’artillerie et
l’aviation, les populations « regroupées » se retrouvent coupées de leurs activités
traditionnelles et bouleversées dans leur culture. Une majorité de
femmes et d’enfants peuplent ces camps où la pauvreté et l’assistanat « au
compte-gouttes » des SAS provoquent une surmortalité infantile et une
grande détresse. L’habitat des déplacés est composé de tentes et de huttes
en terre sèche, où les maladies font des ravages. Les autorités civiles
finissent par réagir tardivement en 1959 avec le nouveau gouverneur général
Delouvrier. L’homme de confiance du général de Gaulle lance la construction
de villages de regroupement en « dur » avec l’opération « 1 000 villages ».
Il ne s’agit pas pour autant de libérer ces populations, mais de rendre
définitif leur nouvel habitat, en fournissant matériaux de construction et équipements
divers. En fait, l’arrivée du nouveau gouvernement de Gaulle en 1958
n’a pas entraîné de changement de politique vis-à-vis de ces camps bien
cachés à l’opinion publique française. Leur efficacité militaire ayant été
démontrée, les camps n’ont pas été démantelés. Pour Challe, le successeur
de Salan à la tête du commandement de l’armée, le contrôle de ces 2 millions
d’Algériens préparait les grandes opérations prévues contre les sanctuaires
de l’ALN. Ces millions d’Algériens vivaient depuis déjà quatre ans dans ces
290 Atlas historique de l’algérie
camps, améliorés en partie matériellement à partir de 1959. En 1960, le
nombre de personnes « regroupées » s’élèvera à 2 350 000 soit 26 % de la
population « musulmane » totale, affectant essentiellement les régions orientales
de l’Algérie. Du massif des Babors à la frontière tunisienne, toute la
région littorale couverte de forêts est particulièrement affectée par les
regroupements ainsi que les régions « vertes » proches de la frontière. Mais
la montagne la plus vidée de ses habitants fut bien le massif des Aurès,
notamment le secteur d’Arris, ayant abrité les premiers maquis actifs du FLN.
Autour de Lafayette (Bougaa), les populations sont très fortement regroupées.
Les populations vivant dans les zones déclarées interdites étaient déplacées
vers d’autres régions limitrophes ou dans les villes de plaine, qui virent affluer
des milliers de « déplacés » principalement dans les arrondissements d’Alger
(plus de 85 %) et Sétif (plus de 60 %).
Cependant, les régions montagneuses et boisées n’étaient pas totalement
vidées de leurs habitants. La population vivait aussi dans de nombreux villages
encadrés par les SAS. Installées aussi bien dans les campagnes que dans les
camps de regroupement, les SAS contrôlent le ravitaillement, les mandats
reçus de France comme les déplacements des Algériens du village. Les officiers
des SAS (les « képis bleus ») cherchent à organiser la vie du village,
douar ou camp autour du bureau sur lequel flotte le drapeau français.
L’armée cherche à contrer la fameuse OPA, Organisation politico-administrative
du FLN, organisme très structuré qui encadre la population d’un douar
ou d’un quartier, avec la perception de l’impôt de guerre. Devenues 600 en
1958, les SAS proposent en outre à la population des soins médicaux ainsi
que la scolarisation des enfants. Ce volet « social » entre dans le contexte de
la nouvelle politique algérienne du gouvernement français en direction de la
population « musulmane », dont l’objectif était de réduire l’inégalité sociale
avec les Européens d’Algérie, en « rattrapant » le retard en matière de scolarité
puis à partir de 1959 avec le plan de Constantine dans le domaine du
logement et du travail (fonction publique).
L’action psychologique en direction des populations musulmanes était pratiquée
au niveau des SAS (il y en aura 700 au total), mais son impact resta
assez limité. L’intérêt pour le commandement de l’armée était que les SAS
« fassent » du renseignement. Au plus proche de la population, les officiers
SAS étaient protégés par une petite troupe indigène de moghaznis et luttaient
contre l’OPA du FLN, qu’ils essayaient de démanteler à leur niveau. La SAS
était redoutée par les Algériens pour les interrogatoires et la stricte surveillance
du ravitaillement.
CTT de Saint-Arnaud.
ARRESTATIONS DE MASSE
ET CENTRES DE RENSEIGNEMENT
(CTT, CMI, DOP ET AUTRES CRA)
n réalité, la destruction du FLN et de l’ALN était l’objectif du commandement,
qui fit du renseignement un élément majeur de cette
E guerre. La « primauté absolue du renseignement pour démanteler
l’OPA » est donnée aux officiers. Les interrogatoires poussés, déjà utilisés par
les policiers et gendarmes contre les militants nationalistes, sont rapidement
adoptés comme techniques de renseignement par les officiers du 2 e bureau
et les gendarmes. Comme l’explique Jean-Pierre Cômes, ancien OR (officier
de renseignement) pendant la guerre d’Algérie : « pour arriver à pacifier ces
populations, les troupes de secteur ont cru qu’il fallait d’abord détruire cette
OPA recrutée parmi les villageois. C’est cette action qui a été à l’origine de
toutes ces arrestations de suspects, de la multiplication des interrogatoires
et in fine, du recours à la torture ». Nommé commandant en chef fin 1956, le
général Salan étend les possibilités de l’armée en matière de « contrôle » et
de « renseignement ».
LES CENTRES DE DÉTENTION DES ALGÉRIENS
La stratégie de contrôle de la population amène les autorités militaires
françaises, qui disposent des pleins pouvoirs depuis 1956, à mettre en place
des camps de prisonniers où sont systématiquement envoyés tous les suspects.
86 centres de tri et de transit (CTT) sont répartis dans toute l’Algérie à
partir de 1957, détenant environ 10 000 personnes. Toute personne raflée y
est systématiquement envoyée et ensuite éventuellement dirigée vers deux
types de camps de prisonniers. Le premier groupe de camps est celui des
« centres d’hébergement » administrés par les autorités civiles, où quelque
11 000 personnes « suspectes » sont détenues. Les camps d’hébergement
les plus durs sont à Paul-Cazelles, Bossuet et Djorf, tous situés dans une
région semi-désertique. Les détenus européens sont quant à eux enfermés
au camp de Lodi et ceux considérés comme intellectuels à Douera. Les
294 Atlas historique de l’algérie
mineurs sont à Camp-du-Maréchal (Tadmaït). Le second groupe, créé à partir
de 1958, est celui des sept camps militaires d’internés (CMI) où sont envoyés
les combattants de l’ALN faits prisonniers ou tout Algérien pris « les armes
à la main ». Toute une action psychologique est exercée sur ces prisonniers
qui doivent subir un « stage de rééducation » à l’issue duquel certains s’engagent
dans l’armée française. Mais l’impact de ces pratiques resta très limité,
le général Crespin mettant fin au programme dès 1960. De nombreux officiers
du 5 e bureau (action psychologique) avaient voulu développer la technique du
« lavage de cerveau » sur les prisonniers algériens. L’expérience de la guerre
d’Indochine et le mauvais souvenir de la détention dans les camps de rééducation
Viêt-minh avaient marqué ces officiers français. Avec la bataille d’Alger
qui débute en janvier 1957, une phase inédite dans l’utilisation de l’arsenal
anti-insurrectionnel se met en place. Le renseignement et son exploitation
rapide sous forme d’opérations commandos ainsi que le quadrillage de la
population sont devenus les éléments principaux dans la lutte contre le FLN.
C’est à l’échelle de tout le territoire algérien que ces techniques sont renforcées
et systématisées à la fin 1957.
LES DOP
Un corps spécialisé est créé sous le commandement Salan : les DOP ou
détachements opérationnels de protection. Ce nouvel euphémisme caractéristique
de la terminologie militaire cache en fait une terrible réalité. Pour Pierre
Montagnon, « les DOP sont en toute légalité les exécuteurs des basses œuvres,
ce sont des petites équipes, très mobiles, avec interprète, pour obtenir des renseignements
des captifs. La terreur qu’ils inspirent aide souvent à faire parler »
(La guerre d’Algérie, genèse et engrenage d’une tragédie, Pygmalion, Paris, 1984).
Cette structure se trouve répartie dans chaque ville où se trouve le PC d’une
zone militaire (par exemple un DOP pour la zone de l’Ouest-Constantinois à
Sétif). Composé la plupart du temps de volontaires, l’équipe du DOP est chargée
de faire du renseignement avec tous les suspects qui résisteraient aux premiers
interrogatoires des gendarmes ou des officiers du 2 e bureau des postes militaires,
des officiers SAS ou dans les très nombreux camps de détention (CTT
notamment). Car les DOP usent de méthodes extrêmement violentes pour
extraire du renseignement. Ils pratiquent aussi l’élimination des personnes
ayant survécu aux interrogatoires. Appelée pudiquement la « corvée de bois »,
l’exécution sommaire de suspects membres du FLN ou de soldats de l’ALN était
cependant déjà connue. Après les exécutions sommaires de Philippeville en
1955 et les opérations de la bataille d’Alger, les disparitions de membres du FLN
ou de suspects étaient devenues une pratique connue sous le nom de « corvée
de bois ». Les « résultats » des 47 unités des DOP devaient ensuite parvenir à
une nouvelle structure créée par Salan : le CCI ou Centre de coordination interarmes
chargé de synthétiser les informations en provenance de tous les corps
faisant du renseignement. Car toutes les unités « font » du renseignement
d’une manière ou d’une autre, surtout la gendarmerie, dans laquelle exercent
de nombreux « Européens » d’Algérie, parlant souvent l’arabe dialectal. Leurs
méthodes sont souvent équivalentes à celles des DOP. Le rôle accordé aux
Algériens engagés dans les harkas, makhzen (SAS) et autres formations
Arrestations de masse et centres de renseignement 295
supplétives de l’armée française dans le renseignement fut quant à lui tout
aussi important sinon décisif.
L’IMPLICATION DES UNITÉS DE HARKIS
DANS LA STRATÉGIE MILITAIRE FRANÇAISE
Connaisseurs naturels des populations locales, dont ils étaient le plus
souvent issus, les soldats de harkis, intégrés dans les forces opérationnelles
ou chargés de protéger les SAS, prirent une part active dans l’acquisition du
renseignement. Pour traduire, mais aussi pour obtenir des informations, les
supplétifs ont été particulièrement « impliqués » au niveau des SAS, postes
militaires, gendarmeries et camps d’internement. Considérés comme des
traîtres, les harkis ont été la cible privilégiée des attaques des commandos
FLN dans les villes. Bien qu’une partie d’entre eux collabore secrètement
avec le FLN, les corps de supplétifs, vivant sous la menace permanente,
ripostent souvent sans ménagement. Participant à la répression contre la
population ainsi qu’aux opérations « psychologiques » du 5 e bureau, ils
n’hésitent pas à éliminer des prisonniers FLN lorsque « permission » leur a
été donnée par leurs officiers français. Les harkis du commando « Georges »
et « Cobra » furent particulièrement durs avec les combattants de l’ALN.
Inéluctablement condamnés à mort pour avoir changé de camp, ils participèrent
à une traque sans merci de leurs anciens compagnons d’armes,
autour de Saïda, où Bigeard les avait « retournés ».
La machine de guerre du général Salan leur accorde une place essentielle
dans les missions opérationnelles à partir de 1957 quand elle les intègre dans
les unités classiques. En 1958, 25 000 harkis sont engagés dans les opérations
contre l’ALN, où leur efficacité s’avère redoutable. Ayant la connaissance
du terrain où ils traquent les maquisards de l’ALN, les harkis explorent
caches et grottes tout en « interrogeant » les habitants des secteurs « ratissés
». Ils deviennent rapidement indispensables aux responsables de l’armée,
qui en réclament davantage au général de Gaulle en 1958. Le nouveau commandant
en chef Challe projette en effet la création d’unités spéciales : les
commandos de chasse, composés en partie de harkis. Challe lance en 1959
des grandes opérations contre les bastions de l’ALN, et souhaite « une utilisation
massive des FSNA » qu’il considère comme « les meilleurs chasseurs de
fellaghas ». Challe disposera ainsi de 60 000 harkis sur les 125 000 supplétifs
FSNA pour mener ses opérations, alors que de Gaulle les lui eût accordés
seulement dans le cadre de tâches administratives et de surveillance.
Bien qu’une nouvelle importance des corps de supplétifs dans la stratégie
militaire française soit clairement établie par Challe, c’est à partir de 1959 que
le général de Gaulle fait un premier pas en direction des indépendantistes. Les
combattants algériens profrançais réagiront diversement. Quand la marche
inéluctable vers l’indépendance sera perçue par les harkis, une partie d’entre eux
rejoindra l’ALN tandis que d’autres, trop compromis dans les opérations militaires
(dont le renseignement), chercheront à s’exiler en France. Les commandos
harkis qui furent particulièrement impliqués dans leurs opérations contre les
indépendantistes avaient été créés dans le cadre du plan Challe en 1959.
LE FLN EN EUROPE
n France, où vit la plus grande partie de l’émigration algérienne
E
(275 000 personnes en 1955), le FLN s’implante rapidement à partir
de 1955 et faire participer massivement à l’effort de guerre militants
et « cotisants ». Mais la nouvelle formation nationaliste s’imposera violemment
sur la branche messaliste du MTLD. L’emprise du FLN au sein de la
population algérienne devient quasi totale à partir de 1957, au prix de nombreuses
victimes, notamment celles du MNA, le nouveau parti de Messali
Hadj, créé après l’interdiction du MTLD par les autorités françaises après le
déclenchement de l’insurrection en novembre 1954. Ce sont Mohamed Boudiaf
et Mourad Tarbouche qui furent les artisans de la Fédération de France
du FLN à partir de 1955.
Le territoire français est découpé en sept wilayas sur le modèle algérien,
avec une structure de commandement de type pyramidal, militants, adhérents
et cotisants étant séparés pour éviter que la police « remonte » les réseaux.
Avec leurs « cotisations », les 150 000 Algériens de la métropole participent
au financement des activités du FLN et de l’ALN, atteignant 2,5 milliards
d’anciens francs en 1958, puis évalués à 3,2 milliards l’année suivante.
Au moment où l’insurrection commence à faiblir en Algérie, le FLN lance
toute une série d’attaques en métropole du 25 août au 27 septembre 1958
(« la nuit bleue ») ciblant des objectifs politiques ou économiques, qui se
veulent spectaculaires comme l’incendie du dépôt d’hydrocarbures de Mourepiane,
à proximité de Marseille.
Mais l’implication des Algériens dans le mouvement indépendantiste
s’accompagne d’une répression policière massive, qui se traduit par des milliers
d’arrestations de militants et de suspects. Ces derniers sont envoyés
dans des grands camps de détention au milieu du Massif central comme celui
du Larzac, un des futurs camps d’accueil des harkis en exil. Les supplétifs
furent impliqués dans la répression des réseaux FLN de la capitale française
à partir de 1960. Les dernières années de la guerre d’Algérie furent particulièrement
violentes à Paris, où les commandos de choc du FLN visent
désormais les policiers et les harkis. Dans le contexte des premières négociations
entre le GPRA et les Français (à partir de juin 1960), Papon, le nouveau
298 Atlas historique de l’algérie
préfet de la Seine, charge la police appuyée par la FPA (Force de police auxiliaire)
d’anéantir les militants algériens. Le FLN réplique par des attentats
contre des commissariats et policiers isolés.
Traquée par la police, la direction de la Fédération du FLN finit par s’abriter
en Allemagne de l’Ouest, à Cologne et Düsseldorf, dès 1958 et continue
d’organiser le transfert des fonds destinés au FLN extérieur. Avec l’installation
de la direction FLN « Europe » en Allemagne, l’organisation indépendantiste
bénéficie de nombreux soutiens européens.
Avec la répression policière et en raison du manque de travail, de nombreux
Algériens, notamment ceux vivant dans les Alpes françaises se rendent,
en Suisse. Ils rejoignent souvent la route de la Tunisie avant de s’engager
dans l’ALN. C’est le cas d’étudiants algériens très impliqués dans le militantisme.
La Suisse, avec l’Allemagne, devient l’une des deux « plaques tournantes
» des réseaux de soutien au FLN ou du redéploiement des
« volontaires » comme combattants ou des « politiques » qui rejoignent le
GPRA au Caire ou à Tunis.
Le travail de la Fédération de France consistait à promouvoir le fait indépendantiste
algérien et présenter aux milieux « éclairés » la guerre française
« contre les Algériens ». C’est ainsi qu’un nombre important de militants et
intellectuels français de gauche s’étaient impliqués dans le soutien d’abord
moral, puis, pour certains, matériel au FLN.
Mais le rôle des responsables du FLN « réfugiés » en Allemagne ou en
Suisse ne se limitait pas à la « médiatisation » de la cause indépendantiste.
Le FLN « Europe » était en outre chargé aussi bien de l’acheminement des
fonds transitant par les banques suisses que de l’achat d’armement auprès
des vendeurs notamment allemands. Ces derniers sont alors la cible des
services français qui n’hésitent pas à les liquider ou à saboter les navires
chargés pour les bases du Maroc ou de la Tunisie. Malgré tous les efforts de
la diplomatie française et du SDECE, les Algériens du FLN finissent par disposer
de nombreuses représentations en Europe occidentale mais également
dans le bloc de l’Est.
Avec la reconnaissance du GPRA par l’Union soviétique en 1958, le FLN
dispose de nouveaux appuis dans les démocraties populaires d’Europe de
l’Est comme la RDA, où les services formeront plusieurs militants FLN, à
l’instar de la promotion dite « tapis rouge », des Algériens ayant reçu les
enseignements de l’école soviétique (renseignement et contre-espionnage) en
1958. Depuis 1957, plusieurs pays européens participent à la livraison des
précieuses armes destinées à l’ALN, notamment ceux spécialisés dans leur
production comme la République tchèque et la Yougoslavie de Tito. C’est à
partir des côtes dalmates que partent nombre de navires chargés d’armes en
direction de la Tunisie ou du Maroc tandis que d’autres filières, plus discrètes,
font parvenir jusqu’en Suisse fonds ou militants menacés.
C’est le cas du fameux « réseau Jeanson ». Ce groupe d’intellectuels anticolonialistes
ou sympathisants français du FLN s’était impliqué personnellement
dans le soutien matériel aux indépendantistes mais finit par être
démantelé en 1960, suivi d’un procès « très médiatisé ». Derrière ces « porteurs
de valises » se trouvait toute une intelligentsia française dont les écrits
dénoncent la guerre menée en Algérie. Journalistes du Monde et de L’Express,
de Témoignage chrétien en particulier, mais aussi des philosophes comme
Le FLN en Europe 299
Jean-Paul Sartre condamnaient l’action militaire en Algérie et l’aveuglement
colonial. Par leurs récits de la guerre vécue en Algérie souvent comme appelés,
de nombreux soldats français contredisaient les versions officielles de la
« pacification ». Si certains Français ont déserté en rejoignant l’ALN comme
Noël Favrelière, d’autres Européens s’engageaient directement en Europe
dans des centres de « recrutement » du FLN. Ces volontaires souvent militants
communistes se rendaient dans les bases ALN de Tunisie ou de Libye,
où se trouvaient des formateurs de pilotes algériens, notamment en Libye et
en Égypte.
Affiche de propagande française contre le FLN.
LE FLN ET LE MONDE ARABE
’Égypte est le premier pays arabe indépendant à abriter les responsables
indépendantistes de l’OS Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed
L et Mohamed Khider arrivés en 1952, après la découverte de leur
cellule par la police française.
Le colonel Gamal Abdel Nasser qui prend le pouvoir en juillet 1952 au
nom des Officiers libres se présente comme le défenseur des peuples arabes
opprimés par le colonialisme et l’impérialisme, dans le contexte du conflit
israélo-arabe, où l’Égypte se trouve en première ligne. Le Caire est la première
base « extérieure » du jeune FLN, où Mohamed Boudiaf rejoint les trois
membres historiques en 1954. C’est dans la capitale égyptienne que siège
notamment depuis 1947 le Comité de libération du Maghreb arabe (deux
après la fondation de la Ligue arabe à l’initiative des Britanniques), organisation
qui regroupe plusieurs mouvements nationalistes comme le Parti de
l’Istiqlal marocain ou le Néo-Destour tunisien. En fait, les Égyptiens assuraient
leur soutien politique aux « frères » du Maghreb depuis les
années 1930, au temps des premières formations nationalistes d’Allal el Fassi
à Bourguiba. Les Algériens entretenaient quant à eux des relations plus religieuses
avec l’Égypte, avec la visite du cheikh Abduh en Algérie en 1903,
artisan du courant réformiste musulman (Islah). Boumediene séjournera
d’ailleurs au Caire pendant sa formation religieuse à la mosquée d’Al Azhar.
Mais lorsque éclate l’insurrection du FLN en novembre 1954, le pouvoir
militaire égyptien s’engage immédiatement aux côtés des indépendantistes.
L’Égypte accorde un soutien logistique de premier plan pour permettre l’acheminement
des armes à l’armée du FLN. En fait, le trafic d’armes au profit du
FLN avait commencé avant 1954, par des réseaux libyens (Tripoli) et marocains
(Nador) qui avaient préparé quelques dépôts d’armes, souvent issues
des stocks de la Seconde Guerre mondiale. Mais il faut vraiment attendre
mars 1956 et l’indépendance du Maroc et de la Tunisie pour que le FLN puisse
disposer de solides relais pour acheminer les armes. C’est à ce moment que
la délégation extérieure du FLN entreprend plusieurs voyages entre Rabat et
Tunis jusqu’à la fameuse interception de leur avion en octobre 1956. Mais ces
quelques mois d’activité diplomatique ont permis d’obtenir de nombreuses
garanties pour l’établissement de bases pour l’ALN et les facilités à accorder
aux Algériens militants et combattants. À partir de 1956 se mettent en place
302 Atlas historique de l’algérie
les structures militaires qui accueillent les
milliers d’Algériens réfugiés qui traversent la
frontière tunisienne et qui s’engagent massivement
dans l’ALN, tandis que les organisations
humanitaires établissent des camps pour les
populations qui fuient la répression dans le
Constantinois, devenue impitoyable depuis août
1955. Avec les premiers travaux du barrage
électrifié, des milliers de personnes ont été
déplacées pour faire place aux « zones interdites
». La nouvelle ALN des bases de Tunisie
dispose de milliers d’hommes et de jeunes qui
sont formés et armés par les « importations »
de munitions en provenance d’Égypte et de
Libye mais aussi de Syrie et d’Iraq. Progressivement
se construisent des réseaux complexes
d’acheminement de matériel qui s’accumule en
Tunisie pour 90 % de l’armement total destiné
Affiche du Service d’action psychologique aux Algériens. Le reste est stocké dans les
de l’armée pendant la guerre.
bases ALN du Maroc, à Nador et Oujda, tandis
qu’une petite partie entrera en Algérie par le
Sahara libyen.
À partir de 1957, le Comité d’organisation et d’exécution (CCE) jusque-là
basé à Alger doit quitter l’Algérie où il est menacé par la machine de guerre
mise en place lors de la bataille d’Alger pour « remonter » les réseaux du
FLN. Le CCE s’installe à Tunis tout en disposant d’un bureau au Caire et à
Tripoli, de manière à éviter une influence trop gênante des dirigeants qui les
« hébergent », surtout Nasser, qui a résisté aux Franco-Britanniques pendant
la crise de Suez en 1956.
Les pionniers de la diplomatie algérienne s’efforcent quant à eux d’obtenir
l’aide des autres pays arabes du Moyen-Orient où se rend Kiouane dès 1956.
Avec Taoufik el Madani, le jeune diplomate fait la tournée des capitales libanaise,
syrienne, jordanienne et irakienne à la suite de laquelle l’aide financière
et matérielle de ces pays en direction du FLN connaît un nouveau développement.
La Syrie et l’Iraq accordent aux Algériens des facilités pour la formation
de pilotes de chasse (MIG 17), aux transmissions et autres techniques militaires
comme le parachutage (Alep). En 1957, d’autres pays musulmans sont
sollicités par Kiouane pour la reconnaissance et l’aide au FLN comme l’Iran,
la Turquie et l’Afghanistan. Les ulémas réformistes algériens tels que Bachir
el Ibrahimi et Taoufik el Madani auront joué un rôle notable dans l’entretien
des relations avec la Syrie et l’Arabie saoudite.
Avec la reconnaissance internationale du GPRA à partir de septembre
1958, les relations avec les pays arabes se confirment. Même l’Arabie saoudite,
qui avait précédemment reçu des représentants du MNA, finit par aider
le FLN. Les services français enquêtent quant à eux en permanence sur ces
campagnes diplomatiques du FLN, notamment au Moyen-Orient. Après
l’affaire de Suez et l’expédition militaire qui a tourné au fiasco, le SDECE a
noué de nouvelles relations privilégiées avec le renseignement israélien.
Le FLN et le monde arabe 303
Le gouvernement
socialiste de Guy Mollet,
qui accuse depuis 1956
Nasser d’entretenir la
rébellion algérienne, a
rapidement noué des
liens particuliers avec le
jeune État d’Israël. Pour
M. Jacquin, « les relations
entre le SDECE et le
Mossad sont d’ailleurs
excellentes, des relations
directes et discrètes
entre le 2 e bureau d’Alger
et celui de Tel-Aviv, pour
tout ce qui touche à la
guerre d’Algérie » (La Tract des autorités françaises.
guerre secrète en Algérie).
Les bases de Tunisie absorbent la majeure partie des équipements livrés
par les filières d’armement tandis qu’au Maroc sont construites plusieurs
usines clandestines de fabrication d’armes, avec l’organisation de Messaoud
Zeghar, lié aux milieux d’affaires américains. Dirigé par Boussouf, le MALG
(ministère de l’Armement et des Liaisons générales) est chargé de toute
l’organisation concernant les armes et la logistique. Par sa personnalité,
Boussouf s’impose comme l’homme incontournable au sein du GPRA. Ses
bureaux sont basés à Rabat, Tunis et Tripoli, en marge des sièges du GPRA.
Cette structure intègre l’ébauche des premiers « services de renseignement »
qui deviendront la « sécurité militaire » après l’indépendance.
C’est dans les ports du Maroc que sont débarqués les équipements achetés
en Europe du Nord. Ils doivent pouvoir fournir les soldats de la wilaya V,
dont le PC est situé à Oujda. Avec 1 200 hommes en 1957, l’armée algérienne
du Maroc n’a pas les moyens des bases tunisiennes pour attaquer le barrage
en plusieurs points mais entreprend le passage par la région des Ksour, en
partant de Figuig. Avec la bataille des frontières, l’ALN de Tunisie est secouée
par plusieurs rébellions. La défense de la ligne Morice ayant rendu très meurtriers
les franchissements de troupes de l’ALN, certains officiers refusent
d’obéir, provoquant des troubles dans lesquels intervient le régime tunisien
(affaire Lamouri, désertion Hambli…).
LE FLN DANS LE MONDE
vec quelques-uns de ses chefs historiques en Égypte depuis 1952,
A
la question algérienne dispose d’une première audience régionale
(monde arabe). L’Égypte et l’Arabie saoudite, déjà membres de
l’ONU, soulèvent une première fois le problème algérien à New York en 1955.
Quelques mois après le déclenchement de l’insurrection des indépendantistes
algériens, la conférence afro-asiatique de Bandung en Indonésie évoque
le sort des Algériens toujours « colonisés » représentés par une petite délégation.
Cet événement marque une étape majeure dans l’internationalisation
de la guerre d’Algérie. Mais pour les autorités françaises à l’ONU, il n’y a pas
de guerre en Algérie mais des « événements » dans ses trois départements
français.
À partir de 1956 et le ralliement de Ferhat Abbas au FLN, la diplomatie
algérienne se trouve redynamisée. Ferhat Abbas commence une carrière
mondiale. Parti de Paris, il se rend en Égypte rejoindre la direction du FLN
en passant par la Suisse en avril 1956. Il consacre ses premiers entretiens
avec les dirigeants arabes en Égypte, au Maroc, en Tunisie et en Libye, avant
de gagner l’Inde et le Pakistan. Ferhat Abbas multiplie les conférences lors
de ces séjours où il défend le combat des moudjahidine de l’ALN pour la
liberté de l’Algérie.
Avec Kiouane, ils entreprennent une grande tournée en Amérique latine à
la fin 1956. Hormis l’Uruguay et le Venezuela, tous les pays du continent
sud-américain sont « visités » par une délégation algérienne. Ferhat Abbas
accompagné de Kiouane et Triki rejoint ensuite Mohammed Yazid à New York,
qui est le représentant et négociateur de la délégation algérienne aux Nations
unies. Plusieurs délégations extérieures du FLN parcourent de nombreux
pays, qui permettent ensuite aux Algériens de disposer d’un bureau officiel
ou non dans leur capitale. C’est ainsi que 38 pays, dont les pays musulmans,
accorderont cette facilité au FLN puis au GPRA à partir de 1958. À partir de
la proclamation officielle en septembre 1958 par son président Ferhat Abbas
du Gouvernement provisoire de la République algérienne, calqué sur le
modèle français du général de Gaulle, 18 pays reconnaissent cette première
institution nationale. Krim Belkacem, le vice-président du GPRA, qui dirige
les forces armées, prendra une part active aux tournées diplomatiques dans
306 Atlas historique de l’algérie
le monde à partir de 1960, en Asie en particulier. Alors que les wilayas intérieures
subissent les terribles offensives du plan Challe en 1959-1960, le
GPRA s’engage dans d’importantes campagnes diplomatiques.
Les pays d’Asie accueillent chaleureusement les délégations algériennes
du GPRA en janvier 1960, notamment le Vietnam et la Chine, où Ferhat Abbas
obtient une aide politique et matérielle. Kiouane entreprend quant à lui de se
rendre en Corée du Nord et au Japon, l’Asie du Sud-Est étant parcourue par
Ahmed Boumendjel, Saïd Mohammedi, Ahmed Francis et Boussouf. Krim Belkacem
et Ben Tobbal apparaissent avec Ferhat Abbas comme les principaux
négociateurs internationaux du GPRA. Trois dirigeants du GPRA se rendent
en URSS en 1960 afin de s’entretenir avec Khrouchtchev et Kossyguine.
Politiquement et militairement, le GPRA se renforce. Bien que l’ALN intérieure
ait été très diminuée, elle dispose encore de réserves importantes ainsi
que de moyens militaires améliorés. Les réseaux d’armement comme celui
des « djamiat », qui organise l’acheminement d’armes entreposées en Indonésie,
avec les intermédiaires européens, ont constitué une des sources
matérielles de l’ALN. Alors que l’ALN intérieure sort exsangue du plan Challe,
les succès diplomatiques du GPRA se succèdent à partir de 1960 au niveau
des organismes internationaux comme à l’ONU, qui déclarera le « droit du
peuple algérien à l’autodétermination » le 19 décembre 1961. De même, le
GPRA est présent à la conférence des pays non alignés qui se tient à Belgrade
en 1961.
Cependant, les avancées diplomatiques algériennes sont facilitées par la
nouvelle politique du général de Gaulle, dont le gouvernement a entamé des
négociations secrètes avec le FLN depuis le début 1961. Car l’influence française
reste grande dans le monde, même si elle accuse un retard certain en
ce qui concerne le mouvement mondial de décolonisation. Mais le général de
Gaulle, bien conscient qu’il doit laisser l’Algérie aux Algériens, veut sortir de
la guerre en position de force, pour l’armée mais aussi pour obtenir des facilités
dans le Sahara algérien.
En 1961, cet immense territoire est l’objet de négociations entre le GPRA
et le royaume du Maroc, qui n’hésite pas à revendiquer toute la région de
Béchar à Tindouf. Ferhat Abbas doit s’entretenir avec le jeune Hassan II, nouveau
successeur de Mohammed V, avec qui il avait été très proche. La thèse
d’un « grand Maroc » avait été développée par Allal el Fassi depuis plusieurs
années, revendiquant l’héritage médiéval des territoires almohades au-delà
de Sidjilmasa, dans le Tafilalt, berceau des Alaouites.
Mais pour le GPRA, le Sahara n’est pas négociable, ni avec la France ni
avec ses voisins, fussent-ils des alliés. En 1961, les diplomates algériens
continuent de renforcer leur présence en Asie, notamment en Mongolie et en
Chine, qui participera à la « reconstruction » de l’Algérie indépendante après
1962. Les derniers mois qui précèdent l’indépendance de 1962, le GPRA se
trouva confronté à plusieurs crises internes. C’est entre Tunis et Tripoli que
les différents ministres et chefs de l’armée se livrent à une bataille politique
pour le pouvoir à partir de l’été 1961. Pour autant, les dirigeants tunisien et
libyen n’exercent pratiquement pas leur influence sur ces querelles algériennes,
qui aboutissent au fameux congrès de Tripoli où le CNRA (Conseil
national de la révolution algérienne) de mai 1962, à l’issue duquel surgiront un
exécutif algérien bicéphale, avec Ben Bella installé au Maroc et Ben Khedda
Le FLN dans le monde 307
à Tunis. Jusqu’en juillet 1962, les villes tunisiennes ou marocaines du (ou des)
pouvoir(s) algérien (s) serviront de base au groupe politico-militaire Ben
Bella/Boumediene, non plus pour combattre l’armée française, mais pour
s’imposer militairement en Algérie.
Les relations diplomatiques du FLN établies tout au long de la guerre
d’indépendance marqueront durablement les politiques extérieures du nouvel
État algérien après 1962.
308 Atlas historique de l’algérie
LE PLAN CHALLE
près s’être imposé en mai 1958 comme l’homme politique providentiel
à la tête du nouveau gouvernement français, le général de Gaulle
A entreprend de régler le problème algérien. Conscient des blocages
de la minorité européenne face aux défis de la décolonisation, le nouveau
président prépare des réformes politiques et économiques en faveur des
musulmans. Après le référendum pour la Constitution de la V e République en
septembre, il annonce le plan de Constantine, programme de développement
économique de cinq ans.
Mais en 1958, le premier président de la République, qui est désormais
chef des armées, veut écraser l’ALN intérieure. Sachant qu’il devra malgré
tout négocier avec le GPRA qui vient d’être créé le 19 septembre 1958, il veut
se retrouver en position de force face à Ferhat Abbas. Sachant que l’Algérie
serait inéluctablement indépendante sous une forme ou une autre, le général
de Gaulle a bien l’intention de profiter le plus longtemps possible des installations
« hautement stratégiques » du Sahara. Mais il ne veut pas non plus
s’aliéner l’armée qui combat l’ALN depuis quatre ans, en lui accordant une
victoire sur le terrain.
Le général Challe remplace Salan à la tête du commandement en
décembre 1958. Disposant de moyens militaires exceptionnels, le nouveau
chef de l’armée prépare pour 1959 une offensive générale contre les maquis
de l’ALN : le plan Challe. Les frontières quasi hermétiques depuis le renforcement
des barrages en 1958 donnent à Challe les moyens de combattre l’ALN
en « champ clos ». Le regroupement des populations se trouve accentué en
vue des opérations militaires ainsi que l’armement de nombreux villages en
« autodéfense ». Le plan Challe prévoit de détruire l’essentiel de l’ALN intérieure
en attaquant successivement ses zones refuges avec la participation
de toutes les réserves générales composées des forces d’élite héliportées et
disposant d’un appui aérien massif. Ce « rouleau compresseur » doit parcourir
tout le nord de l’Algérie à partir des régions ouest, théoriquement les plus
faciles, jusqu’à la frontière tunisienne.
La première opération se déroule dans la région au sud de Tlemcen à
partir du 6 février 1959. Suivant un processus militaire classique, les forces
françaises (dont les unités harkis) encerclent les monts de Tlemcen et les
nombreuses forêts jusqu’à Sidi bel Abbes qui abritent les maquis de l’ALN.
310 Atlas historique de l’algérie
Le ratissage est effectué par des troupes plus nombreuses et mieux renseignées
que lors des opérations précédentes.
L’armée bénéficie d’un recrutement harki spécialement renforcé par le
général Challe en vue des grandes opérations, notamment pour former les
« commandos de chasse », qui ont pour mission de harceler les derniers
groupes de maquisards ayant survécu. L’armée exploite le renseignement
obtenu par les méthodes des unités mobiles des DOP, qui suivent de près
l’offensive et les nombreuses arrestations qui en découlent. À l’issue de cette
première opération « Oranie » de février 1959, 1 764 moudjahidine sont tués
et 516 faits prisonniers (il y aura 76 tués français). Les forces françaises disposent
d’armes redoutables comme le napalm ainsi qu’un arsenal chimique
utilisé dans les grottes, refuges des soldats de l’ALN.
À partir d’avril 1959, c’est le massif de l’Ouarsenis qui est encerclé par les
troupes françaises. Les accès par la plaine sont fermés par des unités blindées,
le ratissage est effectué par les troupes de secteur renforcées par les
réserves générales et les harkis (notamment ceux du bachaga Boualem)
tandis que toutes les crêtes et positions dominantes sont « réservées » aux parachutistes,
légionnaires, chasseurs alpins. L’opération « Courroie » se déroule
dans une région montagneuse couverte de plusieurs grandes forêts comme à
Theniet el Had. Les combats durent deux mois car les troupes doivent chercher
le « contact » avec les maquisards de l’ALN pour ensuite faire intervenir l’aviation
et l’artillerie. Jusqu’au 18 juin 1959, des milliers de soldats ratissent la chaîne
montagneuse de l’Ouarsenis au Dahra, au nord de la vallée du Chélif, pour aboutir
dans l’Atlas blidéen. À l’issue des durs combats dans cette région d’accès
difficile, et dont la population avait été massivement regroupée (76 % de regroupés
dans l’arrondissement de Theniet el Had, 40 % autour de Miliana…),
1 756 combattants algériens sont tués lors de ces durs combats qui font 166 tués
parmi les forces françaises tandis que 471 moudjahidine sont faits prisonniers.
Entre les opérations « Oranie » et « Courroie », le 5 e bureau de l’armée
française n’avait pas manqué d’exploiter l’événement de la mort de Amirouche
et de Si Haouès survenue en mars 1959. Les deux chefs militaires des
wilayas III et V furent tués au combat dans le djebel Zemra à 15 km de Bou
Saada, alors qu’ils se rendaient vers les bases de Tunisie par l’itinéraire sud.
Une fois repérés dans le djebel Zemra, qui est une petite montagne isolée,
il leur fut impossible d’échapper aux attaques aériennes et à l’intervention
héliportée des parachutistes coloniaux de Bigeard. Leur mort fut amplement
« médiatisée » sous forme de tracts jetés au-dessus des maquis. La wilaya III
se préparait à l’offensive générale de l’armée française, dont le commandement
détourna le regard pour mieux surprendre les maquis du Hodna à partir
de juillet 1959.
L’opération « Étincelles » dure douze jours dans cette région totalement
acquise à l’ALN. Ces montagnes du djebel Hodna ont un relief tourmenté
et sont couvertes de forêts. Avec la proximité de Sétif, un des berceaux du
nationalisme algérien, de nombreux militants des villes et villages de la plaine
sont montés au maquis. C’est dans ces montagnes qui ont vu naître Bachir
el Ibrahimi (Ouled Braham) qui s’étendent du djebel Maadid au Bélezma que
les soldats de l’ALN combattent les forces françaises dont toute la 10 e division
parachutiste. La première phase de l’opération fait 304 tués chez les djounoud
de l’ALN et 46 militaires français tués. Mais les forces françaises ont récupéré
Le plan Challe 311
une quantité impressionnante d’armes car la région se trouve sur l’itinéraire
sud des convois en provenance des bases de Tunisie. Trois fois plus d’armes
ont été prises lors de l’opération « Étincelles » qu’en soixante jours de l’opération
« Oranie ».
Pendant l’été 1959, les plus grandes opérations du plan Challe sont lancées
en direction des massifs de Kabylie à partir du 22 juillet. Avec l’opération
« Jumelles », ce sont 40 000 soldats français qui attaquent les katibas de la
wilaya III en Grande Kabylie. C’est dans un premier temps à l’est du massif
du Djurdjura et dans l’Akfadou qui sont submergés lors de l’opération « Pelvoux
» du 22 juillet au 9 août 1959. Les troupes parachutistes pénètrent dans
ce qui fut le bastion d’Amirouche, auquel ont succédé les chefs Mira et
Mohand Oul Hadj. Les combattants kabyles ont 132 tués et 215 prisonniers
pendant cette première attaque massive des forces françaises, qui ont débarqué
au cap Sigli. En fait, tous les massifs abritant les katibas kabyles sont
encerclés au sud de Tigzirt, dans le secteur de Sidi Ali Bounab et dans le
nord du Djurdjura. C’est entre Bougie et Azazga que le déploiement militaire
est le plus important, glissant progressivement vers la vallée de la Soummam.
À partir du 10 août 1959 est lancée l’opération « Suzanne ». Après six
jours de combats au sud de Bougie, dans les montagnes boisées jusqu’au
Takintoucht en direction de Kerrata, 594 moudjahidine sont tués et 78 faits
prisonniers. Cependant, l’armée continue d’occuper pendant tout l’été les
montagnes de Grande Kabylie. Alors que le déploiement opérationnel se
maintient dans la région, 14 commandos de chasse sont mis en place dans
les massifs kabyles.
Le général Challe a fait de ces « unités légères spéciales à base de
harkis » une des conditions de la réussite de sa stratégie. Dans sa directive
du 22 décembre 1958, il décrit la mission de ces commandos : une « chasse
à courre, qui devra autant que possible coller aux katibas, qu’elles se déplacent
dans les zones refuges ou que, se fractionnant, elles cherchent asile
dans la population ». Quatre commandos de chasse opèrent dans le secteur
de Palestro, deux autour de Bouira, quatre autour d’Azazga, deux autour de
Bordj Menaïel, trois à Fort National, un sur Draa el Mizan et Tizi Ouzou. Ils
harcèlent les combattants dispersés par petits groupes car les katibas ont été
décimées par l’offensive française, qui n’épargne pas les populations civiles
déplacées de force, soumises aux DOP mobiles, et dont les habitations sont
le plus souvent détruites. Les appuis aériens qui font du bombardement au
napalm un usage fréquent sont systématiques dès qu’un groupe de combattants
est repéré et que les forces françaises en sont protégées. En fait, la
plupart des hommes de l’ALN ont été principalement tués par l’artillerie et
l’aviation bien plus que par les balles de l’infanterie.
À partir d’août 1959, les pertes algériennes augmentent sensiblement
dans la wilaya III, qui perd son chef Mira à Chellata le 6 septembre 1959. La
situation est dramatique. En deux mois, du 17 août au 17 octobre 1959, l’ALN
a perdu 1390 moudjahidine et 807 prisonniers, dans la période des plus durs
combats comme en témoigne la perte de 88 soldats français. D’octobre 1959
à avril 1960, l’armée française n’en poursuit pas moins ses opérations contre
les maquis de Grande Kabylie et dans la Soummam. Tout l’ouest de la Petite
Kabylie est attaqué à partir de Bordj Bou Arreridj et Bougie. Six mois de
312 Atlas historique de l’algérie
combats pendant lesquels 2 222 moudjahidine sont tués et 1 141 faits prisonniers,
les pertes de l’armée française s’élevant à 167 tués. Les opérations
contre les maquis des Babors jusqu’à la presqu’île de Collo, où l’ALN est très
bien implantée, se déroulent sur une année entière, de septembre 1959 à
septembre 1960. Quatre opérations militaires groupées sous le nom général
de « Pierres Précieuses » ont pour objectif de détruire l’essentiel du potentiel
de l’ALN dans un terrain particulièrement difficile. Les régions concernées
sont très accidentées et couvertes de forêts, surtout le long du littoral méditerranéen.
Deux divisions françaises, la 25 e DP et la 11 e DI, participent à
plusieurs opérations contre la wilaya II avec « Turquoise » dans les secteurs
de Djidjelli, Mila, El Milia à partir de novembre 1959, tandis que la presqu’île
de Collo est attaquée pendant l’opération « Émeraude ». Quinze commandos
de chasse s’installent dans les montagnes environnantes, à partir de leurs
postes de Bougie, Akbou, Lafayette, Bordj Bou Arreridj, Saint-Arnaud,
Sidi Aïch, El Kseur, Titest, Oued Amizour. L’opération « Rubis » se déroule du
6 septembre au 17 octobre 1959 dans la région de Petite Kabylie, entre la
vallée de la Soummam et Lafayette tandis que les maquis des Babors sont
attaqués lors de « Saphir ». En mars 1960 les djebels Takoucht et Djermouna,
qui avaient été le théâtre des représailles sanglantes de 1945, sont à nouveau
ratissés pendant l’opération « Jonas ».
Crépin, qui a remplacé Challe en mars 1960, reprend l’offensive contre la
wilaya I, dont les hommes occupent encore le Hodna. Il envoie la 10 e DP
attaquer l’est du massif ainsi que le Bélezma en avril 1960, c’est l’opération
« Flammèches ».
Les offensives du plan Challe entraînent plusieurs réactions tardives de
l’ALN des bases de Tunisie. Le colonel Boumediene lance plusieurs attaques
contre les troupes françaises du barrage à partir de septembre 1959, avec
l’offensive « Didouche » dans la région de Souk Ahras, suivie de « Amirouche »
en novembre-décembre 1959. Mais ces attaques de l’ALN avec l’utilisation de
nouvelles pièces d’artillerie ne peuvent ralentir le « rouleau compresseur »
des offensives Challe. À partir d’avril 1960, cette dernière se rapproche
d’ailleurs du barrage est. Les opérations « Marathon » et « Pélican » ont pour
objectif de « nettoyer » le territoire situé entre les deux lignes du barrage, où
s’établissent souvent les quelques convois d’armement qui réussissent à
passer les premiers obstacles du barrage « avant ». L’état-major de l’ALN
tente de ravitailler les maquis de l’intérieur, très démunis par les offensives
du plan Challe. Deux convois, ceux de Ben Cherif et de Djilali Atmane, réussissent
tout de même à passer en avril au prix de fortes pertes.
Les wilayas ont perdu la moitié de leur potentiel militaire, entraînant une
vague de démoralisation dans plusieurs maquis. La wilaya I, qui est la plus
proche matériellement et politiquement de l’état-major de Boumediene, doit
ensuite affronter toute une succession d’opérations de septembre 1960 à septembre
1961. Les montagnes des Aurès et des Nememcha continuent d’abriter
de nombreuses unités de l’ALN un peu ravitaillées par les convois du sud
de la Tunisie, voire de la Libye. Dans les régions de l’Ouest, l’armée française
relance l’offensive dans l’Ouarsenis avec l’opération « Cigale » en juin 1960
tandis que plusieurs bataillons de l’ALN tentent de rejoindre la wilaya V, par
la région des Ksour, où ils sont repoussés en mai 1960. Toute la région où
Le plan Challe 313
transitent les convois venus du Maroc fait l’objet d’une grande opération
(« Prométhée ») entre juin et septembre 1960.
Cependant, avec les troubles entretenus par les Européens d’Alger contre
de Gaulle au début 1960 et le putsch des généraux français en avril 1961,
le programme des opérations du plan Challe dans les Aurès-Nememcha se
retrouve réduit. De plus, en ayant appuyé le coup de force des généraux
félons, de nombreux régiments d’élite se sont dissociés du reste de l’armée,
elle-même troublée par la nouvelle politique du chef de l’État en faveur de
l’Algérie « algérienne ».
Néanmoins, l’opération « Ariège » est lancée dans la région entre Arris et
Khenchela le 4 octobre 1960. Toujours avec la 25 e DP et la 21 e DI. L’opération
« Dordogne » à partir du 8 février puis « Isère » qui précède le coup de force
des généraux seront quant à elles d’un impact limité.
Comme en témoignent les nombreux monuments commémoratifs des villages
de l’Algérie indépendante, les morts de combattants sont encore très
nombreuses durant les deux dernières années de la guerre en 1960 et 1961.
Beaucoup de ceux qui avaient résisté depuis le début du conflit disparurent
dans ces années. Les moyens mis en œuvre par l’armée française pour
s’assurer une victoire purement militaire, dont le recours à des milliers de
harkis et l’usage massif de l’aviation, avaient eu raison des katibas, qui ne se
reconstituèrent en partie que très péniblement, souvent au début 1962. Enfin,
l’attention du général de Gaulle était tournée depuis 1960 en direction du
Sahara, où la France allait acquérir sa place parmi le club très fermé des
puissances nucléaires.
Affiche électorale en faveur du référendum de 1958.
DE GAULLE EN ALGÉRIE
orsque le général de Gaulle est « rappelé » au pouvoir en mai 1958,
L
il a un programme très complexe à mettre en œuvre. Partisan de la
fin du régime parlementaire et des querelles de partis qui bloquent
les institutions depuis 1945, date à laquelle il avait pris ses distances avec
le pouvoir, de Gaulle transforme très rapidement le système politique de la
IV e République en un nouveau régime de type présidentiel, dans lequel le chef
de l’État est également chef des armées. Le contexte de la guerre d’Algérie
aura pesé dans la nouvelle Constitution de 1958. Le général de Gaulle a rapidement
pris conscience de l’incapacité d’un régime parlementaire à régler le
« problème algérien ». Une fois que le premier gouvernement de la V e République
est confirmé dans ses fonctions le 1 er juin 1958, de Gaulle, qui a obtenu
les « pouvoirs spéciaux », entreprend toute une série de voyages en Algérie.
De son premier séjour à Alger l’opinion publique aura retenu le célèbre « Je
vous ai compris ! » qui alimentera des malentendus ultérieurs.
Après un deuxième voyage en juillet 1958, où il essaie de mesurer les
enjeux locaux de la guerre, le général de Gaulle se rend à Constantine le
3 octobre 1958, où il annonce un grand programme de développement de
cinq ans dont le principal architecte est le nouveau gouverneur général Paul
Delouvrier. Avec le nouveau gouvernement, l’organisation administrative des
départements algériens se trouve modifiée à partir de 1959. L’Algérie comptera
quinze départements dont deux dans le Sahara depuis 1957, celui de la
Saoura (Colomb-Béchar) et celui des Oasis (Ouargla).
Après son discours de Constantine de 1947, le général de Gaulle propose
une nouvelle fois aux 8 millions de « Français musulmans » des emplois
(400 000 prévus, principalement dans la fonction publique et dans l’industrie),
l’accès à l’école pour les jeunes et surtout
des milliers de logements.
Delouvrier voudrait pouvoir « loger un million de personnes en cinq ans »
avec le souci de décentraliser leur répartition, car les villes d’Oran et d’Alger
avaient bénéficié de la priorité dans les programmes des années précédentes.
Parmi les populations prioritaires figurent le million et demi d’Algériens parqués
dans les camps de regroupement, qui se voient bénéficier d’un programme
spécial baptisé « 1 000 villages ». Il s’agit de la construction de
villages en dur à l’emplacement même de ces regroupements, additionnés
316 Atlas historique de l’algérie
de quelques structures sanitaires. Dans les villes où s’est accumulée toute
une population de ruraux ayant fui les zones de combat ou les regroupements,
la crise du logement n’avait fait que s’aggraver. De nombreux
immeubles ont été construits dans les petites et grandes villes de l’Algérie,
dont le style architectural est toujours visible actuellement. Le programme
de logements urbains se trouve réparti sur les treize départements du nord.
En tête du nombre de logements programmés à partir de 1959 figure le
département d’Alger avec 53 000 logements, puis Oran (30 000), Constantine
(22 000). Ensuite suivent les petites villes : Sétif (19 000), Tizi Ouzou (15 000),
Bône (14 000), Mostaganem (12 000) et Médéa (11 000 chacune), Tiaret-Saïda
(8 000), Tlemcen (8 000) et Batna 7 000. La construction de 22 000 logements
est lancée immédiatement en 1959 et aboutit aux premières locations en
1960, comme dans le département de Sétif (où seulement 620 logements
seront livrés et loués. Avec la précipitation des événements politiques entre
1960 et 1962, de nombreux chantiers ne seront pas achevés voire annulés.)
Cependant, l’amorce du programme scolaire du plan de Constantine qui
ambitionnait d’ouvrir 2 025 classes par an pendant huit ans aura bénéficié à
toute une génération d’enfants algériens nés au début des années 1950. À la
rentrée 1960, 3 000 nouvelles classes sont ouvertes. 740 000 enfants musulmans
sont scolarisés en primaire à la rentrée 1960 ainsi que 130 000 autres
enfants encadrés par des instituteurs de l’armée. Mais l’enseignement secondaire
(lycées et collèges) n’accueille que 10 300 musulmans (dont
2 000 jeunes filles) sur 44 700 élèves en 1959 tandis que l’université d’Alger
compte 814 musulmans sur les 6 553 étudiants.
Le plan de Constantine financé par le gouvernement français se présente
comme le volet social de la politique du général de Gaulle alors que la guérilla
de l’ALN commence à perdre du terrain. Il tend une main en direction des
combattants de l’intérieur avec son message
de « la paix des braves » du 23 octobre
1958 mais qui est rejeté par la direction du
FLN, qui vient de constituer le GPRA.
Le général de Gaulle est bien conscient
que la France devra inéluctablement
« lâcher » l’Algérie. Le contexte mondial de la
décolonisation a rendu le statu quo intenable,
d’autant plus que la diplomatie du FLN
emmenée par Ferhat Abbas a entrepris la
promotion internationale de la lutte pour
l’indépendance. Mais le général de Gaulle a
encore besoin de l’Algérie, et du Sahara en
particulier, où est développé le programme
nucléaire militaire français tout comme
d’autres technologies hautement stratégiques
(voir chapitre sur le Sahara).
L’armée française, qui s’est engagée loin
dans cette guerre révolutionnaire, doit quant
Brochure du plan de Constantine, 1961.
à elle être ménagée par le général de Gaulle,
qui lui donnera les moyens de la victoire militaire. Après avoir éloigné Salan,
trop impliqué dans la politique algérienne, de Gaulle charge Challe en 1959
De Gaulle en Algérie 317
pour lancer les grandes opérations décisives contre l’ALN. Le plan Challe
permet d’occuper l’armée et les unités d’élite mobilisées dans la réalisation de
« leur » victoire qu’ils attendent depuis la défaite de Diên Biên Phu et le fiasco
de Suez. De Gaulle entreprend alors plusieurs voyages en direction des officiers
de l’armée qui combat l’insurrection algérienne. Avec ses « tournées des
popotes » en août 1959 et en mars 1960, le Général, qui par son charisme
impressionne les militaires, cherche à expliquer sa politique algérienne et rassurer
les militaires. Immédiatement après la première « tournée des popotes »,
le 16 septembre 1959, le général de Gaulle annonce publiquement le principe
de l’autodétermination pour les Algériens.
En 1960, l’opposition des Européens d’Algérie au projet présidentiel se
précise brutalement avec les premières barricades d’Alger. Les ultras qui
avaient pratiquement favorisé son retour se sentent maintenant trahis par les
fausses promesses et déclarations équivoques du général de Gaulle. Mais le
chef de la France libre oublie vite cette agitation avec la bonne nouvelle du
premier tir nucléaire français de l’histoire, qui vient d’être réalisé à Reggane
le 13 février 1960.
Le chef de l’État français espère bien disposer encore longtemps des
grandes possibilités du Sahara algérien et évoque une « Algérie algérienne
liée à la France » tout en proposant des négociations avec le GPRA, qui
tournent cours à Melun en juin 1960. Durant l’été et jusqu’à l’automne 1960,
les dernières opérations du plan Challe visent les maquis historiques de l’Est
algérien tandis que de Gaulle parle d’une « République algérienne » le
4 novembre 1960. Il ne veut pas pour autant livrer l’Algérie aux GPRA sans
contrepartie. Sachant que les dirigeants algériens sont affaiblis par leurs divisions
internes, il retarde encore le temps des négociations sérieuses. La rue
algérienne va pourtant lui rappeler qu’elle a déjà fait son choix. Elle défie les
autorités en manifestant bruyamment sa fidélité au FLN et au GPRA de Ferhat
Abbas à partir de 11 décembre 1960, notamment à Belcourt (Alger), où
112 Algériens seront mitraillés par les CRS. Ces événements se déroulent
que se tient l’Assemblée générale de l’ONU, qui adopte un texte reconnaissant
le droit du peuple algérien à l’indépendance.
Le président français procède à la consultation des Français par référendum
en janvier 1961. Les 75 % de oui en France et 69 % dans les départements
algériens le confirment dans sa politique. Il poursuit les négociations
secrètes avec le GPRA en février. Les premiers attentats de l’OAS frappent
les villes d’Algérie, ciblant les Européens proches des Algériens. Les ultras
de l’Algérie française sont rejoints dans leur dissidence par un groupe de
plusieurs haut gradés de l’armée (Gardes, Godard, Argoud…) qui occupent le
Gouvernement général le 22 avril 1961. Parmi eux, les généraux Salan, Zeller,
Jouhaud et Challe tentent le coup de force contre de Gaulle et s’adressent à
la population par la radio et la télévision. Ils sont appuyés par plusieurs éléments
issus de trois régiments de parachutistes (1 er REP, 14 e RCP et 18 e RCP)
et plusieurs officiers affiliés à l’OAS. Mais le putsch des généraux n’est pas
suivi par la masse des soldats du contingent qui pour la plupart d’entre eux
ne pensent qu’à « la quille » et à rentrer en France.
Après quelques jours pendant lesquels la psychose d’une attaque parachutiste
s’installe à Paris, la tentative des ultras échoue le 26 avril. Alors que
les conspirateurs entrent dans la clandestinité, de Gaulle, renforcé après
318 Atlas historique de l’algérie
cette confrontation, entreprend de régler le problème algérien avec le GPRA.
À partir de mai-juin 1961 commencent ainsi les négociations d’Évian, mais
qui se heurtent à la question du Sahara, où, le 25 avril, le quatrième essai
nucléaire français venait d’être réalisé à Reggane… ce qu’ignoraient totalement
les dirigeants algériens. De Gaulle tient vraiment beaucoup à garder le
Sahara français, proposant même une partition du territoire algérien. Un plan
de partage fut même proposé en 1961 par Alain Peyrefitte, consistant à laisser
l’ouest de l’Algérie et la région Alger-Mitidja à la population européenne tandis
que les Algériens auraient leur État à l’est, de la Kabylie à la Tunisie. Mais ce
plan sur le modèle sud-africain fut rapidement abandonné.
Le FLN pousse la population algérienne à manifester son désaccord à
toute amputation territoriale. Dans les villes en juillet 1961, comme à
Constantine, les rassemblements sont violemment dispersés, faisant
80 morts. Les activistes de « l’Algérie française » sont quant à eux de plus en
plus déterminés à lutter contre la politique « d’abandon » du président français.
Ce dernier est visé par une première tentative d’attentat à Pont-sur-
Seine le 8 septembre 1961 alors que Paris subit quarante attaques de l’OAS.
Cette dernière pense représenter les 990 000 Européens d’Algérie, dont la
question ne figure pas dans les plans du général de Gaulle. En Algérie, l’OAS
dirige ses attentats contre de nombreuses personnes travaillant pour le gouvernement,
mais également contre les commerçants algériens, notamment
en juillet-août 1961. Mais les derniers mois de la guerre d’Algérie verront la
violence de l’OAS exacerbée par l’issue diplomatique du conflit. De Gaulle
tournera définitivement le dos à l’Algérie. Mais il a obtenu des garanties
secrètes lors des dernières négociations d’Évian concernant le Sahara. Si le
désert restera bien algérien, il continuera d’abriter les installations spéciales
françaises jusqu’en 1967.
De Gaulle en Algérie 319
LE SAHARA ET LES SITES
STRATÉGIQUES FRANÇAIS
’est pendant les années 1950 que le Sahara algérien devient hautement
stratégique pour les autorités françaises. Ces années corres-
C pondent à la fois à la découverte de gisements d’hydrocarbures
considérables et au développement spectaculaire des programmes spatial et
nucléaire français. Avec le déclenchement de l’insurrection du FLN en
novembre 1954 et son extension à la majeure partie de l’Algérie du Nord,
les gouvernements français ont redouté que les régions sahariennes soient
atteintes par la guerre.
Le Sahara abrite plusieurs sites stratégiques sensibles dont celui du programme
nucléaire ultra secret dans l’extrême sud de l’Algérie. D’autres bases
militaires tout aussi discrètes se trouvent dans la région de Colomb-Béchar
depuis 1935 et à Hammaguir depuis 1948. Avec la découverte du gisement de
pétrole d’Hassi Messaoud en 1956, le Sahara est rapidement présenté à l’opinion
publique française comme un trésor national à protéger, notamment des
prétentions indépendantistes du FLN. Ainsi médiatisé, le Sahara « utile » avec
ses ressources énergétiques occultera l’existence des autres programmes
stratégiques, dont l’existence fut bien cachée.
Après la « pacification » du Sahara algérien au début du XX e siècle (voire
carte sur la conquête du Sahara) par les Français, « l’aventure saharienne »
marqua un temps d’arrêt avec la Première Guerre mondiale. Génératrice
d’innovations techniques en termes d’armement, la Grande Guerre poussa
l’armée française à développer certaines armes nouvelles de type chimique,
que les Allemands avaient employées sur les champs de bataille, avec un
succès relatif toutefois. Avec l’immensité du Sahara algérien, les autorités
décident de créer en 1935 une base d’essais spéciaux dans la région de
Beni Ounif, dans la vallée de l’oued Namous. Disposant de plusieurs centaines
de kilomètres carrés, l’armée française entreprend des tirs d’obus et autres
bombes chargés de substances chimiques hautement toxiques. La base
prend le nom discret de « centre d’expérimentation semi-permanent »
(CESP).
La base B2 Namous devait pouvoir développer tout un arsenal chimique à
usage militaire et constituer une arme dissuasive mais également adaptée à
322 Atlas historique de l’algérie
certaines opérations. Mais dès avant 1945, un programme d’armes de type
bactériologique fut lancé. Des essais d’armes utilisant des agents de la peste
et de l’anthrax ont été rapportés par un spécialiste français (Olivier Lepick,
Science et Vie, HSn o 19, 2004, p. 112).
En 1945, les militaires français sont préoccupés par leur retard technique
à côté des Anglo-Américains et des Soviétiques. Après la Seconde Guerre
mondiale et le développement scientifique militaire qui l’accompagna, les
États-Unis avaient fini par être les premiers à mettre au point l’arme atomique,
qu’ils utilisèrent contre le Japon en août 1945. Avec l’occupation de
l’Europe et du Japon, les Américains avaient accumulé de nombreux travaux
scientifiques des « professeurs » nazis et japonais concernant les essais chimiques
et bactériologiques sur leurs captifs. Mais avec la « récupération » de
l’Allemand Wernher von Braun, créateur des fusées V1 et V2, les Américains
relancèrent leur programme pour conquérir l’espace. La France développa
son propre programme d’armement spécial à B2 Namous et entreprit la création
d’une nouvelle base au sud de Colomb-Béchar en avril 1947.
Le Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) disposait du site
de Bou Hammadi, à l’ouest de Béchar pour développer des missiles antichars
et anti-avions. Les bases B0 et B1 avaient leurs champs de tir non loin de la
frontière marocaine, dans une région désertique et très peu peuplée. Mais
assez rapidement, une autre base située à 120 km au sud-ouest de Béchar
fut désignée pour entreprendre des lancements de missiles balistiques et de
premières fusées du programme spatial français. La base d’Hammaguir a été
choisie en raison de sa position à 30° de latitude nord (non loin de l’équateur),
idéale pour la mise sur orbite d’engins satellites. La conception de la première
fusée française dès 1949 ouvre rapidement la voie à la construction
d’une rampe de lancement à Hammaguir. La fusée « Véronique » décollera
du sol algérien en 1952. D’autres vols habités partiront dans le même type
de fusée, avec des chats, souris et singes… Ces bons résultats réalisés dans
le Sahara algérien se déroulent dans cette période particulière des
années 1950 où le contexte de la guerre froide provoque une course aux
armements et où domine la question nucléaire.
Pionnière dans le domaine de la physique de l’atome avec ses travaux sur
la radioactivité (travaux de l’équipe Joliot-Curie et découverte de la fission
nucléaire en 1939), la France s’était lancée dans un programme nucléaire civil
dès 1945 avec la création du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) puis
avec le premier réacteur de Marcoule en 1952. Le gouvernement Guy Mollet
entreprit même de fournir le premier réacteur aux Israéliens en échange de
leur participation à l’expédition contre Nasser et de la collaboration du
Mossad concernant les activités FLN en Égypte (accords secrets de Sèvres
en 1956, auxquels participa le général Challe).
Quant aux travaux du nucléaire militaire, c’est dans le Sahara algérien
qu’ils trouvent leur terrain d’application. Les États-Unis avaient déjà utilisé le
désert du Nouveau-Mexique pour faire exploser leur première bombe atomique
en 1945 (projet Manhattan), tandis que la bombe britannique explosait
en 1952 dans le Pacifique. L’instabilité chronique des derniers gouvernements
de la IV e République, confrontés aux vagues de grèves en France, à la guerre
d’Indochine et à la question algérienne, avait probablement limité les possibilités
politiques et économiques nécessaires à la réalisation de la première
Le Sahara et les sites stratégiques français 323
bombe. En outre, les recherches anglo-américaines sur le nucléaire militaire
n’avaient pas été partagées avec la France, pourtant membre de l’Otan.
La guerre en Algérie et l’indépendance du Maroc en 1956 avaient provoqué
une inquiétude sécuritaire dans certaines régions du Sahara. Le gouvernement
du Maroc, qui envisageait de reprendre les régions encore occupées par
les Espagnols dans le Rio de Oro, entreprit de créer un climat d’insécurité
au-delà de sa frontière sud, en armant l’ALM (Armée de libération marocaine).
Les incursions de ces groupes armés composés de nomades au-delà du
Draa, en direction de Tindouf, provoquèrent la réaction de l’armée française
en 1958. L’opération « Écouvillon » fut menée en février 1958 par les forces
françaises et espagnoles contre cette armée irrégulière.
Le FLN avait quant à lui atteint plusieurs régions du Sahara depuis 1955-
1956, notamment les oasis du Souf ainsi que le secteur de Béchar et de
Timimoun. Des troupes méharistes avaient déserté en tuant leurs officiers
français en 1957, provoquant l’envoi du RPC de Bigeard sur les oasis de Timimoun.
C’est cette même année que le pétrole jaillit à Hassi Messaoud et
qu’est créé le Centre saharien d’expérimentation militaire (CSEM) à Reggane,
pour préparer les premiers essais atomiques. Cette oasis est située aux
abords du Grand Erg occidental, étendue désertique de sable.
Lorsque le général de Gaulle arrive au pouvoir en 1958, il a bien l’intention
de réaliser son programme de dissuasion nucléaire. Pour l’ancien chef de la
France libre qui avait été confronté à la question de l’indépendance de la
France après la Pax Americana en 1944-1945, le pays devait se doter de
moyens militaires à la hauteur de ses ambitions internationales. Choisi pour
régler la question algérienne, le premier président de la V e République fut
particulièrement préoccupé par la réalisation du programme nucléaire lancé
par Mendès France. Pour Constantin Melnik, ancien conseiller à la sécurité
du Premier ministre de 1959 à 1962, « de Gaulle s’intéressait plus à la bombe
atomique qu’à la reprise en main de l’Algérie ». La nomination de Pierre
Guillaumet, issu du CEA, comme ministre des Armées en 1959 et de Crépin
au poste de commandant en chef illustre cette volonté de disposer d’un cabinet
très engagé dans la réalisation du projet nucléaire militaire.
La première bombe A française finit par exploser à Reggane le 13 février
1960, d’une puissance trois à quatre fois supérieure à celle d’Hiroshima.
De Gaulle se trouve en pleine crise avec les Européens d’Algérie, désemparés
par sa politique en faveur de l’autodétermination des Algériens. Pourtant,
les essais nucléaires se succèdent dans la région de Reggane, protégée
par plusieurs zones d’exclusion aérienne et polygones de tirs totalement
interdits aux non-militaires chargés du programme. Cinq mille personnes,
Français et travailleurs locaux vivent sur la base de Hamoudia, non loin du
site des essais atomiques.
Après « Gerboise bleue » en février suivent trois autres explosions aériennes
avec « Gerboise blanche » le 1 er avril 1960, puis « Gerboise rouge » le
27 décembre 1960. Le dernier essai, « Gerboise verte », est réalisé le 25 avril
1961 dans le même périmètre.
Les États-Unis finiront par détecter ces essais, poussant les autorités
françaises à déplacer les campagnes d’explosions atomiques dans le massif
du Hoggar où se suivent treize « opérations » du 7 juillet 1961 au 16 décembre
324 Atlas historique de l’algérie
1966. Ces nombreux essais souterrains seront effectués dans la partie occidentale
du massif du Hoggar, dans les montagnes d’In Ecker. Enterrées dans
des galeries creusées dans les roches granitiques, les charges atomiques
provoquent des implosions qui pour certaines entraînèrent des fuites radioactives
imprévues. Ce fut le cas lors du deuxième essai « Béryl » du 1 er mai
1962 mais également le 30 mars 1963 (« Améthyste »), le 20 octobre 1963
(« Rubis ») et le 30 mai 1965 (« Jade »). Les militaires chargés de veiller aux
installations et les personnels techniques se trouvèrent exposés à des irradiations
ainsi que les populations locales. Comme dans la région de Reggane,
les vents de sable succédant aux explosions déposèrent une quantité non
négligeable de radioactivité dans les espaces peuplés de l’erg Chech au
Hoggar.
Des années après, les anciens militaires français n’ont cessé de réclamer
réparation pour les maladies dont ils ont été victimes après leur exposition
non protégée pendant les campagnes d’essais nucléaires. Les populations
algériennes de ces régions ont quant à elles été affectées dans leur santé
avec un nombre anormal de naissances d’enfants atteints de déformations.
Lancés pendant la guerre d’Algérie, ces essais atomiques avaient été préparés
sans réelles précautions sanitaires concernant les personnels et les
populations locales. De Gaulle avait bien accordé des crédits quasi illimités
pour ce projet, mais il voulait faire vite. En 1960 avaient débuté les premières
discussions avec le GPRA dans l’optique du règlement de la guerre. Les chefs
du GPRA avaient-ils connaissance des premiers essais nucléaires ? Si les
dirigeants algériens du FLN n’avaient certainement pas eu accès à ce secret
trop bien gardé, il n’en demeure pas moins qu’ils avaient contribué à les
protéger dans le cadre des arrangements entre Delouvrier et le GPRA pour
que l’ALN ne touche pas à certaines installations du Sahara comme le gazoduc
Hassi R’Mel-Arzew (gisement de Hassi R’Mel découvert en 1956).
À son arrivée en 1959, le nouveau délégué général du gouvernement de
Gaulle en Algérie Paul Delouvrier (qui a révélé cette information en 1983 à
l’historien français Daniel Lefeuvre (Science et vie, HSn o 19, 2004, p. 106)
devait lancer le fameux plan de Constantine comprenant le développement
des activités énergétiques algériennes. Après la découverte du pétrole en
1956, son exploitation fut appuyée politiquement par les gouvernements français
bien que son coût ait été plus élevé que celui d’un marché très concurrentiel
(puits français, gisements de Libye…). Le 5 décembre 1959 fut inauguré
le premier oléoduc Hassi Messaoud-Bougie, événement très médiatisé et
ajouté aux nombreuses « réalisations françaises » en Algérie.
De Gaulle savait quant à lui que l’indépendance de l’Algérie était inéluctable
mais il souhaitait pouvoir disposer d’un statut avantageux pour la
France, sous forme d’une coopération étroite avec le futur gouvernement
algérien. Les territoires du Sahara algérien, devenus un espace hautement
stratégique depuis les années 1950, auraient été dissociés d’une future Algérie
indépendante. Pour Roger Goetze, haut fonctionnaire du gouvernement de
Gaulle en 1958, « l’attachement des plus hautes autorités françaises pour un
Sahara hors d’Algérie, c’était moins pour le pétrole qu’à cause de la base
d’essais nucléaires de Reggane ».
De Gaulle voulait conserver le Sahara pour la France et laisser le nord au
GPRA. C’est cette question qui bloqua les négociations de février 1961 entre
Le Sahara et les sites stratégiques français 325
les Français et le GPRA. Pour les dirigeants algériens, il était hors de question
que l’Algérie indépendante soit amputée du Sahara. Ferhat Abbas lutta très
fortement sur le terrain diplomatique contre ce projet de partition. À l’issue
des discussions d’Évian de mai-juin 1961 entre le GPRA et le gouvernement
français qui n’aboutirent pas pour le même problème du Sahara et du pétrole,
les populations algériennes manifestèrent leur désapprobation au projet français
sur le Sahara, notamment à Constantine où 80 Algériens le payèrent de
leur vie. Bien que se trouvant militairement en position de force après les
opérations du plan Challe, le général de Gaulle doit néanmoins négocier avec
le GPRA sous la double pression de la rue algérienne et de la rue européenne
d’Algérie, livrée aux activistes de l’OAS.
De Gaulle finit par reconnaître la souveraineté algérienne sur le Sahara le
5 septembre 1961. C’est dans ce climat explosif du printemps 1962 que sont
signés les accords d’Évian qui prévoient l’indépendance à l’Algérie mais qui
comprennent plusieurs clauses plus discrètes concernant les installations
militaires du Sahara.
En fait, les installations militaires du Sahara furent concédées par le GPRA
à la France pour une durée de cinq ans. Les deux grands complexes d’In
Ecker-Reggane et Béchar-Hammaguir furent conservés par les militaires
français où les essais nucléaires continuèrent jusqu’au 16 février 1966.
À Hammaguir, le premier satellite français fut envoyé dans l’espace le
26 novembre 1965, quelques mois avant l’évacuation de la base, selon les
accords de 1962. Cependant, la base B2 Namous continuera de fonctionner
jusqu’en 1972, après la signature d’un accord secret de renouvellement de la
concession pour cinq ans, reconduite ensuite jusqu’en 1978. Après cette date,
les activités de la base sont confiées à la Sodeteg, société française privée,
filiale de Thomson, qui fermera définitivement en 1982. La France a exploité
pendant dix ans ses bases d’essais nucléaires du Sahara avant de transférer
dans l’océan Pacifique ces activités très sensibles au niveau international.
Avec la non-ratification du traité Biological and Toxin Weapons Convention sur
l’interdiction des armes biologiques de 1972, la France a continué discrètement
ses activités « chimiques et biologiques » à B2 Namous, dont le contenu
reste encore bien caché.
LA RÉPRESSION DU 17 OCTOBRE
1961 À PARIS
près les attaques du FLN en août-septembre 1958, la police avait
A
procédé à des arrestations massives contre la Fédération de France,
qui dut s’installer en Allemagne. Avec l’arrivée à Paris du nouveau
préfet de police Maurice Papon en mars 1958, la répression policière violente
se met en place. Un nouveau seuil est franchi avec l’apparition de la FPA
(Force de police auxiliaire) à la fin de 1959. Ce corps de police est entièrement
composé de 220 harkis recrutés en Algérie et commandés par Montaner,
un Européen d’Algérie. À partir de 1960, ces policiers harkis investissent les
quartiers parisiens acquis au FLN comme le 18 e arrondissement où ils
s’installent à la Goutte d’Or et le 13 e . Environ 27 000 Algériens vivent à Paris,
le plus souvent dans des hôtels meublés.
Pour « remonter » les réseaux FLN parisiens, les harkis utilisent les
mêmes méthodes banalisées en Algérie. Ils seront systématiquement ciblés
par les groupes de choc du FLN. Alors que le général de Gaulle a commencé
à évoquer l’autodétermination pour les Algériens en 1959, le préfet Papon,
qui a passé deux ans comme préfet du département de Constantine entre
1956 et 1958, fait de la lutte contre le FLN une de ses priorités. Avec une
tolérance accordée à la police et aux harkis, le nouveau préfet provoque une
quasi-guerre entre les commandos FLN et la police parisienne. « Entre janvier
et octobre 1961, 22 policiers ont été tués, dont plus de la moitié entre fin
août et début octobre 1961 » (Peggy Derder, Immigration algérienne et indépendance,
La Documentation française, 2012). Le 2 octobre 1961, Papon déclare
aux policiers rassemblés lors des obsèques d’un collègue : « pour un coup
reçu, nous en porterons dix ». Trois jours plus tard, le préfet de Paris décide
d’imposer un couvre-feu uniquement pour les Algériens de 20 h 30 à 5 h 30.
Le FLN décide de répliquer pacifiquement à cette mesure d’exception en
manifestant massivement à Paris le 17 octobre 1961.
Les cortèges doivent tous converger vers les quartiers du centre de la
capitale à partir de la place de l’Étoile, des Grands Boulevards entre l’Opéra
et République ainsi que de Saint-Michel en direction de l’Assemblée nationale.
La présence des Algériens à la manifestation a été rendue obligatoire par
les militants du FLN qui doivent encadrer des milliers d’individus, lesquelles
328 Atlas historique de l’algérie
affluent principalement des grands bidonvilles de Nanterre où vivent
10 000 personnes. Les manifestants algériens viennent des quartiers nord de
Saint-Denis-Aubervilliers et de Choisy-le-Roi.
La police, qui a été rapidement informée de la préparation d’une manifestation,
s’est vite déployée aux abords des ponts qui enjambent la Seine à
Levallois et Neuilly. C’est ici que les violences policières font les premières
victimes algériennes. Les policiers n’hésitent pas à tirer dans la foule et à
précipiter des manifestants dans la Seine. À la sortie des stations de métro,
les premiers groupes de manifestants sont rapidement chargés par la police,
qui a ordre d’empêcher tout début de manifestation. Les fonctionnaires de
police ont reçu l’assurance qu’ils seraient « couverts » par leur préfet et
déchaînent leur haine sur les manifestants désarmés. Ils matraquent systématiquement
les Algériens, qui ont des centaines de blessés, le plus souvent
à la tête. À Saint-Michel, les quais de la Seine sont le théâtre de la répression
policière, où périront noyés plusieurs manifestants jetés dans la Seine. En
même temps que les policiers s’acharnent sur les Algériens et font la chasse
au faciès, raflant plusieurs « bruns » italiens ou français, des milliers de
manifestants sont arrêtés. Parmi eux, un certain nombre est conduit dans la
cour de la préfecture de police de Paris où ils sont matraqués parfois jusqu’à
la mort. « Sur un total de plus de 22 000 manifestants, 11 538 personnes sont
interpellées et emmenées dans des centres de détention » (P. Derder. op. cit.).
Avec la réquisition des bus de la RATP et de plusieurs installations sportives,
les autorités civiles se sont indubitablement soumises à la politique de
Papon, dont la responsabilité administrative dans la déportation des juifs de
Gironde pendant la Seconde Guerre mondiale a été établie en 1997.
Des milliers d’Algériens se retrouvent parqués dans des conditions sanitaires
déplorables, alors qu’ils sont souvent grièvement blessés. Plusieurs
centaines seront expulsés vers l’Algérie. Tous ces Algériens sont les survivants
du massacre policier de la nuit du 17 octobre 1961, pendant laquelle
une centaine d’hommes ont été assassinés en toute impunité, puisque ces
« incidents » ont été couverts au plus haut niveau. Seuls quelques témoins
ont pris les rares clichés de cette répression sans précédent dans l’histoire
de Paris depuis 1871. En couvrant la répression du 17 octobre 1961, à six mois
du cessez-le-feu en Algérie, l’État français banalise les méthodes brutales de
la guerre menée depuis six ans contre les indépendantistes algériens.
De Gaulle, qui négociait la place de la France dans le Sahara algérien
depuis février 1961, un an après l’explosion atomique de Reggane, n’avait pas
du tout apprécié les manifestations pro-FLN de Belcourt alors qu’il s’était
rendu à Alger en décembre 1960. Que le drapeau algérien soit déployé en
plein Paris lui était encore plus insupportable. Ce 17 octobre demeura longtemps
un épisode insignifiant dans la mémoire de la guerre d’Algérie, mais il
a fini par resurgir dans les années 1980, et plus récemment avec les commémorations
de 2001 et 2021.
La répression du 17 octobre 1961 à Paris 329
Paris, octobre 1961.
Plaque commémorative sur le pont de la rue du Port à Saint-Denis.
LES DÉCHIRURES DE LA
POPULATION FRANCO-ALGÉRIENNE
DES VIOLENCES EXACERBÉES,
DE MARS À L’ ÉTÉ 1962
es négociations d’Évian entamées le 7 mars 1962 aboutissent à la
L
signature des accords historiques entre le GPRA et le gouvernement
français le 18 mars 1962. Le cessez-le-feu est effectif le lendemain,
engendrant des scènes de liesse parmi la population algérienne, sauf dans
les grandes villes où l’OAS n’en finit pas de s’opposer par la violence au
processus inéluctable des négociations pour l’indépendance. Le 15 mars
1962, l’OAS perpètre 120 attentats en une seule journée, dont l’assassinat de
Mouloud Feraoun et d’autres personnels socio-éducatifs.
À Alger, les ultras sont notamment retranchés dans le quartier de Bab el
Oued, habité exclusivement d’Européens. Encerclé par les gardes mobiles et
l’armée, le bastion OAS se prépare à combattre ces soldats français qui seront
considérés comme faisant partie d’une armée d’occupation à partir du
23 mars 1962. Alors que des milliers de prisonniers algériens sont libérés
par les autorités françaises en Algérie et en France, concrétisant la fin d’une
guerre qui a duré six ans et deux mois, un nouveau bain de sang survient en
plein cœur d’Alger. Le 26 mars 1962, une manifestation de soutien aux insurgés
de l’OAS dégénère en fusillade aveugle devant la grande poste, faisant
54 morts (estimation) et 140 blessés dans la population européenne. À ce
moment-là, des milliers d’Européens avaient commencé à quitter l’Algérie
vers la France.
Dans le cadre des accords d’Évian est mis en place un « exécutif provisoire
» algérien, situé à Rocher Noir (Boumerdès), loin du centre d’Alger
devenu la proie des attaques quotidiennes de l’OAS. Cette structure doit
notamment disposer d’une force locale, composée de 40 000 appelés musulmans
du contingent. La tâche d’Abderrahmane Farès d’assurer la transition
avec l’autorité française s’avère bien difficile à mettre en œuvre. Le printemps
1962 est le commencement d’un grand désordre. Les activistes de l’OAS ont
choisi la fuite en avant, sur fond de désespoir de la population européenne
qui choisit de partir, d’abord pour fuir le climat de violence meurtrière qui
règne à Alger et Oran. Se mettre à l’abri des violences est bien le premier
souci, sans réaliser vraiment qu’une nouvelle Algérie vient de naître, où les
Européens ne domineront plus ceux qu’ils ont longtemps appelés les
332 Atlas historique de l’algérie
« Arabes ». En réalité une peur diffuse fait craindre des représailles de la part
de la population algérienne ou du FLN, l’ennemi diabolisé par les autorités
françaises pendant toute la guerre. Pourtant, les milliers d’Européens qui
resteront après juillet 1962 ne seront pas inquiétés ni par le nouveau pouvoir
en place ni par la population…
C’est surtout la grande vague meurtrière de l’OAS contre les Algériens
entre mai et juin 1962 qui précipite le départ des Européens qui bravent
l’interdiction des activistes. L’OAS déclare une guerre totale contre les Algériens.
Femmes de ménage, petits commerçants ou simples piétons algériens
sont exécutés en pleine rue ou massacrés par des bombes, comme celle qui
explose dans le port d’Alger le 2 mai 1962, faisant 110 morts et 150 blessés
parmi les dockers algériens, qui attendaient du travail, certains accompagnés
leurs enfants. Les Algériens ont fini par se replier sur leurs quartiers comme
à Belcourt, fief historique du FLN. Des commandos FLN de Si Azzedine
(ancien chef de la wilaya IV) répliquent au massacre en frappant les quartiers
européens. Mais l’exécutif provisoire et le GPRA de Ben Khedda prônent la
modération. Car les maquisards des wilayas autour d’Alger pourraient attaquer
les Européens d’Alger.
Mais le GPRA a d’autres problèmes. À Tripoli, son président Ben Khedda
a été mis en minorité. C’est Ahmed Ben Bella qui est élu le25 mai comme
nouveau dirigeant du futur État indépendant. C’est à l’issue d’un vote du
congrès que se met en place une opposition au nouveau GPRA avec Ben
Khedda qui rejoint Tunis et ses partisans. Ben Bella, élu par une majorité du
CNRA doit cependant s’appuyer sur l’État-major général (EMG) dont Houari
Boumediene est le chef. Celui-ci dispose de l’armée des frontières comme
carte décisive face à l’autre clan politique. Le GPRA historique, composé des
trois « B » : Krim Belkacem, Ben Tobbal et Boussouf, avait dû affronter une
crise majeure avec l’EMG durant l’été 1961. En décembre 1961, Boumediene
avait envoyé Abdelaziz Bouteflika en France pour proposer à Ben Bella (déjà
vice-président du GPRA au moment de sa création en 1958) la formation d’un
nouveau GPRA. Aït Ahmed et Boudiaf, compagnons de captivité de Ben Bella,
avaient pris leurs distances avec ces rivalités, comme Ferhat Abbas qui fut
« éloigné » de la présidence au même moment, remplacé par Ben Khedda.
C’est à Oujda au Maroc, que Ben Bella, nouveau chef d’un GPRA « bis », se
rend en juin 1962 avec Mohamed Khider, son compagnon (depuis leur départ
vers l’Égypte en 1952). Ben Bella y est accueilli par Boumediene, en conflit
avec le GPRA de Tunis. Mais il bénéficie du soutien de Ferhat Abbas et des
ex-militants de l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien) comme
Boumendjel.
Pendant ce temps, des tractations politico-militaires ont lieu autour du
pouvoir algérien alors qu’Alger est à feu et à sang. Pratiquant la politique de
la terre brûlée par ses nombreuses destructions (hôtel de ville, Bibliothèque
nationale…), l’OAS menace de faire sauter les installations pétrolières du
Sahara et annonce avoir miné les égouts de la casbah et de Belcourt. Quant
au chef OAS Godard, un des responsables militaires lors de la bataille d’Alger
en 1957, il n’hésite pas à pointer ses mortiers sur la casbah.
L’OAS a atteint un niveau de violence tel, que l’exécutif provisoire et certains
responsables du FLN décident d’entamer des négociations avec l’un de
ses chefs le 15 juin 1962. Représenté par Susini, l’OAS discute d’une trêve
Des violences exacerbées, de mars à l’été 1962 333
avec le docteur Mostefaï. Depuis le 1 er juin, l’ancien maire d’Alger Jacques
Chevallier (chassé de la mairie d’Alger par Salan pour ses positions proalgériennes)
avait déjà tenté une première médiation entre Susini et Farès.
Si Azzedine finit par donner son accord pour sauver les vies des Algériens
sous la menace des bombes de l’OAS. Mais ces accords ne sont pas reconnus
par la direction bicéphale du GPRA.
Alors que la France reconnaît officiellement l’indépendance de l’Algérie le
3 juillet 1962, deux jours après le référendum pour l’autodétermination se
mettent en place deux groupes politico-militaires algériens, l’un à Oujda avec
Ben Bella et l’autre à Tunis avec Ben Khedda. Ce dernier atterrit le 3 juillet à
Alger, pour entériner sa légitimité auprès de la foule algéroise, qui l’accueille
dans une ambiance de liesse générale. Deux jours plus tard, la population
algérienne célèbre officiellement son premier jour d’indépendance, fixé cent
trente ans après le débarquement français de Sidi-Ferruch. Le gouvernement
Ben Khedda, conscient de l’arrivée imminente du gouvernement Ben Bella
qui s’installe le 11 juillet à Tlemcen, finit par se « dessaisir de tous ses pouvoirs
au profit du bureau politique imposé par le groupe de Tlemcen » (Amar
Mohand Amer, Le Monde hors-série février-mars 2012).
Cependant, les chefs des wilayas II, III et IV, qui avaient soutenu le GPRA
historique associé aux chefs Krim Belkacem et Ben Tobbal, tentent de résister
aux colonnes de l’ALN des frontières. Des combats fratricides se déroulent
en plusieurs points de l’Algérie, faisant des centaines de morts, notamment
dans la wilaya IV.
C’est dans ce contexte de confusion politique et d’absence de pouvoir réel
que se déroulent de nombreux massacres d’anciens supplétifs algériens de
l’armée française. Mais les exactions contre les harkis avaient débuté dès
mars 1962, au moment où leur désarmement fut décidé par Paris. Bien que
la majorité d’entre eux regagnent discrètement leurs familles, de nombreuses
« harkas », comme celles qui avaient fortement contribué à détruire les
groupes de maquisards tout en terrorisant la population, furent en partie
« rapatriées » par leurs chefs militaires français, qui les avaient, et pour
cause, considérées comme « trop exposées ». Mais les harkas qui n’avaient
pas pu bénéficier d’une aide militaire, à l’initiative des officiers français seuls,
avant juillet 1962 furent en partie massacrées ou emprisonnées par les responsables
locaux du FLN ou de l’ALN, souvent par des résistants de la dernière
heure, les « marsiens ». Les supplétifs algériens de l’armée française
doivent attendre l’intervention du Premier ministre Georges Pompidou en
octobre 1962, pour être rapatriés. Ils seront 500 soldats et leurs familles à
pouvoir s’échapper. Le nombre de harkis massacrés entre mars et
octobre 1962 fut estimé à 10 000 personnes.
Couverture de Siné Massacre, 3 janvier 1963.
DES EUROPÉENS D’ALGÉRIE
AUX PIEDS-NOIRS EN FRANCE
e terme administratif d’« Européens » pour dénommer les populations
émigrées d’Europe en Algérie avait été employé dès les pre-
L mières années de la conquête. En 1836, la population européenne
s’élevait à 14 500 personnes et comprenait plus de la moitié d’Espagnols,
d’Italiens et de Maltais. Vingt ans plus tard, ces Méditerranéens seront 41 000
sur 95 000 Européens, qui comptaient des milliers d’Allemands et de Suisses.
Le nombre de ces « étrangers » augmente constamment (39,5 % de la population
européenne en 1866 puis 46,8 % en 1886). Avec le processus des naturalisations,
le nombre d’Européens finit par diminuer, surtout après la loi de
1889. La population indigène est quant à elle définie comme « arabe » ou
« indigène ». Les militaires français distinguent les « indigènes musulmans »
des « israélites ». Avec les nombreux travaux des diverses commissions
scientifiques qui sillonnent le pays, les officiers précisent leur description
détaillée des populations : Arabes, Kabyles de la plaine, de la montagne,
Mozabites, Chaouias et autres ensembles ethnolinguistiques du Sahara
forment l’ensemble des indigènes, que le terme générique d’« Arabes »
englobera indistinctement. Jusqu’à la Première Guerre mondiale et les premiers
indigènes naturalisés pour leur bravoure sur les champs de bataille, il
n’y a qu’une infime minorité d’indigènes musulmans de nationalité française.
Seules les populations judéo-berbères, qui avaient bénéficié du décret Crémieux
sur la naturalisation, sont devenues des citoyens français. Malgré cela,
la minorité judéo-berbère a longtemps été perçue comme indigène par les
habitants de souche européenne. Avec l’instauration du code de l’indigénat
en 1888, les autorités coloniales étaient parvenues à marquer fortement le
caractère discriminatoire entre les Français naturalisés et la masse indigène
musulmane. C’est pendant la Seconde Guerre mondiale que la catégorie des
« Français musulmans » apparaît clairement dans les documents administratifs.
Les Français musulmans restent les « Arabes », terme hors d’un espace
national précis, renvoyant à une ethnie et une langue orientale…
Les Français de la minorité non musulmane d’Algérie redeviennent rapidement
les « Européens » car cela paraît bien commode afin d’éviter d’utiliser
le terme d’« Algériens », qui engloberait toute la population dans les limites
336 Atlas historique de l’algérie
d’une géographie. Quand l’armée française est aux commandes en 1958, elle
précise encore plus les catégories de population : FSNA (Français de souche
nord-africaine) et FSE (Français de souche européenne). Ce procédé élude la
question de la minorité juive qui se retrouve intégrée dans la catégorie des
FSE… l’armée avait besoin de sigles faciles et pratiques à utiliser, dans un
souci d’efficacité lors de rédaction de ses rapports.
Pour le général de Gaulle, qui s’exprime devant des milliers d’Algérois en
mai 1958, « en Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie de Français ». Dans les
faits, les Arabes restent cette masse distincte invitée à rejoindre la fraternisation
et l’intégration, soutenue par les comités de salut public. Tous français ?
Cette utopie déclarative se heurte à la réalité des inégalités politiques qui ont
prévalu jusqu’en 1958. En métropole, où des milliers de Français musulmans
travaillent ou y ont trouvé refuge, se dirigent les premiers réfugiés francoeuropéens
d’Algérie. Une première vague de rapatriés a effectivement eu lieu
en 1960. Ces premiers rapatriés avaient eu les moyens économiques et relationnels
pour s’établir en métropole, fuyant d’abord l’insécurité et une situation
d’incertitude face à la politique du gouvernement français. Les discours
équivoques du président français avaient semé le trouble dans l’esprit des
« Européens » d’Algérie, surtout après son discours sur l’autodétermination
de septembre 1959. Cependant, de nombreux Européens avaient pris
conscience du changement qui s’opérait dans le monde colonial, surtout
après les indépendances du Maroc et de la Tunisie en 1956. Les populations
françaises de ces protectorats prirent en partie la route de l’exil vers la métropole,
mais pas seulement.
La minorité juive d’Afrique du Nord avait la possibilité d’émigrer dans le
nouvel État d’Israël créé en 1948, où affluaient les olims (émigrants juifs en
hébreu) du monde entier. En Algérie, la minorité juive n’était française que
dans le nord du pays. Les juifs des territoires sahariens étaient restés sous
le statut d’« indigène » comme les autres Algériens musulmans et n’avaient
pas bénéficié de la même « assimilation » sociale que les juifs des départements
du nord naturalisés en 1870. Comme les juifs tunisiens et marocains,
les juifs du Sahara algérien choisirent d’émigrer en Israël. Mais ce phénomène
avait commencé bien avant l’indépendance de l’État hébreu. Dès les
années 1930 des juifs algériens se sont rendus ou ont émigré en Palestine
(sous administration ottomane), aidés par le Congrès sioniste mondial, qui
réunit en 1901 plusieurs représentants d’Algérie, notamment de Constantine
et de Bordj Bou Arreridj. De 1931 à 1961, 7 500 juifs algériens émigreront
en Palestine/Israël. À partir de 1949, les structures du Congrès juif mondial
entreprennent de parcourir l’Algérie pour promouvoir l’alya auprès des juifs
de la communauté du M’Zab (environ 3 000 personnes). À l’instar des autres
« Européens », des juifs algériens commencent a quitté l’Algérie vers la
métropole.
Ils sont 6 000 juifs algériens à émigrer en France en 1957. De nombreuses
communautés juives algériennes se sont retrouvées impliquées dans la violence
de la guerre. Le FLN avait invité les juifs algériens à participer à la lutte
contre le colonialisme après le congrès de Soummam en 1956. Le Comité juif
algérien d’études sociales et la grande figure œcuménique d’Elie Gozlan ne
pouvaient renier la France, tout en prônant le dialogue et la non-violence.
Mais l’aggravation de la répression française contre la population musulmane
Des Européens d’Algérie aux pieds-noirs en France 337
et l’implication de certains juifs dans les milieux ultras furent en partie à
l’origine de nombreux attentats contre des Juifs algériens. Certaines attaques
visant des synagogues ou des personnalités juives ne furent jamais revendiquées
(Boghari en 1958, Alger en 1960…).
À partir de 1956, le Mossad, qui a des agents présents en Algérie, organise
un état-major clandestin et constitue des cellules armées, comme à Constantine.
Le gouvernement israélien envoie des agents chargés de promouvoir
l’émigration en Eretz Israël, comme les deux Israéliens qui furent enlevés par
le FLN en 1958 entre Aflou et Tiaret.
Beaucoup d’assassinats irrationnels furent commis à la fin de la guerre,
comme celui de David Zermati, ami de Ferhat Abbas et d’Ali Boumendjel qui
fut tué à Sétif en 1961, tout comme Cheikh Raymond à Constantine.
En outre, les commandos de l’OAS ont créé beaucoup de confusion en
1961-1962, avec leurs attaques contre de nombreuses personnalités modérées
ou considérées comme proches des nationalistes algériens. Paradoxalement,
l’OAS a visé des Algériens sans distinction de religion tout en intégrant
des cellules « juives » en son sein, notamment à Oran. Des « commandos
israélites » ont participé à plusieurs attentats contre la population algérienne
de 1961 à 1962.
Les conséquences de ces violences furent désastreuses aussi bien pour les
juifs algériens que pour le reste de la masse « européenne », qui quittent précipitamment
l’Algérie à partir d’avril 1962. Un mois après la signature des accords
d’Évian, 46 000 Français partent pour la France. Le climat d’insécurité est tel
que les familles envoient leurs enfants et leurs femmes en « vacances anticipées
». Mais le mouvement de rapatriement s’était mis en marche progressivement
depuis 1961, avec des départs réguliers vers la métropole.
338 Atlas historique de l’algérie
Alors que 20 % des Européens ont déjà quitté l’Algérie en mars 1962, le
mouvement s’accélère brutalement en mai et juin. Près de 500 000 personnes
débarquent en France pendant l’été 1962, dont 355 000 pour le seul mois de
juin ! Les autorités françaises qui ne s’attendaient pas à un exode d’une telle
ampleur sont débordées. C’est un vent de panique qui a poussé à s’enfuir
d’Algérie par tous les moyens de transport disponibles. Vivant essentiellement
dans les villes, les Français subissaient la domination de l’OAS qui leur avait
d’abord interdit de quitter le pays.
Les aéroports et surtout les ports français accueillent un véritable exode
des Européens d’Algérie, notamment dans la région de Marseille, qui voit
transiter quotidiennement des milliers de « pieds-noirs » fatigués et déboussolés.
Bien que des solutions d’hébergement collectif aient été mises en
place par le gouvernement français pour faire face à l’urgence, les piedsnoirs
logent par leurs propres moyens. Des dizaines de milliers de logements
Des Européens d’Algérie aux pieds-noirs en France 339
furent cependant réservés aux rapatriés dans toute la France mais les piedsnoirs
souhaitaient vivre dans le Sud. Ils seront 130 000 rapatriés à s’installer
dans le département des Bouches-du-Rhône, Marseille étant la première ville
« pied-noire »de France, avec sa porte ouverte sur la mer Méditerranée.
Les villes du sud de la France accueillent une part importante de la population
rapatriée. Marseille et Nice en seront les deux principales portes. Si
Paris, Toulouse et Lyon apparaissent comme les destinations les plus recherchées
dans les années 1970, les statistiques révèlent un mouvement migratoire
de repli des familles de rapatriés vers le midi de la France. Mais le travail
et les logements se trouvant essentiellement dans la région parisienne, les
rapatriés seront nombreux autour de la capitale.
À la fin de 1962, 800 000 rapatriés sont arrivés en France, certains ne
faisant que transiter par Marseille pour de rendre ensuite en Israël. Le camp
du Grand Arénas fut utilisé par certaines structures israéliennes pour aider
les juifs d’Afrique du Nord à émigrer en Israël. Des juifs algériens transitèrent
par ce camp pour effectuer leur alya. Environ 60 000 juifs algériens quittent
l’Algérie pour la France en 1962. Au total 125 000 juifs algériens partiront en
1962, dont 15 000 iront en Israël, transitant par Marseille. En France, la moitié
d’entre eux s’installera dans la région parisienne (Sarcelles…) et dans le Sud-
Est, comme la population « pied-noire » avec laquelle les juifs ont été confondus
dans la mémoire collective. Effectivement attachés à la culture française,
les juifs d’Algérie n’ont toutefois pas renié leur « algérianité ».
D’ailleurs, ils feront encore partie des derniers Français à quitter l’Algérie.
Ils sont quelque 25 000 juifs en 1962, mais en 1963, il n’en reste que 3 000
(1 500 à Alger, 800 à Oran, 100 à Annaba, 160 à Constantine, 70 à Batna, 20
à Sétif et 80 à Blida).
LA FRANCE, REFUGE DES
COMBATTANTS ALGÉRIENS
PRO-FRANÇAIS
es militaires français en poste en Algérie en mars 1962 avaient été
L
les premiers à « évacuer » certaines unités de harkis vers la métropole.
Ces harkas avaient intégré le retrait progressif de l’armée française
à partir du cessez-le-feu en mars 1962. Ce mouvement de rapatriement
vers la France faisait partie des accords d’Évian signés entre le GPRA et le
342 Atlas historique de l’algérie
gouvernement français. Il prévoyait officiellement le retour de 40 904 harkis
en France, chiffre correspondant au nombre de prisonniers FLN en France,
les autres combattants supplétifs devant être laissés sur place.
Le gouvernement français avait donc délibérément restreint les mouvements
de rapatriement des harkis par crainte qu’ils ne soutiennent le mouvement
armé de l’OAS. Mais de nombreux chefs de harkas passèrent outre les
ordres de Paris, faisant traverser la Méditerranée à leurs unités. Les réseaux
OAS participèrent au rapatriement illégal des harkis vers la métropole, assurant
jusqu’à leur hébergement. Avec les harkis, les moghaznis, groupes
mobiles de sécurité (GMS) et les groupes d’autodéfense (GAD), le nombre de
miliciens algériens « profrançais » s’élevait à plus de 100 000 hommes au
moment du cessez-le-feu du 18 mars 1962. Pierre Baillet explique que
« malgré les consignes passées aux officiers de ne rapatrier que le minimum
de supplétifs – ceux qui étaient les plus exposés aux représailles –, 40 000
d’entre eux sont arrivés avec leurs familles ».
Jusqu’en mars 1962, il était encore possible de quitter l’Algérie en souscrivant
un engagement dans l’armée française. Des centaines de harkis avaient
déserté avec leurs armes pour rejoindre l’ALN encore dans les maquis. Pendant
la guerre, de nombreux harkis ou moghaznis avaient aidé clandestinement
le FLN, notamment en fournissant des informations. Car ces Algériens
armés de gré ou de force par la machine de guerre française restaient attachés
à leurs liens familiaux ou tribaux dans un monde rural où leur vision du
monde ne dépassait souvent pas le douar ou le village. C’est ainsi que la
plupart des supplétifs de l’armée française demeurèrent sur place après
mars 1962, protégés par leur tribu ou leur famille.
Ces anciens harkis participèrent au mouvement des « marsiens »avecles
insurgés algériens de la « dernière heure ». En mars 1962, au moment où la
violence de l’OAS fait des ravages dans les villes, des groupes d’insurgés
« spontanés » surgissent et s’attaquent aux suspects ou aux Européens, pour
accaparer leurs biens ou pour donner des gages au FLN. Les responsables
du FLN n’ont pas encore la direction du pays quand commencent les premiers
massacres de harkis après le cessez-le-feu. Alors que le GPRA a éclaté en
une direction bicéphale, entre Tunis et Oujda, le FLN tente de protéger les
Algériens des attentats de l’OAS qui sème la terreur à Alger. Les maquis de
l’ALN attendent quant à eux les ordres du GPRA, qui arriveront tant du clan
Ben Khedda qui demandera dans un premier temps de résister à l’armée des
frontières tandis que le duo Boumediene-Ben Bella mobilisait « ses » wilayas,
alimentant l’instabilité et la « vacance » du pouvoir algérien. Entre mars et
l’été 1962, plusieurs massacres sont perpétrés par la population le plus souvent
livrée à elle-même dans ses vengeances. Car c’est bien dans un contexte
local que se sont déroulées ces exactions prenant souvent la forme de lynchages
collectifs.
L’arrivée des premières vagues de supplétifs de l’armée française en
France correspond au mouvement des Européens, qui quittent massivement
l’Algérie à partir d’avril 1962. Parmi eux se trouvent nombre d’Algériens profrançais
mais non combattants. Souvent aisés, ils sont notables ou fonctionnaires
quand ils quittent l’Algérie. Ce n’est pas du tout le cas des harkis
accompagnés de leurs familles. À partir de juin 1962, leur accueil a été mal
préparé par les autorités françaises avec l’ouverture de « camps de transit »,
La France, refuge des combattants algériens pro-français 343
tous situés dans des régions rurales. Les camps du Larzac et de Bourg Lastic
avaient servi à « héberger » les milliers de prisonniers FLN arrêtés en France.
Toujours considérés comme Algériens par les autorités françaises, les
harkis et leurs familles seront « parqués » dans ces camps de transit
jusqu’en 1964. Avec la reprise des massacres en octobre 1962 en Algérie,
quatre autres camps sont ouverts à Rivesaltes (ex-camp de détenus FLN),
Saint-Maurice-l’Ardoise, Bias et La Rye. Une population de 40 000 personnes
s’installe dans ces camps tandis que 10 000 à 30 000 autres supplétifs et
leurs familles se dispersent dans le reste de la France.
Les autorités françaises (Georges Pompidou, ministre délégué auprès du
Premier ministre) chargées d’administrer cette nouvelle population de
« Français musulmans » entreprennent la création de centres d’hébergement
collectif, les « hameaux forestiers » (chantiers au service de l’entretien des
forets et maquis) où sont réparties les familles de harkis. Le gouvernement,
qui vient de créer pour les « Européens d’Algérie » un secrétariat d’État aux
Rapatriés, pense isoler ces réfugiés harkis, des « Français musulmans » qu’il
juge bien encombrants. Cette population doit éviter les contacts avec les
quelque 400 000 émigrés algériens, dont les flux ne tarissent pas. Les Algériens
continuent de se rendre en France pour travailler, avec la crise économique
de l’après-guerre en Algérie. Ils seront 600 000 en 1965.
Situés en pleine zone rurale, souvent en montagne, les hameaux « réservés
» aux harkis doivent aussi bien abriter ces familles que fournir un emploi
aux hommes. Plus de 70 hameaux forestiers disséminés essentiellement
dans le sud-est de la France sont attribués aux anciens harkis, répartis par
groupes de 25 ou 30 travailleurs par chantier. Mais à partir de 1966, le nombre
des hameaux forestiers est réduit à 33 par le ministère de l’Intérieur, tous
situés dans les régions méridionales. Les conditions de vie avaient été très
dures pour les familles de harkis et l’activité forestière rapidement limitée.
Alors que quelques communautés harkis s’organisent spontanément en villages
dans certaines campagnes (Mas-Thibert avec le bachaga Boualem,
Saint-Valérien…), l’État entreprend de proposer d’autres sites d’hébergement
comme alternative aux hameaux forestiers. Un certain nombre de logements
souvent de type HLM ou Sonacotra sont ainsi réservées dans des « cités
urbaines », comme à Amiens, Bourges, Dreux, Lodève, Louviers et Montpellier.
Avec 138 458 personnes en 1968, la population des « Français musulmans
rapatriés » se concentre essentiellement dans le Nord-Pas-de-Calais, Paris,
le Nord-Est, l’axe Lyon-Grenoble et la côte méditerranéenne. Comme la majorité
des travailleurs de l’émigration algérienne en France, les anciens harkis
occupent des emplois dans l’industrie, ce qui explique leur redéploiement
économique vers les grandes villes. Quant à la population demeurée dans les
régions méridionales, elle tend à se fixer dans le monde rural dès les premières
années de leur arrivée. Ainsi, les cités d’accueil de Bias et Saint-
Maurice-l’Ardoise hébergent encore 3 000 personnes en 1973. Les premières
structures d’accueil des harkis et de leurs familles qui avaient été mises en
place dans l’urgence avaient fini par devenir permanentes dix ans après. Tout
un personnel d’encadrement administratif, scolaire et de formation professionnelle
avait été organisé pour assister ces populations doublement marginalisées,
à la fois par leur isolement socio-économique et par le traitement
344 Atlas historique de l’algérie
discriminatoire dont elles firent l’objet. 60 000 chefs de famille harkis avaient
dû demander la nationalité française après leur arrivée en France. Le sentiment
de la jeunesse harkie d’avoir été marginalisée dans la société française
finira par se traduire violemment dans les années 1975, avec les actions
revendicatives de la deuxième génération.
C’est dans les vieux camps de Saint-Maurice-l’Ardoise et de Bias que la
jeune génération se rebelle contre les chefs de camp. Elle dénonce leur gestion
arbitraire et paternaliste, de même que le traitement global de la question
harkie par les gouvernements qui se sont succédé. Ces jeunes qui ont
vécu leur enfance dans un monde fermé réclament le droit à être entendus
et reconnus au même titre que les autres jeunes Français. Ce « printemps »
harki sera la première brèche dans le couvercle de silence qui entoure la
question très politique de la guerre d’Algérie. Depuis la crise des nationalisations
des compagnies françaises en Algérie en 1971 et les nombreux crimes
à caractère raciste perpétrés contre des immigrés algériens ou leurs enfants
(population algérienne en France en 1973 : 845 000 personnes), la question
migratoire et donc identitaire est réapparue violemment dans la France
entrée de plein fouet dans la crise économique. En 1991, de nouvelles
émeutes des fils d’anciens harkis relanceront la question de la reconnaissance
des erreurs de l’État. Mais sur ce point, une autre communauté se
présente jusqu’aujourd’hui comme bien plus nombreuse à réclamer ce droit :
les pieds-noirs.
TRENTE ANS DE RECONSTRUCTION
AUTORITAIRE
LES ANNÉES BEN BELLA
près plusieurs semaines de tensions entre les deux directions du
A
GPRA, Ben Khedda finit par laisser le gouvernement à Ben Bella
appuyé par son « groupe de Tlemcen ». Le clan « Ben Khedda » avait
été mis en minorité après le congrès exceptionnel du CNRA de Tripoli en juin
1962. Les « légalistes » reconnaissent Ben Bella comme nouveau président
d’un GPRA « bis ». Cependant plusieurs chefs de l’ALN des maquis de l’intérieur
tentent de s’opposer à l’entrée des forces de l’armée des frontières
commandée par Boumediene, principal soutien de Ben Bella. Après plusieurs
combats contre les maquisards de la wilaya IV, début juillet et fin août dans
les régions de Chélif et Boghar, l’ALN des bases marocaines finit par atteindre
Alger.
Ben Bella, le nouveau chef du gouvernement algérien, s’installe à Alger le
25 juillet 1962, alors que la situation politique dans les wilayas est encore
très instable. La population exprime son mécontentement face à ces violences
entre combattants algériens. Seb’a snin barakat, « sept ans ça suffit », crient
les Algérois qui sont épuisés par toutes ces années de guerre, comme les
10 millions d’Algériens.
Les mois qui suivent le cessez-le-feu de mars 1962 sont marqués par
d’importants mouvements de population à l’intérieur du pays. Les quelques
2 millions de personnes qui avaient été regroupées de force pendant la guerre
retournent en partie vers leurs terres et leurs villages, surtout les populations
montagnardes, tandis que les nomades se remettent en marche après le
traumatisme du camp cerné de barbelés. Mais une partie des « regroupés »
ou « déplacés » reste sur place, notamment dans les nouveaux villages
construits dans le cadre du plan de Constantine. Avec le départ massif des
« Européens » à partir d’avril 1962, des milliers d’Algériens des campagnes,
mais surtout des quartiers pauvres, « investissent » les villes pour tenter
d’occuper un logement vidé de ses habitants. En fait, cet d’exode rural n’avait
jamais cessé mais il s’était brusquement amplifié avec la guerre. Entre 1960
et 1963, ce sont 800 000 personnes qui ont afflué dans les villes, dont la
moitié dans la seule ville d’Alger.
348 Atlas historique de l’algérie
La construction des immeubles collectifs et autres HLM du plan de
Constantine était en grande partie inachevée, voire restée au stade de plans.
Les chantiers reprendront en 1963 dans le cadre de la coopération francoalgérienne.
Mais la pression des populations rurales était si forte dans les
villes en partie abandonnées par les Européens que de nombreux logements
furent occupés spontanément ou vendus précipitamment pour une somme
dérisoire. Mais toutes ces habitations acquises dans la confusion de l’été 1962
allaient faire rapidement l’objet d’une loi sur les « biens vacants » en octobre
1962. Le gouvernement Ben Bella déclara « biens vacants » toutes les propriétés
agricoles, commerciales, industrielles, minières. Toute transaction
sur ces biens à partir du 1 er juillet 1962 fut rendue interdite. Les comités de
gestion théoriquement prévus pour administrer ces biens laissèrent finalement
la place aux appétits de la nouvelle caste du pouvoir en place. Toute
Les années Ben Bella 349
une bourgeoisie d’État (surtout les personnels militaires et policiers) bénéficia
de cette première manne de biens vacants, notamment les logements du
centre d’Alger. Le phénomène du clientélisme acheva de disperser les premiers
projets d’autogestion prévus par l’exécutif provisoire avant juillet 1962.
Les accords d’Évian avaient pourtant pris en compte la protection des biens
des Européens qui étaient restés en Algérie, 200 000 personnes vivant principalement
dans les grandes villes (octobre 1962).
Les Français occupent des fonctions très utiles pour la nouvelle administration
qui se met péniblement en place à l’automne 1962. Le manque de cadres
et de techniciens algériens a été compensé par l’arrivée des coopérants français
et étrangers. C’est dans le secteur de l’enseignement que la coopération
est la plus rapide. 13 000 Français encadrent les écoliers algériens en 1963. La
plupart enseignaient déjà avant l’indépendance, en tant qu’appelés du
contingent. Il s’agissait d’une aide planifiée dans le cadre des accords d’Évian.
Le gouvernement français assure l’essentiel du redémarrage économique de
ses ex-départements algériens, en accordant une aide financière d’un milliard
de francs à partir de janvier 1963. Les Trésors français et algériens se trouvaient
en commun jusqu’au 12 novembre 1962. L’assistance technique, les
transports aériens, la situation des biens vacants et la construction des logements
inachevés font l’objet d’un accord global en janvier 1963.
Pendant les premiers mois de l’indépendance, la situation économique
de l’Algérie est très critique, surtout au niveau du ravitaillement alimentaire.
L’agriculture a été brutalement désorganisée par le départ des exploitants
français, et les transactions commerciales d’importation quasi interrompues
pendant l’exode massif des Européens. Ben Bella fait appel à l’homme
d’affaires Messaoud Zeghar, riche de son carnet d’adresses international,
pour importer des produits alimentaires ou autres. Quant aux caisses du
jeune État algérien, Ben Bella demande contribution aux Algériennes invitées
à y déposer leur or…
Si les finances dépendaient donc intimement de la perfusion française,
l’assistance médicale arriva quant à elle de nombreux pays. En plus des Français
restés sur place, Bulgares, Chinois, Cubains, Russes, Américains et
Arabes du Moyen-Orient sont les premiers médecins étrangers à débarquer
en Algérie dès l’automne 1962. Ils vont soigner mais aussi enseigner la médecine
et former toute une génération d’infirmiers, sages-femmes et autres
aides-soignantes.
Alger attire nombre de révolutionnaires invités par Ben Bella. Les
membres de mouvements qui luttent contre l’ennemi commun impérialiste
se rendent à partir de 1963 en Algérie, notamment plusieurs groupes africains
tels que l’ANC (Afrique du Sud), les Angolais du MPLA, des Namibiens,
des Érythréens…
Des Palestiniens, réfugiés invités des pays arabes, s’installent à Alger où
ils sont le plus souvent enseignants. D’autres militants provenant d’horizons
politiques divers trouvent à Alger le moyen de s’exprimer comme les Black
Panthers des États-Unis. Le FLN est perçu comme une formation politique
populaire qui a vaincu le colonialisme français, c’est une sorte de modèle
pour de nombreuses oppositions armées « gauchisantes » dans le monde.
Cependant, le gouvernement de Ben Bella se présente bien différemment d’une
formation démocratique. À partir d’avril 1963, le FLN se trouve confronté à la
350 Atlas historique de l’algérie
démission de Mohamed Khider, chef historique de la formation indépendantiste.
Comme plusieurs autres responsables du FLN, il préfère quitter le premier gouvernement
Ben Bella qu’il juge autocratique. Les élections législatives de septembre
1962 n’avaient pas été « saines » avec l’éviction d’un certain nombre d’anciens du
GPRA. Ben Bella succède à Khider à la tête du FLN, prenant Boumediene comme
vice-président du Conseil et comme ministre de la Défense en mai 1963. La mise
en place du « parti unique » et l’étouffement de la vie politique par ce duo politicomilitaire
provoquent une grave crise en mai 1963.
Hocine Aït Ahmed, responsable historique du FLN qui n’entend pas laisser
ce pouvoir autoproclamé diriger la vie politique du pays fait sécession le 9 juin
1963. Ben Bella est bien conscient qu’il a provoqué une fronde chez de nombreux
« historiques » du FLN. Craignant pour la stabilité du nouveau pouvoir,
il fait arrêter Mohamed Boudiaf le 24 juin. La Sécurité militaire, structure
héritée du MALG de Boussouf, reçoit la mission de prévenir toute opposition
en arrêtant tout suspect.
C’est dans ce climat politique inquiétant de l’été 1963 que la frontière marocaine
est le théâtre de plusieurs incidents dans la région entre Figuig et Béchar.
En septembre 1963, alors que la tension avec le Maroc ne faiblit pas, Ben Bella
doit faire face à une dissidence armée d’Aït Ahmed, en Grande Kabylie. Après
avoir créé le Front des forces socialistes (FFS), le chef historique du FLN a
choisi de résister par les armes au régime personnel de Ben Bella. Ce dernier
est d’ailleurs élu président de la République algérienne démocratique et populaire
le 15 septembre 1963. À la fin du mois de septembre 1963, la grande
manifestation antigouvernementale organisée à Tizi Ouzou sonne comme un
désaveu pour le nouveau président, alors même que le Maroc fait occuper les
deux villages litigieux de Tindjoub et de Hassi Beïda. L’opposant marocain Mehdi
Ben Barka, réfugié en Algérie, avait dénoncé en juillet 1963 l’attitude du roi
Hassan II et sa politique agressive envers l’Algérie. Les combats pour le
contrôle de Tindjoub et de Hassi Beïda, opposent début octobre, la nouvelle
ANP (Armée nationale populaire) de Boumediene aux Forces royales marocaines,
mieux équipées. L’armée des anciens djounouds est mobilisée le
15 octobre 1963 mais ne parvient pas à repousser l’armée marocaine. Après
les combats de Hassi Beïda du 25 octobre, des négociations sont entamées
sous l’égide de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) réunie à Bamako le
2 novembre. Une zone démilitarisée sera délimitée entre Figuig et Tindouf.
L’ANP regagne ses casernes, sauf une partie qui est envoyée en Kabylie pour
réprimer la dissidence du FFS. À partir de l’automne 1963, une terrible campagne
militaro-policière est déclenchée par le régime contre les maquis du
FFS. Dénoncés comme « agents de l’étranger » ou séparatistes par le président
Ben Bella, les militants du FFS subissent une très dure répression jusqu’en
1964, deuxième campagne contre une opposition armée depuis l’indépendance.
Un autre front s’ouvre dans les Aurès contre le régime Ben Bella en juin 1964.
C’est la révolte du colonel Mohamed Chabani, ancien chef de l’ALN intérieure, qui
sera finalement exécuté. De nombreux Algériens vivent un grand désenchantement
un an après l’indépendance. Le système de l’autogestion est tombé le plus
souvent dans les mains de potentats locaux, laissant la population des campagnes
toujours aussi démunie qu’avant 1962. Malgré la nationalisation des terres « européennes
» (2 700 000 hectares) en septembre 1963, le nombre de personnes sans
ressources est estimé à 2 600 000 Algériens en 1964.
Les années Ben Bella 351
Une partie de la population algérienne a pris massivement la route de la
France en pleine croissance économique. Un pic de l’émigration est atteint
avec 262 000 Algériens entrés en France en 1963. Les travailleurs algériens
et leur famille installés en France seront 600 000 en 1965. C’est également en
juin 1963 que rembarquent pour la France les dernières troupes françaises,
à l’exception des bases de Mers el Kebir et du Sahara.
Mais l’Algérie ne s’est pas encore séparée de nombreuses structures françaises,
notamment dans les domaines économique et administratif. Les nouvelles
wilayas reprennent les délimitations de 1956, tout en modifiant la
dénomination des villes et villages qui reprennent les noms des sites ou douars
« indigènes » d’avant la conquête, ou retrouvent leur nom ancien antique arabisé
(Skikda…). La nouveauté provient surtout des noms donnés aux anciens villages
coloniaux en hommage aux grands hommes de la guerre d’indépendance
ou de la résistance pendant la conquête (Lakhdaria, Zighoud Youcef, Emir Abd
el Kader…). Ce sera aussi le cas des rues et places des villes et villages d’Algérie,
dont le nom est partout modifié. Pour le gouvernement Ben Bella, la question
de l’identité culturelle algérienne doit passer par ces transformations des
édifices « exogènes », monuments aux morts ou églises qui seront progressivement
effacés du champ visuel algérien. Dans ces premières années, cette
reconstruction identitaire engagera le débat sur la question linguistique.
Une nouvelle fenêtre sur le monde s’ouvre en 1964 avec la création de la
Cinémathèque d’Alger. Du film Algérie, année zéro projeté en 1962 au tournage
de La Bataille d’Alger par Pontecorvo à Alger en juin 1965, les débuts du
cinéma algérien resteront encore très marqués par le thème de la guerre
d’indépendance. En arrière-plan du tournage de La Bataille d’Alger les blindés
de l’armée de Boumediene entrent dans la ville pour arrêter dans sa villa le
président Ben Bella le 19 juin 1965.
LES ANNÉES BOUMEDIENE
près la fiction de l’entente Ben Bella-Boumediene, l’ALN reprend en
A
quelque sorte le pouvoir qu’elle a « délégué » au clan de Tlemcen
en juillet 1962. Le chef de l’État-major général (EMG) a toujours pris
ses distances avec les hommes du GPRA. Après la crise entre le commandement
de l’ALN et le GPRA pendant l’été 1961, Boumediene a fait son choix de
Ben Bella pour la direction du pays après l’indépendance. En décembre 1961,
Abdelaziz Bouteflika a été mandaté en France par Boumediene pour inviter
Ben Bella au projet de nouveau gouvernement, un GPRA « bis » formé à
Oujda, siège de l’EMG « ouest ». C’est ici que Boumediene a commandé la
wilaya V avant d’être responsable de l’EMG à Ghardimaou en Tunisie.
Son ascension au sein de l’ALN a commencé après sa formation militaire en
Égypte dans les années 1950. Le jeune Mohammed Bou Kharouba (son vrai
nom) s’est rendu au Caire en 1951 afin de parfaire ses études islamiques à la
mosquée Al Azhar, construite par ses ancêtres Kotama. Avant de s’installer à
Héliopolis (Guelma) où il naquit, la famille de Boumediene vivait dans la région
de Jijel. En 1945, la répression militaire française contre les populations de sa
région marqua profondément le jeune Boumediene, qui milita ensuite au MTLD.
Son séjour en Égypte l’impliqua dans le petit groupe de militants algériens
réfugiés sur place dont les dirigeants historiques du FLN Ben Bella, Khider
et Aït Ahmed. Après avoir reçu un enseignement militaire à Alexandrie,
Boumediene fut envoyé sur le front algérien en 1955. Pendant la guerre, Boumediene
avait été confronté au problème du barrage électrifié de la frontière
tunisienne, contre lequel il conçut de nombreuses attaques. La bataille du
barrage avait occasionné de lourdes pertes tandis que le moral des djounouds
avait été atteint, provoquant certaines révoltes d’officiers. Mais Boumediene
était parvenu à rétablir la discipline non sans dureté. À partir de 1958,
Boumediene était pris entre deux feux. D’un côté il commandait le principal
front de la guerre et de l’autre il subissait les pressions du GPRA de Tunis.
Boumediene parvint à se maintenir contre vents et marées jusqu’en 1961,
où il devint incontournable. Responsable de toute l’ALN extérieure en 1962,
Boumediene était apparu comme l’indispensable soutien au « groupe de
Tlemcen » ayant choisi Ben Bella comme nouveau chef du GPRA. Ministre de
la Défense, vice-président, Houari Boumediene est le numéro 2 du régime
Ben Bella jusqu’au moment de la destitution discrète du 19 juin 1965.
354 Atlas historique de l’algérie
Après la guerre des sables et l’intervention en Kabylie, Boumediene se
démarque d’un président qui apparaît dépassé par ces événements. Ben Bella
n’était pas vraiment conscient qu’il se trouvait dans une situation précaire car
l’armée que commande Boumediene est bien plus qu’un ministère, c’était la
seule force politique autonome, qui l’avait « fait roi » en 1962. Le roi déchu
finira emprisonné dans l’extrême sud algérien.
Ayant réussi son tour de force sans tirer un seul coup de feu, Boumediene
veut tourner la page des années Ben Bella. Il est bien conscient que la population
algérienne est en proie à d’énormes difficultés économiques auxquelles
la politique de Ben Bella n’a pas répondu. Seule une infime partie des Algériens,
« courtisans » du régime, avaient bénéficié de logements et d’emplois
publics. Pour mettre en place son programme, Houari Boumediene s’entoure
d’un « Conseil de la Révolution » dont il est président, regroupant responsables
militaires issus de l’ALN intérieure et extérieure ainsi que quelques « politiques »
du FLN. Parmi eux se trouvent : Saïd Abid (colonel), Kaïd Ahmed (« commandant
Slimane »), A. Belhaouchet (colonel), Chérif Belkacem, Mohammed ben Ahmed
(colonel), Ahmed Bencherif (colonel), Chadli (colonel), Ben Haddou (colonel), A.
Bensalem (commandant), Salah Boubnider (colonel), Ahmed Boudjenane (colonel),
Bachir Boumaza, Abdelaziz Bouteflika (commandant), Ahmed Draïa (colonel),
Youcef Khatib (colonel « Si Hassen »), Ahmed Massas, Ahmed Medeghri, Ali
Mendjeli, Mohand Oul Hadj (colonel), Saïd Mohammedi, Moulay Abd el Kader
(commandant Chabou), Salah Soufi (commandant), Tahar Zbiri (colonel), Mohamed
Tayebi Larbi (commandant) et Mohamed Salah Yahiaoui (commandant).
Boumediene envisage de sortir l’Algérie du sous-développement dans le
cadre d’une économie « indépendante » qui doit prendre modèle sur les pays
« socialistes ». Les conseillers de Boumediene élaborent une stratégie de
développement en 1966-1967, avec la priorité accordée à l’industrie de base,
qui devrait tirer tous les autres secteurs dont l’agriculture.
En 1967, l’organisation administrative du pays, voulue décentralisée,
s’adapte aux impératifs de la « révolution » notamment par la mise en place
des assemblées populaires communales (APC) proches du modèle des communes
populaires de la Chine communiste (1958). Élues pour quatre ans, les
APC sont exclusivement dirigées par des membres du FLN qui doivent gérer
les « activités du secteur socialiste de la commune » dont la création de coopératives,
l’organisation de l’approvisionnement, l’exploitation des établissements
touristiques, les logements…
Les premières années de l’autogestion avaient été reconnues comme
anarchiques par le successeur de Ben Bella. C’est ainsi que l’ONRA est dissoute
en 1968 et les conseils de gestion contrôlés directement par le ministère
de l’Agriculture. Le gouvernement Boumediene procède dès 1966 aux
premières nationalisations dans tous les secteurs d’activité. Des banques
algériennes publiques sont créées à partir de 1966 avec la BNA (juin 1966)
reprenant les activités du Crédit d’Algérie et de Tunisie, puis le CPA (Crédit
populaire d’Algérie) en décembre 1966. La BEA (Banque extérieure d’Algérie),
spécialisée dans les transactions internationales, est créée en octobre 1967.
Les activités commerciales de la Sonatrach, créée en 1963, sont complétées
en 1966 par la recherche, la production (25 % du total en 1969) et la
transformation des hydrocarbures. La distribution des carburants devient
également monopole d’État en août 1967. En mai-juin 1968 interviennent de
Les années Boumediene 355
nombreuses nationalisations de sociétés industrielles étrangères, françaises
pour la plupart, remplacées par de nouvelles sociétés nationales. La Sonacom
(Société nationale des constructions mécaniques) créée en août 1967
doit notamment produire des tracteurs pour les besoins de l’agriculture. Ses
usines sont réparties à Médéa, Rouiba, Guelma et Constantine. La SNMC
(Société nationale des matériaux de construction) est créée fin 1967, résultat
de plusieurs nationalisations de sociétés comme Lafarge. La construction de
nouvelles cimenteries allait particulièrement dégrader l’environnement de
nombreuses régions d’une Algérie encore relativement vierge d’industries
polluantes (cimenteries de Meftah, Aïn el Kebira, etc.). 1969 est l’année du
lancement des grands chantiers industriels comme celui du complexe pétrochimique
de Skikda (liquéfaction du gaz) dont la construction sera achevée
en 1973. Le complexe sidérurgique d’El Hadjar géré par la SNS (Société nationale
de sidérurgie créée en 1964) près d’Annaba est inauguré le 19 juin 1969.
Le président Boumediene déclarera un an plus tard : « Notre pays entre de
plain-pied dans l’ère de l’industrie lourde et dans une phase décisive de la
bataille pour le développement. »
Ce programme industriel a été planifié pour développer plusieurs régions
assez démunies et s’étant impliquées fortement pendant la guerre d’indépendance.
C’est ainsi que de nombreuses petites unités industrielles sont réparties
en Algérie. La Sonitex qui fabrique des textiles aura plusieurs usines,
notamment dans l’Est algérien (Draa ben Khedda, Aïn Beïda, Tébessa…). Le
premier Plan triennal prévu pour la période 1967-1969 voit se transformer le
paysage algérien en un immense chantier. Ces constructions d’usines
impliquent une importation massive d’équipements industriels mais aussi de
compétences étrangères. Ingénieurs et experts du monde entier viennent
superviser les nouveaux chantiers et faire fonctionner les machines, toutes
importées.
Mais la création de milliers d’emplois ne suffit pas à combler le chômage
qui pousse encore les Algériens à émigrer en France, où leur nombre atteint
environ 700 000 personnes en 1969, suscitant un nouvel accord franco-algérien
le 27 décembre 1968 afin d’imposer un contrôle plus strict aux frontières.
En Algérie, c’est de la langue française que les jeunes Algériens sont éloignés,
avec le début du processus d’arabisation décidée par le gouvernement
Boumediene en 1968. Un décret donne trois ans au personnel de l’administration
pour « s’arabiser ». Il s’agit de mettre en application une « révolution
culturelle ». Pour le ministère de l’Information et de la Culture « toute indépendance
véritable n’est complète que si elle libère à la fois le sol de la patrie
et l’âme du peuple », et le ministre Taleb el Ibrahimi d’ajouter :«ilfautformer
un homme nouveau au sein d’une société nouvelle ». L’arabisation de l’éducation
est entreprise principalement dans les cycles primaire et secondaire pour
s’étendre à partir des années 1970 à l’enseignement supérieur (facultés de
lettres et sciences humaines, droit). L’alphabétisation est massive dans les
années 1970. Deux millions d’enfants sont scolarisés dans le primaire à la
rentrée 1971-1972 contre 777 630 en 1962-1963 tandis que le secondaire
accueille 198 836 élèves en 1970 contre 51 014 à la rentrée 1962. De nombreux
enseignants « orientaux » ont été recrutés dans ces années, notamment des
Égyptiens, Syriens et Palestiniens.
356 Atlas historique de l’algérie
Les universités d’Alger, Oran et
Constantine qui avaient été ouvertes
avant l’indépendance se développent
avec l’arrivée de nouveaux étudiants
toujours plus nombreux. À Constantine,
un nouveau complexe universitaire est
lancé en 1968 tandis que Sétif ouvre
ses premières facultés en 1972, suivie
de Tizi Ouzou en 1977. Après la première
vague des coopérants de 1962,
Timbre mettant en valeur la révolution agraire,
1972.
les étrangers russes ou originaires des
démocraties populaires d’Europe de
l’Est continuent d’arriver nombreux en Algérie. Ils participent à la réalisation
du programme industriel assurant l’encadrement de plusieurs chantiers de
construction de logements.
Le premier Plan quadriennal qui est lancé en 1970 bénéficie des retombées
financières du choc pétrolier de 1973, qui augmente les capacités
d’investissement industriel. Boumediene décide de nationaliser tous les
hydrocarbures en 1971, provoquant une crise avec la France, dont les sociétés
exploitent les gisements sahariens depuis leur découverte en 1956. Cette
« crise du pétrole » entretient une certaine tension entre les gouvernements
français et algérien, qui retombera assez rapidement. Par l’accord du
29 juillet 1965, l’Algérie avait déjà réalisé la prise de contrôle majoritaire au
sein des compagnies nationales françaises d’hydrocarbures. En 1971, Boumediene,
qui a fait entrer l’Algérie parmi les membres de l’OPEP depuis 1969,
décide de faire profiter pleinement le pays de ses ressources. La France, qui
achetait le pétrole algérien au-dessus de son prix pour soutenir l’économie
de son premier partenaire commercial, finit par rapatrier les compagnies
concernées, non sans mettre un terme aux accords préférentiels avec l’Algérie.
Cet épisode des relations particulières entre la France et son ancienne
colonie fut sans réelle gravité de part et d’autre mais favorisa le climat antialgérien
en France, comme dans le Sud où plusieurs émigrés furent victimes
de violences à caractère raciste. Deux ans après la nationalisation des ressources
d’hydrocarbures, le choc pétrolier de 1973 triple les rentrées pétrolières
de l’Algérie.
Entretemps, Boumediene avait lancé en 1972 la « révolution agraire »,
censée répondre aux aspirations de la population rurale postcoloniale.
L’article premier de ce programme proclame : « la terre appartient à ceux qui
la travaillent. Seuls ceux qui la cultivent ont des droits sur elle ». Théoriquement,
il s’agit donc de distribuer des terres aux paysans pauvres ou modestes
en réquisitionnant une part des grandes propriétés privées et de mettre fin à
une inégalité dans la répartition des terres. En octobre 1972, l’État procède
au recensement des terres privées. Une structure est créée pour la gestion
de terres nationalisées, le FNRA (Fonds national de la révolution agraire ».
Les ayants droit doivent cependant s’acquitter de nombreuses tâches (travaux
d’intérêt collectif, mise en valeur des terres…), notamment avec l’aide des
coopératives auxquelles des matériels sont fournis par l’État. Le programme
de la révolution agraire se présente comme très ambitieux, en voulant « créer
toutes les conditions d’une promotion profonde du monde rural ».
Les années Boumediene 357
Cependant, comme dans l’industrie, le facteur « humain » limitera les
attentes du gouvernement « révolutionnaire ». Le clientélisme, l’absentéisme
et le détournement de biens favorisés par le manque de contrôle freineront
inévitablement la croissance de la production agricole. Pourtant, les besoins
alimentaires de la population n’ont pas cessé d’augmenter. 30 % des denrées
sont importées en 1969 mais l’autosuffisance alimentaire recule très rapidement.
L’industrie absorbe presque tout l’effort financier quand elle n’occupe
pas des bonnes terres comme dans la Mitidja avec la zone d’activités de
Rouiba. Avec le deuxième Plan quadriennal, toutes les villes d’Algérie
accueillent leur petite zone industrielle. Les nouveaux revenus pétroliers
engendrent une augmentation massive des dépenses publiques principalement
dans l’industrie. Les investissements représentent 43 % du PIB en 1973
(110 milliards de dinars). Bien que ces investissements aient triplé, les usines
continuent de tourner à 50 % voire à 30 % de leurcapacité.Lapriorité absolue
donnée à l’industrie « industrialisante » limite la croissance aussi bien dans
l’agriculture que dans le domaine du logement, alors que les ruraux continuent
d’affluer vers les villes. En mai 1973 est lancée l’opération « 1 000 villages
socialistes » qui n’aboutira qu’à la construction de 400 villages en milieu rural.
Les paysans restent attirés par les nouveaux emplois dans l’industrie, face à
l’apparition de tout un personnel administratif surabondant dans les bureaux.
Malgré la croissance économique restée assez
faible, les Algériens commencent à bénéficier de
nouveaux services publics « socialistes » avec
l’école et la mise en place de la gratuité des soins
en 1973. C’est le rôle des wilayas, dont le nombre
est porté à 31 en juillet 1974, d’assurer le service
public décentralisé, la construction de centres de
santé, des logements ainsi que l’accès à l’eau et
à l’énergie. Certaines wilayas ont bénéficié de
« programmes spéciaux » de développement à
partir de 1966. La wilaya des Oasis représentant la
moitié orientale du Sahara est la première à être
« assistée » en matière d’irrigation. Plusieurs
villages de la wilaya des Aurès sont équipés en 1968
(électrification, gaz, usines de conditionnement
de dattes, hôpitaux…). Puis viennent les wilayas
de Grande Kabylie et du Titteri (Médéa) en 1969,
Sétif et Tlemcen en 1970, Saïda en 1971 et El Asnam
Timbre dédié au barrage vert.
en 1972.
Le gouvernement « révolutionnaire » de Boumediene lance le 14 août 1974
un vaste projet de « développement durable » sous le nom de « Barrage
vert ». Il s’agit d’une campagne de vingt ans pour planter une forêt de 3 millions
d’hectares censée arrêter la désertification des zones steppiques. Cette
mission de plantation de jeunes arbres sur 1500 km de longueur fut confiée
aux appelés du contingent de l’ANP. Ce projet fait suite aux premières campagnes
de reboisement initiées pendant les années Ben Bella. La fin du
deuxième Plan quadriennal est marquée par certaines tensions sociales. Plusieurs
grèves éclatent en effet au printemps 1977. Malgré la dépendance
technologique de l’étranger et le recours massif aux importations, l’économie
358 Atlas historique de l’algérie
algérienne parvient encore à supporter les coûts très élevés de sa production
industrielle.
La crise du Sahara occidental à partir de 1975, au
moment où une charte nationale est annoncée, se présente
comme bien plus inquiétante pour le gouvernement
Boumediene. Après l’attentat manqué contre lui
le 24 avril 1968 et la tentative de coup d’État du colonel
Tahar Zbiri en décembre de la même année, Houari
Boumediene avait échappé au pire. Avec la nouvelle
crise contre le Maroc voisin, le régime autoritaire de
Boumediene va étouffer toute tentative politique
d’opposition au moment de la consultation populaire
sur la Charte nationale. Un groupe de quatre personnalités
politiques historiques (Ferhat Abbas, Ben Khedda,
Hocine Lahouel et le cheikh Khayr al Din) ayant proposé
une alternative à la politique en cours, ils sont immédiatement
arrêtés. La situation extrêmement tendue
avec le Maroc provoque même une tentative de déstabilisation
déjouée au cap Sigli, où des armes furent parachutées
pour entretenir un maquis d’opposition. Car le
Timbre en faveur de la campagne
de reboisement. s’est exilée à l’étranger, comme Boudiaf parti vivre
régime ne manque pas d’opposants, dont une partie
au Maroc, Khider en Espagne et Krim Belkacem en
Allemagne.
Face au Maroc qui a entrepris en décembre 1975 une « Marche verte »
pour occuper les territoires du Rio de Oro espagnol, le gouvernement de Boumediene
exploite toutes ses ressources diplomatiques afin de stopper
l’avance marocaine et mauritanienne pour occuper le Sahara occidental.
Hassan II et Ould Daddah s’étaient entendus secrètement pour se partager
la colonie espagnole livrée de fait aux nouveaux conquérants.
Depuis que Boumediene avait rétabli le pouvoir « révolutionnaire » en
1965, il n’avait pas cessé d’entreprendre la promotion de l’Algérie au sein des
pays non-alignés et de soutenir certaines causes de peuples opprimés. C’est
dans le monde arabe, où la diplomatie algérienne avait fait ses premiers pas
pendant la guerre, que Boumediene plaide la cause sahraouie.
Brochure touristique, 1976.
Les années Boumediene 359
L’ALGÉRIE DE BOUMEDIENE
ET LE MONDE
endant la guerre d’indépendance, le FLN avait réussi à développer
P
des relations internationales (voir carte le FLN dans le monde). Le
GPRA avait été reconnu par de nombreux pays à partir de 1958, dont
la plupart étaient arabes ou africains. Les pays arabes avaient été les premiers
à soutenir les indépendantistes, notamment l’Égypte, où Boumediene
avait séjourné en compagnie des dirigeants FLN en exil. L’Égypte avait continué
à soutenir l’Algérie après l’indépendance par l’envoi de militaires, qui
furent d’ailleurs impliqués dans la guerre des sables en 1964. Au moment où
Boumediene s’empare du pouvoir en 1965, le président-colonel Gamal Abdel
Nasser, qui bénéficiait de l’aide soviétique, se présentait comme le libérateur
de la Palestine occupée par « l’ennemi sioniste ». Après la nationalisation du
canal de Suez, Nasser voulait affirmer le rôle de l’Égypte dans la région au
Yémen où il a soutenu une opposition armée antiroyaliste.
Mais au printemps 1967, la tension entre Nasser et Israël a pour conséquence
l’envoi d’un corps expéditionnaire de l’ANP en Égypte. Une division
blindée algérienne basée à Teleghma prend ainsi
la route de l’Égypte en mai 1967 tandis que l’aviation
se prépare à intervenir à partir de la base
libyenne de Benghazi. La guerre éclair de l’armée
israélienne a raison des forces égyptiennes surprises.
Les Israéliens finissent par s’emparer du
Sinaï mais surtout de la Cisjordanie et du Golan
syrien. La défaite de la guerre des Six-Jours sera
un choc très durement ressenti dans les pays
arabes dont l’Algérie de Boumediene, qui appuie
particulièrement les militants palestiniens. L’Algérie
se servira du 5 e sommet de l’OUA qui se tient à
Alger en septembre 1968 pour proclamer son soutien
inconditionnel au peuple palestinien. L’Algérie
sera des quelques pays arabes du groupe du Timbre en faveur de la cause
« front du refus » totalement opposé au dialogue sahraouie.
362 Atlas historique de l’algérie
avec l’État hébreu. Quelques jours après le début de la guerre des Six-Jours,
l’Algérie rompra ses relations avec les États-Unis, parrains de l’État israélien.
Le premier Festival culturel panafricain a lieu à Alger, ville qui prend une
dimension internationale, surtout à partir des années 1970. De nombreuses organisations
révolutionnaires armées y trouvent asile comme l’ANC de Nelson Mandela,
qui suivra une formation militaire en Algérie à l’instar de l’OLP de Yasser
Arafat, qui bénéficie d’un soutien majeur du gouvernement Boumediene.
Alors que le successeur de Nasser (décédé en 1970) Anouar el Sadate prépare
la reconquête du Sinaï, l’Algérie reçoit 77 représentations gouvernementales à la
conférence des pays non alignés en 1971. La position commune des « 77 » prône
une indépendance politique vis-à-vis des grandes puissances, notamment des
deux blocs américain et soviétique, qui n’ont d’ailleurs pas empêché Israël d’envahir
le reste de la Palestine historique avec Jérusalem.
Boumediene n’exclut pas la possibilité de participer à une reconquête de
ces territoires. L’ANP est envoyée en 1973 pour soutenir une éventuelle offensive
égyptienne. Quand Sadate attaque la ligne Bar-Lev en octobre 1973, des
avions algériens assurent la couverture des villes égyptiennes tandis que
l’armée de terre est engagée sur le Sinaï. Malgré la contre-offensive israélienne,
les premiers succès égyptiens ont redonné confiance aux armées
arabes. Mais ce fut l’arme du pétrole qui allait frapper davantage les pays
occidentaux réputés proches d’Israël. Avec le roi Fayçal d’Arabie saoudite, une
nouvelle stratégie commune apparaît dans le monde arabe pétrolier.
L’Algérie va certes bénéficier des retombées économiques du choc pétrolier
mais deviendra la cible de tentatives de déstabilisation. Comme le roi
Fayçal, le président Boumediene représentait le refus de transiger avec les
États-Unis ou Israël. Avec Muammar el Kadhafi, Saddam Hussein et Al Assad,
Boumediene bénéficie du soutien soviétique qui fournit des équipements militaires
et forme un grand nombre d’officiers algériens. Au moment où l’Algérie
devient une puissance militaire montante, son armée intervient en 1975 dans
le conflit qui oppose le Maroc aux indépendantistes sahraouis.
Après l’invasion des territoires du Sahara occidental
par les forces marocaines au nord et mauritaniennes au
sud, Boumediene se retrouve face au fait accompli de
ses voisins, qui n’ont pas consulté leur grand voisin
algérien. Ayant commandé l’armée dans la région frontalière
lors de la guerre des sables en 1964, Boumediene
connaît la région de Tindouf, qui fait face au
territoire sahraoui. À la fin de l’année 1975, les populations
nomades de la région de Seguiet el Hamra n’ont
pas été consultées par Hassan II qui décide d’annexer
tous les anciens territoires espagnols au royaume
marocain. Ce dernier revendique la région comme faisant
partie d’un « grand Maroc » dont les limites historiques
débordent largement vers le sud, au-delà des
limites fixées par les Espagnols et les Français dans les Timbre dédié à l’ANC.
années 1905.
Bien que l’ONU ait préconisé la tenue d’un référendum auprès des populations
du Sahara occidental afin de déterminer leurs aspirations réelles, le roi
Hassan II veut s’appuyer sur la démonstration populaire de la Marche verte
L’Algérie de Boumediene et le monde 363
pour justifier l’annexion « naturelle » de ces territoires. Les milieux indépendantistes
sahraouis regroupés sous le nom du Polisario sont soutenus par
l’Algérie qui fournit armes et bases de repli autour de Tindouf. Alors que la
guérilla sahraouie commence à attaquer les positions marocaines et mauritaniennes
en janvier 1976, des milliers de réfugiés sahraouis qui fuient les combats
affluent à Tindouf.
Bien que son action consiste essentiellement dans le soutien logistique
du front Polisario, l’armée algérienne finit par se retrouver impliquée assez
loin de ses bases et se retrouve même à combattre directement les Forces
royales marocaines dans le désert au sud-ouest de Tindouf. À Amgala,
l’armée algérienne subit des pertes sérieuses, décidant les gouvernements
algérien et marocain à poursuivre les négociations, évitant une aggravation
des tensions et le risque d’un conflit ouvert. Tout en reconnaissant la nouvelle
RASD (République arabe sahraouie démocratique) en février 1976, l’Algérie
développe une diplomatie intensive représentée par le ministre des Affaires
étrangères algérien Abdelaziz Bouteflika pendant ces années 1975-1976 afin
de trouver une solution au conflit. Mais plus de 70 000 réfugiés sahraouis
s’accumulent dans les camps de Tindouf, illustrant la dureté des combats et
la répression qui s’exerce sur les populations. La minorité marocaine vivant
dans l’ouest de l’Algérie va être victime de la dégradation des relations avec
le Maroc. Les autorités décident d’expulser près de 3 000 Marocains vivant
principalement dans la région frontalière de Tlemcen-Marnia, parfois installés
depuis très longtemps. Partisan de la construction d’un Maghreb uni,
Ferhat Abbas dénoncera ce traitement ainsi que l’intervention armée de
l’Algérie dans le conflit sahraoui.
C’est entre 1977 et 1978 que s’aggrave la tension entre le Maroc et l’Algérie
alors que le président Boumediene est victime d’une maladie subitement
contractée après son voyage au Proche-Orient en juillet 1978. Houari Boumediene
disparaîtra le 27 décembre 1978, emportée par ce qui a paru ressembler
à un empoisonnement.
L’ambitieux président aura marqué très fortement la société algérienne,
qui s’était globalement soumise au système autoritaire de « l’État démiurge »,
mais un État qui a créé des milliers d’emplois tout en ouvrant les portes du
savoir universitaire. Avec un nouveau paysage parsemé d’usines et de réalisations
« socialistes » aux devises écrites dans la langue arabe « orientale », les
Algériens étant restés malgré tout accrochés à la langue française, pratiquant
un bilinguisme de fait.
Au-delà des signes visibles des années Boumediene, c’est le « boumediénisme
» qui aura marqué les esprits. La rudesse de l’homme du Constantinois
et son expression du nationalisme parlaient à la masse algérienne encore
très rurale. Les acquis de l’ère Boumediene seront défendus par une partie
du Conseil de la Révolution. Cette structure politico-militaire du FLN désignera
en 1978 un de ses membres pour diriger le pays.
Meeting nationaliste à Alger.
LES ANNÉES CHADLI
e nouveau président Chadli Bendjedid, également originaire de l’Est
L
algérien (El Tarf), est avant tout un haut gradé de l’armée désigné
par le Conseil de la Révolution. Mais plusieurs clans du pouvoir
apparaissent comme les vrais décideurs post-Boumediene, avec une armée
toujours plus impliquée dans les choix politiques et économiques du pays.
Après 1978, « deux clans s’affrontent pour la succession à la direction de
l’État, d’une part autour de Bouteflika, les partisans d’une réforme économique
laissant plus de place au marché et à l’initiative privée ; de l’autre
autour de M. Yahiaoui, partisans du renforcement de l’option socialiste et de
la défense des acquis de la révolution » (Ignacio Ramonet, « Manière de voir »,
Le Monde diplomatique, mars 2012).
Le gouvernement Chadli, qui hérite d’une situation économique difficile, lance
un plan quinquennal à partir de 1980. Mais il est bien conscient des limites des
derniers programmes de développement. Ces derniers n’ont pas permis de libérer
l’Algérie de plusieurs dépendances. D’abord technologique dans une industrie
devenue trop coûteuse pour les finances publiques qui doivent nourrir une population
toujours plus nombreuse (19,8 millions d’habitants en 1982), avec une
croissance très élevée de 3,2 % par an et un des taux de fécondité les plus élevés
au monde (environ 7 enfants/femme). « Le développement économique algérien
se trouve en fait menacé par cette croissance démographique, qui mange une
large partie de la croissance » (Marc Côte).
Le projet gigantesque des industries « industrialisantes » est interrompu
pour se consacrer aux plus petites unités productrices de biens de consommation.
Le nouveau gouvernement voudrait pouvoir répondre aux besoins de
la société algérienne avec son programme « Pour une vie meilleure ». Moins
ambitieux que les projets de la période Boumediene, ces projets se heurtent
à l’inertie des sociétés nationales qui devraient pouvoir concurrencer les
importations.
Mais la compétitivité ne semble pas être la principale préoccupation des
entreprises publiques. « Les puissantes sociétés nationales sont devenues
des machines à distribuer des salaires plutôt que des entreprises rentables
fournissant au pays des produits de qualité » (Michalon, T, Le Monde diplomatique).
Chadli engage en 1981 une campagne « d’assainissement contre les
gaspilleurs, les malversations et la corruption » pensant faire des exemples
366 Atlas historique de l’algérie
parmi les quelques responsables licenciés sinon jugés. Il vise certains
membres de la nomenklatura du FLN. Chadli annonce ensuite une évolution
du processus de recrutement dans les sociétés nationales, désormais sur
concours. Le nouveau gouvernement, qui a décidé d’entreprendre la restructuration
des entreprises nationales, cherche à encadrer le commerce de gros,
notamment en facilitant la distribution par le moyen de magasins publics, les
fameux Souk el Fellah.
Nourrir et loger une population toujours plus nombreuse se présente bien
comme le défi du gouvernement Chadli. L’État, qui est le principal employeur
du pays (60 % du total des emplois) doit reprendre en main la question du
logement, parent pauvre de la décennie Boumediene. Les nouveaux bassins
d’emplois créés dans les années 1970 avaient attiré de nombreux ruraux
confrontés au problème de la crise du logement. Des programmes de
construction d’immeubles collectifs avaient été lancés dans toutes les villes
grandes et moyennes, avec une sorte de modèle répété à l’identique : des
blocs à la mode socialiste, construits à la périphérie immédiate des centresvilles.
Des cités de 200 à 1000 logements apparaissent dans le paysage urbain
algérien, deuxième vague d’immeubles après les logements achevés du plan
de Constantine qui avait été rapidement accaparé par la population en 1962.
Ces quartiers rapidement bâtis sont ensuite livrés à la population sans autre
structure sociale particulière ni espaces de jeu pour les enfants. Des quartiers
dortoirs à la soviétique qui se parent progressivement des fameuses
antennes satellites, devenues quasi indispensables aux Algériens à partir des
années 1980.
Avec le tremblement de terre d’El Asnam (ex-Orléansville) survenu en
octobre 1980, les Algériens en quête de logement relativisent leur situation
pendant le temps du drame qui a fait 5 000 morts. Quelques mois avant le
séisme, la Grande Kabylie avait été le théâtre de manifestations massives
pour dénoncer l’arabisation forcée dans une région berbérophone, dont le
patrimoine linguistique et culturel est défendu par plusieurs universitaires
comme Salem Chaker. Ce printemps berbère inaugure l’apparition d’une certaine
crise identitaire algérienne, en particulier chez les jeunes générations.
Après la mort de Boumediene, le climat politique s’était légèrement détendu
avec la libération de plusieurs opposants comme Ben Bella ou Ferhat Abbas.
Mais alors que le mouvement islamique El
Qiyam avait été interdit par Boumediene en
1970, on assiste à la montée des groupes
musulmans militants, dénommés généralement
« islamistes ». Depuis 1979 et la révolution
islamique en Iran, de nouveaux acteurs
politiques avaient émergé dans le monde
musulman, dominé par les écoles de pensée
sunnite égyptienne et surtout saoudienne.
Après l’invasion de l’Afghanistan par les forces soviétiques en 1979, de nombreux
musulmans notamment algériens se rendent sur place en vue du djihad
contre l’ennemi communiste, aidés par les réseaux saoudiens. Avec l’influence
des Frères musulmans d’Égypte, les Algériens, comme le nouveau parti
tunisien d’Ennahda en 1979, avaient commencé à développer leur propre
Les années Chadli 367
courant autour du cheikh Soltani. En
avril 1981, lors de l’enterrement du
chef de file de la pensée fondamentaliste
algérienne, une masse de
20 000 personnes suivront son cortège
funèbre. C’est à cette époque
que l’on entend parler d’affrontements
entre des groupes armés de
tendance fondamentaliste et la
police. Le groupe de Bouyali aurait
tenu un maquis dans la région de
Blida mais aurait été démantelé en
1981 alors qu’à Laghouat, des Timbre célébrant la Coupe du monde 1982.
membres d’une secte religieuse
auraient été arrêtés par la police.
La société algérienne, dont 90 000 jeunes étudient à l’université en 1982,
semble redécouvrir la pluralité de ses cultures et la religion islamique. L’université
des sciences islamiques de Constantine ouvre ses portes en 1981,
dans un contexte de tensions récurrentes entre étudiants traditionalistes et
modernistes. Cette ambiance se traduit parfois par des affrontements directs
à l’intérieur même des campus comme à Ben Aknoun en novembre 1982 ou
à Oran. Une agitation étudiante qui se retourne contre la police, comme en
mai 1981.
Ces nouveaux foyers de contestation pour défendre l’amazighité ou l’islamité
ne gagnent pourtant pas la masse de la population algérienne, préoccupée
par le ravitaillement quotidien (pénurie de produits de base) et par son
soutien à l’équipe nationale lors de la Coupe du monde de football en 1982,
marquée par la fameuse victoire contre l’Allemagne…
Chadli voudrait bien préserver cette union sacrée des Algériens autour
d’autres événements ou monuments en rapport avec la guerre de libération.
Le mémorial du Martyr (Maqam el Chahid) est inauguré en 1982, vingt ans
après l’indépendance. De nombreuses commémorations sont organisées,
comme celles du recueillement auprès des « carrés aux martyrs » dont les
corps sont encore retrouvés dans des fosses communes.
Le gouvernement Chadli veut renforcer l’unanimisme hérité des années
Boumediene. Mais il ne dispose pas des mêmes moyens que son prédécesseur.
On assiste plutôt à un « blocage du système » avec un mécontentement
inquiétant de la majorité de la population. En plus des détournements de
biens importés et la corruption, l’économie algérienne fait face à la chute
des recettes pétrolières en pleine crise économique mondiale. Le programme
socialiste de l’État providence n’est donc plus capable d’assurer ses promesses
d’une vie meilleure.
En 1984 le nombre de wilayas est augmenté et passe à 48. Pour le géographe
Marc Cote, ce « découpage manifeste le souci de promouvoir le développement
des régions enclavées et montagneuses (Tissemsilt, Khenchela),
d’apporter une attention particulière aux zones frontalières de l’est (El Tarf,
Souk Ahras, El Oued) et de mieux contrôler la croissance algéroise (Tipaza,
Boumerdès) ». Le grand Sahara se trouve quant à lui partagé en quatre nouvelles
wilayas (Tindouf, Adrar, Tamanrasset et Illizi).
368 Atlas historique de l’algérie
Depuis 1985, la crise économique mondiale a rapidement atteint l’économie
algérienne, largement dépendante de ses hydrocarbures, dont les cours
ne cessent de baisser sur le marché mondial. La dette de l’État, qui s’élève à
20,7 milliards de dollars en 1984, pousse les finances algériennes à bloquer
salaires et subventions aux produits alimentaires. Avec la corruption à tous
les échelons de la distribution des biens et des produits alimentaires de base,
qui sont en outre massivement importés, les familles algériennes se
retrouvent livrées à la débrouillardise et à l’instabilité du ravitaillement. Mais
d’autres tensions apparaissent à partir de 1986, avec les premières manifestations
lycéennes à Sétif et Constantine. Ces jeunes souhaitaient exprimer
leur mécontentement après la décision gouvernementale d’introduire les
matières religieuses dans les enseignements obligatoires. L’État répond par
la répression, comme un avertissement à cette jeunesse qui représente alors
70 % de la population algérienne. Ces jeunes sont mis à contribution par leur
famille pour attendre très tôt le matin devant les magasins d’État l’arrivée
improbable des produits alimentaires de base. La plupart des lycéens et étudiants
poursuivent leur scolarité dans des conditions difficiles, au sein d’une
famille généralement nombreuse, vivant souvent dans des logements exigus.
Les autorités se trouvent confrontées à un nouveau maquis de contestation
islamiste dans la région de Larbaâ. Le Mouvement islamique armé (MIA)
fait le coup de feu contre les gendarmes et attaque même une caserne à
Soumaa en août 1985. C’est à ce moment que les Algériens prennent connaissance
de ces événements avec le procès « Bouyali » (70 condamnés à la
prison). Le gouvernement Chadli-Messadia, représentant un certain courant
du FLN, n’arrive pas à surmonter les difficultés structurelles de l’économie
algérienne en crise. Ils subissent la pression de la rue mais également celle
de leurs détracteurs au sein même des décideurs des autres clans du FLN.
Les hiérarchies militaires de l’ANP et de la SM (Sécurité militaire) qui sont
les deux structures permanentes du commandement de l’Algérie mènent leur
propre stratégie, parfois en opposition avec ceux qui gouvernent et qui sont
de fait les éléments visibles du système algérien. Leurs contradictions produisent
jusqu’à la déstabilisation des gouvernants en place.
Les grèves de septembre 1988, puis les émeutes d’octobre, illustrent à la
fois la spontanéité de la contestation sociale d’une population qui se sent
livrée à elle-même, et traduit cette stratégie de déstabilisation du gouvernement
Chadli dans le cadre de la lutte des clans politiques au sommet.
Les enfants et adolescents algériens investissent les centres-villes dans
plusieurs régions d’Algérie et s’attaquer aux vitrines, principalement celles
des établissements étatiques comme les agences postales, les compagnies
d’assurances, les Souk el fellah, Air Algérie, etc. Aux actes de vandalisme
succède une terrible répression militaro-policière. Des milliers de jeunes sont
arrêtés et détenus pour subir la « question » version algérienne, tandis que
les marches pacifiques encadrées par des militants religieux dégénèrent. Les
régiments venus du sud-ouest oranais, dépassés, ont mitraillé les manifestants.
Ces terribles jours de répression feront des centaines de morts.
Le gouvernement de Chadli, lui-même dépassé par cet enchaînement de
violences, décide une politique de réformes, en annonçant la mise en place
d’un processus de démocratisation et le début du multipartisme. En 1989,
pendant que le bloc de l’Est sous emprise soviétique commence sa lente
Les années Chadli 369
désagrégation, la liberté politique paraît revenir en Algérie, avec la création
d’une soixantaine de partis politiques. Le FLN, devenu ancien parti unique,
adopte une nouvelle stratégie en direction des futurs électeurs libres. Lors
de son congrès de 1989, le FLN propose la suppression de la mixité scolaire,
certains membres proposant l’application de la loi islamique en Algérie.
Car la course électorale est engagée pour les premières élections libres
de l’Algérie indépendante. Un parti est donné favori, c’est la nouvelle formation
du FIS (Front islamique du Salut) dirigée par un ancien du FLN, Abassi
Madani. Des millions d’Algériens se rapprochent de ce parti perçu comme
honnête car islamique. Le programme du FIS propose de rétablir les valeurs
de l’islam dans les institutions. Son discours se veut très social, avec la
famille comme base de la société musulmane. Mais les chefs du FIS, et
notamment Ali Belhadj, dénoncent l’occidentalisation du pays et surtout celle
du pouvoir. Reprenant quelque peu le discours « socialiste » des années Boumediene,
le FIS entend rétablir le peuple algérien musulman dans la gestion
du pays. Pour les dirigeants du FIS, la religion musulmane ne laisse pas
d’autre choix au peuple algérien que d’établir une république islamique. Des
campagnes municipales de 1990 aux législatives de 1991, les Algériens entendront
de ce fait beaucoup parler de sharia, dehidjab et d’autres éléments de la
vie musulmane, mais ne se mobilisent pas outre mesure dans ces campagnes
hormis les militants du FIS et du FFS. Ce dernier a refait surface avec le
retour d’Hocine Aït Ahmed, qui entend bien profiter de cette ouverture démocratique
sans précédent dans l’histoire algérienne. Il en fut de même pour
Ben Bella, qui revient de son exil suisse pour fonder un nouveau parti.
Alger en octobre 1988.
De 1989 à 1990, le monde bipolaire a maintenant explosé. Depuis son
retrait d’Afghanistan, l’URSS de Gorbatchev a laissé les démocraties populaires
reprendre leur liberté. Mais dans le même temps, le lobby militaroindustriel
américain, qui s’inquiétait de la fin de la guerre froide, provoque
une intervention occidentale contre l’Iraq de Saddam Hussein.
En Algérie, si les Américains se satisfont de l’ouverture démocratique du
pays, ils sont loin d’être soutenus par la population dans leur guerre dans le
370 Atlas historique de l’algérie
Golfe. Les militants du FIS exploitent d’ailleurs le mécontentement des Algériens
contre les États-Unis. Pourtant, l’anti-occidentalisme n’est pas leur seul
fonds de commerce. Proches de l’Arabie saoudite, pays perçu comme la référence
en matière d’école islamique, les décideurs du FIS sont pour l’économie
libérale dans un cadre musulman, à la fois traditionnel et ouvert sur le monde
moderne. L’Arabie saoudite soutient le FIS dans ses projets d’établir un nouvel
État islamique dans le monde arabo-musulman.
Après la victoire du FIS aux élections municipales de juillet 1990 dans
plusieurs grandes villes d’Algérie dont Alger, les dirigeants du parti islamoconservateur
entrent dans une sorte de discours millénariste. Ils préparent
les prochaines élections législatives prévues pour décembre 1991 pour lesquelles
ils envisagent déjà quasiment la victoire. Pour Madani et Belhadj une
révolution islamique à l’iranienne serait en train de se profiler. Pourtant, les
membres du gouvernement Chadli ne s’inquiètent pas vraiment des premiers
succès du FIS. Le FLN dispose encore de nombreux électeurs ainsi que le
FFS, bien que le parti d’Aït Ahmed soit trop souvent associé à la Kabylie par
l’opinion publique algérienne. Mais l’année 1991 est marquée par les premières
violences politiques qui précédent le 1 er tour des élections législatives
de décembre 1991.
À partir de juin 1991 se met en place une confrontation entre le FIS et les
autorités, qui bouleverse rapidement le processus démocratique en marche.
L’ambiance plutôt sympathique qui avait prévalu au commencement de
l’ouverture politique de 1989 fond progressivement, pour laisser la place aux
vieux réflexes de la violence.
Mémorial du Martyr (ou Maqam el Chahid) érigé en 1982.
Les années Chadli 371
DE LA GUERRE CIVILE AU HIRAK
DE LA CRISE POLITIQUE
À LA GUERRE CIVILE (1991-1994)
vant même l’émergence du FIS sur la scène politique algérienne,
A
plusieurs groupuscules se réclamant de l’islam « militant » s’étaient
développés dans le pays. Avec le retour des combattants algériens
d’Afghanistan, des groupes marginaux étaient apparus dans les quartiers
populaires à l’occasion de l’ouverture démocratique de 1989. Le FIS se présentait
quant à lui comme une association hétérogène de plusieurs courants
de pensée. L’aile modérée du parti était représentée par Abd el Kader
Hachani, partisan d’un islam à l’algérienne, garantissant l’indépendance du
pays et devant progressivement intégrer les structures de l’État. Mais une
partie des militants était impatiente d’en finir avec le régime « socialiste » du
FLN. Le discours anti-occidental de Belhadj visait la classe dirigeante et une
partie de la population algérienne qui ne suivait pas les préceptes de l’islam,
officiellement « religion d’État ».
Les États-Unis, devenus la seule grande puissance après la dislocation de
l’Empire soviétique, envisageaient avec intérêt la prise du pouvoir par le FIS,
proche de son grand allié saoudien. Le très influent clan du général Belkheir,
impliqué dans la captation occulte de commissions à l’importation, cherchait à
entraver la montée du FIS. Les services de renseignement étaient chargés de
mener des opérations psychologiques complexes, afin de discréditer le FIS.
Le premier tour des élections législatives fut précédé par plusieurs actes
de violence comme l’attaque d’une caserne à Guemar (El Oued). Malgré tout,
l’élection se déroula comme prévu avec une majorité de sièges obtenue par
le FIS (46 %), dont les deux chefs se trouvaient en prison depuis le 30 juin
1991. La grève générale décrétée par le FIS contre une loi de découpage
électoral avait provoqué une répression des rassemblements et l’arrestation
d’Abassi Madani et d’Ali Belhadj.
Entre les deux tours de l’élection législative, alors que se mobilisent les
militants des autres partis pour préserver la démocratie, le gouvernement
Chadli est « démissionné » par l’armée. Cette fermeture brutale de la très
courte période démocratique de trois ans met en lumière les limites du système
du pouvoir bicéphale entre un clan de l’armée/Sécurité militaire et le
gouvernement de Chadli, qu’avait quitté Mouloud Hamrouche en juin. Chadli
374 Atlas historique de l’algérie
s’était engagé un peu « par effraction » (Aït Ahmed) à ouvrir au peuple l’accès
aux institutions par des élections libres. Pourtant, la structure principale du
pouvoir algérien a toujours été l’armée depuis 1962.
Les discours « révolutionnaires » du FIS avaient été perçus comme des
menaces à peine voilées contre l’oligarchie politico-militaire et une partie de
la population. Voulant se protéger ou prévenir une confrontation armée qui
mettrait en péril l’unité de la nation, les décideurs du pouvoir militaire
décident d’annuler le deuxième tour des élections législatives, qui aurait certainement
donné la majorité des sièges au FIS. Mais cette initiative du « coup
de force » s’accompagne d’arrestations massives dans les rangs du FIS.
La population algérienne a vite compris que le temps du « bâton » était
revenu. Pour les électeurs, ceux du FIS en particulier, qui s’étaient tant investis
dans les campagnes électorales et dont certains avaient péri à la suite des
violences de juin 1991, c’est un choc. En manifestant de nouveau leur mécontentement,
ils sont confrontés à une répression massive. Des camps de prisonniers
sont ouverts dans le Sahara, notamment à Reggane, Aïn M’Guel et Oued
Namous, où des milliers de personnes raflées sont emprisonnées.
Les manifestations à la sortie des mosquées se multiplient en janvier 1992
et dégénèrent le plus souvent en affrontements meurtriers avec les policiers
et militaires massivement déployés dans les villes. Avec les arrestations de
nombreux militants du FIS, plusieurs responsables du parti désormais interdit
(le 9 février) passent dans la clandestinité ou quittent l’Algérie pour se réfugier
à l’étranger. Des maquis de militants du FIS se forment dans les montagnes
au sud d’Alger et dans l’Ouarsenis tandis que certains groupes se préparent
déjà l’affrontement armé. Mais les services de renseignement infiltrent rapidement
ces groupes, qui n’ont pas encore de nom particulier.
Le Haut comité d’État, façade visible du pouvoir militaire réel, est formé
en janvier, avec l’appel à Mohamed Boudiaf pour le présider. Dirigeant historique
du FLN, il revient du Maroc apporter une certaine légitimité au coup
d’État. Boudiaf tente de reprendre en main la gestion sérieuse des affaires
du pays, mais sa marge de manœuvre se trouve rapidement réduite par la
tendance dure du commandement militaire. Il découvre les pratiques de la
corruption et l’autonomie de certains généraux. Six mois après avoir été désigné
pour redonner espoir à la population algérienne, l’ancien ministre captif
du GPRA est assassiné à Annaba par sa propre garde présidentielle le 29 juin
1992. L’été 1992 est d’ailleurs marqué par un terrible attentat qui frappe
l’aéroport international d’Alger, en pleine période de vacances.
Une insécurité gagne dans toute l’Algérie, mais principalement la région
d’Alger, où les habitudes de vie sont transformées par les violences permanentes
qui se déroulent dans les quartiers populaires de la capitale, bastions
du parti déchu. Jusqu’à la fin 1992 se mettent en place des groupes encore
faiblement armés issus du FIS notamment dans l’Atlas blidéen. C’est à partir
de 1993 qu’une Armée islamique du Salut (AIS) apparaît dans ces maquis et
commence à affronter l’armée et la gendarmerie. Plusieurs embuscades sont
rapportées entre 1993 et 1994, qui montrent un développement de la guérilla
islamique, malgré les premières opérations d’envergure de l’ANP. Mais cette
dernière n’a pas encore l’habitude de ce type de conflit asymétrique, sauf
certains de ses chefs qui ont participé à la guerre d’Algérie, dans un camp
ou un autre.
De la crise politique à la guerre civile (1991-1994) 375
Alors que les villes sont quadrillées par la police et l’armée, la violence se
développe fortement dans les régions rurales, où de nouveaux groupes armés
apparaissent, parfois sans objectifs clairs. Les violences atteignent les
grandes prisons d’Algérie, où sont détenus nombre de militants du FIS. Alors
qu’à Alger et Berrouaghia, les mutineries sont réprimées de manière sanglante,
une spectaculaire évasion se produit à Tazoult (1994) au pied des
Aurès. Toutes les régions d’Algérie ont leurs maquis « terroristes » fréquemment
ratissés et bombardés par l’armée.
Cependant, les régions du centre et du centre-ouest apparaissent les plus
affectées par ce qui s’apparente à une guerre civile larvée. Des milices sont
constituées tandis que les assassinats de personnalités se multiplient, surtout
à Alger. Mais la population se trouve très affectée par la crise économique
et la nouvelle austérité décrétée par le HCE, dans le cadre de ses obligations
au FMI. Les responsables du gouvernement ont décidé d’emprunter aux
banques et d’appliquer une stricte application des conditions du FMI. L’appauvrissement
des classes populaires est général, tandis que les années de sécheresse
se suivent dans les campagnes. Malgré les négociations à Rome
(Sant’Egidio, 13 janvier 1995) entre différents partis politiques de l’opposition
algérienne, en vue de trouver une solution à la grave crise que traverse l’Algérie,
la violence continue de s’étendre et atteint même la France, où plusieurs attentats
poussent les autorités à soutenir la répression contre le FIS, dont l’un des
membres fondateurs est exécuté en plein Paris (mosquée de la rue Myrha).
De nombreux attentats surviennent dans la région d’Alger, ciblés contre
des sites du pouvoir et des personnalités ou totalement aveugles en pleine
rue. À partir de 1995-1996 on assiste à des déplacements permanents de
populations qui fuient les régions où se déroulent des affrontements. Mais
les populations sont soumises à des pressions très fortes aussi bien de la
part des insurgés (qui réclament souvent de l’argent) que des rudes forces
militaires encore peu entraînées à la contre-guérilla. Pourtant, les insurgés
islamiques n’ont plus l’initiative sur le terrain à partir de 1995. L’armée utilise
des hélicoptères spécialement équipés pour traquer les groupes armés et
bénéficie du soutien de milices d’autodéfense. Mais la multiplicité des
groupes d’insurgés politiques ou moudjahidine autoproclamés, voire de
groupes armés de contre-guérilla, provoque beaucoup de confusion parmi la
population, qui vit sous une menace permanente. Avec les premiers grands
massacres de l’automne 1996, le conflit prend une dimension infernale.
LES ANNÉES DE SANG 1 ,
1996-1999
’est principalement dans la région de la Mitidja et dans les montagnes
au sud de Blida que survient toute une campagne de mas-
C sacres contre la population à partir de 1996. Des hameaux sont
attaqués en pleine nuit, visant des familles particulières ou des quartiers
entiers d’habitations. L’horreur de ces massacres pousse des milliers de
familles à abandonner leurs terres pour fuir aux abords des grandes villes.
Blida et la banlieue d’Alger se couvrent de constructions sommaires. L’apparition
de groupes armés non identifiés a semé la panique dans les montagnes
boisées de l’Atlas blidéen ainsi que dans l’Ouarsenis, l’autre région victime de
grands massacres.
En 1997, les villages de la Mitidja plongent dans la peur la plus totale
avec des massacres de masse perpétrés parfois aux portes même d’Alger
(Ben Aknoun, Bologhine). À Bentalha, Reiss, Chebli et autour de Larbaâ, des
centaines de familles ont été atrocement massacrées de juillet à décembre
1997. L’hiver 1997-1998 est une période de grands massacres dans la région
entre Médéa et Berrouaghia tandis que les populations de l’Ouarsenis
subissent le même sort que les habitants de l’Atlas blidéen. Les affrontements
entre l’armée et les groupes armés islamiques paraissaient baisser
d’intensité à partir de 1996. Mais les populations des régions proches au sud
et à l’ouest se retrouvent livrées à elles-mêmes, sous le feu de groupes ou
d’escadrons qui sèment la mort et la destruction. L’assassinat des moines
français de Tibhirine en mars 1996 fut un des faits marquants de cette
période.
Les régions de l’est de l’Algérie échappent cependant à ces effrayants
massacres bien que l’activité des groupes armés y soit bien réelle. C’est le
cas dans la région de Jijel, fief de l’AIS qui a mené de nombreuses embuscades
contre l’armée et la gendarmerie. Les montagnes boisées du Belezma,
du djebel Maadid et de l’Edough apparaissent comme des zones refuges pour
les maquis qui affrontent l’État (al Houkouma) en bloc, visant aussi bien des
forces de sécurité que des fonctionnaires. Mais plusieurs régions restent
1. L’expression est inspirée du titre de Mohammed Samraoui, Algérie, les années de sang.
378 Atlas historique de l’algérie
Les années de sang, 1996-1999 379
assez calmes pendant ces années d’affrontements, notamment en Grande
Kabylie, dans l’est des Aurès, l’axe Annaba-Souk Ahras-Tébessa ainsi que les
hautes plaines de l’axe Bordj Bou Arreridj-Sétif-Batna-Aïn Beïda.
À l’ouest d’Alger, les régions de l’Ouarsenis et de la chaîne du Dahra sont
les plus touchées par les violences, qui poussent des milliers de familles vers
la plaine du Chélif et en direction d’Oran. Mais si la grande ville de l’ouest est
relativement épargnée, ce n’est pas le cas autour de Tlemcen, de Mascara et
Tiaret, où affrontements et massacres marquent ces années 1996-1998, comme
si le front des massacres s’était déplacé progressivement du centre vers l’ouest
de l’Algérie.
Paradoxalement, c’est au moment où des premières négociations étaient
engagées entre l’armée et l’AIS que les plus grands massacres eurent lieu.
Le président Liamine Zéroual, nommé en 1997, chercha plusieurs solutions
pour mettre un terme aux violences en négociant une trêve avec l’AIS le
24 septembre 1997. Mais il ne représentait qu’une aile du commandement de
l’armée. Le groupe des « faucons » au sein de l’ANP/SM entendait bien éradiquer
les groupes armés d’opposition, quoi qu’en fut le prix. Mais à partir de
1998, la violence s’étend à tout le pays, dans la région des hauts plateaux
de Djelfa-Laghouat tandis que la Grande Kabylie se retrouve impliquée, avec
l’assassinat de Matoub Lounès en juin 1998.
Des émeutes éclatent dans toute la région kabyle, tandis que des groupes
armés font leur apparition dans les forêts entre Tizi Ouzou et Boumerdès,
ainsi que dans l’Akfadou. De grandes opérations de l’armée se produisent
dans la région des gorges de Lakhdaria à Draa el Mizan entre 1998 et 1999,
pendant lesquelles de nombreuses forêts sont incendiées. C’est le cas dans
la région de Jijel, où l’activité des groupes armés ne faiblit pas. À partir de
1999, les massacres de populations civiles sont apparus comme plus ciblés,
visant le plus souvent des familles entières, dans le centre et l’ouest du pays.
Mais après la sélection du candidat d’Abdelaziz Bouteflika par les décideurs
de l’armée et son élection à la présidence en avril 1999, les autorités
militaires paraissent entamer une nouvelle politique. L’ancien ministre des
Affaires étrangères de Boumediene engage une nouvelle démarche en vue
d’un retour à la paix. Son projet de « concorde civile » propose aux groupes
armés de déposer les armes dans le cadre d’une « réconciliation nationale ».
Pour contraindre les derniers groupes en activité à descendre des maquis,
l’armée multiplie les grandes opérations durant cette période dans les
Babors, la Grande Kabylie, l’Ouarsenis, les monts de Tiaret et toute la région
entre Tlemcen à Mascara.
Le référendum sur la concorde civile est adopté le 16 septembre 1999 par
plus de 98 % des voix, accordant au nouveau président un premier soutien
populaire. Car la population algérienne est épuisée par la guerre civile. Pourtant,
nombre de groupes armés ne désarment pas, dans l’est du pays, devenu
leur principal refuge. Dans les hauts plateaux de Djelfa et le djebel Amour
s’ouvrent de nouveaux fronts, tandis que les groupes armés semblent se renforcer
dans les massifs berbères de Kabylie et des Aurès.
Jusqu’en 2001, accrochages et opérations perdurent dans ces régions.
C’est d’ailleurs au cœur de la grande Kabylie qu’éclate une émeute, qui
s’étend rapidement à tout le pays kabyle. La mort d’un lycéen arrêté par la
gendarmerie à Beni Douala en avril 2001 provoque une révolte générale
380 Atlas historique de l’algérie
contre les casernes de police et de gendarmerie dans toute la région. Les
émeutes s’étendent jusqu’à Kerrata et même au-delà, dans les Aurès et le
pays chaouia jusqu’à Tébessa. Manifestations et destructions de bâtiments
publics se succèdent, rappelant les scènes d’octobre 1988. Mais ce « printemps
kabyle » devient rapidement un « printemps noir » qui fait des dizaines
de morts. Une marche immense réunit des centaines de milliers d’habitants
de Kabylie le 31 mai 2001.
Mais avec la spectaculaire opération du 11 septembre 2001 aux États-
Unis, les autorités algériennes sont conviées à prendre part à la « guerre
contre le terrorisme » (the war on terror), se posant en victimes d’un ennemi
commun. À partir de 2002, les opérations militaires contre les maquis se
concentreront principalement dans les régions de l’ouest, entre Tlemcen et
Relizane et dans pratiquement toutes les montagnes de l’Est algérien.
Des années 2003 à 2005, les affrontements armés baissent d’intensité,
sauf dans l’ouest de la Grande Kabylie, la région de Jijel-presqu’île de Collo
et dans les Aurès-Nementcha, où de nouveaux groupes semblent émerger
tels que le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat). Cependant,
un certain nombre de groupes armés marginaux vivant avec leurs
familles et sans réel programme, sinon de survivre à l’écart de la société, se
maintiennent dans les maquis.
La sécurité revient progressivement dans le pays, avec une certaine libéralisation
de l’économie initiée par le gouvernement Bouteflika. Depuis 2002, le
président lance effectivement un programme de relance de l’économie algérienne,
avec l’ouverture de grands chantiers dans tout le pays.
Les années de sang, 1996-1999 381
LA DÉCENNIE BOUTEFLIKA,
2002-2012
e président Abdelaziz Bouteflika avait envisagé depuis des années
L
l’introduction du marché au privé, afin de permettre au plus grand
nombre de produire sa propre activité. Mais le gouvernement a
l’intention d’ouvrir des grands chantiers, dans les infrastructures de transport
et l’hydraulique. Ces secteurs avaient été placés au second plan des programmes
économiques des années Boumediene-Chadli. Avec la succession
inquiétante des sécheresses dans le pays pendant la décennie noire, la question
hydraulique était revenue comme une des priorités du gouvernement
Bouteflika. De nombreux barrages sont ainsi construits dans toute l’Algérie.
Parmi les chantiers les plus impressionnants des années Bouteflika figure
celui de la construction de l’autoroute transnationale, décidée en 2005 et
lancée en 2007. Les caisses de l’État avaient commencé à se remplir, grâce
à l’augmentation du prix du pétrole consécutif à la guerre en Iraq, permettant
de financer de nombreux grands projets dont celui de l’aéroport d’Alger commencé
en 2006. La wilaya de Sétif, deuxième du pays par sa population, avait
« reçu » son aéroport en 2003.
Abdelaziz Bouteflika a d’ailleurs beaucoup pris l’avion depuis le début de
son mandat. Spécialiste de la diplomatie, le président a entrepris de nombreux
voyages auprès des partenaires de l’Algérie, qui entre dans une nouvelle
phase d’ouverture économique sans précédent. Après sa réélection en avril
2004, Bouteflika signe un accord de partenariat stratégique avec le gouvernement
français en juillet 2004. Alors que les commerciaux européens se
pressent à Alger pour négocier leurs contrats de vente de matériels à l’État
ou aux entreprises privées débarque en Algérie une myriade de travailleurs
étrangers, chinois, malaisiens, vietnamiens ou turcs, qui participent aux
grands travaux qui marqueront la décennie Bouteflika. Ils apparaissent
comme le signe d’un nouveau partenariat humain international qui contribue
à la croissance algérienne. Avec la reprise d’une forte croissance économique
en Algérie, on assiste à une explosion du secteur privé, notamment dans les
activités d’importation de biens de consommation. Bien que de nombreux
emplois soient créés, les sociétés nationales qui avaient survécu aux destructions
des années 1990 se retrouvent confrontées à la concurrence des
384 Atlas historique de l’algérie
La décennie Bouteflika, 2002-2012 385
hommes d’affaires spécialisés dans l’importation. Quant aux grandes entreprises
d’État, elles réduisent drastiquement leur personnel, pour lequel le
départ anticipé à la retraite devient généralement la règle. En 2005 il y a
300 000 entreprises privées dont 95 % de PME. Des milliers d’entreprises
privées sont créées chaque année, le plus souvent familiales et commerciales.
Cependant, cette croissance de l’activité commerciale a touché essentiellement
les villes où la population s’est concentrée depuis les années
noires. On estime entre 1 et 1,5 million le nombre de personnes déplacées
pendant la décennie de la guerre civile. Affluant à la périphérie des villes où
se sont formés des quartiers entiers d’habitations spontanées, ces populations
ont accentué la crise du logement en Algérie.
Le gouvernement Bouteflika entreprend plusieurs campagnes de
construction de logements pour répondre aux demandes massives des populations.
Mais cette politique se heurte à la corruption et au phénomène de
création de bidonvilles par des candidats aux logements sociaux. Un programme
récent d’un million de logements pour 2010-2014 a été lancé par la
présidence. Mais l’accumulation de nouvelles populations souvent rurales
dans ces nouvelles périphéries soulève la question de la paix sociale. Car la
délinquance a refait son apparition dans tout le pays.
Le retour à la sécurité avait pourtant été le principal chantier de Bouteflika,
qui avait relancé une campagne en 2005 avec la « Charte pour la paix
et la réconciliation nationale ». Approuvé par référendum le 29 septembre
2005, cet événement semblait inaugurer une nouvelle période de paix. Mais
le président Bouteflika reste affaibli par son hospitalisation en 2005 puis par
un mystérieux attentat suicide qui frappe le cœur de la capitale le
11 décembre 2007.
Il est indéniable que l’Algérie se trouvait être la cible de plusieurs tentatives
de déstabilisation. Son indépendance politique internationale ainsi que
ses ressources énergétiques du Sahara la maintiennent dans un statut de
puissance régionale, devenue incontournable après les événements politiques
violents chez ses voisins. La région de l’ouest de la Grande Kabylie, proche
de la capitale, apparaît comme le refuge idéal des derniers groupes armés,
pour faire pression sur le gouvernement. C’est dans un tel contexte qu’en
2008 Bouteflika limite les perspectives de transition politique, en faisant
sauter le verrou constitutionnel qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels
(Le Monde, avril 2019). Le troisième mandat se présente comme celui
d’une corruption massive, à la hauteur d’une trésorerie de 190 milliards de
dollars.
Les derniers chantiers ouverts par le président Bouteflika ainsi que la
nouvelle politique en particulier en direction des universités et des populations
rurales (aide à la construction) ont relancé en quelque sorte la vision
« boumédiéniste » de l’Algérie. La dimension à la fois sociale et internationale
de la stratégie présidentielle a permis au pays de retrouver une certaine stabilité.
Mais le phénomène de la globalisation a touché la population algérienne,
qui a tendance à s’individualiser, aussi bien dans son comportement
social que dans ses choix culturels. Le 8 mai 2012 à Sétif, lors de la commémoration
des massacres de 1945, Abdelaziz Bouteflika rappelait aux jeunes
que le temps de la transition des responsabilités devait commencer :
386 Atlas historique de l’algérie
« Je m’adresse aux jeunes qui doivent prendre le témoin car ma génération
a fait son temps. Après avoir libéré le pays et participé par la suite à son
édification, l’heure de la retraite a sonné pour les anciens ne pouvant plus
gérer les affaires du pays. On vous transmet le témoin. Il faut prendre soin
de ce bien construit sur des bases solides. Il ne faut pas le trahir. Les gens
qui ont libéré le pays vous disent que nous n’avons plus les forces pour continuer.
Le pays est entre vos mains prenez en soin. (…) Vous devez être fiers de
vos réalisations car on a fait beaucoup en matière d’éducation, de logements
et soins. »
Le président souligne les enjeux auxquels l’Algérie doit faire face :
« Je demeure convaincu que les jeunes, sortis par millions de l’École algérienne,
ouverts au monde de la connaissance moderne et des technologies
de la communication et conscients des défis et dangers de la mondialisation
sauront se dresser contre les ennemis du pays et faire face aux instigateurs
de la Fitna et de la division ou aux velléités d’ingérence étrangère. ».
Son discours paraît résumer le retour d’un état d’esprit boumediéniste, en
annonçant une ouverture générationnelle. Mais son clan familial en décidera
tout autrement.
La décennie Bouteflika, 2002-2012 387
Abdelaziz Bouteflika, Jacques et Bernadette Chirac, Oran, 4 mars 2003.
François Hollande et Abdelaziz Bouteflika, Alger, décembre 2012.
LE CLAN BOUTEFLIKA FACE
AU HIRAK
u moment de son discours de Sétif en 2012, le président Bouteflika
A
paraît déjà éprouvé physiquement. Il a délégué à ses ministres et
à des membres de sa famille la gestion d’un pays qui célèbre le
cinquantenaire de son indépendance en juillet. La période paraît euphorique,
et le portrait du président est affiché à chaque événement et dans la plupart
des villes. Il s’agit d’un phénomène inédit en Algérie, où, contrairement à de
nombreux pays du monde arabe, ce type de publicité a toujours été limité.
Mais dans ces années de forte croissance économique, les revendications
politiques avaient été mises au second plan. Les printemps arabes avaient
emporté leurs foules enthousiastes sur le chemin de la désillusion et pire,
avaient mené à des guerres civiles. Tandis que la Syrie, pays traditionnellement
proche de l’Algérie, sombrait dans une guerre alimentée par les puissances
régionales, les divisions libyennes menaçaient d’atteindre le sud-est
de l’Algérie et ses gisements d’hydrocarbures. En 2013, le nord du Mali devenait
quant à lui le théâtre d’une sécession touarègue, sur fond de djihadisme
transsaharien. Avec l’afflux des armes libyennes et de lointains soutiens
arabes, les groupes armés redeviennent une menace pour les intérêts français
dans la région sahélienne. Les Mirage 2000 français survoleront un ciel
algérien assombri par la faiblesse d’un président très malade (victime d’un
AVC en 2013) et otage du clan en place. Seule l’armée paraît pouvoir compenser
ce vide présidentiel, mais elle montre de graves signes de déficience dans
la crise de Tiguentourine comme dans son incapacité à sécuriser ses avions,
dont les catastrophes se succèdent. Dans un tel contexte, la mascarade de
l’élection présidentielle de 2014 (4 e mandat…) permet au pouvoir en place
d’agir en toute impunité, tout en maintenant ses programmes sociaux pour
le logement et l’emploi (Ansej, etc.). Mais ces budgets généreux sont loin
d’atteindre tous leurs ayants droit, faute de lutte contre une corruption et des
détournements massifs de programmes sociaux. Ainsi, les services hospitaliers
sont dépassés par la demande de soins, notamment anticancéreux, car
les maladies chroniques ont suivi la courbe ascendante de la croissance économique…
La pollution environnementale a accompagné ces années d’importations
massives, dans l’euphorie de la consommation à bas prix. Les
390 Atlas historique de l’algérie
contestations et émeutes sociales n’ont pas cessé. Demandes de logement
inabouties, protestations contre les pénuries d’eau potable, etc., les populations
des régions rurales ou des quartiers populaires n’ont pas désarmé.
L’insécurité s’est développée dans les quartiers des villes nouvelles, dans lesquelles
des bandes rivales s’affrontent, sur fond de trafics de stupéfiants et
autres psychotropes, véritable guerre insidieuse, qui sévit dans la jeunesse
désœuvrée.
Les populations du Sahara ont maintenu la pression sur les autorités,
revendiquant leurs droits aux services sociaux et infrastructures de santé.
Les manifestants dans la région de Ouargla n’étaient pas restés indifférents
à la question du projet de gaz de schiste. Comme souvent dans l’histoire des
révoltes en Algérie, aucune coordination ne prend forme entre les régions
contestataires. Ainsi, les rassemblements politiques contre le système
avaient-ils principalement lieu à Alger ou en Kabylie, fief contestataire historique.
Pourtant, c’est à Kerrata, à 50 km au nord de Sétif, que l’annonce
insupportable d’un 5 e mandat par les ténors du clan Bouteflika a déclenché
le début d’un mouvement d’opposition inédit, le 16 février 2019.
À partir du 22 février 2019, le mouvement d’opposition au 5 e mandat
s’étend à toutes les grandes villes et prend une forme très pacifique. Le 2 avril
2019, le chef d’État-major de l’armée Gaïd Salah « démissionne » le président
Bouteflika, lequel emporte avec lui tout un clan familial qui se retrouve visé
par une vague judiciaire sans précédent. Elle cible Saïd Bouteflika qui occupait
la responsabilité de régent à la place de son frère malade. Les oligarques
proches du cercle Bouteflika sont brutalement contraints à s’expliquer devant
la justice dans des dossiers de détournements de devises, blanchiments et
autres malversations. Ministres et walis se retrouvent assez rapidement
inquiétés par cette opération policière. Les manifestations du mouvement de
contestation, devenu le Hirak (mouvement en arabe), se poursuivent cependant,
les leaders populaires s’opposant au calendrier proposé par l’armée, qui
a maintenu un certain nombre de ministres du clan Bouteflika. L’arrestation
d’anciens hauts responsables du DRS, acteurs majeurs de la machine répressive
des années 1990, a marqué cette révolution interne au système politicomilitaire
qui dirigeait le pays depuis 1962. Le printemps algérien du Hirak a
révélé le dynamisme d’une société urbaine devenue exigeante, et déterminée
à s’affranchir d’une tutelle et d’un unanimisme dépassés. Force de proposition,
cette génération du Hirak ne renie pas la culture révolutionnaire, dont
elle revendique l’héritage. Mais la confiscation de la gestion du pays par un
clan quasi tribal lui était devenue inacceptable.
Couverture de L'Obs, mars 2019.
Le clan Bouteflika face au Hirak 391
L’ALGÉRIE EN 2022 ET LES
DÉFIS DE LA MONDIALISATION
(RÉSEAUX, PANDÉMIE, CRISE
DU PÉTROLE…)
près les succès du Hirak, une évolution politique paraît aboutir en
A
Algérie avec l’élection du président Tebboune en décembre 2019.
Bien que controversée, cette élection-nomination d’un diplômé de
l’École nationale d’administration met en avant un grand commis de l’État,
avec les promesses d’une gestion rationnelle du pays. Les vingt ans des gouvernements
Bouteflika (1999-2019) avaient été marqués par une croissance
économique continue et une mise en chantier du pays. Mais les ressources
principales de l’économie algérienne sont restées dépendantes des hydrocarbures
sahariens.
Le Sahara algérien, par son immensité et son ouverture africaine, apparaît
comme un espace géopolitique majeur en 2020. Les flux migratoires transsahariens
témoignent d’une activité humaine renouvelée dans le Sud algérien.
La population algérienne actuelle intègre des milliers de Subsahariens, réfugiés
ou migrants économiques. Bien que leur statut ne soit pas favorisé par
les autorités, la présence des Subsahariens et Ouest-Africains est devenue
une des réalités du Sahara algérien. L’Algérie n’est donc plus uniquement un
pays de transit mais aussi d’installation des migrants, dont la dynamique ne
paraît pas faiblir.
L’exportation des hydrocarbures algériens vers l’Europe ne garantit pas
des ressources financières suffisantes dans un contexte de baisse constante
des cours du baril de pétrole depuis 2014. La stratégie saoudienne a accentué
cette baisse en 2019, avant la chute historique du printemps 2020. Pourtant,
l’Algérie dispose de ressources minières notables, notamment dans le
Sahara. Des secteurs de l’agroalimentaire exportent leurs productions dans
les pays proches. Le potentiel touristique de l’Algérie, avec son littoral méditerranéen
et ses sites culturels classés, reste quant à lui peu exploité économiquement,
malgré le retour de la sécurité. Le marché reste national et les
perspectives d’accueillir des flux touristiques européens importants ne
394 Atlas historique de l’algérie
paraissent toujours pas au programme. Pourtant, le transport aérien n’a
cessé de croître, malgré la faible concurrence des compagnies étrangères.
Les destinations de la compagnie nationale Air Algérie pourraient résumer la
carte d’une diaspora algérienne (estimée à 8 millions de personnes). L’importante
circulation de la population franco-algérienne vers l’Algérie exerce une
certaine influence sur la société très urbanisée et connectée. La très forte
utilisation des réseaux sociaux numériques a cependant ouvert d’autres
fenêtres sur le monde. Longtemps focalisés sur la France et le Moyen-Orient,
les téléspectateurs algériens disposent de nouveaux accès à l’information et
des divertissements inédits, mais toujours dominés par le football et les
séries type « drama coréen ». Pourtant, jamais les Algériens n’auront autant
voyagé. De La Mecque à Istanbul, l’Orient reste leur destination touristique
préférentielle tandis que les étudiants se rendent désormais autant dans les
universités françaises que canadiennes ou chinoises. En mars 2020, la pandémie
du Covid-19 aura été le révélateur de la dépendance économique aux
revenus du pétrole en chute libre et d’un système hospitalier décrié depuis
vingt ans.
Sa proximité avec l’Europe et son arrière-pays saharien offrent à l’Algérie
de demain une situation géostratégique unique. Le pays est loin d’avoir épuisé
toutes ses ressources. L’énergie solaire saharienne apparaît comme l’une des
cartes de la politique énergétique algérienne, complétant des gisements de
métaux précieux et stratégiques. Le Sahara constitue bien la réserve stratégique
majeure des futurs de l’Algérie. Le potentiel universitaire, porté par une
jeunesse dynamique, pourrait, si le système de népotisme et de cooptation
des élites ne l’empêche pas, relancer un projet global. Cette « Algérie empêchée
» (Akram Belkaïd) et la saturation urbaine qui caractérise le nord de
l’Algérie pourraient cependant bien constituer une bombe à retardement,
dans un pays qui n’a toujours pas réglé de nombreuses questions, notamment
les contentieux de la guerre civile.
La pandémie du Covid-19, en mettant en pause les questions politiques,
aura révélé l’importance des solidarités et des ressources agroalimentaires
locales. L’importation de masse qui caractérise l’économie algérienne est
remise en cause, comme ailleurs dans le monde. Un retour aux ressources
locales pourrait bien apparaître comme l’une des clés d’une autosuffisance
alimentaire. Les méfaits de l’alimentation actuelle, source de maladies chroniques
très importantes en Algérie, restent un défi aussi important que celui
du Covid-19. Des milliers d’Algériens partent se soigner ou étudier à l’étranger.
Sans la priorisation des secteurs de la santé et de l’éducation, les projets
de l’Algérie 2.0 resteront un vœu pieux. La sortie de l’épreuve du Covid-19
devrait probablement marquer une étape significative, dans la prise en
compte de tels enjeux pour le développement de l’Algérie de demain.
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont activement contribué à
la réalisation de cet ouvrage, en particulier Pierre Vermeren et Leïla Latrèche.
Je remercie également les nombreux passionnés et les personnes investies
dans l’histoire et la mémoire de l’Algérie : Jacques Frémeaux, qui a rédigé la
préface, Frédéric Grasset et Paul Malmassari, qui m’ont également encouragé
dans mes travaux.
J’ai également bénéficié du soutien du cercle familial et d’amis toujours
dévoués, de Lyon à Paris, et de Tunis à El Eulma, en particulier Luiz Carlos,
Amal, Benziane, Marc, Linda, Mamoudou, Solvej, Anouck, Walid, Nourredine,
Sylla, Noamen Rebai, Rihem, Guillaume et Mounir.
Enfin, je remercie tous les professionnels des centres d’archives de France
et des bibliothèques, la Fondation GACMT, l’Amicale des Sahariens, les étudiants
et enseignants du Master CIAMO Paris 1-Panthéon Sorbonne.
396 Atlas historique de l’algérie
Carte arabe médiévale représentant l'Occident musulman.
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES GÉNÉRAUX SUR L’ALGÉRIE –ATLAS
« Algérie », Geo, numéro spécial, n° 114, août 1988.
Algérie, atlas historique, géographique, économique, Alger, Gouvernement
général, 1938.
« L’Algérie au cœur », Geo, numéro spécial, n° 229, mars 1998.
« Atlas de la Méditerranée », L’Histoire, hors-série « Les atlas », n° 1, mai
2010.
« L’Atlas des civilisations », Le Monde-La Vie, hors-série 2009.
Algérie et Tunisie, Hachette, « Les Guides bleus », 1916.
« Algérie, 1830-1987. Histoire et nostalgie », Historia, n° 86, juin 1987.
Atlas 2000, la France et le monde, Paris, Nathan, 1992.
Atlas routier France, Clermont-Ferrand, Michelin, 1998.
BERNARD Augustin, DE FLOTTE DE ROQUEVAIRE R., Atlas d’Algérie et de Tunisie,
Alger et Paris, Gouvernement général de l’Algérie, Direction des services
économiques, Service cartographique, 1923-1935.
CÔTE Marc, Guide d’Algérie, Constantine, Média-Plus, 2006.
Djazaïrouna, l’atlas pratique de l’Algérie, INCT, Alger, 2004.
DORIGNY Marcel, KLEIN Jean-François, PEYROULOU Jean-Pierre et al., Grand
atlas des empires coloniaux, Paris, Autrement, 2019.
DUBY Georges, Atlas historique mondial, Larousse, 2000.
ELLYAS Akram B., À la rencontre du Maghreb, Paris, La Découverte, 2001.
FAUVELLE François-Xavier, SURUN Isabelle (dir), Atlas historique de l’Afrique,
Paris, Autrement, 2019.
GOUROU Pierre, Atlas classique, Paris, Hachette, 1956.
GRESH Alain, REKACEWICZ Philippe, VIDAL Dominique (dir.), « L’Atlas 2006 du
Monde diplomatique », Le Monde diplomatique, hors-série 2006.
HENRY Jean-Robert (dir.), L’Algérie et la France. Destins et imaginaires croisés,
Marseille, Images en manœuvres, 2003.
JULIEN Charles-André, Histoire de l’Afrique du Nord des origines à 1830, Paris,
Payot, 1994 (1 re éd. 1951).
KHANZADIAN Z., Atlas de géographie historique de l’Algérie. Livre d’or du Centenaire
1830-1930, Paris, s.n., 1930.
398 Atlas historique de l’algérie
Mémoires du XX e siècle. 1920-1929, Encyclopédie Bordas, Paris, Bordas-SGED,
1990.
PELEGRI Jean, ADAM André, BASDEVANT Denise et al., L’Algérie, Larousse,
« Collection Monde et voyages », 1977.
NYSSEN Hubert, L’Algérie, Paris, Arthaud, 1972.
STEMMELEN Éric, AGERON Suzanne, AGERON Charles-Robert et al., Algérie,
Hachette, « Les Guides bleus », 1986.
PRÉHISTOIRE
« Algérie Antique », Dossiers d’archéologie, n° 286, septembre 2003.
AUMASSIP Ginette, L’Algérie des premiers hommes, Paris, EMSH, 2001.
« Préhistoire de l’Algérie », Dossiers d’archéologie, n° 282, avril 2003.
PROTOHISTOIRE –ANTIQUITÉ
BLAS DE ROBLÈS Jean-Marie, SINTES Claude, Sites et monuments antiques de
l’Algérie, Aix-en-Provence, Edisud, 2003.
BOUCHENAKI Mounir, Cités antiques d’Algérie, Alger, Ministère de la Culture,
1978.
CHAKER Salem (dir.), Encyclopédie Berbère, vol. XXVI : Judaïsme-Kabylie, Aixen-Provence,
Edisud, 2004.
CHENOUF Aïssa, Les Juifs d’Algérie, Alger, El Maarifa, 1999.
COLTELLONI-TRANNOY Michèle, Le Royaume de Maurétanie sous Juba II et Ptolémée,
Paris, Éditions du CNRS, 1997.
COURTOIS Christian, Les Vandales et l’Afrique, Paris, Gouvernement général
d’Algérie, Direction de l’Intérieur et des Beaux-Arts, Service des antiquités,
Arts et Métiers graphiques, 1955.
DELVERT Ray, DI MEGLIO Guy, L’Algérie au cœur vue du ciel en 1951, Jean-Paul
Gisserot, Paris, 2002 (1 re éd. 1989).
DE VITA Victor, Histoire de la persécution vandale en Afrique du Nord, Paris, Les
Belles Lettres, 2002.
DIEHL Charles, L’Afrique byzantine, Paris, E. Leroux, 1896.
DUPUIS Xavier, LEPELLEY Claude (dir.), Frontières et limites de l’Afrique du nord
antique, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.
FENTRESS Elizabeth, Numidia and the Roman Army, Oxford, BAR International
Series 53, 1979.
FÉVRIER Paul-Albert, Approches du Maghreb romain, t. I et t. II, Aix-en-Provence,
Edisud, 1989 et 1990.
GSELL Stéphane, L’Algérie dans l’Antiquité, Alger, Giralt imprimeur, 1900.
HIRSCHBERG H. Z., A history of the Jews in North Africa, vol.1:From Antiquity
to the Sixteenth Century, Leyde, Brill, 1974.
JEDIN Hubert, LATOURETTE Kenneth Scott, MARTIN Jochen (ed.), Atlas d’histoire
de l’Église, Turnhout, Brepols, 1990.
KADDACHE Mahfoud, L’Algérie dans l’antiquité, Alger, ENAL, 1992.
KOLENDO Jerzy, Le colonat en Afrique sous le Haut-Empire, Les Belles Lettres,
1991.
Bibliographie 399
LANCEL Serge, L’Algérie antique, Paris, Mengès, 2003.
LARONDE André, GOLVIN Jean-Claude, L’Afrique antique. Histoire et monuments,
Paris, Tallandier, 2001.
LEBRUN François (dir.), Les grandes dates du christianisme, Paris, Larousse,
1989.
LE GALL Joël, LE GLAY Marcel, L’Empire romain, Paris, PUF, 1992.
LEPELLEY Claude, Aspects de l’Afrique romaine. Les cités, la vie rurale, le christianisme,
Bari, Edipuglia, 2001.
RACHET Marguerite, Rome et les Berbères. Un problème militaire d’Auguste à
Dioclétien, Bruxelles, Latomus, 1970.
« Saint Augustin », Lire, numéro spécial, n° 400, novembre 2011.
SALAMA Pierre, Les voies romaines de l’Afrique du Nord, Alger, Imprimerie officielle,
1950.
VAN DER MEER, Frederick, Atlas de l’Antiquité chrétienne, Paris-Bruxelles,
Sequoia, 1960.
PÉRIODE MÉDIÉVALE
ABU KHALIL Shauqi, Atlas of the Qu’rân, Ryadh, Darussalam, 2003.
BEL Alfred, Les Benou Ghâniya, Paris, E. Leroux, 1903.
BLACHÈRE Régis, Extraits des principaux géographes arabes du Moyen Âge,
Paris, Klincksieck, 1957.
BOUROUIBA Rachid, L’architecture militaire de l’Algérie médiévale, Alger, OPU,
1983.
CORNU Georgette, Atlas du monde arabo-islamique à l’époque classique, IX e -
X e siècles, Leyde, E. J. Brill, 1985.
DACHRAOUI Farhat, Le califat fatimide au Maghreb, Tunis, STD, 1981.
DJAIT Hichem, « La wilaya d’Ifriqiya au II e -VIII e siècle », Studia Islamica, n° XVII,
1967.
GOLVIN Lucien, Le Magrib central à l’époque des Zirides, Paris, Arts et Métiers
Graphiques, 1957.
IBN KHALDUN, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique
septentrionale, trad. par le baron de Slane, Alger, Imprimerie du Gouvernement,
1856.
IDRIS Hady Roger, La Berbérie orientale sous les Zirides, Paris, Librairie d’Amérique
et d’Orient Adrien Maisonneuve, 1962.
IDRIS Hady Roger, « Le récit d’Al-Maliki sur la conquête de l’Ifriqiya. Traduction
annotée et examen critique », Revue des études islamiques, n° 37, 1969/1,
p. 117-149.
JAUBERT P. Amédée, La géographie d’Idrissi, Amsterdam, Philo Presse, 1975.
KADDACHE Mahfoud, L’Algérie médiévale, Alger, ENAL, 1992 (2 e éd.).
KENNEDY Hugh, An Historical Atlas of Islam, Leyde, Brill, 2002.
Kettermann Günter, Atlas zur Geschichte des Islam, Darmstadt, Primus Verlag,
2001.
MARÇAIS Georges, « La Berbérie au IX e siècle d’après El-Ya’qoûbi », Revue
africaine, vol. 85, 1941, p. 40-61.
OLIEL Jacob, Les Juifs au Sahara. Le Touat au Moyen Âge, Paris, CNRS éditions,
1994.
400 Atlas historique de l’algérie
OLIEL Jacob, Les Juifs au Sahara, une présence millénaire, Montréal, Élysée,
2007.
PRINGLE Denys, The Defence of Byzantine Africa from Justinian to the Arab
Conquest, Londres, BAR International Series 99(i), 1981.
TALBI Mohamed, L’émirat aghlabide, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient
Adrien Maisonneuve, 1966.
THIRY Jacques, Le Sahara libyen dans l’Afrique du Nord médiévale, Leuven,
Orientalia, 1995.
VONDERHEYDEN Maurice, La Berbérie orientale sous la dynastie des Benoûl-
Arlab, Paris, Geuthner, 1927.
PÉRIODE OTTOMANE
BACHELOT Bernard, Louis XIV en Algérie, Monaco, Éditions du Rocher, 2003.
BENNASSAR Bartolomé, JACQUART Jean, Le XVI e siècle, Paris, Armand Colin,
2002.
BRAHIMI Denise, Opinions et regards des Européens sur le Maghreb aux XVII e et
XVIII e siècles, Alger, SNED, 1978.
CHARLES-ROUX F., France et Afrique du Nord avant 1830, Paris, Librairie Félix
Alcan, 1932.
EISENBETH Maurice, Les Juifs en Algérie et en Tunisie à l’époque turque, Alger,
Société historique africaine, 1952.
GRAMMONT H. D. de, Histoire d’Alger sous la domination turque, Paris,
E. Leroux, 1887.
HAUDRÈRE Philippe, La Compagnie française des Indes au XVIII e siècle (1719-
1795), Paris, Librairie de l’Inde, 1989.
HEERS Jacques, Les Barbaresques. La course et la guerre en Méditerranée, XIV-
XVI e siècle, Paris, Perrin, 2001.
HESS Andrew C., « The Forgotten Frontier: the Ottoman North African Provinces
during the Eighteenth Century », in Studies in Eighteenth Century
Islamic History, p. 74-88, 1977.
KADDACHE Mahfoud, L’Algérie durant la période ottomane, Alger, OPU, 1998.
KHIARI Farid, Vivre et mourir en Algérie. L’Algérie ottomane aux XVI e -XVII e siècles :
un destin confisqué, Paris, L’Harmattan, 2002.
LEBRUN François, Le XVII e siècle, Paris, Armand Colin, 1994.
MANTRAN Robert, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989.
PETER Jean, Les Barbaresques sous Louis XIV. Le duel entre Alger et la Marine
du Roi (1681-1698), Paris, Economica, 1997.
PITCHER Donald Edgar, An Historical Geography of the Ottoman Empire, Leyde,
E. J. Brill, 1972.
SHALER William, Esquisse de l’État d’Alger, Saint-Denis, Éditions Bouchène,
2001 (1 re édition 1830).
TEMIMI Abdeijalil, Le Beylik de Constantine et Hadj Ahmed Bey, Tunis, Publications
de la Revue d’histoire maghrébine, 1978.
VAYSSETTES Eugène, Histoire de Constantine sous la domination turque, Saint-
Denis, Éditions Bouchène, 2003.
Bibliographie 401
CONQUÊTE ET COLONISATION FRANÇAISES, 1830-1945
ABITBOL Michel, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, Riveneuve, 2008.
« Algérie », Historia, numéro spécial, n° 486, juin 1987.
« Algérie », Revue historique de l’Armée, numéro spécial, n° 2, juin 1953.
« Algérie-Sahara », Revue historique de l’Armée, numéro spécial, n° 4,
novembre 1959.
AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, BECKER Jean-Jacques (dir.), Encyclopédie de la
Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004.
AYOUN Richard, COHEN Bernard, Les Juifs d’Algérie, deux mille ans d’histoire,
Paris, JC Lattès, 1982.
BARBIER Maurice, Voyages et exploration au Sahara occidental au XIX e siècle,
Paris, L’Harmattan, 1985.
BERBRUGGER Adrien, Les époques militaires de la Grande Kabylie, Alger, Bastide,
1857.
BERNARD Augustin, Afrique septentrionale et occidentale, in P. Vidal de La
Blache, L. Gallois (dir.), Géographie universelle, tome XI, Paris, Armand
Colin, 1939.
BONTEMS Claude, Manuel des institutions algériennes, tomeI:De la domination
turque à l’indépendance, Paris, Éditions Cujas, 1976.
BOUCHAMA Kamel, Les Algériens à Bilâd ec-Sham, de Sidi Boumediène à l’émir
Abdelkader (1187-1911), Alger, Juba, 2010.
BOURDET-PLÉVILLE Michel, Des galériens, des forçats, des bagnards, Paris,
Plon, 1957.
CAPOT-REY Robert, Le Sahara français, Paris, PUF, 1953.
CARLIER Claude, PEDRONCINI Guy, Les troupes coloniales dans la Grande
Guerre. Actes du colloque organisé pour le 80 e anniversaire de la bataille de
Verdun le 27 novembre 1996 à Verdun au Centre mondial de la paix, Paris,
Economica, 1997.
CHAMOISEAU Patrick, Guyane. Traces-mémoires du bagne, Paris, CNMHS, 1994.
CHOURAQUI André, Histoire des juifs en Afrique du Nord, Paris, Hachette, 1985.
COHEN Jean-Louis, OULEBSIR Nabila, KANOUN Youcef, Alger. Paysage urbain et
architectures, 1800-2000, Besançon, Les Éditions de l’imprimeur, 2003.
DAUMAS Eugène, CHANCEL Ausone de, Le grand désert, Paris, N. Chaix, 1848.
DEYGAS F.-J. capitaine, L’Armée d’Orient dans la guerre mondiale, 1915-1919,
Paris, Payot, 1932.
DIRECHE-SLIMANI Karima, Chrétiens de Kabylie, 1873-1954, Alger, EDIF, 2000.
« Dragoon. Débarquement de Provence », 39-45 Magazine, n° 97-98, juilletaoût
1994.
DURAND-ÉVRARD Françoise, MARTINI Lucienne (dir.), Archives d’Algérie (1830-
1960), Paris, Hazan, 2003.
EMERIT Marcel, Les liaisons terrestres entre le Soudan et l’Afrique du Nord au
XVIII e et au début du XIX e siècle, Alger, Imprimerie de Imbert, 1954.
ENFANTIN Barthélémy-Prosper, Colonisation de l’Algérie, Paris, P. Bertrand,
1843.
FRÉMEAUX Jacques, Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Paris,
Denoël, 1993.
GARÇON Maurice, Les bagnes, Paris, Mercure de France, 1925.
402 Atlas historique de l’algérie
GAUTIER E.-F., Le passé de l’Afrique du Nord, Paris, Payot, 1952.
GAUTIER E.-F., Le Sahara, Paris, Payot, 1928.
GRÉVOZ Daniel, Les méharistes français à la conquête du Sahara (1900-1930),
Paris, L’Harmattan, 1994.
GSELL Stéphane, Exploration scientifique de l’Algérie, Paris, E. Ledoux, 1912.
HIRTZ Georges, L’Algérie nomade et ksourienne 1834-1954, Marseille, Tacussel,
1989.
JACQUOT Félix, Expédition du général Cavaignac dans le Sahara algérien en avril
et mai 1847, Paris, Gide et J. Baudry libraires-éditeurs, 1849.
JULIEN Charles-André, Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF, 1964.
KATEB Kamel, Européens, « indigènes » et Juifs en Algérie (1830-1962). Représentations
et réalité des populations, Paris, INED, 2001.
KOUMAS Ahmed, NAFA Chéhrazade, L’Algérie et son patrimoine. Dessins français
du XIX e siècle, Paris, Monum-Éditions du Patrimoine, 2003.
LALLAOUI Mehdi, Algériens du Pacifique, les déportés de la Nouvelle-Calédonie,
Alger, Zyriab, 2001.
LELEU Jean-Luc, PASSERA Françoise, QUELLIEN Jean (dir.), La France pendant
la Seconde Guerre mondiale. Atlas historique, Paris, Fayard-Ministère de la
Défense, 2010.
LAMARQUE Philippe, Les très riches heures de l’Algérie, Sommières, Romain
Pages éditeur, 2004.
MAILHE Germaine, Déportation en Nouvelle-Calédonie des communards et des
révoltés de la Grande Kabylie (1872-1876), Paris, L’Harmattan, 1995.
MALTE-BRUN Victor-Adolphe, Résumé historique de la grande exploration de
l’Afrique centrale faite de 1880 à 1855 par J. Richardson, H. Barth, A. Overweg…,
Paris, A. Bertrand, 1856.
MARTIN Claude, Les israélites algériens de 1830 à 1902, Paris, Herakles, 1936.
MARTONNE Emmanuel de, « La structure géographique de l’Afrique du nord
française. À propos de la nouvelle carte de l’“atlas Vidal La Blache” »,
Annales de géographie, n° 235, p. 61-72, 1933.
MICHELOT Jean-Claude, La guillotine sèche. Histoire des bagnes de Guyane,
Paris, Fayard, 1981.
MINISTÈRE DE LA GUERRE, Tableau de la situation des établissements français
dans l’Algérie, Paris, Imprimerie royale, 1846.
NANTET Bernard, Le Sahara. Histoire, guerres et conquêtes, Paris, Tallandier,
2013.
NICOMÈDE Gaston, « Un coin de la colonisation pénale. Bourail en Nouvelle-
Calédonie, 1883-1885, Bulletin de la Société de géographie de Rochefort,
tome VII, n° 3, p. 161-246, 1885.
NODIER Charles, Journal de l’expédition des Portes de Fer, Paris, Imprimerie
royale, 1844.
NOUSCHI André, La naissance du nationalisme algérien, 1914-1954, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1962.
OUENNOUGHI Mélica, Algériens et Maghrébins en Nouvelle-Calédonie de 1864 à
nos jours, Alger, Casbah éditions, 2008.
PÉAN Pierre, Main basse sur Alger. Enquête sur un pillage, juillet 1830, Paris,
Plon, 2004.
PELLISSIER DE REYNAUD Edmond, Annales Algériennes, Alger, Librairie Bastide,
1854.
Bibliographie 403
PEYEIMHOFF DE FONTANELLE Henri de, Enquête sur les résultats de la colonisation
officielle de 1871 à 1895. Rapport à M. Jonnart, gouverneur général de
l’Algérie, Alger, Imprimerie de Torrent, 1906.
PIERRE Michel, La terre de la grande punition. Histoire des bagnes de Guyane,
Paris, Ramsay, 1982.
PRAX J., Commerce de l’Algérie avec La Mecque et le Soudan, Paris, J. Rouvier,
1849.
RINN Louis, Histoire de l’insurrection de 1871 en Algérie, Alger, A. Jourdan,
1891.
RIVIÈRE Léon, La Guyane française en 1865, Cayenne, Imprimerie du Gouvernement,
1866.
ROUSSET Camille, La conquête de l’Algérie, 1841-1857, Paris, E. Plon, Nourrit
et Cie, 1889.
SARI Djilali, L’insurrection de 1881-1882, Alger, SNED, 1981.
SARI Djilali, La dépossession des fellahs (1830-1962), Alger, ENAG, 2010.
« Seconde Guerre mondiale », Historia magazine, numéros spéciaux, n° 82,
84, 87.
SICARD Christian, La Kabylie en feu. Algérie 1871, Paris, Georges Sud, 1998.
STORA Benjamin, Histoire de l’Algérie coloniale, 1830-1954, Paris, La Découverte,
1991.
STORA Benjamin, Les immigrés algériens en France. Une histoire politique,
1912-1962, Paris, Hachette Littératures, 2009.
TEMIME Émile, « La migration européenne en Algérie au XIX e siècle : migration
organisée ou migration tolérée ? », Revue de l’Occident musulman et de la
Méditerranée, n° 43, 1987, p. 31-45.
VATIN Jean-Claude, L’Algérie politique, histoire et société, Paris, Fondation
nationale des sciences politiques, 1974.
YACONO Xavier, Histoire de la colonisation française, Paris, PUF, 1969.
ZURCHER Magali, La pacification et l’organisation de la Kabylie (1838-1870),
Paris, Les Belles Lettres, 1948.
NATIONALISME -RÉPRESSION DE 1945
« Colonisation. Les massacres oubliés », L’Histoire, n° 318, mars 2007.
HABERBUSCH Benoît, La gendarmerie en Algérie (1939-1945), Maisons-Alfort,
SHGN, 2004.
JAUFFRET Jean-Charles, La guerre d’Algérie par les documents, Vincennes,
SHAT, 1990.
PEYROULOU Jean-Pierre, Guelma, 1945, Paris, La Découverte, 2009.
REY-GOLDZEIGUER Annie, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945, Paris,
La Découverte, 2002.
STORA Benjamin, DAOUD Zakya, Ferhat Abbas. Une autre Algérie, Alger, Casbah
éditions, 1995.
VÉTILLARD Roger, Sétif, Guelma, mai 1945. Massacres en Algérie, préface de
Guy Pervillé, Versailles, Éditions de Paris, 2008.
404 Atlas historique de l’algérie
FILMS DOCUMENTAIRES
ADI Yasmina, L’autre 8 mai 1945. Aux origines de la guerre d’Algérie, Compagnie
des phares et balises, France 2, 2008.
LALLAOUI Mehdi, Les massacres de Sétif. Un certain 8 mai 1945, Point du Jour-
Mémoires vives Productions, Arte, 1995.
GUERRE D’ALGÉRIE
AGERON Charles-Robert, « Un versant de la guerre d’Algérie : la bataille des
frontières (1956-1962) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°46-
2, avril-juin 1999, p. 348-359.
« Algérie », Revue historique de l’Armée, numéro spécial, n° 2, juin 1953.
Algérie, naissance de mille villages, Alger, Imprimerie Baconnier, 1960.
« Algérie-Sahara », Revue historique de l’Armée, numéro spécial, n° 4,
novembre 1959.
ALLEG Henri, La guerre d’Algérie, Paris, Temps actuels, 1981.
AMIROUCHE Hamou, Akfadou. Un an avec le colonel Amirouche, Alger, Casbah
éditions, 2013.
BAILLET Pierre, Les rapatriés d’Algérie en France, Paris, La Documentation
française, 1976.
BARRILLOT Bruno, L’héritage de la bombe. Sahara, Polynésie, 1960-2002. Les
faits, les personnels, les populations, Lyon, CDRPC, 2002.
« Les bases secrètes du Sahara », Science et Vie, hors-série, « Algérie 1954-
1962 : la dernière guerre des Français », n° 19, octobre 2004.
BEKKA Ouari, Parcours d’un maquisard de la Wilaya III, Béjaïa, Talantikit, 2006.
BOUCHÈNE Abderrhamane, PEYROULOU Jean-Pierre, TENGOUR Ouanassa Siari,
THÉNAULT Sylvie, Histoire de l'Algérie à la période coloniale, 1830-1962,
Paris, La Découverte, 2014.
BRANCHE Raphaëlle (présenté par), La guerre d’indépendance des Algériens,
1954-1962, Perrin, 2009.
BRANCHE Raphaëlle, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Paris,
Gallimard, 2001.
BRANCHE Raphaëlle, THÉNAULT Sylvie, La guerre d’Algérie, Paris, La Documentation
française, 2001.
CATTET Serge, La Tourmente, 1830-1964. La France en Afrique du Nord, Paris,
LBM, 2010.
CHEMOUILLI Henri, Une diaspora méconnue : les Juifs d’Algérie, Paris, à compte
d’auteur, 1976.
CHERQUI A., « L’activité sioniste en Algérie », La Vie juive, n° 14, 1951.
CLAYTON Anthony, Histoire de l’armée française en Afrique, 1830-1962, Paris,
Albin Michel, 1994.
CÔMES Jean-Pierre, « Ma » guerre d’Algérie et la torture, Paris, L’Harmattan,
2002.
CORNATON Michel, Les camps de regroupement de la guerre d’Algérie, Paris,
L’Harmattan, 1998.
COURRIÈRE Yves, La guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 1968-1971.
Bibliographie 405
DERDER Peggy, Immigration algérienne et guerre d’indépendance, Paris, La
Documentation française, 2012.
FAIVRE Maurice, Le renseignement dans la guerre d’Algérie, Panazol, Lavauzelle,
2006.
FARALE Dominique, La bataille des monts Nementcha (Algérie 1954-1962). Un
cas concret de guerre subversive et contre-subversive, Paris, Economica,
2012.
FAVRELIÈRE Noël, Le désert à l’aube, Paris, Éditions de Minuit, 1960.
GALULA David, Contre-insurrection. Théorie et pratique, Paris, Economica, 2006.
« La guerre d’Algérie », Carto, n° 9, janvier-février 2012.
« La guerre d’Algérie », Historia magazine, n° 1-112, 1971-1973.
« La guerre d’Algérie », Histoire mondiale des conflits, n° 7, janvier-février
2005.
La guerre d’Algérie, Paris, Gaje-FNACA, 2002.
« Guerre d’Algérie. Mémoires parallèles », Le Monde, hors-série, n° 28,
février-mars 2012.
Historique des compagnies méharistes, 1902-1952, Alger, Gouvernement général
de l’Algérie, Direction des territoires du Sud, 1955.
HORNE Alistair, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Pygmalion, 1987.
JAUFFRET Jean-Charles, Ces officiers qui ont dit non à la torture, Paris, Autrement,
2005.
JORDI Jean-Jacques, 1962 : l’arrivée des pieds-noirs, Paris, Autrement, 1995.
KADRI Aïssa, BOUAZIZ Moula, QUEMENEUR Tramor (dir.), La guerre d’Algérie
revisitée, Paris, Khartala, 2015.
LAPOUGE Jean, De Sétif à Marseille, par Cassino. Carnets de guerre de Jean
Lapouge, sous-lieutenant au 7 e RTA. Campagnes de Tunisie, Italie et Provence,
1942-1944, Parçay-sur-Vienne, Anovi, 2007.
LEBJAOUI Mohamed, Vérités sur la révolution algérienne, Paris, Gallimard,
1970.
LEVINE Michel, Les ratonnades d’octobre. Un meurtre collectif à Paris en 1961,
Paris, Ramsay, 1985.
LEVISSE-TOUZÉ Christine, L’Afrique du Nord dans la guerre, 1939-1945, Paris,
Albin Michel, 1998.
LOUSTEAU Henry-Jean, Guerre en Kabylie, 1956-1961, Paris, Albin Michel, 1985.
MAADAD Messaoud, Guerre d’Algérie, chronologie et commentaires, Alger,
ENAG, 1992.
MADACI Mohamed Larbi, Les tamiseurs de sable. Aurès-Nememcha, 1954-1959,
Alger, ANEP, 2001.
MALTI Hocine, Histoire secrète du pétrole algérien, Paris, La Découverte, 2012.
MAUSS-COPEAUX Claire, Algérie, 20 août 1955, Paris, Payot, 2011.
MELNIK Constantin, De Gaulle, les services secrets et l’Algérie, Paris, Nouveau
Monde éditions, 2010.
MINISTÈRE DE L’INFORMATION ET DE LA CULTURE, De l’ALN à l’ANP, Alger, MIC,
1979.
MSELLATI Henri, Les Juifs d’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, L’Harmattan,
1999.
« Nom de code : B2-Namous. Quand la France testait ses armes chimiques
en Algérie », Le Nouvel Observateur, n° 1720, 23 octobre 1997.
PERVILLÉ Guy, Atlas de la guerre d’Algérie, Paris, Autrement, 2003.
406 Atlas historique de l’algérie
PERVILLÉ Guy, « L’insertion internationale du FLN algérien », 3 juin 2007.
guy.perville.free.fr
PORTEU DE LA MORANDIÈRE François, Soldats du djebel, Paris, Société de production
littéraire, 1979.
QUEMENEUR Tramor, STORA Benjamin, « La guerre d’Algérie », Geo, Les dossiers
de l’histoire, 2012.
RAHMANI Abdelkader, L’affaire des officiers algériens, Paris, Éditions du Seuil,
1959.
RENAUD Patrick-Charles, Combats sahariens, 1955-1962, Paris, Jacques Grancher,
1993.
ROBIN Marie-Monique, Escadrons de la mort, l’école française, Paris, La
Découverte, 2008.
SCHWEISGUTH Charles, Journal de Kabylie, Toulouse, Privat, 2006.
SHEPARD Todd, 1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la
France, Paris, Payot, 2008.
STORA Benjamin, Les immigrés algériens en France. 1912-1962, une histoire
politique, Paris, Hachette littérature, 2009.
STORA Benjamin, Algérie 1954, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2004.
STORA Benjamin, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 2004.
STORA Benjamin, QUEMENEUR Tramor, Algérie, 1954-1962. Lettres, carnets et
récits des Français et des Algériens dans la guerre, Paris, Les Arènes, 2010.
STORA Benjamin, La guerre d’Algérie expliquée en images, Paris, Seuil, 2014.
THÉNAULT Sylvie, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Flammarion,
2005.
TILLION Germaine, L’Algérie en 1957, Paris, Éditions de Minuit, 1957.
VALETTE Jacques, La guerre d’Algérie du général Salan, Sceaux, L’Esprit du
livre, 2008.
VALLAUD Pierre, La guerre d’Algérie, tomeI:1830-1958. L’ère coloniale, Paris,
Acropole, 2005.
VERMEREN Pierre, Le choc des décolonisations, Paris, Odile Jacob, 2015.
VIDAL-NAQUET Pierre, Les crimes de l’armée française en Algérie, Paris, La
Découverte, 2001.
FILMS DOCUMENTAIRES
BENCHIHA Larbi, Vent de sable. Le Sahara des essais nucléaires, 24images,
France 3 Corse, 2008.
COURRIÈRE Yves, MONNIER Philippe, La guerre d’Algérie, Galatée Films, 1972.
FAVRE Bernard, ALFONSI Philippe, PESNOT Patrick, STORA Benjamin, Les
années algériennes, 1954-1962, Ina/France 2-Nouvel observateur, 1991.
LE BOMIN Gabriel, STORA Benjamin, Guerre d’Algérie. La Déchirure 1954-1962,
Nilaya productions, France Télévisions, 2012.
ALGÉRIE INDÉPENDANTE
« Algérie. La guerre n’est pas finie », Les Cahiers de l’Orient, n° 84, janvier
2006.
Bibliographie 407
« Algérie, 1954-2012. Histoire et espérances », Le Monde diplomatique,
« Manière de voir », n° 121, février-mars 2012.
« Algérie, quel avenir ? », Les Cahiers de l’Orient, n° 39-40, 3 e -4 e trimestre
1995.
« Algérie, les nouveaux islamistes », Les Cahiers de l’Orient, n° 62, 2 e trimestre
2001.
« Algérie, les raisons de la colère », Les Cahiers de l’Orient, n° 51, 1998.
BALTA Paul, RULLEAU Claudine, L’Algérie des Algériens vingt ans après, Paris,
Les Éditions ouvrières, 1981.
BENYOUCEF Cherif, Algérie, une saison en enfer, Paris, L’Aventurine, 2003.
BRULÉ Jean-Claude, FONTAINE Jacques, L’Algérie : volontarisme étatique et
aménagement du territoire, Besançon, université de Franche-Comté/Tours,
Urbama-université de Tours, 1986.
CHAREF Abed, Algérie. Autopsie d’un massacre, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 1998.
CHERRAD Salah-Eddine, « Élections municipales et législatives en Algérie. Les
scrutins du 12 juin 1990 et du 26 décembre 1991 », Espace rural, n°29,
octobre 1992.
« Chrétiens en terre d’islam », Les Cahiers de l’Orient, n° 48, janvier 1997.
COLONNA Fanny (dir.), « Algérie : la fin de l’unanimisme. Débats et combats
des années 80 et 90 », Monde arabe, Maghreb-Machrek, n° 154, octobredécembre
1996.
« Coopération France-Algérie », Historia magazine, n° 375, numéro spécial
« Guerre d’Algérie », 1 er janvier 1974.
CÔTE Marc, L’Algérie ou l’espace retourné, Constantine, Média-Plus, 1993.
CÔTE Marc, L’Algérie, Paris, Armand Colin, 1996.
CUBERTAFOND Bernard, L’Algérie contemporaine, Paris, PUF, 1999 (1 re éd.
1981).
GRAFFENRIED Michael von, Algérie, Le rêve brisé de la démocratie, Berne, Benteli,
1996.
GRAFFENRIED Michael von, Mon journal d’Algérie, 1991-2001, Paris Autrement,
2003.
MINISTÈRE DE L’INFORMATION ET DE LA CULTURE, La Révolution algérienne, réalités
et perspectives, Alger, 1972.
OUITIS Aïssa, Les contradictions sociales et leur expression symbolique dans le
Sétifois, Alger, SNED, 1977.
PEYROULOU Jean-Pierre, Histoire de l’Algérie depuis 1988, Paris, La Découverte,
2020.
SIMON Catherine, Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l’indépendance
au désenchantement (1962-1969), Paris, La Découverte, 2009.
STORA Benjamin, Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance, 1962-1988, Paris,
La Découverte, 2004.
ZIREM Youcef, Algérie. La guerre des ombres, Bruxelles, Complexe, 2002.
FILMS DOCUMENTAIRES
BENSMAÏL Malek, Algérie(s), Éditions Montparnasse, 2004.
FEKIRI Faouzia, Algérie, entre la guerre et la paix, Arte, Thema, mai 2001.
CRÉDITS ICONOGRAPHIQUES
Archives nationales d’outre-mer (ANOM), p. 99, 103, 113, 123, 126, 130, 162-
164, 176, 194, 198, 206, 207, 216, 222, 231, 240, 276, 302, 303, 314, 316, 341 ;
© Claude BELLAC/ECPAD/Défense, p. 281 ; BnF, p. 58, 84, 111, 131, 137, 179,
220, 396 ; © Karim Chaïbi, p. 16, 18, 21, 24, 26, 28, 30, 32, 34, 36, 40, 42, 45, 46,
48, 50, 52, 55-57, 59, 60, 62, 64, 67, 68, 70, 72, 74, 77-79, 80, 82, 86, 88, 90, 92,
94, 96, 100, 104, 106, 108, 110, 114, 118, 120, 124, 128, 132, 134, 136, 138, 140,
144, 150, 154, 156, 158, 160, 161, 166, 170, 174, 180, 182-184, 186, 190, 196, 200,
202, 204, 208, 212, 214, 215, 218, 224, 227-229, 232, 234, 237, 238, 242, 245, 246,
248, 250-252, 258, 260, 264, 268, 272, 274, 278, 284, 291, 292, 296, 300, 304, 307,
308, 319, 320, 326, 337, 338, 340, 345, 346, 348, 352, 360, 372, 376, 378, 381,
382, 384, 388, 392 ; © ECPAD/Défense, couverture, 217 ; © ECPAD/fonds Smet/
Arthur Smet, 289 ; © Marc FLAMENT/ECPAD/Défense, p. 282 ; Médiathèque de
l’architecture et du patrimoine (MAP), p. 116 ; Musée archéologique de Sétif,
p. 38, 63 ; Musée de Carthage, p. 23 ; Musée du Château de Versailles, p. 142,
149 ; Musée de Tipasa, p. 27, 39, 43 ; Musée de Topkapi, p. 101 ; © Siné, p. 334.
TABLE DES MATIÈRES
Préface............................................................................................................. 7
Présentation.................................................................................................... 11
LA GENÈSE D’UN TERRITOIRE, ENTRE SAHARA
ET MÉDITERRANÉE
L’Algérie préhistorique.................................................................................... 19
Les Phéniciens et les rivages de la Méditerranée berbère......................... 21
UNE CIVILISATION ROMANO-AFRICAINE
De la seconde guerre punique (−219 −201) à la destruction de Carthage
(−146) ........................................................................................................... 25
La guerre de Jugurtha ................................................................................... 27
César en afrique, la création de l’Africa Nova.............................................. 29
L’Algérie au temps des premiers empereurs romains ................................ 33
Christianisation et grandes révoltes berbères au III e siècle........................ 37
La réorganisation des provinces africaines sous dioclétien........................ 41
La question donatiste et la guerre des nubel .............................................. 43
Saint Augustin, un enfant de Thagaste ......................................................... 47
Les vandales, de la Baltique à la Numidie................................................... 49
La conquête vandale....................................................................................... 51
La reconquête byzantine ................................................................................ 53
LA CIVILISATION ARABO-MUSULMANE
Les arabo-musulmans et la conquête de l’Africa ........................................ 57
Les campagnes de Hassan ibn Nu’man et Mussa ibn Nusayr ................... 59
Le Maghreb au VIII e siècle.............................................................................. 61
Table des matières 411
Abu Abdallah : itinéraire d’un prédicateur chiite ......................................... 63
Le prédicateur chiite en pays Kotama .......................................................... 65
La conquête de l’Ifriqiya par l’armée d’Abu Abdallah .................................. 69
Les campagnes fatimides à l’ouest............................................................... 71
La révolte d’Abu Yazid..................................................................................... 73
Les campagnes d’Égypte ............................................................................... 75
L’avènement des Zirides et des Hammadides.............................................. 77
Les Bédouins Beni Hillel et Suleym.............................................................. 79
Zirides et Hammadides face à l’invasion bédouine...................................... 81
Al Murabitun, la conquête almoravide .......................................................... 83
Le Maghreb d’Al Idrissi .................................................................................. 85
Les Almohades ............................................................................................... 87
L’épopée des Beni Ghaniya ............................................................................ 89
Le Maghreb aux XIII e et XIV e siècles............................................................... 91
L’itinéraire algérien d’Ibn Khaldun, grand homme du XIV e siècle ............... 93
L’EMPIRE OTTOMAN ET LE PACHALIK D’ALGER
La Méditerranée en 1492 ............................................................................... 95
Espagnols et Ottomans au Maghreb central de 1509 à 1518...................... 97
La conquête des pays d’el Djazaïr (Alger) et les nouveaux alliés de Khayr
al Din, dit Barberousse (1519-1534) .......................................................... 101
Les campagnes de Hassan Agha et Salah Raïs (1534-1556) ...................... 105
Alger et la Méditerranée au XVI e siècle......................................................... 107
1571, La bataille d’Alger................................................................................. 109
L’organisation de l’Algérie ottomane au XVII e siècle..................................... 111
Situation générale au XVII e siècle .................................................................. 115
Alger et ses relations internationales........................................................... 119
L’Algérie ottomane au XVIII e siècle................................................................. 121
L’Algérie ottomane au début du XIX e siècle................................................... 125
CONQUÊTE FRANÇAISE ET COLONISATION
Le débarquement français à Sidi-Ferruch.................................................... 129
Opérations françaises autour d’Alger............................................................ 133
La conquête française en 1830...................................................................... 135
La première guerre contre Abd el Kader...................................................... 139
Les expéditions contre Constantine .............................................................. 141
La deuxième expédition de Constantine ....................................................... 143
La conquête en 1839 ...................................................................................... 145
L’expédition des Portes de Fer, octobre 1839............................................... 147
La deuxième guerre contre l’émir Abd el Kader.......................................... 151
Les exils de l’émir Abd el Kader ................................................................... 155
La conquête du beylik de l’Est....................................................................... 157
Organisation administrative de l’Algérie en 1845 ......................................... 159
La colonisation européenne........................................................................... 161
Alger transformée par la colonisation .......................................................... 167
412 Atlas historique de l’algérie
La conquête des montagnes de Kabylie ....................................................... 171
La conquête des dernières crêtes de Kabylie .............................................. 175
La conquête du Sahara : de Aïn Sefra à Ouargla......................................... 177
L’Algérie dans les années 1864-1868 ............................................................ 181
Les soldats algériens au service de l’Empire............................................... 185
La grande insurrection de 1871..................................................................... 187
La guerre de juillet à octobre 1871 ............................................................... 191
La diaspora des prisonniers algériens dans le monde ............................... 193
Christianisme et judaïsme dans l’Algérie coloniale du XIX e siècle.............. 197
Les missions chrétiennes en Grande Kabylie .............................................. 201
La conquête du Grand Sahara....................................................................... 203
Les Algériens en Orient ................................................................................. 209
GUERRES MONDIALES
ET MONTÉE DU NATIONALISME ALGÉRIEN
Les Algériens dans la Première Guerre mondiale....................................... 213
L’Algérie de 1918 à 1939................................................................................. 219
L’Algérie dans la Seconde Guerre mondiale................................................. 225
Du débarquement américain en Algérie à la campagne de Tunisie (1942-
1943)............................................................................................................. 227
Les soldats algériens sur le front d’Italie (juillet 1943-juin 1944) .............. 233
La libération de la France, de la Provence à l’Alsace.................................. 235
Les soldats algériens en Allemagne............................................................. 239
RÉVOLTES ET RÉPRESSIONS DE SÉTIF À GUELMA
La répression disproportionnée de 1945....................................................... 241
Sétif, 8 mai 1945 ............................................................................................. 243
La guerre de représailles au nord de Sétif................................................... 247
Exécutions sommaires préventives à Guelma.............................................. 253
LA GUERRE D’INDÉPENDANCE
1954-1956, le début de la guerre d’indépendance....................................... 256
La « Toussaint rouge » ................................................................................... 259
Août 1955 : l’embrasement du Nord-Constantinois..................................... 265
La riposte militaire française en 1954-1956 ................................................. 269
La Kabylie dans la guerre.............................................................................. 273
L’ALN à son apogée en 1957.......................................................................... 275
Les opérations françaises, 1957-1958 .......................................................... 277
La bataille militaro-policière d’Alger............................................................. 279
La bataille du barrage est en 1958 ............................................................... 285
La stratégie contre-insurrectionnelle française........................................... 287
Arrestations de masse et centres de renseignement (CTT, CMI, DOP
et autres CRA)............................................................................................. 293
Table des matières 413
Le FLN en Europe .......................................................................................... 297
Le FLN et le monde arabe............................................................................. 301
Le FLN dans le monde................................................................................... 305
Le plan Challe................................................................................................. 309
De Gaulle en Algérie ...................................................................................... 315
Le Sahara et les sites stratégiques français................................................ 321
La répression du 17 octobre 1961 à Paris.................................................... 327
LES DÉCHIRURES DE LA POPULATION FRANCO-ALGÉRIENNE
Des violences exacerbées, de mars à l’été 1962.......................................... 331
Des Européens d’Algérie aux pieds-noirs en France................................... 335
La France, refuge des combattants algériens pro-français........................ 341
TRENTE ANS DE RECONSTRUCTION AUTORITAIRE
Les années Ben Bella .................................................................................... 347
Les années Boumediene................................................................................ 353
L’Algérie de Boumediene et le monde .......................................................... 361
Les années Chadli .......................................................................................... 365
DE LA GUERRE CIVILE AU HIRAK
De la crise politique à la guerre civile (1991-1994) ..................................... 373
Les années de sang, 1996-1999 .................................................................... 377
La décennie Bouteflika, 2002-2012 ............................................................... 383
Le clan Bouteflika face au Hirak................................................................... 389
L’Algérie en 2022 et les défis de la mondialisation (réseaux, pandémie,
crise du pétrole…) ....................................................................................... 393
Remerciements............................................................................................... 395
Bibliographie ................................................................................................... 397
Crédits iconographiques................................................................................. 409