21.07.2022 Views

Atlas historique de l'Algérie-Karim Chaibi

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.


Conception graphique : Farida Jeannet

Mise en page : Pixellence

© Nouveau Monde éditions, 2022

44, quai Henri-IV – 75004 Paris

ISBN : 978-2-38094-118-0

Dépôt légal : mars 2022

Imprimé en France par CPI


KARIM CHAÏBI

ATLAS

HISTORIQUE

DE L’ALGÉRIE

Préface de Jacques Frémeaux


C’est à un homme d’Afrique que je souhaite spécialement dédier cet atlas :

Gabriel Médina. Car il a été celui qui m’a conduit au bord de la mer Méditerranée

en 1992, afin de partir à la découverte d’une terre encore inconnue pour moi :

l’Algérie. Trente ans auparavant, Gaby avait quitté son village natal de Hammam

Bou Hadjar, au sud-ouest d’Oran. Il en a rapporté une force et une générosité

impressionnantes. Avec son épouse Raymonde (disparue récemment), Gaby a

accompagné ma jeunesse et m’a transmis la confiance, l’endurance, le dépassement

de soi. Merci beaucoup Gaby !


PRÉFACE

C’est une vérité première que de dire que les événements historiques se

manifestent à la fois dans le temps et dans l’espace. Pourtant, les ouvrages

d’histoire contiennent trop rarement des cartes qui permettraient au lecteur

de se familiariser avec la topographie des pays dont ils traitent, les réseaux

de toute sorte, notamment urbains et routiers, qui les parcourent, leurs principales

divisions politiques et administratives, et permettraient enfin de situer

précisément les principaux événements dont ils furent le cadre. Ceci est particulièrement

vrai de l’histoire de l’Algérie, pourtant si proche.

C’est pour remédier à ces carences que Karim Chaïbi a conçu cette version

renouvelée et développée de son Atlas historique de l’Algérie. Il suffit de le

feuilleter pour comprendre que les ambitions en sont très vastes, puisque le

lecteur est invité à suivre une histoire qui commence avec le paléolithique, il

y a un million d’années, et s’achève provisoirement avec les manifestations

du hirak des années 2019 et suivantes. On parcourt ainsi successivement la

préhistoire, l’installation des royaumes berbères, l’occupation romaine, l’épisode

vandale, la conquête arabe, la succession des royaumes musulmans,

l’occupation turque, la colonisation française, et la guerre d’Algérie, avant

d’arriver aux soixante années de l’indépendance.

La question qui se posera sera inévitablement celle de l’unité de cette

histoire. Après tout, jusqu’à l’occupation turque, les épisodes d’unification du

Maghreb central sous la même autorité sont rares, et la chronique peine à

rendre compte des divisions qui l’ont fractionné. À quoi il est facile de

répondre que c’est par la lecture rétrospective qu’en a fait le mouvement

nationaliste algérien, dans les limites précisées par le régime colonial avec

le Maroc et la Tunisie, et élargies vers le sud par les conventions internationales,

que se lit le destin de l’Algérie. Une histoire qui progresse par ruptures,

peut-être parce que le fondement réside dans la permanence de son vieux

fonds ethnique et de son unité religieuse.

Le travail n’était pas facile, pour plusieurs séries de raisons. La première,

la plus évidente, résidait dans le choix des événements à représenter, et des

symboles à adopter pour rendre ces représentations lisibles. La seconde était

dans les difficultés du choix d’une échelle : si l’essentiel de l’histoire de l’Algérie

se situe dans un cadre méditerranéen, sur environ 400 000 km², les dépendances

sahariennes qui rattachent fortement le pays au continent africain, ne

représentent en effet pas moins de deux millions de km².


8 Atlas historique de l’Algérie

La plupart des cent trente-cinq cartes sont consacrées à regrouper, sur

un même support, les éléments divers qui permettent de synthétiser à

chaque fois une période historiquement délimitée, avec, fort logiquement, une

précision croissante à mesure que l’on s’avance vers les temps actuels. De

ce point de vue, l’effort du cartographe pour représenter l’Algérie d’après 1962

sera probablement le premier à retenir l’attention, tant la bousculade des

événements a rendu cette période peu lisible. En revanche, c’est peut-être en

se reportant à l’histoire du passé ancien jusqu’au XVI e siècle, trop négligée au

profit des confrontations menées depuis les temps modernes, que le lecteur

s’instruira le plus. Outre l’intérêt de retrouver les grands traits de ces

périodes trop oubliées, il éprouvera des surprises agréables, comme celle de

pouvoir retrouver les itinéraires du grand Ibn Khaldoun. On notera enfin que,

loin de montrer une Algérie isolée, les cartes la situent dans plusieurs des

ensembles auxquelles elle se rattache : Maghreb, monde méditerranéen,

avec une alternance ou une concurrence des influences orientale et occidentale,

Afrique dans son ensemble.

Dans un temps où d’aucuns cherchent à rapprocher les mémoires sans y

parvenir, il est indispensable de fournir, à ceux qui ont seulement le souci de

savoir, des instruments d’un abord accessible. Celui-ci en est un. Sa consultation

aisée invite les passionnés à des approfondissements innombrables.

Jacques Frémeaux

Professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne

Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer



Carte du monde dressée par l’amiral ottoman Piri Reis, 1513.


PRÉSENTATION

a volonté de diffuser un résumé pratique et dynamique des grandes

L

périodes historiques de l’Algérie a fait naître cet atlas de plus de

130 cartes. À travers les siècles, cette cartographie fine parcourt

tous les territoires de l’Algérie, de la préhistoire à nos jours. La première

production moderne d’une cartographie historique de l’Algérie avait été le

fruit du travail impressionnant de Georges Duby, avec son Atlas historique

mondial (plusieurs fois réédité). Les grandes lignes de l’histoire algérienne y

avaient été tracées, une première après la colonisation. En 2011, Guy Pervillé

franchit un seuil graphique et scientifique majeur, en écrivant l’Atlas de la

guerre d’Algérie, actualisé en 2011. Jusqu’à aujourd’hui, ces représentations

cartographiques de la période 1954-1962 sont une documentation des plus

riches.

Avant que ne soient édités ces premiers atlas historiques, la production

d’atlas généraux de l’Algérie à l’époque coloniale se trouvait principalement

intégrée au domaine géographique (éditions Vidal-Lablache, Atlas général de

Pierre Gouraud, Hachette, etc.) dans le cadre des travaux encyclopédiques et

scolaires. À l’Algérie étaient ainsi consacrées des pages dédiées dans les

parties concernant l’Afrique, mais plus généralement à la partie France. Les

éditions de revues et atlas spécialement consacrées à l’Algérie connurent un

développement inédit à l’occasion de la célébration du centenaire de la

conquête en 1930. Une grande production d’ouvrages faisait l’éloge et la promotion

de l’Empire français et de la colonie algérienne en particulier. L’Algérie

y était le plus souvent vantée pour sa terre riche en ressources naturelles et

la diversité de ses populations. Ces atlas, très diffusés dans le monde scolaire

pour leur aspect encyclopédique et didactique, incarnaient l’exaltation de la

puissance impériale française (les fameux territoires en rose, de Dunkerque

à Brazzaville).

L’utilisation des cartes pour l’enseignement de la géographie et de l’histoire

a effectivement toujours intéressé un large public, car les représentations

des réalités géographiques ou historiques y sont simplifiées. La

découverte d’un pays ou d’une région du monde est ainsi souvent passée par

l’étape de la carte, laissant l’esprit imaginer les paysages ou les batailles

résumés par une couleur ou un symbole. L’observateur d’une carte est libre

de fixer son regard sur n’importe quel point. Les cartes dessinées dans cet


12 Atlas historique de l’Algérie

atlas peuvent être exploitées à la fois comme outils de localisation des événements

de l’histoire, mais également comme éléments signifiants pour comprendre

le contexte géographique des distances et du relief. De telles

informations géographiques sont incontournables pour l’historien comme

pour tout lecteur découvrant ces siècles méconnus de l’histoire franco-algérienne.

Ce travail de représentation du territoire nord-africain a une longue

histoire. Dessinant ces rivages méconnus depuis l’Antiquité, la cartographie

produite par les civilisations méditerranéennes antique (Grecs), médiévale

(Arabes) et ottomane (Piri Reis notamment) avait précédé les travaux

« modernes » des écoles européennes des XVII e -XVIII e siècles. Ces cartes

« anciennes » ont constitué un apport documentaire très précieux pour la

localisation et la toponymie.

Ainsi, parmi les cartes exploitées pour la rédaction de cet atlas historique,

se trouve une des premières représentations du « monde connu » au II e siècle,

la Géographie de Ptolémée. Cette carte a été la référence des rédacteurs

d’atlas européens pendant plusieurs siècles, se présentant tout en longueur

de la Méditerranée. Avant d’approcher les côtes d’Alger ou de Tunis, les Européens

n’avaient longtemps disposé que de la toponymie romaine pour décrire

les sites de l’Afrique du Nord. Jusqu’au XIV e siècle, l’ensemble des noms africains

de la cartographie européenne furent d’abord les territoires de Mauretania,

de Numidia et d’Africa.

Les rivages du sud de la Méditerranée occidentale, où nombre de cités

sont d’origine carthaginoise, ont maintenu une relation particulière avec

l’Orient, accentuée lors de son intégration au monde romain, pendant près de

cinq siècles. L’Algérie romaine a été profondément marquée par cette civilisation

« globale », notamment avec la très forte urbanisation, les cultures agricoles

et l’accueil fait à la jeune religion chrétienne, dont Augustin d’Hippone

Carte de l’écoumène de Ptolémée.


Présentation 13

Carte dressée par Al Idrissi, maître géographe du Moyen Âge.

fut le célèbre représentant. Cet atlas historique de l’Algérie consacre de nombreuses

cartes aux principaux événements de cette période romaine. La fin

de cette Afrique « occidentale » y est aussi présente, avec l’épopée méconnue

des Vandales de la mer Baltique à la Numidie. Les quelques cartes de la

période byzantine illustrent quant à elles une période peu renseignée de l’histoire

algérienne, pendant laquelle des royaumes « romano-africains » se sont

constitués. Des décennies d’histoire échappent encore à la compréhension

scientifique et la cartographie ne peut qu’approcher des hypothèses représentables.

Afin d’apporter une focale plus régionale de l’Algérie médiévale, il a été

nécessaire de renvoyer parfois au cadre de l’Orient musulman. Quelques

cartes décrivent ainsi le berceau arabe de l’Islam jusqu’à la Syrie, où les

ancêtres des Algériens participèrent à l’aventure fatimide. Une fois réunifiées

par l’Islam au VIII e siècle, les anciennes provinces antiques d’Afrique du Nord

recevront le nom de Maghreb (pays du Couchant) ou Bilad al Barbar (pays des

Berbères). Cette dénomination « arabo-centrée » sera réutilisée jusqu’à nos

jours pour définir l’ensemble des pays nord-africains du Maroc à la Libye.

C’est ce cadre « maghrébin » qui a été retenu pour dessiner les cartes de

l’époque arabo-islamique, car on ne peut dissocier ces territoires « algérien,

tunisien et marocain », particulièrement à cette période. IMAGE Idrissi Les

cartes « médiévales » proposées s’appuient notamment sur les deux grands

atlas actuels du monde musulman (An Historical Atlas of Islam de Hugh Kennedy,

rééd. 2002 ; et l’Atlas du monde arabo-islamique à l’époque classique de

Georgette Cornu, 1985), qui constituent des références d’un apport considérable,

synthèse de nombreux travaux sur la période. Le présent ouvrage

consacre plusieurs cartes à l’aventure des Berbères Kotama fatimides ainsi

qu’à l’itinéraire de personnalités qui ont vécu une partie de leur vie dans cette

Algérie médiévale, comme le chef almohade Abd el Moumen ou Ibn Khaldûn.

Le tournant historique de 1492 situe les territoires de l’Algérie dans le

contexte de l’émergence de la puissance ottomane en Méditerranée, tandis

que les Espagnols découvrent le Nouveau Monde. La période « turque » correspond

à la diffusion des premières cartes européennes conçues pour les

navigateurs. Ces portulans inaugurent le développement d’une cartographie

en plein essor, principalement à Anvers et à Amsterdam, dans le contexte des


14 Atlas historique de l’Algérie

« grandes découvertes ». Les royaumes de Tlemcen, d’Alger et de Béjaïa, qui

avaient précédé l’arrivée des corsaires ottomans, étaient donc déjà connus et

représentés.

Avec la mise en place du pachalik d’Alger (la régence), la connaissance du

sud de la Méditerranée s’est considérablement précisée pour les Européens.

Dans la documentation de cet atlas, plusieurs cartes de cette époque ont

ainsi été évoquées pour leurs indications toponymiques et l’importance des

cités algériennes de l’époque ottomane. Le terme même d’atlas fut d’ailleurs

mentionné une première fois par le cartographe flamand Mercator au

XVI e siècle. On dispose de plusieurs cartes hollandaises et françaises au

moment où la flotte d’Alger est la plus puissante. Cet atlas cherche à représenter

aussi bien les enjeux de la lutte en Méditerranée que la formation du

territoire nord-algérien, dont les limites se précisent entre le XVI e et le

XVII e siècle, alors que les pachas repoussent les tentatives expansionnistes

des royaumes voisins.

La régence d’Alger, encore mieux décrite sur les cartes produites par les

Français à partir du XVII e siècle et surtout du XVIII e , est devenue une actrice

incontournable de la Méditerranée occidentale. À partir du XVIII e siècle, une

approche plus scientifique se met en place, notamment avec les cartographes

français « royaux » d’Anville, qui commencent à identifier plus finement le

territoire des pachaliks d’Alger et de Tunis. Les rois installés à Versailles

s’intéressent au sud de la Méditerranée. Tous les travaux de reconnaissance

qui précédent la conquête française sont une mine d’informations sur la

situation de la régence avant 1830.

Avec le débarquement français de juillet 1830, le territoire qui deviendra

officiellement l’Algérie est systématiquement exploré et dessiné, puis cartographié

par les brigades topographiques du ministère de la Guerre. Car disposer

de cartes revient effectivement à contrôler un espace, mission confiée

naturellement à l’armée, engagée dans les opérations contre les tribus qui

résistent à la conquête. Les échelles régionales s’imposent de nouveau dans

ces années qui voient la progression détaillée des colonnes dans les territoires

« indigènes ». Dans la période consacrée à la conquête française,

l’accent a été mis sur les grandes campagnes de Kabylie et les explorations

dans le Sahara, dont la durée a nécessité une représentation sur plusieurs

cartes.

La colonisation, autre grande thématique de la période française, est illustrée

par plusieurs cartes assez précises, localisant les nombreux villages

européens, dans les trois principales régions d’immigration : l’Algérois, le

Constantinois et la région d’Oran-Mostaganem. Représentant une période

complexe et riche, les cartes de cette période jusqu’à la Première Guerre

mondiale mettent en avant les nombreuses insurrections, dont celle de 1871,

ainsi que la question des Algériens exilés. On sort là du cadre géographique

nord-africain pour découvrir le monde de la diaspora algérienne, des

bagnards aux émigrants du Proche-Orient.

La cartographie de la Première Guerre mondiale détaille les différents

fronts où se sont battus les soldats « indigènes » algériens tandis que la carte

des opérations de représailles dans les Aurès-Belezma apporte un éclairage

régional sur un épisode méconnu. Le processus de politisation des Algériens

est complexe à représenter, les mouvements changeant souvent de nom et


Présentation 15

Plan d’Alger, XVII e siècle.

de chefs. Cependant, la carte de l’entre-deux-guerres est capitale pour comprendre

l’évolution des courants nationalistes algériens et leurs répercussions

sur la société « indigène ».

Comme pour la Grande Guerre, les cartes de la Seconde Guerre mondiale

sont « régionalisées », montrant l’itinéraire des régiments de tirailleurs algériens

et leur participation à la Libération.

La répression de 1945 fait l’objet de plusieurs cartes, résultat de longues

recherches, dont plusieurs enquêtes de terrain, notamment dans la région de

Sétif, dans le prolongement de l’ouvrage Sétif 1945-1962, Atlas historique régional

(Karim Chaïbi, Dalimen, Alger, 2015). La guerre dans les djebels paraît

commencer à ce moment clé des prémices de la décolonisation, avec les

opérations de ratissage dans des régions montagneuses. Le cadre cartographique

de la guerre d’Algérie semble déjà planté en mai-juin 1945 : des reliefs

escarpés et des refuges inexpugnables.

Cartographier la guerre d’indépendance met en lumière la complexité de

certains thèmes, comme celui de la stratégie insurrectionnelle en France et

des moyens particuliers de l’armée. Des combats aux méthodes de cette

guerre, les cartes exposent des aspects militaires du conflit mais aussi les

implications internationales sur trois échelles : européenne, régionale du

monde arabe et internationale. Les conséquences du conflit, comme le mouvement

migratoire des rapatriés européens et des supplétifs de l’armée française,

font quant à elles l’objet de cartes illustrant leur situation de

postindépendance.


16 Atlas historique de l’Algérie

La complexité de l’été 1962 nécessitait une carte à elle seule, comme celle

traduisant l’importance du Sahara pour de Gaulle, dans le contexte de la

guerre froide.

Les trente premières années de l’indépendance algérienne, dominées par

une politique socialiste de construction nationale, sont l’occasion de noter

l’ouverture tiers-mondiste et solidaire des mouvements nationaux, africains

en particulier. Les années 1990 constituent une situation historique, taboue

et relativement peu documentée pour un conflit aussi contemporain. Pourtant,

une cartographie est réalisable afin de pouvoir, a minima, localiser les

régions les plus affectées par les pires violences de masse commises contre

des civils depuis la fin de la guerre froide. Enfin, la fin du règne de la famille

Bouteflika permet d’envisager la cartographie des ressources stratégiques

de l’Algérie, longtemps violentée, « empêchée », mais toujours déterminée à

s’exprimer.

Cet atlas ne prétend pas épuiser les sujets qui ont pu faire l’objet d’une

représentation exhaustive cartographiée. Les textes sont destinés à éclairer

la lecture des cartes. La documentation bibliographique – pour laquelle la

recherche ne cesse d’avancer – permet de compléter et de corriger les inévitables

lacunes sur certaines questions historiques.

Atlas de l’Algérie signifie également « atlas des Algériens », dans toute la

diversité de ses populations. Cela renvoie à la situation géographique des

minorités juives et chrétiennes en Algérie, dont la présence millénaire juive.

Les sites de la chrétienté en terre africaine, de l’Antiquité romaine aux missions

dans l’Algérie coloniale, dans les montagnes du Djurdjura en particulier,

donnent à voir une puissante acculturation méditerranéenne.

L’exploitation de travaux historiques et d’archives pour la conception de

cet atlas implique néanmoins une bonne connaissance topographique de

l’Algérie. La consultation minutieuse de nombreuses cartes, recoupées avec

L’Algérie du nord, sans forêts.


les données toponymiques, a permis de mieux situer des tribus et des villages

dont l’histoire est souvent méconnue. Reconstituer une toponymie algérienne

qui a subi de très nombreux mouvements au cours de l’histoire a été nécessaire

pour apporter le plus de précisions géographiques sur les cartes.

Cependant, l’un des défis majeurs de cet atlas aura été de proposer des fonds

en relief, sur lesquels le récit historique prend une tout autre compréhension.

La réalité du paysage de l’Algérie, et notamment de ses nombreuses montagnes,

devait effectivement être dessinée sur ces cartes, où la complexité de

la géographie se présente comme le support physique de l’histoire. Obstacles

naturels, massifs refuges, forêts et oasis sont autant d’éléments qui se

devaient de figurer sur les cartes, lorsqu’ils ne gênaient pas leur compréhension.

Ainsi, plusieurs cartes topographiques (citées en référence) ont été

nécessaires au dessin des cartes régionales, tandis que le fonds général du

territoire algérien et nord-africain a entièrement été dessiné. Même si les

techniques du dessin assisté par ordinateur s’améliorent d’année en année,

la main du cartographe ne peut faire l’économie du dessin. Pour les villes,

ces outils permettent cependant un usage plus adapté, avec la possibilité de

comparer les centres historiques à partir de cartes anciennes.

La terre d’Algérie se présente comme un territoire ouvert sur deux

grandes portes. Au sud, le Sahara, qui a été le témoin de la circulation du

monde berbère avec l’Orient égyptien, chrétien, juif puis musulman, héritages

profondément ancrés. Au nord, la mer Méditerranée fut quant à elle la porte

des Carthaginois, Romains et Européens, Français en particulier. Ces derniers

ont laissé une empreinte encore fraîche sur l’Algérie d’aujourd’hui, de

la langue française à l’urbanisme. Cet Atlas historique témoigne de ce double

héritage qui a façonné le caractère original de ce pays.

Présentation 17



LA GENÈSE D’UN TERRITOIRE,

ENTRE SAHARA ET MÉDITERRANÉE

L’ALGÉRIE PRÉHISTORIQUE

e territoire algérien se présente comme un véritable musée d’histoire

à ciel ouvert. Les principales ères préhistoriques se trouvent

L visibles en Algérie, avec des sites s’étalant du paléolithique au néolithique.

L’immensité des régions sahariennes a révélé des trésors artistiques

datant du V e millénaire, notamment dans le tassili des Ajjer, région montagneuse

classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1982. Le nord de

l’Algérie est quant à lui plus ancien, avec ses sites dispersés de la mer Méditerranée

à l’Atlas saharien, où nombre d’outils et foyers de vie ont attesté

d’une présence humaine il y a plus de 2 millions d’années.

Les sites algériens du paléolithique se trouvent essentiellement dans

des régions fouillées par les premiers chercheurs français. C’est bien

dans l’Algérie utile (hautes plaines céréalières, sites miniers…) que

les premières découvertes se sont déroulées, soit de manière fortuite

soit par le travail d’exploration des sociétés savantes européennes.

Après la période pionnière de l’exploration scientifique de

l’Algérie dans les premières années de la conquête française, plusieurs

sociétés de géographie ou archéologiques (Société archéologique de la province

de Constantine fondée en 1852, Revue africaine en 1856…) ont été

Pierre taillée

créées. Bien qu’essentiellement tournés vers les périodes de l’Antiquité

de type atérien.

romaine, les travaux, descriptions et autres relevés des années 1850-

1900 préparèrent cependant les premières études préhistoriques alors à leurs

débuts en Europe.

À partir du début du XX e siècle, notamment avec la pénétration saharienne,

les travaux préhistoriques se développent sous l’impulsion de géographes

comme Hanotaux qui, dès 1889, présente l’Afrique comme la plus ancienne et

la plus récente conquête de l’humanité (congrès de géographie d’Oran). Le

Sahara dépasse alors les départements du nord en matière de découvertes

préhistoriques, car l’état de conservation et le nombre de sites font apparaître

ces régions du tassili des Ajjer comme un monde fascinant, avec sa civilisation

racontée sur les gravures rupestres. Il en est tout autrement des chercheurs

du Tell qui, avec Camille Arambourg dans les années 1948, procèdent à un

travail de fouilles de longue haleine. Cet héritage scientifique a depuis été

exploité par les chercheurs actuels, comme les sites de la région de Sétif,


20 Atlas historique de l’Algérie

berceau des premiers Algériens, où

le spécialiste Mohamed Sahnouni

entreprend depuis plusieurs années

un travail approfondi. Le grand

public dispose de matériaux très

parlants pour illustrer cette période

lointaine de l’histoire algérienne.

Des ossements d’animaux que l’on

retrouve aujourd’hui dans les

réserves du Kenya aux fines flèches

retrouvées sur les sites du néolithique,

les musées d’Algérie ont conservé, depuis les travaux de la France coloniale

à aujourd’hui, des témoignages de ce passé, dont la plus grande partie

nous échappe encore. Il faut se rendre dans ces musées archéologiques d’Oran

à Tébessa, en passant par le Bardo à Tunis, pour réaliser la lente progression

matérielle des premiers habitants de l’Algérie. Quant aux gravures du Tassili,

elles sont le lien avec cette protohistoire qui prend justement naissance au

Sahara. Un désert qui n’était pas aussi sec qu’aujourd’hui, avec ses images

dessinées de troupeaux de chevaux et de bovins, élevés par une population

que les chercheurs qualifient de proto-berbère, notamment du fait de leurs

similitudes artistiques avec leurs familles de l’Atlas.

Ces populations évoluent dans un Sahara communiquant culturellement

avec sa partie orientale, comme en

témoignent les sites de Libye et

d’Égypte. Ce monde des Libyens

des auteurs grecs ou phéniciens

s’étend alors bien au-delà du

Maghreb actuel. Un monde complexe,

avec en commun une langue,

le berbère. C’est dans la région

méditerranéenne de ce monde berbère

que leurs lointains cousins

orientaux prennent pied vers le

VIII e siècle, faisant ainsi entrer dans

l’histoire antique le littoral de

l’Algérie actuelle.

Peintures rupestres découvertes dans le Tassili n’Ajjer.


LES PHÉNICIENS

ET LES RIVAGES DE LA

MÉDITERRANÉE BERBÈRE

e monde berbère s’étendait très loin au-delà des pays de l’Atlas,

L

jusqu’aux confins de l’Égypte pharaonique. Un monde au contact de

l’Orient par la terre et par des proximités linguistiques, monde qui

n’a laissé que peu de témoignages. Les rivages méditerranéens de cette

partie de l’Afrique du Nord furent très tôt convoités par les puissances maritimes

de la haute Antiquité, Grecs et Phéniciens. Ces derniers, peuple sémite

de la région cananéenne (Palestine), essaiment à partir du VIII e siècle avant J.-

C. dans la plus grande partie du sud de la Méditerranée. Des villes mères

comme Tyr, Sidon ou Byblos envoient leurs marins pratiquer leurs talents

commerciaux le long des côtes, notamment à la recherche de métaux précieux,

en échange de produits de luxe, dont les objets colorés à la fameuse


22 Atlas historique de l’Algérie

pourpre. Utique puis Carthage (Qart hadash – cité nouvelle) sont fondés,

simples comptoirs commerciaux et diffuseurs de la culture punique, dont

l’alphabet phénicien. Tout le long de la côte nord-africaine sont ensuite

construits des ports, pratiquement tous les 40 km (correspondant à une étape

de navigation), constituant autant de cités sur des sites choisis comme des

abris naturels, des rus (têtes ou caps) naissent sur la côte de l’Algérie actuelle

tel que Rusgania. En dehors du commerce, on connaît assez mal les rapports

qu’entretenaient les Phéniciens avec les royaumes numides et maures.

Au VII e siècle avant J.-C., la Méditerranée occidentale se trouve largement

dominée par la puissance maritime carthaginoise. La thalassocratie grecque

a également essaimé en Méditerranée occidentale, mais n’a rien fondé sur

l’actuelle côte algérienne, exclusivement punique. La pénétration phénicienne

à l’intérieur des royaumes berbères locaux, numides ou maures, est mal

connue. Dans l’arrière-pays de Carthage sont entretenues des alliances, avec

paiement de tribut. C’est davantage le développement des échanges économiques

et culturels qui marquent la période. La région comprise entre

l’actuelle frontière tunisienne et Constantine a ainsi livré des centaines

d’inscriptions libyques (écriture punico-berbère) attestant d’une influence

punique très marquée, tant en matière religieuse (culte de la déesse Tanit)

que dans la sphère domestique (lampes à huile, céramique…). Ayant étendu

son domaine à l’ouest, jusqu’à la région de Tébessa, Carthage entretient des

relations stratégiques a minima avec les royaumes numides voisins, dont le

soutien pouvait leur être utile.

À l’ouest de l’Algérie actuelle et au-delà de la Moulouya s’étend le domaine

des massæsyle. Leur roi siège à Siga, au nord de l’actuelle Tlemcen. À l’est

se déploie le royaume Massyles, autour de Cirta (Constantine). Ces deux

royaumes sont décrits par les auteurs antiques comme habités par les

peuples numides ou maures, « Berbères » étant le terme générique employé

pour les non-Romains, ou non-latinisants, extension de barbaros (ceux qui ne

parlent pas le latin, et par extension tous les peuples hors de la civilisation

romaine). À l’intérieur du royaume Massyles, les souverains berbères

apportent leur soutien au voisin punique, dans le contexte d’un conflit entre

Carthage et la République romaine, dont l’enjeu est le contrôle de la Méditerranée

occidentale.

Depuis le III e siècle, Carthage n’est effectivement plus vraiment seule en

Méditerranée. Son expansionnisme se heurte aux ambitions romaines. Après

une première guerre entre les deux puissances maritimes entre -264 et -241,

le roi massæsyle Syphax se trouve impliqué dans ce conflit qui s’étend alors

sur le territoire africain : c’est l’enjeu de la deuxième guerre punique (219-

201).


Proue d’un navire phénicien.

Les Phéniciens et les rivages de la Méditerranée berbère 23



UNE CIVILISATION

ROMANO-AFRICAINE

DE LA SECONDE GUERRE

PUNIQUE (−219 −201)

À LA DESTRUCTION

DE CARTHAGE (−146)

endant la deuxième guerre punique, la République romaine a porté

P

la guerre sur la terre africaine. Battue à Zama en 202, l’armée

punique d’Hannibal se replie sur Carthage, tandis que son allié

Syphax se retrouve affaibli, laissant son royaume conquis par Massinissa. Ce

dernier apportant son appui militaire aux Romains avant Zama, cela lui permit

d’étendre sa domination sur la Numidie agrandie vers l’est, et largement

ouverte sur la Méditerranée et son commerce. La Numidie attire nombre de

marchands dont des Italiens établis notamment à Cirta, et dans la région de

Rusicada (Skikda). Syphax, l’autre souverain numide, hésitant dans sa politique

proromaine, finit par rallier le camp punique. Son choix l’a condamné à

subir la nouvelle donne politique à l’est. Les successeurs de Syphax sont

cependant sollicités par Rome comme contre-pouvoir régional à l’ouest d’une

Numidie ambitieuse.

Massinissa poursuit quant à lui sa minutieuse conquête du domaine

carthaginois et précipite la chute de la cité punique. Ayant poussé l’armée

carthaginoise à contre-attaquer, Massinissa donne la possibilité à Rome

d’achever la destruction de Carthage. Les partisans romains de Caton en

finirent en -146. Plus que la fin du monde carthaginois, c’est là le commencement

de la conquête romaine en terre africaine. Ils fondent ainsi la nouvelle

province d’Africa (confiée au sénat et commandée par un proconsul).



LA GUERRE DE JUGURTHA

la mort de Massinissa, le royaume de Numidie est agité par une

A

crise de succession. Ses fils se disputent le titre d’aguellid, Rome

propose alors d’arbitrer cette succession, tandis qu’à l’ouest le

royaume maure de Bocchus envisage de reprendre pied au-delà de la rivière

Ampsaga (actuels oueds Deheb-Dehemcha-el Kebir).

Parmi les prétendants à la succession de Massinissa, son petit-fils Jugurtha

s’impose en écartant les autres en -116. Cirta, siège du pouvoir numide,

se voit assiégée par l’armée

de Jugurtha en -112. Mais la

prise de la cité prend un autre

tournant, avec le massacre

des commerçants d’Italie.

Rome entreprend d’intervenir

en Numidie. Un premier général,

Metellus, est envoyé dans

la région pour affronter

l’armée de Jugurtha en -109.

C’est le moment que choisit le

roi Bocchus pour s’entendre

avec les Romains, en attaquant

Jugurtha par l’ouest.

Les campagnes des armées

romaines se trouvent ainsi

appuyées par l’armée maure

de Bocchus à l’ouest, l’armée

républicaine romaine attaquant

à partir d’Utique. Cerné

Captifs berbères, mosaïque de la basilique judiciaire de

de toutes parts, Jugurtha finit Tipasa.

par se rendre aux Romains.

L’honneur de la victoire sur Jugurtha permet alors un levier de pouvoir entre

les ambitieux généraux romains Marius, Sylla et Metellus. L’Afrique devint

une terre d’enjeux, autant économiques que politiques, pour le pouvoir

romain. Affaibli, le royaume de Numidie est confié à Juba I er , déclaré « ami et

allié de Rome ».


28 Atlas historique de l’Algérie


CÉSAR EN AFRIQUE,

LA CRÉATION DE L’AFRICA NOVA

’Africa et la Numidia, régions devenues le nouveau grenier à blé de

L

Rome (après l’Égypte), prennent alors une importance telle qu’elles

ne pouvaient rester dans l’instabilité. De grands généraux romains

s’y rendent, combattent Jugurtha et mesurent sa richesse. Ils peuvent en

outre compter sur des tribus locales. C’est ainsi que l’Africa devint le théâtre

de luttes opposant plusieurs généraux romains de la République. Parmi eux,

un certain Pompée, autrefois en campagne contre Jugurtha, défie le sénat

romain (institution qui détient l’essentiel du pouvoir dans la République).

Entrant en dissidence à partir d’Utique, Pompée se prépare à affronter César,

l’autre grand général chargé de l’affaiblir. Bénéficiant du soutien du roi

numide Juba I er , dont l’armée avance jusqu’au littoral tunisien, Pompée est

finalement battu à la grande bataille de Thapsus en -46. Mais la campagne

de César en Africa prend une tout autre ampleur, avec l’intervention d’acteurs

régionaux à l’ouest (Bocchus II), et du mercenaire romain Sittius au nord de

Cirta. Ce dernier fait débarquer son armée dans la région de Rusicada

(Skikda) et parvient à occuper la capitale numide.

La nouvelle situation créée par la fin de Juba profite à Bocchus II, qui

bénéficie du démantèlement de la Numidie souveraine, malgré les veines tentatives

de Massinissa de reprendre pied en débarquant dans la région. César

créer ainsi une nouvelle province romaine dans la plus grande partie de la

Numidie, l’Africa Nova, tandis que la région au nord de Cirta forme une nouvelle

confédération de cités romanisées, vouées à un rapide essor. Le sud

de la Numidie demeure cependant sous la domination des Gétules, peuple

fournissant aussi bien des troupes auxiliaires aux Romains que semant l’insécurité.

C’est bien dans la région la plus anciennement urbanisée, entre la côte

méditerranéenne au nord et l’axe Cirta-Calama-Hippone, que la romanisation

expérimente ses premiers développements.

La Maurétanie de Bocchus, devenue vassale de Rome, s’étend donc de

l’Atlantique à l’oued-el Kebir. Le souverain maure permet – signe des bonnes

relations avec la Rome césarienne – l’installation de colonies romaines sur

son territoire, notamment dans la vallée de la Soummam. Cette grande Maurétanie

connaître son âge d’or avec le jeune Juba II. Élevé à la cour de Rome,


30 Atlas historique de l’Algérie

on lui a enseigné la culture romaine et orientale (monde hellénistique). La

nouvelle capitale, qui porte le nom du parrain de ce royaume, Iol-Caesarea,

se présente comme la vitrine d’un monde africain riche d’influences culturelles.

De par ses relations familiales avec l’Égypte hellénistique (dynastie des

Lagides, avec Cléopâtre…) et le développement des échanges maritimes, le

règne de Juba II entretient des liens privilégiés avec l’Orient méditerranéen.

Les grands mausolées maurétaniens, dont celui situé à proximité de Tipasa

(dénommé Ksour el Roumia ou tombeau de la chrétienne) atteste de ces

influences qui ont marqué la période (-27 à 40).

Mosaïque de sol représentant le triomphe de Neptune et son épouse Amphitrite,

trouvée à Cirta en 1880.




L’ALGÉRIE AU TEMPS DES

PREMIERS EMPEREURS ROMAINS

andis que les relations de vassalité avec Rome se confirment avec

T

l’avènement du premier empereur romain Octave, en 27 avant J.-C.,

la province d’Africa Nova-Numidie poursuit son orientation économique

tournée vers le blé, la vigne et l’olivier. La colonisation romaine est à

ce moment-là très active, avec des colons italiens ou indigènes, issus généralement

de l’armée romaine, qui recrute à tour de bras. Riche terre à céréales,

la Numidie fait cependant l’objet d’une forte pression fiscale, sur fond de

développement de la grande propriété (les latifundia). Ces conséquences

sociales aboutissent à des révoltes, dont la plus importante est menée par

Tacfarinas, un officier berbère, et se transforme en une guerre antiromaine

d’ampleur régionale. Cristallisant les tensions latentes des populations

numides, notamment des Gétules, soumises à de nouvelles contraintes foncières,

l’insurrection de Tacfarinas mobilise les forces militaires de la principale

légion romaine. Stationnée jusqu’alors à Ammaedara, non loin de

Tébessa, la III e légion Augusta se redéploie à l’ouest, au nord du massif des

Aurès. La participation du roi maure Juba II contre Tacfarinas empêchera ce

dernier d’étendre sa révolte à l’ouest, où il est défait une première fois non

loin d’Auzia (Sour el Ghozlane). C’est vers le cœur de la Numidie, dans la

région des Musulames, dont il est issu, que Tacfarinas finit par être tué au

combat.

La fin des campagnes romaines contre Tacfarinas correspond au crépuscule

du règne de Juba II (en -24). Avec Ptolémée, la Maurétanie vit ses dernières

années de relative indépendance. Les empereurs de la dynastie des

Julio-Claudiens mettent fin au statut préférentiel de la Maurétanie, tandis que

l’empire ne cesse de s’étendre militairement. C’est l’empereur Caligula qui

liquide la dynastie maurétanienne, que son tempérament instable perçoit

comme trop prestigieuse. Mais il s’agit-là d’un processus d’annexion inéluctable.

La conquête du reste de l’Afrique paraît avoir été envisagée de manière

inéluctable à Rome.

Avec l’empereur Claude, la Maurétanie est divisée en deux nouvelles provinces.

De l’Atlantique à l’ouest de la Moulouya est ainsi formée la Maurétanie


34 Atlas historique de l’Algérie

Mons.

Tingitane, tandis que la Maurétanie Césarienne succède au royaume de Ptolémée,

avec la même capitale de province Caesarea. Du fait de leur position stratégique,

les provinces d’Africa Nova et d’Africa Vetus

sont réunies dès l’avènement d’Octave Auguste en une

grande province d’Afrique proconsulaire, directement

commandée par un envoyé du sénat. Quant à la Numidie

de Cirta, elle est en partie militarisée par le déploiement

de la légion Augusta au sud, commandée par un

légat, sorte de « superpréfet » aux pouvoirs étendus. La

multiplication des positions militaires en Numidie précède

de fait l’extension de la colonisation romaine.

À partir du II e siècle, on assiste à la création de nouveaux

camps militaires installés le long des axes stratégiques

au nord du massif des Aurès. La III e légion

Augusta se trouve située dans un camp fixe à Lambeasis

(Lambèse), contrôlant les hautes plaines au nord

des montagnes. De nouvelles cités-casernes sont fondées

dans toute la région, dessinant comme une ceinture

militaire le long de laquelle sont positionnés

Thamugadi (Timgad) et Mascula (Khenchela). La Pax

Romana se matérialise par l’élaboration d’un limes défensif, érigé à la limite

sud du pays utile, comme dans la région du chott el Hodna, mais aussi au sud

des Aurès, avec la multiplication des petits postes fortifiés. Achevé par l’empereur

Trajan, ce système de défense passive est composé de fossés, murets et

autres tours de guet, afin de dissuader les déplacements ou tentatives d’incursion

de groupes nomades ou tribus autonomes du nord du Sahara. Ces populations

mouvantes restent une préoccupation pour l’armée impériale, qui fait

appel à leurs cavaliers comme troupes auxiliaires.

La Pax Romana est vraisemblablement bien assurée sous le règne des

empereurs flaviens qui multiplient les fondations de cités, toujours en direction

de l’ouest. Après le sud de la Numidie et ses imposantes cités militaires

comme Timgad fondée en 100 par Trajan, c’est la proche Maurétanie qui

requiert l’attention des empereurs. Ils souhaitent non seulement y développer

la colonisation agricole du pays mais également installer leurs fidèles soldats

démobilisés. Ainsi sont fondées les cités de Sitifis (Sétif), Cuicul (Djemila) par

l’empereur Nerva, tout comme que Diana Veteranorum (Zana), dont le nom

évoque la vocation initiale. Au II e siècle, c’est l’expansion vers les terres de

l’ouest et la création de nombreux postes militaires le long des nouvelles

voies romaines. La plaine du Chélif puis l’Oranie sont colonisées, tout en se

protégeant par de nombreux camps militaires. Les camps et nouvelles villes

romaines sont en général établis sur des sites maures ou numides préexistants.

C’est ainsi que sont souvent conservés les anciens toponymes (Sitifi, Cuicul, Thamugadi,

etc.). Du processus d’urbanisation de l’Algérie romaine naissent

500 cités, de 5 000 à 10 000 habitants, administrées par des magistrats élus et

par des assemblées (municipes). La romanisation correspond à la naturalisation

des populations urbaines maures ou numides, notamment à partir de 212 (édit

de Caracalla), tous les habitants de l’empire devenant citoyens. Une brillante


L’Algérie au temps des premiers empereurs romains 35

Vue aérienne de Timgad.

civilisation romano-africaine voit le jour, atteignant son apogée au III e siècle.

Pourtant, les menaces aux marges de ce monde confortable vont se préciser.

À partir du III e siècle, c’est tout l’Empire romain qui se trouve menacé à ses

frontières, d’abord par les Germains au nord de l’Europe,

mais aussi par les Parthes, dans la région de l’Euphrate.

En Afrique romaine, ce sont de grandes confédérations

maures qui déstabilisent les régions de l’Atlas

tellien, avec l’émergence de grands groupes, comme

les Bavares ou Baquates. Une première insurrection

a déjà secoué le centre et l’est des provinces « algériennes

» en 118-122. L’empereur Hadrien déploie

toutes les forces disponibles pour en venir à bout. Il

hérite des plus grandes conquêtes de ses prédécesseurs,

legs difficile à protéger de la pression « barbare

». D’Hadrien (117) à Septime Sévère (198),

l’armée romaine et ses alliés locaux font construire

de nouveaux postes, notamment autour de Tlemcen,

au nord de la région de l’Ouarsenis, mais aussi au

bord de l’Atlas saharien, avec Castellum Dimmidi,

non loin de Laghouat.

Pièce romaine retrouvée dans

l’oued el Abiod, Aurès.



CHRISTIANISATION ET GRANDES

RÉVOLTES BERBÈRES AU III E SIÈCLE

es empereurs Valérien (en 253) et Gallien (en 289) sont confrontés à

L

une insurrection beaucoup plus difficile à contenir, du fait de l’ouverture

quasi simultanée de plusieurs fronts aux frontières incertaines

de l’empire. Les développements de la nouvelle religion chrétienne préoccupent

les empereurs, dont le culte officiel se trouve marginalisé par une

partie de la population, dans le contexte d’une période troublée par les

menaces d’invasions barbares. Pour eux, l’ordre confessionnel ne saurait être

mis à mal par cette minorité chrétienne grandissante. La diversité religieuse

est connue et admise dans cet empire méditerranéen où se diffusent nombre

de cultes orientaux comme le judaïsme. La religion hébraïque est présente

sur les côtes africaines dès l’époque phénicienne. Avec la Pax Romana, les

Tombeau de Scipion, Sétif.


38 Atlas historique de l’Algérie

migrations de populations issues du peuple hébreu sont constantes, au travers

des grands itinéraires commerciaux, notamment sahariens. La guerre

dans la province romaine de Judée et la destruction du second temple de Jérusalem

en 70 modifie durablement la nature de ces flux. Des populations juives

(habitants de Judée) prennent la route de l’Ouest africain, depuis l’Égypte. Les

routes sahariennes accueillent une nouvelle diaspora juive dans les oasis de

Libye puis du Touat, principalement après 135 et la répression romaine des

révoltes juives en Cyrénaïque (est de la Libye actuelle).

Après les premières campagnes

de Paul de Tarse, la religion

chrétienne se répend hors de

son berceau juif de Palestine. Son

extension géographique prend

ensuite les routes des commerçants

et militaires de l’empire en -

Méditerranée. Judéo-chrétiens (la

première communauté après

Jésus) puis néochrétiens (sortis du

judaïsme) diffusent labonnenouvelle.

ÀlafinduII e siècle, la minorité

chrétienne est présente dans

toute la partie urbanisée de l’Algérie

romaine et n’apparaît plus

seulement comme l’expression de

cet Orient et de ses cultes mystérieux.

En 256, le concile de Carthage

révèle l’importance de

Mosaïque de la Vénus marine, Sétif.

l’Église africaine, avec Cyprien

comme principal représentant et défenseur. C’est en effet à cette époque que

se profilent de graves menaces. Les Pères apostoliques et leurs communautés

sont stigmatisés, perçus comme instigateurs d’une cinquième colonne qui mettrait

en péril l’ordre impérial romain.

Au III e siècle, les minorités chrétiennes pratiquent dans la discrétion un

culte devenu suspect aux yeux des autorités romaines. Avec l’empereur Valérien,

une grande persécution, très violente, s’abat alors sur les chrétiens

romano-africains.


Christianisation et grandes révoltes berbères au III e siècle 39

Stèle funéraire d’un soldat auxiliaire romain en Maurétanie césarienne, II e siècle.



LA RÉORGANISATION

DES PROVINCES AFRICAINES

SOUS DIOCLÉTIEN

ace au problème que posent les menaces barbares autour de

F

l’empire, les provinces sont réorganisées avec Dioclétien tandis

qu’en 293 le commandement est partagé avec deux empereurs, l’un

en Orient à Constantinople, l’autre à Ravenne, au bord de l’Adriatique. Une

nouvelle province est créée dans ce nouveau cadre, la Maurétanie Sétifienne,

dans une région très romanisée, avec de nombreux domaines agricoles impériaux.

Les Bavares dans le Nord montagneux représentent une réelle menace.

Repoussés vers 280, ils tentent plusieurs raids sur les riches hautes plaines

sétifiennes. La chaîne montagneuse des Babors porte encore un nom dérivé

de cette population. Des cités comme Sitifis resteront encore longtemps à

l’abri de ces attaques et continuent de se développer jusqu’au IV e siècle. Les

précieux vestiges retrouvés sur place témoignent du niveau élevé de civilisation

atteint alors dans l’Algérie romaine à cette époque. Cependant, la réorganisation

des provinces africaines correspond également à des nécessités

militaires, face à des tribus difficiles à soumettre, dans les régions montagneuses

du centre, où éclate une nouvelle révolte en 289, des monts du Djurdjura

à l’Atlas blidéen. C’est l’empereur Gallien qui mène campagne à partir

des places fortes de Rapidum. La Numidie, divisée depuis 284 en deux provinces

(au nord, la Numidia Cirtea et au sud la région sera placée sous le

commandement militaire jusqu’en 313), est quant à elle pacifiée mais se

trouve confrontée à de nouveaux troubles d’ordre religieux. Dioclétien poursuit

l’action répressive de son prédécesseur Valérien, en lançant une nouvelle

campagne contre les chrétiens, entre 303 et 305. Cette dernière vague de

persécutions sera une des pires jamais vécues en Afrique. Elle provoqua de

profondes dissensions au sein des chrétiens africains.



LA QUESTION DONATISTE

ET LA GUERRE DES NUBEL

a terreur employée contre les chrétiens consiste à les obliger à abjurer

leur foi en procédant au culte romain. Ils sont contraints, sous

L peine d’une mort souvent atroce, à sacrifier aux dieux ou au culte

impérial, dont la pratique très politique donne des gages de patriotisme. De

nombreux chrétiens résistent et finissent martyrs, imitant la passion de

Jésus, modèle central de la pensée des premiers chrétiens persécutés. Les

Pères de l’Église ont en cela donné l’exemple, tel Cyprien en 258. Les populations

urbaines de Numidie et d’Afrique proconsulaire très christianisées

payent un lourd tribut aux vagues de persécutions, jusqu’à la paix de l’Église

concédée par l’empereur Constantin en 312. L’Église africaine, dont le siège

se trouve à Carthage, peut enfin s’exprimer au grand jour. Un grand mouvement

de construction de nouvelles basiliques débute dans toute l’Afrique

romaine. Alors que des provinces ecclésiastiques sont organisées, une partie

de la population chrétienne fait sécession avec cette nouvelle Église officielle.

Regroupés essentiellement en Numidie, ces chrétiens, qui ont résisté aux

persécutions, ne peuvent accepter des clercs aient abjuré leur foi. Ils considèrent

cette normalisation comme inacceptable, au regard des centaines de

martyrs qui ont résisté. Pour l’évêque Donat

de Casae Nigrae (El Mahder, région de Aïn

M’Lila) il y a désormais deux catégories de

chrétiens : les martyrs (les purs) et les

autres. Les donatistes se renforcent sur

fond de révoltes locales avec l’apparition

d’une « branche armée » : les circoncellions

(ceux qui tournent autour des celliers). Ces

derniers s’appuient sur les cités de la

région de Baghaï, Mascula. L’armée impériale

doit intervenir entre 345 et 347, sous

les ordres de Constant. La Numidie reste

effectivement cette riche province dont les

ressources ne sauraient échapper à Rome. Mosaïque chrétienne, Tipasa.


44 Atlas historique de l’Algérie

Cette dépendance économique de Rome vis-à-vis des provinces africaines

est exploitée par certains chefs maures tels Firmus et Gildon, dont la puissante

famille administre une partie de la Maurétanie intérieure. Étant intervenues

maladroitement dans les affaires de succession de la famille des Nubel,

les autorités romaines se trouvent face à une dissidence armée de l’un des

frères, Firmus. Tout le centre de l’Algérie romaine est pris dans cette nouvelle

révolte en 370-375, qui menace cette fois gravement de grandes cités

romaines comme Caesarea, Saldae ou encore Sitifis. Les campagnes militaires

romaines sont à la mesure du péril. L’empereur Théodose lui-même

mène les opérations, appuyé par l’autre frère Gildon, allié pour un temps. La

situation se trouve aggravée par les troubles du mouvement donatiste. Une

paix finit par se maintenir jusqu’en 396, lorsque Gildon décèle la faiblesse

des Romains et leur dépendance aux céréales africaines. Soutenu par les

donatistes, dont l’Église est définitivement condamnée par les lois de Théodose

en 379 et 395, Gildon procède à la rupture des approvisionnements céréaliers

de Rome, en occupant les ports. Rome, qui nourrissait gratuitement sa

population (service de l’annone) envoie le chef de guerre Stilicon pour réduire

Gildon.


Ruines de Thamugadi.



SAINT AUGUSTIN, UN ENFANT

DE THAGASTE

e Berbère naît à Thagaste (Souk Ahras) en 354, d’une mère chrétienne

C

(Monica) et sa première instruction lui fut dispensée vers 365-366 à

Madaure (M’Daourouch). Il se trouve à Carthage dès 370 dans les

milieux de l’enseignement supérieur où il apprend la culture latine, dont la

rhétorique et la philosophie). Il enseigne entre 374 et 383 à Thagaste et Carthage.

C’est en se rendant à Rome en 383 qu’il développe sa notoriété par

l’enseignement, collaborant avec l’évêque Ambroise à Milan, l’autre capitale

impériale. À ce tournant de sa vie, il décide de s’engager dans la nouvelle

religion chrétienne, et se convertit en 386. Ayant perdu sa mère qui n’a cessé

de l’accompagner dans sa carrière, il regagne sa Numidie natale en 388 et se

consacre à une vie monastique jusqu’en 391. Mais assez rapidement il est

convoité par le milieu ecclésiastique d’Hippo Regius (Hippone, actuelle Annaba).

Ordonné prêtre en 391, Augustin entame sa nouvelle carrière qui le voit s’installer

en Numidie et dans les Maurétanie Sétifienne et Césarienne. C’est en 396

qu’il est choisi pour succéder à l’évêque d’Hippone. Alors qu’il rédige Les

Confessions et La Cité de Dieu, il participe à de nombreux conciles, sur fond de

confrontations avec les donatistes. C’est pendant le concile de Carthage en 411

qu’il apparaît comme l’un des maîtres d’œuvre de la pensée catholique, désormais

ligne officielle exclusive définie par l’empereur Honorius (408). Affaibli, le

mouvement donatiste reste quant à lui encore assez influent en Numidie. Le

véritable danger pour l’Afrique arrive de l’ouest, avec l’invasion des Vandales.

Augustin demeure évêque d’Hippone jusqu’au siège de la cité par les envahisseurs

venus du nord de l’Europe. Saint Augustin succombe en 430 dans la cité

assiégée.



LES VANDALES, DE LA BALTIQUE

ÀLANUMIDIE

ien avant le IV e siècle, de nombreux raids de populations de langue

B

germanique ont frappé l’Empire romain. C’est sous les empereurs

flaviens que sont construites les principales fortifications pour les

contenir. Toute la région du Rhin, premier obstacle naturel, se trouve fortifiée

contre la menace des Germains, les barbares du nord.

Mais les mouvements migratoires qui affectent la période dite des « invasions

barbares » sont d’une ampleur telle que toutes les frontières de l’empire

furent submergées. Cependant, les légions romaines, bien qu’appuyées par

des troupes auxiliaires germaniques, ne peuvent faire face à l’ouverture quasi

simultanée de plusieurs fronts, des Balkans à la mer du Nord.

C’est au bord de la mer Baltique que le peuple vandale se trouve au

moment de son départ pour les terres prometteuses de l’Empire romain. Ce

dernier est connu des Germains, soit qu’ils participent à sa défense comme

auxiliaires, soit qu’ils y commercent des produits précieux tels que l’ambre.

En outre, la diffusion du christianisme a déjà atteint ces régions de l’Europe,

notamment par le travail des missionnaires ariens à partir de la région de

l’actuelle Bulgarie. Ce courant de pensée naît à Alexandrie, où le prêtre Arius

professe que Jésus est une créature issue de la volonté du Père et constitue

donc une personne distincte, contrairement à l’orthodoxie catholique, qui le

condamne (concile de Nicée en 325) au même titre que d’autres écoles de

pensée, toutes nées en Orient et considérées comme des hérésies. Parmi

les Vandales, deux groupes se distinguent : les Hasdings et les Silings, qui

franchissent ensemble le Rhin en 406. Après leur établissement en Espagne,

une guerre oppose plusieurs groupes germaniques, tandis que les armées

romaines les attaquent à partir de la côte et de la Narbonnaise. Établis dans

le sud, en Bétique, dans la région qui prendra leur nom à la conquête arabe,

les Vandales échappent aux autres Germains en débarquant en Afrique, après

avoir franchi les 14 km du détroit. Mais seul le groupe des Vandales Hasdings

parvient à s’extirper de la péninsule pour envahir l’Afrique romaine, où le commandement

romain avait été affaibli par des troubles politiques en 427-428.



LA CONQUÊTE VANDALE

l n’y a quasiment aucune résistance romaine au débarquement vandale

dans la région de Tanger. Les régions de Maurétanie Tingitane

I et Césarienne sont depuis longtemps livrées aux grands groupes

maures, indépendants de fait. C’est en Numidie que les Vandales ralentissent

leur marche, dans cette partie de l’Algérie romaine très urbanisée avec ses

hautes plaines céréalières. Une première tentative romaine pour les arrêter

échoue dans la région de Guelma (Calama), et précède le long siège d’Hippone,

où disparaît l’évêque saint Augustin. Finalement, un premier traité est

signé en 435 avec les autorités romaines repliées à Carthage. Les Vandales

s’installent entre la région de Sétif et Hippone. Mais l’appétit de leur chef

Genséric les pousse à envahir le reste de la province d’Africa en 442. L’empereur

Valentinien procède à une réorganisation des provinces, de pure forme,

car il n’y a plus d’autorité romaine en Afrique. La plus grande partie de l’Algérie

romaine échappe aux Vandales, dominée par de nouveaux royaumes

romano-africains. L’installation préférentielle des Vandales dans le nord de la

Numidie et de l’Africa favorise la poussée des tribus chamelières au nord du

chott el Djérid.

Carthage est occupée par les Vandales en 439, qui cherchent à conquérir

l’Italie, avec la flotte qu’ils ont construite depuis leur séjour andalou. En outre,

leur armée est constituée de groupes maures, qui à partir de 455 frappent

directement Rome. La flotte vandale a notamment rapporté, en Afrique, le

trésor du temple de Jérusalem, pillé en 70 par Titus. Les seules autorités qui

tiennent face aux Vandales sont bien celles de l’Église chrétienne, convoquée

par Hunéric en 484, pour une confrontation théologique avec l’Église des Vandales,

adeptes de l’arianisme. L’histoire de ce rendez-vous rapporté par

l’évêque de Vita permet de reconstituer l’état des provinces à cette époque. À

l’issue de ce concile suit une grande campagne de persécution anticatholique.

De nombreux clercs sont déportés dans la région du Hodna.

Les forces byzantines ont pourtant tenté quelques raids sur Carthage en

431, puis en 468, à partir des bases égyptiennes, tous repoussés. Cependant,

l’autorité des Vandales ne s’étend pas au sud de la Numidie et de l’Africa.

Ainsi, un chef maure du nom d’Antalas vaincu les Vandales dans la région de

Capsa, sous le règne d’Hildéric (vers 527).



LA RECONQUÊTE BYZANTINE

ssu de la partie orientale de l’Empire romain qui a pu résister aux

I

invasions barbares au V e siècle, l’Empire byzantin a patiemment

reconstitué ses forces, à partir d’une capitale (Constantinople) bien

protégée. Les échecs des campagnes pour reprendre l’Africa aux Vandales

sont en partie dus à la mobilisation des armées sur le front oriental. Les

Perses n’ont pas cessé d’envahir les confins de la Syrie romaine, dont

l’Euphrate ne constitue plus une sérieuse frontière. L’Asie Mineure, l’Égypte

et la Terre sainte demeurent les priorités des nouveaux empereurs byzantins.

Une fois la paix intervenue avec les Perses en 532, l’empereur Justinien se

prépare à reprendre Carthage.

Les forces byzantines aux ordres de Bélisaire débarquent sur les côtes

tunisiennes en 533. Défaites non loin de Carthage, les forces vandales se

replient en Numidie, au relief plus avantageux.

La campagne byzantine, prise en

main par le général Solomon, se développe

ensuite sur une partie du territoire africain,

détruisant le reste de l’armée vandale

tandis que les nomades chameliers sont

refoulés après leurs tentatives d’intrusion

en Byzacène. Alors que Solomon s’emploie

à pacifier la région des Aurès en 535, il fait

face à plusieurs révoltes. L’une d’entre

elles est dirigée par un chef romanonumide,

Iabdas, tandis qu’éclate une sédition

de soldats byzantins menée par Stozas

entre 536 et 539. Ayant souvent pris des

épouses parmi les captives vandales, ces

dernières poussent leurs hommes à

conquérir les terres censées leur revenir.

Solomon doit ainsi guerroyer sur plusieurs

fronts, pour lesquels il entreprend de

consolider l’ancien maillage urbain hérité

de la domination romaine, par toute une

série de reconstruction de places fortes et Forteresse byzantine.


54 Atlas historique de l’Algérie

autres fortins, de Carthage à la région de M’Sila, à Nova Justiniana (Zabi)

où il établit des garnisons sûres. La limite de l’extension byzantine s’étend

principalement jusqu’à Sitifis (Sétif), cité autour de laquelle il crée la nouvelle

province de Maurétanie Première (entre 582 et 602). Au-delà de cette région,

quelques fortins formeront une frontière incertaine face aux prétentions des

royaumes romano-africains. Ces derniers sont connus par le nom de leurs

rois, mais aussi par les grands tombeaux situés dans la région de Frenda :

les Djeddars. Le paysage de l’Algérie byzantine reprend le modèle romain

avec des cités toujours nombreuses et renforcées par les nécessités militaires,

tout en s’appuyant sur la permanence de l’Église catholique, qui se

trouve confrontée à la politique de Byzance, fort différente en matière religieuse.

Depuis le V e siècle, des royaumes indigènes ont cependant reconstitué

leur autonomie, surtout dans les Aurès et à l’ouest, et ce jusqu’au VII e siècle.

Souvent investis par l’autorité byzantine, les chefs tribaux se présentent également

comme des alliés potentiels. L’emprise byzantine demeure essentiellement

urbaine, avec l’indispensable entretien de ses communications en

Méditerranée. Les ports de Caesarea et de moindre importance tels ceux de

Rusguniae, Cap Matifou (Bordj el Bahri) et Tigzirt abritent une flotte byzantine

qui reste maîtresse de la côte algérienne, même après la conquête terrestre

arabo-musulmane.


Vestiges de Diana Veteranorum.

La reconquête byzantine 55



LA CIVILISATION ARABO-

MUSULMANE

LES ARABO-MUSULMANS

ET LA CONQUÊTE DE L’AFRICA

a menace principale à laquelle se trouve confronté l’Empire byzantin

L

au VII e siècle ne se situe pas en Afrique. Les incursions des Perses

sassanides parviennent à envahir fréquemment la Syrie et l’Anatolie.

Si le désert syrien forme une marche incertaine face aux Perses, celui

d’Arabie n’a jamais constitué une menace. Pour ses habitants arabes, le bilad

er Rum (pays des Romains) est aussi synonyme de commerce.

Mais dans les années 630, les Arabes, qui embrassent la nouvelle religion

de l’islam, entament une conquête aussi rapide qu’imprévue de la Syrie-

Palestine et de l’Égypte byzantines. Après la prise d’Alexandrie en 642, la

Cyrénaïque est occupée par l’armée arabo-musulmane. La Libye se trouve

être la première terre de population berbère entrée dans le domaine arabomusulman.

Ainsi, l’armée qui mène les premiers raids sur l’Africa des Rum

(l’Ifriqiya en arabe) vers 647 est déjà arabo-berbère.

C’est un ancien compagnon du prophète Muhammad qui dirige la première

campagne d’importance en Africa byzantine. Cette expédition est exclusivement

terrestre, la flotte arabe n’étant pas encore constituée à cette


58 Atlas historique de l’algérie

époque. En revanche, les Byzantins maîtrisent encore la Méditerranée par

laquelle ils sont ravitaillés. L’armée d’Uqba ibn Nafi est essentiellement

composée de troupes arabo-syriennes avec les groupes berbères convertis

en Libye. Ne s’engageant pas

jusqu’à Carthage, le chef arabe

s’installe au milieu de l’ancienne

province de Byzacène et fonde

Kairouan en 670. La prise des

cités de la côte encore trop

bien défendues par les Byzantins

est retardée. Avançant plus

à l’ouest, Uqba se heurte à la

résistance des groupes numides

autonomes ou alliés aux Rum. Il

contourne le massif des Aurès

pour une grande expédition de

reconnaissance qui le mène

jusqu’aux rivages de l’Atlantique.

Grande Mosquée de Kairouan, 1890.

Un de ses lieutenants affronte

les Barbar (Berbères en arabe) dans la région de Pomaria (Tlemcen) en 674.

En 682, Uqba a presque achevé son retour à Kairouan, quand il doit se battre

contre une coalition de Rum et de Barbar au sud des Aurès. C’est le chef Koceila

qui défait l’armée musulmane à Tahuda, au bord du massif montagneux, au

nord-est de Biskra. Cette embuscade précipite alors la retraite en Cyrénaïque

du reste de l’armée commandée par Zuhayr ibn Kaïs.


LES CAMPAGNES DE HASSAN

IBN NU’ MAN ET MUSSA

IBN NUSAYR

partir de 692, Hassan ibn Nu’man revient à Kairouan reconquérir la

A

région de l’Ifriqiya. Sa première campagne est très difficile. Il attaque

dans les Aurès face aux Garawa et Hawara qui le repoussent à l’est.

Il s’emploie à conquérir les cités côtières de Carthage et Hippone (devenue

Bona). Le contexte des troubles en Orient n’est pas propice à l’accomplissement

de sa tâche. Après la première fitna, liée à la succession entre Ali et les

Qoreïch, survint une seconde fitna avec l’écrasement d’Ibn al Zubair par al

Hadjadj, exécutant des Omeyyades de Damas. C’est donc dans les


60 Atlas historique de l’algérie

années 697-698 que Hassan ibn Nu’man entreprend une grande campagne

militaire afin de soumettre définitivement l’Ifriqiya. Son armée comprend alors

180 000 hommes, composée d’Arabes (surtout de Syrie) et de Berbères. Son

armée s’engage à l’ouest, au contact des grandes formations tribales. Les

Garawa restés hors de l’Islam et dirigés par la devineresse al Kahina sont

définitivement vaincus. Les Harawa, Kotama et les groupes Zenata et Sanhadja

entrent progressivement dans l’Islam.


LE MAGHREB AU VIII E SIÈCLE

n 718, moment du débarquement de Tariq ibn Ziyad en Espagne,

E

l’islam est alors répandu dans toute l’Afrique du Nord. L’héritage du

monothéisme chrétien comme juif facilite les conversions, processus

complexe lié au nouveau statut proposé par la loi islamique. Restés chrétiens

ou juifs, les nouveaux protégés (dhimmis) demeurent malgré tout,

comme les nouveaux musulmans, des non-Arabes. En temps de guerre, les

populations de convertis Berbères-Rum sont pourtant conviées à participer

aux campagnes jusqu’en Europe, dont ils entreprennent la conquête. Il s’agit

principalement des raids, jusqu’à Lyon et Autun (en Bourgogne), sites moins

évoqués que la traditionnelle bataille de Poitiers.

Mais les pressions fiscales et certains comportements des gouverneurs

aboutissent à de nombreuses révoltes en Ifriqiya. La découverte de l’islam

s’accompagne, chez les Berbères, de la recherche d’une pratique se voulant

la plus fidèle à la tradition prophétique, sur fond d’idéal égalitariste, attitude

dont les mouvements kharidjites font la promotion en Ifriqiya depuis l’arrivée

des premiers prêcheurs vers le milieu du VIII e siècle. Comme en Orient, les

mouvements d’opposition au pouvoir central omeyyade se déploient auprès

des populations du Maghreb (les pays du Couchant vus d’Orient). Entré dans

le Dar al Islam, le Maghreb accueille un flux permanent d’Orientaux, du soldat

au commerçant, et aussi ceux qui fuient le pouvoir omeyyade de Damas.

Parmi eux, Idris ibn Abdallah, descendant de la famille d’Ali, réfugié au nord

de l’Atlas, au Maghreb el Aqsa (Couchant extrême correspondant au Maroc

actuel), et qui fonde un nouveau royaume. Idriss s’installe à Walila, avec

l’appui de tribus berbères locales qui le protègent. Son influence s’étend

jusqu’à la région de Tlemcen. C’est le commerce transsaharien qui fait la

fortune de ces deux cités rivales. La route de l’or du Bilad es Soudan (pays

des Noirs) passe par Sidjilmasa, pays des Beni Midrar adeptes du kharidjisme.

L’autre route, qui traverse les oasis de Ouargla jusqu’à Tahert en passant

par le Djérid, forme un autre axe économique majeur du nouvel émirat

fondé par Ibn Rustem au centre du Maghreb.

Abdel Rahman Ibn Rustem, d’origine persane, établit en 758 un nouvel

émirat à Tahert pour accueillir les partisans du mouvement des khawaridj

(kharidjites). Fidèles à un courant séparatiste, issu des rivalités entre partisans

d’Ali, ils prônent rigorisme et égalitarisme. Comme dans le djebel


62 Atlas historique de l’algérie

Nefusa, des îlots berbéro-kharidjites se forment puis menacent directement

le pouvoir central en occupant Kairouan entre 758 et 761.

L’Ifriqiya connaît cependant une certaine stabilité avec l’installation de

gouverneurs Aghlabides à Kairouan. La nouvelle dynastie abbasside de

Bagdad, qui a renversé les Omeyyades de Damas après la révolution des

années 750, soutiendra activement ce gouvernorat, notamment sous le règne

d’Harun al Rachid (786-809). Les Aghlabides installent des garnisons arabes

dans toutes les cités d’importance jusqu’à la région de Stif (Sétif), le centre

du Maghreb échappant à leur autorité. C’est en direction du djebel Nefusa et

de la route du Soudan que sont lancées plusieurs campagnes militaires. Un

essor économique accompagne la période du IX e siècle, avec entre autres

l’expansion maritime en Méditerranée. La flotte aghlabide entreprend des

conquêtes en Méditerranée occidentale, principalement vers la Sicile et les

côtes de Provence, poussant jusqu’aux vallées alpines (massif des Maures,

vallée de la Maurienne, etc.).


ABU ABDALLAH : ITINÉRAIRE

D’ UN PRÉDICATEUR CHIITE

a révolution abbasside exclut certains groupes qui l’ont appuyée,

L

notamment les Alides, en oubliant les promesses d’équité. Alors

qu’une partie des chiites, les Hassanides, tentent de se révolter, les

Husseinides se réunirent autour de Dja ‘far al Sadiq. Son fils, l’imam Ismaïl,

donne son nom à un nouveau groupe chiite : les ismaéliens. Le fils d’Ismaïl

ayant été considéré comme un imam caché, débute un nouveau cycle d’occultation

(satr) suivi de la manifestation (zuhur) du mahdi. Le moment de la prédication

(da’wa) fut alors lancé à partir de Médine puis s’étend à la péninsule

Arabique (Bahreïn, Yémen) jusqu’à la Syrie (vers 755), à Salamyeh plus particulièrement.

C’est pendant la période des années 830-890, théâtre de graves

troubles en Orient (révolte des Zandj, mouvement des Qarmates) que le titre

d’imam est donné au mahdi (898). La prédication prend un nouveau départ à

partir de Salamyeh vers tout le monde musulman.

Parmi les prédicateurs se trouve un certain Abu Abdallah, originaire de

Koufa. Après sa formation en Syrie, il se rend au Yémen afin d’effectuer une

sorte de stage pratique à l’occasion de son pèlerinage à La Mecque

en 892. Il y fait connaissance des pèlerins berbères, des Kotama.

C’est à Mina, étape incontournable du hadj, que se nouent ces rencontres.

Le da’i (prédicateur) Abu Abdallah décide d’accompagner

ses nouveaux amis et hôtes jusqu’en Ifriqiya.

Céramique médiévale découverte

dans la région de Sétif.


64 Atlas historique de l’algérie


LE PRÉDICATEUR CHIITE

EN PAYS KOTAMA

’Ifriqiya des Aghlabides se trouve sous l’autorité lointaine des Abbassides

de Bagdad. La préoccupation du prédicateur Abu Abdallah est

L avant tout de se dérober aux autorités locales susceptibles de le

démasquer, ceux-ci étant considérés comme des fomenteurs de troubles et

traités durement. Il s’installe très rapidement dans la région montagneuse au

nord de Sétif, loin de la garnison arabe (djund) de la cité entourée de ses

remparts antiques.

Le da’i considère ces montagnes à la fois comme le refuge idéal éloigné

des Aghlabides, mais leur attribue aussi un caractère religieux voire mystique.

Il choisit de se fixer dans le fedj al Akhyar (la vallée des gens de bien), à

Tazrut, entre Ikdjan et Mila. Il réside par alternance entre Ikdjan (site fortifié

à proximité du village actuel de Beni Aziz) et Tazrut, dont la localisation est

mal établie. Perçue par Abu Abdallah telle une étape symbolique de sa hijra

(de son exil, à l’image du scénario prophétique), son installation dans ces

montagnes qui l’accueillent avec bienveillance suit une « logique historique

et mystique » du projet chiite ismaélien.

Les tribus Kotama (Saktan) font effectivement preuve d’une grande hospitalité

envers le da’i. Cherchant à rester discret, il ne s’en trouve pas moins

troublé du fait de certaines pratiques immorales ayant cours chez certains

groupes Kotama. Abu Abdallah entame sa prédication au sein des tribus qui

l’accueillent, par tradition certes, mais aussi en quête de savoir religieux. Ils

boivent littéralement sa da’wa (prédication), sur fond de défiance face au pouvoir

central aghlabide, représenté par la garnison de Sétif.

Une communauté berbéro-chiite naît ainsi dans cette région, fruit de la

cohésion tribale nourrie des nouveaux enseignements du da’i. Mais le gouverneur

de Kairouan ne tarde pas à connaître la présence de ce troublant prédicateur.

Ibrahim II a d’autres sources de préoccupation. Il vient de mater dans

le sang une révolte de soldats dans la forteresse de Belezma en 895, tandis

que la région du djebel Nefusa (sous influence de l’émirat kharidjite de Tahert)

tente d’entrer en dissidence.

Abu Abdallah profite de cette conjoncture favorable pour renforcer son

autorité dans la montagne kotama qui ne lui est pas entièrement acquise.


66 Atlas historique de l’algérie

Entre 893 et 900, il fait face à plusieurs tentatives des garnisons de Sétif et

Mila appuyées par des groupes kotama hostiles à son fief d’Ikdjan-Tazrut.

Une première coalition antichiite marchant contre Ikdjan est en déroute. La

deuxième campagne décide Abu Abdallah et ses fidèles à s’installer à Tazrut,

au milieu des tribus restées hostiles (Ajjam, Malusa, Lahisa, Lataya, Djimla),

afin de les impliquer davantage dans cette guerre qui commence avec l’armée

aghlabide. Tazrut se trouve assez proche de Mila, l’autre ville de garnison.

En 900 se déroule une bataille décisive. Tazrut se trouve assiégée par

une coalition kotama hostile (de la région proche de Sétif), le da’i entreprend

plusieurs sorties décisives. Il en sort vainqueur. Tazrut devient le Dar al Hijra

(Terre de l’exil) et la base de départ d’offensives désormais dirigées contre

Sétif et Mila.

Après la première prise de Mila par le da’i en 902, le gouverneur aghlabide

décide de mettre fin à ce mouvement. C’est la grande campagne d’Abdallah II

qui débarque à Béjaïa et s installe à Sétif une armée de 12 000 hommes. Son

offensive s’ouvre par le djebel Meghris puis se dirige vers Tazrut. Abu Hawal

repousse Abu Abdallah qui se replie sur Ikdjan. Bien qu’elle ait occupé les

forteresses de Tazrut et Mila, l’armée d’Abu Hawal se trouve limitée dans ses

mouvements par les conditions hivernales qui permettent à Abu Abdallah de

se dérober et même de se maintenir. L’armée aghlabide se replie sur Sétif,

les troubles de Tunis rappelant précipitamment Abu Hawal. En 903 l’armée

d’Abu Abdallah entame le premier long siège (40 jours) de l’antique Sitifis

avec ses remparts, ses sources et sa garnison détestée par les Kotama de la

montagne. C’est après un second siège, un mois plus tard, que Sétif tombe.

La muraille est en partie détruite, la garnison arabe éliminée. À Kairouan, le

gouverneur Ziyadat Allah prépare la reconquête de Sétif avec une armée de

40 000 hommes qui, à partir de Constantine, marchent sur Sétif en 905. Mais

ils ne dépasseront pas Kabuna, surpris par un raid de la cavalerie kotama.

Désorganisée, l’armée aghlabide bat en retraite sur Baghaï.


Site actuel d’Ikdjan, au nord-est de Sétif.

Le prédicateur chiite en pays Kotama 67



LA CONQUÊTE DE L’IFRIQIYA

PAR L’ ARMÉE D ’ABU ABDALLAH

bu Abdallah s’empare de Tobna en 906, grande cité sur la route

A

stratégique qui traverse le Maghreb. Quelques batailles jalonnent

l’avancée de l’armée du da’i Abu Abdallah, qui fait route vers Kairouan.

Après la bataille de Dar Malluwal, Tigis est prise en 907. Les combats

se déroulent principalement au nord du massif des Aurès. Les Aghlabides

tentent bien de sauver leur émirat dans les années 907-908, mais la route de

Tébessa est ouverte, Baghaï s’étant livrée sans combat à l’armée chiite.

Tébessa, puis Téboursouk, subissent les premiers raids en 908, tandis que

Guelma et Bona (maltraitée pour avoir tué un missionnaire chiite) sont occupées.

La route de Kasserine s’avère plus difficile tandis que Gafsa est prise.

La chute des Aghlabides est inéluctable en 909 alors que l’armée de Kairouan

est battue à Laribus. Kairouan se livre à Abu Abdallah et attend son mahdi

(envoyé de Dieu à la fin des temps) qui s’était rendu au Maghreb el Aqsa, à

l’issue de la victoire de son prédicateur. Car c’est vers l’ouest que s’était dirigé

le mahdi, parti de Salamyeh en Syrie, devenue trop risquée pour lui (menacé

par les Abbassides et les Qarmates). Depuis 902, il a entrepris sa hijra vers

le Maghreb. Recherché par les autorités de Kairouan (informées des desseins

millénaristes du da’i), le mahdi s’éloigne jusque chez les Beni Midrar de Sidjilmasa,

mais se fait enfermer par le gouverneur local.

Le temps de sa « révélation au monde » doit passer par sa libération,

première action du nouveau maître de Kairouan. Abu Abdallah se rend jusqu’à

Sidjilmasa avec son armée afin de libérer le mahdi. Puis c’est le retour triomphal

à Kairouan, en passant par Tahert, où l’émirat kharidjite est détruit. Mais

les tribus de la région ne cesseront pas de se révolter contre le nouveau

pouvoir fatimide. Installé dans la nouvelle cité éponyme Mahdia, le nouveau

khalifat est quasi immédiatement affaibli par une conjuration, à l’issue de

laquelle Abu Abdallah est condamné et exécuté, entraînant la révolte de ses

partisans Kotama.

Bras armé de toutes les campagnes chiites au Maghreb, les Kotama continuent

malgré tout à former un groupe majeur de l’armée fatimide, concurrencé

progressivement par les troupes noires et slaves, plus particulièrement

réservées à la protection du souverain.


70 Atlas historique de l’algérie


LES CAMPAGNES FATIMIDES

ÀL’ OUEST

ès 917, les forces fatimides cherchent à s’imposer à l’ouest du

D

Maghreb, vers lequel ils dirigent une grande campagne. L’émirat de

Fès traite avec les Fatimides et accepte de reconnaître leur autorité.

Mais une partie du Maghreb extrême échappe encore au mahdi qui mène

des raids sur les côtes de Sicile et de Calabre, facilités par les précédentes

expéditions aghlabides.

Le second khalife fatimide El Qaïm Billah entreprend quant à lui la reprise

en main du Maghreb el Aqsa en 935, après les tentatives omeyyades (d’Andalousie)

d’asseoir son pouvoir dans la région. Quant à l’émirat ibadite de

Tahert, il cesse d’exister et ses populations s’exilent loin, vers les oasis nordsahariennes,

la région de Qastiliya, en direction du Djérid. Elles fonderont des

villes nouvelles comme Sedrata (Ouargla).

Dinars d’or de la dynastie fatimide El Qaïm Billah.


72 Atlas historique de l’algérie


LA RÉVOLTE D’ABU YAZID

Partie en 944 d’une région particulièrement acquise à la doctrine kharidjite,

la prédication d’Abu Yazid et sa condamnation de l’autorité fatimide

déclenchent une insurrection, qui menace l’existence même du nouveau khalifat.

À partir de la région des Aurès, Abu Yazid lance des raids sur Baghaï et

Tébessa, puis sur Laribus et enfin Kairouan, qui est prise en 945. Seule subsiste

Mahdia, la capitale fatimide, protégée par ses remparts et la mer, qui

résiste à l’armée d’Abu Yazid. Mahdia et les dernières forces fatimides bénéficient

d’un soutien logistique venant de la région à l’ouest de Sétif. Ce sont les

troupes fatimides commandées par la famille Ziri qui permettent d’engager

la contre-offensive en Ifriqiya.

Installé dans les palais de Kairouan, le chef de la rébellion renonce très

vite à son ascèse spirituelle, déroutant ainsi nombre de ses fidèles. Tandis

que son armée se désagrège, Abu Yazid se retrouve rapidement encerclé par

les forces fatimides qui passent à l’attaque depuis Mahdia et à l’ouest avec

l’armée de Ziri. Abu Yazid est contraint de quitter le luxe de Kairouan pour la

région du Zab. Traquée autour de Tobna, son armée est battue au nord-ouest

de M’Sila, lors d’une grande bataille en 947. Les montagnes escarpées du

Hodna fournissent un sursis à Abu Yazid qui se réfugie sur les hauteurs du

Maadid. Mais il est rattrapé et vaincu dans cette région, fief du Berbère sanhadjien

Bologhin ibn Ziri, où le fils établira sa résidence principale quelques

années plus tard. Le fils d’Abu Yazid tente vainement de continuer la révolte

dans la région des oasis de Tozeur.



LES CAMPAGNES D’ÉGYPTE

vec l’établissement des Fatimides en Ifriqiya, l’ambition chiite ismaélienne

d’installer un khalifat universel dans le monde musulman les

A pousse à s’engager en Orient et à libérer le Dar al Islam des « tyrannies

» abbassides. En 914 et 919 sont vainement tentées deux premières

expéditions vers Misr (Égypte en arabe). En 960, tout le Maghreb est pacifié,

dominé par les armées fatimides, sorties renforcées de la guerre contre Abu

Yazid. La flotte de Mahdia s’engage alors dans des expéditions maritimes

contre la Sicile, le sud de la péninsule italienne et jusqu’en Crète. Mais c’est

bien la campagne d’Égypte qui constitue l’objectif principal.

Ainsi, en 969, est réunie une armée considérable autour du groupe principal

« algérien », les Kotama et les forces zirides de l’Ouest. En trois mois,

100 000 hommes atteignent l’Égypte. La conquête se déroule pacifiquement,

Alexandrie ayant ouvert ses portes par la négociation (les Kotama ont souffert

de nombreuses pertes lors des campagnes précédentes). L’événement marquant

de la conquête de 969 reste la fondation d’Al Qahira (Le Caire), à proximité

de Fustat, par l’armée kotamienne commandée par le

khalife fatimide Al Mu’izz. C’est dans cette nouvelle cité

du Caire que sera fondée la mosquée Al Azhar et,

jouxtant cet édifice, un quartier « algérien », le Haï

Kotama. L’armée fatimide ne s’arrête cependant

pas au bord du Nil. Le khalife entreprend d’étendre

sa conquête en Palestine. Ramla est ainsi occupée la

même année que l’Égypte, puis Tibériade en 970. Atteignant

la Syrie, l’armée kotamienne se heurte à la vive

résistance de Damas qui finit par se livrer en octobre Dinars en or, Fatimides,

970. Les Abbassides d’Iraq menacent les nouvelles vers 1010.

possessions fatimides en Syrie-Palestine, ainsi que les

Qarmates qui viennent assiéger l’Égypte. Le khalife Al Mu’izz (953-975), qui

s’était retiré à Mahdia, doit rapidement regagner le front oriental. Il délègue

son autorité en Ifriqiya à l’un de ses plus fidèles lieutenants, Bologhin ibn Ziri.

Mosquée Al Azhar du Caire, fondée par les Fatimides.



L’ AVÈNEMENT DES ZIRIDES

ET DES HAMMADIDES

L

e nouveau gouverneur berbère

du Maghreb Youssouf

Bologhin doit faire campagne contre

plusieurs foyers de rébellion. Avec son

fils Mansur, ils s’emploient à réduire les

révoltes au Maghreb extrême. L’autorité

fatimide est rétablie à Fès en 979,

comme chez les Beni Midrar de Sidjilmasa.

Les forces berbères zirides

poussent jusqu’à la région de Tanger,

sous influence directe des Omeyyades

de Cordoue. Mansur fait ensuite campagne

contre les Kotama en 988-990

alors qu’il vient de recevoir l’investiture

de gouverneur à Mahdia. Le fils de

Mansur, Badis, devient gouverneur de

l’Ifriqiya en 996, sur fond de lutte de succession

avec son oncle Hammad. Ce

dernier faisait partie du commandement

de l’armée fatimide dans la région

stratégique du Hodna qui avait été précédemment

le théâtre de la guerre

contre Abu Yazid. Parmi les lieux stratégiques

de la région centre, une forteresse

(qala’a) est établie par Hammad

qui s’y retire à la suite de désaccords Site actuel de Manar Kalaa des Beni Hammad.

avec la famille ziride. La rupture est

consommée en 1007, Badis siégeant à

Mahdia et Hammad dans sa Qal’a.

À Kairouan, les milieux de l’orthodoxie sunnite (malékites) pressent la

famille ziride à rompre avec le chiisme officiel. C’est Al Mu’izz qui franchit le

pas vers 1050, en proclamant la séparation avec le khalifat fatimide du Caire.



LES BÉDOUINS BENI HILLEL

ET SULEYM

vant leur déplacement vers l’Égypte, les tribus Beni Hillel et Suleym

A

nomadisent dans l’ouest de la péninsule Arabique. Au moment des

premiers temps de l’islam, les Beni Hillel stationnent à l’est de Taïf,

non loin de La Mecque. Ils font partie des nombreuses tribus qui combattirent

le Prophète de l’Islam, notamment lors de l’épisode de la bataille de Honein.

Alors que La Mecque est prise pacifiquement par les musulmans, certaines

tribus tentent de résister vainement à la progression de l’armée musulmane,

dont les Beni Hillel. Dans un second temps, la première communauté musulmane

de Médine est assiégée par une grande coalition de tribus en 627. La

bataille d’el Khandaq (bataille du Fossé) marque un tournant décisif dans la

guerre entre les Qoraïchites de La Mecque et les musulmans. Avec la mort

du Prophète de l’Islam en 632, la tribu des Beni Suleym est combattue par

Khalid ibn Walid pour sa participation au « front des apostats », groupe de

tribus qui ont renié leurs engagements dans l’Islam.

Les Beni Suleym continuent de migrer dans les régions limitrophes, dont

l’Égypte, où ils sont éloignés de la vallée du Nil par les gouverneurs. Générant

de l’insécurité, ils sont invités à migrer en direction de l’Ifriqiya. C’est à la

suite de tensions qui perdurent entre l’envoyé du khalife et les Zirides de

Mahdia que Le Caire favorise le déplacement massif des tribus bédouines

vers l’Ifriqiya. Cependant, les tribus arabes bédouines nomadisaient déjà dans

le désert libyen. Cette nouvelle permission qui leur a été donnée a d’une part

amplifié le phénomène de la migration bédouine, et d’autre part leur a ouvert

l’espace du Tell maghrébin, jusqu’alors limité au sud, dans la région du Djérid

et du Zab.



ZIRIDES ET HAMMADIDES FACE

ÀL’ INVASION BÉDOUINE

vant même la lente arrivée des nomades Beni Hillel, une certaine

A

confusion règne en Ifriqiya. Les Zirides de Mahdia cherchent à

défendre leur domaine face aux ambitions de leur cousin Al Nasir

qui contrôle plusieurs itinéraires stratégiques. La route qui longe le massif

du Tell passe à proximité de la Qal’a. De même, Béjaïa est un port de premier

choix sur la côte méditerranéenne. L’arrivée des tribus bédouines en Ifriqiya

met un terme aux manœuvres zirides. Dès 1042, les Beni Hillel se trouvent

dans le golfe de Gabès et aucune armée n’est en mesure de les arrêter. Seule

Mahdia et ses remparts résiste à leur inexorable avancée. Après Kairouan,

les Bédouins parviennent sur la côte de Tunis à Bona. Les hautes plaines du

Constantinois leur sont ouvertes. Ils y séjourneront de manière quasi permanente.

Les massifs montagneux des Aurès et du Hodna leur sont pratiquement

inaccessibles. Ils n’ont cependant pas encore une connaissance

suffisante du pays ni la prétention de tout envahir. Ils cherchent avant tout à

s’installer. Ils ont des familles à nourrir et l’Ifriqiya semble pouvoir répondre

à leurs besoins immédiats. Les habitants des cités d’Ifriqiya amorcent un

mouvement de repli vers les grandes villes de l’ouest, notamment Tlemcen,

Fès, tandis que la côte accueille les réfugiés tunisois ou kairouanais.

Pour le chef hammadide Al Nasir, la position de la Qal’a ne peut défendre

indéfiniment les intérêts de sa famille. Aussi, entreprend-il de déménager plus

loin son palais, à l’abri des nomades. Ce sera Béjaïa, entourée de montagnes et

respirant économiquement par la mer. Avant cela, Al Nasir, profitant de l’instabilité

qui règne en Ifriqiya, tente de s’emparer, en vain, de Mahdia en 1066. L’unité

du Maghreb réalisée par les souverains fatimides et leurs lieutenants zirides a

complètement disparu. Mais c’est un autre mouvement militaro-religieux qui va

tenter de la réaliser, à l’extrême sud du Maghreb el Aqsa.



AL MURABITUN, LA CONQUÊTE

ALMORAVIDE

ssue d’un groupe berbère saharien (groupe sanhadjien), qui nomadise

dans le territoire de la Mauritanie actuelle, cette formation mili-

I taro-religieuse prend naissance autour d’un chef de tribu revenu du

pèlerinage de La Mecque. Après la création d’un ribat (sorte d’ermitage fortifié)

vers 1048, ce groupe de guerriers se donne pour mission d’islamiser les

peuples noirs du royaume du Ghana vers 1054.

Développant une idéologie malékite stricte, ils souhaitent reproduire le

modèle de la communauté islamique primitive et combattante, unie autour

d’un chef charismatique, Youssouf ibn Tachfin. Ils conquièrent le Sous en

1056-1057, puis ils se dirigent vers le Tafilalt et fondent Marrakech en 1060,

base de leurs conquêtes au nord du Maghreb et en Espagne. Les Al Murabitun

(Almoravides) – habitants du ribat – entament en 1079 la conquête du Maghreb

central. Tlemcen, Ténès, Oran puis El Djazaïr sont ainsi successivement

occupées, aucun pouvoir organisé ne pouvant s’opposer à leur avancée. À

l’est, les cités des Hammadides comme Miliana ne peuvent retarder la prise

d’El Djazaïr. Cependant, le front principal de la conquête almoravide se trouve

en Espagne (prise de Valence en 1102). Leur présence à Tlemcen et à Alger

s’est manifestée de manière monumentale. Parmi les constructions que les

Almoravides ont léguées figurent notamment les grandes mosquées d’Alger

(Masjid el Kebir, début XII e ) et de Tlemcen (1135).

Timbre dédié à la période almohade.


84 Atlas historique de l’algérie

Grande mosquée d’Alger.


LE MAGHREB D’AL IDRISSI

’est sur la commande du roi Roger II de Sicile (l’arabe est alors la

C

langue du palais des rois de Palerme avec le grec) que le géographe

arabe Al Idrissi écrit son Kitab Rudjar (Le Livre de Roger) vers 1154,

pendant que les Hammadides sont à Béjaïa et les Zirides à Mahdia, face aux

ambitions siciliennes. Héritier de la tradition des géographes arabes, Al

Idrissi a en outre exploité les travaux d’Ibn Khurradadhbeh (Bagdad, 885),

Jayhani (Le Livre des Routes et des Royaumes, vers 930), Mas’udi (Livres des

Merveilles), Ibn Hawqal (voyageur

vers 973), Ahmad al Udhri

(Kitab ’Ajaib), Kharezmi (Description

du monde), Al Bakri (Livre des

routes et des royaumes) et Ya’qubi

(Kitab al Buldan – Le Livre des

pays –, 890). Cependant, El

Idrissi ne s’est pas contenté de

les reprendre, il procède avec un

nouvel esprit vis-à-vis des autres

géographes arabes. Le légendaire

se trouve réduit à peu de

notations. Son travail s’est voulu

plus méthodique et plus scientifique.

L’ensemble de son savoir

date de l’époque almoravide. El

Idrissi a particulièrement suivi la

progression almohade en

Afrique du Nord, au moment où

Abd el Mumen s’emparait de

Tlemcen (1145) ainsi que de la

Qal’a des Beni Hammad en 1152. Carte du monde par Al Idrissi, vers 1165.



LES ALMOHADES

près son voyage en Orient entre 1106 et 1116, Ibn Tumart, qui a suivi

A

une formation juridique et théologique, retourne au Maghreb. C’est

dans les villes de Tunis, Constantine puis Béjaïa qu’il commence sa

prédication rigoriste, notamment vis-à-vis des mœurs. À proximité de Béjaïa,

il rencontre Abd el Mumen, originaire de Nedroma, qui devient son fervent

disciple. Ibn Tumart retourne ensuite dans la région de l’Anti-Atlas et du Sous

où il fonde une première communauté des « Unitaristes », les al Muwahhidun

ou Almohades. Il est alors proclamé mahdi à Tinmel (Haut Atlas) en 1121. À

la mort d’Ibn Tumart, c’est son disciple Abd el Mumen qui lui succède en

1132.

Il entreprend la conquête progressive du Draa, du Sous, du Haut et Moyen

Atlas puis du Tafilalt. Il s’empare du Rif et de la région d’Oran en 1145. Alors

que son armée progresse inexorablement vers l’est du Maghreb, les Bédouins

Beni Hillel tentent de le repousser dans la haute plaine de Sétif en 1152.

Mais la victoire almohade est totale. Les Hammadides de Béjaïa ne peuvent

s’opposer à cette armée qui marche sur les pas de leur mahdi. Le domaine

des Zirides est quant à lui annihilé en 1160, avec la prise de Mahdia. Les

Bédouins n’en continueront pas moins de porter atteinte à la stabilité almohade,

particulièrement dans le sud de l’Ifriqiya. Avec le débarquement des

Beni Ghaniya à Béjaïa en 1185, les Bédouins se mettent au service de la

résistance almoravide dans la région orientale du Maghreb.



L’ÉPOPÉE DES BENI GHANIYA

n débarquant à Béjaïa en 1185, une branche de la dynastie des

E

Almoravides, les Beni Ghaniya, tente de reprendre pied au Maghreb.

Alger et Miliana sont reprises par les Beni Ghaniya tout comme les

anciennes cités hammadides d’Achir et de la Qal’a. Habilement, les Beni Ghaniya

s’allient aux nombreuses forces bédouines présentes dans la région des

hautes plaines et dans le bassin du Hodna, entretenant une dissidence permanente

dans tout le Maghreb central et oriental. Les troupes almohades,

qui combattent aussi en Andalousie, interviennent principalement dans la

région de la Tunisie actuelle. Elles affrontent et défont la coalition des Beni

Ghaniya, appuyées par le mercenaire arménien Qaraquch. Mais les Beni Ghaniya

ne renoncent pas à ce qu’ils considèrent comme leur héritage familial.

En 1203, Al Nacir entreprend une nouvelle campagne pour en finir avec les

insaisissables Beni Ghaniya. L’émir almohade désigne Abou Mohammed ibn

Abu Hafs comme gouverneur militaire de l’Ifriqiya. En 1209, les Beni Ghaniya

sont repoussés dans le sud du Djérid et du djebel Nefusa où ils subissent

une lourde défaite.



LE MAGHREB AUX XIII E

ET XIV E SIÈCLES

’instabilité liée en partie à la guerre des Beni Ghaniya, dans l’est du

L

Maghreb, précipite l’affaiblissement almohade. Les lieutenants de la

famille des Hafsides se trouvent ainsi livrés à eux-mêmes à partir de

1229, puis deviennent définitivement indépendants en 1236. Autour de Tlemcen,

le relâchement de l’emprise almohade favorise la dynastie locale des Abdelwadides.

Cependant, Tlemcen reste très convoitée par le royaume voisin de Fès.

Depuis 1248, les Berbères Beni Marin (ou Mérinides) ne cessent d’entreprendre

des campagnes pour conquérir Tlemcen. Les Mérinides sont, avec Abu al

Hassan, à leur apogée quand ils tentent de s’emparer de Tunis en 1347. De

même, Abu Inan s’engage, en 1357, dans une grande campagne de conquête de

l’Ifriqiya par la côte. Les Abdelwadides de Tlemcen, constamment sous la pression

des Mérinides, sont défaits à deux reprises, en 1337 et 1352. Mais,

s’appuyant sur les armées bédouines, ils se maintiennent malgré tout. Les

grands itinéraires commerciaux, notamment en provenance du Sahara, transitant

par elle, la cité de Tlemcen est constamment convoitée. Les Hafsides de Tunis

maintiennent finalement assez difficilement l’héritage almohade. L’instabilité

chronique des tribus provoque des troubles intérieurs tandis que les côtes sont

menacées par les Espagnols installés dans la Sicile toute proche. Quant aux

royaumes de Fès et Tlemcen, ils interviennent au moindre signe de faiblesse des

Hafsides.



L’ ITINÉRAIRE ALGÉRIEN D ’IBN

KHALDUN, GRAND HOMME

DU XIV E SIÈCLE

é à Tunis d’une famille arabe d’origine andalouse en 1332, Ibn Khaldun

débute ses études en Ifriqiya puis à Fès, en passant par Biskra

N et Béjaïa. Il devient haut conseiller permanent de plusieurs souverains

du Maghreb, à la cour des Mérinides en 1354. Voyageant souvent dans

le cadre de son activité diplomatique, il se réfugie auprès des tribus bédouines

des hautes plaines sétifiennes afin d’échapper aux intrigues de palais en

cours à Béjaïa. Il apprend beaucoup du monde bédouin tout en exerçant

comme condottiere, agent recruteur de troupes armées. À partir des

années 1370, il se détache de cette activité professionnelle pour entamer une

sorte de retraite spirituelle consacrée au savoir religieux. Il rédige la Muqqadima

(La Présentation), introduction à son Kitab al I’bar (Le Livre des exemples,

ou Histoire universelle), dans un village isolé au sud de Frenda (1379). Il se

rend par la suite en Orient. De l’Égypte à la Syrie, il rencontre Timur Lang

(Tamerlan), le grand chef des Mongols. Il meurt en 1406 au Caire.



L’EMPIRE OTTOMAN ET

LE PACHALIK D’ALGER

LA MÉDITERRANÉE EN 1492

n Méditerranée orientale, Mamelouks et Ottomans dominent depuis

E

le XIV e siècle. L’Égypte et la Syrie sont passées sous le commandement

de chefs militaires, anciens esclaves-soldats, originaires du

Caucase. Ces derniers ont écarté les souverains ayyubides, connus pour avoir

longtemps combattu les croisés. Ces nouveaux sultans mamelouks restent

sans rivaux jusqu’à la fin du XV e siècle, forts d’une armée bien organisée,

mais reposant sur une économie prospère (contrôle des routes commerciales

entre l’océan Indien et l’Orient musulman). Les Ottomans (descendants

d’Osman ou Uthman) sont quant à eux issus de la décomposition du sultanat

seldjukide de Rum (royaume turco-mongol islamisé) au XIII e siècle. Originaire

des régions turco-mongoles (Kazakhstan, Ouzbékistan-Mongolie-Xinqiang

chinois actuels), la petite dynastie ottomane s’installe et organise son beylik

(petit émirat) dans la région de Konya. Ils sont face aux Byzantins mais ne

tardent pas à conquérir la majeure partie de l’Anatolie aux dépens des autres

beyliks au cours du XIV e . Les Ottomans étendent leur domination tout autour

de Constantinople, dernier bastion byzantin, qui sera finalement conquise en

1453. La flotte ottomane devient très puissante en Méditerranée orientale.

Elle s’emploie à démanteler méthodiquement les positions génoises, entre la

mer Égée et le sud de l’Adriatique. Si Rhodes parvient à résister aux sièges

ottomans, les Mamelouks ne peuvent stopper l’avancée ottomane en Syrie.

Ils finiront par livrer l’Égypte en 1517.

Entretemps, l’activité maritime ottomane s’est manifestée en Méditerranée

occidentale. Toutes les côtes entourant la Grèce se trouvent sous la domination

ottomane, et sont le point de départ de multiples expéditions contre

les positions chrétiennes. C’est ainsi que les corsaires ottomans Kemal Raïs

puis Aroudj entreprennent de nombreux raids sur le sud de l’Italie et en Libye.

Tripoli fut prise par les Espagnols en 1510, tandis qu’Alger faisait appel aux

corsaires ottomans.



ESPAGNOLS ET OTTOMANS

AU MAGHREB CENTRAL DE

1509 À 1518

près avoir tenté d’occuper durablement les régions de Syrie-Palestine

Orient au cours des croisades (XI e et XII e siècles), les royaumes

A d’Europe occidentale se sont renforcés dans le reste de la Méditerranée.

Tandis que les ordres chevaleresques veillent sur les îles stratégiques

de Malte et de Rhodes, les royaumes chrétiens regagnent du terrain en

Espagne. Les Almohades n’ayant pu se maintenir après leur échec lors de la

bataille de Las Navas de Tolosa en 1212, la Reconquista a morcelé l’Andalousie

musulmane en plusieurs principautés rivales. Au XIII e siècle, les Arabomusulmans

monnayent leur sécurité aux Espagnols. De 1391 à 1482, les

royaumes chrétiens réduisent l’Andalousie musulmane au seul royaume de

Grenade qui est pris en 1492. Mais le royaume de Castille et d’Aragon est

une grande puissance maritime en Méditerranée. À la suite du morcellement

territorial au Maghreb et de l’affaiblissement du pouvoir central almohade,

les Espagnols s’emparent de plusieurs cités de la côte.

Mers el Kebir et Oran sont occupées par la flotte espagnole en 1509, de

même que Béjaïa en 1510 (première tentative espagnole en 1282). Affaiblis en

mer, les Hafsides paient un tribut à la Sicile depuis 1285. Quant aux Marocains, ils

sont sous la pression constante des Portugais (prise de Ceuta en 1415, Safi et

Agadir en 1504-1505). En Espagne, le régime de l’Inquisition des Rois Catholiques

de Castille et d’Aragon a provoqué l’expulsion des populations musulmanes et

juives vers les cités du Maghreb.

Le corsaire raïs Aroudj est originaire d’une famille albanaise islamisée,

installée à Lesbos, à quelques heures de voile d’Istanbul. C’est sous l’autorité

bienveillante du sultan que sont dirigées les expéditions en Méditerranée

occidentale. Pour les Ottomans, la côte du nord de l’Afrique ne peut rester en

possession des puissances chrétiennes. Tripoli et Rhodes doivent être occupées

au même titre que Tunis, qui a pactisé avec les Espagnols. Quant à

Alger, sa libération intervient seulement après l’occupation d’une base sûre.

À défaut de pouvoir prendre Béjaïa en 1510, Aroudj, grièvement blessé suite

à un siège infructueux, choisit Mansouria (Ziama Mansouriah) pour se fixer


98 Atlas historique de l’algérie

sur le littoral « algérien ». Jijel est ensuite reprise à la garnison génoise qui

l’occupe. Ce dernier l’attaquant par la terre en 1512, à l’aide des tribus

locales. Aroudj tente une deuxième attaque sur Béjaïa en 1514, mais il

renonce en poursuivant vers l’ouest, accompagné des nouveaux alliés parmi

les tribus locales. Il débarque alors à Cherchell.

C’est seulement en 1516 qu’Aroudj se décide à occuper el Djazaïr (Alger),

sollicité par le souverain local. Les Espagnols ont établi sur les îlots en face

de la cité toute une série de fortifications, El Peñón de Vélez, pointant ses

canons sur Alger. Pour Alger, refuser de payer le tribut imposé par les Espagnols

revient à faire appel à une flotte amie. En se dirigeant sur Alger, Aroudj

a d’autres plans en tête. Salué comme le sauveur de la ville, il ne tarde pas

à exécuter le roi. La ville passe alors sous le commandement d’Aroudj qui

prépare une grande expédition vers l’ouest. Tlemcen se trouvant sans successeur

depuis 1512, Aroudj décide de s’en emparer avec son armée composée

de soldats ottomans et de tribus de la région alliée de Jijel. Avec son frère

Ishaq, Aroudj occupe Tlemcen en 1517. Mais les Espagnols réagissent. Avec

les forces arabes locales, ils contre-attaquent. Alors qu’Ishaq est tué dans la

Qal’a des Beni Rached, Aroudj est poursuivi par les Espagnols dans sa retraite

vers l’est, et meurt à Delbou (Tlemcen).


Espagnols et Ottomans au Maghreb central de 1509 à 1518 99

Carte de Barbarie et de Biled ul Djerid, dessinée par Abraham Orteluis, 1574.



LA CONQUÊTE DES PAYS

D’ EL DJAZAÏR (ALGER) ET

LES NOUVEAUX ALLIÉS

DE KHAYR AL DIN,

DIT BARBEROUSSE (1519-1534)

hayr al Din, dont la flotte maîtrise les ports de la côte orientale de

K

l’Algérie, poursuit la mission entamée par ses frères. Aroudj et Ishaq

ont payé de leur vie pour cette conquête des régions intérieures,

notamment celle du royaume de Tlemcen. Istanbul met à sa disposition une

armée de 6 000 janissaires, le corps d’élite de l’armée ottomane, ainsi que

de l’artillerie. Khayr al Din envoie son armée reprendre Tlemcen et les régions

de l’est. Cependant, l’impact de ces campagnes se trouve limité par le

manque de soutien des grandes tribus locales. Khayr al Din a besoin de leur

participation pour sa conquête de l’intérieur.

Ces grandes tribus dominant les régions centrales

entre Alger et Sétif sont les Kouko, dont le

territoire s’étend du Djurdjura à l’arrière-pays de

Béjaïa, et les Beni Abbes (connus sur les cartes

européennes comme les sultans de Labez). Ces

deux grands groupes rivaux ont joué un rôle

majeur dans les premiers développements de la

conquête d’Aroudj dans les années 1512-1516.

Les Kouko ont soutenu Aroudj contre Béjaïa et

pour la prise d’Alger. Ces alliés de la première

heure furent ensuite perçus comme suffisamment

menaçants pour que Khayr al Din s’engage

contre eux en 1518. Mais il sera quasi impossible

pour Alger de les soumettre définitivement, d’où

l’association avec leurs concurrents : les Beni

Abbes. Originaire du Hodna, cette famille s’est

Khayr al Din, dit Barberousse.

fixée dans les montagnes des Bibans. Cette


102 Atlas historique de l’algérie

région devient incontournable sur la route d’Alger à Constantine (sauf par le

sud de l’Ouanougha, impliquant une semaine de marche supplémentaire).

Seul le passage par des gorges étroites (Bibans signifie « les portes ») permet

d’accéder aux hautes plaines de l’Est. À défaut de pouvoir les dominer par

les armes, comme en 1520, alors que les Hafsides de Tunis tentent de

reprendre pied à l’est, le pouvoir ottoman s’emploie à les engager comme de

grands alliés. C’est ainsi que les Beni Abbes participent à toutes les grandes

campagnes ottomanes dans les régions insoumises, contre les Marocains ou

contre les Tunisiens, qui sont définitivement repoussés hors du Constantinois.

Les beys d’Alger organisent toutes leurs campagnes militaires avec l’appui

de ces grandes tribus, exemptées des impôts soumis aux autres tribus dites

makhzen.


Siège de Rhodes par les Ottomans en 1480.

La conquête des pays d’el Djazaïr 103



LES CAMPAGNES DE HASSAN

AGHA ET SALAH RAÏS

(1534-1556)

aître des mers et des ports algériens, sauf ceux d’Oran et Mers el

M

Kebir, Khayr al Din, appelé au poste de grand amiral de la flotte

ottomane à Istanbul, délègue la reprise en main de l’arrière-pays

d’Alger à ses fidèles lieutenants Hassan Agha et Salah Raïs. Ces derniers

organisent plusieurs campagnes décisives, dans un premier temps pour

reprendre la région de Tlemcen. Cette dernière est très convoitée par les

ennemis héréditaires des Tlemcéniens, les Beni Marin de Fès. L’armée chérifienne

est écrasée et poursuivie jusqu’à la Moulouya, après leur défaite au

Rio Salado (El Malah) en 1555. Les places fortes d’Oran et de Mers el Kebir

restent tenues par les Espagnols, bien que fréquemment assiégées par la

flotte des raïs.

La guerre en mer menée par Charles Quint, et son échec à Alger en 1541,

ne décourage pas sa flotte à lancer des expéditions sur le reste de la côte

algérienne. Les Espagnols tentent de prendre Mostaganem en 1558, tout en

soutenant les derniers Hafsides de Tunis. Ces derniers ne renoncent pas à

maintenir leur domination sur la partie orientale des territoires conquis par

les Ottomans dans les années 1520. L’armée des janissaires mène plusieurs

campagnes contre Tunis, dont l’une, en 1569, est décisive. Suite à la défaite de

l’armée tunisienne à Béja, Euldj Ali anéantit la dynastie des Hafsides. Après

la reprise de Tunis par les Espagnols en 1572, les Algériens se replient dans

la région de Bône, marquant ainsi une première étape dans l’établissement

des frontières orientales de l’Algérie ottomane. Auparavant, Salah Raïs a

entrepris de s’engager très loin vers les oasis de Touggourt et Ouargla, après

la prise de Biskra en 1552. Les Marocains ne tenteront plus de reprendre la

région de Tlemcen jusqu’au XVII e siècle tandis que le domaine des Hafsides

devient un nouveau pachalik dépendant d’Istanbul en 1574. Après leur prise

de Tripoli en 1551, les Ottomans se sont rendus progressivement maîtres de

tout le littoral tunisien.



ALGER ET LA MÉDITERRANÉE

AU XVI E SIÈCLE

e XVI e siècle correspond à l’apogée de la puissance ottomane. Avec

L

les sultans Selim I er et Süleyman (Soliman le Magnifique), l’Empire

ottoman accroît considérablement son territoire. Il contrôle les

routes venant d’Asie et d’Afrique. L’Égypte est enlevée aux Mamelouks en

1517, faisant ainsi entrer les lieux saints de l’islam dans le giron ottoman.

Quant à l’Europe, elle se trouve extrêmement préoccupée par l’avancée du

Grand Turc. Après la prise de Rhodes, dernier bastion chrétien sur la route

de Jérusalem avec Chypre (1571), ce sont les peuples slaves et hongrois qui

sont défaits (Belgrade 1521, Mohács 1526). Cependant, Istanbul entretient des

relations particulières avec le royaume de France, dans lesquelles Khayr

al Din va jouer un rôle décisif.

L’empire espagnol de Charles Quint menace directement le royaume de

François I er , soumis à une situation d’isolement. Les possessions espagnoles

des Pays-Bas et d’Italie provoquent plusieurs guerres avec la France qui sollicite

l’aide d’Istanbul et d’Alger. Après la signature d’une convention avec la

France, prévoyant notamment l’installation de consuls ainsi que la liberté

d’exercice du commerce en Méditerranée, Khayr al Din intervient en faveur

des Français avec sa flotte devant Nice en 1543. Khayr al Din, chef de la

flotte ottomane, affronte Doria, grand corsaire au service des Espagnols et

de Venise. Cette guerre pour la Méditerranée aboutit, en 1571, à une grande

confrontation lors de la bataille de Lépante qui marque un tournant dans la

puissance maritime ottomane, qui ne parviendra plus à regrouper une telle

armada, alors que les Européens sont déjà présents sur toutes les mers du

globe, accumulant les richesses du Nouveau Monde. Même si l’or et l’argent

sud-américains permettent à l’Espagne de se doter d’une flotte redoutable,

Charles Quint ne parviendra pas à s’emparer d’Alger, malgré la mise en place

d’une armada devant Alger en 1571.



1571, LA BATAILLE D’ALGER

harles Quint, à la tête de l’empire sur lequel le soleil ne se couche

C

jamais, décide de neutraliser Alger, le plus redoutable repaire de

corsaires de la Méditerranée. Il rassemble une flotte considérable

confiée à Doria et Cortès, le conquérant du Mexique. L’empereur prend quant

à lui personnellement le commandement d’une armée européenne (Espagnols,

Italiens, Allemands, chevaliers de Malte…) qui débarque sur la plage

du Hamma en octobre 1571. Alger est nouvellement fortifiée par Hassan

Agha. La position particulière de la ville, avec ses hauts murs entourés de

fossés, oblige les assiégeants à se positionner sur les hauteurs, ce que fait

Charles Quint en occupant le site qui prendra le nom de « Sultan Kalasi »

(fort de l’Empereur). Son armée tente d’attaquer, appuyée par une armée de

Kouko. C’est en direction de la ville basse, par Bab el Oued, que l’armée

attaque par le Frais Vallon. Mais une terrible tempête survient l’après-midi,

mettant hors d’état la plus grande partie de la flotte espagnole, bombardée

par les batteries côtières, tandis que les orages gonflent dangereusement les

oueds. L’armée des janissaires s’engage hors des murs d’Alger alors que les

Espagnols n’ont pas solidement établi leur siège. L’armée de Charles Quint,

coupée de ses renforts et du ravitaillement, doit finalement battre en retraite.

Le corps des chevaliers de Malte couvre cette désastreuse retraite vers le cap

Matifou.



L’ ORGANISATION DE L ’ALGÉRIE

OTTOMANE AU XVII E SIÈCLE

vec les campagnes de Hassan Pacha et de Hassan Corso, les Algériens

s’imposent fermement dans la région de Tlemcen, après avoir

A repris Mostaganem. L’unification des territoires du Maghreb central

par les beys à partir des îles d’Alger (al Djazaïr) redéfinit une nouvelle identité

géographique. On peut désormais parler d’une entité algérienne, certaines

cartes européennes du XVII e siècle employant le terme de « royaume d’Alger »

ou de « régence d’Alger » (pachalik).

À partir de 1587, l’Empire ottoman réorganise ses territoires d’Afrique du

Nord en trois pachaliks. Alger, Tripoli et Tunis sont dirigés directement par

des pachas envoyés d’Istanbul. Dans l’Algérie ottomane, on procède à la mise

en place de beyliks, régions administrées par des beys nommés par le Pacha.

Médéa devient le siège du Titteri, Constantine du grand beylik de l’Est, tandis

que le siège de l’Ouest se situe à Mazuna (au nord

de Relizane), avant d’être transféré à Oran, une

fois libérée des Espagnols. Quant à la capitale,

Alger, elle contrôle le Dar el Sultan, qui s’étend

jusqu’à Ténès. Tout un réseau de villes de garnisons,

composées de troupes ottomanes, est organisé

le long des itinéraires stratégiques. Mais

plusieurs régions montagneuses peuplées de

nombreuses tribus échappent à la domination

d’Alger, et se trouvent indépendantes de fait. Les

deys d’Alger se contentent le plus souvent

d’entretenir des troupes (nouba) dans leurs fortins

(bordj) autour des massifs des Qabaïles,

ensemble de tribus berbères qui s’étend de la

chaîne du Djurdjura à la presqu’île d’El Qoll.

Parmi elles, certaines ont toutefois d’excellents

rapports avec l’autorité ottomane. Il en est ainsi

des Beni Foughal (sud de Jijel), qui fournissent du

Mosquée de Guidjel, gravure de

bois de construction pour la flotte des raïs. Les

Delamare, 1839.

tribus procurant de tels services ou participant


112 Atlas historique de l’algérie

aux campagnes avec l’armée des janissaires sont privilégiées, soit par l’octroi

de bonnes terres, soit par l’exemption fiscale. Mais la grande majorité des

habitants restent soumis à l’impôt de gré ou de force. Des colonnes militaires

turques sillonnent le pays à chaque campagne de recrutement. Ces mehella

sont bien entendu appuyées par des caïds, administrateurs locaux d’origine

turque ou kouloughli, nommés par le bey (kouloughli, du turc kül oglu, qui

signifie littéralement « enfant d’esclave », et désignant les populations issues

de mariages entre Ottomans et femmes indigènes ou captives européennes).

Ces caïds désignent localement des cheikhs indigènes pour assurer un

contrôle efficace des tribus.

C’est au cours du XVII e siècle que le pachalik d’Alger ou régence d’Alger

(terme utilisé par les Français à partir du XVI e siècle) s’éloigne progressivement

du giron d’Istanbul. Avec la fin des émirs, des pachas triennaux, censés

dépendre de l’autorité directe du Sultan, sont envoyés à la djenina (palais des

pachas puis des deys). Ces pachas doivent composer avec un pouvoir local

assez complexe. La flotte militaire d’Alger, très puissante, a ses proches

chefs, la plupart d’origine européenne et convertis à l’islam : les raïs. Leur

rôle dans l’accumulation de richesses du pachalik, par la pratique de la

course en Méditerranée, place ces chefs dans une position de premier ordre.

Ces soldats, généralement issus du recrutement d’enfants (devchirmé) dans

les Balkans et aux frontières caucasiennes de l’Empire ottoman, reçoivent

une solide formation militaire en Anatolie avant de rejoindre les provinces ou

l’armée sur le front. Cette troupe d’élite (l’odjak) ne se laisse pas abuser

facilement et n’hésite pas à éliminer leur agha. À partir de 1671, la place

du dey (étymologiquement « oncle maternel » en turc), qui est le véritable

administrateur du pays, efface le rôle du pacha, qui est en réalité assez symbolique,

assurant une sorte de suivi impérial du pouvoir en place. Le dey

nomme les beys dans les régions, et commande l’armée avec laquelle il doit

composer. Il est choisi par les officiers et les raïs, d’où une instabilité chronique

au palais et des crises de succession à répétition. La période du

XVII e siècle marque cependant l’apogée de la puissance maritime d’Alger en

Méditerranée.


Plan d’Alger au XVII e siècle.

L’organisation de l’Algérie ottomane au xvii e siècle 113



SITUATION GÉNÉRALE

AU XVII E SIÈCLE

a principale ressource du pachalik d’Alger provient de la course en

L

Méditerranée qui atteint un essor considérable au XVII e siècle. Entre

1580 et 1670, Alger est au maximum de sa force. La flotte algéroise

ne peut pourtant compter que sur elle-même. Depuis son échec en 1671 à

Lépante, face à la puissante coalition chrétienne, la flotte impériale d’Istanbul

ne s’aventure guère en Méditerranée occidentale. C’est le domaine des corsaires

d’Alger qui tentent d’empêcher les Espagnols de reprendre pied sur

les côtes tunisiennes. Pourtant, les Espagnols ne sont plus les seuls à intervenir

sur les côtes barbaresques . Les rois de France cherchent à protéger

leurs intérêts en Méditerranée, comme dans comptoirs commerciaux de Barbarie.

Car depuis 1560, Alger accorde à la France le monopole de la pêche

du corail sur les côtes orientales du pays. Un établissement est construit à

l’est de Bona : le Bastion de France. Mais cette petite enclave subit plusieurs

manifestations d’hostilité des tribus locales qu’elles occupent, même en 1568,

et la détruisent en 1604. Raison pour laquelle la flotte française intervient à

plusieurs reprises entre 1618 et 1620. À partir de 1634, le Bastion est récupéré

à l’issue de négociations avec Alger, ce qui permet aux commerçants

français de fortifier le village de pêcheurs du Bastion qui devient La Bastille,

et de fonder un autre établissement à El Qala (anciennement La Calle). Cette

position française commerciale continue de provoquer des tensions entre

Alger et le royaume de France, jusqu’à la conquête. Le roi Louis XIV, sûr de

sa puissance, tente une expédition sur la côte algérienne et s’empare de Jijel

en 1664, mais son armée, harcelée par les tribus locales et sans réelle

connaissance du pays, doit rembarquer. Les accords signés, de 1666 à 1688,

par les délégations algéroises à Versailles améliorent les relations francoalgériennes,

sans toutefois régler la question des garanties concernant les

établissements français de La Calle (El Qala). Ces négociations alternent avec

plusieurs campagnes de bombardement d’Alger par la flotte française, précédée

par leurs concurrents anglais décidés à stopper la piraterie algéroise.

Au cours du XVII e siècle, la régence d’Alger a bien du mal à exercer sa

domination sur de nombreuses régions, en proie à de multiples révoltes. De

grandes tribus furent notamment à l’origine d’une rébellion entre 1637 et 1649


116 Atlas historique de l’algérie

dans le beylik oriental, tandis que le bey de Tunis cherchait à s’emparer de

Constantine dès 1620. Le bey Mourad assiège vainement la cité en 1698 pour

être finalement battu en 1700 dans la région de Sétif. La révolte qu’affrontent

les deys d’Alger trouve son origine dans la politique de désignation, voire d’élimination

des cheikhs de grandes tribus, telles que les Hanencha, Nememcha

et Harakta, écartées du commandement régional au bénéfice des Duwawida

(famille Bou Akkaz). Ces contentieux entre le pouvoir beylical et les tribus

arabes ou chaouias perdurent jusqu’à la conquête française.

Intérieur de la mosquée de la Pêcherie, Alger, 1884.

À l’ouest, le renforcement du royaume alaouite se manifeste par la tentative

de Moulay Ismaël de conquérir la région de Tlemcen. Parvenant au-delà

de Mascara, il est repoussé par l’armée algérienne. Le dey Cha’ban reprend

l’initiative à l’ouest en chassant définitivement les Espagnols d’Oran en 1708.

Il avait auparavant stoppé une seconde expédition de Moulay Ismaël sur Tlemcen

en 1691, et mis un terme aux ambitions du grand souverain marocain.

C’est en direction du Maroc et du littoral algérien que débarquent, à partir

de 1609, les morisques, populations musulmanes supposées converties au

christianisme par les Espagnols.


Extrait de la carte du Royaume d’Alger par Pierre Duval, 1877.

Situation générale au XVII e siècle 117



ALGER ET SES RELATIONS

INTERNATIONALES

onséquence de la progression des essors économiques français

C

outre-mer, avec la volonté de concurrencer les Anglais, les relations

diplomatiques avec Alger marquent la deuxième moitié du

XVII e siècle. Alors que les Européens se partagent le Nouveau Monde et

s’installent progressivement en Extrême-Orient, l’Empire ottoman déploie une

grande activité diplomatique de Moscou à Versailles. Face aux Européens, aux

Autrichiens et aux Russes, il est sur la défensive, surtout après l’échec du

siège de Vienne en 1683. C’est par l’intermédiaire des deys algériens qu’Istanbul

joue la carte française. Alger veut donner des garanties aux rois de France

pour leur commerce en Méditerranée. Parmi les autres pays européens,

beaucoup paient cher la liberté de circuler en Méditerranée. Mais ils en ont

les moyens… La Hollande est déjà une puissance maritime dans le monde

(Fondation de New Amsterdam, Cap Staad en 1665, de la Compagnie des Indes

néerlandaises en 1602). Les États-Unis d’Amérique sont quant à eux entrés

en contact avec les Algériens, après la capture de deux de leurs voiliers en

1625.



L’ALGÉRIE OTTOMANE

AU XVIII E SIÈCLE

a pression européenne sur l’Algérie s’exerce de manière continue à

L

partir de la deuxième moitié du XVIII e siècle et se manifeste par plusieurs

bombardements d’Alger, tandis qu’Oran est reconquise ponctuellement

par les Espagnols en 1732. Malgré leurs stratégies souvent

opposées, les flottes européennes s’emploient toutes à essayer d’abattre la

base des raïs d’Alger. Les Espagnols tentent même un débarquement qui

échoue sur l’oued el Harrach en 1775. Si les ressources algériennes liées à

la course en Méditerranée sont menacées par les attaques européennes, le

dey possède malgré tout des moyens militaires suffisants pour attaquer le

bey de Tunis, contre lequel il mène campagne en 1735 et 1745. La régence

dispose d’une sorte d’arme économique : ses substantielles ressources céréalières,

qui sont commercialisées vers la France depuis 1793. La jeune république

a pu bénéficier d’achat à crédit de céréales algériennes afin de

suppléer aux conséquences de son instabilité agricole. Ces prêts consentis à

la France sont à l’origine de la crise entre le consul Deval et Hussein Dey peu

avant la conquête.

La paix intérieure reste une source de préoccupation pour les deys de la

période. Car si l’administration du « pays utile » est bien huilée, avec ses

complexes relations familiales liant les beys aux caïds locaux (de nombreux

mariages entre les familles des beys et leurs administrateurs assurent les

liens de fidélité au pouvoir), la masse des populations rurales obéissent à

leurs cheikhs, mais aussi à certains chefs de confréries religieuses, à l’origine

de nombreux troubles au début du XIXe siècle.

Les mouvements des confréries ou tariqas ont une audience très forte

auprès des populations. Les chefs spirituels de ces mouvements, cumulant

souvent pratiques ésotériques (ils se prétendent ou sont perçus comme

détenteurs de la baraka – la bénédiction) et prédication, dirigent des zaouïas,

qui hébergent les ikhwan (les frères) et font office d’école. Les élèves y

reçoivent dans certains cas, outre l’enseignement traditionnel, une pensée

dirigée contre le pouvoir des beys. À la fin du XVIII e siècle naît la confrérie

éponyme des Tidjaniya (Ahmed el Tidjani, 1737-1815), dont l’école mère se

trouve très loin d’Alger, à Aïn Madhi. N’ayant pas réussi à résister aux beys,


122 Atlas historique de l’algérie

plusieurs confréries dirigent leurs efforts vers le Sahara. Celle des Rahmaniya

apparaît pendant la seconde moitié du XVIII e siècle en plein cœur du pays

des Qabaïles (cette dénomination figure sur plusieurs cartes françaises du

XVIII e ). C’est un habitant du Djurdjura, Abderahman bou Qobrin (aux deux tombeaux)

qui aurait une double sépulture, l’une à Alger (quartier du Hamma) et

l’autre sur place. La Qadiriyya se présente quant à elle comme la grande

confrérie de l’Ouest algérien, notamment de l’Oranie. Le mouvement qui

inquiète le plus le pouvoir central est celui de la Derqaoua. Bien implantés

chez les populations montagnardes du Titteri et de l’Ouarsenis, ses membres

prônent la guerre sainte ouverte contre les Turcs. De même, de fréquentes

révoltes éclatent dans le massif du Djurdjura. Les tribus Guechtoula et Flissa

attaquent les places fortes turques de Boghni et Sebaou en 1757, tandis que

les Zouaoua descendent jusqu’à la Mitidja en 1768.


Gravure d’Alger, XVIII e siècle.

L’Algérie ottomane au XVIII e siècle 123



L’ALGÉRIE OTTOMANE

AU DÉBUT DU XIX E SIÈCLE

ésormais contenue par le blocus maritime européen et plus spécialement

français, l’activité économique delacoursealgérienneenMédi-

D terranée se tarit. L’Empire ottoman se trouve lui-même menacé par les

nouveaux appétits européens. Après le débarquement français en Égypte

(40 000 soldats) et les succès du corps expéditionnaire contre les Turcs, la question

d’Orient se trouve plus que jamais à l’ordre du jour dans les chancelleries

des grandes puissances européennes. Aux offensives russes et autrichiennes

dans les Balkans et les détroits répondent les avancées anglaise et française en

Méditerranée orientale. Avant de partir pour l’Égypte en 1798, Napoléon avertit

Alger en cas d’attaque de bâtiments français, « le premier acte d’hostilité que se

permettra le dey sera le signal de la destruction d’Alger ». Cependant, les Français

ont encore besoin de l’Algérie et de son ravitaillement car ils se trouvent en

grande difficulté après la destruction de leur flotte par les Anglais à Aboukir.

Napoléon signe donc un traité de paix en 1800 avec Alger, alors qu’il

évacue en catastrophe son armée de Palestine (1801). L’Algérie, à l’instar de

Tripoli et Tunis, n’a pas répondu à l’appel d’Istanbul d’entrer en guerre contre

les Français. C’est seulement après la défaite navale de Trafalgar en 1805

que le dey fait emprisonner les commerçants italiens et confisque les possessions

de La Calle qu’il cède… aux Anglais. Pendant que se déroulent ces

tractations, éclate en 1804 une grande révolte à l’instigation de la confrérie

Derqaoua, qui est déclenchée dans deux régions très éloignées l’une de

l’autre. À partir de son fief des montagnes d’El Qoll, le chérif derqaoui se

lance à l’assaut de Constantine et défait l’armée turque venue l’arrêter. Les

tribus de l’Ouarsenis ferment quant à elles le passage vers le beylik de

l’Ouest. Alors que les janissaires s’emploient à mater ces insurrections, les

Français sur place à Alger et Tunis cumulent toutes les informations jugées

utiles à une future expédition française contre la régence. Ce travail de renseignement

commence au moment de la Révolution française. Les concessions

d’Afrique en Algérie expriment l’idée d’un développement de la présence

française face aux prétentions anglaises. Talleyrand évoque en 1794 la côte

d’Afrique comme possible établissement pour des colonies françaises tandis

que le consul de France à Tunis, Barthélémy de Saizieu, parle d’une expédition

militaire en Barbarie, en vue de ravitailler le sud de la France. La décision


126 Atlas historique de l’algérie

de s’engager en Égypte en 1798

constitue une étape avant d’occuper

l’Algérie, perçue comme un indispensable

grenier à blé.

En 1801, alors que Bonaparte

envoie une expédition (avec Clauzel et

Bugeaud) contre les Anglais à Saint-

Domingue, Bergé écrit son rapport

pour la reconnaissance d’Alger. Thédenat

complète quant à lui ces documents

avec son Coup d’œil sur la

régence d’Alger. Les mémoires et

autres rapports s’accumulent, avec

Montlosier en 1802 qui soulève l’intérêt

en faveur de l’exploration scientifique

et commerciale de l’Afrique.

C’est en 1808 que Boutin, faisant suite

à la demande de Napoléon d’enquêter

et d’établir des reconnaissances

secrètes, établit un plan précis d’Alger

et de ses environs, afin de préparer

une expédition. Avec le soulèvement

contre les Français en Espagne et

l’attaque des Autrichiens, le projet est

finalement abandonné. Les Anglais,

Reconnaissance de la Régence d’Alger par l’officier

dans une démarche se voulant antiesclavagiste,

proposent une action

Vincent Boutin, 1808.

maritime internationale contre Alger.

La pression extérieure pousse Alger à tenter vainement de s’emparer du

pachalik de Tunis en 1807, puis en 1813. Mais les insurrections tribales

ressurgissent dans les pays des Qabaïles, successivement dans les Babors,

entre 1810 et 1815 puis dans le Djurdjura en 1818-1819. Les Beni Abbes,

souvent alliés aux deys d’Alger, rompent ces liens en 1824. Toutes ces tribus

indépendantes menacent l’organisation même des beys et, par leur dissidence

armée, mettent en péril trois siècles d’unification ottomane.

Alger n’a quasiment plus de possibilité de mouvement en 1825, date du

bombardement de la ville par l’amiral Neale, à la suite duquel le dey avait dû

se résoudre à signer avec les Anglais. Avec la fin des guerres napoléoniennes,

les Anglais souhaitent intervenir contre Alger. Depuis 1816, signe de la faiblesse

d’Alger, les Américains cessent de payer le tribut qui garantissait leur

flotte. En 1827, les flottes européennes se mobilisent contre un Empire ottoman

sur la défensive, après en avoir en réalité planifié le démantèlement.

C’est la fameuse question d’Orient, avec l’enjeu des détroits entre la Russie

et les puissances occidentales mais aussi la mainmise britannique sur

l’Égypte, sur fond du développement industriel qui agite l’Europe. En octobre

1827, la flotte turco-égyptienne est défaite à la bataille de Navarin par une

coalition anglo-russo-française, alors que le soulèvement des Grecs contre

les Ottomans suscite le soutien des Occidentaux, dont la France, qui y envoie

son armée (expédition de Morée en 1828). Le peintre romantique Delacroix


L’Algérie ottomane au début du XIX e siècle 127

immortalisera cette guerre, avant de se rendre en Algérie pour y peindre son

célèbre tableau des Femmes d’Alger.

Les Français qui participent au blocus intermittent contre Alger envisagent

davantage qu’une pression maritime sur Alger. C’est à Paris, où les royalistes

ont repris le pouvoir, que se prépare l’expédition pour enlever Alger. Le gouvernement

de la Restauration (de la monarchie des Bourbons), qui n’a toujours

pas honoré sa dette envers les courtiers algériens Bacri et Busnach,

trouve son compte dans l’exploitation de l’incident du 30 avril 1827. Ayant

convoqué Deval, représentant de la France dans cette affaire, le dey Hussein

a un geste impulsif (coup d’éventail) contre le diplomate en s’emportant au

sujet du remboursement des fournitures de blé algérien par la France pendant

les années 1790. Cette affaire du coup d’éventail, devenue une image

d’Épinal des relations franco-algériennes, ne fut pourtant pas immédiatement

exploitée. Après sa participation à la guerre européenne contre les Ottomans

en mer et dans le Péloponnèse, la France doit faire face aux appétits anglais

en Méditerranée. Mais la situation à Paris est très instable pour la famille

des Bourbons. Le roi Charles X, qui a succédé à son frère en 1824, est très

impopulaire. Ayant rétabli la censure, il s’emploie à museler l’opposition des

milieux républicains et ouvriers. Avec le prétexte de l’incident entre le dey et

le consul Deval, Charles X ressort le plan de l’expédition contre Alger. Le roi

de France pense relancer le projet monarchique en rehaussant le prestige de

la France, après la fin de l’épopée napoléonienne. Le gouvernement et la

population parisienne constituent une menace pour le maintien des Bourbons

au pouvoir. Quant à la campagne militaire contre Alger, elle est prévue à

moindres frais, puisque l’accaparement du trésor du bey doit largement pourvoir

à son coût…



CONQUÊTE FRANÇAISE

ET COLONISATION

LE DÉBARQUEMENT FRANÇAIS

À SIDI-FERRUCH

ommandée par de Bourmont, la flotte française, composée de

C

500 navires, s’embarque à Toulon le 16 mai 1830. Transitant par l’île

espagnole de Palma pour des raisons logistiques, la flotte arrive,

conformément aux renseignements du plan Boutin, en face de la petite

presqu’île de Sidi-Ferruch (Sidi Fredj) le 14 juin 1830. Sidi-Ferruch, du nom

d’un saint homme musulman reposant sous une petite kouba (coupole) audessus

de la plage, n’est défendue par aucune batterie côtière. Le corps expéditionnaire

installe rapidement son camp sur la plage et s’y maintient pendant

quatre jours afin d’y débarquer tous les moyens nécessaires à l’attaque

d’Alger.

Entretemps, Ibrahim Agha a rassemblé ses 7 000 janissaires à Staoueli,

renforcés de 15 000 hommes du pays des Qabaïles. Les beys d’Oran et

Constantine ont quant à eux envoyé respectivement 6 000 et 13 000 hommes

totalisant 30 000 à 50 000 hommes. La bataille ne s’engage que le 18 juin

avec l’attaque des Algériens contre les positions françaises sur la plage et

sur la presqu’île. Les trois divisions (37 000 hommes) de Berthezène résistent.

Les techniques militaires de cette armée française, qui ont réalisé la synthèse

des guerres napoléoniennes et du génie de Vauban, sont très éprouvées. Les

cavaliers algériens se heurtent avec courage aux fortifications françaises ainsi

qu’aux carrés hérissés de baïonnettes. L’armée hétéroclite du bey doit se

replier sur les hauteurs et tenir les forts qui protègent Alger. Les colonnes

françaises se mettent en marche en direction d’Alger, dans un terrain difficile,

une succession de maquis et de ravins, en passant par le col de Sidi Khalef,

à partir duquel la résistance des Algériens se renforce sensiblement. Les

combats pour les hauteurs d’Alger durent deux semaines et se terminent par

la prise du fort ottoman de Sultan Kalasi à El Biar (Château de l’Empereur,

sur l’emplacement du camp de Charles Quint lors du siège d’Alger en 1571).

Il sera bombardé continuellement puis détruit par ses propres servants algériens.

Une fois ce dernier verrou enlevé le 4 juillet, la route de la casbah est

ouverte. Ce sont finalement les négociations avec le bey d’Alger qui aboutissent

à la fin du siège d’Alger, épargnant à la population un sort encore plus

tragique. Une grande partie de la population, estimée à 10 000 personnes,


130 Atlas historique de l’algérie

quittera précipitamment la ville, notamment des grandes familles liées à la

cour du dey.

Pourtant, la reddition de la ville le matin de ce fatidique 5 juillet 1830

s’accompagnait d’accords signés avec le dey Hussein, garantissant les biens

des habitants ainsi que le libre exercice du culte musulman. En réalité, c’est

essentiellement le trésor du bey, qui avait fait l’objet de plusieurs enquêtes

avant la conquête, qui intéressait un cercle restreint du commandement du

corps expéditionnaire, vraisemblablement chargé en haut lieu de cette mission

spéciale. L’enquête très documentée de Pierre Péan (Main basse sur

Alger) révèle ce volet « financier » de l’expédition, qui aurait constitué un des

objectifs officieux de l’expédition d’Alger.

L’amiral Duperré dans la rade d’Alger.

Paris exultait de cette victoire sur la régence et y trouvait le moyen d’y

entretenir un nouveau prestige politique. Cependant, les événements de fin

juillet mirent rapidement un terme à ces ambitions. À Paris, l’insurrection

populaire des 27, 28 et 29 juillet 1830, épisode des Trois Glorieuses, et immortalisée

par Delacroix dans La Liberté guidant le peuple, précipita la chute de

Charles X. Le camp des monarchistes fut ébranlé mais un compromis politique

accorda finalement à Philippe d’Orléans le pouvoir exécutif. Parmi les

premières préoccupations de la nouvelle monarchie constitutionnelle ne semblait

pas figurer la question du sort d’Alger.

À ce moment-là, Paris songe même à évacuer Alger, doutant du bénéfice

réel de l’expédition. C’est le général Clauzel qui est chargé de la gestion de

la ville occupée, succédant à Bourmont, désavoué pour s’être montré trop

proche des royalistes pendant la crise. C’est également le signataire des

accords du 5 juillet, qui laisse la ville sans assurances sur son sort. Clauzel

s’empresse d’y installer son armée le plus confortablement possible dans

Alger, redécoupée selon les besoins du corps expéditionnaire.


Le débarquement français à Sidi-Ferruch 131

Tout d’abord, toutes les places fortes et casernes de janissaires avaient

été les premiers sites investis par l’armée du corps expéditionnaire. Les officiers

et hauts gradés avaient quant à eux occupé toutes les habitations spacieuses

de la cité ottomane, comme tous les palais de la ville basse (basse

casbah). À partir de septembre 1830, l’armée s’installe partout dans la ville

et réquisitionne nombre d’espaces collectifs tels que mosquées, zaouïas, violant

les engagements du 5 juillet. C’est la première phase du réaménagement

de la ville ottomane, avec notamment le dégagement d’une place d’armes

(achevée en 1842) : la place du Gouvernement ainsi que le percement de

plusieurs rues, de part et d’autre de la ville basse, de Bab Azzoun à Bab el

Oued. Ces aménagements urbains inaugurent non seulement un modèle pour

les villes coloniales à venir mais annoncent également le projet d’Hausmann

à Paris.

Des positions fortifiées sont démantelées mais d’autres maintenues, car

le ministre de la Guerre tient à défendre Alger contre toute tentative étrangère

venant de la mer. Ainsi, certaines batteries côtières sont renforcées. La partie

littorale de la ville agrandit en outre ses entrepôts et dépendances de la

Marine. Car aucun soutien logistique ne peut arriver par l’intérieur des terres,

encore largement inexploré et hostile.

Avis aux habitants d’Alger, 1830.



OPÉRATIONS FRANÇAISES

AUTOUR D’ALGER

utour d’Alger, la Mitidja, qui échappe encore totalement aux Français,

est dominée par les tribus, dont les chefs s’étaient réunis à

A Tamenfoust, après la prise d’Alger. Si l’organisation ottomane avait

bien cessé d’exister à Alger, il demeurait encore des structures politiques

fortes pour organiser une résistance contre ceux qui étaient avant tout considérés

comme des roumis, des chrétiens. C’est notamment dans les villes où

siégeaient les beyliks que subsistait un commandement, avec des troupes

permanentes. Mais la formation de coalitions tribales susceptibles d’appuyer

les beyliks restait une entreprise des plus incertaines.

Relativement bien informé sur l’arrière-pays d’Alger, le maréchal Clauzel était

bien décidé à s’imposer au-delà de la Mitidja, en direction de Médéa, vers laquelle

il entreprend sa première expédition. C’est au bas du massif de l’Atlas blidéen que

se déroule la première bataille pour l’occupation de Médéa. C’est au moment de

franchir le col de Mouzaïa que les 10 000 hommes de Clauzel se heurtent aux

forces du bey du Titteri. Les soldats français finissent par déborder les positions

algériennes dans cette montagne escarpée et boisée. Médéa est finalement occupée

le 22 septembre, alors que le bey se rend à Clauzel. Cependant, les tribus de

la région, qui ne dépendent d’aucune autorité, telles que les redoutables Flissa,

continuent d’attaquer les positions françaises dans la Mitidja, entraînant de dures

représailles contre les tribus locales. Clauzel envisage pourtant de faire appel aux

Algériens, invités à s’engager comme troupes auxiliaires, notamment après les

premiers engagements des montagnards Zouaoua en août 1830, à l’initiative de

Bourmont. Les troupes de janissaires démobilisées se présentèrent quant à elles

comme un réservoir fort utile de soldats expérimentés. Dans les premières cités

algéro-turques occupées par les Français, celles du littoral en particulier, une

partie de la population masculine, livrée à elle-même, participa à la composition

d’unités de garde des bordjs (forts) ou de cavalerie légère (les goums) et fut payée

pour participer aux opérations militaires.



LA CONQUÊTE FRANÇAISE

EN 1830

Les Français débarquent à Bona (Bône, Annaba) dès le mois d’août 1830,

tandis que Mers el Kebir est investie en décembre de la même année. Pour

le maréchal Clauzel, il s’agit de prendre rapidement position dans les régions

frontalières de la régence d’Alger, afin de prévenir toute tentative de récupération

territoriale de la part du royaume chérifien ou du bey de Tunis. La région

de Tabarka, convoitée et revendiquée par les Tunisiens, fera l’objet d’un long

processus de délimitation.

À l’initiative de Clauzel, la diplomatie française s’active en direction de

Tunis, dont la neutralité est perçue comme incertaine. Clauzel proposera au

bey de Tunis, rival traditionnel d’Alger, de le nommer au poste de bey de

Constantine, moyennant le paiement d’un tribut conséquent. Mais le bey

cherche à gagner du temps et… de l’argent avant de pénétrer dans cette

province de l’Est, encore sous l’autorité du bey de Constantine. Il en est de

même dans la région de l’ouest de la régence, avec l’intervention du chérif

marocain Moulay Ali dans les affaires de Tlemcen. Craignant de subir le sort

d’Alger, les Tlemcéniens firent appel à Moulay Ali, en demandant à être rattachés

au royaume chérifien. Le souverain marocain, en installant son cousin

Abdel Rahman à Tlemcen, provoqua cependant de graves troubles dans la

région, notamment par son attitude brutale contre les kouloughlis (algéroturcs)

et les tribus makhzen. Les Français s’étaient contentés d’occuper Oran,

avec l’appui du fils du bey de Tunis, installé rapidement mais précairement.

Les tribus locales ne cesseront pas d’assiéger Oran et Mers el Kebir, ne

reconnaissant que l’autorité de Belamri, l’émir nommé par le chérif du Maroc

dans la région. Cependant, d’autres tribus reconnaissent le cheikh Mahieddin,

qui prône la guerre sainte contre les Français.

Les positions françaises d’Oran et Mers el Kebir resteront longtemps fragiles,

sans renforts suffisants et en l’absence d’appuis locaux. Desmichels

finit par dégager Oran et occupe Mostaganem, après un premier accord

en février 1833 avec le fils du cheikh Mahieddin, le jeune Abd el Kader. Ce

traité Desmichels institue une étape importante dans la reconnaissance et

l’ascension régionale du jeune émir.


136 Atlas historique de l’algérie

À Bona (qui devient Bône en 1831), plusieurs tentatives françaises d’occuper

durablement la ville échouent jusqu’à l’envoi de nouvelles troupes (troisième

expédition) ainsi qu’avec l’apport de soldats d’origine ottomane, passés

en partie sous l’autorité française. Plusieurs sorties sont entreprises contre

les forces algériennes du bey de Constantine.

Les autorités françaises n’ont pas encore vraiment statué sur l’avenir des

territoires de la régence d’Alger. C’est alors le temps de la politique dite

« d’occupation restreinte ». Le commandement militaire français se contente

de prendre les villes importantes de la côte et traite avec les chefs de tribus

de l’intérieur. Médéa est la seule cité de l’intérieur conquise par les Français,

mais sa position reste difficile, car elle se trouve assiégée par les tribus environnantes.

En juin 1831, le général Berthezène lance une nouvelle expédition

sur Médéa, qui reste menacée par les forces du chef Boumezrag. La garnison

française sera finalement évacuée le 5 juillet 1831.

À partir de 1833 et le départ de Berthezène, le nouveau commandement

français, tout en complétant l’occupation du littoral avec la prise de Béjaïa

par Trézel en septembre 1833, s’emploie à consolider les positions autour

d’Alger (premiers villages européens…). Il s’agit pour le duc de Rovigo d’établir

une première ligne de défense face à l’insécurité de la Mitidja, où les tribus

entretiennent une guérilla contre les colonnes et postes français. D’autres

villages sont pourtant fondés dans le cercle d’Alger, comme Douera en 1833.

La population européenne se trouve déjà invitée à profiter des premiers lots

de colonisation, et commence à s’installer, principalement dans cette région

dite du Sahel d’Alger, qui surplombe la Mitidja encore dangereuse et assez

marécageuse.

Chargé d’assurer la sécurité d’Alger, le duc de Rovigo s’emploie à dégager

des places et esplanades au-delà des portes de Bab Azzoun et Bab el Oued,

non sans avoir rasé les cimetières musulmans. Ces nouveaux besoins militaires

s’accompagnent de graves violations du traité du 5 juillet, avec la


La conquête française en 1830 137

confiscation de plusieurs mosquées, jusque-là relativement épargnées par

ses prédécesseurs. La mosquée Ketchaoua se trouve complètement déformée

pour l’édification de la première grande église à Alger. Cette gestion peu

respectueuse de la population musulmane, associée aux représailles contre

les tribus de la Mitidja, inaugure une nouvelle politique militaire plus agressive,

alors qu’en juillet 1834 prend forme le statut de ces nouveaux territoires,

désormais possessions françaises dans le nord de l’Afrique. Paris reconnaît ces

conquêtes comme définitivement acquises, mais pour lesquelles la question

de l’occupation totale ou restreinte divise encore les généraux de l’armée. À

partir de 1835, l’armée française engage des campagnes contre toutes les

tribus qui refuseraient son autorité, comme les Hadjoutes, à l’ouest de la

Mitidja.

La prise de Mascara par l’armée française en 1835.



LA PREMIÈRE GUERRE

CONTRE ABD EL KADER

Ayant remplacé Desmichels dans la région d’Oran en février 1835, le général

Trézel cherche à s’imposer sur l’émir Abd el Kader. Il lance son armée

contre Sig et engage le combat dans la forêt de Moulay Ismaël. Au moment

de son repli sur Arzew, la colonne française est surprise par les forces de

l’émir dans le défilé de la Macta le 28 juin 1835. La défaite de la colonne

Trézel, qui a perdu le quart de ses effectifs dans la bataille, a irrité le gouvernement,

qui décide d’adopter une nouvelle stratégie en Algérie. Clauzel est

spécialement envoyé sur place et d’Arlanges remplace Trézel. Ces changements

à la tête du commandement militaire donnent l’initiative aux partisans

de l’occupation totale. Une nouvelle campagne est engagée contre les cités

de l’émirat d’Abd el Kader à partir de décembre 1835.

Une première colonne de 11 000 hommes est lancée contre Mascara, évacuée

par l’émir, puis c’est Tlemcen qui est occupée le 13 janvier 1836. Cependant,

la plupart des forces françaises finissent par quitter la région, laissant

Mascara redevenir la capitale de l’émir, dont les forces assiègent rapidement

Tlemcen. Le 25 avril, une colonne française de secours partie de Rachgoun

se retrouve attaquée par l’émir sur la Tafna. Il est contraint à la retraite.

L’échec du général d’Arlanges provoque l’envoi de Bugeaud en Algérie en

juillet 1836. L’intervention de ce général expérimenté (il a notamment participé

aux campagnes en Espagne et à Saint-Domingue) permet ponctuellement

de repousser les forces de l’émir après le combat de la Sikkak, puis de

débloquer le camp de la Tafna. Après cette courte campagne, Bugeaud rentre

en France.



LES EXPÉDITIONS

CONTRE CONSTANTINE

n 1836, Béjaïa et Bône se trouvaient être les seuls points occupés

E

par les Français dans l’est de la régence. Paris avait également

échoué à installer le bey de Tunis à la place d’Ahmad bey, qui résistait

à partir de Constantine. Clauzel décide ainsi de conquérir l’ancien beylik

de l’Est.

Aussi, commande-t-il personnellement la colonne de 8 700 hommes qui,

en novembre 1836, marche sur l’ancienne capitale numide. Les attaques lancées

par Clauzel contre la ville, protégée par le ravin du Rhummel, s’avèrent

vaines. La porte d’El Kantara, par laquelle les soldats français tentent deux

assauts, ne s’ouvrira pas. Plusieurs contre-attaques algériennes sont ensuite

lancées contre les forces de Clauzel. Déjà épuisée par sa marche épouvante

depuis Bône, l’armée de Clauzel, qui aura 1 000 tués, finit par entamer sa

retraite le 23 novembre, harcelée jusqu’à Guelma.

Damrémont, nouveau gouverneur de l’Algérie, remplace le maréchal

Clauzel en février 1837. Il prépare la deuxième expédition de Constantine et

tâcher d’achever la conquête de la province rebelle. Voulant disposer de

toutes les forces possibles pour engager la campagne à l’est, Damrémont

recherche la neutralité de l’émir Abd el Kader à l’ouest. Le 20 mai 1837,

Bugeaud signe le traité dit de la Tafna (ratifié par le roi le 15 juin 1837),

accordant à l’émir l’autorité sur toute la partie occidentale de la régence, de

Tlemcen aux gorges de l’oued Keddara. La France administre quant à elle

directement les territoires d’Oran, d’Arzew et de Mostaganem ainsi que la

Mitidja. L’émirat d’Abd el Kader dispose du port de Rachgoun, ce qui lui

permet de se ravitailler en armes.


142 Atlas historique de l’algérie

Prise de Constantine, par Horace Vernet, 1837.


LA DEUXIÈME EXPÉDITION

DE CONSTANTINE

20 400 hommes sont mobilisés pour la campagne de l’Est algérien, dont

la prise de Constantine est la clé. Six années après la conquête d’Alger, la

province de l’Est reste globalement une terra incognita pour le commandement

français. Damrémont a cette fois une nouvelle stratégie pour prendre

Constantine. Après avoir disposé son artillerie sur toutes les hauteurs dominant

la ville, comme le plateau de Mansourah et le Coudiat Aty, il procède au

bombardement méthodique des murailles, tandis qu’il place son armée sur

l’unique côté de la ville non entouré par le ravin. Le siège de Constantine mis

en place, l’artillerie entame la brèche dans les murailles le 13 octobre 1837.

Trois colonnes, dont le corps des zouaves, attaquent simultanément. De durs

combats – parmi les plus coûteux de la conquête – se déroulent dans la ville

de Constantine où la population, toutes confessions confondues, résiste avec

acharnement. Les généraux Damrémont et Perrégaux y laissent la vie ainsi

que 15 officiers et une centaine de soldats. Le bey Ahmed, chef de la résistance,

tout comme un certain nombre d’habitants réussissent à quitter la ville

par les falaises, tandis que la ville est investie par l’armée. De nombreuses

victimes périssent dans la panique de la fuite, en empruntant les chemins

périlleux à la sortie des gorges du Rhummel. Ahmed Bey et ses partisans

gagnent les Aurès en vue de continuer la résistance.



LA CONQUÊTE EN 1839

vec le nouveau gouverneur Valée, l’autorité militaire française

A

nomme des cheikhs locaux, en empruntant le modèle de l’organisation

ottomane. Ayant à administrer depuis 1837 les nouveaux territoires

du beylik de Constantine, le commandement français s’efforce de

nommer des grands chefs régionaux qui prennent le titre de khalife.

Ces territoires de la région du nord de Constantine sont montagneux et

peuplés par des tribus « jalouses de leur indépendance » et ayant pour la

plupart échappé à la domination ottomane. L’autorité française est déléguée

auprès de Ben Aïssa dans toute la région à l’ouest de Bône, entre le massif

de l’Edough et Jijel, tandis que la région de Ferdjioua est confiée à El Hamlaoui.

La région au contact de l’émirat d’Abd el Kader, le pays des Beni Abbes

ou Mokrani (qui signifie « les grands » en berbère) est quant à elle « confiée »

à Ahmed el Mokrani, récemment déchu par son cousin Abdesselem, qui avait

fait allégeance à l’émir Abd el Kader. La plus grande partie des territoires

sous-administrés par des cheikhs se trouve au sud du beylik de Constantine.

Elle échoit à Ben Gana, nommé cheikh el Arab, qui n’hésitera pas à combattre

des tribus alliées à Abd el Kader.

Toutes ces nominations ne signifient cependant pas la fidélité totale des

tribus. Elles interviennent sur fond de conflits au sein même des grandes

familles. Des révoltes éclatent dans les régions de Souk Ahras et de Aïn

Beïda, à la suite des comportements jugés trop autoritaires des caïds ou

cheikhs nommés par les khalifats (exploitation fiscale…).

Les généraux Négrier et Galbois doivent intervenir militairement jusqu’en

juillet 1838 contre les Zouagha, Harakta, Hanencha et Ameur Cheraga, procédant

en même temps aux premières reconnaissances dans ces régions, dont

la partie la plus montagneuse, désormais dénommée « Kabylie » par les

Français, leur échappe encore. Le « pays kabile insoumis » est difficilement

accessible. Mais l’accès par la mer à la Kabylie des Babors est réalisé avec

l’occupation de Jijel (rebaptisé Djidjelli) le 13 mai 1839, après avoir déjà

conquis le petit port de Rusicada (Skikda) le 8 octobre 1838.

La région des hautes plaines de Sétif n’est quant à elle reconnue qu’en

mai 1838, préparant l’expédition dite « des Portes de Fer ».


146 Atlas historique de l’algérie

Avec la fin du beylik d’Ahmed Bey à l’est, l’émir Abd el Kader se retrouve

seul face aux Français. Il doit administrer son émirat, avec plusieurs dissidences

dans la région des Hauts Plateaux. C’est la confrérie d’Aïn Madhi qui

lui refuse le titre de commandeur des croyants. Les cheikhs de la Tidjaniya

de Aïn Madhi, école confrérique concurrente, résistent à l’émir, qui assiège la

zaouïa en juin 1838. Le cheikh Tidjani se retire à Laghouat. L’influence de

l’émir s’exerce bien au-delà du territoire délimité par le traité de la Tafna. De

nombreuses tribus du centre lui ont prêté allégeance et reconnaissent son

autorité dans le Hodna, le M’Zab, le djebel Amour et une partie du Sahara.

De même, certaines régions du nord comme la Medjana (famille Mokrani), du

sud de Béjaïa et une partie de la Kabylie (sud de Dellys) sont informés de son

l’autorité de sa personnalité.

Or le territoire de la région de Hamza (Bouira) se trouve contesté entre le

territoire « français » et l’émir. Les tribus de la Medjana, qui commandent les

Bibans, ou « Portes de Fer », ayant reconnu Abd el Kader, avec Abdesselem

el Mokrani, l’émir considère cette région comme vassale. Si le roi de France

(Louis-Philippe) ne souhaite pas reprendre la guerre contre l’émir, il autorise

cependant une expédition pour reconnaître les communications entre

Constantine et Alger.


L’ EXPÉDITION DES PORTES

DE FER, OCTOBRE 1839

Afin de conférer un caractère prestigieux à cette expédition, le propre fils

du roi, le duc d’Orléans, y participe. Pourtant, les régions concernées par

l’expédition ne sont pas faciles à traverser pendant l’automne algérien. L’itinéraire

de Constantine à Sétif, première partie de l’expédition des Portes de Fer,

avait déjà été reconnu par une colonne française en 1838, qui y avait rencontré

de grandes difficultés, les pluies d’automne et le paysage très accidenté

constituant autant d’obstacles naturels. La région de Ferdjioua est cependant

sous l’autorité de Bou Akkaz, le khalifa nommé par Valée, pour administrer

les tribus locales. Son pouvoir s’étend sur une région fertile entre les monts

du Zouagha et les hautes plaines des Abdenour au sud. La colonne française

bénéficie des services de goums et de troupes de cavaliers indigènes, qui

accompagnent l’expédition aussi loin que nécessaire, et relayée ensuite par

les hommes d’Ahmed el Mokrani, cousin d’Abdessele, à partir de Sétif. Avant

d’atteindre l’ancienne Sitifis, la colonne française doit passer par Djemila,

où les reconnaissances précédentes (Galbois en 1838) avaient été quasiment

assiégées par les tribus montagnardes des environs. Une garnison laissée

sur place avait dû évacuer la place sécurisée par Bou Akkaz.

Djemila avait été gardée comme point d’appui le long de l’itinéraire Mila-

Sétif de par son site antique entourée de ravins, avec les ruines de Cuicul

comme abri. À partir de l’expédition des Portes de Fer, à laquelle se sont

joints plusieurs peintres et autres hommes de science, tous les sites antiques

sont soigneusement répertoriés et dessinés. C’est à ce moment-là que le duc

d’Orléans envisagea de faire transporter l’arc de triomphe romain de Djemila

vers la France. Adolphe Delamare, capitaine d’artillerie accompagnant l’expédition,

procéda quant à lui au dessin systématique de toutes les ruines

antiques ou médiévales retrouvées dans la province de Constantine.

Après avoir traversé l’oued Deheb, l’Ampsaga antique, la colonne expéditionnaire

s’installe à Sétif, déjà occupée par une petite troupe. C’est à la suite

de la reconnaissance Galbois qu’avait été installée une petite force francoalgérienne

à l’intérieur de l’enceinte antique de Sétif. Les tribus du nord

avaient attaqué la colonne sur la route de Sétif. Galbois avait décidé de maintenir

une force à Sétif, position qu’il jugea alors particulièrement stratégique.

La situation de Sétif, dominant les Hautes Plaines, et au seuil des premières


148 Atlas historique de l’algérie

montagnes de l’Atlas tellien, permet d’observer d’assez loin tous les mouvements

aux alentours sauf ceux du nord, plus difficiles à déceler. En outre, la

cité antique, dont l’enceinte est demeurée en assez bon état de conservation,

permet une défense efficace, d’autant plus que la ville est pourvue d’importantes

sources naturelles.

C’est à Sétif que fut représentée une première rencontre formelle entre

les Français et leurs alliés locaux, qui eut lieu vraisemblablement en mai

1839. Le tableau de Dauzats, improprement intitulé La Bataille de Sétif, illustre

cet événement. Il s’agit plutôt de la rencontre avec les chefs indigènes

nommés par le commandement français, avec, dans l’arrière-plan, la citadelle

de Sétif occupée par la force indigène d’origine ottomane.

Le rôle d’Ahmed el Mokrani apparaît à ce moment-là capital. Il représente

la région de la Medjana et des Bibans, qui commandent le passage stratégique

vers la région d’Alger. Bien qu’il ait rompu avec son cousin, allié de

l’émir Abd el Kader, il est encore à la tête d’une troupe de cavaliers et connaît

assurément le territoire restant à parcourir jusqu’aux Portes de Fer. Les

tribus de la région des Hautes Plaines au sud de Sétif se trouvent assez

divisées quant à l’adhésion à l’une des deux forces antagonistes. Certaines

ont cependant reconnu Abdesselem, qui de fait, se pose en résistant contre

les Français. Les tribus des monts du Hodna avaient fait le choix de l’émir

Abd el Kader avec Abdesselem el Mokrani comme représentant local, exerçant

une pression supplémentaire sur la garnison française de Sétif. Au commencement

de la conquête, certaines tribus du sud de Sétif avaient été

réprimées par Ahmed Bey, qui s’était efforcé de renforcer son beylik avec des

caïds, liés à sa famille (parmi les Righa). Cette complexité des allégeances

tribales allait faire le jeu de la stratégie française et faciliter le ralliement des

chefs et autres caïds mécontents.

Après le renforcement militaire à Sétif, la colonne française, en s’engageant

à l’ouest, se trouvera harcelée par la cavalerie d’Abdesselem. Elle n’en

continuera pas moins de poursuivre son itinéraire à travers les terres des

Beni Abbes. C’est à Bordj Bou Arreridj, dans la plaine de la Medjana, que

s’établit une garnison française appuyée par des éléments alliés. Les Français

se contentent de prendre position le long de l’ancien itinéraire turc,

depuis leur départ de Constantine, remplaçant les garnisons ottomanes

démantelées.

L’expédition atteint enfin le défilé des gorges des Bibans, si étroites que le

passage s’effectue très progressivement. Cet épisode historique fut immortalisé

par Adrien Dauzats dans plusieurs de ses tableaux. Il s’agit là d’illustrer

un événement à caractère royal avec la présence du duc d’Orléans. C’est

d’ailleurs principalement au musée des beaux-arts d’Orléans et au château

de Versailles que seront conservées ces toiles, classées dans le thème de

l’orientalisme, très en vogue à cette époque.

Ayant saisi l’opportunité de reconnaître l’autorité française, Ahmed el Mokrani,

en appuyant l’expédition des Portes de Fer, s’imposant définitivement dans la

Medjana, ralliant ainsi le reste du clan familial. Les Beni Abbes, en contrôlant le

défilé des Bibans depuis le XVII e siècle, en avaient disposé adroitement pour leurs

intérêts. L’armée du dey elle-même, quand elle ne faisait pas campagne contre

eux, devait baisser ses drapeaux lorsqu’elle traversait ces Portes de Fer. Celles-ci


L’expédition des Portes de Fer 149

ne cesseront de s’élargir (pour

disparaître quasi complètement

depuis la construction de la

récente autoroute en 2014). Une

fois l’étroite gorge franchie,

l’armée royale rejoignit Hamza,

ancien camp ottoman, sur le

site de Bouira. Cette région se

trouve contestée par l’émir,

dont le domaine s’étend théoriquement

jusqu’à l’oued Keddara.

Les massifs kabyles

échappant à l’émir, son

influence pénétrait cependant

la région entre Sour el

Ghozlane et Bir Ghabalou. En

traversant la région jusqu’à la

Mitidja, la colonne française ne

rencontre portant aucune hostilité.

Mais cette action surprise

de la France sera perçue

comme un casus belli par

l’émir, qui motive son entrée en

guerre dans un courrier

adressé à Valée le 3 novembre

1839, le lendemain de l’arrivée

de la colonne à Alger.

Le Passage des Portes de Fer, par Dauzat, 1839.



LA DEUXIÈME GUERRE CONTRE

L’ ÉMIR ABD EL KADER

Appuyé par les tribus hadjout et kabyles, l’émir attaque la Mitidja dès le

18 novembre 1839. Toutes les positions françaises sont assiégées, les cavaliers

de l’émir atteignant même les abords d’Alger au niveau du jardin d’essai.

Tous les villages et postes français du Sahel et de la Mitidja sont alors évacués,

tandis que l’armée de Valée prépare la riposte pendant l’hiver 1839-

1840. À partir de mars, les Français lancent une offensive sur Cherchell et sa

région, et Médéa est réoccupée en mai. Partisan de l’occupation totale du

pays, le maréchal Bugeaud prépare ses campagnes avec le souci de la mobilité

des troupes contre un ennemi qui mène une guérilla contre les positions

françaises. La première grande campagne de Bugeaud commence en mai

1841, après son débarquement à Mostaganem.

S’appuyant sur un réseau de places fortes et sur les nombreuses tribus

alliées de gré ou de force, l’armée de l’émir Abd el Kader ne peut cependant

résister à la tactique de Bugeaud. Ce dernier dispose d’une armée nombreuse,

bien entraînée et accompagnée de plusieurs corps indigènes, composés

de redoutables guerriers. Le corps des zouaves (issus du recrutement

chez les Zouaoua du Djurdjura) fut la première troupe locale, créée en 1831,

qui se composera ensuite d’Européens (engagés parisiens notamment) et

d’indigènes. Les bataillons de la Légion étrangère, constitués exclusivement

d’étrangers, sont créés la même année à Alger puis basés à Sidi bel Abbes.

Après avoir utilisé des forces auxiliaires de kouloughlis à Oran, Bône et

Constantine, un nouveau corps de tirailleurs exclusivement composé d’indigènes,

aussi appelés « turcos » est formé à partir de 1841. Une cavalerie

indigène, les spahis (du persan sipahi, « cavalier »), est créée en 1842. Leur

rôle consistait à protéger les abords des nouvelles villes coloniales. Ces Algériens

constituent une force d’élite pendant les campagnes militaires contre

l’émir et les régions insoumises. En outre, des goums issus des tribus hostiles

à l’émir fourniront un appoint pour l’armée française.

Les colonnes de Bugeaud et Baraguey d’Hilliers pénètrent au travers du

massif de l’Ouarsenis, en se dirigeant directement vers les places fortes de

l’émir Abd el Kader. Bugeaud atteint rapidement Tagdempt le 25 mai puis Mascara

le 30. La prise de ces deux principales villes contraint l’émir à déplacer sa


152 Atlas historique de l’algérie

smala, ou capitale nomade, le long des hauts plateaux. Toutes les tribus alliées

à l’émir subissent des attaques ou razzias des forces françaises. Bugeaud veut

contraindre par la force toutes les tribus tentées de soutenir l’émir. Avec l’occupation

de Boghari (Ksar el Boukhari) et Taza, l’armée procède à l’encerclement

progressif de l’Ouarsenis, massif très boisé (importantes forêts de cèdres

notamment à Theniet el Had) et peuplé de nombreuses tribus, le plus souvent

berbérophones. Cette région ayant offert un asile aux forces de l’émir, elle subit

les premières razzias des Français, qui attaquent à partir de Miliana et Médéa,

emplacement des deux premiers camps militaires du centre de l’Algérie (nom

remplaçant désormais officiellement celui des anciennes possessions françaises

d’Afrique depuis le 14 octobre 1839).

Éloigné de ses villes du Tell, l’émir constitue cependant encore une menace

pour la stabilité des nouvelles conquêtes. De même, les nombreuses tribus

montagnardes n’ont pas désarmé face à la présence française. Ayant occupé

les villes de l’émir, les colonnes françaises regagnent leurs positions initiales,

Cherchell et Mostaganem. Les nouveaux camps militaires ont principalement

été installés dans les plaines au sud d’Oran, comme à Sidi bel Abbes mais les

régions du Dahra et de l’Ouarsenis restent indépendantes de fait. Ces régions

ont la particularité d’abriter un nombre important de marabouts, dont les

reliques d’un homme pieux qualifié de saint, autour duquel des cérémonies

voire des pèlerinages (ziyara) avaient lieu régulièrement. Les confréries comme

celle de la Derqaoua y jouent un rôle très important et, par leur audience auprès

des populations, ont la capacité d’appeler à la guerre sainte.

Bugeaud lance une nouvelle campagne au printemps 1842 pour soumettre

définitivement ces montagnes rebelles. Mais auparavant, il réoccupe Tlemcen

en février 1842 et entreprend d’écarter les menaces au sud de la ville, où les

forces de l’émir se tiennent à l’affût. C’est ainsi que Sebdou, située en bordure

d’une région montagneuse et boisée, est détruite le 9 février. Les colonnes

françaises achèvent ensuite la conquête autour de Tlemcen en attaquant les

tribus entre Nedroma et la Tafna. La région du djebel Trara, à la limite du

royaume marocain, est soumise, achevant la pacification des territoires de

Tlemcen, Oran et Mascara. C’est au nord de l’oued Chélif, que la partie

majeure de la campagne française de 1842 se déroule, avec un caractère

extrêmement répressif.

Le 18 mai, le massif du Dahra se trouve encerclé par deux armées françaises,

celle de Bugeaud à l’ouest et Changarnier à l’est. Avec ses 7 000 soldats

et 2 000 auxiliaires indigènes, Bugeaud pénètre au cœur du massif pour

écraser les irréductibles tribus Sbeah et Beni Zeroual tandis que les soldats

de Saint-Arnaud dévastent la région entre Miliana et Cherchell. Les tribus

Beni Menacer, Sindgès, Braz, Beni Nalasseur subissent massacres, pillages,

viols… S’étant réfugiés dans les grottes, les Beni Zeroual sont exterminés sur

ordre de Changarnier, qui les fait asphyxier en enfumant les issues.

En septembre 1842, l’émir tente de reprendre pied dans la région du bas

Chélif, dont les tribus s’étaient ralliées à Bugeaud. Ce dernier riposte à partir

de l’hiver 1842, en menant campagne contre les tribus de l’Ouarsenis. Mais

le champ d’action des colonnes françaises se trouve limité par l’absence de

postes militaires au nord du massif. Est ainsi créé le poste stratégique d’El

Asnam en 1843 (rebaptisé Orléansville en mai à la suite du décès du prince

d’Orléans) sur la route Oran-Alger afin de contrôler la vallée du Chélif et


La deuxième guerre contre l’émir Abd el Kader 153

constituer la base de départ des expéditions militaires dans les massifs du

Dahra et de l’Ouarsenis, dont le sud voit la création des postes de Tiaret,

Theniet el Had et Boghar. Toute la ligne des hautes plaines et plateaux se

trouve sous le contrôle des forces françaises en 1843. Mais Bugeaud a bien

l’intention d’en finir avec l’émir, dont la smala lui échappe encore. Constituée

de 30 000 personnes, cette « ville volante » est composée de nombreuses

tribus alliées de gré ou de force, constituant autant de cercles relationnels

autour de la famille d’Abd el Kader. Les forces les plus fidèles forment le

cœur de l’armée de l’émir, notamment la cavalerie des Hachem de Mascara,

encadrant toute une administration fiscale et religieuse, avec la masse des

femmes et enfants de la famille. Malgré cette charge nombreuse à protéger

et à nourrir, l’émir a su déplacer sa smala au gré des menaces des colonnes

françaises, qui s’efforcent de la retrouver dans l’immensité des Hauts Plateaux.

Une chasse à la smala est organisée par Bugeaud à partir des postes

de Boghar et Tiaret. C’est finalement le 14 mai 1843 à Taguin, que la smala

sera surprise par la cavalerie française, appuyée par des tribus locales avides

de butin. Mais l’émir, qui faisait campagne plus à l’ouest, leur échappe encore,

et trouve finalement refuge dans la région d’Oujda, au Maroc voisin. Bénéficiant

de la bienveillance du sultan chérifien, l’émir pense ouvrir un nouveau

front dans une région où il est apprécié par les tribus. La France presse le

sultan de cesser de soutenir l’émir. Bugeaud décide d’intervenir directement

en territoire marocain, alors que l’émir mène des raids dans la région du

Trara. Pénétrant dans la région d’Oujda, Bugeaud se retrouve à combattre

l’armée de Si Mohammed, le fils du sultan venu défendre le royaume. Défait

à la bataille de l’Isly (oued Isly) par Bugeaud, le sultan décide d’éloigner Abd

el Kader hors du royaume. Une convention dite de Lalla Maghnia est signée

le 18 mars 1845 entre le sultan chérifien et la France, fixant les nouvelles

frontières jusqu’aux ksour de Figuig attribués au Maroc.

L’émir reprend cependant ses raids dans la région du djebel Trara et au-delà,

notamment dans la vallée de la Tafna, où les troupes de Montagnac sont anéanties

le 24 septembre 1845. Cette bataille de Sidi Brahim et l’appel au djihad de

Bou Ma’za dans le Dahra conduisent au rappel de Bugeaud et à la préparation

d’une nouvelle campagne tout aussi dévastatrice que les précédentes.

Sans aucune stratégie d’action commune avec Abd el Kader ou les Kabyles du

bas Sebaou, Bou Ma’za entreprend d’attaquer directement Mostaganem. L’action

des colonnes françaises est impitoyable contre les tribus insurgées. Les généraux

Pélissier et Cavaignac font massacrer les populations Sbeah et Ouled Riah

réfugiées dans les grottes, les Beni Snouss subissant un sort analogue.

L’émir Abd el Kader et ses derniers fidèles s’étaient repliés dans la région

semi-désertique de Figuig. Il était désormais devenu persona non grata pour le

souverain marocain, sur lequel la pression française ne s’était pas relâchée. En

1847, l’émir trouve refuge auprès des tribus du Rif, dans la région de Taza, mais,

harcelé par les forces chérifiennes, il ne peut plus s’y maintenir, ses alliés

marocains se trouvant eux-mêmes exposés. L’émir finit donc par négocier sa

reddition avec le général de Lamoricière. Le reste de ses hommes et sa famille

se livrent à Djemaa el Ghazaouet, avant de prendre le chemin de l’exil, non vers

l’Orient comme convenu initialement, mais en direction de Toulon, comme

captifs.



LES EXILS DE L’ ÉMIR

ABD EL KADER

ébarqué à Toulon avec sa toute sa famille, l’émir se retrouve emprisonné

environ un mois à fort Lamalgue, avant d’être transféré au

D château de Pau en février 1848. Avec l’arrivée au pouvoir de l’empereur

Napoléon III, dont la politique algérienne se veut tournée vers les indigènes

(le projet de « royaume arabe »), la famille de l’émir bénéficie d’un

traitement plus digne, avec son hébergement au château d’Amboise, non loin

de Paris, où il sera invité par l’empereur et d’autres milieux éclairés, rencontres

immortalisées par plusieurs peintures.

Ayant regagné sa liberté, l’émir Abd el Kader n’a pas abandonné son projet

initial de partir pour l’Orient. L’Empire ottoman n’ayant toujours pas reconnu

l’Algérie comme territoire français, mais comme un beylik occupé, Paris avait

longtemps refusé tout départ de l’émir vers l’Empire ottoman. Comme les

militaires d’Alger, tout déplacement des Algériens vers l’Orient musulman

était susceptible de favoriser l’appel à la résistance contre la présence française

en Algérie ou bien de créer des troubles à la frontière tunisienne.

La requête de l’émir déchu finit par être accordée et c’est en 1852 qu’il se

rend à Bursa (Brousse), puis à Damas en 1855, une des cités symboles de la

résistance aux croisés. L’intervention de l’émir en faveur des chrétiens, menacés

du massacre par les Druzes, une des minorités religieuses du pays, augmenta

le prestige du cheikh algérien dans la région du Cham. L’émir se rendit

une nouvelle fois au pèlerinage dans les lieux saints de l’islam, qu’il avait

découverts la première fois à 17 ans, en accompagnant son père. C’est autour

de la famille de l’émir que se développa une communauté algérienne en exil

dans le pays du Cham et dans toute la région, terre qui allait accueillir encore

de nombreux exilés (muhajiruns) pendant la période coloniale.



LA CONQUÊTE DU BEYLIK

DE L’EST

Avec la nomination de plusieurs khalifats autour de Constantine, le commandement

français prépare la conquête de l’ancien beylik avec l’appui de

goums indigènes. Les régions au sud de la province ne sont pas d’un accès

aisé, avec le massif des Aurès, du Belezma et du Hodna, autant d’obstacles

naturels peuplés de tribus berbères. En 1844, le duc d’Aumale commande

une expédition jusqu’à Biskra et occupe les oasis des Ziban.

Dans les montagnes et hautes plaines de l’est, les chefs militaires français

entendent bien jouer sur la rivalité entre certaines grandes tribus, comme

entre les Nememcha et les Hanencha. C’est à partir des années 1844-1846

que les premières colonnes françaises s’avancent à travers les hautes plaines

d’Aïn Beïda, en direction de Tébessa, ainsi que le long de la vallée entre le

Belezma et les Aurès. Plusieurs camps sont établis comme Batna. Canrobert

se charge de parcourir l’ouest du Belezma, puis se dirige vers la région du

Hodna qui avait rallié l’émir Abd el Kader. Ses colonnes attaquent à l’intérieur

du massif des Aurès en janvier 1850, sans rencontrer de résistance organisée,

sauf dans la vallée de l’oued Abdi, où des tribus sont durement frappées.

Le colonel Daumas entreprend quant à lui une expédition en direction de

l’oasis de Bou Saada, dans la région des Ouled Naïl, qui avaient précédemment

reconnu l’autorité de l’émir. Plus au nord, les tribus des monts du Hodna

subissent plusieurs campagnes à partir du camp de Sétif. L’armée française

s’emploie à soumettre successivement les tribus qui sont contraintes à verser

un impôt, voire à participer à certaines campagnes, reprenant une stratégie

utilisée par les beys pendant la domination ottomane.

Bou Ziane, chef religieux des Ziban, déclenche un mouvement de rébellion

à l’encontre de l’administration militaire française, qui procédait à la levée d’un

impôt sur les palmiers. En tentant de l’arrêter le 17 juillet 1849, l’armée provoque

une insurrection de toute la région des Ziban, jusqu’aux Aurès. Attendant

la fin de l’été, le général Herbillon mobilise alors une armée de 4 000 soldats

pour réduire l’oasis de Zaatcha, fief de la résistance. La première attaque du

20 octobre est un échec, car l’armée s’est heurtée à de solides fortifications

dans le dédale de la palmeraie. Le 28 octobre, ce sont trois colonnes qui encerclent

le ksar de Zaatcha. La bataille est extrêmement violente, avec 150 soldats

français ou alliés tués ou blessés. La population (estimée à 800 personnes) est

quant à elle entièrement massacrée, et la palmeraie rasée.



ORGANISATION ADMINISTRATIVE

DE L’ALGÉRIE EN 1845

Les autorités militaires françaises reprennent globalement le découpage

régional de la régence en instituant trois provinces (ordonnance royale du

15 avril 1845) : Oran, Alger et Constantine, elles-mêmes divisées en trois

types de territoire. Le premier est de caractère civil, regroupant tous les territoires

des villes occupées par les Français avec leurs faubourgs, où vit une

population européenne relativement importante. C’est le cas de toutes les

villes du littoral et des grandes villes de l’intérieur sauf pour certaines, qui

dépendent d’une administration mixte, du fait d’une population indigène

conséquente et vivant dans sa banlieue immédiate, comme à Constantine,

Sétif, Jijel, Bougie, Dellys, Médéa, Miliana, Mascara et Orléansville.

Mais la majeure partie de l’Algérie consiste en un territoire sous juridiction

militaire, où vit une population exclusivement indigène. Cette dernière catégorie

est également désignée sous le nom de « territoires arabes », en attendant

de préciser une géographie en plein processus d’élaboration depuis Paris

(dans le service géographique de l’armée). En outre, ces territoires sont gérés

localement par des « bureaux arabes », chargés de s’informer sur les tribus,

avec lesquelles ils entretiennent des relations étroites, par le moyen de traducteurs.

Ces bureaux ont pour mission de maintenir la sécurité des postes

militaires et des voies de communication en s’assurant de la stabilité des

tribus, qu’ils répertorient et dont les chefs ou cheikhs sont leurs interlocuteurs

directs. Dans les régions peuplées d’Européens, les bureaux arabes

cherchent à établir le plus souvent un relatif équilibre dans la question des

plans d’extension de la colonisation, d’où l’existence de certaines tensions

avec les milieux civils.



LA COLONISATION EUROPÉENNE

mmédiatement après la conquête d’Alger, des essais de colonisation

I

furent entrepris autour d’Alger, en vue d’établir un système défensif

sur les hauteurs, comme à Kouba, site qui domine la plaine de l’oued

el Harrach. Avant d’attirer les milieux d’affaires européens, l’arrière-pays

d’Alger, que les Français désigneront sous le nom de « Sahel », fut l’objet

d’acquisitions et de spéculations de toute nature pendant une dizaine

d’années de 1832 à 1842. Les terres ayant fait partie du domaine beylik furent

les premières à se trouver rapidement livrées aux Européens.

La plaine de la Mitidja, encore peu sûre, attira tout de même quelques

tentatives d’installation. La première d’entre elles fut la Ferme expérimentale

d’Afrique, qui fut construite au bord même de l’oued el Harrach (site du village

colonial de Maison-Carrée). Mais l’environnement naturel était particulièrement

facteur de maladies pour la population européenne. De nombreuses


162 Atlas historique de l’algérie

victimes européennes succomberont

dans la plaine de la Mitidja,

une terre prometteuse riche en

alluvions, mais entrecoupée de

nombreux marécages.

À partir de 1842 s’organise

véritablement une colonisation

officielle, à l’initiative du maréchal

Bugeaud, promoteur du

« soldat-laboureur ». Sa politique

d’occupation totale de l’Algérie, à

l’issue de la deuxième guerre

contre l’émir Abd el Kader, comprend

la mise en coupe réglée du

Plan de la ferme de Kouba, 1832.

pays utile, et en premier lieu du

domaine beylik, dont l’autorité a échu directement à la France, ainsi que de

toutes les terres des tribus hostiles, notamment celles de la Mitidja et de

la plaine d’Oran. De même, l’arrière-pays bônois et la plaine de la nouvelle

Philippeville (Skikda) sont les premières régions colonisées. Des pionniers

européens s’y établissent, protégés par la proximité immédiate des villes de

garnison françaises. Ces premiers colons n’accèdent cependant que difficilement

à la réussite espérée ou garantie par les agents commerciaux qui

sillonnent l’Europe occidentale pour recruter des candidats à l’émigration

outre-mer. Dans ces années 1840, les flux de migrants européens choisissent

principalement les Amériques.

Dans la région d’Alger, c’est le Sahel (arrière-pays d’Alger) qui intéresse

principalement les Européens. À partir de 1841, les villages de Draria,

El Achour, Saoula, Chéragas et Aïn Benian sont construits sur des terres en

général retirées du domaine beylikal. Avec la fondation de ces villages de

colonisation dans la Mitidja, comme à Fondouk (1843), Souma (1845), Chiffa

et Mouzaïa en 1846, une nouvelle étape est franchie, bien qu’encore hésitante.

Car la mortalité reste élevée dans la Mitidja, où

sévit le paludisme et autres maladies favorisées

par la stagnation des eaux. La nouvelle province

d’Oran attire quant à elle de nombreuses nationalités

(Allemands, Espagnols…) dans les premiers villages

proches d’Oran, Arzew et Mostaganem. Les

projets d’extension de la colonisation se développent

très rapidement à partir des années 1848,

avec l’organisation de nombreux départs depuis la

France.

En 1847, 110 000 Européens vivent déjà en Algérie,

dont moins de 50 000 Français. Les territoires

civils voient leur population européenne augmenter

sensiblement, notamment avec l’arrivée d’ouvriers

parisiens invités à quitter la France, suite aux

troubles de juin 1848. La répression de l’insurrection

populaire à Paris par Cavaignac (qui avait également

écrasé les tribus du Dahra) a provoqué Affiche datant de 1848.

la


La colonisation européenne 163

déportation de centaines de prisonniers

vers le pénitencier de Lambèse ainsi que la

mise à disposition de terres quasi gratuites

pour 12 000 ouvriers parisiens, dans le

cadre de mesures d’éloignement des militants

et personnes considérées comme

agitateurs.

C’est sur fond de crise économique en

France que Napoléon III arrive au pouvoir.

Favorable aux milieux financiers et industriels,

il développe une forme encore plus

étendue de colonisation en Algérie, rattachée

administrativement à la France

depuis la chute de Louis-Philippe et la

Plan du centre d’Ain Taftikia.

naissance de la III e République. C’est avec

la participation de grandes sociétés dites capitalistes, françaises et étrangères,

que l’empereur compte relancer la colonisation officielle. À partir des

années 1850, ces grandes sociétés bénéficient de l’appui de Paris pour engager

des projets ambitieux de colonisation, principalement dans les régions

d’Arzew-Mostaganem et de Sétif.

Parmi elles, la Compagnie genevoise de Sétif, qui est issue de capitaux

suisses, dispose en 1853 de 20 000 hectares dans la région des riches plaines

céréalières de Sétif, afin d’y installer des colons suisses ou savoyards. Censée

contribuer au développement du peuplement européen, la société ne parviendra

cependant pas à remplir ses fermes, qui seront essentiellement louées à

des paysans indigènes.

La Société de l’Habra et de la Macta, nom associé aux marais et rivières

de la région au sud-est d’Arzew, sera créée en 1864, toujours à l’initiative de

capitaux privés. Son programme

colonial reposait

sur un plan de développement

d’une région à assécher

en construisant un

barrage et tout un réseau

d’irrigation. Les 24 100 hectares

dont cette société a

disposé n’ont pas attiré de

colons européens, qui ont

laissé ces terres aux indigènes.

En 1868, la Société

générale algérienne (devenue

Compagnie algérienne

Église Saint-Arnaud.

en 1878) obtient quant à elle 100 000 hectares pour développer la colonisation

dans les trois départements algériens, surtout dans le Constantinois, où elle

enlève 89 500 hectares. Elle conquiert plus de 6 000 hectares autour de

Médéa, Miliana et Orléansville, 4 500 hectares vers Tlemcen et Relizane. Elle

aura créé 5 villages et 20 fermes en 1878 et planté 90 000 arbres dont

70 000 eucalyptus.


164 Atlas historique de l’algérie

À partir de 1863, les terres consacrées à la colonisation officielle ont vu

leur patrimoine augmenter, suite à la mise en place d’un processus administratif

complexe voulu par Napoléon III : le sénatus-consulte sur la propriété

indigène. L’empereur avait émis la préoccupation que l’on protège les terres

indigènes en délimitant les territoires respectifs de chaque tribu. Dans le

même temps, toutes les terres en surplus du découpage seraient allouées au

bénéfice de la colonisation officielle. Le processus de délimitation des territoires

de tribus en douars permit de dégager plus d’un million d’hectares. Les

tribus se sont progressivement retrouvées encadrées dans un espace géographique

délimité, le plus souvent de manière aléatoire, car reposant sur des

questions de commodité administrative. Pourtant, l’esprit qui gouverna cette

mesure du sénatus-consulte était assez clair, déclarant que : les tribus sont

propriétaires des terres dont elles ont jouissance permanente et traditionnelle.

En fait, cette nouvelle étape dans le processus de privatisation des terres

indigènes (d’abord collectivement) faisait suite à tout un arsenal juridique

(D. Sari) utilisé dès les premières années de la conquête. Après les premières

confiscations du domaine ottoman, ce furent les biens habous, ou biens des

fondations pieuses (dont faisait

partie le patrimoine légué aux

deux saintes mosquées de

Médine et La Mecque) qui furent

traités comme prises de guerre.

Bugeaud, dans sa guerre de

conquête, avait créé le séquestre

collectif pour frapper les terres

jugées trop mobiles pour être

irréprochables. Amendes collectives

et séquestration de terres

frappaient toutes les tribus qui

avaient résisté par les armes.

Centre de Sétif, carte postale.

Quant à l’expropriation légale, elle

consistait à éloigner des grandes villes certaines populations indigènes dont

les terres gênaient l’agrandissement. Ainsi, nombreuses d’entres elles furent

contraintes à se déplacer vers d’autres terres données par l’administration à

titre de compensation. Ce processus d’acquisition provoquait une dispersion

complexe de ces populations. C’est ainsi que l’on peut comprendre comment

la colonisation a pu disposer d’autant de terres pour son développement. La

guerre de conquête et l’entrée dans une forme d’économie capitaliste étaient

la cause principale des acquisitions foncières coloniales. Mais les conséquences

de l’insurrection de 1871 et la mise sous séquestre de 2 639 600 hectares

de terres indigènes provoquèrent une catastrophe économique pour les

populations impactées et une aubaine pour la colonisation. Dans certaines

régions où dominait la culture céréalière, les propriétaires européens ne disposaient

pas de ressources toujours garanties. L’augmentation substantielle de

terres restait donc le mode d’acquisition le plus pratique pour accroître leurs

revenus. Quant à la masse de la population indigène, comme dans d’autres

sociétés rurales, elle subissait une précarité alimentaire, aggravée par les

sécheresses et les cycles révoltes-répression.


La colonisation européenne 165

Les mesures de répression économique qui dépossédèrent des milliers

d’Algériens provoquèrent d’importants déplacements de population. Ainsi, des

tribus de la riche Medjana se trouveront déplacées vers le Hodna. Le nouveau

gouvernement républicain décida de réserver une partie des terres confisquées

au profit d’émigrants alsaciens-lorrains. 3 000 d’entre eux débarquèrent

en 1873. Ils s’installèrent dans les 7 000 hectares pris sur les tribus

autour de Tizi Ouzou, où plusieurs villages furent créés, dont Haussonvilliers

(Naciria) et Camp-du-Maréchal (Tadmaït). Ailleurs, les nouveaux villages de

colonisation d’Oued Fodda, Strasbourg, Rouffach, La Robertsau les

accueillirent. Les colons profitèrent de la nouvelle politique de Gueydon pour

réclamer la fin de la propriété indigène. Il s’agissait de mettre sur le marché

des terres à caractère collectif jusqu’alors inaliénables. En 1873, la loi Warnier

donna rapidement satisfaction aux colons. Elle permit de placer toutes

les terres indigènes sous la législation française, en mettant fin à l’indivis.

309 891 hectares (biens d’origine beylik ou vacants) furent saisis par les

domaines.

De 1871 à 1881, la colonisation prend un essor considérable. 197 centres

sont créés entre 1871 et 1878, notamment dans les régions de la vallée du

Chélif, autour de Mascara et Sidi bel Abbes, ainsi que dans la région de Médéa

et Aumale (Sour el Ghozlane). Dans le Constantinois, le nord de Sétif est

colonisé sur les terres confisquées en 1871, comme autour de Batna.

Dans les années 1880, la colonisation commence à saturer. Pourtant, des

projets d’expropriations massives sont encore proposés au gouvernement.

Des concessions gratuites de 30 000 hectares sont offertes entre 1885 et 1886

dans le Constantinois, tandis que d’importantes terres des domaines sont

vendues aux enchères. Des régions, jusque-là très peu colonisées comme la

Kabylie, accueillent de nouvelles implantations, de même dans les zones propices

au vignoble et sur les coteaux du massif du Zaccar et de l’Ouarsenis

ainsi que la plaine d’Arib (Vialar, actuel Tissemsilt).

Mais la colonisation officielle s’essouffle dans les années 1882-1901. Les

années 1883 voient s’accentuer la pression sur les populations forestières,

soupçonnées de provoquer des incendies. Amendes et séquestre collectif ne

cessent de les frapper à la suite des nombreux incendies de 1881 et jusqu’à

la mise en place du code forestier en 1885, limitant encore davantage l’accès

des populations indigènes aux forêts. Quelques villages sont encore fondés

dans la vallée de la Mina, sur la plaine littorale d’Oran et le plateau de Sidi

bel Abbes. Les zones montagneuses sont habitées par des colons dans le

Dahra et le massif côtier de Bône. Les derniers villages sont fondés dans les

années 1891-1900 sous l’administration Trézel dans le djebel Amour et à la

frontière marocaine (Turenne). Les ressources au sud des hautes plaines sétifiennes

permettent de fonder Colbert (Aïn Oulmene) et Ampère (Aïn Azel),

tandis qu’au sud de l’Atlas central étaient créés Bourbaki (Khemisti) et

Letourneux.

À partir de ces années, les indigènes commencent à racheter des terres

aux colons, notamment dans le Constantinois, sur fond de décroissance de

la colonisation européenne. En outre, on assiste à la concentration de la propriété,

grâce au développement des cultures intensives liées à l’exportation

comme le vignoble et les agrumes.



ALGER TRANSFORMÉE

PAR LA COLONISATION

Rattachée depuis 1529 aux îlots du Peñón espagnol qui la contraint à payer

un tribut jusqu’à l’arrivée de Khayr al Din, la ville d’el Djazaïr (Alger ottoman)

a depuis résisté à de nombreuses attaques européennes, protégée par un site

naturel exceptionnel. Avec sa forme triangulaire, la ville « turque » s’étend sur

le site médiéval de Djazaïr Beni Mezrana, lui-même dissimulant l’antique Icosium.

Descendant graduellement sur la mer, le site d’el Djazaïr formait une

sorte d’escalier très densément construit. Dominant la ville et ses alentours,

la forteresse principale, la casbah, ferme l’angle ouest de la muraille triangulaire,

elle-même entourée de plusieurs grands forts.

Ces bordjs (fortins) de Bab Azzoun au sud et Ezzoubia et Fort des 24 heures

au nord ont été la cible constante des attaques maritimes européennes contre

Alger depuis le XVI e siècle. Quant au fort du Sultan Kalasi à l’ouest (Fort

l’Empereur), sa chute a précédé la reddition de la ville et marqué la fin de la

résistance des forts d’Alger, qui ouvrit ses six portes aux Français. Quand le

corps expéditionnaire français s’empare d’Alger le 5 juillet 1830, il entre dans

une cité restée inviolée pendant trois cent douze ans.

De Bourmont a permis à l’armée de se répandre dans la ville sans porter

atteinte aux biens de la population, conformément à la convention du 5 juillet

signée avec le dey Hussein. Mais l’armée de son successeur Clauzel s’empressera

de réquisitionner de nombreux édifices « publics » pour y héberger ses soldats et

entreposer son ravitaillement. Plusieurs zaouïas et mosquées sont occupées, dont

la Masjid el Kebir (Grande Mosquée). De nombreuses résidences privées sont également

accaparées par des officiers français tandis que le commandement

s’installe dans le palais de la Djenina et la casbah, dont le nom a par la suite été

appliqué à toute la ville « indigène ».

La confusion créée par l’entrée des troupes françaises dans Alger a

cependant provoqué la fuite de milliers d’habitants vers l’intérieur du pays

mais aussi hors de la régence, en direction des villes ottomanes d’Orient.

Alger, qui comptait 60 000 habitants en 1830, voit s’exiler la plupart des

grandes familles aisées, suivant le dey et sa cour dans son exil oriental. Pendant

que les hésitations du gouvernement français laissent le sort de la

régence d’Alger en suspens, les militaires continuent de démolir un certain


168 Atlas historique de l’algérie

nombre de constructions ottomanes sous le commandement de Rovigo qui

fait disparaître plusieurs mosquées parmi la centaine que compte la cité.

Avec les gouverneurs Clauzel et Rovigo, les premiers réaménagements de la

ville « turque » sont entrepris pour répondre aux « nécessités » militaires.

À partir d’avril 1831, une place Louis-Philippe remplace le vieux centre de la cité

ottomane. Cette place d’armes est choisie comme point central, dans une ville que

l’armée souhaite contrôler en s’installant sur un site entouré des principaux édifices

précoloniaux (grandes mosquées et palais de la Djenina). L’armée cherche

dans le même temps à libérer des espaces où elle puisse manœuvrer en cas

d’intervention contre des troubles. La ville ottomane restant encore difficilement

pénétrable, des travaux de « percement » de rues à travers la « ville basse » sont

effectués, afin de permettre la circulation entre les portes Bab Azzoun et Bab el

Oued. Après une première confiscation en 1832 pour servir d’église, la mosquée

Ketchaoua transformée en cathédrale. Les nouvelles rues de la Marine, de Bab

Azzoun et de Bab el Oued sont achevées en 1839, convergeant toutes en direction

de la place Louis-Philippe (place du Gouvernement à partir de 1870).

À partir de 1840, les autorités militaires, qui ont désormais pour mission

de conquérir le reste de la régence (la politique « d’occupation totale » l’ayant

emporté), envisagent de nouveaux travaux au-delà des limites de la ville ottomane.

Jusque-là, le génie militaire français s’était contenté de « dégager »

des espaces de circulation. À partir de 1840, une stratégie de contrôle militaire

à long terme se met en place, avec la construction d’une enceinte fortifiée

au-delà des murailles et des fossés de l’époque ottomane. Achevée vers

1845, l’enceinte « bastionnée » s’étend au-delà des faubourgs de Bab el Oued

au nord et de Bab Azzoun au sud. Entretemps, en 1843, un plan d’aménagement

d’Alger est établi, incluant de nouveaux espaces à urbaniser. Ce « plan

directeur » reste cependant limité par la « forte empreinte militaire » de la

ville (CRESTI, F, Université de Catane).

Mais le génie militaire français se trouve confronté aux nombreux obstacles

naturels qui enserrent la ville, limitée par une étroite bande côtière à

l’est. N’excluant pas une opération anglaise contre Alger, le commandement

français fortifie la façade maritime de la ville entre 1840 et 1850, alors qu’une

rue du Rempart est dégagée en 1849, le long de la falaise qui surplombe la

mer de 15 m de haut.

À proximité de l’ancienne porte de Bab Azzoun, une nouvelle place est aménagée

en 1850. C’est la place du square Bresson (Port Saïd), rebaptisée square de la

République après 1870. Avec ses éléments coloniaux (théâtre, grands cafés, cercle

militaire…), cette place se présente comme plus européenne que la place du Gouvernement,

entourée par ses deux mosquées. Ce nouvel espace public déplace un

peu plus vers lui le centre d’attraction de la ville, qui voit affluer les immigrés européens.

Bien que ces derniers soient déjà présents depuis la prise d’Alger, ils ont

surtout été conviés à habiter les premiers villages de colonisation autour de la ville.

Mais l’insécurité et les maladies poussent la population « civile » à s’installer en

ville. L’occupation de la ville ottomane a par ailleurs suscité une « ruée » vers

l’achat d’habitations en ville et dans le Sahel d’Alger, souvent à des prix très attractifs.

Avec la création de nouveaux quartiers « civils », une nouvelle Alger « européenne

» se dessine dans les années 1845, notamment vers la partie sud, de Bab

Azzoun jusqu’aux remparts et sa porte de Constantine. Les cimetières musulmans

qui se trouvaient au-delà des murs de la casbah, au niveau des rampes Rovigo

(rues Patrice-Lumumba et Debbih-Cherif actuelles) furent rasés. Au-delà du fort


Alger transformée par la colonisation 169

de Bab Azzoun, le génie militaire prépare dès 1846 un plan d’aménagement des

quartiers de l’Agha et de Mustapha, dont le développement ira de pair avec l’extension

des espaces portuaires. Le port d’Alger sera étendu jusqu’au quartier de l’Agha

dans les années 1898-1904.

Afin de « gagner » des terrains sur la mer, le plan d’aménagement d’Alger

prévoit en 1848-1849 la construction de nouveaux quais avec des remblais et

terre-pleins pour « remplir » l’espace entre la rue du Rempart et la mer. Des

escaliers et rampes doivent permettre d’accéder aux nouveaux quais tandis

qu’un grand boulevard maritime prend place sur les hauteurs. Construit entre

1860 et 1864, le nouveau « boulevard panoramique » est baptisé boulevard de

l’Impératrice, après la visite de l’empereur Napoléon III à Alger. La structure

qui soutient le boulevard est aménagée en magasins situés sous les voûtes.

C’est une société anglaise dirigée par Morton Peto (construction du palais de

Westminster, statue de Nelson à Trafalgar Square) qui finança les coûteux

travaux, obtenant ainsi la concession des magasins. Les années du gouvernement

de Napoléon III sont marquées par le percement de la rue de la Lyre.

C’est l’époque pendant laquelle le baron Hausmann réaménage Paris, avec

ce souci de rationaliser l’espace urbain, sur fond de développement économique

de la France et d’entente avec le Royaume-Uni.

C’est en direction du fort des Anglais, au-delà de la porte de Bab el Oued,

que les Français réaménagent le bordj Ezzoubia (Fort Neuf) tandis qu’un arsenal

est construit sur le site du bordj Sitti Takelilet (Fort des 24 heures). Traversé

par un grand ravin aux pentes abruptes, ce faubourg de Bab el Oued sera surtout

aménagé à l’extérieur des nouveaux remparts, après la grande esplanade

qui abritait l’arsenal et le lycée Bugeaud (1868), à proximité du jardin Marengo.

À l’ouest de la ville ottomane, un grand quartier militaire est construit sur le site

des écuries du Dey, dominant la ville et la vallée du Frais Vallon. Avec le lancement

des premiers travaux du chemin de fer en 1862 (ligne Alger-Oran), le port

d’Alger continue à s’étendre vers le sud, participant au développement des

quartiers de l’Agha et de Mustapha (inférieur), où les militaires ont déplacé leur

champ de manœuvre et la caserne d’artillerie. Les quartiers relativement plats

de Mustapha inférieur et Belcourt accueillent une petite industrie qui marque

la limite sud de l’urbanisation d’Alger vers 1900. Le faubourg de Bab el Oued

devient quant à lui progressivement un véritable quartier, au-delà duquel le

relief plus tourmenté impose des limites à l’extension d’Alger vers le nord.

Après la Première Guerre mondiale, les espaces à l’ouest de la ville, moins

faciles à aménager, finissent par être agglomérés dans le contexte d’un important

exode rural des populations « indigènes » qui s’installent surtout au sud

d’Alger. Pendant que se dessine la ville coloniale, la vieille casbah est malgré

tout restée un îlot « arabe » dans une Alger européanisée. À partir des

années 1930, les « indigènes » algériens sont bien plus nombreux autour de la

ville, avant que l’indépendance ne leur ouvre les portes du centre européen.



LA CONQUÊTE DES MONTAGNES

DE KABYLIE

Dès le XVII e siècle était apparu sur certaines cartes européennes le nom

de « Kabilie » ou de « Pays des Cabaïles » (notamment la carte des « Pays

des Cabaïles et Salé » de Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville) pour nommer

les territoires correspondant à la chaîne de montagnes du Djurdjura jusqu’à

la presqu’île d’El Qoll, ou englobant les tribus situées entre l’oued Boudouaou

et Rusicada. Mais généralement, seuls les domaines des tribus Kouko et Beni

Abbes figuraient à l’emplacement de la Kabylie actuelle sur les cartes de la

régence ou des États barbaresques du XVI e au XVIII e siècle.

Ce pays des tribus (bilad al qabaïles) est très divers, tant géographiquement

que linguistiquement. Ces territoires regroupent des populations essentiellement

berbérophones, mais aussi arabophones, comme dans les régions

ensuite dénommées pendant la conquête « Petite Kabylie » et « Kabylie de

Collo ». De même, les cités du littoral kabyle, comme Bougie et Jijel se

trouvent différenciées par leur longue influence ottomane et plus généralement

méditerranéenne. Ainsi, le terme de « Kabylie » fut finalement employé

par les généraux français pour désigner l’ensemble des régions montagneuses

peuplées par des tribus regroupées en djemaa, ou assemblées traditionnelles,

et berbérophones pour la plupart avec de nombreuses nuances,

notamment dans les régions de contact, au nord de Sétif, à l’est des monts

Babors et dans la région de Draa el Mizan-Palestro.

Les régions dénommées « Kabylie » se sont trouvées divisées par les

autorités militaires françaises en deux parties distinctes géographiquement :

la Grande Kabylie, correspondant à la chaîne de montagnes du Djurdjura

jusqu’à la mer Méditerranée et limitée par la Soummam à l’est, et la Petite

Kabylie avec les monts Babors. Quant au vocable de « kabyle », transformé

en terme générique, il finit par désigner tout habitant d’Algérie locuteur de la

langue berbère, c’est-à-dire un des nombreux dialectes du tamazight, excluant

cependant les populations du Sahara. Issus des écoles de l’anthropologie

française du début du XX e siècle, les classements des populations dans les

régions explorées de l’Algérie conquise devaient, tout comme dans le reste

de l’Afrique, peser durablement sur les rapports socio-identitaires entre


172 Atlas historique de l’algérie

Algériens et Français, mais également entre populations indigènes ellesmêmes.

Les tribus de ces territoires kabyles avaient entretenu des rapports assez

complexes avec les autorités ottomanes avant la conquête, avec des statuts

très différenciés. Certaines combattaient avec les troupes du dey et avaient

contribué à la résistance en 1830, tandis que d’autres fournissaient des soldats

à l’armée française (Zouaoua). Mais la grande majorité des tribus de

Kabylie vivait assez repliée sur sa région, sinon sur ses crêtes défensives. Les

rapports entre les villages étant loin d’être harmonieux, car une des caractéristiques

décrites par les officiers français à leur sujet était bien l’indépendance

de la tribu et sa propension à utiliser les armes pour défendre ses

intérêts, sinon son honneur. Le pays reste encore « insoumis », au moment

où l’émir Abd el Kader déclenche son attaque sur la Mitidja en 1839. Certaines

tribus, comme celles du Sebaou avaient soutenu l’émir, tandis que dans la

région de Sétif, d’autres tribus menaçaient de couper l’itinéraire français

jusqu’à Mila. Bien que ces tribus n’aient pas toutes déclaré leur alliance avec

l’émir, elles supportaient mal la présence française aux portes de leurs montagnes.

Avec les premières reconnaissances au nord de Sétif en 1842 et 1846, les

généraux français mesuraient les difficultés à venir pour soumettre la région.

Difficile d’accès, les monts des Babors constituaient un obstacle majeur aux

communications avec le littoral. Les nouvelles conditions économiques liées à

la colonisation dans la région des Hautes Plaines (nombreuses terres beyliks

récupérées par les Français) décidèrent les autorités militaires à entreprendre

la construction d’une route sûre jusqu’à Bougie. La route traditionnelle

traversait une région dominée par des tribus décrites comme assez

farouches, suivant un itinéraire dit « des crêtes ». En 1847 et 1849, deux expéditions

importantes furent lancées à travers le Guergour, en relation avec

d’autres colonnes parties de Béjaïa et de Bouira. En 1850, une nouvelle offensive

se heurta à une vive résistance de la part des Beni Himmel. Avec la mort

du général de Barral dans cette campagne militaire, le haut commandement

de l’armée prépara le déploiement de forces considérables pour réduire ces

tribus.

Au-delà de la Mitidja, le général Bugeaud avait entrepris de soumettre les

tribus qui avaient soutenu l’émir pendant la deuxième guerre. Fin 1845, les

tribus Sebaou, du cercle de Dellys, furent attaquées, préparant l’installation

de camps en bordure des massifs de Grande Kabylie. Dellys, Bordj Menaïel et

Bouira formaient la limite des zones sous contrôle français, l’intérieur restant

insoumis. Cependant, avec le soulèvement de Bou Baghla en 1851, les premières

grandes campagnes militaires furent lancées dans le massif du Djurdjura.

Proclamé chérif dans la région, Bou Baghla étendit son mouvement sur

les Guechtoula, les Maatkas, Beni Aïssi et surtout les Flissa. Le commandement

français lança une nouvelle offensive dans la vallée de la Soummam et

détruit quelque 300 villages autour d’Ouzellaguen. Dans la région de Draa el

Mizan, les généraux Bourbaki et Pélissier attaquèrent les Flissa et Maaktas

en août et novembre 1851.

Les généraux Saint-Arnaud et Pélissier pénètrent dans la région des

Babors à partir de l’été 1851. Cette région montagneuse, où le couvert forestier

est très important, n’avait jamais été explorée. Elle abrite des tribus berbérophones

et arabophones ayant été pratiquement indépendantes pendant


La conquête des montagnes de Kabylie 173

la domination ottomane. C’est à partir de Jijel et Mila que les colonnes françaises

avancent au cœur des Zouaghas, qui n’avaient pas reconnu les cheikhs

nommés par la France. Précédemment, seules quelques reconnaissances

avaient été entreprises dans la région en 1848-1849, mais sans s’aventurer

plus loin. La presqu’île d’el Qoll (Collo) est parcourue en 1852, mais la soumission

des tribus locales sera longue et nécessitera encore plusieurs expéditions

militaires.

L’année 1852 correspond à la prise de pouvoir par Napoléon III, et la nomination

du maréchal Randon comme gouverneur de l’Algérie, qui relance le

projet de campagnes militaires de grande ampleur pour conquérir définitivement

les régions de Kabylie. C’est dans la région au nord de Sétif que la

première phase des grandes campagnes se déroule en 1853. Le projet d’une

nouvelle route entre Sétif et Bougie ainsi que la résistance des tribus des

Babors ont rendu inéluctable une grande opération militaire. Les généraux

Mac-Mahon et Bosquet commandent les colonnes qui pénètrent au cœur des

massifs. Les djebels Takintouch, Babors, Tababort, Tamesguida, qui forment

la grande arête de la Kabylie des Babors, sont tous conquis en 1853. Trois

ans plus tard, le poste militaire de Takitount est créé dans le territoire des

Amoucha, pour sécuriser la nouvelle route de Bougie. Achevée seulement en

1878, la route de Sétif à Bougie, qui longe en partie les gorges de l’oued

Agrioun, aura nécessité quinze ans de travaux.

En mai-juin 1854, après la révolte des tribus kabyles contre l’agha du

Sebaou (nommé par les militaires français), la région montagneuse comprise

entre Dellys et Bougie est investie par les colonnes du général Camou. Ce

dernier pousse ensuite jusqu’aux Aït Yahia, aux environs du futur village de

Michelet. À ce moment-là, un noyau de tribus entre Tizi Ouzou et le Djurdjura

reste toujours insoumis, leur sort se trouvant retardé par la guerre de Crimée.

Entre 1854 et 1856, le meilleur des effectifs militaires français se trouve

détourné en partie du théâtre algérien. Mais la campagne finale de réduction

des derniers foyers de résistance dans la Kabylie du Djurdjura est prévue pour

1857. Les populations de la région avaient été préparées à cette confrontation

inéluctable avec l’envahisseur français. Depuis une dizaine d’années, la

conquête de leurs villages par les « Roumis » était attendue avec un fervent

esprit de résistance, entretenu par les nombreuses zaouïas, dont celle de Sidi

Mohammed Abderahman bou Qobrin.



LA CONQUÊTE DES DERNIÈRES

CRÊTES DE KABYLIE

e matin du 24 mai 1857, trois colonnes françaises avancent depuis

L

leur camp de Tizi Ouzou. Elles attaquent toutes en direction de Souk

el Arba (Larbaâ Nath Iraten, le marché du mercredi chez les Beni

Iraten) qui domine la vallée des Beni Yenni. Ces villages se trouvent perchés

sur les crêtes à l’extrémité nord-est du massif du Djurdjura, dont la forme

ressemble à un hameçon. Ces tribus (ou djemaas) kabyles, qui ont une vieille

tradition guerrière, ont fortifié leurs villages déjà naturellement sur la défensive.

Les combats sont très durs pour l’armée française, qui doit entreprendre

plusieurs assauts pour occuper ces villages. Après la prise de Larbaâ Nath

Iraten, les colonnes s’engagent contre la montagne des Beni Yenni, avec sa

forme de presqu’île et sa nombreuse population. Ses villages de Taourirt

Mimoiun, Aït Hassem, Aït Larba et Taourirt el Hadjadj opposent une farouche

résistance aux soldats français. Le dernier d’entre eux finit par tomber le

1 er juillet 1857. Les combattants kabyles n’en continuent pas moins de résister,

et se replient plus haut sur les crêtes du Djurdjura. C’est auprès des Aït

Menguellet que les combattants livrent leurs dernières batailles début juillet,

puis, avec la prise du dernier bastion d’Icheriden, prennent fin quarante-cinq

jours d’une campagne très meurtrière. Avec 67 tués et 442 blessés, l’armée

française enregistre de fortes pertes tandis que les Algériens ont 400 tués et

le double de blessés. Quant à Lalla Fatma n’Soumer, veuve de Bou Baghla

qui avait « succédé » à son époux dans la conduite de la résistance, elle est

capturée le 11 juillet.

Pour marquer la présence militaire française au cœur de la région, de

nouveaux camps sont construits avec Fort l’Empereur (en hommage à Napoléon

III) sur le site du village de Larbâa Nath Iraten, qui deviendra Fort National

en 1870 (IIIe République). Quant au village de Michelet, il sera fondé sur

la crête qui mène aux cols de Tirourda et de Chellata, vers la vallée de la

Soummam. La prise des dernières crêtes du Djurdjura par les Français en

1857 achève les conquêtes du nord de l’Algérie.

Alors qu’il entreprenait d’achever la conquête de la Grande Kabylie, le

maréchal Randon envisageait une nouvelle politique d’expansion vers le sud

de l’Algérie.


Le lieutenant Cottenest et ses Chaambas dans le Hoggar, vers 1902.


LA CONQUÊTE DU SAHARA :

DE AÏN SEFRA À OUARGLA

Pour les cartographes français du XVII e siècle, le territoire de la régence

d’Alger était globalement divisé en deux grands espaces : d’une part le nord,

avec les différentes provinces ou beyliks. Ces territoires s’étendaient sur toute

la partie septentrionale de l’Algérie appelée le Tell. Il s’agissait du pays utile

composé de montagnes de l’Atlas et d’étroites vallées littorales, territoires

relativement bien connus par les descriptions de voyageurs européens à

l’époque de la régence. Au sud de ces régions, des territoires immenses figuraient

sur les cartes européennes avec le toponyme de Biled ul Djérid, Pays

du Djérid, c’est-à-dire le Sahara méconnu.

Avec la conquête et la mise en place de l’exploration scientifique de l’Algérie,

les espaces du Tell et sa bordure saharienne sont connus en 1844.

Conscients de se trouver au bord d’un océan désertique, les militaires français

sont encore trop occupés à la conquête du Tell pour entreprendre des

reconnaissances au-delà de Biskra.

Bien que l’explorateur français René Caillié soit parvenu à atteindre Tombouctou

en 1828 à partir des côtes de Guinée, le Sahara demeurait encore

méconnu pour s’y aventurer à partir du nord. Après la conquête militaire des

oasis de Biskra en 1844, des colonnes furent lancées en direction de Bou

Saada qui fut occupée en 1850, après la prise de Zaatcha. À l’ouest, la poursuite

de la smala de l’émir jusqu’à Taguin avait permis de reconnaître la

région des hauts plateaux, sans pour autant atteindre Laghouat. Le camp de

Saïda avait constitué le point de départ d’expéditions vers le Sud oranais,

domaine des Ouled Sidi Cheikh. Géryville fut fondée en 1845, au pied de la

chaîne montagneuse du djebel Amour, tandis que Cavaignac s’enfonçait dans

les Ksour, autour de Aïn Sefra en 1846-1847.

En 1851, alors qu’il prépare les campagnes de Kabylie, le nouveau gouverneur

général de l’Algérie Randon envisage l’expansion française dans le

Sahara. Dans ces années 1850, l’immense désert se trouvait exploré et

convoité par d’autres puissances européennes. En parallèle des conquêtes à

caractère militaire s’étaient développées des approches scientifiques de ces

contrées. Alors que le Français Berbrugger entreprenait ses voyages d’études


178 Atlas historique de l’algérie

dans les oasis algériennes entre le Souf et le M’Zab en 1850, l’Allemand Heinrich

Barth explorait le Sahara libyen. Ayant étendu ses connaissances linguistiques

auprès des peuples du Sahara, Heinrich Barth était le principal

connaisseur de ces régions. Ces années 1850-1855 correspondent aux nouveaux

travaux de traduction des langues arabe et berbère, avec notamment

la grammaire de la langue tamasheq de Hanoteau, tandis que le baron de

Slane traduisait L’Histoire des Berbères d’Ibn Khaldun en 1852.

L’insurrection du chérif Mohammed ben Abdallah dans la région des Ouled

Sidi Cheikh précipita cependant la conquête de Laghouat, ville-clé pour la

pénétration dans le Sahara. Ancien rival de l’émir Abd el Kader, Mohammed

ben Abdallah finit par déclarer le djihad contre les Français en 1852. Randon

envoya trois colonnes commandées par les redoutables Pélissier, Youssouf et

Mac-Mahon pour occuper Laghouat. Après une résistance vigoureuse contre

les assauts français, les insurgés sont massacrés. L’armée se lance ensuite

à la poursuite de Mohammed ben Abdallah en direction de Ouargla, tout en

nommant Si Hamza nouveau khalifa des territoires sahariens entre Géryville

(El Bayadh) et Djelfa.

La région du M’Zab préféra quant à elle traiter avec les Français, après la

nouvelle du massacre de Laghouat.


La conquête du Sahara : de Aïn Sefra à Ouargla 179

Carte du Sahara, 1880.



L’ALGÉRIE DANS LES

ANNÉES 1864-1868

Bien qu’étant le fils du khalifa des territoires des hauts plateaux du Sud-

Oranais, nommé par Randon depuis 1852, Si Sliman ben Hamza, finit par se

révolter à la tête des Ouled Sidi Cheikh. Cette grande tribu s’étendait des

hauts plateaux à l’ouest de Laghouat jusqu’au Maroc, pratiquant le seminomadisme.

Avec la fixation des frontières avec le royaume du Maroc, la tribu

se retrouva coupée en deux. Après l’anéantissement de la colonne Beauprêtre

en avril 1864, le commandement militaire envoie deux colonnes pour réprimer

l’insurrection, qui s’étend dans l’Ouarsenis et le Dahra, où certaines participent

à l’attaque de villages d’Ammi Moussa et Zemmora. Quelques

années auparavant, la région de Tlemcen avait été secouée par l’insurrection

de plusieurs tribus, dont les Beni Snassen. Ils répondaient à l’appel d’un

marabout du Sous, autoproclamé moul ’sa’a (le sauveur de la fin des temps),

et qui avait suscité l’adhésion de nombreuses tribus au Maroc.

Le mécontentement contre des chefs nommés par l’administration militaire

suscita de nouvelles révoltes peu étendues. Les tribus du Zouagha s’insurgèrent

contre Ben Azzedin. La région des Babors se révolta jusqu’au Zouagha

en 1864-1865. Les chefs de la révolte arrêtés rejoindront les convois de déportés

vers la Guyane, nouvelle destination des prisonniers politiques depuis 1852.

L’Algérie européenne pourtant se trouve en plein essor lorsque l’empereur

Napoléon III entreprend de se rendre dans le pays en mai-juin 1865. Il visite

presque toute l’Algérie hormis les villes de Tlemcen, d’Orléansville et Sétif. Car

c’est bien dans les villes que vivent principalement les Français et autres Européens.

Sur les 217 000 Européens (1866), 85 000 sont étrangers (Espagnols, Italiens,

Maltais…). L’empereur souhaite parcourir ce grand territoire, pour lequel

il a initié plusieurs projets, notamment économiques. Napoléon III a favorisé la

participation des grandes sociétés capitalistes, en vue de la colonisation. La

période du Second Empire s’était caractérisée par de nombreux investissements

à caractère industriel en Algérie, avec le lancement récent des premiers chantiers

de construction du chemin de fer en 1863 (ligne Alger-Oran). La loi du 20 juin

1860 avait rendu d’utilité publique le projet de construction des lignes Constantine-Philippeville,

Alger-Blida (achevée en 1862) et Oran-Saint-Denis-du-Sig.

C’est au cours de ce voyage que l’empereur déclara aux Européens : « Ce

pays est à la fois un royaume arabe, une colonie européenne et un camp


182 Atlas historique de l’algérie


L’Algérie dans les années 1864-1868 183

français. » Après avoir bénéficié des retombées foncières du sénatus-consulte de

1863, les villages de colonisation européenne voient leur organisation administrative

modifiée en 1866. Le processus de fractionnement des tribus avait commencé

à privatiser les terres indigènes, mais pas assez pour les colons. Les

propriétés indivis restaient encore à l’abri des appétits européens. Les villages

peuplés principalement d’Européens forment à partir de 1868 une nouvelle catégorie

de communes dites de « plein exercice » qui sont financièrement indépendantes.

À partir de 1868 sont instituées les communes mixtes dans les territoires

peuplés d’Européens et d’une majorité d’indigènes. Ces communes se présentent

comme une sorte de régime transitoire, en vue de devenir une commune

de plein exercice, une fois les conditions réunies (population européenne conséquente,

ressources économiques…). Dix-sept communes mixtes sont créées en

1868 : Zemmora, Ammi Moussa, Saïda, Sidi bel Abbes, Dhaya, Lalla Maghnia et

Sebdou dans la province d’Oran ; Laghouat, Djelfa, Tizi Ouzou, Draa el Mizan et

plus tard Fort-Napoléon dans le département d’Alger ; Collo, Tébessa, Biskra,

Bou Saada et Bordj Bou Arreridj dans le département de Constantine. Mais le

régime fiscal était au service de la minorité européenne. Les impôts indigènes qui

constituaient la majeure partie des perceptions entretenaient un budget municipal

pour les colons. Pratiquement aucune ressource n’était réservée aux écoles

indigènes, qui périclitent. Quant aux fondations religieuses musulmanes, chargées

de répondre aux urgences humanitaires, elles se trouvaient démunies

depuis la confiscation de leurs biens mobiliers au service du Domaine. Seuls les

chefs pouvaient éventuellement subvenir aux indigènes frappés de calamités.

De 1866 à 1868, des désastres s’abattent sur une grande partie du pays.

Les invasions d’acridiens (sauterelles) sont accompagnées de périodes de

sécheresse successives qui compromettent les récoltes de céréales. La

famine et les épidémies frappent les populations indigènes en grand nombre,

provoquant une décroissance de la population. Le nombre de victimes est

estimé entre 300 000 et 400 000.



LES SOLDATS ALGÉRIENS

AU SERVICE DE L’EMPIRE

Avec la constitution de troupes indigènes dans les premières années de la

conquête, l’armée française dispose d’une force d’élite, qui sera rapidement

envoyée sur les théâtres d’opérations extérieures, puis intégrée aux grands

corps expéditionnaires à partir de 1881. Avec l’arrivée de Napoléon III au pouvoir

en 1852, une nouvelle politique internationale est lancée, avec la participation

aux campagnes de Crimée aux côtés des Britanniques en 1854-1855.

Cette guerre fait suite aux tensions avec la Russie concernant la question

d’Orient. La nouvelle intervention des puissances occidentales dans la région

des Détroits fait suite à la tentative russe de s’imposer, se posant notamment

comme protectrice des chrétiens orthodoxes en Orient.

Napoléon III cherche à se présenter comme le protecteur des catholiques

du Levant, tout en se joignant à la coalition anglo-ottomane contre la Russie.

La France fait intervenir son armée dans la guerre de Crimée, avec des

tirailleurs et des zouaves. Plusieurs villages de colonisation porteront des

noms de batailles, dont celles de la guerre de Crimée comme Alma et Inkerman.

Les troupes algériennes se trouvent impliquées en 1859 en Italie, participant

aux batailles de Magenta et Solferino. Avec la guerre francoprussienne

de 1870, l’élite des troupes algériennes sera durement éprouvée

aux batailles de Wissembourg et Frœschwiller.

Avec la III e République, la politique d’expansion française en Afrique et en

Asie prend un nouvel essor avec Jules Ferry. De 1881 à 1912, cinq grands

corps expéditionnaires furent constitués en vue de conquérir la Tunisie

(encore sous administration ottomane), le Maroc, le Tonkin, Madagascar, ainsi

que pour appuyer les interventions britanniques en Chine. Les Algériens

prirent une part majeure dans ces conquêtes, de par leur résistance physique

et leur expérience guerrière (Algérie, Europe, Mexique…). On les voit représentés

sur plusieurs dessins historiques, comme à la bataille de Lang Song

en 1885 contre les Chinois.



LA GRANDE INSURRECTION

DE 1871

En juillet 1870, Napoléon III décida d’intervenir contre la Prusse. Défait à

Sedan, il finit par se rendre et capitule le 2 septembre 1870. Deux jours plus

tard la III e République est proclamée à Paris, tandis que le gouvernement

républicain s’était réfugié à Tours avant de rentrer à Versailles. Toutes les

forces militaires disponibles avaient été mobilisées dans cette guerre, dont la

plupart des corps d’élite algériens (tirailleurs, zouaves, spahis…). Avec l’instabilité

du nouveau gouvernement français, qui fait face à une insurrection

armée en plein Paris de mars à mai 1871, les autorités militaires françaises

se trouvent affaiblies en Algérie. D’une part, certains corps refusent de partir

sur le front et, d’autre part, certains chefs indigènes, assistant à la fin de

l’autorité militaire en Algérie, s’inquiètent pour leur avenir. Quelques

années seulement après la vague de calamités qui s’était abattue sur les

Algériens, la situation était propice aux velléités de changement.

La mobilisation du corps des spahis provoqua des émeutes dans plusieurs

camps, comme à Moudjebeur, El Tarf et Aïn Guettar. Ces révoltes de cavaliers

ayant refusé de partir pour le front se traduisirent par des combats aux portes

mêmes des villes censées se trouver sous la protection de ces smalas de

spahis. Souk Ahras fut assiégée par les cavaliers Hanencha, passés à la dissidence

fin janvier 1871. Avec la proximité de la Tunisie, les insurgés finirent

par s’enfuir au-delà des frontières algériennes. Plus au sud, à Tébessa, l’agitation

était entretenue à partir des oasis tunisiennes du chott el Djérid.

Depuis mars 1870, Mahieddin, membre de la famille de l’émir Abd el Kader,

entretenait l’agitation des tribus dans la région de Negrine et Ferkane, qui

accueillirent favorablement son mouvement.

Cependant, la principale région où couvait l’insurrection se situait entre

Sétif et Tizi Ouzou. Deux foyers de révolte se trouvèrent alimentés par des

personnalités indigènes, dans la Medjana et la vallée de la Soummam.

Mohammed ben el Hadj el Mokrani, le fils d’un des grands alliés des Français

pendant la conquête française des régions de Sétif aux Portes de Fer, ainsi

que le cheikh El Haddad, chef religieux de la confrérie Rahmaniya dans la

Soummam. Mohammed el Mokrani avait hérité du rôle de son père comme

khalifa de la Medjana, mais avec des pouvoirs réels bien inférieurs. Il ne devait


188 Atlas historique de l’algérie

plus en référer au gouverneur de la province mais à un simple capitaine du

bureau arabe de Bordj Bou Arreridj. De même, plusieurs de ses privilèges lui

avaient été supprimés par l’administration française.

La colonisation européenne avait bouleversé les rapports de force dans

ces riches régions des hautes plaines céréalières. Les tribus avaient subi les

ponctions du sénatus-consulte de 1863 ainsi que les charges fiscales

(5 000 hectares confisqués autour de Bordj Bou Arreridj). Avec les années terribles

de 1867 et 1868, alors que les paysans vendaient une partie de leurs

terres pour survivre, les chefs indigènes contractaient des dettes pour subvenir

aux besoins de la population affamée. Mohammed el Mokrani emprunta

respectivement 350 000 et 200 000 francs aux financiers Mesrine et Lavie, qui

étaient devenus 500 000 francs avec les intérêts. L’hypothèque qui pesait sur

ses biens ne manquait pas de susciter une grave inquiétude à Mohammed el

Mokrani. Il avait pris soin de garantir son prêt auprès du général Mac-Mahon,

gouverneur général et vétéran de la conquête de Kabylie. Mais avec la chute

de l’Empire en 1870, l’administration militaire remit aux civils la gestion du

pays. Mac-Mahon, remplacé, ne put honorer ses engagements.

La famille Mokrani se trouve quant à elle toujours divisée par la lutte de

clans. Abdesselem el Mokrani, l’ancien allié de l’émir Abd el Kader, avait

repris contact avec le bureau arabe de Sétif, après avoir cessé le combat. Les

Français avaient tenté de réconcilier les deux principaux clans de la famille

en décembre 1870 ainsi que les deux grands chefs religieux du pays kabyle.

Ben Ali Chérif, marabout de Chellata, et le cheikh El Haddad, marabout de la

Soummam, furent réunis par le commandement de Sétif. Mais les khouans

ou frères de la confrérie préparaient le soulèvement depuis septembre 1870.

À partir de janvier 1871, Mohammed el Mokrani n’était plus isolé et disposait

d’alliés de premier ordre dans la région. Toutefois, il entreprit d’ultimes

démarches officielles à partir de février 1871 auprès des autorités françaises,

en demandant sa démission. La dissidence devint effective en mars, quand

Mohammed el Mokrani comprit que la nouvelle administration coloniale républicaine

comptait bien reprendre en main les riches terres de la région. Le

vieux cheikh El Haddad franchit le pas décisif le 8 avril 1871 au marché de

Seddouk, en proclamant le djihad, soutenu par son fils Aziz.

La plus grande partie des tribus kabyles du Djurdjura et des Babors se

joignit au mouvement. À l’ouest de la Grande Kabylie, les forces rebelles atteignirent

le village européen d’Alma le 22 avril 1871. La Mitidja ne s’était pas

trouvée menacée depuis trente ans mais les insurgés ne dépassèrent pas

l’oued Boudouaou. La situation fut bien plus inquiétante dans la région des

hautes plaines de Sétif et de Bordj Bou Arreridj. Ces deux villes furent assiégées

en vain par les groupes d’insurgés conduits par Mohammed el Mokrani

et Aziz el Haddad. Il devenait évident pour les insurgés que ces villes, comme

toutes celles d’importance, ayant été fortifiées, ne se livreraient pas facilement.

Les chefs de la rébellion entreprirent de bloquer les routes et de mener

une guerre mobile.

Le gouvernement français, conscient de la gravité d’une telle insurrection,

envoya des colonnes chargées d’écraser la révolte. Commandée par l’amiral

Gueydon, l’armée commença à se déployer à partir de mi-avril 1871. Parties

d’Alger, Aumale et Constantine, les colonnes dégagent toutes les villes assiégées.

Elles se renforcent de goums ou troupes de cavaliers indigènes fournies


La grande insurrection de 1871 189

par les tribus alliées. Ainsi, dans la région de Sétif, les offensives françaises

se précisent dans la région d’Amoucha, où Aziz el Haddad a replié ses forces.

À l’est du djebel Babor, l’armée française peut compter sur Benhabylès pour

contenir l’insurrection, qui s’étend quand même en direction de Jijel à partir

de juin.

C’est à ce moment que les colonnes françaises investissent totalement la

Grande Kabylie. Des combats très durs se déroulent dans les villages du

Djurdjura, dont nombre sont détruits. Comme en 1857, la région d’Icheriden

résiste plus longtemps, mais est finalement investie le 24 juin. Dans la région

des Bibans et de l’Ouanougha, l’armée des Mokrani a perdu leur chef Mohammed

el Mokrani, tué dès le 4 mai 1871. Son successeur, Boumezrag, tente

vainement d’arrêter la progression des colonnes dans la région. Boumezrag

se replie dans les montagnes au relief tourmenté des Bibans, et combat à

plusieurs reprises l’armée française autour des Beni Mansour. La progression

des colonnes françaises est plus difficile dans cette région de Petite Kabylie,

où il n’y a aucun poste militaire ou facilité entre Bordj Bou Arreridj et Bouira.

Dans la région du Belezma, où s’était étendue l’insurrection, plusieurs

combats opposent les colonnes de Sétif et Batna aux tribus dissidentes. Après

les massacres de colons perpétrés par certains insurgés à Batna, la répression

s’abat encore plus durement dans cette région, comme autour du village

de Palestro au centre du pays, dont la population européenne avait subi un

sort analogue. À ce stade de la guerre, les massacres de populations indigènes

ainsi que le pillage ne sont pas rares, d’autant plus que le concours

de forces indigènes hostiles aux insurgés a fait accroître ces violences.



LA GUERRE DE JUILLET

À OCTOBRE 1871

Une fois la Grande Kabylie pacifiée par les colonnes françaises, et la reddition

des chefs locaux Ali Oukaci et Aziz el Haddad effective, l’armée française

entreprend de réduire la principale poche de résistance formée autour de

Boumezrag.

Le chef du clan des Mokrani continue de combattre dans son fief des

montagnes au nord de la plaine de la Medjana. Les colonnes françaises

partent de Sétif et pénètrent jusqu’au pays des Beni Ourtilane. Plusieurs combats

ponctuent cette progression des colonnes pour encercler Boumezrag.

Les batailles de Draa el Arba, Tala Ifacène, Beni Yala illustrent la résistance

des tribus locales, alors que le vieux cheikh El Haddad avait fini par se constituer

prisonnier le 13 juillet 1871. Boumezrag décide de se replier dans les

montagnes du Hodna, autre région de vieille tradition guerrière, qui avait

résisté pendant la conquête. Les colonnes françaises poursuivent inlassablement

Boumezrag dans le djebel Maadid au mois d’août 1871. Avec sa smala,

Boumezrag se réfugie plus à l’est dans les forêts du djebel Afghane, non loin

de Salah Bey. Traqués par les Français et les goums qui participent à cette

chasse à l’homme, les chefs Braham ben Illès et Ahmed Bey finissent par se

livrer le 21 octobre 1871. Quant à Boumezrag, il tente de s’enfuir par le

Sahara, tandis que la plupart des familles Mokrani, Ouled Gandouz et Ouled

el Hadj prennent la route de la Tunisie. Boumezrag est finalement capturé le

20 juin 1872 vers Ouargla.

C’est dans cette région du Sahara que le chef indigène Bouchoucha était

entré en rébellion en mars 1871. Jusqu’en janvier 1872 et l’arrivée de la

colonne Delacroix, la région de Ouargla avait échappé complètement à l’autorité

française malgré la tentative d’Ali Bey, allié à la France, de soumettre ces

oasis en juin-juillet 1871.

La III e République enfanta dans la douleur avec les événements de la Commune

de Paris. Les insurgés de Paris avaient été réprimés sans indulgence

par l’armée du gouvernement de Versailles. Après la déportation de

4 000 Français envoyés vers les bagnes, le nouveau gouvernement de Thiers

voulait imposer l’ordre à tout prix. Avec la fin des opérations contre les insurgés

algériens, la politique de conciliation de Napoléon III devenait un lointain


192 Atlas historique de l’algérie

souvenir. La III e République mène une politique coloniale résolument en

faveur de la minorité européenne. Gueydon, nouveau gouverneur général,

déclare à ce sujet : « Les indigènes sont des vaincus, qui doivent subir notre

loi. » Lorsque Gueydon parle d’indigènes, il ne fait probablement pas allusion

à la minorité juive des départements algériens. Cette dernière vient d’être

naturalisée française, un peu malgré elle, par le ministre Crémieux, en pleine

guerre. Pendant la guerre contre la Prusse et alors que Paris était assiégée,

le gouvernement en exil à Tours avait statué sur le décret de naturalisation

des Juifs d’Algérie. Adolphe Crémieux avait été à l’initiative de ce décret

éponyme.

Le sort des responsables de l’insurrection fut établi par des tribunaux

spéciaux. De lourdes contributions de guerre furent imposées aux tribus ayant

participé de près ou de loin à l’insurrection de 1871. La responsabilité collective

des tribus fut appliquée par les tribunaux. Le séquestre collectif confisqua

2 639 600 hectares de terres indigènes. Une partie de ces terres fut ensuite

proposée en 1872 au rachat par les tribus qui en avaient encore les moyens,

en payant un cinquième du prix. Le coût de ces mesures répressives fut

estimé à 70 % du capital des tribus. Les derniers paiements furent honorés

seulement en 1890. Les insurgés déclarés coupables d’avoir mené la révolte

furent soumis à de lourdes peines. En plus des amendes qui frappaient leurs

tribus, de nombreux chefs furent condamnés à mort en 1873, mais finalement

déportés vers les bagnes. Ce fut le cas de Braham ben Illès, Ali Oukaci,

Ahmed Bey, Boumezrag el Mokrani, Aziz el Haddad. Un convoi de trente et

un chefs algériens arriva en Nouvelle-Calédonie en 1875. Aziz el Haddad finit

par s’enfuir de la petite île des Pins en 1884 tandis que Boumezrag retourna

en Algérie après avoir été gracié en 1905, et mourut à Koléa l’année suivante.


LA DIASPORA DES PRISONNIERS

ALGÉRIENS DANS LE MONDE

Depuis les événements de 1848 à Paris, de nombreux prisonniers d’opinion

prenaient la route des bagnes d’Algérie (Lambèse et Berrouaghia) tandis

que les Algériens, soumis au régime militaire, pouvaient être condamnés à la

déportation en Corse ou à Toulon, lorsqu’ils étaient condamnés à de longues

peines. Avec l’arrivée au pouvoir de Napoléon III en 1852, les bagnes d’outremer

connaissent un développement sans précédent. Le nouvel empereur veut

« nettoyer » Paris et la France de toute la population considérée comme dangereuse.

C’est la mise en place d’une nouvelle politique de tolérance zéro à

l’époque de l’hygiénisme et de l’urbanisme aseptisé du baron Hausmann. En

même temps, il s’agit de remplacer les esclaves libérés depuis 1848 et de

mettre en valeur à moindres frais ces terres tropicales. La Guyane se présente

alors comme la destination principale des condamnés aux assises

(crimes graves) et des récidivistes. Les Algériens ne sont pas épargnés par

ces mesures d’éloignement.

Avec les criminels classiques, ce sont surtout les insurgés des nombreuses

révoltes qu’a connues l’Algérie coloniale qui seront les principaux

hôtes des bagnes français d’outre-mer. Une fois condamnés au bagne, les

Algériens étaient traditionnellement dirigés vers un des bagnes portuaires

français. C’est généralement vers Toulon, Brest ou Rochefort que les prisonniers

transportés continueront de transiter avant le grand départ pour la

Guyane, nouvelle destination des condamnés politiques (déportés) et des

détenus de droit commun à partir de 1852. En outre, tout Algérien condamné

à plus de huit ans de détention se trouvait systématiquement envoyé au

bagne, avec le statut de transporté. À partir de 1885, tous les récidivistes

prennent la même route.

Entre 1871 et 1880, le principal bagne de Cayenne en Guyane, connu pour

la forte mortalité des détenus, aura accueilli en permanence quelque

1 100 « Arabes ». Les Algériens, qui ne sont définis ni comme Français ni

comme Algériens, figurent sur les listes de détenus « arabes », regroupant

principalement les indigènes musulmans d’Algérie, mais également de Tunisie

à partir de 1881. Les Arabes condamnés pour insurrection sont en général


194 Atlas historique de l’algérie

les principaux chefs des tribus concernées. On retrouve parmi eux des

membres des familles des Ouled Sidi Cheikh, des Mokrani, etc.

Avec l’ouverture du bagne de Nouvelle-Calédonie, environ 150 « Arabes »

seront en permanence détenus sur place, dans des conditions bien plus favorables

qu’en Guyane. Considérés comme plus résistants que les Européens,

les Algériens seront ensuite systématiquement envoyés en Guyane. Alors

qu’en 1887 est suspendu l’envoi des Européens vers la Guyane, un troisième

site de détention français se trouvait à Obock, sur le territoire de la Côte

française des Somalis après son ouverture en 1886, mais le pénitencier

d’Obock s’avéra beaucoup trop propice aux évasions, du fait de la proximité

des Algériens avec la population arabe locale et sera finalement évacué en

1895.

Les camps de travaux forcés de la Guyane accueillaient de nombreuses

populations de détenus coloniaux, dont des Malgaches, des Africains, des

Indochinois… les Algériens représentant environ 25 % de la population pénale

totale (jusqu’en 1871). Dès son ouverture, le bagne de la Nouvelle-Calédonie

accueillit 300 « Arabes » de 1867 à 1869. Environ 1 200 prisonniers tunisiens

et algériens, notamment les condamnés de 1872, débarquèrent ensuite en

1873 et 1874, dont Mohammed Amezian, fils du cheikh El Haddad. L’une des

particularités du statut de déporté ou transporté était de se trouver condamné

à résider sur place après avoir purgé sa peine. Ce fut le cas de nombreux

Algériens en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, qui finirent souvent par

s’installer définitivement sur des terres, épousant des Européennes libérées

ou des indigènes. Ces libérés astreints à résidence formaient en 1880 plus

de la moitié des détenus arabes de Nouvelle-Calédonie tandis qu’en Guyane

ils sont 294 libérés sur 1221 détenus. Certaines épouses d’Algériens firent

même l’effort de se rendre auprès de leurs maris libérés en Guyane, parfois

avec leur enfant. Les tentatives d’évasion réussies ou non furent nombreuses

chez les détenus algériens. Parmi eux, le célèbre chef Aziz el Haddad, enfui

de l’île des Pins (Nouvelle-Calédonie) en 1884. Il se rendit en Australie puis

en Orient pour faire son pèlerinage. Amezian el Haddad s’évada quant à lui

en 1895.

En 1938, les derniers détenus algériens sont envoyés en Guyane purger

leur peine de relégation. Les relégués, dont la moitié étaient algériens,

devaient, après avoir purgé la totalité de leur peine en métropole, être envoyés

au bagne en plus. Après la Seconde Guerre mondiale, les libérés nord-africains

sont très progressivement renvoyés en France et en Afrique du Nord.

Jusqu’en 1953, quelque 1000 prisonniers algériens repartent chez eux ou

ailleurs, après la fermeture officielle du bagne en mars 1948.


Registre des transportées algériennes pour la Guyane.



CHRISTIANISME ET JUDAÏSME

DANS L’ALGÉRIE COLONIALE

DU XIX E SIÈCLE

’est dans les principales villes occupées par les Français que sont

C

bâties les premières églises. Des temples protestants sont

construits par les Allemands et les Suisses, qui sont parmi les premiers

contingents d’émigrants. Ces modestes constructions des années 1840

avaient été précédées par l’établissement du diocèse d’Alger en 1838.

L’armée, qui a confié au génie l’aménagement des villes selon les normes

architecturales françaises, entreprit d’élever la plupart des édifices religieux,

d’abord pour les propres besoins de sa garnison. Les nombreuses pertes des

Français face aux maladies durant les premières années de la conquête ont

rapidement nécessité des besoins de chapelles auprès des hôpitaux ainsi

qu’un personnel religieux.

Avec la redécouverte des sites de l’Algérie romaine par les Français,

le thème du retour de la chrétienté dans le pays de saint Augustin fit son

apparition dans les milieux catholiques. Les ordres

religieux se déploient en Algérie dès les

années 1840. Parmi eux, les trappistes, les sœurs

de Saint-Vincent-de-Paul, les ursulines et les

jésuites, spécialistes des missions lointaines, encadraient

une population européenne souvent isolée,

loin des villes principales. Des jésuites sont présents

dans nombre de casernes, comme à Fort

National, après la conquête de la Grande Kabylie en

1857.

Mais c’est surtout la nomination du cardinal

Lavigerie à Alger en 1867, qui relance l’idée du

retour dans une Afrique chrétienne, dont les

populations devraient pouvoir naturellement revenir

à la religion de leurs ancêtres, et parmi elles

les habitants de Kabylie, qui seraient moins arabisés

et donc – déduit-il – moins islamisés. Les

Ketchaoua, mosquée devenue

cathédrale.


198 Atlas historique de l’algérie

pères blancs, corps missionnaire spécialement affecté en Afrique, sont chargés

par Lavigerie de seconder les jésuites dans leur travail d’évangélisation,

notamment en Grande Kabylie, qui vient d’être justement éprouvée par les

terribles contributions de guerre ayant suivi l’insurrection de 1871. Le premier

poste missionnaire est fondé à Taguemount Azouz, au sud de Tizi Ouzou.

Auparavant, le cardinal Lavigerie entreprit d’acquérir un certain nombre de

domaines pour accueillir les orphelins rescapés des famines et épidémies de

1867 et 1868. L’Église construit plusieurs établissements comme le domaine

des Attafs (avec 1 171 hectares achetés dans la vallée du Chélif), ou à Maison-

Carrée pour y construire des orphelinats et des séminaires en 1869.

1 753 enfants furent recueillis et formèrent le noyau des villages arabes chrétiens,

projet de colonisation indigène lancée par le cardinal Lavigerie dans ses

domaines. La mise en place de ces espaces dédiés aux œuvres catholiques

de bienfaisance coïncidait avec la fondation de la Société des missionnaires

d’Afrique et des Sœurs missionnaires d’Afrique, les Sœurs blanches.

Mais Lavigerie se heurte à Mac-Mahon, le gouverneur général voulant

éviter tout conflit dans les régions kabyles, qu’il connaît bien pour les avoir

conquises. C’est seulement à partir du nouveau régime civil que Lavigerie

bénéficiera de tout le soutien de l’amiral de Gueydon, nouveau gouverneur

général de l’Algérie. Une nouvelle ère illustrée par la construction de Notre-

Dame d’Afrique dans le faubourg de Bab el Oued en 1872. Dans la région

d’Alger, l’ordre des moines trappistes avait quant à lui bénéficié de grands

Projet de chapelle à Sétif, 1863.


Christianisme et judaïsme dans l’Algérie coloniale du XIX e siècle 199

domaines dans la région de Staoueli en 1843. Plus

tard, ils créeront le monastère de Tibhirine, à

proximité de Médéa (1934) au cœur de l’Atlas

blidéen.

La nomination de Gueydon coïncide avec le

nouveau statut des Juifs indigènes devenus

citoyens français par le décret d’Adolphe Crémieux.

Seules les populations juives vivant dans

les trois départements algériens bénéficièrent de

cette mesure, soit 37 000 personnes. Les autres

minorités juives des Territoires du Sud (Laghouat,

M’Zab…), relevant des autorités militaires, demeuraient

indigènes. Issue de communautés antiques

et médiévales très anciennement constituées en

Afrique du Nord, la population des Juifs d’Algérie

s’était diversifiée, notamment avec les apports

européens au cours de la période ottomane.

Judéo-arabes, judéo-berbères, judéo-espagnols

et Juifs francs formaient une minorité juive très Synagogue d’Alger.

hétérogène. Les Juifs francs avaient joué un rôle

premier dans la diplomatie et les échanges économiques qu’entretenait Alger

avec l’Europe.

La conquête française avait été accueillie diversement par les Juifs algériens.

Les grandes familles commerçantes d’Alger avaient entrepris des

contacts utiles avec un commandement français très méfiant. Les commerçants

juifs participèrent à la reprise d’une certaine activité économique, que

favorisait la création de villes nouvelles. De nombreux acteurs économiques

juifs formèrent souvent avec les quelques Européens civils les habitants des

premières cités coloniales. Mais la guerre contre l’émir Abd el Kader à l’ouest

avec l’implication de grandes villes indigènes comme Tlemcen, Mostaganem,

Mascara et Oran confronte les communautés juives au conflit. Dans l’instabilité

des années 1840-1845, les Juifs combattent l’envahisseur français,

notamment à Constantine en 1836-1837.

Dès 1841, une volonté de prendre en charge ces Juifs indigènes se fait

jour en France. Le Consistoire israélite de France (appuyé par Crémieux)

intervient à ce moment pour essayer d’organiser ces communautés. C’est

finalement une ordonnance royale de 1845 qui statue sur une première organisation

du culte israélite. Trois consistoires régionaux sont créés à Alger,

Oran et Constantine. C’est bien essentiellement dans les grandes villes

d’Algérie où vit la majorité des juifs indigènes que s’organise la cohabitation

avec les Européens, avec la construction de synagogues dans les nouvelles

villes françaises. En 1842, le rapport Altaras-Cohen sur les Juifs d’Algérie

renseigne sur la répartition de cette population qui totaliserait 16 000 personnes,

essentiellement regroupées à Alger, Constantine, Oran et Tlemcen.

Viennent ensuite des communautés de moindre importance à Bône, Mostaganem,

Médéa, Miliana, Mascara et Blida ainsi qu’environ 1 500 juifs bédouins

dans le sud.

De nombreuses petites communautés judéo-arabes et judéo-berbères

subsisteront dans les campagnes jusqu’aux années qui suivront le décret de


200 Atlas historique de l’algérie

naturalisation de 1870. À ce moment, on assiste à un bouleversement mental,

sociologique et économique (Benjamin Stora) sans précédent chez les Juifs

algériens. L’assimilation ou la francisation de cette minorité se heurtera

cependant à la fin du XIX e siècle à un fort courant antisémite, entretenu par

des activistes français d’Alger et d’Oran. Cette crise anti-juive survient sur

fond de scandales politico-financiers. Entre 1881 et 1898, plusieurs émeutes

dirigées contre les juifs sont orchestrées par des groupes politiques antisémites.

Malgré cela, la nouvelle situation sociale des Juifs d’Algérie, qui s’intègrent

progressivement dans la fonction publique et les professions libérales,

s’est globalement améliorée, surtout en comparaison de leurs coreligionnaires

marocains et tunisiens, qui émigrent vers l’Algérie quand ils le peuvent

car leur statut est moins enviable, restant sujets du souverain chérifien ou du

pacha de Tunis.


LES MISSIONS CHRÉTIENNES

EN GRANDE KABYLIE

La Grande Kabylie reste un des objectifs principaux de la politique missionnaire

de Lavigerie. C’est dans une région assez enclavée au sud-est du

Djurdjura que les missionnaires s’investissent. Avec la création de dispensaires,

d’écoles et de pensionnats, l’Église cherche à développer les conversions,

dans une région où sévit une grande pauvreté, surtout après la

répression de 1871. Dès 1873, trois villages sont investis par les pères blancs :

Taguemount Azouz, les Ouahdias et Beni Arrifs. Une dizaine d’écoles accueille

les enfants de plusieurs villages du Djurdjura à partir de 1873. Dans un

contexte de rareté de l’offre scolaire auprès des indigènes (en 1921, il y a

seulement 46 000 élèves musulmans dans l’enseignement primaire), ces

écoles le plus souvent internats vont connaître un grand succès. Ayant au

commencement été perçues avec beaucoup de méfiance, elles finirent par

attirer un nombre croissant d’enfants de notables notamment. L’attrait pour

la connaissance en général et l’apprentissage de la langue française en particulier

permirent à nombre de jeunes Kabyles de partir ensuite travailler en

France et de former les premiers contingents de convoyeurs kabyles, premiers

émigrants algériens vers la métropole. Arrivées en 1880, les Sœurs

blanches s’attachent à gagner les cœurs par leur travail d’assistance médicale,

notamment en direction des femmes. À partir de Fort National, les

jésuites et autres membres de l’Église d’Alger organisent leurs missions à

travers les villages de Kabylie, jusqu’à Kerrata, où un poste est créé en 1895.

À cette époque, en 1894, l’hôpital Sainte-Eugénie s’ouvre à Michelet, tenu par

la congrégation des Sœurs Blanches qui parviennent également à convertir

quelques enfants souvent orphelins.



LA CONQUÊTE DU GRAND

SAHARA

En 1854, Randon avait invité Si Hamza à se rapprocher des Touareg. L’un

de leurs chefs, le cheikh Othman, fut d’ailleurs invité à Alger. Les Français

recherchaient un itinéraire sûr jusqu’au Soudan, par les oasis de Ghadamès

et d’In Salah.

La traque de Mohammed ben Abdallah amena les forces françaises à marcher

sur Ouargla en décembre 1854. Après les combats de Megarine et

N’Gouça, les oasis de Touggourt et Ouargla furent définitivement occupées

par les Français. Avec Ghardaïa occupée en 1855, ces oasis constituaient les

positions françaises les plus avancées dans le Sahara.

Les explorateurs scientifiques entreprirent plus facilement leurs expéditions

en direction d’El Goléa et de Timimoun. La mission de reconnaissance

Duveyrier compléta la connaissance des régions entre Laghouat et El Goléa

en 1860 tandis que la mission de l’officier interprète Ismaël Bouderba (1858)

poussait jusqu’à Ghat (Libye ottomane). La difficile traversée du Grand Erg

oriental jusqu’à Ghadamès fut confiée à Bonnemain en 1858. Quant à l’Allemand

Rohlfs, il entreprit en 1864 de traverser tout le Sahara algérien d’est en

ouest, reconnaissant In Salah et les oasis de la Saoura alors que les Français

Colonieu et Burin traversaient le Grand Erg occidental.

La guerre de 1870 en France et l’insurrection qui suivit en Algérie en 1871

provoquèrent une interruption de plusieurs années des expéditions dans le

Sahara. Mais déjà, le développement du chemin de fer avait débuté entre

les grandes villes du nord de l’Algérie entre 1862 et 1875. Ce réseau atteint

progressivement les régions du sud. Saïda est reliée à Arzew en 1874, ouvrant

l’accès à la région des hauts plateaux.

Avec le nouveau projet très ambitieux d’une liaison ferroviaire transsaharienne

en 1875, et l’extension du chemin de fer jusqu’à Aïn Sefra en 1887 et

Biskra en 1888, la conquête du Sahara se trouve relancée par les milieux

industriels français.

À partir de 1874, plusieurs tentatives de pénétration vers le massif du

Hoggar sont entreprises. Les positions françaises les plus méridionales se

trouvent à Colomb-Béchar et Ouargla, d’où part la première mission Flatters

en 1880. Le Sahara est dans ces années parcouru par plusieurs explorateurs


204 Atlas historique de l’algérie

notamment allemands, comme Rohlfs, qui s’enfonce en direction de Tombouctou

à partir du lac Tchad au moment où le Britannique Stanley découvrait

le lac Victoria. Les conditions climatiques du grand désert rendent cependant

très difficiles les missions d’exploration européennes. Mais c’est d’abord le

manque d’alliés parmi les tribus du Sahara, qui limite les possibilités de

pénétration. La connaissance du pays et surtout des puits est incontournable.


La conquête du Grand Sahara 205

Au-delà d’El Goléa, les Touareg empêchent cette pénétration française vers

les massifs du Hoggar. Si la première mission Flatters permet de dépasser

le puits de Temassissin, elle doit se replier sur Ouargla.

En 1881, la deuxième mission, renforcée de nomades de la région, parvient

quant à elle à s’enfoncer dans le massif du Hoggar mais est attaquée par les

Touareg. Les survivants regagneront Ouargla dans des conditions extrêmes.

Si le Hoggar reste imprenable à ce moment, le commandement français

entreprend de conquérir la Tunisie, et s’empare de Tunis le 12 mai 1881. Le

bey de Tunis signe le traité de protectorat avec la France tandis que les tribus

du sud tentent de résister.

Après dix ans d’interruption des campagnes vers le sud suite à l’échec de

la mission Flatters, les militaires se lancent simultanément à la conquête du

Gourara et de la Saoura, après l’occupation définitive d’El Goléa en 1891. À

l’est, une grande expédition est préparée en vue d’atteindre les oasis du Niger.

En 1898, la grande mission Foureau-Lamy ambitionne de traverser totalement

le Sahara. Avec 300 hommes bien équipés, la mission traverse le massif

du Hoggar, empruntant la majeure partie de l’itinéraire Flatters. Elle atteint

les oasis du Niger en 1899 au moment où la mission Flamand-Pein conquiert

In Salah, non sans avoir combattu les guerriers Touareg. La région de Beni

Abbes finit par être occupée en 1900, mais doit être défendue contre les raids

des nomades Beraber, attaquant depuis les confins marocains du Tafilalt.

Dans les années 1900-1904, les Français s’imposent finalement sur la plus

grande partie du Sahara, notamment dans le Hoggar et le Tanezrouft. Les

Touareg se trouvent sur la défensive dans leur bastion du Hoggar, mais les

Français lancent plusieurs campagnes au cœur même des montagnes du

Tidikelt et du Tassili à partir d’un réseau de forts solidement établis. Alors

que Cottenest reconnaît le nord du Hoggar, et que les Touareg sont vaincus

à la bataille de Tit en 1902, non loin de Tamanrasset, Laperrine poursuit des

raids audacieux en direction de l’Adrar des Ifoghas avec les nouvelles troupes

sahariennes. Les unités méharistes atteignent les nouvelles frontières sahariennes

de l’Algérie qui sont fixées entre 1905 et 1909. De l’autre côté de ces

lignes géométriques dessinées de manière assez aléatoire, avec la signature

de la convention de Niamey, s’étendent les autres territoires français de

l’Afrique-Occidentale française.

Depuis le 24 décembre 1902 et la constitution de la nouvelle entité administrative

des Territoires du Sud, les forces françaises s’emploient à installer

des nouveaux forts tout autour du Hoggar, avec In Salah comme poste principal.

Le poste d’Illizi est construit en 1904 en même temps que le bordj Flye

Sainte Marie, établi au milieu de l’erg Chech. À partir de l’oasis des Beni

Abbes, les Français finissent par défaire les nomades Beraber et Reguibat

qui entretenaient l’insécurité à la limite du royaume marocain. Rabat est invité

à négocier la fixation de sa frontière avec l’Algérie dès 1904, tandis que les

Espagnols s’entendent avec les Français pour dessiner la ligne verticale qui

sépare leur Rio de Oro (Sahara espagnol) de l’Algérie.

Alors que pratiquement tout le Sahara algérien est découvert en 1909, les

Français doivent garder la frontière algéro-libyenne, qui se trouve surveillée

par le nouveau poste de Fort Charlet (Djanet), dans le Tassili. Les forces ottomanes

ont repris pied dans le Fezzan alors que leurs territoires africains se

trouvent convoités par les puissances européennes. Conscients des enjeux


206 Atlas historique de l’algérie

internationaux en cours au Maroc, les Français s’empressent de faire pression

sur le souverain chérifien, qui signe le traité du protectorat le 30 mars 1912.

La France exerce son l’autorité dans la partie centrale du territoire marocain,

tandis que les Espagnols occupent le nord et le sud.

C’est au moment où les Français pénétraient dans le sud-ouest saharien

que furent signés les premiers accords de délimitation de la frontière avec

le royaume chérifien. Un premier traité élaboré en 1902 partage les zones

d’influence avec l’Espagne, tandis que la limite extrême du territoire marocain

est fixée sur l’oued Draa. En 1905, alors que la Maurétanie est occupée par

les Français, une ligne verticale est dessinée à l’ouest de Tindouf, procédé

employé par méconnaissance concrète de ces territoires. Cependant, les souverains

marocains n’auront de cesse de remettre en cause les traités avec la

France, jusqu’à la mise en place du protectorat sur le royaume en 1912. Le

Sud marocain et notamment le Sahara occidental sera le théâtre de plusieurs

séditions tribales contre l’autorité chérifienne (1910…).

Raid automobile Alger-Fort Lamy, 1935.


Carte du Sahara par Henry Barrère, 1930.

La conquête du Grand Sahara 207



LES ALGÉRIENS EN ORIENT

es années 1880 furent particulièrement difficiles pour les Algériens.

L

Une succession de famines et de calamités naturelles s’abattit sur

la population musulmane, aux ressources déjà compromises par les

dernières lois foncières (loi Warnier du 26 juillet 1873, loi du 22 avril 1887).

Les terres musulmanes ne permettent plus d’assurer l’alimentation de toute

la population indigène, notamment en cas de mauvaise récolte. Avec le

recours à des prêts aux taux exorbitants, les paysans finissent par vendre

leurs dernières terres pour devenir simples travailleurs saisonniers, ou émigrent

vers les gourbis en bordure des villes européennes. 400 000 hectares

sont passés aux mains de la colonisation européenne entre 1873 et 1887.

Dans les années 1907-1908, une partie de la population vivant autour de

Tlemcen avait décidé de quitter ses terres pour émigrer vers l’Orient musulman.

En France, les nouvelles lois de séparation du culte (1905) ainsi que la

volonté des autorités militaires d’imposer une conscription obligatoire en

Algérie avaient été perçues comme des nouvelles

épreuves par les milieux religieux algériens.

Subissant déjà les contraintes particulières du

code de l’indigénat, des musulmans revendiquent

leur droit à l’émigration.

Les notables de Constantine avaient précédemment

affirmé leur attachement aux principes

inaliénables de l’islam : « la chose à laquelle nous

tenons le plus, c’est de conserver la Shari’a »,

déclaraient-ils en 1895. La politique anticléricale

en France alimentait les rumeurs chez les Algériens,

les autorités allaient-elles interdire le culte

musulman ? C’est dans ce contexte tendu que

140 jeunes musulmans quittent la région de Tlemcen

pour l’Orient vers 1907. L’application des premières

mesures de conscription des jeunes

Algériens paraît avoir amplifié ce phénomène des

migrations vers l’Orient. Environ 526 personnes de Affiche de compagnie maritime

la région de Tlemcen, Sebdou, Remchi et Nedroma transportant les pèlerins algériens

entreprirent de quitter leurs douars pour l’Orient. pour La Mecque.


210 Atlas historique de l’algérie

Issus de milieux très pieux, ils ne supportaient plus la politique antireligieuse

des autorités coloniales. Avec la perte des biens habous, les établissements

musulmans ne disposent d’ailleurs plus des ressources suffisantes pour

assurer les frais de l’enseignement. De même, la substitution des cadis par

des juges leur est inacceptable. Enfin, encadrés par un code de l’indigénat,

système policier réservé aux seuls Algériens musulmans, ils sont empêchés

de créer leurs propres associations religieuses. La plupart des mouhajirun,

ces émigrés, sont essentiellement des notables. Ce seront quelque

794 familles (4 000 personnes) qui s’exileront vers l’Orient entre 1910 et 1912.

Plusieurs régions d’Algérie furent le point de départ de populations de

notables, mais également des hommes seuls ou en famille souhaitant s’extirper

de problèmes locaux, ou en quête d’un monde meilleur.

C’est surtout vers les pays du Cham, la Syrie et le Liban, que partent les

Algériens. Les routes du pèlerinage offraient déjà la possibilité de gagner la

région de Palestine-Syrie après l’accomplissement des rites à Médine et La

Mecque. Cependant, le manque de ressources a contraint de nombreux Algériens

à réclamer leur rapatriement vers l’Algérie. Cette démarche impliquait

pourtant d’être transféré au pénitencier militaire de Tadmit, une fois le voyage

retour payé par les consulats français de Jaffa ou Djeddah. La correspondance

archivée des consuls français du Levant concernant ces cas d’Algériens

venus demander l’assistance française permet de comprendre les difficultés

de l’exilé algérien en Orient, à la fois musulman auprès de ses coreligionnaires,

mais bénéficiant toujours de la qualité de ressortissant français à

l’étranger, pour éventuellement redevenir l’indigène en Algérie.

Pèlerins algériens en partance pour La Mecque.


Les Algériens en Orient 211

La liberté de circulation des Algériens était extrêmement limitée par les

autorités françaises. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les indigènes

algériens ne quittaient pratiquement pas le pays, hormis les convoyeurs

kabyles et les pèlerins. Seuls les détenteurs d’un passeport en vue d’accomplir

le pèlerinage aux lieux saints de l’islam avaient le droit de voyager vers

l’Orient. Cet événement se trouvait très encadré par les autorités françaises,

qui surveillaient quasiment toute l’organisation du hadj, notamment avec

leurs consulats à Yanbu et Djeddah. Cependant, la grande majorité des

Algériens contournaient les procédures autant fastidieuses que coûteuses

pour obtenir un passeport. Ils empruntaient le chemin parcouru par leurs

ancêtres depuis des siècles : la route saharienne du pèlerinage.

Perçu le plus souvent par les populations comme l’aboutissement d’une

vie, le pèlerinage à La Mecque impliquait de renoncer à son confort et aux

siens pendant toute la durée du voyage. Pendant six mois, les pèlerins algériens

marchaient donc jusqu’en Arabie pour arriver pendant la saison du hadj.

Par groupes, ils se rassemblaient dans le sud-est de l’Algérie pour longer la

route des palmeraies tunisienne et libyenne jusqu’en Égypte. Parmi ces pèlerins

algériens non officiels, nombreux sont restés en Orient. Le pèlerinage à

La Mecque a souvent été suivi d’une émigration dans la région, pour tous les

musulmans de passage. Ainsi, certains Algériens se fixent dans les régions

de Palestine, Syrie après leur pèlerinage. D’autres Algériens embarquaient

de Tunisie (surtout avant l’occupation française) pour les ports de l’Empire

ottoman. Pour les candidats algériens à l’exil, la Tunisie fut le lieu de transit

idéal pour émigrer illégalement en Orient. Mais séjourner à Damas ou Jaffa

impliquait de pouvoir subvenir à ses besoins. La petite minorité algérienne

de Syrie, relativement ancienne depuis l’arrivée de la famille de l’émir Abd el

Kader, semble s’être organisée pour accueillir ses frères. Dans les

années 1910 et l’afflux important d’Algériens (ils sont estimés à 6 000 à

Damas en 1912), le petit-fils d’Abd el Kader, l’émir Khaled (né à Damas en

1875), semble avoir joué un rôle important pour l’intégration des émigrés.

De 1876 à 1909, le règne du sultan ottoman Abdülhamid apparut comme

très favorable aux émigrés algériens en Syrie, à qui sont octroyés des lots de

terrain et une première assistance financière. Mais avec l’arrivée de

Mehmed V en 1919, la situation économique des nouveaux émigrés algériens

se serait dégradée. C’est alors que certains Algériens se tournèrent vers les

autorités consulaires françaises pour être… rapatriés.

La fondation du journal El Muhadjir (l’Émigrant) illustre le travail des

notables algériens d’Orient, notamment leurs liens avec les autorités ottomanes

en Syrie et les milieux religieux dans le Hedjaz. À cette époque, des

relations particulières se nouent entre les milieux religieux algériens et des

cheikhs d’Orient, illustrées par la visite du cheikh Abduh à Alger et Constantine

en 1903. Les tensions entre l’administration coloniale et les milieux religieux

musulmans sont très fortes. Le pèlerinage a été suspendu en 1903 et

1904, suite aux protestations des délégués financiers musulmans. Environ

1500 Algériens – c’est le chiffre moyen des départs à cette époque – n’ont

pas participé au hadj. Le nouveau gouverneur général Jonnart pratiquera une

politique plus conciliante, en autorisant davantage de départs. Les départs

n’avaient jamais été réguliers, le déclenchement d’épidémies en Orient interdisant

souvent le pèlerinage aux Algériens.



GUERRES MONDIALES ET MONTÉE

DU NATIONALISME ALGÉRIEN

LES ALGÉRIENS DANS LA

PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

173 000 Algériens musulmans participent comme soldats à la guerre qui

commence en 1914 entre la France et l’Allemagne. La réquisition de travailleurs

connaît un développement sans précédent, avec le départ de

119 000 Algériens musulmans en métropole. Envoyés dans les principales

régions industrielles françaises comme mineurs, ouvriers spécialisés, notamment

dans l’armement, les usines à gaz, la voirie. Ils seront chargés d’effectuer

les travaux spécifiques à l’arrière du front (terrassement, creusement

des tranchées…).

Tirailleurs et spahis se retrouvent à combattre sur le front du nord de la

France. Avec les premières grandes batailles de l’Yser, de la Marne, les Algériens,

qui n’ont pour la plupart jamais quitté leur pays, sont confrontés au

feu industriel, avec l’utilisation massive de l’artillerie dans les combats. La

participation de l’infanterie algérienne et plus généralement nord-africaine

tout au long de la guerre dans le nord de la France se trouve tragiquement

illustrée par l’étendue des nécropoles musulmanes. Avec les tirailleurs sénégalais,

marocains et tunisiens, les Algériens paieront le prix du sang, avec

25 711 tués ou disparus, 72 035 blessés dont 8779 mutilés. Les Européens

d’Algérie laisseront quant à eux 22 000 morts en France sur 155 000 hommes

mobilisés.

En Algérie, l’organisation du recrutement indigène avait suscité de nombreuses

réactions d’hostilité. Le système de la conscription établi depuis 1912

avait déjà créé des troubles dans l’ouest de l’Algérie en mai 1912 (Nedroma).

Chaque année, 5 500 soldats indigènes avaient été fournis à l’armée française.

Après le déclenchement des hostilités, l’état-major sollicita rapidement

de nouveaux contingents indigènes. Après le succès des premières campagnes

d’engagement, le doute et la méfiance s’installent dans plusieurs

régions d’Algérie. Les informations sur les mutineries d’Algériens et les horreurs

des champs de bataille ne parviennent pas facilement en Algérie. En

plus de la censure, les autorités françaises firent tout pour isoler les soldats

indigènes en France. Quand ils ne se trouvent pas sur le front, ils sont cantonnés

dans des dépôts, casernes et autres sites de transit, qui ont surtout pour

objectif de les séparer de la population.


214 Atlas historique de l’algérie

De nombreuses notes administratives témoignent de cette ségrégation des

soldats africains et nord-africains, dont la proximité physique avec les Français

et surtout avec les Françaises devait être surveillée. De nombreux indigènes

algériens ne comprennent pas pourquoi ils doivent se sacrifier pour la

France, alors qu’ils n’ont pas la nationalité française, aucun droit civique, et vivent

toujours soumis au code de l’indigénat, qui les empêche de voyager, de porter des

armes, etc. Après la période troublée des années 1905 et la crainte des milieux

musulmans pour leurs traditions, seules les motivations matérielles poussaient

les Algériens à s’engager. Pour la plupart des indigènes engagés, ce pouvait être

l’occasion de gagner un peu d’argent, et sortir du marasme des campagnes algériennes

où se succèdent famines, épidémies, etc.

C’est pourtant par la méfiance et la résistance que réagissent les jeunes

conscrits dans plusieurs régions, notamment autour de Mascara où éclatent

les premiers troubles graves en octobre 1914. Dans la région des Beni Chougrane,

à proximité de Mascara, une colonne de 1 500 conscrits est empêchée


Les Algériens dans la Première Guerre mondiale 215

de poursuivre sa route par la population. Cet incident dégénère rapidement

en révolte locale que l’armée réprime durement. Les deux douars incriminés

sont terriblement écrasés. Autour de Batna, la résistance au recrutement

provoque une véritable guerre dans la région.

À partir de novembre 1914, on avait assisté à de nombreux actes de désobéissance

collective de la part des jeunes conscrits. Le 2 août 1916, le départ

de 875 appelés avait entraîné des protestations. À la fin du mois d’août 1916,

le recensement de la classe 1917 provoque un soulèvement dans toute la

région du Bélezma. Les jeunes désertent en masse et prennent le maquis, la

région montagneuse du Bélezma étant très boisée. La rébellion s’étend aux

communes voisines de Barika puis à tout le massif des Aurès jusqu’à Khenchela.

Environ un millier de révoltés du Bélezma attaquent le bordj de Mac-

Mahon (Aïn Touta) le 11 novembre 1916. Le lendemain, l’administrateur de la

commune mixte et le sous-préfet de Batna sont tués par les insurgés tandis

que la gare du village est livrée au pillage. L’armée engage rapidement ses

soldats de Biskra à dégager le village de Mac-Mahon. Parmi eux, les

bataillons de tirailleurs sénégalais et des zouaves. L’insécurité se répand

dans toute la région, les recrues sortant de Barika se retrouvent libérées par

les insurgés.

La situation est critique pour les autorités militaires françaises qui

manquent de troupes en Algérie. Une armée de 6 000 soldats finit par être


216 Atlas historique de l’algérie

rassemblée avec deux régiments

d’infanterie et deux escadrons de

chasseurs d’Afrique, appuyés par

l’aviation et l’artillerie de montagne.

La 250 e brigade est même spécialement

retirée du front. Tout le massif

du Bélezma se trouve encerclé à

partir du 8 décembre 1916. C’est

surtout dans le djebel Mestaoua,

proche des villages révoltés, que

l’armée entreprend de réprimer les

douars rebelles. Le 1 er janvier 1917,

14 167 soldats attaquent de nouveau

le Bélezma ainsi que les djebels Bou

Arif et Guerioun au nord de Batna.

Après le bouclage des zones censées

abriter les rebelles, l’armée

procède au ratissage, ponctué de

massacres, viols et incendies de

mechtas (hameaux indigènes). Les

bataillons de tirailleurs sénégalais

furent particulièrement impliqués

dans ces crimes, de même que les

zouaves, ce dont se plaindra le général

Moinier. Les opérations militaires

Cimetière musulman de Pantin.

se succédèrent ensuite entre janvier et février 1917 dans les massifs du djebel

Metlili (région d’El Kantara) et du djebel Chechar. Si le nombre de victimes

de cette guerre de représailles ne sera jamais connu, il y eut 825 personnes

arrêtées et jugées et 165 inculpés par un conseil de guerre (Constantine).

Vivant assez isolée, la population pauvre et fière des tribus chaouias des

Aurès subit cette répression dans la quasi-indifférence générale, cet épisode

de la résistance algérienne ayant été rapidement dissimulé par les autorités

françaises. Comme plus tard en mai 1945, les événements d’Europe étouffèrent

la voix des révoltés algériens.

Les Algériens n’en continuaient pas moins de donner leur sang sur les

théâtres d’opérations de l’armée française. Les tirailleurs et spahis algériens

étaient envoyés au Proche-Orient, où la France comptait appuyer l’offensive

britannique contre les territoires de l’Empire ottoman, allié à l’Allemagne. Un

détachement français de Palestine fut formé pour combattre sur le front du

Sinaï. En juin 1917, des soldats algériens attaquent leurs coreligionnaires de

l’armée ottomane dans la région de Gaza puis entrent à Jérusalem, après le

général Allenby. Cette fitna (la guerre entre musulmans) avait déjà fait ses

preuves dans le Hedjaz avec l’action de l’agent britannique Lawrence auprès

des tribus bédouines. Le commandement français prit d’ailleurs sa part dans

la formation d’unités arabes dans le nord du Hedjaz. Avec son corps expéditionnaire

algérien, l’armée française finit par atteindre la Syrie en janvier 1918

puis fait débarquer des troupes au Liban en septembre. À ce moment-là,

de nombreux Algériens rejoignent l’armée française installée en Syrie. Ces

Algériens avaient été faits prisonniers par les Allemands sur le front du nord


Les Algériens dans la Première Guerre mondiale 217

de la France puis avaient été invités à se joindre à l’armée ottomane alliée.

Après leur intégration dans l’armée du sultan, les soldats algériens devenaient

des travailleurs sur le front oriental. Leurs difficiles conditions au sein

d’une armée malmenée sur tous les fronts les incitèrent à s’enfuir d’Iraq

après l’arrivée des armées occidentales.

Avec l’intervention des Britanniques au Moyen-Orient, l’Empire ottoman

perdait une à une ses anciennes conquêtes (Arabie, Balkans, Iraq…). Le sultan

Mehmed V, qui détenait toujours le titre d’émir des croyants, avait pourtant

appelé au djihad les peuples musulmans. Mais son appel n’avait pas été suivi

ni en Orient ni dans les colonies d’Afrique du Nord, notamment dans l’ancien

beylik d’Algérie. Seules les tribus Sennoussis avaient réagi dans le désert

libyen. En 1916, ils attaquèrent les postes français au-delà de Ghadamès et

Ghat, anciens forts ottomans. Les Italiens, qui avaient entrepris la conquête

de la Libye ottomane depuis 1911, avaient été contraints de replier leurs

unités sur les forts algériens.

Spahi algérien dans le nord de la France.



L’ALGÉRIE DE 1918 À 1939

remier grand choc et bouleversement socio-économique dans les

P

sociétés européennes, la Première Guerre mondiale aura provoqué

plusieurs phénomènes dans la société coloniale algérienne. Bien

que son territoire n’ait pas été directement touché par la guerre, hormis le

bombardement naval de Bône et Philippeville par la Kriegsmarine, l’insurrection

régionale dans les Aurès annonce d’autres formes de contestation. La

société de l’Algérie coloniale assiste à la naissance de nouveaux acteurs politiques

musulmans. De nouvelles voix s’élèvent progressivement dans le paysage

politique, que la population européenne ne percevra que tardivement.

Des migrations massives de travailleurs indigènes vers la France, où les Algériens

découvrent une autre société française, avec des organisations syndicales,

des partis politiques et des conditions de vie autrement intéressantes,

émerge progressivement une prise de conscience du sort réservé aux indigènes

dans les départements algériens. Le prix du sang acquitté par les Algériens

sur les champs de bataille avait suscité une certaine bienveillance à

leur égard. Les autorités françaises avaient souhaité rendre hommage aux

musulmans en faisant construire la première mosquée de France à Paris

inaugurée en 1926. C’est dans le cadre de cette politique de reconnaissance

aux musulmans soldats que seront édifiés en 1935 l’Hôpital franco-musulman

et le cimetière musulman en 1937 au nord de Paris (Bobigny).

En Algérie, la nationalité française est accordée à de nombreux soldats

musulmans décorés de la Grande Guerre. Mais la situation économique est

très difficile au lendemain de la guerre. L’Algérie a été affectée par le blocus

maritime de l’Allemagne ayant frappé les importations de sucre, riz, savon,

outils, combustibles. En 1917, des régions ont particulièrement été touchées

par la crise agricole comme la Kabylie et le Constantinois, entraînant des

disettes en 1917. Les céréales firent ainsi l’objet de spéculations provoquant

une insécurité alimentaire générale. L’intervention des SIP (sociétés indigènes

de prévoyance) et la réquisition de céréales des régions ouest réduisirent

les effets de cette crise mais les récoltes de 1919 et 1920, très

mauvaises, eurent les mêmes conséquences. Cette fois, l’ouest de l’Algérie

fut touché par la famine. Les indigènes de Marnia, Ammi Moussa, Zemoura,

Nedroma, Theniet el Had, Saïda eurent de nombreuses victimes. Des camps

d’accueil pour les affamés furent ouverts par les autorités. Ces années 1918


220 Atlas historique de l’algérie

à 1921 virent s’accumuler les épreuves de la faim et des épidémies, en particulier

celle du typhus, qui fit environ 80 000 morts en 1921. La croissance

démographique de la population indigène baissa brusquement durant ces

années (entre 1901 et 1910 il y eut 65 000 naissances par an, entre 1911 et

1921 plus que 18 440). En fait, les années noires se succèdent jusqu’en 1923.

Mosquée de Paris en cours d’achèvement, 1925.

L’émigration vers la France, qui avait perdu 1 400 000 hommes pendant la

guerre et dont une partie du territoire était en ruines, se présentait pour de

nombreux Algériens comme la seule manière de pouvoir faire vivre leurs

familles. Cependant, l’émigration algérienne vers la métropole était très

contrôlée et nécessita l’obtention d’un contrat de travail à partir de 1924. Un

certificat d’aptitude était requis en 1926. Les paysans pauvres qui ne pouvaient

se rendre en France grossissaient donc les flots de l’exode rural vers les villages,

se rassemblant dans des gourbis ou « villages nègres » (quartiers spontanés

bâtis le plus souvent par les nomades aux abords des villes européennes).

Les principales villes d’Algérie voyaient quant à elles se former à leurs faubourgs

les bidonvilles comme à Alger, où ce terme aurait été inventé vers 1934.

Avec le phénomène de concentration des terres au profit de la grande

colonisation, une masse d’ouvriers agricoles forme un nouveau prolétariat

composé de travailleurs saisonniers ou faisant partie des grands domaines

viticoles. Avec l’apparition des nouveaux outils, la mécanisation de l’agriculture

algérienne (moissonneuses-batteuses) n’a fait qu’accentuer la précarité

des travailleurs indigènes. Sur 26 000 propriétaires européens, 20 %

détiennent 74 % du domaine agricole algérien, principalement en Oranie et

dans la Mitidja. Avec l’accès au crédit, les petits propriétaires européens se

sont souvent endettés, accélérant le regroupement des terres au profit des

gros colons. Certaines cultures tournées vers l’exportation comme les


L’Algérie de 1918 à 1939 221

agrumes et la viticulture maintiennent ainsi la domination d’une catégorie

d’Européens proche des milieux politiques. Mais ces barons de l’Algérie ne

mesurent pas la lente évolution politique qui se réalise chez les musulmans.

Les ouvriers algériens découvrent en France les premiers mouvements

nationalistes avec la fondation de l’Étoile nord-africaine (ENA) par Messali

Hadj en 1926. Après ses contacts avec le Parti communiste français dans le

contexte de la guerre du Rif, l’émigré de Tlemcen Messali réclame rapidement

l’indépendance totale de l’Algérie en… 1927. Son organisation ne tarde pas à

être dissoute par les autorités françaises. Alors que l’on célèbre le centenaire

de la conquête de l’Algérie et inaugurer l’Exposition coloniale en 1931 à Paris,

comment laisser se développer un tel parti ? Après sa dissolution en 1929, l’ENA

réapparaîtra en 1933 sous une forme plus algérienne avec le nom de Parti du

peuple algérien (PPA). De telles initiatives n’étaient possibles qu’en France, dans

le contexte du multipartisme et du monde associatif (loi 1901). Car avec le système

policier sévissant en Algérie contre toute organisation indigène, le PPA

évoluera longtemps dans une semi-clandestinité.

Plus visibles en Algérie, les mouvements religieux n’étaient quant à eux

pas restés inactifs dans le contexte du « renouveau », la Nahda, en Orient. Au

cours des années 1910, plusieurs intellectuels musulmans ou ulémas (jurisconsultes

musulmans) entretenaient des relations avec l’Orient islamique, à

l’occasion du pèlerinage ou de séjours d’apprentissage dans les établissements

de Damas, Médine, Le Caire ou Tunis. Le cheikh Abduh, qui s’était

rendu en Algérie en 1903, joua un rôle important dans la défense du mouvement

de l’Islah, la pratique d’un islam basé sur les sources (Coran et sunna,

la tradition prophétique), épuré des superstitions. Très répandu parmi les

populations d’Algérie, le maraboutisme et ses pratiques hétérodoxes était fermement

condamné par ce mouvement des ulémas réformistes. Parmi eux

avait émergé la figure d’Abdelhamid Ben Badis. Né à Constantine en 1899, il

entreprit le pèlerinage en 1914 puis étudia à la chaire islamique de Tunis

(Zeytouna). Avec les chouyoukh (savants musulmans) Tayeb el Oqbi, qui étudia

à Médine puis revint à Biskra en 1920 et Bachir el Ibrahimi, Ben Badis met

en place la nouvelle organisation des ulémas dans les années 1924-1925. Les

ulémas fonderont officiellement leur association à

Alger en 1931. Pour diffuser leurs idées, ils disposent

des journaux (en arabe) Al Muntaqid et Al Chihab.

Les autorités d’Alger tolèrent ces associations

qu’elles considèrent comme modérées. Il en est de

même pour la première formation politique musulmane

qui émerge dans les années 1930 : la Fédération

des élus musulmans. Issue de la tendance

Jeunes Algériens à l’instar du mouvement marocain

d’Allal el Fassi, la fédération des élus musulmans est

animée en 1934 par Ferhat Abbas, jeune pharmacien

installé à Sétif. Né en 1899 dans la région de Jijel,

il entreprit ses études supérieures à Alger tout en

dirigeant des associations d’étudiants. Après la Première

Guerre mondiale, il se revendique du mouvement

Jeunes Algériens (depuis la Syrie, l’émir

Khaled avait réclamé l’autodétermination de l’Algérie

Timbre à l’effigie de Ferhat

Abbas.


222 Atlas historique de l’algérie

dès 1919 au président américain Wilson) et défend l’égalité des droits entre

tous les habitants de l’Algérie. L’adhésion complète à la France tout en restant

musulman se présentait pour Ferhat Abbas comme le seul choix possible, à

défaut de disposer d’une patrie algérienne. Avec les autres élus musulmans

du département de Constantine comme Bendjelloul et Mostefaï, Ferhat Abbas

forme le courant dit assimilationniste musulman, qui souhaite l’abolition du

statut de l’indigénat.

En 1936, le projet Blum-

Viollette envisageait d’attribuer

la citoyenneté française

à un certain nombre

d’Algériens indigènes, tout en

conservant leur statut musulman.

Considérées comme

trop généreuses par certains

milieux européens d’Algérie,

ces mesures ne seront pas

ratifiées par le Parlement, fréquemment

soumis aux pressions

du lobby colonial. Alors

que le gouvernement du Front

populaire s’impose en France

Groupe d’oulémas réformistes dans les années 1930. en 1936, les ulémas réformistes

organisent leur premier

grand congrès musulman à Alger. Leur audience est alors en plein essor,

surtout à partir de leurs fiefs de Constantine, Tlemcen et Nedroma. Leur programme

consiste à défendre l’identité culturelle des Algériens que répètent en

chœur les nombreux scouts qui sont affiliés au mouvement avec leur credo :

« L’Algérie est mon pays, l’arabe ma langue, l’islam ma religion. » Le cheikh Ben

Badis définit également que la personnalité algérienne « repose sur un trépied,

l’ethnie berbère, la langue arabe, la religion musulmane ». La progression de ces

deux organisations algériennes, dirigées par des élites occidentalisées d’une part

et un milieu savant musulman d’autre part, marquera la vie politique et sociale de

l’Algérie des années 1930. Ces formations précisent leurs idées et leurs programmes

dans un contexte international marqué à la fois par des innovations sociopolitiques

dans le monde arabe (mouvements nationalistes au Maroc et en Tunisie,

Frères musulmans en Égypte…) et la diffusion du communisme dans les colonies.

Les autorités françaises, conscientes du risque de contagion de l’agitation

nationaliste qui sévit au Maroc (Comité d’action marocaine en 1934) et en

Tunisie (le parti Néo-Destour a été fondé en 1934), ont fait le choix prioritaire

de la répression de l’ENA-PPA.

Les années 1933-1934 sont marquées par une forte agitation populaire

autour des idées nationalistes. En fondant le journal L’Entente franco-musulmane,

Ferhat Abbas veut pourtant encore croire à une politique coloniale plus

généreuse. Cependant, la situation économique difficile de l’Algérie dans les

années 1933 aggravait le mécontentement des masses musulmanes. Avec la

mondialisation de la grande crise américaine de 1929, qui avait fini par

atteindre l’Algérie, des milliers de travailleurs algériens avaient été licenciés

dans les mines (comme à El Kouif) et le bâtiment. Quant aux travailleurs


L’Algérie de 1918 à 1939 223

émigrés en France, ils repartaient massivement en Algérie, entraînant une

baisse des mandats postaux en direction de la en Grande Kabylie. L’agriculture

céréalière subissait la chute des cours mondiaux, appauvrissant de nombreux

paysans indigènes et européens, souvent endettés. Les sociétés

indigènes de prévoyance s’efforçaient d’assister les paysans touchés tandis

que le gouvernement procéda à partir de 1936 à la construction de grands

silos et de docks, afin de suppléer aux crises céréalières endémiques. Avec

les nouveaux crédits accordés aux paysans algériens et le recul de la petite

colonisation européenne, on assiste à une reprise des achats de terres par

les propriétaires indigènes, notamment dans le Constantinois.

La région de Constantine-Sétif apparaît bien

comme l’un des fiefs des mouvements nationalistes.

Ferhat Abbas, qui prône la modération

auprès des masses, dit comprendre les idées

nationalistes de l’ENA-PPA, mais ne les partage

pas, car il les estime explosives. Les émeutes

antijuives d’août 1934 qui se produisirent à

Constantine, puis les troubles de Sétif en février

1935 avaient inquiété Ferhat Abbas. En ces temps

de formation d’une nouvelle conscience politique

algérienne, les moindres provocations ou rumeurs

pouvaient rapidement dégénérer. Le Gouvernement

général accusait d’ailleurs les ulémas réformistes

d’entretenir ce climat de tension dans la

population musulmane. Avec le décret de délit

politique de 1935, la pression policière restait très Le cheikh Bachir el Ibrahimi.

forte sur les militants nationalistes algériens.

C’est ainsi que le parti de Messali Hadj est dissous en 1937 par le gouvernement

du Front populaire, sous la pression du Gouvernement général d’Alger.

Devenue Parti du peuple algérien, l’ENA a réussi à mobiliser bien au-delà

des milieux ouvriers algériens en France. Ses militants en Algérie sont devenus

la bête noire de la police et de la DST. Le mouvement nationaliste algérien

du PPA s’organise désormais à partir de l’Algérie, efficacement encadré par

une nouvelle génération d’intellectuels comme Mohamed Debaghine Lamine.

Avec les arrestations successives de Messali Hadj, le PPA doit souvent décider

sans son chef. À Alger, le bureau des centralistes prendra une importance

grandissante vis-à-vis du chef historique du PPA, surtout après son arrestation

en 1937 et sa déportation à Brazzaville.

En 1938, Ferhat Abbas, déçu après l’échec du projet Blum-Viollette, fonde

l’Union populaire algérienne. Avec plusieurs élus de l’Est algérien, qui avaient

démissionné en 1937 pour protester contre l’abandon du projet Blum-Viollette,

son nouveau parti politique veut défendre les intérêts des masses indigènes, tout

en prenant conscience des limites de son ambition franco-musulmane. Tout en

prônant la modération, il déclarera aux autorités : « Vous nous refusez d’être

Français, nous serons autre chose. » Au moment où la Seconde Guerre mondiale

commence, le nouveau PPA de Messali Hadj est de nouveau dissous le 30 septembre

1939 avec les autres formations politiques indigènes. Mais la défaite française

de 1940 et le débarquement anglo-américain en Algérie en 1942 précipitent

« la maturation d’une situation révolutionnaire » (Benjamin Stora).



L’ALGÉRIE DANS LA SECONDE

GUERRE MONDIALE

n mai 1940 les Algériens se trouvent directement témoins et acteurs

E

de la guerre, comme ouvriers dans le nord de la France, mais surtout

comme militaires engagés dans les régiments de tirailleurs.

Ces unités prennent une part active aux premiers combats de mai 1940. Neuf

régiments de tirailleurs algériens (RTA) participent aux tentatives pour contenir

l’armée allemande, qui déferle sur les lignes françaises. Sur la Dyle, au

Quesnoy et sur la Meuse, les Algériens se battent face la Wehrmacht, dont

la supériorité tactique est évidente. De nombreuses unités algériennes se

retrouvent capturées. Le 31 e RTA subira de fortes pertes en résistant dans la

région de Châtillon-sur-Indre. Le 22 e RTA réussit quant à lui à s’embarquer

à partir de la poche de Dunkerque après la bataille de la Dyle. Comme de

nombreuses unités françaises, les RTA se retrouvent vite encerclés et capturés.

Le commandement allemand placera tous les prisonniers africains et

nord-africains dans des Frontstalags, camps de prisonniers réservés aux non-

Européens, selon les principes raciaux nazis, qui prônaient une nette séparation

des races. Les soldats africains des colonies françaises subiront un

traitement particulièrement difficile, les autres Blancs comme les Nord-

Africains se trouvant progressivement libérés en juillet 1941. Un certain

nombre d’entre eux seront employés par l’industrie allemande ou l’organisation

Todt, chargée de la construction du mur de l’Atlantique.

Après l’armistice et l’installation d’un nouveau gouvernement à Vichy, les

départements de l’Algérie prennent une importance nouvelle, avec l’assurance

de disposer de tout son potentiel économique. Avec les conditions d’armistice

imposées à la France, l’Algérie se trouve ponctionnée par les importations réservées

à l’Allemagne nazie. Le rationnement et les nombreuses pénuries (commerce

maritime très limité par la guerre) affectent gravement la population tant

européenne que musulmane. En ravitaillant l’armée allemande qui se bat en

Libye, une grande partie des ressources agricoles est soustraite à la population.

Le cheptel camelin finira par être entièrement consommé.

Cependant, l’épidémie de typhus qui fit 60 000 victimes européennes et

encore davantage d’indigènes sera l’une des plus graves conséquences de

cette crise. Les deux premières années de la guerre sont très difficiles pour


226 Atlas historique de l’algérie

l’Algérie, dont les autorités ont

rapidement fait allégeance au

maréchal Pétain. Le gouverneur

général Chatel et le général Juin

s’efforcent de suivre le programme

de la Révolution nationale

du nouveau gouvernement

d’extrême droite, notamment en

appliquant la politique antijuive

de Vichy. Déchus de la nationalité

française en octobre 1940, les

Juifs algériens surmontent une

difficile épreuve. Aux interdictions

d’exercer dans la fonction

publique, et dans certaines professions,

les juifs algériens se

retrouvent confrontés à de nombreuses

spoliations et arrestations,

avec, en arrière-plan, une

population européenne séduite

dans sa majorité par le pétainisme

(Stora). Les formations

politiques indigènes subissent

quant à elles une surveillance

accrue du nouveau régime,

encore plus policier. En réalité, le

Gouvernement général est en

situation de faiblesse et craint

Affiche du ministère de la Guerre, 1939.

toute agitation populaire. Les

milieux militaires, qui n’ont pas

vraiment digéré la défaite de 1940, sont divisés par l’intervention du général

de Gaulle, qui a appelé à continuer le combat. L’homme de la France libre est

bien conscient qu’il doit s’appuyer sur l’Algérie pour libérer la France. Mais,

en se trouvant à Londres, il est encore mal perçu en Algérie, où la flotte

française basée dans le port de Mers el Kebir a été bombardée par la Royal

Navy le 3 juillet 1940.

Les Britanniques s’inquiètent de l’utilisation possible de la flotte française

par l’Allemagne. L’Afrique du Nord se trouve en partie occupée par les Italiens

de Mussolini, le grand allié d’Hitler. Avec l’intervention de l’Africa Korps contre

les Britanniques en Libye, la frontière égyptienne et le Moyen-Orient se

trouvent menacés en 1942. Avec l’entrée des États-Unis dans le nouveau

conflit mondial depuis décembre 1941 et son concours au ravitaillement britannique,

l’Afrique du Nord apparaît désormais comme une base intéressante

à proximité d’une Europe quasi totalement occupée par les forces de l’Axe.


DU DÉBARQUEMENT AMÉRICAIN

EN ALGÉRIE À LA CAMPAGNE

DE TUNISIE (1942-1943)

e 8 novembre 1942, 150 000 soldats américains débarquent sur les

L

plages d’Oran et d’Alger. La flotte de l’US Navy met en place les

forces armées sur plusieurs têtes de pont, à l’ouest d’Alger, entre

Bou Ismaïl et Sidi-Ferruch, où les plages ne sont pas défendues par les Français.

À l’ouest d’Alger, les Américains doivent débarquer dans le secteur

d’Aïn Taya, afin de neutraliser les batteries côtières. Le gouvernement de


228 Atlas historique de l’algérie

Vichy ayant donné l’ordre aux forces françaises d’Alger d’empêcher toute tentative

alliée sur l’Algérie, de nombreux tirs sont échangés entre les fortifications

autour d’Alger et les troupes américaines. Avec l’aide des réseaux

gaullistes, les Américains parviennent cependant à investir rapidement les

aérodromes et les faubourgs d’Alger. Après quelques résistances, l’amiral

Darlan et le général Giraud finiront par négocier rapidement la fin des hostilités

avec le général américain Clark. Dans la région d’Oran où se déroule

l’autre débarquement, les forces américaines doivent neutraliser plusieurs

nids de résistance français. Les troupes de la région avaient gardé le souvenir

de l’intervention anglaise à Mers el Kebir en 1940. Les soldats anglais qui

débarquent avec les Américains furent insérés parmi les régiments américains

afin de prévenir toute réaction d’hostilité de la population.

Avec l’arrivée des Américains, c’est le débarquement de milliers de tonnes

de ravitaillement et produits « made in USA » distribués gracieusement aux

populations, qui impressionnent les Algériens des villes et villages, traversés

par cette armée qui fait route vers l’est du pays. Mais les Allemands ont réagi

dès le 10 novembre en bombardant Alger et les grandes villes de la côte

est, Bougie et Bône. Jusqu’en mai 1943, la Luftwaffe mènera plusieurs raids

meurtriers. L’avance des forces américaines est cependant très rapide. Moins

d’une semaine après leur débarquement, ils sont à Bône et à Tébessa, en

face de la Tunisie occupée par les forces de l’Axe. Depuis 1939, les Allemands

ont fortifié des positions défensives dans le sud de la Tunisie (ligne Mareth),

permettant à l’armée de Rommel de se replier en bon ordre après l’échec

d’El Alamein (Égypte) en octobre 1942.

La campagne de Tunisie sera le baptême du feu pour la plupart des soldats

américains mais aussi celui de milliers de soldats algériens engagés

sur ce front à partir de 1943. Le recrutement des soldats indigènes après le

débarquement allié en Algérie apparaît comme un enjeu politique majeur,

d’une part pour le général de Gaulle, qui s’appuiera sur cette armée d’Afrique

jusqu’en 1945 pour négocier le retour de la France parmi les Alliés, et d’autre

part pour les mouvements nationalistes algériens. Ferhat Abbas entreprend


Du débarquement américain en Algérie à la campagne de Tunisie (1942-1943) 229


230 Atlas historique de l’algérie

effectivement des négociations directes avec Robert Murphy, diplomate américain

à Alger. Le 22 décembre 1942, Abbas lance un appel aux nations alliées,

que le Gouvernement général ignore. Pourtant, avec les principes comme celui

du « droit de tous les peuples à choisir la forme de gouvernement sous laquelle

ils veulent vivre » énoncés dans la Charte de l’Atlantique de Churchill et

Roosevelt le 14 août 1941, les militants nationalistes algériens pensent avoir

trouvé un nouvel appui moral des États-Unis. À ce moment-là, Ferhat Abbas

s’applique à organiser un front uni des mouvements militants algériens et présente

son Manifeste du peuple algérien, texte destiné autant aux autorités françaises

qu’aux États-Unis. Le pharmacien de Sétif fonde les Amis du Manifeste

et de la Liberté (AML) en mai 1943, qui rassemblera 100 000 adhérents en 1945.

Cet événement marque une étape significative dans le mouvement nationaliste

algérien (Charles André Julien). En permettant à Messali Hadj de le

rejoindre à Sétif le 10 juin 1943, après avoir obtenu sa libération, Ferhat Abbas

se présente comme un médiateur incontournable, entre les indépendantistes

du PPA et l’immobilisme du Gouvernement général. Toutefois, le général de

Gaulle, qui est arrivé en Algérie pour constituer le Comité français de libération

nationale (CFLN) en mai 1943, est bien conscient de la nécessité de faire

un geste en direction des milieux politiques indigènes. De Gaulle annonce des

réformes en faveur des musulmans, dans son discours de Constantine du

12 décembre 1943. L’ordonnance du 7 mars 1944 ouvre aux musulmans

l’accès aux emplois civils et militaires. Elle met fin aux mesures d’exception

et accorde la citoyenneté française à quelques milliers d’indigènes, pouvant

désormais participer aux élections à l’Assemblée algérienne divisée en deux

collèges. Les communes mixtes sont quant à elles supprimées.

De nombreux Algériens n’auront bientôt plus l’occasion de profiter de ces

mesures. Ils mourront sur les champs de bataille d’Italie, où ils débarqueront

en 1944, après avoir participé en partie à la campagne de Tunisie. De février à

avril 1943, l’armée américaine est appuyée par les régiments indigènes d’une

nouvelle « armée d’Afrique ». Reprenant le vocable des troupes de la conquête,

cette nouvelle force commandée par le général Juin, un Européen d’Algérie, n’a

pu voir le jour qu’avec tout l’armement américain débarqué en 1942. La formation

des nouvelles recrues algériennes, qui s’engagent cette fois en masse, a

été organisée dans les grands camps militaires américains tels que ceux de

l’Oranie. Il s’agissait de préparer ces troupes fraîches aux techniques de débarquement

et à l’utilisation de tout un nouveau matériel américain. La formidable

logistique américaine débarquée en Algérie a certainement impressionné les

populations, prenant conscience de la puissance de ce pays méconnu.

Mais les Algériens sont rapidement confrontés aux réalités de la guerre.

Dans le front du sud-est algérien, la division de marche de Constantine est

envoyée de février à avril 1943 pour barrer la route aux Italiens, qui tentent

d’attaquer à partir de Gafsa. Après leurs échecs face à Rommel en février

1943, les Américains finissent par percer le front allemand pendant la grande

offensive du printemps 1943, avec le déploiement de plusieurs régiments de

tirailleurs algériens. Dans le Sahara algéro-libyen, les Français s’efforcent de

reprendre les positions italiennes de Ghat et poussent jusqu’à Serdelès. La

compagnie saharienne des Ajjer, qui a rejeté les Italiens en janvier 1943, est

ensuite rejointe dans la région de Djanet par la compagnie méhariste de

Touat, qui a parcouru 1500 km à partir d’Adrar.


Affichette arabe en l’honneur du général Giraud.



LES SOLDATS ALGÉRIENS SUR

LE FRONT D’ITALIE

(JUILLET 1943-JUIN 1944)

e corps expéditionnaire du général Juin se trouve engagé dans la

L

campagne d’Italie. La péninsule italienne était perçue par les Alliés

comme le « ventre mou du crocodile » (Churchill) et donc un front

secondaire en Europe, avant le grand débarquement dans le nord de la

France. Pourtant, ce sont 120 000 hommes qui sont envoyés d’Algérie vers le

front italien. Après le débarquement anglo-américain en Sicile et en Calabre

en juillet 1943, la forte résistance de l’armée allemande dans la région de

Naples surprend le commandement allié. L’engagement de la 3 e division

d’infanterie algérienne (DIA) prend toute son importance. Arrivés en

décembre 1943, les régiments de tirailleurs algériens font face à la dureté

des combats. S’appuyant sur le relief des Abruzzes, les Allemands sont solidement

retranchés sur la ligne Gustav. À Monte Cassino, de janvier à mai

1944, c’est le baptême du feu pour la grande majorité des Algériens. Le

monastère détruit par les bombardements alliés devint un nid de résistance

très difficile à reprendre aux parachutistes allemands. À l’issue de plusieurs

batailles dans la région de Monna Casale et Castelforte, les régiments algériens

et marocains finissent par contourner la montagne sanglante et franchir

victorieusement la rivière Garigliano en mars 1944. Jusqu’en juin, les

tirailleurs progressent lentement jusqu’à la rivière Sacco, traversée le 2 juin

1944, puis entrent à Rome le 5 juin, la veille du débarquement allié en Normandie.

Le 7 e RTA continue de poursuivre son offensive au nord de Viterbo et

engage plusieurs combats pour la traversée de l’Orcia le 21 juin. Les Algériens

atteignent ensuite la ville de Sienne. La campagne d’Italie aura fait

1 978 tués et 5 860 blessés parmi les soldats de la 3 e DIA.



LA LIBÉRATION DE LA FRANCE,

DE LA PROVENCE À L’ALSACE

eux mois après le débarquement anglo-américain en Normandie le

D

6 juin 1944, le commandement allié ouvrait un second front dans le

sud-est de la France. L’opération « Anvil » consistait à débarquer sur

les côtes de Provence les armées d’Afrique du Nord et d’Italie. Au lendemain

de la première phase du débarquement dans la région de Saint-Raphaël le

15 août 1944, la 3 e DIA débarque à son tour vers Saint-Tropez. Rassemblés

ensuite à Cogolin, dans le massif des … Maures, les Algériens passent à

l’offensive en direction de Toulon. Une bataille de trois jours s’engage pour la

prise de la ville, dont le port abrite de grandes installations militaires. Les

tirailleurs attaquent l’armée allemande en encerclant Toulon le 20 août

(3 e régiment de spahis algériens) tandis que d’autres unités sont envoyées

sur les faubourgs de Marseille avec les soldats de la 9 e division d’infanterie

coloniale. Ayant atteint Marseille le 22 août, tirailleurs algériens du 7 e RTA et

tabors marocains livrent bataille jusqu’au sommet de Notre-Dame de la

Garde pour réduire les nids de résistance allemands. Appuyés par les résistants

locaux, les soldats de la 3 e DIA libèrent Marseille, dont la garnison

allemande capitule le 29 août 1944. Les forces françaises ont perdu

4 500 hommes en deux semaines.

La 3 e DIA poursuit alors son avancée à travers les vallées des Alpes

jusqu’à Grenoble tandis que le gros des forces alliées remonte la vallée du

Rhône. Le repli des armées allemandes au nord de Lyon explique la progression

assez facile de la 3 e DIA jusqu’au Jura, qui est atteint en septembre 1944.

L’armée allemande s’est solidement retranchée autour de l’Alsace, région

considérée comme faisant partie du Vaterland (Patrie) allemand et donc à

défendre en conséquence. À l’automne 1944, les armées américaines (général

Patton) ont également atteint la Lorraine, au moment où les forces françaises

se trouvent aux pieds des Vosges, sur fond de grandes difficultés logistiques

(aucun port d’importance n’est encore disponible en septembre 1944).

Entre le 4 octobre et le 14 novembre 1944, la 3e DIA est alors lancée dans

plusieurs offensives contre les positions allemandes, mais fait face à une très

forte résistance. Tenant les crêtes du massif des Vosges, les Allemands infligent

de lourdes pertes aux soldats algériens, qui progressent malgré tout


236 Atlas historique de l’algérie

dans les dures conditions hivernales. Alors que Mulhouse et Strasbourg sont

libérées les 21 et 23 novembre 1944, les nouvelles offensives au sommet

des Vosges, coûteuses en hommes, n’aboutissent que très péniblement. La

dernière ligne de crêtes est ainsi occupée le 24 décembre 1944. La 3 e DIA

participe ensuite à la première tentative sur Colmar à la mi-décembre, mais

sans y parvenir malgré de lourdes pertes. Alors que presque toute l’Alsace

est libérée, la deuxième bataille de Colmar du 20 janvier au 2 février 1945

retient encore les soldats de la 3 e DIA, qui est positionnée au nord, en direction

de Strasbourg. C’est à partir de la grande cité alsacienne que la division

prendra part aux opérations du Rhin de mars 1945.


Le front des Vosges (hiver 1944-1945)

La libération de la France, de la Provence à l’Alsace 237



LES SOLDATS ALGÉRIENS

EN ALLEMAGNE

L’offensive générale des armées françaises en direction du Rhin est

déclenchée le 15 mars 1945. Censée couvrir le flanc sud de l’offensive américaine,

son rôle devait en principe être limité. Mais le général de Gaulle a

chargé de Lattre de Tassigny de tout faire pour traverser le Rhin et entrer en

Allemagne. De Gaulle a bien mesuré l’enjeu politique international pour la

France à ce stade du conflit. En faisant pénétrer l’armée française en Allemagne,

il renforce la position française auprès des Alliés. La politique proallemande

de Vichy ayant en effet compromis la position française en Europe, le

chef de la France libre entendait regagner la confiance des Alliés, tant américains

que soviétiques.

Les soldats coloniaux, dont les Algériens, deviennent ainsi le principal bras

armé de cette politique internationale et franchissent la frontière allemande

le 18 mars 1945. Parmi eux, le régiment du 3 e RTA, qui se distingue particulièrement.

Avec la prise de Spire le 31 mars, le Rhin est atteint puis traversé

avec très peu d’embarcations. Mais les combats pour la tête de pont sont

âpres. Les forces armées françaises progressent jusqu’à la grande ville de

Karlsruhe puis s’avancent en direction de l’Enz, qui est atteinte le 8 avril. Les

derniers efforts des unités algériennes sont récompensés par la prise de

Stuttgart le 21 avril 1945. Avant de retourner en Algérie, beaucoup séjourneront

en Alsace, et, une fois démobilisés en Algérie, retrouveront une compagne

ou travailleront dans les chantiers de reconstruction. Sur les

134 000 Algériens mobilisés de 1943 à 1945, 6 000 Algériens musulmans tués

ne reverront jamais leur famille. Le prix de ce sacrifice, ajouté à celui des

quelque 10 000 autres Européens d’Algérie tués, permet à la France de participer

à la signature de la capitulation allemande du 8 mai 1945, avec la présence

du maréchal de Lattre de Tassigny. À Sétif, un autre 8 mai commence.


Avenue Clemenceau au centre de Sétif, 1945.


RÉVOLTES ET RÉPRESSIONS

DE SÉTIF À GUELMA

LA RÉPRESSION

DISPROPORTIONNÉE DE 1945

près le succès du mouvement des Amis du Manifeste et de la

A

Liberté, la population musulmane d’Algérie envisageait réellement

la prise en compte de ses nouvelles revendications. Parmi les sympathisants

des AML, les militants du PPA apparaissent comme bien décidés à

obtenir gain de cause, surtout après l’arrestation de Messali Hadj. Alors que se

préparait une intervention militaire alliée en France, le général de Gaulle voulait

certainement montrer qu’il avait bien entendu les Algériens avec l’ordonnance

du 7 mars 1944, avant de se consacrer à la restauration de la République.

Au sein des AML, la tendance PPA restera très forte au sein du mouvement

d’Abbas, qui tient son congrès le 2 avril 1945. Les dirigeants du PPA vont

jusqu’à soulever la question d’un futur État algérien. Le Gouvernement général

ne pouvait rester sans réagir à ce qu’il considérait comme des provocations

et enferme Messali, qui ne devait plus recouvrer sa liberté avant

plusieurs années.

Le PPA, principal mouvement nationaliste, envisageait de réclamer la libération

de son chef à la moindre occasion. Celle-ci se présenta enfin le 1 er mai

1945, pendant lequel de nombreux cortèges d’Algériens manifestèrent. Rassemblant

1 500 personnes à Guelma, 3 000 à Sétif, la plupart des manifestations

de la fête du Travail se déroulèrent sans incident contrairement à celle

d’Alger, où la police et les gendarmes usèrent de la force, par peur d’être

débordés par le nombre, tuant plusieurs manifestants algériens. La dernière

année de la guerre en Europe se fit encore sentir durement chez la masse

de la population algérienne, touchée par les pénuries et par les ravages du

typhus.

Mais en ce début mai 1945, la population musulmane entretenait également

l’espoir d’une Algérie qui prendrait en compte leurs nouvelles aspirations

développées depuis les années 1930. Les militants entretenaient cet

espoir par leurs discours quasi religieux. Dans la conscience du peuple algérien,

la fin de la guerre en Europe ne pouvait être suivie que d’une amélioration

de leur sort, sous une forme matérielle ou politique. Notamment dans le

Constantinois très politisé, on préparait avec ferveur la date de la prochaine

libération… de l’Europe mais aussi de l’Algérie.



SÉTIF, 8MAI 1945

a manifestation qui se prépare à Sétif le 7 mai 1945 est très attendue

L

par les militants des AML comme du PPA. Ils souhaitent profiter de

cet événement historique pour parader fièrement en chantant des

hymnes nationalistes. Quant au drapeau algérien, interdit par les autorités, il

nécessitera de la discrétion. Le rendez-vous du départ de la manifestation n’a

pas été prévu n’importe où. Il s’agit de la mosquée Abou Dar el Ghifari (du

nom d’un compagnon du Prophète de l’Islam) dite aussi Masjid et Atiq,

(ancienne mosquée), située à cinq minutes de la gare de Sétif. Contrairement

àlaMasjid el Atiq (Ancienne Mosquée) construite dans les années 1845, la

mosquée de la gare illustre le travail entrepris par les milieux religieux dans

la région pendant les années 1930,. La région de Sétif se trouve entre le pôle

religieux de Constantine et la région d’origine de Bachir el Ibrahimi (douar

Ouled Braham, à l’ouest de Colbert, anciennement Aïn Oulmene). Le faubourg

supérieur de la gare, dans lequel la mosquée est située, est un quartier abritant

une population mixte, d’Européens et d’indigènes aisés. Sétif est très

aérée avec ses grands boulevards militaires qui entourent la ville, sortie de

ses remparts depuis les années 1920. Les indigènes peuvent se rendre facilement

vers le grand marché arabe, à proximité de la porte de Biskra. C’est un

rendez-vous hebdomadaire des paysans des hautes plaines au sud de la ville

et des montagnards du nord.

Avec la mise en marche du cortège indigène le matin du 8 mai en direction

de la porte de Constantine, une masse de paysans rejoindra spontanément le

défilé. La grande avenue Georges-Clemenceau, bordée d’arcades, est l’artère

principale de la ville, sa vitrine. Les milliers d’Algériens s’avancent en direction

du monument aux morts pour y déposer une gerbe, et devront donc

tourner à gauche en passant devant le Café de France. La grande avenue est

légèrement en pente avant d’aboutir à Aïn el Fouara, la fontaine emblématique

de la ville. Au croisement de la rue Sillègue, un barrage de police ferme

l’accès à la place où se trouvent la mairie et la sous-préfecture. Les scouts,

qui ouvrent la marche depuis la mosquée de la gare, continuent d’entonner

leurs chants patriotiques quand surgit un commissaire de police ; à la vue du

drapeau interdit, tendu par un jeune militant, il essaie de s’en emparer par la

force, le policier se retrouve débordé et tire.


244 Atlas historique de l’algérie

Cet incident déclenche une panique générale, les policiers tirent sur la

foule qui s'éparpille par les rues adjacentes. Le gros du cortège, en cherchant

à reprendre l’avenue en sens inverse, se retrouve face à un barrage de gendarmes

qui ouvrent le feu. Parmi les manifestants qui ont reflué par les rues

en direction de la porte de Biskra, certains réagissent très brutalement sur

les Européens qu’ils croisent, tuant une vingtaine de personnes et blessant

35 autres, le plus souvent par arme blanche. Le nombre d’indigènes abattus à

ce moment du drame est quant à lui resté inconnu mais a dû être de plusieurs

dizaines, les policiers et gendarmes ne disposant pas d’armes lourdes de

part et d’autre de l’avenue où le plus grand nombre a été tué.

La confusion qui régnait à ce stade de l’émeute provoque un effet d’entraînement

des indigènes restés au marché arabe, qui s’enfuirent tous à la nouvelle

de la fusillade. Le mouvement de reflux des paysans arrivés dans la

matinée à Sétif vers leurs douars amplifie la peur et le désir de vengeance.

Quant aux autorités françaises, elles prennent la mesure de la gravité de

l’émeute, en activant un plan d’action militaire, en fait préparé depuis plusieurs

mois. La riposte était inéluctable surtout pour le milieu des quelques

policiers mêlés à la fusillade sur le porte-drapeau. Ils détestent Ferhat Abbas

et son réseau d’amitiés européennes comme Deluca, élu communiste de la

ville, blessé pendant l’émeute. Ils veulent en finir avec la menace que représentent

les militants du PPA sur leur Algérie française, et ont d’ailleurs très

bien accueilli le programme de Vichy en 1940. La répression est très dure

pour la population de Sétif.

Dans les campagnes, les nouvelles de cette répression sont diffusées en fin de

matinée, le long de la route de Bougie, par le chauffeur de taxi Eel Adouani, militant

PPA, qui annonça le début d’une guerre contre les Français. Dans le village

des Amoucha et plus haut de Kerrata, quelques indigènes sont revenus de Sétif.

Des rassemblements se forment spontanément. Parmi la population, des jeunes

probablement militants se rassemblent. À Amoucha, Périgotville, Chevreul,

Lafayette et Kerrata, des groupes décident d’attaquer les casernes locales de

gendarmerie et de s’emparer des armes.

En tournant leur violence contre les habitants européens des villages, les

émeutes spontanées prennent un tournant irrationnel. En tuant, le plus souvent

à l’arme blanche, et en mutilant leurs victimes européennes, les paysans survoltés

par l’appel à la vengeance sont inconscients des conséquences

dramatiques de tels actes. Situés au plus près des montagnes, ces villages

sont au cœur de la zone d’action de l’armée, qui intervient dès le lendemain.

Une partie des émeutiers étant parvenue à s’emparer de fusils, la population

assiège les casernes et essaie de couper les routes le 8 et surtout le 9 mai.

Le commandement local de Sétif accentue la gravité de la situation, en interprétant

tout acte de violence rapporté dans son secteur comme le signe de

l’extension d’une insurrection armée de grande ampleur. C’est ainsi que le

colonel Bourdila demande à la X e Région militaire d’Alger tous les moyens

possibles pour dégager les villages au nord de Sétif et reprendre la région

aux insurgés.

Les tentatives de pillages par des groupes de nomades dans la région des

chotts, entre Colbert et Saint-Arnaud, sont associées à des troubles insurrectionnels

et réprimées à la mitrailleuse. De nombreux incidents isolés et règlements

de comptes accentuent la confusion, comme à Tamentout. Dans


Sétif, 8 mai 1945 245

plusieurs villages comme à Sillègue (Beni Fouda) et à Aïn Abessa, le caractère

limité des violences n’empêche cependant pas l’armée et l’aviation d’intervenir.

À partir du 9 mai et l’arrivée des renforts sur les routes du nord, l’armée

se déploie massivement dans la région. En faisant appel à l’aviation et la

marine, le commandant Henri Martin prépare une réaction totalement disproportionnée.

Alors que les routes et les villages commencent à être libérés

par les premiers véhicules blindés, des troupes spéciales sont envoyées sur

Sétif. La Légion étrangère (Sidi Bel Abbès) et les régiments de tirailleurs

sénégalais entrent en jeu à partir du 9 mai, pour une action immédiate sur

les villages, appuyés par des bombardements sur les rassemblements de

population, déclarés suspects. Avec la découverte des cadavres d’Européens

sur les routes, le mitraillage à vue sera systématique, entraînant la mort de

plusieurs centaines d’Algériens comme à Kerrata, Périgotville et Chevreul.

Les populations indigènes s’enfuient massivement dans les champs et les

montagnes.



LA GUERRE DE REPRÉSAILLES

AU NORD DE SÉTIF

À partir du 13 mai 1945, le commandement décide le lancement de

grandes opérations de nettoyage des massifs où se terrent toujours hommes

en armes et paysans fuyant les mitraillages. L’aviation procède à de nombreux

bombardements des zones encore peu accessibles aux troupes. Les unités

de Sénégalais et la Légion étrangère pénètrent dans le massif des Babors et

dans le secteur des gorges du Chabet el Akhira (le ravin de l’au-delà) pour y

déloger les rebelles. Le colonel Bourdila entreprend de faire descendre toute

la population des douars autour de Kerrata pour le 15 mai. Ce rassemblement

illustré par plusieurs images d’archives permet à l’armée d’afficher son travail

de pacification dans la zone de l’émeute, avec des scènes d’hommes

rassemblés levant les bras avec des fusils qu’on leur a distribués. Le colonel

Bourdila lui-même donne un discours moralisateur sur le comportement des

émeutiers et la force de la France. Mais ce rassemblement au bord de l’oued

de Kerrata cache une tout autre réalité. Des arrestations et des interrogatoires

suivent ce rassemblement et, encadrés par des gendarmes, un certain

nombre de suspects prend la route des gorges où ils seront précipités vivants.

Le pont Hanouz, du nom de l’une des victimes, commémore ces exécutions

sommaires de mai 1945.

Mais le plus important des rassemblements de population orchestrés par

les autorités militaires se déroula sur la grande plage des Falaises, en contrebas

de la route de Bougie à Djidjelli. Tous les douars du secteur sont rassemblés

de force pour assister à la cérémonie de l’aman ou « demande de

pardon » (en arabe). Tous les responsables civils et militaires de l’Est algérien

sont présents pour assister à la soumission des tribus à qui il est demandé

de proférer des imprécations contre les chefs nationalistes et de reconnaître

la toute-puissance de la France. Le survol de la plage à basse altitude par

des avions de chasse ainsi que la présence de navires de guerre pour impressionner

les populations compose cet événement, censé marquer la fin des

hostilités. Plusieurs images de ce 22 mai ont été diffusées et conservées

contrairement aux autres actions de la guerre de représailles, qui continue

jusqu’en juin 1945. L’armée qui ratisse la région a étendu sa zone d’opération

aux montagnes du Bou Andas et dans le djebel Tamesguida. Dans ces massifs


248 Atlas historique de l’algérie

boisés se seraient cachés les émeutiers de la première heure, qui sont traqués

par les légionnaires, tirailleurs sénégalais et tabors marocains venus en

renfort après leur action autour de Guelma. Les opérations de réduction des

poches de résistance ne laissent aucun doute sur le sort réservé aux

hameaux qui abriteraient des suspects. C’est à huis clos que des crimes

terribles sont commis dans ces régions reculées autour du Tamesguida et de

Tala Ifacène, à l’ouest de Kerrata. La dernière opération se déroule le 16 juin

dans le djebel el Halfa, au sud-est de Chevreul ; elle est suivie d’un rassemblement

forcé des populations le 25 juin. Mais la population s’enfuit en partie

avant la fin, sachant qu’il s’agit d’un piège tendu par les Français pour capturer

et liquider nombre de personnes.

Toute la région de la mer à Saint-Arnaud gardera le souvenir des atrocités

commises par les tirailleurs sénégalais. Quant à la population de Kerrata-

Djermouna, elle voit graver sur la roche de l’oued el Akhira la trace des opérations

répressives de la Légion étrangère et de la gendarmerie. Pendant quarante-cinq

jours, la gendarmerie et l’armée, souvent appuyées par des

Européens locaux, ont obtenu carte blanche des autorités pour écraser les

émeutiers. En fait, des milliers d’innocents ont été mitraillés, bombardés,


La guerre de représailles au nord de Sétif 249

pillés ou sommairement abattus en fuyant ou en croisant la route des escadrons

de la mort. La réponse disproportionnée de l’armée et des forces

locales (police, gendarmerie) succède à une concentration de tensions au sein

de la société coloniale. Confrontée à la montée d’un nationalisme décomplexé

dans un contexte de recul de la petite colonisation pendant les dernières

années, la minorité européenne, surtout dans le Constantinois où elle est la

moins nombreuse, avait accumulé des peurs parfois irrationnelles face aux

masses qui l’entouraient.

Quant aux autorités civiles et militaires, elles avaient été préparées

quelques mois auparavant à réagir à toute éventualité. Le contexte de la fin

de la Seconde Guerre mondiale en Europe et les enjeux politiques internationaux

qui entouraient la position de la France avaient convaincu le GPRF

d’éviter toute manifestation d’hostilité dans les colonies. À défaut de pouvoir

prévenir des émeutes (comme ce fut le cas le 1 er mai 1945), les autorités

d’Alger devaient parvenir à les étouffer dès les premiers incidents. De même,

les informations rapportées par la presse française sur les pudiques événements

du Constantinois furent soigneusement censurées. Quant aux commissions

d’enquête qui suivirent, elles furent assez rapidement interrompues en

haut lieu. La France était en train de se reconstruire tant matériellement que

politiquement et ne pouvait rendre publics les faits de massacres commis

par ses soldats. Les informations furent cependant bien dissimulées sinon

détruites au moment où les premiers chercheurs commencèrent leur travail

d’investigation, assez tardivement, dans les années 1980. Malgré tout, en

recoupant un certain nombre d’archives militaires avec les témoignages des

survivants et une bonne connaissance du terrain, il était possible de reconstituer

ce printemps sanglant de mai-juin 1945. Après la terrible répression du

Bélezma et des Aurès en 1917 et les répressions dans les régions de Sétif et

Guelma en 1945, le contentieux avec la colonie européenne d’Algérie se trouvait

aggravé dans l’Est algérien, qui deviendra le berceau de la guerre d’indépendance

à venir.


250 Atlas historique de l’algérie


Le pont Hanouz, site d'un massacre.

La guerre de représailles au nord de Sétif 251



EXÉCUTIONS SOMMAIRES

PRÉVENTIVES À GUELMA

Comme à Sétif, le 1 er mai 1945 avait été l’occasion pour les militants nationalistes

algériens de démontrer leur capacité à se rassembler, même dans des

petites villes. Ils étaient 1 500 à Guelma et, bien que pacifique, cette démonstration

politique du 1 er mai alimentait l’inquiétude des Européens. Ils n’étaient en

fait pas rassurés depuis un certain nombre d’années. Non seulement les thèses

du PPA progressaient dans la région mais on assistait à un recul de la colonisation

européenne. Depuis les années 1930, un mouvement de rachat de terres

par les indigènes s’était développé sur fond de crises agricoles à répétition. Les

sociétés indigènes de prévoyance (SIP) avaient joué un rôle non négligeable. Le

désarroi économique de nombreux petits propriétaires européens avait entretenu

cette peur, déjà ancienne, d’être submergé par « les Arabes ». Leur

nombre n’était plus le seul motif d’inquiétude. Non seulement ils reprenaient

progressivement une partie des terres dépossédées à leurs ancêtres, mais ils

faisaient également de la politique. Avec les idées nationalistes du PPA, le mouvement

le plus récent était celui des Amis du Manifeste et de la Liberté de

Ferhat Abbas, que toute la région constantinoise avait soutenu. À Guelma, certains

avaient décidé de prévenir toute tentative de déstabilisation du système.

C’est un certain Achiary, sous-préfet de Guelma, qui entreprit de constituer dès

le 14 avril 1945 les premières milices d’Européens dans plusieurs villages

autour de la ville. Les petits villages de colonisation d’Héliopolis, Petit, Millésimo,

Guelaat Bou Sbaa, Clauzel, Gounod, Gallieni et Hammam Meskoutine

eurent des milices armées, prêtes à toute éventualité. La minorité européenne

trouvait avec ces armes un moyen de se rassurer.

Les événements de Sétif de la matinée du 8 mai exacerbent cette psychose

des Européens qui entreprennent des exécutions sommaires préventives sur

ces indigènes perçus comme des menaces. Membres actifs du PPA, membres

des AML ou simplement classés comme intellectuels constitueront la cible

prioritaire d’une sinistre milice. Pourtant, contrairement à Sétif, aucune violence

ne fut commise contre des Européens dans la ville de Guelma. Le souspréfet

Achiary, à la nouvelle des événements survenus le matin du 8 mai,

exécuta l’ordre du préfet Lestrade-Carbonnel de réprimer violemment le


254 Atlas historique de l’algérie

cortège indigène prévu pour la célébration de la victoire alliée. Achiary fit ainsi

tirer sur la foule rassemblée en fin d’après-midi.

L’aggravation des violences autour de Sétif ayant déclenché une réaction

armée de grande ampleur, le sous-préfet de Guelma prépara sa guerre avec

ses milices. 80 hommes défendaient Guelma contre toute attaque, en se positionnant

autour de la ville. Cette attaque ne survint jamais. La gendarmerie

et la milice entreprirent alors de traiter l’ennemi intérieur, les militants algériens

de Guelma. Alors que le 9 mai commença le temps des règlements de

comptes, des opérations militaires répressives étaient également engagées

autour de Guelma du fait de rassemblements indigènes suspects et à la suite

de la mort de 11 paysans européens tués par des émeutiers. La réaction

militaire fut terriblement disproportionnée. Comme autour de Sétif à partir

du 9 mai, des bombardements furent effectués contre les rassemblements

de population indigène, et des colonnes militaires parcouraient les routes et

villages pour « dégager » ou « nettoyer », sombres euphémismes officiels de

l’armée. La campagne de Guelma fut le théâtre de mitraillages et de pillages

commis par une armée composite. Goumiers marocains (à partir du 16 mai),

troupe de choc de l’armée coloniale, troupes venues de Tunisie ainsi que

trains de mitrailleuses (Sénégalais) s’employaient à tirer sur tout indigène

aperçu fuyant ou tout simplement suspect d’avoir participé à quelque trouble.

Le calme est officiellement rétabli le 10 mai 1945. La répression prend

une autre dimension dans la ville de Guelma, avec la création d’un tribunal

illégal, où transitent des centaines d’Algériens en vue de leur exécution sommaire.

Un conseil – illégal – de guerre, présidé par Achiary lui-même, traite

2 500 suspects, écumant les milieux PPA et autres sympathisants nationalistes.

Aux opérations militaires (par bombardements et mitraillages) succèdent

les exécutions par les autorités civiles et milices autoproclamées à

Guelma et dans les villages alentour. Du 13 au 19 mai, les milices d’Achiary

et la gendarmerie procèdent à une exécution systématique des Algériens suspects

actifs ou proches des courants nationalistes indigènes. Leur liquidation

et leur disparition dans des fosses communes aux alentours de Guelma se

firent en toute impunité. Le préfet Lestrade-Carbonnel, accompagné du général

Duval, ayant promis de tout couvrir, « même les bêtises » alors qu’il s’était

rendu à Guelma le 13 mai 1945. Les exécutions ne cesseront qu’en juin tandis

qu’une mission d’enquête fut entretemps diligentée. Missionnée par Paris, la

commission Tubert fut interrompue le 26 mai… les premières informations

difficilement recueillies sur place s’étant révélées être trop sensibles politiquement

pour le GPRF.

Courant juin, Achiary et ses milices, comprenant qu’ils ne peuvent cacher

les atrocités commises depuis un mois, commencent à faire disparaître les

cadavres des Algériens massacrés, utilisant des fours à chaux au nord-est de

Guelma. Mais les charniers sont nombreux, dans plusieurs sites autour de

Guelma. Le nombre de victimes dans la région est estimé à 12 Européens et

2 000 indigènes dont pratiquement la moitié de la ville de Guelma. À Paris,

alors que l’épuration continue de s’étendre tout en affaiblissant le GPRF, les

autorités minimisent la réalité de la répression dans le Constantinois. Les

forces de souveraineté n’ont pas reçu de renforts de métropole, mais la

liberté d’action qui leur a été accordée de fait aura donné l’illusion d’une

pacification durable.


Exécutions sommaires préventives à Guelma 255


LA GUERRE D’INDÉPENDANCE

1954-1956, LE DÉBUT

DE LA GUERRE D’ INDÉPENDANCE

arallèlement aux opérations militaires qui frappent Sétif et Guelma,

P

la police procède à des arrestations massives dans tous les milieux

militants, AML, PPA et ulémas. Ferhat Abbas lui-même est emprisonné

alors qu’il se trouve à Alger pour adresser un message de félicitations

au Gouverneur général. Il sera détenu avec Bachir el Ibrahimi dans la même

cellule à la prison civile de Constantine.

La répression qui s’abat sur tous les militants à partir de mai 1945 touche

particulièrement le PPA. Alors que celle-ci frappe les régions de Sétif et de

Guelma, la direction du PPA tente de réagir en lançant

un mot d’ordre d’insurrection aux cellules les

plus actives, mais, avec les arrestations dans les

villes, l’ordre est annulé. Ceux parmi les militants

qui ont pu échapper à la nasse policière entreprennent

la formation d’un groupe spécialement

prévu pour la lutte armée : l’Organisation secrète

(OS). Avec des cadres discrets et disciplinés s’organise

progressivement une branche armée du

MTLD, émanant du bureau d’Alger (tendance centraliste).

On trouve à sa tête Mohamed Belouizdad

à qui succéderont Aït Ahmed et Ben Bella. Mais

l’OS sera démantelée par la police en 1950. Sur

le millier d’activistes clandestins de l’OS, seule la

moitié parviendra à échapper aux arrestations.

Parmi les militants sortis des filets de la DST française,

certains se réfugient à l’étranger comme

Ben Bella et Aït Ahmed (après leur hold-up de la

Les six chefs du FLN avant le

poste d’Oran en 1949) tandis que le MTLD cherche

déclenchement de la révolution du

à se démarquer de l’organisation, pour ne pas finir 1 er novembre 1954.

emporté à son tour.

Debout, de gauche à droite : Rabah

Dans ces années 1950-1953, le parti de Messali Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche

Hadj voit sa cohésion affaiblie, avec plusieurs Mourad et Mohamed Boudiaf. Assis :

tendances antagonistes, dont celle issue des Krim Belkacem et Larbi Ben M’Hidi.


1954-1956, le début de la guerre d’indépendance 257

membres de l’OS. Jusqu’en 1954, ces activistes essaient de rallier les autres

ailes du MTLD à leur projet d’action armée. Avec la création par Mohamed

Boudiaf du CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’action) en mars 1954,

les diverses tendances du MTLD tentent une dernière fois d’aligner une position

commune sur le projet d’insurrection. À la suite de cette ultime tentative

qui n’a pas abouti à l’adhésion de l’ensemble des groupes MTLD, messalistes

et centralistes, un nouveau groupe de militants issus de l’OS apparaît. Très

déterminé, ce « groupe des 22 » est réuni par Boudiaf en juin 1954, dans une

villa du Clos-Salembier (El Madania), à Alger. Parmi eux, Mostefa Ben Boulaïd,

Larbi Ben M’Hidi, Didouche Mourad, Rabah Bitat forment avec Boudiaf

le groupe très restreint des décideurs de l’insurrection à venir. Avec Krim

Belkacem, vivant déjà replié dans le maquis de Grande Kabylie depuis 1947,

ils se donnent quatre mois pour organiser l’insurrection, avec des moyens

matériels très faibles.

Quant aux autres membres de l’OS réfugiés en Égypte, Ben Bella, Khider

et Aït Ahmed, ils bénéficient du soutien du mouvement des Officiers libres

dirigé par Nasser depuis 1953. En octobre 1954, le groupe clandestin des six

chefs historiques de l’insurrection algérienne crée le FLN, ou Front de libération

nationale, rassemblant un millier d’hommes mal armés. Ces jeunes militants

sont prêts à se battre aussi longtemps qu’il faudra pour que les

Algériens recouvrent leur indépendance, tel est l’objectif fixé par le FLN, dont

le nom est encore totalement inconnu des autorités françaises.

Quatre mois plus tôt, en juillet 1954, la France, qui venait de subir une lourde

défaite face aux indépendantistes vietnamiens à Diên Biên Phu, doit également

affronter l’instabilité dans les deux protectorats du Maroc et de la Tunisie, où

règne un calme précaire à la suite des émeutes nationalistes en 1952 et 1953.

À Paris et Alger, peu se doutent que se prépare une insurrection nationaliste.

Pourtant, le général Duval, responsable du commandement militaire lors de la

répression de 1945, avait bien annoncé qu’il avait donné « la paix pour dix ans ».

Le réveil nationaliste était en effet inéluctable surtout dans les régions du

Constantinois, marquées par la répression. La région la moins colonisée de

toute l’Algérie est en outre habitée par de nombreuses populations montagnardes,

demeurées très peu en contact avec les populations européennes,

notamment dans la région des Aurès, restée longtemps sous-administrée. Des

milliers d’hommes de l’Est algérien ont surtout participé aux deux guerres

mondiales et à la récente guerre d’Indochine avec leurs voisins européens. De

nombreux Algériens mettront leur expérience de la guerre au service de la lutte

armée, anciens officiers de tirailleurs algériens comme Krim Belkacem, ou soldats

survivants des combats de l’Indochine. De même, les premières armes

modernes seront pour la plupart issues des stocks de la Seconde Guerre mondiale,

cachées à la suite des combats de 1943 en Tunisie et en Libye (armes allemandes

et anglaises…), d’où partira un important trafic en direction des maquis

du FLN. Les hommes du FLN (Bachir el Kadi notamment) organisent un trafic

d’armes dès l’été 1954 par la Libye et le Sud tunisien.



LA «TOUSSAINT ROUGE »

es attaques orchestrées par le FLN le 1 er novembre 1954 sont le

L

signal de départ de l’insurrection des indépendantistes algériens. En

ayant réussi à s’attaquer quasi simultanément à plusieurs casernes

et dépôts en plusieurs points du territoire algérien, le FLN a montré sa capacité

à organiser une première opération spectaculaire, malgré la faiblesse de

ses moyens. Le résultat militaire des quelque 70 attentats du 1 er novembre

est en effet relativement limité. Mais la présence de victimes européennes

choque l’opinion française. Avec les attaques de casernes et les sabotages

plus ou moins réussis, l’embuscade des gorges de Tighanimine et le siège

d’Arris sont les événements sur lesquels se focalisent l’opinion publique mais

surtout les autorités militaires françaises. Avec la région des Aurès, c’est

surtout dans l’est de l’Algérie que le FLN a le plus agi. Alger et la Kabylie

toute proche, fief de Krim Belkacem, sont le théâtre de plusieurs actions.

C’est autour de Constantine et Batna où des chefs du FLN ont constitué des

premiers maquis que les attaques ont été les plus hardies.

La réaction d’Alger fut d’abord policière, en procédant aux traditionnelles

arrestations massives et en s’attaquant au MTLD, qui ignore lui-même le

FLN. Après l’embuscade du 1 er novembre sur la route de Batna à Ghoufi et

les attaques à Khenchela, la région des Aurès apparaît bien vite pour les

autorités militaires comme la principale région où elles déploient leurs

troupes.

La première opération militaire vise tout particulièrement le secteur du

douar Ichmoul, supposé abriter les meneurs des attaques du 1 er novembre.

À l’opération « Ras Trabouch » et « Ali Baba » de décembre 1954 où Grine

Belgacem sera abattu, succèdent « Véronique » et « Violette » en janvier 1955.

La région est très boisée, notamment le nord des Aurès entre Khenchela et

Batna, ce qui complique les bouclages et ratissages d’une armée française

encore inadaptée, malgré l’envoi de parachutistes et du 11 e choc (force spéciale

de l’armée et du contre-espionnage). Considérées comme des opérations

de maintien de l’ordre, les actions de l’armée et de la gendarmerie, qui

sont loin de maîtriser le terrain, s’accompagnent cependant de nombreuses

destructions de douars, supposés ravitailler les rebelles.

Le général Cherrière qui arrive sur le front constantinois début 1955 comprend

qu’il lui faut non seulement des renforts en hommes mais qu’il doit


260 Atlas historique de l’algérie

également pratiquer un contrôle des populations des douars suspects. C’est

ainsi qu’il fait déplacer de force plusieurs populations indigènes hors des

zones montagneuses. En les faisant descendre vers la plaine, ces populations

se retrouvent enfermées dans le premier camp de regroupement à Touffana,

qui servira de modèle pendant tout le reste de la guerre, qui ne dira jamais

son nom.

Pourtant, les soldats du contingent seront maintenus dès mars 1955 en

Algérie, face à la recrudescence des attentats du FLN. Des moyens supplémentaires

sont donnés progressivement à l’armée française, émanant du

gouvernement d’Edgar Faure, qui permet la mise en place de l’état d’urgence

(avril 1955, d’abord dans les Aurès et la Grande Kabylie) et de mesures

répressives contre toutes les populations suspectes de collusion avec les

rebelles (pratique de la punition collective, mai 1955). Avec ce nouvel arsenal

légal dont disposent l’armée, les gendarmes et les policiers en Algérie, des

populations se trouvent brutalement confrontées à la répression très violente,

provoquant de nombreux recrutements auprès de la jeune ALN.


La « Toussaint rouge » 261

Subissant une forte pression militaire dans les Aurès, les chefs de l’ALN,

dont Youcef Zighoud, préparent une extension de l’insurrection dans le Nord-

Constantinois. Le 20 août 1955 les attaques contre les centres européens et

les casernes affecteront toute la région au nord et à l’est de Constantine.

Avec la terrible répression consécutive aux attaques du 20 août, un tournant

s’opère dans la guerre. L’armée française et les milices, après les exactions

commises, font entrer dans le camp des indépendantistes des centaines de

volontaires. Après l’été 1955, le travail des chefs du FLN-l’ALN notamment à

partir des zones Aurès et Kabylie est d’essaimer de nouvelles cellules organisées

dans toutes les villes. Mais c’est seulement à partir de fin 1955-début

1956 que les actions militaires de l’ALN connaissent un nouveau développement.

La région des Aurès-Nementcha, où se trouve déployée une grande

partie des forces françaises, est également la partie de l’Algérie qui reçoit la

plus grande partie des armes en provenance de la Tunisie. Avec la fin du

protectorat français à Tunis en mars 1956, l’ALN accroît considérablement

son potentiel militaire en établissant plusieurs bases arrière et en y faisant

transiter les précieuses armes attendues par les maquis.

Depuis avril 1955, les indépendantistes du FLN ne sont plus vraiment

seuls. Leur cause a été évoquée à la conférence des pays afro-asiatiques de

Bandung en Indonésie. Avec l’Égypte et la Tunisie, le FLN dispose de solides

appuis parmi les « pays frères ». Le président Nasser est à ce sujet désigné

par le gouvernement Guy Mollet, socialiste, comme en partie responsable

de la situation en Algérie. En juillet 1956, un corps expéditionnaire francobritannique

interviendra contre sa politique sur le canal de Suez. Mais Guy

Mollet, qui a fait voter les pleins pouvoirs en mars 1956, sous la pression de

la rue algéroise, voudrait écraser la rébellion, qui multiplie les embuscades

spectaculaires. C’est dans toutes les régions montagneuses de l’Algérie que

les plus fortes pertes de l’armée française sont recensées. Avec l’embuscade

retentissante de mai 1956 dans les gorges de Palestro, l’opinion publique

française mesure la réalité d’une guerre toujours censurée par le pouvoir

politique. Car pour ce dernier ces événements se produisent bien dans des

départements français et non pas contre un pays étranger. L’afflux massif de

soldats français et le maintien des appelés en Algérie à partir de 1956 provoquent

inévitablement plus de pertes de part et d’autre.

Malgré son déploiement massif dans tout le territoire algérien, les forces

françaises ne maîtrisent toujours pas les régions montagneuses où le commandement

fait appel à des troupes supplétives d’indigènes. L’idée n’était pas

nouvelle mais avait émergé dans les Aurès, où l’ethnologue Jean Servier avait

monté en février 1956 une petite harka pour lutter contre les maquisards de

l’ALN. Malgré tout, l’ALN inflige de nombreuses pertes aux forces françaises

dans les Aurès. Les populations subissent quasi systématiquement les

réponses disproportionnées de l’armée. Des milliers d’Algériens fuiront ainsi

vers la Tunisie, et s’installeront dans des camps de réfugiés, alimentant l’ALN

de nouvelles recrues, toujours plus nombreuses. Car les arrestations systématiques

des hommes et la destruction des mechtas et villages ne laissent

que peu de choix aux Algériens des Aurès. Ils partent en Tunisie ou prennent

le maquis sur place. Dans les forêts de Bouhmama ou dans les grottes des

Nementcha, toute une armée invisible harcèle les postes français la nuit

tombée. Mostefa Ben Boulaïd, l’un des premiers chefs du FLN, est l’un de


262 Atlas historique de l’algérie

ces combattants. Il est activement recherché par l’armée française depuis

son évasion de Constantine. Localisé dans la région de l’oued el Abdi, il est

pourtant difficile de mener des opérations contre lui dans cette région au

relief tourmenté. C’est le Service de documentation extérieure et de contreespionnage

(SDECE) dépendant du Premier ministre français qui organise

l’élimination de Ben Boulaïd. En parachutant un poste radio piégé, l’ancêtre

de la DGSE parvient à tuer le chef FLN de la wilaya I en mars 1956. Cependant,

le massif des Aurès, même déclaré zone interdite depuis mars 1956,

continue d’abriter plusieurs katibas (bataillons) de l’ALN. La bataille de l’oued

el Hallail en juin 1956 dans le sud des Nementcha témoigne de la solidité

des unités algériennes dans cette région au relief lunaire, très propice à la

guérilla. C’est par cette région, qui forme la bordure du Sahara, que transite

une partie des armes en provenance de Tunisie. Cette région sera le théâtre

d’opérations militaires françaises jusqu’en 1961.


La Dépêche quotidienne, 2 novembre 1954.



AOÛT 1955 : L’ EMBRASEMENT

DU NORD-CONSTANTINOIS

e soulèvement pro-FLN autour de Constantine en août 1955 est le plus

L

souvent désigné sous le nom de « massacres du Nord-Constantinois »

ou massacres de Philippeville. Mais le département de Constantine en

1955 est bien plus vaste que la région concernée, limitée aux secteurs de Philippeville,

Collo, El Milia, Guelma, el Khroub et Aïn Abid, Sidi Mabrouk (faubourg de

Constantine) et dans les villages entre Constantine et la baie de Philippeville.

Quant à Philippeville, c’est dans cette ville que l’insurrection fut la plus surprenante

et la répression de l’armée la plus massive. Ainsi, une localisation cartographiée

s’avère indispensable pour mesurer l’étendue réelle des actions des

insurgés et de l’armée à partir d’août 1955. Le déclenchement d’un soulèvement

paysan encadré par des soldats de l’ALN provoqua des opérations militaires massives

jusqu’en septembre 1955 et la mise place d’un déploiement militaire quasi

permanent dans les campagnes de la région, marquant un changement brutal

dans la politique algérienne du gouvernement français.

Plusieurs cibles avaient été préparées par Youcef Zighoud avant l’attaque

du 20 août 1955. Des commandos de l’ALN appuyés par les paysans munis

d’armes blanches devaient attaquer diverses casernes, commissariats, cafés

européens, gares, postes… Des villages coloniaux dans lesquels la population

européenne se trouvait en minorité furent assiégés par des hommes en

armes mais surtout par une foule de civils. Toute une population indigène

participa aux attaques dans les villages désignés, dont Philippeville où les

habitants des douars proches investissent le centre-ville avec ou sans armes.

Malgré le nombre des insurgés descendus pour attaquer le centre de Philippeville,

la réaction immédiate des militaires fait rapidement fuir les milliers

d’Algériens. Ce fut le cas à Guelma et à Constantine, où les garnisons locales

sortent immédiatement mitrailler les insurgés. Cependant, plusieurs villages

ont été attaqués simultanément par les révoltés ou cernés par une foule de

paysans notamment au sud de Philippeville et dans le secteur d’El Halia, où la

population européenne est en partie massacrée. 33 personnes ont été tuées

à l’arme blanche, dont plusieurs enfants. Un scénario quasi similaire se produit

dans le village d’Aïn Abid, où 7 habitants européens sont tués dans les

mêmes conditions. Dans les autres villages isolés et à Philippeville, on

compte 31 tués parmi les Européens ; une cinquantaine d’Algériens sont


266 Atlas historique de l’algérie

assassinés parce qu’ils sont supposés profrançais

ou pour d’autres motifs, de nombreux indigènes

ayant choisi de s’interposer et de protéger des

familles européennes.

Après le premier choc de l’attaque lancée en plein

jour (à midi) dans le centre de Philippeville, à Guelma

et à Constantine, la réaction immédiate de l’armée

avait rapidement et violemment éclairci la foule des

insurgés, poursuivis jusqu’aux douars proches.

L’ampleur de l’insurrection et les massacres des

familles européennes d’El Halia et Aïn Abid entraînent

une riposte militaire massive et aveugle pendant plus

de trois semaines. Les régiments de parachutistes

coloniaux déjà présents à Philippeville ainsi que plusieurs

autres régiments d’élite seront déployés dans

toute la région autour de Philippeville jusqu’à El Milia.

Couverture de Paris Match,

Comme en 1945, les populations des douars, surtout

septembre 1955.

les hommes, s’enfuient dans les forêts et les montagnes.

L’armée, appuyée par des gendarmes et miliciens européens procèdent à

de nombreuses exécutions sommaires. Les reportages de l’envoyé spécial du journal

Le Monde Georges Penchenier, qui se trouve sur place, témoignent de cette

répression impitoyable dès le 20 août 1955. À Philippeville, il constate que la troupe

opère « un ratissage impitoyable dans les quartiers périphériques ; et si les chiffres

officiels ne situent qu’aux environs de deux cents le nombre de musulmans abattus

à Philippeville même, on admet, d’une façon générale, que les communiqués ont

voulu minimiser l’importance de la répression et qu’il doubler, sinon tripler, ces

chiffres » (Le Monde, 23 août 1955). En réalité il y aura environ 1 500 musulmans

tués dans la banlieue de Philippeville. Dans ses pages du 24 août 1955, le journaliste

du Monde rapporte la destruction de hameaux dans le Constantinois. Il estime

qu’environ 5 200 « rebelles » ont été tués de sang-froid par les militaires dans les

secteurs de Condé-Smendou (Zighoud Youcef), Oued Zenati (Aïn Abid) et Hammam

Meskoutine. Autour d’El Halia, où s’est produite la tuerie des familles européennes,

l’armée extermine des populations entières, comme la mechta Zef Zef, proche des

carrières romaines, où femmes, enfants et vieillards sont massacrés…

L’aviation bombarde quant à elle tous les secteurs isolés, notamment les

montagnes boisées à l’est d’El Arrouch et la région autour d’El Milia. Bien

que ce secteur n’ait pas été attaqué par les insurgés, il est particulièrement

réprimé par l’armée française, qui bombarde les montagnes, refuge de petits

groupes de maquisards. Des fosses communes apparaissent, comme dans le

djebel Filfila, sur le littoral proche de Collo et à proximité du Khroub. Les

opérations répressives se poursuivent jusqu’à la fin du mois d’août au

moment où des tracts sont parachutés pour faire revenir la population dans

ses douars. Plusieurs opérations seront malgré tout lancées dans la

presqu’île de Collo à partir du 13 septembre 1955.

Cette guerre de représailles d’août 1955 transforme le visage de la guerre.

Avec la vision des corps suppliciés d’Européens et l’implication de certaines

unités françaises dans des opérations de répression aveugle, qui ont fait

12 000 morts, les « événements » se transforment en une guerre, dans

laquelle les non-combattants sont particulièrement exposés.


Août 1955 : l’embrasement du Nord-Constantinois 267

Les marins conduisent au cimetière les victimes d’Oued Zenati, 20 août 1955.



LA RIPOSTE MILITAIRE

FRANÇAISE EN 1954-1956

vec les nouveaux pouvoirs spéciaux dont dispose l’armée en Algérie,

A

les militaires, gendarmes et policiers ont quasiment carte blanche

pour détruire le FLN et l’ALN. Les opérations s’étendent à toute

l’Algérie, que le gouverneur Jacques Soustelle a voulu faire contrôler dans

toutes les régions même isolées, avec la mise en place des nouvelles sections

administratives spécialisées. Créées en 1955, les SAS doivent combler le vide

administratif dans les bleds, notamment dans les régions de montagne,

pauvres et livrées à un vague contrôle des caïds et autres notables musulmans

censés les représenter. Il s’agit en outre de disposer de toutes les

informations utiles sur les populations en partie acquises au discours nationaliste

du FLN. Mais avec les méthodes coercitives du FLN (levée d’un impôt

de guerre, justice expéditive des traîtres…), les indépendantistes ne font pas

toujours l’unanimité dans tous les douars. La population des campagnes

découvre le FLN quasiment en même temps que les autorités françaises,

surtout dans l’ouest où son implantation est encore moins forte. Avec les

massacres et les opérations répressives de 1955, pratiquement tout l’Est

algérien est cependant acquis aux thèses du FLN. Les autorités françaises

entreprennent néanmoins de susciter des forces concurrentes, avec le

recours aux groupes mobiles de protection rurale (GMPR), moghaznis (qui

protègent les SAS) et autres harkas, où s’engagent de gré ou de force des

paysans attirés par la solde, ou voulant se venger des exactions des hommes

du FLN.

Le 2 e bureau de l’armée s’intéresse particulièrement à la branche armée

du MNA (Mouvement nationaliste algérien). Interdit depuis novembre 1954, le

MTLD avait éclaté et laissé le FLN se développer hors des bureaux centraliste

et messaliste. Cette dernière tendance dénonce et condamne le choix du FLN

d’avoir déclenché une insurrection jugée prématurée. Messali Hadj, en résidence

surveillée, n’a plus la main sur les militants d’Algérie impliqués malgré

eux dans la guerre du FLN. Le MNA, nouveau parti que Messali Hadj fonde

en décembre 1954, disposera malgré tout de son bras armé en Algérie, sous

l’autorité de Mohammed Bellounis. En France, de nombreux militants algériens

du MNA sont originaires de la Soummam, où Bellounis tente d’abriter


270 Atlas historique de l’algérie

son armée mais Amirouche Aït Hamouda, qui commande la wilaya III,

l’empêche de s’installer. Bellounis est contraint de trouver refuge dans les

régions au sud des Bibans, dans les montagnes

de l’Ouennougha et chez les Ouled Nail.

C’est dans cette région que le

2 e bureau arme discrètement

Bellounis, afin qu’il dispose de

moyens substantiels contre les

maquis de l’ALN.

La priorité de l’État-major français

est avant tout de quadriller le terrain

dans le nord de l’Algérie. Le territoire à

surveiller est immense : environ 700 km de long

entre la Tunisie et le Maroc aux frontières encore perméables et 200 km de

large, de la mer au bord du Sahara. C’est pourquoi l’armée française utilise

massivement l’hélicoptère, moyen encore assez marginal en 1955, quand plusieurs

bases sont spécialement aménagées. À Sétif (Aïn Arnat) et à Boufarik,

deux grandes bases d’hélicoptères servent l’ALAT (aviation légère de l’armée de

terre) non seulement pour la reconnaissance mais surtout, à partir de 1956, pour

lancer des assauts surprises contre les maquis de l’ALN. Ce fut la tâche des

unités d’élite (parachutistes et légionnaires) d’utiliser les héliportages en contreguérilla,

inaugurant une technique qui sera systématisée et reprise massivement

par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam. Des bases opérationnelles

supplémentaires seront ensuite implantées sur tout le territoire et tout le long

des barrages est-ouest. Sur mer, la marine française s’emploie à intercepter

les convois d’armement destinés aux bases de l’ALN au Maroc comme avec

l’arraisonnement du navire Athos en mars 1956. Malgré ces nouveaux moyens

militaires, les embuscades contre l’armée française augmentent sensiblement

en 1956.

L’État-major français est conscient des limites de ses opérations contre

une armée extrêmement mobile et ravitaillée aux frontières tunisiennes et

marocaines. La construction de barrages se trouve entreprise à partir de l’été

1956 tandis que le littoral algérien est le théâtre d’interceptions de navires

remplis d’armes à destination de l’ALN. La fermeture hermétique de l’Algérie

est décidée par le ministre de la Défense André Morice, qui donne son nom

aux 1 200 km de barbelés en partie électrifiés, qui sont installés le long de la

frontière tunisienne. Cette première ligne sera doublée en 1957 par un second

barrage dit arrière, longeant la voie ferrée Bône-Tébessa.

Le 20 août 1956, les indépendantistes du FLN tiennent leur congrès dans

une maison reculée sur les hauteurs de la vallée de la Soummam. Organisé

par les chefs FLN de l’intérieur, ce congrès reprend et précise les modalités

d’un futur État algérien, en rédigeant une plateforme, qui détermine les différentes

limites des wilayas, organise le fonctionnement de l’ALN, et souligne

la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, c’est-à-dire la place centrale du gouvernement

FLN et de son armée combattant en Algérie par rapport à la délégation

extérieure et l’ALN basée aux frontières. Un Conseil national de la

Révolution algérienne (CNRA) est institué, chargé des décisions fondamentales

(Stora).


La riposte militaire française en 1954-1956 271

La France n’a pas négligé la voie diplomatique pour tenter d’obtenir un

cessez-le-feu. Dès avril, puis en juillet et en septembre 1956, des négociations

secrètes sont entamées entre le gouvernement Guy Mollet et la délégation

extérieure du FLN. Mais la voie diplomatique est brutalement

interrompue avec l’interception de l’avion qui transporte la délégation FLN le

22 octobre 1956. Les quatre chefs historiques du FLN Ahmed Ben Bella,

Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Khider sont envoyés en

prison à Paris.



LA KABYLIE DANS LA GUERRE

a Kabylie constitue avec les Aurès l’autre fief des indépendantistes

L

du FLN. Sa situation géographique à une heure d’Alger et ses montagnes

crénelées de villages représentent le refuge idéal des militants

du FLN, dont le chef historique Krim Belkacem y vit recherché depuis

1947 avec son adjoint Ouamrane. Dès le 1 er novembre 1954, plusieurs sites

de la région ont été ciblés par le FLN. La présence française s’y trouve assez

réduite, dans les villes de Tizi Ouzou, Bougie et Dellys et les quelques villages

où vit une petite population européenne autour du massif du Djurdjura comme

Camp-du-Maréchal, Palestro, Draa el Mizan, Maillot, Akbou. L’état d’urgence

est décrété en Grande Kabylie où les premières opérations militaires sont

engagées dès l’hiver 1954-1955. C’est autour de Draa el Mizan que les forces

françaises tentent de déloger les maquisards commandés par Krim Belkacem

et Ouamrane, évoluant dans les forêts des Beni Khalfoun et les gorges

de l’oued Isser, dans la région de Palestro. L’ALN mène de nombreuses

embuscades en 1956, notamment dans les gorges de Palestro, où 20 militaires

français tombent à proximité en mai (oued Djerrah). Aux actions spectaculaires

des unités ALN succèdent plusieurs grandes opérations militaires,

au nord et au sud de Tizi Ouzou où se trouvent les reliefs boisés. Après la

tentative manquée du 2 e bureau de créer un maquis anti-FLN (opération

« Oiseau Bleu »), l’opération « Djenad » est lancée dans la région de Tigzirt

mais les chasseurs alpins qui y sont installés continuent de subir de nombreuses

pertes. La région orientale de la Grande Kabylie, couverte en partie par

l’immense forêt d’Akfadou, est quant à elle le repaire du colonel Amirouche Aït

Hamouda qui contrôle toute la Soummam depuis son intervention contre les

Ifraten en avril 1956. Une partie de la population ayant été armée par les autorités

françaises fut massacrée pour « passage à l’ennemi ».

La tenue du congrès de la Soummam à proximité d’Ifri témoigne de cette

maîtrise du terrain par l’ALN locale. Les traditionnels bouclages-ratissages

de l’armée française ne parviennent pas à entamer le potentiel de la wilaya III

qui atteindra 19 katibas en 1957. La Petite Kabylie est occupée par les maquis

de la wilaya III et II, où l’armée française tente d’affaiblir l’ALN avec l’opération

« Espérance », lors de laquelle plusieurs villages sont détruits et leur population

regroupée de force. La population paie le prix fort de la répression militaire,

avec de très nombreuses destructions de villages kabyles (situés en

général sur les crêtes) et la mise en place de camps de prisonniers pour

traiter les suspects d’une région acquise au FLN.



L’ALN À SON APOGÉE EN 1957

partir de ses grandes régions refuges des Aurès et de Kabylie, l’ALN

A

s’était progressivement constitué des nouvelles zones de maquis.

Dans la région littorale entre Bougie et Collo, 16 katibas tenaient la

chaîne montagneuse des Babors-Zouagha jusqu’aux forêts de Collo. La

région, qui bénéficie du transfert d’armes en provenance de Tunisie mais qui

aurait obtenu des parachutages, est en 1957 et 1958 le théâtre de nombreux

combats. Une véritable bataille se déroule en avril 1958 dans le secteur d’El

Milia tandis que les moudjahidine des Babors multiplient les embuscades dans

les gorges de Kerrata. Cependant, la Grande Kabylie et la Soummam sont frappées

par des purges sanglantes, conséquence d’une opération de désinformation

menée par le 2 e bureau (« les bleus de chauffe »). Des jeunes militants FLN

« retournés » lors de la bataille d’Alger sont engagés par le capitaine Léger

pour infiltrer les maquis de Grande Kabylie et créer la suspicion générale. Des

centaines d’Algériens auraient été tués pendant ces purges de la wilaya III.

Les massifs de l’Atlas blidéen et du Dahra accueillent de nombreux jeunes

fuyant Alger, dont la population algérienne est prise dans l’étau des régiments

parachutistes (voir carte Bataille d’Alger). Les soldats de l’ALN infligent parfois

de lourdes pertes aux colonnes de l’armée française, comme à proximité

de Dupleix (Gouraya) où elle perd 22 soldats. De même, les moudjahidine

commandés par Si Azzedine occupent encore la région à l’ouest des gorges

de Palestro. La région au sud de la Grande Kabylie, peu peuplée, est sous

l’influence de l’armée de Bellounis, qui dispose de 3 000 hommes. Le commandement

français compte bien l’utiliser pour neutraliser les maquis ALN

du djebel Amour, où les moudjahidine

commandés par Si Haouès ont infligé

des pertes sensibles à l’armée française

en 1957. Malgré quelques

succès contre l’ALN, Bellounis se

retrouve assez vite isolé, suite à la

désertion d’une partie de ses

hommes passés à l’ALN. Lâché par

ses contacts militaires français, il

finit par être éliminé avec ses derniers

fidèles en mai 1958, au nord de Ticket de cotisation pour le FLN.


276 Atlas historique de l’algérie

Djelfa. Mais les manœuvres de Bellounis dans la région de l’Ouanougha ont

placé les populations locales dans des situations intenables. Amirouche

envoie son lieutenant Mohammed Saïd reprendre le contrôle des douars dissidents

en mai 1957. Mais l’intervention des djounouds kabyles tourne au massacre

avec la mort de 320 hommes de la Mechta Kasba chez les Beni Ilmane.

Par sa position, le massif du Hodna voisin assure le passage des convois de

l’ALN entre les Aurès et l’Algérois. Deux bataillons occupent ces montagnes très

boisées, que de nombreux militants

des villes nationalistes de Sétif-Saint-

Arnaud rejoignent. À l’ouest du massif,

une grande embuscade sera tendue

aux spahis de Bordj Ghedir en

février 1958, trois mois après la bataille

de Ras Guedanne dans les Aurès

(20 tués chez les paras du 18 e RCP).

Dans l’ouest de l’Algérie avaient été

constitués plusieurs grands maquis

ALN, entretenus par l’armement

stocké au Maroc. C’est principalement

dans les régions les plus boisées,

comme au sud de Tlemcen, autour de

Saïda et dans l’Ouarsenis, que les katibas

sont installées. Plus au sud, la

Groupe de moudjahidine dans la wilaya I.

région d’Aïn Sefra est la porte d’entrée de nombreux convois vers l’Algérie, les

monts des Ksour assurant des abris favorables aux 8 katibas de l’ALN. Avec la

proximité des bases marocaines de l’ALN, la région des Ksour est le théâtre de

plusieurs combats, mais l’intervention systématique de l’aviation française dans

ces régions semi-désertiques limite fortement la mobilité des moudjahidine.


LES OPÉRATIONS FRANÇAISES,

1957-1958

a bataille d’Alger focalise tous les regards en janvier 1957, avec la

L

mobilisation d’un grand nombre d’unités d’élite, dont une partie

(1 er RCP, 2 e RCP, 3 e RCP) avait participé à l’opération sur le canal

de Suez avec les Britanniques en novembre 1956. Cependant, la guerre n’en

continue pas moins dans le reste de l’Algérie avec un nouveau commandement

français déterminé à écraser les indépendantistes. Depuis le

1 er décembre 1956, le général Salan a été nommé chef d’État-major de

l’armée. Il attend avec impatience l’achèvement du barrage électrifié en face

de la Tunisie et de ses bases de l’ALN. L’armée du FLN est parvenue à étendre

son emprise sur la majeure partie du territoire algérien. Quant à l’Organisation

politico-administrative (OPA) du FLN, son démantèlement constitue un

des objectifs principaux du général Salan. Ce sont les deux grands fronts sur

lesquels il a l’intention de porter ses efforts. Détruire l’OPA et asphyxier l’ALN

en verrouillant les frontières.

En juillet 1957, le barrage intérieur (ligne Morice) est achevé sur 1200 km.

Salan déploie le maximum de troupes très mobiles (paras, légionnaires) à l’affût

sur le barrage pour traquer et détruire tout convoi de l’ALN qui parviendrait à

franchir les champs de mines et les barbelés électrifiés. Il s’agit de bloquer le

ravitaillement en armes et munitions vers les maquis de l’intérieur. Avant

même d’atteindre les côtes algériennes ou marocaines, plusieurs navires sont

arraisonnés par la marine française en 1958. Quant aux convois en provenance

des bases et dépôts de l’ALN en Tunisie, ils passent très difficilement. L’utilisation

du napalm pendant les appuis aériens a été une pratique très fréquente

pendant la guerre d’Algérie. Les opérations militaires s’intensifient sous le

commandement du général Salan qui est un ancien d’Indochine. Il est un des

principaux haut gradés partisans des techniques de la guerre antisubversive.

En 1957, le général Salan dispose de moyens considérables avec

400 000 soldats, pour contrôler le territoire algérien, qui est maintenant quasi

hermétique aux frontières. Les forces françaises sont appuyées par les nombreux

corps auxiliaires locaux. Depuis 1955 leur nombre s’est considérablement

accru tandis que leurs missions ont évolué de positions défensives à

offensives. Les supplétifs de l’armée française qui combattent l’ALN étaient


278 Atlas historique de l’algérie

12 000 en 1957. Salan décide de les intégrer aux unités régulières et d’augmenter

leur nombre à 25 000 en 1958, dont 4 500 au sein de groupements ou

commandos (avec des chefs ralliés). Ces soldats volontaires seront employés

dans presque toutes les opérations offensives tandis que les moghaznis, qui

sont 13 000 en 1958, continuent de protéger les SAS. En plus des soldats

algériens musulmans, Français de souche nord-africaine (FSNA) de l’armée

régulière française, le total des effectifs musulmans s’élève à environ

70 000 hommes. Mais une partie collabore avec le FLN, et déserte parfois

au profit de l’ALN (quelques centaines en 1957-1958). Les soldats de l’ALN

combattent l’armée française à un contre dix, et connaissent à partir de 1957

une baisse progressive de leur activité militaire dans les wilayas de l’intérieur.

Leurs pertes sont très importantes, avec environ 3 000 tués par mois dans les

premières années du commandement Salan. Les forces armées françaises

atteignent cependant un pic de 364 tués en mai 1958 (combats sur le barrage

à la frontière tunisienne).

Après la grande opération de nature policière dite « bataille d’Alger »,

Salan engage en 1958 l’élite de son armée sur le front est-constantinois, où

elle sera opposée à l’ALN basée en Tunisie pendant l’autre bataille, dite « des

frontières » ou encore « du barrage ». Ce combat fut probablement la seule

confrontation armée d’une telle ampleur pendant la guerre d’Algérie, opposant

des milliers de soldats français à l’ALN de la frontière est.


LA BATAILLE MILITARO-

POLICIÈRE D’ALGER

n accordant à l’armée l’autorité de police à Alger en janvier 1957, le

E

ministre résident Robert Lacoste déclare la guerre totale aux activistes

du FLN, après leurs attentats anti-européens de l’automne

1956. C’est de cette façon violente que la direction du FLN avait riposté quarante

jours après la mort de 53 personnes (dont de nombreuses femmes et

enfants) tuées le 10 août 1956 au cœur de la haute casbah, rue de Thèbes,

par une bombe de l’ORAF (Organisation de la résistance de l’Algérie française),

groupe extrémiste composé de Français de souche européenne. Ces

derniers, inquiets de la gestion de la guerre par le gouvernement socialiste,

étaient décidés à répondre eux-mêmes aux attaques du FLN qui touchent

particulièrement les Algériens profrançais et autres personnalités depuis le

début de l’insurrection. Auparavant, l’exécution de Zabana et Ferradj, premiers

militants FLN condamnés par une justice expéditive (le ministre de la

Justice Mitterrand ne graciait pas les activistes du FLN…) et guillotinés le

19 juin à la prison Barberousse, avait aggravé l’insécurité des Européens

d’Algérie, visés par de nombreuses attaques.

Malgré le bouclage de la casbah, où se trouve le commandement de la

zone autonome d’Alger (ZAA) dirigée par Larbi Ben M’Hidi, les activistes féminines

du FLN franchissent les barrages et font exploser les premières bombes

le 30 septembre 1956 au centre-ville, dans le quartier européen d’Alger. En réalité,

l’attentat du Milk Bar est surtout spectaculaire parce qu’il frappe le cœur

de la capitale de l’Algérie, vitrine de la réussite coloniale où réside la plus importante

population européenne du pays avec près d’un million d’habitants dont

600 000 Européens. Tous les journalistes étrangers résident dans le centreville,

à la recherche des informations sur les événements d’une guerre très censurée

par les autorités militaires.

Car les attentats FLN touchent pratiquement toutes les villes de l’Algérie,

où les rues principales avec leurs terrasses de café fréquentées par des

militaires sont fréquemment la cible d’attaques à la grenade ou au colis

piégé. La décision du FLN de frapper Alger s’inscrit dans une démarche de

visibilité internationale, à l’heure des premières discussions à l’ONU sur la

question algérienne en janvier 1957.


280 Atlas historique de l’algérie

Fin décembre, le climat de haine « anti-arabe » est illustré par la ratonnade

qui suivit l’attentat FLN contre Amédée Froger, président des maires

d’Algérie et activiste notoire des pro-Algérie française. Le FLN, qui contrôle

pratiquement toute la population indigène d’Alger à partir de la casbah, prépare

en outre un appel à la grève générale pour la fin janvier 1957. Mais avec

l’arrivée de Salan à la tête de l’armée depuis décembre 1956, la réponse des

autorités militaires sera terrible. La 10 e division parachutiste du général

Massu obtient carte blanche des autorités civiles (Lacoste) pour détruire

l’organisation FLN à Alger.

Le 7 janvier 1957, c’est une armée de 10 000 soldats qui quadrille la ville

et notamment les quartiers indigènes, avec la casbah comme objectif principal.

Il ne s’agit pourtant pas d’une campagne militaire classique mais d’une

vaste opération de police qui, pour aboutir à l’objectif fixé par le commandement,

se donne tous les moyens possibles sans aucun compte à rendre à la

justice légale sinon les résultats obtenus. Afin de parvenir au démantèlement

des structures du FLN, l’armée procède à des arrestations massives d’Algériens,

raflés dans toute la ville et dispersés dans plusieurs centres de triage

et de transit (CTT) ainsi que de nombreux sites d’interrogatoire dans les quartiers

périphériques d’Alger, souvent de belles villas sur les hauteurs. Car

l’acquisition du renseignement et son exploitation sont au cœur du système

mis en place par le commandement Massu et le colonel Godard pour détruire

l’organisation FLN en remontant progressivement aux chefs. Les interrogatoires

poussés, déjà utilisés par la police et la gendarmerie bien avant 1954

en Algérie, deviennent dans la bataille d’Alger une pratique systématisée.

Le contexte politique et la nature des unités employées dans cette bataille

expliquent la mise en place de certaines méthodes violentes de renseignement

pour obtenir des informations opérationnelles et détruire les réseaux

FLN. Face au développement du FLN et de ses actions spectaculaires pour

frapper l’opinion française et internationale, les politiques ont choisi la solution

du tout-militaire et de reporter d’éventuelles négociations pourtant au

programme de Mollet à son arrivée au pouvoir. Après avoir contraint Guy

Mollet à revoir sa politique jugée trop tiède en février 1956, et réclamé des

exécutions capitales de militants FLN, les Européens d’Algérie finissent par

obtenir leurs paras du ministre résident Robert Lacoste. En livrant Alger aux

4 000 parachutistes, le commandement Salan donnait aux unités du 1 er RCP,

2 e RPC et 3 e RPC qui avaient participé à l’expédition de Suez en octobre 1956

et parfois à la guerre d’Indochine l’occasion de gagner cette nouvelle bataille,

avec tout le soutien politique.

Le grand Alger se trouve découpé en plusieurs zones attribuées aux différents

régiments, qui y établissent PC et centre de renseignements. Mais deux

jours après l’impressionnant déploiement militaire, le FLN frappe le stade de

football d’El Biar le 9 janvier 1957. Les pleins pouvoirs de police attribués au

général Massu permettent à plusieurs officiers d’appliquer pleinement leurs

méthodes de lutte antisubversive. Le lieutenant-colonel Trinquier, ancien d’Indochine,

met en place son dispositif de protection urbaine (DPU) qui consiste en un

quadrillage des populations vivant en zone urbaine (casbah, bidonvilles…), avec la

numérotation des habitations et la désignation de chefs d’îlots, ces responsables

malgré eux sont contraints à renseigner les officiers français.


La bataille militaro-policière d’Alger 281

Remise de drapeau aux anciens parachutistes de la 10 e DP.

De gauche à droite : Marcel Bigeard, Jacques Massu, Roger Trinquier, Paul-Alain

Léger, 1957.

Les méthodes utilisées par les officiers de police et unités parachutistes

pour accumuler les renseignements sur les structures du FLN à Alger aboutissent

au recrutement d’activistes retournés ou ralliés, qui formeront le

groupe des « bleus de chauffe » du capitaine Léger, spécialiste de l’infiltration

du FLN et de l’ALN. À l’issue de l’arrestation de dizaines de milliers de personnes

et leur traitement dans les centres de tri et de renseignement,

l’armée élimine des centaines de suppliciés, et fait disparaître les morts ou

les militants jugés importants.

Le rouleau compresseur militaro-policier ne parvient pas cependant à

empêcher les trois bombes du FLN qui explosent le 26 janvier en plein centre

d’Alger, non loin des facultés. C’est à ce moment-là que le FLN lance son

mot d’ordre de grève générale. Le 28 janvier 1957, l’armée fait cependant

ouvrir de force les commerces ou les livre au pillage tandis que les travailleurs

algériens sont contraints à reprendre leurs activités. Les Algériens

sont soumis à un système de terreur, avec peur d’être dénoncés et détenus

dans les centres d’interrogatoire.

La remontée des filières avec les moyens extrêmes aboutit le 16 février

1957 à l’arrestation de Larbi Ben M’Hidi, le responsable de la zone autonome

d’Alger, qui sera liquidé une semaine plus tard par le commando d’Aussaresses

(unité spéciale du 11 e choc), qui avait déjà participé à de très nombreuses

exécutions sommaires à Philippeville en août 1955. Alors que


282 Atlas historique de l’algérie

l’organisation FLN est décimée, la direction du CCE (Comité de coordination

et d’exécution), menacée, quitte Alger, où les bombes se taisent jusqu’au

3 juin 1957, grâce aux derniers réseaux actifs de Yacef Saadi. L’attentat du

casino de la Corniche est quant à lui perpétré par Ali la Pointe, le lieutenant

de Yacef Saadi, pour tenter de détourner l’opinion du massacre de la Mechta

Kasba à Melouza fin mai par une unité de la wilaya III, et dont la couverture

médiatique avait porté atteinte à l’image du FLN.

Gendarmes et prisonniers délateurs lors de la bataille d’Alger, 1957.

En juillet-août 1957, la tentative de médiation de l’ethnologue Germaine

Tillion qui propose une trêve au FLN n’aboutit pas. Sa demande de suspendre

les exécutions des militants FLN comme le réclamait Yacef Saadi est refusée

par les autorités militaires, déterminées à achever le « travail ». En septembre,

le colonel Godard poursuit la traque des réseaux FLN avec ses infiltrés,

qui conduisent les parachutistes jusqu’aux caches de Yacef Saadi le

24 septembre 1957 et d’Ali la Pointe le 8 octobre 1857. Le dernier lieutenant

de Saadi, accompagné de Hassiba ben Bouali, périt dans l’explosion dans la

maison qui les abrite dans la basse casbah, à proximité de la rue qui porte

son nom depuis l’indépendance. Après l’élimination de plusieurs centaines

d’Algériens, dont les corps ont le plus souvent disparu, l’armée a bien rétabli

l’ordre à Alger, réduisant totalement l’activité armée du FLN.


La bataille militaro-policière d’Alger 283

L’armée et la police, qui ont suivi la logique politique d’élimination totale

de l’ennemi FLN, n’ont pas épargné certains militants européens liés aux

attentats, comme Maurice Audin ou Fernand Iveton, ni certaines personnalités

comme l’avocat Ali Boumendjel, qui a rejoint les disparus. De nombreuses

personnalités françaises se mobilisent contre les méthodes de la répression,

jugées inqualifiables. Les généraux Pâris de Bollardière et Billotte dénoncèrent

une « déchéance morale de l’armée ». Paul Teitgen, le secrétaire général

de la police d’Alger, demande sa démission. Plusieurs écrivains et

intellectuels de France et d’Algérie comme René Capitant (université d’Alger),

Jean-Paul Sartre, Hubert Beuve-Méry, directeur du Monde, Jean-Jacques

Servan-Schreiber de L’Express, Pierre Vidal-Naquet (alors jeune historien)

expriment leur rejet des pratiques militaires jugées immorales.

Les milieux ultras d’Algérie croient être quant à eux les grands bénéficiaires

du nouvel ordre militaire à Alger. La population européenne d’Alger a

fortement soutenu les régiments parachutistes qui ont régné dix mois dans

la ville. Des relations particulières de sympathie ont été nouées entre les

Européens et ces unités, surtout avec les ultras. Pour ces derniers, la solution

au conflit ne saurait être que militaire car ils ne font pas confiance aux politiques.

Le 13 mai 1958, les Européens d’Algérie se rassureront une nouvelle

fois par la présence des unités parachutistes. Parmi les futurs chefs de l’OAS

figureront plusieurs responsables français de cette « bataille d’Alger »

comme Godard ou Chateau-Jobert.

Après avoir participé aux opérations militaro-policières d’Alger contre le

FLN, plusieurs officiers des régiments parachutistes étrangers (de légion) se

sentent encore plus impliqués moralement dans cette guerre. Au-delà du

FLN, une partie du commandement entretenait l’idée d’un ennemi plus global

qui se cacherait derrière les indépendantistes algériens, celui du communisme

soviétique, qui menacerait les terres françaises d’Afrique du Nord et

plus généralement l’Occident chrétien… En 1961, c’est sur ces officiers que

s’appuieront les putschistes. Ayant pris part à une guerre de type antisubversive,

ils repartent combattre dans les djebels et laisser la mission spécifique

du renseignement aux nouveaux DOP (détachements opérationnels de protection),

corps spécialement créé pour faire parler.


284 Atlas historique de l’algérie


LA BATAILLE DU BARRAGE

EST EN 1958

n 1958, le général Salan afficha clairement sa détermination à

E

détruire tous les groupes de l’ALN qui franchiraient la frontière de

la Tunisie pour aller alimenter les maquis de l’intérieur. En

octobre 1957, Robert Lacoste et le ministre de la Défense André Morice

avaient d’ailleurs inspecté le barrage électrifié construit le long de la frontière.

Les passages de convois de l’ALN envisagent d’emprunter surtout l’itinéraire

qui contourne le barrage, au sud de l’oasis de Negrine. Ainsi, de la

fin 1957 au début janvier 1958, le rythme des passages effectués par le nord

s’accélère, notamment dans la région de Souk Ahras, où plusieurs raids et

harcèlements des postes français sont entrepris, afin de saturer les alertes

sur le barrage. Au milieu de 1957, l’armée évaluait le nombre annuel de passages

à 2 000 avec 1 000 armes entrées. La zone de l’Est-Constantinois (ZEC)

fut confiée au général Vanuxem, avec à sa disposition toutes les réserves

générales (cinq régiments).

N’étant pas autorisées à franchir la frontière tunisienne, les unités qui

surveillent la ligne Morice laissent l’aviation opérer à Sakiet Sidi Youssef,

village tunisien où se trouve une base de repli de l’ALN. Le 8 février 1958, le

raid aérien effectué en plein jour sur le village est un carnage pour les civils.

Les frappes aériennes n’ont pas été « chirurgicales » faisant 70 morts et 150 blessés,

dont de nombreux enfants. L’attaque aérienne de Sakiet provoque un tollé

dans l’opinion internationale. La Tunisie saisit le Conseil de sécurité de l’ONU pour

dénoncer « l’agression française » sur son territoire tandis que la base militaire

de Bizerte est assiégée par les forces tunisiennes. Les Anglo-Américains, dont

Robert Murphy (qui avait dialogué avec Ferhat Abbas en 1943), imposent leur

médiation par la voie diplomatique, affaiblissant le gouvernement français.

La bataille du barrage commença avec les nombreux accrochages dans la

région du Bec de Canard, et autour de la vallée de la Medjerda. L’ALN lance

plusieurs colonnes d’abord en direction de Mondovi le 18 mars, puis autour

de Souk Ahras où ses pertes sont très élevées. Plusieurs bataillons de l’ALN

pénètrent entre Tébessa et Negrine. À El Ma Labiod, un groupe de 600 moudjahidine

parvient jusqu’aux montagnes des Nementcha. La première vague

des unités de l’ALN a subi d’énormes pertes en février-mars 1958, et une

partie avait été contrainte de retourner dans les bases tunisiennes.


286 Atlas historique de l’algérie

Une nouvelle offensive est lancée en avril 1958. Le 29 avril, un bataillon

algérien de plus d’un millier d’hommes, soutenu par deux katibas, destiné au

Nord-Constantinois, franchit le barrage au sud de Souk Ahras, tandis que

sept katibas franchissent discrètement la frontière, en passant sous les barbelés

par des tunnels. Une fois le passage découvert et l’alerte donnée, toutes

les troupes françaises de réserve disponibles affluent dans la zone. Dans les

montagnes à l’ouest de Souk Ahras s’engage une grande bataille. Les crêtes

du djebel el Mouadjene sur lesquelles se posent les hélicoptères chargés de

parachutistes sont déjà occupées par les moudjahidine. Malgré l’afflux de

renforts, les parachutistes ont 28 tués dans les combats. Encerclés entre

Souk Ahras et Guelma par des milliers de soldats français appuyés par l’aviation

qui lâche ses bombes au napalm, les Algériens se battent avec acharnement,

perdant 270 hommes et ne laissant pratiquement pas de prisonniers.

Dès le lendemain, une autre katiba franchit le barrage, mais est repoussée.

Les dernières poches de résistance des unités ALN infiltrées sont détruites

dans le djebel Nador les 2 et 3 mai.

En quatre mois, l’ALN des bases de Tunisie a perdu 4 000 hommes, et

laisse 590 prisonniers tandis que les Français ont 279 tués et 800 blessés. Le

général Salan, à qui le gouvernement avait refusé sa demande d’envahir la

Tunisie, finit par se contenter de l’efficacité de la ligne Morice, constatée

après la bataille du barrage. La frontière marocaine allait se couvrir du même

système sur 1400 km. En octobre 1958, les autorités militaires décidèrent de

construire un nouveau barrage « avant », au plus près de la frontière tunisienne,

pour prévenir toute installation de bases ALN sur le territoire algérien.


LA STRATÉGIE CONTRE-

INSURRECTIONNELLE FRANÇAISE

’arrivée du général Salan à la tête de l’armée en décembre 1956

L

avait marqué un tournant dans la stratégie de lutte contre les indépendantistes

du FLN. Déjà en partie appliquées par certaines unités

de l’armée en Algérie, les techniques de la lutte antisubversive connaîtront

un développement sans précédent à partir de 1957. Comme de nombreux

militaires de carrière de l’armée française envoyés en Algérie, le général

Salan est un « ancien d’Indochine » où il fut commandement en chef (il porte

d’ailleurs le surnom de mandarin). En ayant participé à cette guerre particulière,

il en est non seulement revenu avec le goût amer de la défaite de Diên

Biên Phu en octobre 1954 mais aussi avec son expérience de la longue guerre

de guérilla menée par les Viêt-cong, qui a bouleversé les officiers français.

La lutte du corps expéditionnaire français (avec les régiments de la Légion

étrangère) contre un ennemi en partie invisible dissimulé parmi une population

elle-même hostile avait généré une nouvelle vision de la guerre.

Contre le harcèlement permanent de la guérilla Viêt-cong, les Français

avaient commencé à mettre en place des mesures contre-insurrectionnelles,

avec l’armement de groupes vietnamiens locaux, un renseignement méthodique,

des punitions collectives, etc. Mais en plus de la guérilla classique,

le général vietnamien Giap avait disposé d’un armement conventionnel pour

assiéger les camps retranchés français. En plus des difficiles conditions sanitaires

du Sud-Est asiatique et de la captivité de plusieurs centaines de soldats

français ou « coloniaux », cette guerre fut un premier traumatisme pour de

nombreux officiers de régiments parachutistes, la génération de Bigeard.

Les indépendantistes vietnamiens avaient suivi les enseignements du

grand frère chinois. Ayant conquis le pouvoir en 1949, les communistes chinois

emmenés par Mao avaient influencé et soutenu leurs « frères » Viêtcong

contre « l’impérialisme » français. Pour le Grand Timonier, « le révolutionnaire

doit être dans le peuple comme un poisson dans l’eau ».

Face au développement de l’insurrection des indépendantistes algériens,

de nombreux cadres et officiers français tentent d’appliquer les méthodes de

la nouvelle école de « la guerre antisubversive ». Cette théorie militaire a été

développée par le colonel Lacheroy, qui fait intégrer ses thèses en 1954 à


288 Atlas historique de l’algérie

l’École supérieure de guerre de Paris. De nouveaux concepts font leur apparition

comme « la stratégie des fourmis » (Lacheroy) ou encore la « guerre dans

le milieu social » ou « guerre dans la foule » (Nemo, J).

Responsables de la formation de nombreux officiers spécialement envoyés

en Indochine, les théoriciens de « la guerre psychologique » trouvent dans le

nouveau conflit algérien un nouveau théâtre pour faire appliquer leurs

« méthodes ». L’idée principale de l’école de « la guerre révolutionnaire » est

le contrôle et la « prise en main » des populations qui soutiennent les insurgés.

Le « poisson » doit donc être séparé de son « eau » grâce à un certain

nombre de techniques apprises et développées directement en Algérie avec

la création de plusieurs centres de formation. Début 1955 est fondé à Arzew

le centre d’instruction de la pacification et de la contre-guérilla ainsi que le

centre d’instruction Jeanne-d’Arc sur une plage proche de Philippeville. À ce

moment-là, « le phénomène de la guerre psychologique est la préoccupation

dominante au sein de la société militaire » (Marie Claire Villatoux, SHAA).

Le 5 e bureau fait son apparition avec la nouvelle mission militaire de

« l’action psychologique » qui doit accompagner le travail des SAS depuis

1955.

SAS ET CAMPS DE REGROUPEMENT

Le gouverneur général Jacques Soustelle avait créé les sections administratives

spécialisées en septembre 1955, chargées de combler le « vide »

administratif des campagnes d’Algérie. Mais l’objectif principal était bien de

pouvoir contrôler une population longtemps livrée à elle-même et soutenant

les mouvements nationalistes, dont le FLN qui s’imposera par la force et le

nombre. La mise en place des « camps de regroupement » fut une des

mesures militaires les plus impressionnantes de la guerre d’indépendance

algérienne. Le déplacement forcé de 2 millions d’Algériens vivant dans des

régions montagneuses ou de populations semi-nomades vers des camps

entourés de barbelés et de miradors avait bien entendu comme objectif

d’étouffer l’ALN. Dans son ouvrage sur la question, Cornaton définit l’objectif

militaire de ces camps, « complément indispensable d’une politique efficace

de zones interdites […] de l’aveu même des autorités françaises, les regroupements

sont avant tout une machine de guerre qui permet de couper l’ALN

de ses masses populaires et de ses soutiens logistiques indispensables ».

400 000 nomades ont été « enfermés » dans ces camps aux conditions de vie

misérables, surtout dans les régions des oasis de Touggourt, El Oued, dans

les hauts plateaux de Tiaret-Saïda, Colomb-Béchar mais également autour

de villes comme Oran, Médéa, Batna et Bône.

Depuis la mise en place des zones déclarées « interdites » dès le début

du conflit et surtout à partir de 1955, les populations montagnardes des Aurès

sont les premières à se trouver massivement déplacées vers les plaines et

plateaux (premier camp à Touffana, au nord de la région boisée de Bouhmama).

Après le massif des Aurès, ce sont les régions du Nord-Constantinois

et de l’Edough qui subissent dès 1955 les déplacements forcés de populations,

suivis des montagnes de Kabylie. Le massif boisé du Dahra est ensuite

dépeuplé comme l’Atlas saharien.


La stratégie contre-insurrectionnelle française 289

Camp de regroupement dans la région de Saïda, 1959.

Loin de leurs mechtas qui sont le plus souvent détruites par l’artillerie et

l’aviation, les populations « regroupées » se retrouvent coupées de leurs activités

traditionnelles et bouleversées dans leur culture. Une majorité de

femmes et d’enfants peuplent ces camps où la pauvreté et l’assistanat « au

compte-gouttes » des SAS provoquent une surmortalité infantile et une

grande détresse. L’habitat des déplacés est composé de tentes et de huttes

en terre sèche, où les maladies font des ravages. Les autorités civiles

finissent par réagir tardivement en 1959 avec le nouveau gouverneur général

Delouvrier. L’homme de confiance du général de Gaulle lance la construction

de villages de regroupement en « dur » avec l’opération « 1 000 villages ».

Il ne s’agit pas pour autant de libérer ces populations, mais de rendre

définitif leur nouvel habitat, en fournissant matériaux de construction et équipements

divers. En fait, l’arrivée du nouveau gouvernement de Gaulle en 1958

n’a pas entraîné de changement de politique vis-à-vis de ces camps bien

cachés à l’opinion publique française. Leur efficacité militaire ayant été

démontrée, les camps n’ont pas été démantelés. Pour Challe, le successeur

de Salan à la tête du commandement de l’armée, le contrôle de ces 2 millions

d’Algériens préparait les grandes opérations prévues contre les sanctuaires

de l’ALN. Ces millions d’Algériens vivaient depuis déjà quatre ans dans ces


290 Atlas historique de l’algérie

camps, améliorés en partie matériellement à partir de 1959. En 1960, le

nombre de personnes « regroupées » s’élèvera à 2 350 000 soit 26 % de la

population « musulmane » totale, affectant essentiellement les régions orientales

de l’Algérie. Du massif des Babors à la frontière tunisienne, toute la

région littorale couverte de forêts est particulièrement affectée par les

regroupements ainsi que les régions « vertes » proches de la frontière. Mais

la montagne la plus vidée de ses habitants fut bien le massif des Aurès,

notamment le secteur d’Arris, ayant abrité les premiers maquis actifs du FLN.

Autour de Lafayette (Bougaa), les populations sont très fortement regroupées.

Les populations vivant dans les zones déclarées interdites étaient déplacées

vers d’autres régions limitrophes ou dans les villes de plaine, qui virent affluer

des milliers de « déplacés » principalement dans les arrondissements d’Alger

(plus de 85 %) et Sétif (plus de 60 %).

Cependant, les régions montagneuses et boisées n’étaient pas totalement

vidées de leurs habitants. La population vivait aussi dans de nombreux villages

encadrés par les SAS. Installées aussi bien dans les campagnes que dans les

camps de regroupement, les SAS contrôlent le ravitaillement, les mandats

reçus de France comme les déplacements des Algériens du village. Les officiers

des SAS (les « képis bleus ») cherchent à organiser la vie du village,

douar ou camp autour du bureau sur lequel flotte le drapeau français.

L’armée cherche à contrer la fameuse OPA, Organisation politico-administrative

du FLN, organisme très structuré qui encadre la population d’un douar

ou d’un quartier, avec la perception de l’impôt de guerre. Devenues 600 en

1958, les SAS proposent en outre à la population des soins médicaux ainsi

que la scolarisation des enfants. Ce volet « social » entre dans le contexte de

la nouvelle politique algérienne du gouvernement français en direction de la

population « musulmane », dont l’objectif était de réduire l’inégalité sociale

avec les Européens d’Algérie, en « rattrapant » le retard en matière de scolarité

puis à partir de 1959 avec le plan de Constantine dans le domaine du

logement et du travail (fonction publique).

L’action psychologique en direction des populations musulmanes était pratiquée

au niveau des SAS (il y en aura 700 au total), mais son impact resta

assez limité. L’intérêt pour le commandement de l’armée était que les SAS

« fassent » du renseignement. Au plus proche de la population, les officiers

SAS étaient protégés par une petite troupe indigène de moghaznis et luttaient

contre l’OPA du FLN, qu’ils essayaient de démanteler à leur niveau. La SAS

était redoutée par les Algériens pour les interrogatoires et la stricte surveillance

du ravitaillement.



CTT de Saint-Arnaud.


ARRESTATIONS DE MASSE

ET CENTRES DE RENSEIGNEMENT

(CTT, CMI, DOP ET AUTRES CRA)

n réalité, la destruction du FLN et de l’ALN était l’objectif du commandement,

qui fit du renseignement un élément majeur de cette

E guerre. La « primauté absolue du renseignement pour démanteler

l’OPA » est donnée aux officiers. Les interrogatoires poussés, déjà utilisés par

les policiers et gendarmes contre les militants nationalistes, sont rapidement

adoptés comme techniques de renseignement par les officiers du 2 e bureau

et les gendarmes. Comme l’explique Jean-Pierre Cômes, ancien OR (officier

de renseignement) pendant la guerre d’Algérie : « pour arriver à pacifier ces

populations, les troupes de secteur ont cru qu’il fallait d’abord détruire cette

OPA recrutée parmi les villageois. C’est cette action qui a été à l’origine de

toutes ces arrestations de suspects, de la multiplication des interrogatoires

et in fine, du recours à la torture ». Nommé commandant en chef fin 1956, le

général Salan étend les possibilités de l’armée en matière de « contrôle » et

de « renseignement ».

LES CENTRES DE DÉTENTION DES ALGÉRIENS

La stratégie de contrôle de la population amène les autorités militaires

françaises, qui disposent des pleins pouvoirs depuis 1956, à mettre en place

des camps de prisonniers où sont systématiquement envoyés tous les suspects.

86 centres de tri et de transit (CTT) sont répartis dans toute l’Algérie à

partir de 1957, détenant environ 10 000 personnes. Toute personne raflée y

est systématiquement envoyée et ensuite éventuellement dirigée vers deux

types de camps de prisonniers. Le premier groupe de camps est celui des

« centres d’hébergement » administrés par les autorités civiles, où quelque

11 000 personnes « suspectes » sont détenues. Les camps d’hébergement

les plus durs sont à Paul-Cazelles, Bossuet et Djorf, tous situés dans une

région semi-désertique. Les détenus européens sont quant à eux enfermés

au camp de Lodi et ceux considérés comme intellectuels à Douera. Les


294 Atlas historique de l’algérie

mineurs sont à Camp-du-Maréchal (Tadmaït). Le second groupe, créé à partir

de 1958, est celui des sept camps militaires d’internés (CMI) où sont envoyés

les combattants de l’ALN faits prisonniers ou tout Algérien pris « les armes

à la main ». Toute une action psychologique est exercée sur ces prisonniers

qui doivent subir un « stage de rééducation » à l’issue duquel certains s’engagent

dans l’armée française. Mais l’impact de ces pratiques resta très limité,

le général Crespin mettant fin au programme dès 1960. De nombreux officiers

du 5 e bureau (action psychologique) avaient voulu développer la technique du

« lavage de cerveau » sur les prisonniers algériens. L’expérience de la guerre

d’Indochine et le mauvais souvenir de la détention dans les camps de rééducation

Viêt-minh avaient marqué ces officiers français. Avec la bataille d’Alger

qui débute en janvier 1957, une phase inédite dans l’utilisation de l’arsenal

anti-insurrectionnel se met en place. Le renseignement et son exploitation

rapide sous forme d’opérations commandos ainsi que le quadrillage de la

population sont devenus les éléments principaux dans la lutte contre le FLN.

C’est à l’échelle de tout le territoire algérien que ces techniques sont renforcées

et systématisées à la fin 1957.

LES DOP

Un corps spécialisé est créé sous le commandement Salan : les DOP ou

détachements opérationnels de protection. Ce nouvel euphémisme caractéristique

de la terminologie militaire cache en fait une terrible réalité. Pour Pierre

Montagnon, « les DOP sont en toute légalité les exécuteurs des basses œuvres,

ce sont des petites équipes, très mobiles, avec interprète, pour obtenir des renseignements

des captifs. La terreur qu’ils inspirent aide souvent à faire parler »

(La guerre d’Algérie, genèse et engrenage d’une tragédie, Pygmalion, Paris, 1984).

Cette structure se trouve répartie dans chaque ville où se trouve le PC d’une

zone militaire (par exemple un DOP pour la zone de l’Ouest-Constantinois à

Sétif). Composé la plupart du temps de volontaires, l’équipe du DOP est chargée

de faire du renseignement avec tous les suspects qui résisteraient aux premiers

interrogatoires des gendarmes ou des officiers du 2 e bureau des postes militaires,

des officiers SAS ou dans les très nombreux camps de détention (CTT

notamment). Car les DOP usent de méthodes extrêmement violentes pour

extraire du renseignement. Ils pratiquent aussi l’élimination des personnes

ayant survécu aux interrogatoires. Appelée pudiquement la « corvée de bois »,

l’exécution sommaire de suspects membres du FLN ou de soldats de l’ALN était

cependant déjà connue. Après les exécutions sommaires de Philippeville en

1955 et les opérations de la bataille d’Alger, les disparitions de membres du FLN

ou de suspects étaient devenues une pratique connue sous le nom de « corvée

de bois ». Les « résultats » des 47 unités des DOP devaient ensuite parvenir à

une nouvelle structure créée par Salan : le CCI ou Centre de coordination interarmes

chargé de synthétiser les informations en provenance de tous les corps

faisant du renseignement. Car toutes les unités « font » du renseignement

d’une manière ou d’une autre, surtout la gendarmerie, dans laquelle exercent

de nombreux « Européens » d’Algérie, parlant souvent l’arabe dialectal. Leurs

méthodes sont souvent équivalentes à celles des DOP. Le rôle accordé aux

Algériens engagés dans les harkas, makhzen (SAS) et autres formations


Arrestations de masse et centres de renseignement 295

supplétives de l’armée française dans le renseignement fut quant à lui tout

aussi important sinon décisif.

L’IMPLICATION DES UNITÉS DE HARKIS

DANS LA STRATÉGIE MILITAIRE FRANÇAISE

Connaisseurs naturels des populations locales, dont ils étaient le plus

souvent issus, les soldats de harkis, intégrés dans les forces opérationnelles

ou chargés de protéger les SAS, prirent une part active dans l’acquisition du

renseignement. Pour traduire, mais aussi pour obtenir des informations, les

supplétifs ont été particulièrement « impliqués » au niveau des SAS, postes

militaires, gendarmeries et camps d’internement. Considérés comme des

traîtres, les harkis ont été la cible privilégiée des attaques des commandos

FLN dans les villes. Bien qu’une partie d’entre eux collabore secrètement

avec le FLN, les corps de supplétifs, vivant sous la menace permanente,

ripostent souvent sans ménagement. Participant à la répression contre la

population ainsi qu’aux opérations « psychologiques » du 5 e bureau, ils

n’hésitent pas à éliminer des prisonniers FLN lorsque « permission » leur a

été donnée par leurs officiers français. Les harkis du commando « Georges »

et « Cobra » furent particulièrement durs avec les combattants de l’ALN.

Inéluctablement condamnés à mort pour avoir changé de camp, ils participèrent

à une traque sans merci de leurs anciens compagnons d’armes,

autour de Saïda, où Bigeard les avait « retournés ».

La machine de guerre du général Salan leur accorde une place essentielle

dans les missions opérationnelles à partir de 1957 quand elle les intègre dans

les unités classiques. En 1958, 25 000 harkis sont engagés dans les opérations

contre l’ALN, où leur efficacité s’avère redoutable. Ayant la connaissance

du terrain où ils traquent les maquisards de l’ALN, les harkis explorent

caches et grottes tout en « interrogeant » les habitants des secteurs « ratissés

». Ils deviennent rapidement indispensables aux responsables de l’armée,

qui en réclament davantage au général de Gaulle en 1958. Le nouveau commandant

en chef Challe projette en effet la création d’unités spéciales : les

commandos de chasse, composés en partie de harkis. Challe lance en 1959

des grandes opérations contre les bastions de l’ALN, et souhaite « une utilisation

massive des FSNA » qu’il considère comme « les meilleurs chasseurs de

fellaghas ». Challe disposera ainsi de 60 000 harkis sur les 125 000 supplétifs

FSNA pour mener ses opérations, alors que de Gaulle les lui eût accordés

seulement dans le cadre de tâches administratives et de surveillance.

Bien qu’une nouvelle importance des corps de supplétifs dans la stratégie

militaire française soit clairement établie par Challe, c’est à partir de 1959 que

le général de Gaulle fait un premier pas en direction des indépendantistes. Les

combattants algériens profrançais réagiront diversement. Quand la marche

inéluctable vers l’indépendance sera perçue par les harkis, une partie d’entre eux

rejoindra l’ALN tandis que d’autres, trop compromis dans les opérations militaires

(dont le renseignement), chercheront à s’exiler en France. Les commandos

harkis qui furent particulièrement impliqués dans leurs opérations contre les

indépendantistes avaient été créés dans le cadre du plan Challe en 1959.



LE FLN EN EUROPE

n France, où vit la plus grande partie de l’émigration algérienne

E

(275 000 personnes en 1955), le FLN s’implante rapidement à partir

de 1955 et faire participer massivement à l’effort de guerre militants

et « cotisants ». Mais la nouvelle formation nationaliste s’imposera violemment

sur la branche messaliste du MTLD. L’emprise du FLN au sein de la

population algérienne devient quasi totale à partir de 1957, au prix de nombreuses

victimes, notamment celles du MNA, le nouveau parti de Messali

Hadj, créé après l’interdiction du MTLD par les autorités françaises après le

déclenchement de l’insurrection en novembre 1954. Ce sont Mohamed Boudiaf

et Mourad Tarbouche qui furent les artisans de la Fédération de France

du FLN à partir de 1955.

Le territoire français est découpé en sept wilayas sur le modèle algérien,

avec une structure de commandement de type pyramidal, militants, adhérents

et cotisants étant séparés pour éviter que la police « remonte » les réseaux.

Avec leurs « cotisations », les 150 000 Algériens de la métropole participent

au financement des activités du FLN et de l’ALN, atteignant 2,5 milliards

d’anciens francs en 1958, puis évalués à 3,2 milliards l’année suivante.

Au moment où l’insurrection commence à faiblir en Algérie, le FLN lance

toute une série d’attaques en métropole du 25 août au 27 septembre 1958

(« la nuit bleue ») ciblant des objectifs politiques ou économiques, qui se

veulent spectaculaires comme l’incendie du dépôt d’hydrocarbures de Mourepiane,

à proximité de Marseille.

Mais l’implication des Algériens dans le mouvement indépendantiste

s’accompagne d’une répression policière massive, qui se traduit par des milliers

d’arrestations de militants et de suspects. Ces derniers sont envoyés

dans des grands camps de détention au milieu du Massif central comme celui

du Larzac, un des futurs camps d’accueil des harkis en exil. Les supplétifs

furent impliqués dans la répression des réseaux FLN de la capitale française

à partir de 1960. Les dernières années de la guerre d’Algérie furent particulièrement

violentes à Paris, où les commandos de choc du FLN visent

désormais les policiers et les harkis. Dans le contexte des premières négociations

entre le GPRA et les Français (à partir de juin 1960), Papon, le nouveau


298 Atlas historique de l’algérie

préfet de la Seine, charge la police appuyée par la FPA (Force de police auxiliaire)

d’anéantir les militants algériens. Le FLN réplique par des attentats

contre des commissariats et policiers isolés.

Traquée par la police, la direction de la Fédération du FLN finit par s’abriter

en Allemagne de l’Ouest, à Cologne et Düsseldorf, dès 1958 et continue

d’organiser le transfert des fonds destinés au FLN extérieur. Avec l’installation

de la direction FLN « Europe » en Allemagne, l’organisation indépendantiste

bénéficie de nombreux soutiens européens.

Avec la répression policière et en raison du manque de travail, de nombreux

Algériens, notamment ceux vivant dans les Alpes françaises se rendent,

en Suisse. Ils rejoignent souvent la route de la Tunisie avant de s’engager

dans l’ALN. C’est le cas d’étudiants algériens très impliqués dans le militantisme.

La Suisse, avec l’Allemagne, devient l’une des deux « plaques tournantes

» des réseaux de soutien au FLN ou du redéploiement des

« volontaires » comme combattants ou des « politiques » qui rejoignent le

GPRA au Caire ou à Tunis.

Le travail de la Fédération de France consistait à promouvoir le fait indépendantiste

algérien et présenter aux milieux « éclairés » la guerre française

« contre les Algériens ». C’est ainsi qu’un nombre important de militants et

intellectuels français de gauche s’étaient impliqués dans le soutien d’abord

moral, puis, pour certains, matériel au FLN.

Mais le rôle des responsables du FLN « réfugiés » en Allemagne ou en

Suisse ne se limitait pas à la « médiatisation » de la cause indépendantiste.

Le FLN « Europe » était en outre chargé aussi bien de l’acheminement des

fonds transitant par les banques suisses que de l’achat d’armement auprès

des vendeurs notamment allemands. Ces derniers sont alors la cible des

services français qui n’hésitent pas à les liquider ou à saboter les navires

chargés pour les bases du Maroc ou de la Tunisie. Malgré tous les efforts de

la diplomatie française et du SDECE, les Algériens du FLN finissent par disposer

de nombreuses représentations en Europe occidentale mais également

dans le bloc de l’Est.

Avec la reconnaissance du GPRA par l’Union soviétique en 1958, le FLN

dispose de nouveaux appuis dans les démocraties populaires d’Europe de

l’Est comme la RDA, où les services formeront plusieurs militants FLN, à

l’instar de la promotion dite « tapis rouge », des Algériens ayant reçu les

enseignements de l’école soviétique (renseignement et contre-espionnage) en

1958. Depuis 1957, plusieurs pays européens participent à la livraison des

précieuses armes destinées à l’ALN, notamment ceux spécialisés dans leur

production comme la République tchèque et la Yougoslavie de Tito. C’est à

partir des côtes dalmates que partent nombre de navires chargés d’armes en

direction de la Tunisie ou du Maroc tandis que d’autres filières, plus discrètes,

font parvenir jusqu’en Suisse fonds ou militants menacés.

C’est le cas du fameux « réseau Jeanson ». Ce groupe d’intellectuels anticolonialistes

ou sympathisants français du FLN s’était impliqué personnellement

dans le soutien matériel aux indépendantistes mais finit par être

démantelé en 1960, suivi d’un procès « très médiatisé ». Derrière ces « porteurs

de valises » se trouvait toute une intelligentsia française dont les écrits

dénoncent la guerre menée en Algérie. Journalistes du Monde et de L’Express,

de Témoignage chrétien en particulier, mais aussi des philosophes comme


Le FLN en Europe 299

Jean-Paul Sartre condamnaient l’action militaire en Algérie et l’aveuglement

colonial. Par leurs récits de la guerre vécue en Algérie souvent comme appelés,

de nombreux soldats français contredisaient les versions officielles de la

« pacification ». Si certains Français ont déserté en rejoignant l’ALN comme

Noël Favrelière, d’autres Européens s’engageaient directement en Europe

dans des centres de « recrutement » du FLN. Ces volontaires souvent militants

communistes se rendaient dans les bases ALN de Tunisie ou de Libye,

où se trouvaient des formateurs de pilotes algériens, notamment en Libye et

en Égypte.

Affiche de propagande française contre le FLN.



LE FLN ET LE MONDE ARABE

’Égypte est le premier pays arabe indépendant à abriter les responsables

indépendantistes de l’OS Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed

L et Mohamed Khider arrivés en 1952, après la découverte de leur

cellule par la police française.

Le colonel Gamal Abdel Nasser qui prend le pouvoir en juillet 1952 au

nom des Officiers libres se présente comme le défenseur des peuples arabes

opprimés par le colonialisme et l’impérialisme, dans le contexte du conflit

israélo-arabe, où l’Égypte se trouve en première ligne. Le Caire est la première

base « extérieure » du jeune FLN, où Mohamed Boudiaf rejoint les trois

membres historiques en 1954. C’est dans la capitale égyptienne que siège

notamment depuis 1947 le Comité de libération du Maghreb arabe (deux

après la fondation de la Ligue arabe à l’initiative des Britanniques), organisation

qui regroupe plusieurs mouvements nationalistes comme le Parti de

l’Istiqlal marocain ou le Néo-Destour tunisien. En fait, les Égyptiens assuraient

leur soutien politique aux « frères » du Maghreb depuis les

années 1930, au temps des premières formations nationalistes d’Allal el Fassi

à Bourguiba. Les Algériens entretenaient quant à eux des relations plus religieuses

avec l’Égypte, avec la visite du cheikh Abduh en Algérie en 1903,

artisan du courant réformiste musulman (Islah). Boumediene séjournera

d’ailleurs au Caire pendant sa formation religieuse à la mosquée d’Al Azhar.

Mais lorsque éclate l’insurrection du FLN en novembre 1954, le pouvoir

militaire égyptien s’engage immédiatement aux côtés des indépendantistes.

L’Égypte accorde un soutien logistique de premier plan pour permettre l’acheminement

des armes à l’armée du FLN. En fait, le trafic d’armes au profit du

FLN avait commencé avant 1954, par des réseaux libyens (Tripoli) et marocains

(Nador) qui avaient préparé quelques dépôts d’armes, souvent issues

des stocks de la Seconde Guerre mondiale. Mais il faut vraiment attendre

mars 1956 et l’indépendance du Maroc et de la Tunisie pour que le FLN puisse

disposer de solides relais pour acheminer les armes. C’est à ce moment que

la délégation extérieure du FLN entreprend plusieurs voyages entre Rabat et

Tunis jusqu’à la fameuse interception de leur avion en octobre 1956. Mais ces

quelques mois d’activité diplomatique ont permis d’obtenir de nombreuses

garanties pour l’établissement de bases pour l’ALN et les facilités à accorder

aux Algériens militants et combattants. À partir de 1956 se mettent en place


302 Atlas historique de l’algérie

les structures militaires qui accueillent les

milliers d’Algériens réfugiés qui traversent la

frontière tunisienne et qui s’engagent massivement

dans l’ALN, tandis que les organisations

humanitaires établissent des camps pour les

populations qui fuient la répression dans le

Constantinois, devenue impitoyable depuis août

1955. Avec les premiers travaux du barrage

électrifié, des milliers de personnes ont été

déplacées pour faire place aux « zones interdites

». La nouvelle ALN des bases de Tunisie

dispose de milliers d’hommes et de jeunes qui

sont formés et armés par les « importations »

de munitions en provenance d’Égypte et de

Libye mais aussi de Syrie et d’Iraq. Progressivement

se construisent des réseaux complexes

d’acheminement de matériel qui s’accumule en

Tunisie pour 90 % de l’armement total destiné

Affiche du Service d’action psychologique aux Algériens. Le reste est stocké dans les

de l’armée pendant la guerre.

bases ALN du Maroc, à Nador et Oujda, tandis

qu’une petite partie entrera en Algérie par le

Sahara libyen.

À partir de 1957, le Comité d’organisation et d’exécution (CCE) jusque-là

basé à Alger doit quitter l’Algérie où il est menacé par la machine de guerre

mise en place lors de la bataille d’Alger pour « remonter » les réseaux du

FLN. Le CCE s’installe à Tunis tout en disposant d’un bureau au Caire et à

Tripoli, de manière à éviter une influence trop gênante des dirigeants qui les

« hébergent », surtout Nasser, qui a résisté aux Franco-Britanniques pendant

la crise de Suez en 1956.

Les pionniers de la diplomatie algérienne s’efforcent quant à eux d’obtenir

l’aide des autres pays arabes du Moyen-Orient où se rend Kiouane dès 1956.

Avec Taoufik el Madani, le jeune diplomate fait la tournée des capitales libanaise,

syrienne, jordanienne et irakienne à la suite de laquelle l’aide financière

et matérielle de ces pays en direction du FLN connaît un nouveau développement.

La Syrie et l’Iraq accordent aux Algériens des facilités pour la formation

de pilotes de chasse (MIG 17), aux transmissions et autres techniques militaires

comme le parachutage (Alep). En 1957, d’autres pays musulmans sont

sollicités par Kiouane pour la reconnaissance et l’aide au FLN comme l’Iran,

la Turquie et l’Afghanistan. Les ulémas réformistes algériens tels que Bachir

el Ibrahimi et Taoufik el Madani auront joué un rôle notable dans l’entretien

des relations avec la Syrie et l’Arabie saoudite.

Avec la reconnaissance internationale du GPRA à partir de septembre

1958, les relations avec les pays arabes se confirment. Même l’Arabie saoudite,

qui avait précédemment reçu des représentants du MNA, finit par aider

le FLN. Les services français enquêtent quant à eux en permanence sur ces

campagnes diplomatiques du FLN, notamment au Moyen-Orient. Après

l’affaire de Suez et l’expédition militaire qui a tourné au fiasco, le SDECE a

noué de nouvelles relations privilégiées avec le renseignement israélien.


Le FLN et le monde arabe 303

Le gouvernement

socialiste de Guy Mollet,

qui accuse depuis 1956

Nasser d’entretenir la

rébellion algérienne, a

rapidement noué des

liens particuliers avec le

jeune État d’Israël. Pour

M. Jacquin, « les relations

entre le SDECE et le

Mossad sont d’ailleurs

excellentes, des relations

directes et discrètes

entre le 2 e bureau d’Alger

et celui de Tel-Aviv, pour

tout ce qui touche à la

guerre d’Algérie » (La Tract des autorités françaises.

guerre secrète en Algérie).

Les bases de Tunisie absorbent la majeure partie des équipements livrés

par les filières d’armement tandis qu’au Maroc sont construites plusieurs

usines clandestines de fabrication d’armes, avec l’organisation de Messaoud

Zeghar, lié aux milieux d’affaires américains. Dirigé par Boussouf, le MALG

(ministère de l’Armement et des Liaisons générales) est chargé de toute

l’organisation concernant les armes et la logistique. Par sa personnalité,

Boussouf s’impose comme l’homme incontournable au sein du GPRA. Ses

bureaux sont basés à Rabat, Tunis et Tripoli, en marge des sièges du GPRA.

Cette structure intègre l’ébauche des premiers « services de renseignement »

qui deviendront la « sécurité militaire » après l’indépendance.

C’est dans les ports du Maroc que sont débarqués les équipements achetés

en Europe du Nord. Ils doivent pouvoir fournir les soldats de la wilaya V,

dont le PC est situé à Oujda. Avec 1 200 hommes en 1957, l’armée algérienne

du Maroc n’a pas les moyens des bases tunisiennes pour attaquer le barrage

en plusieurs points mais entreprend le passage par la région des Ksour, en

partant de Figuig. Avec la bataille des frontières, l’ALN de Tunisie est secouée

par plusieurs rébellions. La défense de la ligne Morice ayant rendu très meurtriers

les franchissements de troupes de l’ALN, certains officiers refusent

d’obéir, provoquant des troubles dans lesquels intervient le régime tunisien

(affaire Lamouri, désertion Hambli…).



LE FLN DANS LE MONDE

vec quelques-uns de ses chefs historiques en Égypte depuis 1952,

A

la question algérienne dispose d’une première audience régionale

(monde arabe). L’Égypte et l’Arabie saoudite, déjà membres de

l’ONU, soulèvent une première fois le problème algérien à New York en 1955.

Quelques mois après le déclenchement de l’insurrection des indépendantistes

algériens, la conférence afro-asiatique de Bandung en Indonésie évoque

le sort des Algériens toujours « colonisés » représentés par une petite délégation.

Cet événement marque une étape majeure dans l’internationalisation

de la guerre d’Algérie. Mais pour les autorités françaises à l’ONU, il n’y a pas

de guerre en Algérie mais des « événements » dans ses trois départements

français.

À partir de 1956 et le ralliement de Ferhat Abbas au FLN, la diplomatie

algérienne se trouve redynamisée. Ferhat Abbas commence une carrière

mondiale. Parti de Paris, il se rend en Égypte rejoindre la direction du FLN

en passant par la Suisse en avril 1956. Il consacre ses premiers entretiens

avec les dirigeants arabes en Égypte, au Maroc, en Tunisie et en Libye, avant

de gagner l’Inde et le Pakistan. Ferhat Abbas multiplie les conférences lors

de ces séjours où il défend le combat des moudjahidine de l’ALN pour la

liberté de l’Algérie.

Avec Kiouane, ils entreprennent une grande tournée en Amérique latine à

la fin 1956. Hormis l’Uruguay et le Venezuela, tous les pays du continent

sud-américain sont « visités » par une délégation algérienne. Ferhat Abbas

accompagné de Kiouane et Triki rejoint ensuite Mohammed Yazid à New York,

qui est le représentant et négociateur de la délégation algérienne aux Nations

unies. Plusieurs délégations extérieures du FLN parcourent de nombreux

pays, qui permettent ensuite aux Algériens de disposer d’un bureau officiel

ou non dans leur capitale. C’est ainsi que 38 pays, dont les pays musulmans,

accorderont cette facilité au FLN puis au GPRA à partir de 1958. À partir de

la proclamation officielle en septembre 1958 par son président Ferhat Abbas

du Gouvernement provisoire de la République algérienne, calqué sur le

modèle français du général de Gaulle, 18 pays reconnaissent cette première

institution nationale. Krim Belkacem, le vice-président du GPRA, qui dirige

les forces armées, prendra une part active aux tournées diplomatiques dans


306 Atlas historique de l’algérie

le monde à partir de 1960, en Asie en particulier. Alors que les wilayas intérieures

subissent les terribles offensives du plan Challe en 1959-1960, le

GPRA s’engage dans d’importantes campagnes diplomatiques.

Les pays d’Asie accueillent chaleureusement les délégations algériennes

du GPRA en janvier 1960, notamment le Vietnam et la Chine, où Ferhat Abbas

obtient une aide politique et matérielle. Kiouane entreprend quant à lui de se

rendre en Corée du Nord et au Japon, l’Asie du Sud-Est étant parcourue par

Ahmed Boumendjel, Saïd Mohammedi, Ahmed Francis et Boussouf. Krim Belkacem

et Ben Tobbal apparaissent avec Ferhat Abbas comme les principaux

négociateurs internationaux du GPRA. Trois dirigeants du GPRA se rendent

en URSS en 1960 afin de s’entretenir avec Khrouchtchev et Kossyguine.

Politiquement et militairement, le GPRA se renforce. Bien que l’ALN intérieure

ait été très diminuée, elle dispose encore de réserves importantes ainsi

que de moyens militaires améliorés. Les réseaux d’armement comme celui

des « djamiat », qui organise l’acheminement d’armes entreposées en Indonésie,

avec les intermédiaires européens, ont constitué une des sources

matérielles de l’ALN. Alors que l’ALN intérieure sort exsangue du plan Challe,

les succès diplomatiques du GPRA se succèdent à partir de 1960 au niveau

des organismes internationaux comme à l’ONU, qui déclarera le « droit du

peuple algérien à l’autodétermination » le 19 décembre 1961. De même, le

GPRA est présent à la conférence des pays non alignés qui se tient à Belgrade

en 1961.

Cependant, les avancées diplomatiques algériennes sont facilitées par la

nouvelle politique du général de Gaulle, dont le gouvernement a entamé des

négociations secrètes avec le FLN depuis le début 1961. Car l’influence française

reste grande dans le monde, même si elle accuse un retard certain en

ce qui concerne le mouvement mondial de décolonisation. Mais le général de

Gaulle, bien conscient qu’il doit laisser l’Algérie aux Algériens, veut sortir de

la guerre en position de force, pour l’armée mais aussi pour obtenir des facilités

dans le Sahara algérien.

En 1961, cet immense territoire est l’objet de négociations entre le GPRA

et le royaume du Maroc, qui n’hésite pas à revendiquer toute la région de

Béchar à Tindouf. Ferhat Abbas doit s’entretenir avec le jeune Hassan II, nouveau

successeur de Mohammed V, avec qui il avait été très proche. La thèse

d’un « grand Maroc » avait été développée par Allal el Fassi depuis plusieurs

années, revendiquant l’héritage médiéval des territoires almohades au-delà

de Sidjilmasa, dans le Tafilalt, berceau des Alaouites.

Mais pour le GPRA, le Sahara n’est pas négociable, ni avec la France ni

avec ses voisins, fussent-ils des alliés. En 1961, les diplomates algériens

continuent de renforcer leur présence en Asie, notamment en Mongolie et en

Chine, qui participera à la « reconstruction » de l’Algérie indépendante après

1962. Les derniers mois qui précèdent l’indépendance de 1962, le GPRA se

trouva confronté à plusieurs crises internes. C’est entre Tunis et Tripoli que

les différents ministres et chefs de l’armée se livrent à une bataille politique

pour le pouvoir à partir de l’été 1961. Pour autant, les dirigeants tunisien et

libyen n’exercent pratiquement pas leur influence sur ces querelles algériennes,

qui aboutissent au fameux congrès de Tripoli où le CNRA (Conseil

national de la révolution algérienne) de mai 1962, à l’issue duquel surgiront un

exécutif algérien bicéphale, avec Ben Bella installé au Maroc et Ben Khedda


Le FLN dans le monde 307

à Tunis. Jusqu’en juillet 1962, les villes tunisiennes ou marocaines du (ou des)

pouvoir(s) algérien (s) serviront de base au groupe politico-militaire Ben

Bella/Boumediene, non plus pour combattre l’armée française, mais pour

s’imposer militairement en Algérie.

Les relations diplomatiques du FLN établies tout au long de la guerre

d’indépendance marqueront durablement les politiques extérieures du nouvel

État algérien après 1962.


308 Atlas historique de l’algérie


LE PLAN CHALLE

près s’être imposé en mai 1958 comme l’homme politique providentiel

à la tête du nouveau gouvernement français, le général de Gaulle

A entreprend de régler le problème algérien. Conscient des blocages

de la minorité européenne face aux défis de la décolonisation, le nouveau

président prépare des réformes politiques et économiques en faveur des

musulmans. Après le référendum pour la Constitution de la V e République en

septembre, il annonce le plan de Constantine, programme de développement

économique de cinq ans.

Mais en 1958, le premier président de la République, qui est désormais

chef des armées, veut écraser l’ALN intérieure. Sachant qu’il devra malgré

tout négocier avec le GPRA qui vient d’être créé le 19 septembre 1958, il veut

se retrouver en position de force face à Ferhat Abbas. Sachant que l’Algérie

serait inéluctablement indépendante sous une forme ou une autre, le général

de Gaulle a bien l’intention de profiter le plus longtemps possible des installations

« hautement stratégiques » du Sahara. Mais il ne veut pas non plus

s’aliéner l’armée qui combat l’ALN depuis quatre ans, en lui accordant une

victoire sur le terrain.

Le général Challe remplace Salan à la tête du commandement en

décembre 1958. Disposant de moyens militaires exceptionnels, le nouveau

chef de l’armée prépare pour 1959 une offensive générale contre les maquis

de l’ALN : le plan Challe. Les frontières quasi hermétiques depuis le renforcement

des barrages en 1958 donnent à Challe les moyens de combattre l’ALN

en « champ clos ». Le regroupement des populations se trouve accentué en

vue des opérations militaires ainsi que l’armement de nombreux villages en

« autodéfense ». Le plan Challe prévoit de détruire l’essentiel de l’ALN intérieure

en attaquant successivement ses zones refuges avec la participation

de toutes les réserves générales composées des forces d’élite héliportées et

disposant d’un appui aérien massif. Ce « rouleau compresseur » doit parcourir

tout le nord de l’Algérie à partir des régions ouest, théoriquement les plus

faciles, jusqu’à la frontière tunisienne.

La première opération se déroule dans la région au sud de Tlemcen à

partir du 6 février 1959. Suivant un processus militaire classique, les forces

françaises (dont les unités harkis) encerclent les monts de Tlemcen et les

nombreuses forêts jusqu’à Sidi bel Abbes qui abritent les maquis de l’ALN.


310 Atlas historique de l’algérie

Le ratissage est effectué par des troupes plus nombreuses et mieux renseignées

que lors des opérations précédentes.

L’armée bénéficie d’un recrutement harki spécialement renforcé par le

général Challe en vue des grandes opérations, notamment pour former les

« commandos de chasse », qui ont pour mission de harceler les derniers

groupes de maquisards ayant survécu. L’armée exploite le renseignement

obtenu par les méthodes des unités mobiles des DOP, qui suivent de près

l’offensive et les nombreuses arrestations qui en découlent. À l’issue de cette

première opération « Oranie » de février 1959, 1 764 moudjahidine sont tués

et 516 faits prisonniers (il y aura 76 tués français). Les forces françaises disposent

d’armes redoutables comme le napalm ainsi qu’un arsenal chimique

utilisé dans les grottes, refuges des soldats de l’ALN.

À partir d’avril 1959, c’est le massif de l’Ouarsenis qui est encerclé par les

troupes françaises. Les accès par la plaine sont fermés par des unités blindées,

le ratissage est effectué par les troupes de secteur renforcées par les

réserves générales et les harkis (notamment ceux du bachaga Boualem)

tandis que toutes les crêtes et positions dominantes sont « réservées » aux parachutistes,

légionnaires, chasseurs alpins. L’opération « Courroie » se déroule

dans une région montagneuse couverte de plusieurs grandes forêts comme à

Theniet el Had. Les combats durent deux mois car les troupes doivent chercher

le « contact » avec les maquisards de l’ALN pour ensuite faire intervenir l’aviation

et l’artillerie. Jusqu’au 18 juin 1959, des milliers de soldats ratissent la chaîne

montagneuse de l’Ouarsenis au Dahra, au nord de la vallée du Chélif, pour aboutir

dans l’Atlas blidéen. À l’issue des durs combats dans cette région d’accès

difficile, et dont la population avait été massivement regroupée (76 % de regroupés

dans l’arrondissement de Theniet el Had, 40 % autour de Miliana…),

1 756 combattants algériens sont tués lors de ces durs combats qui font 166 tués

parmi les forces françaises tandis que 471 moudjahidine sont faits prisonniers.

Entre les opérations « Oranie » et « Courroie », le 5 e bureau de l’armée

française n’avait pas manqué d’exploiter l’événement de la mort de Amirouche

et de Si Haouès survenue en mars 1959. Les deux chefs militaires des

wilayas III et V furent tués au combat dans le djebel Zemra à 15 km de Bou

Saada, alors qu’ils se rendaient vers les bases de Tunisie par l’itinéraire sud.

Une fois repérés dans le djebel Zemra, qui est une petite montagne isolée,

il leur fut impossible d’échapper aux attaques aériennes et à l’intervention

héliportée des parachutistes coloniaux de Bigeard. Leur mort fut amplement

« médiatisée » sous forme de tracts jetés au-dessus des maquis. La wilaya III

se préparait à l’offensive générale de l’armée française, dont le commandement

détourna le regard pour mieux surprendre les maquis du Hodna à partir

de juillet 1959.

L’opération « Étincelles » dure douze jours dans cette région totalement

acquise à l’ALN. Ces montagnes du djebel Hodna ont un relief tourmenté

et sont couvertes de forêts. Avec la proximité de Sétif, un des berceaux du

nationalisme algérien, de nombreux militants des villes et villages de la plaine

sont montés au maquis. C’est dans ces montagnes qui ont vu naître Bachir

el Ibrahimi (Ouled Braham) qui s’étendent du djebel Maadid au Bélezma que

les soldats de l’ALN combattent les forces françaises dont toute la 10 e division

parachutiste. La première phase de l’opération fait 304 tués chez les djounoud

de l’ALN et 46 militaires français tués. Mais les forces françaises ont récupéré


Le plan Challe 311

une quantité impressionnante d’armes car la région se trouve sur l’itinéraire

sud des convois en provenance des bases de Tunisie. Trois fois plus d’armes

ont été prises lors de l’opération « Étincelles » qu’en soixante jours de l’opération

« Oranie ».

Pendant l’été 1959, les plus grandes opérations du plan Challe sont lancées

en direction des massifs de Kabylie à partir du 22 juillet. Avec l’opération

« Jumelles », ce sont 40 000 soldats français qui attaquent les katibas de la

wilaya III en Grande Kabylie. C’est dans un premier temps à l’est du massif

du Djurdjura et dans l’Akfadou qui sont submergés lors de l’opération « Pelvoux

» du 22 juillet au 9 août 1959. Les troupes parachutistes pénètrent dans

ce qui fut le bastion d’Amirouche, auquel ont succédé les chefs Mira et

Mohand Oul Hadj. Les combattants kabyles ont 132 tués et 215 prisonniers

pendant cette première attaque massive des forces françaises, qui ont débarqué

au cap Sigli. En fait, tous les massifs abritant les katibas kabyles sont

encerclés au sud de Tigzirt, dans le secteur de Sidi Ali Bounab et dans le

nord du Djurdjura. C’est entre Bougie et Azazga que le déploiement militaire

est le plus important, glissant progressivement vers la vallée de la Soummam.

À partir du 10 août 1959 est lancée l’opération « Suzanne ». Après six

jours de combats au sud de Bougie, dans les montagnes boisées jusqu’au

Takintoucht en direction de Kerrata, 594 moudjahidine sont tués et 78 faits

prisonniers. Cependant, l’armée continue d’occuper pendant tout l’été les

montagnes de Grande Kabylie. Alors que le déploiement opérationnel se

maintient dans la région, 14 commandos de chasse sont mis en place dans

les massifs kabyles.

Le général Challe a fait de ces « unités légères spéciales à base de

harkis » une des conditions de la réussite de sa stratégie. Dans sa directive

du 22 décembre 1958, il décrit la mission de ces commandos : une « chasse

à courre, qui devra autant que possible coller aux katibas, qu’elles se déplacent

dans les zones refuges ou que, se fractionnant, elles cherchent asile

dans la population ». Quatre commandos de chasse opèrent dans le secteur

de Palestro, deux autour de Bouira, quatre autour d’Azazga, deux autour de

Bordj Menaïel, trois à Fort National, un sur Draa el Mizan et Tizi Ouzou. Ils

harcèlent les combattants dispersés par petits groupes car les katibas ont été

décimées par l’offensive française, qui n’épargne pas les populations civiles

déplacées de force, soumises aux DOP mobiles, et dont les habitations sont

le plus souvent détruites. Les appuis aériens qui font du bombardement au

napalm un usage fréquent sont systématiques dès qu’un groupe de combattants

est repéré et que les forces françaises en sont protégées. En fait, la

plupart des hommes de l’ALN ont été principalement tués par l’artillerie et

l’aviation bien plus que par les balles de l’infanterie.

À partir d’août 1959, les pertes algériennes augmentent sensiblement

dans la wilaya III, qui perd son chef Mira à Chellata le 6 septembre 1959. La

situation est dramatique. En deux mois, du 17 août au 17 octobre 1959, l’ALN

a perdu 1390 moudjahidine et 807 prisonniers, dans la période des plus durs

combats comme en témoigne la perte de 88 soldats français. D’octobre 1959

à avril 1960, l’armée française n’en poursuit pas moins ses opérations contre

les maquis de Grande Kabylie et dans la Soummam. Tout l’ouest de la Petite

Kabylie est attaqué à partir de Bordj Bou Arreridj et Bougie. Six mois de


312 Atlas historique de l’algérie

combats pendant lesquels 2 222 moudjahidine sont tués et 1 141 faits prisonniers,

les pertes de l’armée française s’élevant à 167 tués. Les opérations

contre les maquis des Babors jusqu’à la presqu’île de Collo, où l’ALN est très

bien implantée, se déroulent sur une année entière, de septembre 1959 à

septembre 1960. Quatre opérations militaires groupées sous le nom général

de « Pierres Précieuses » ont pour objectif de détruire l’essentiel du potentiel

de l’ALN dans un terrain particulièrement difficile. Les régions concernées

sont très accidentées et couvertes de forêts, surtout le long du littoral méditerranéen.

Deux divisions françaises, la 25 e DP et la 11 e DI, participent à

plusieurs opérations contre la wilaya II avec « Turquoise » dans les secteurs

de Djidjelli, Mila, El Milia à partir de novembre 1959, tandis que la presqu’île

de Collo est attaquée pendant l’opération « Émeraude ». Quinze commandos

de chasse s’installent dans les montagnes environnantes, à partir de leurs

postes de Bougie, Akbou, Lafayette, Bordj Bou Arreridj, Saint-Arnaud,

Sidi Aïch, El Kseur, Titest, Oued Amizour. L’opération « Rubis » se déroule du

6 septembre au 17 octobre 1959 dans la région de Petite Kabylie, entre la

vallée de la Soummam et Lafayette tandis que les maquis des Babors sont

attaqués lors de « Saphir ». En mars 1960 les djebels Takoucht et Djermouna,

qui avaient été le théâtre des représailles sanglantes de 1945, sont à nouveau

ratissés pendant l’opération « Jonas ».

Crépin, qui a remplacé Challe en mars 1960, reprend l’offensive contre la

wilaya I, dont les hommes occupent encore le Hodna. Il envoie la 10 e DP

attaquer l’est du massif ainsi que le Bélezma en avril 1960, c’est l’opération

« Flammèches ».

Les offensives du plan Challe entraînent plusieurs réactions tardives de

l’ALN des bases de Tunisie. Le colonel Boumediene lance plusieurs attaques

contre les troupes françaises du barrage à partir de septembre 1959, avec

l’offensive « Didouche » dans la région de Souk Ahras, suivie de « Amirouche »

en novembre-décembre 1959. Mais ces attaques de l’ALN avec l’utilisation de

nouvelles pièces d’artillerie ne peuvent ralentir le « rouleau compresseur »

des offensives Challe. À partir d’avril 1960, cette dernière se rapproche

d’ailleurs du barrage est. Les opérations « Marathon » et « Pélican » ont pour

objectif de « nettoyer » le territoire situé entre les deux lignes du barrage, où

s’établissent souvent les quelques convois d’armement qui réussissent à

passer les premiers obstacles du barrage « avant ». L’état-major de l’ALN

tente de ravitailler les maquis de l’intérieur, très démunis par les offensives

du plan Challe. Deux convois, ceux de Ben Cherif et de Djilali Atmane, réussissent

tout de même à passer en avril au prix de fortes pertes.

Les wilayas ont perdu la moitié de leur potentiel militaire, entraînant une

vague de démoralisation dans plusieurs maquis. La wilaya I, qui est la plus

proche matériellement et politiquement de l’état-major de Boumediene, doit

ensuite affronter toute une succession d’opérations de septembre 1960 à septembre

1961. Les montagnes des Aurès et des Nememcha continuent d’abriter

de nombreuses unités de l’ALN un peu ravitaillées par les convois du sud

de la Tunisie, voire de la Libye. Dans les régions de l’Ouest, l’armée française

relance l’offensive dans l’Ouarsenis avec l’opération « Cigale » en juin 1960

tandis que plusieurs bataillons de l’ALN tentent de rejoindre la wilaya V, par

la région des Ksour, où ils sont repoussés en mai 1960. Toute la région où


Le plan Challe 313

transitent les convois venus du Maroc fait l’objet d’une grande opération

(« Prométhée ») entre juin et septembre 1960.

Cependant, avec les troubles entretenus par les Européens d’Alger contre

de Gaulle au début 1960 et le putsch des généraux français en avril 1961,

le programme des opérations du plan Challe dans les Aurès-Nememcha se

retrouve réduit. De plus, en ayant appuyé le coup de force des généraux

félons, de nombreux régiments d’élite se sont dissociés du reste de l’armée,

elle-même troublée par la nouvelle politique du chef de l’État en faveur de

l’Algérie « algérienne ».

Néanmoins, l’opération « Ariège » est lancée dans la région entre Arris et

Khenchela le 4 octobre 1960. Toujours avec la 25 e DP et la 21 e DI. L’opération

« Dordogne » à partir du 8 février puis « Isère » qui précède le coup de force

des généraux seront quant à elles d’un impact limité.

Comme en témoignent les nombreux monuments commémoratifs des villages

de l’Algérie indépendante, les morts de combattants sont encore très

nombreuses durant les deux dernières années de la guerre en 1960 et 1961.

Beaucoup de ceux qui avaient résisté depuis le début du conflit disparurent

dans ces années. Les moyens mis en œuvre par l’armée française pour

s’assurer une victoire purement militaire, dont le recours à des milliers de

harkis et l’usage massif de l’aviation, avaient eu raison des katibas, qui ne se

reconstituèrent en partie que très péniblement, souvent au début 1962. Enfin,

l’attention du général de Gaulle était tournée depuis 1960 en direction du

Sahara, où la France allait acquérir sa place parmi le club très fermé des

puissances nucléaires.


Affiche électorale en faveur du référendum de 1958.


DE GAULLE EN ALGÉRIE

orsque le général de Gaulle est « rappelé » au pouvoir en mai 1958,

L

il a un programme très complexe à mettre en œuvre. Partisan de la

fin du régime parlementaire et des querelles de partis qui bloquent

les institutions depuis 1945, date à laquelle il avait pris ses distances avec

le pouvoir, de Gaulle transforme très rapidement le système politique de la

IV e République en un nouveau régime de type présidentiel, dans lequel le chef

de l’État est également chef des armées. Le contexte de la guerre d’Algérie

aura pesé dans la nouvelle Constitution de 1958. Le général de Gaulle a rapidement

pris conscience de l’incapacité d’un régime parlementaire à régler le

« problème algérien ». Une fois que le premier gouvernement de la V e République

est confirmé dans ses fonctions le 1 er juin 1958, de Gaulle, qui a obtenu

les « pouvoirs spéciaux », entreprend toute une série de voyages en Algérie.

De son premier séjour à Alger l’opinion publique aura retenu le célèbre « Je

vous ai compris ! » qui alimentera des malentendus ultérieurs.

Après un deuxième voyage en juillet 1958, où il essaie de mesurer les

enjeux locaux de la guerre, le général de Gaulle se rend à Constantine le

3 octobre 1958, où il annonce un grand programme de développement de

cinq ans dont le principal architecte est le nouveau gouverneur général Paul

Delouvrier. Avec le nouveau gouvernement, l’organisation administrative des

départements algériens se trouve modifiée à partir de 1959. L’Algérie comptera

quinze départements dont deux dans le Sahara depuis 1957, celui de la

Saoura (Colomb-Béchar) et celui des Oasis (Ouargla).

Après son discours de Constantine de 1947, le général de Gaulle propose

une nouvelle fois aux 8 millions de « Français musulmans » des emplois

(400 000 prévus, principalement dans la fonction publique et dans l’industrie),

l’accès à l’école pour les jeunes et surtout

des milliers de logements.

Delouvrier voudrait pouvoir « loger un million de personnes en cinq ans »

avec le souci de décentraliser leur répartition, car les villes d’Oran et d’Alger

avaient bénéficié de la priorité dans les programmes des années précédentes.

Parmi les populations prioritaires figurent le million et demi d’Algériens parqués

dans les camps de regroupement, qui se voient bénéficier d’un programme

spécial baptisé « 1 000 villages ». Il s’agit de la construction de

villages en dur à l’emplacement même de ces regroupements, additionnés


316 Atlas historique de l’algérie

de quelques structures sanitaires. Dans les villes où s’est accumulée toute

une population de ruraux ayant fui les zones de combat ou les regroupements,

la crise du logement n’avait fait que s’aggraver. De nombreux

immeubles ont été construits dans les petites et grandes villes de l’Algérie,

dont le style architectural est toujours visible actuellement. Le programme

de logements urbains se trouve réparti sur les treize départements du nord.

En tête du nombre de logements programmés à partir de 1959 figure le

département d’Alger avec 53 000 logements, puis Oran (30 000), Constantine

(22 000). Ensuite suivent les petites villes : Sétif (19 000), Tizi Ouzou (15 000),

Bône (14 000), Mostaganem (12 000) et Médéa (11 000 chacune), Tiaret-Saïda

(8 000), Tlemcen (8 000) et Batna 7 000. La construction de 22 000 logements

est lancée immédiatement en 1959 et aboutit aux premières locations en

1960, comme dans le département de Sétif (où seulement 620 logements

seront livrés et loués. Avec la précipitation des événements politiques entre

1960 et 1962, de nombreux chantiers ne seront pas achevés voire annulés.)

Cependant, l’amorce du programme scolaire du plan de Constantine qui

ambitionnait d’ouvrir 2 025 classes par an pendant huit ans aura bénéficié à

toute une génération d’enfants algériens nés au début des années 1950. À la

rentrée 1960, 3 000 nouvelles classes sont ouvertes. 740 000 enfants musulmans

sont scolarisés en primaire à la rentrée 1960 ainsi que 130 000 autres

enfants encadrés par des instituteurs de l’armée. Mais l’enseignement secondaire

(lycées et collèges) n’accueille que 10 300 musulmans (dont

2 000 jeunes filles) sur 44 700 élèves en 1959 tandis que l’université d’Alger

compte 814 musulmans sur les 6 553 étudiants.

Le plan de Constantine financé par le gouvernement français se présente

comme le volet social de la politique du général de Gaulle alors que la guérilla

de l’ALN commence à perdre du terrain. Il tend une main en direction des

combattants de l’intérieur avec son message

de « la paix des braves » du 23 octobre

1958 mais qui est rejeté par la direction du

FLN, qui vient de constituer le GPRA.

Le général de Gaulle est bien conscient

que la France devra inéluctablement

« lâcher » l’Algérie. Le contexte mondial de la

décolonisation a rendu le statu quo intenable,

d’autant plus que la diplomatie du FLN

emmenée par Ferhat Abbas a entrepris la

promotion internationale de la lutte pour

l’indépendance. Mais le général de Gaulle a

encore besoin de l’Algérie, et du Sahara en

particulier, où est développé le programme

nucléaire militaire français tout comme

d’autres technologies hautement stratégiques

(voir chapitre sur le Sahara).

L’armée française, qui s’est engagée loin

dans cette guerre révolutionnaire, doit quant

Brochure du plan de Constantine, 1961.

à elle être ménagée par le général de Gaulle,

qui lui donnera les moyens de la victoire militaire. Après avoir éloigné Salan,

trop impliqué dans la politique algérienne, de Gaulle charge Challe en 1959


De Gaulle en Algérie 317

pour lancer les grandes opérations décisives contre l’ALN. Le plan Challe

permet d’occuper l’armée et les unités d’élite mobilisées dans la réalisation de

« leur » victoire qu’ils attendent depuis la défaite de Diên Biên Phu et le fiasco

de Suez. De Gaulle entreprend alors plusieurs voyages en direction des officiers

de l’armée qui combat l’insurrection algérienne. Avec ses « tournées des

popotes » en août 1959 et en mars 1960, le Général, qui par son charisme

impressionne les militaires, cherche à expliquer sa politique algérienne et rassurer

les militaires. Immédiatement après la première « tournée des popotes »,

le 16 septembre 1959, le général de Gaulle annonce publiquement le principe

de l’autodétermination pour les Algériens.

En 1960, l’opposition des Européens d’Algérie au projet présidentiel se

précise brutalement avec les premières barricades d’Alger. Les ultras qui

avaient pratiquement favorisé son retour se sentent maintenant trahis par les

fausses promesses et déclarations équivoques du général de Gaulle. Mais le

chef de la France libre oublie vite cette agitation avec la bonne nouvelle du

premier tir nucléaire français de l’histoire, qui vient d’être réalisé à Reggane

le 13 février 1960.

Le chef de l’État français espère bien disposer encore longtemps des

grandes possibilités du Sahara algérien et évoque une « Algérie algérienne

liée à la France » tout en proposant des négociations avec le GPRA, qui

tournent cours à Melun en juin 1960. Durant l’été et jusqu’à l’automne 1960,

les dernières opérations du plan Challe visent les maquis historiques de l’Est

algérien tandis que de Gaulle parle d’une « République algérienne » le

4 novembre 1960. Il ne veut pas pour autant livrer l’Algérie aux GPRA sans

contrepartie. Sachant que les dirigeants algériens sont affaiblis par leurs divisions

internes, il retarde encore le temps des négociations sérieuses. La rue

algérienne va pourtant lui rappeler qu’elle a déjà fait son choix. Elle défie les

autorités en manifestant bruyamment sa fidélité au FLN et au GPRA de Ferhat

Abbas à partir de 11 décembre 1960, notamment à Belcourt (Alger), où

112 Algériens seront mitraillés par les CRS. Ces événements se déroulent

que se tient l’Assemblée générale de l’ONU, qui adopte un texte reconnaissant

le droit du peuple algérien à l’indépendance.

Le président français procède à la consultation des Français par référendum

en janvier 1961. Les 75 % de oui en France et 69 % dans les départements

algériens le confirment dans sa politique. Il poursuit les négociations

secrètes avec le GPRA en février. Les premiers attentats de l’OAS frappent

les villes d’Algérie, ciblant les Européens proches des Algériens. Les ultras

de l’Algérie française sont rejoints dans leur dissidence par un groupe de

plusieurs haut gradés de l’armée (Gardes, Godard, Argoud…) qui occupent le

Gouvernement général le 22 avril 1961. Parmi eux, les généraux Salan, Zeller,

Jouhaud et Challe tentent le coup de force contre de Gaulle et s’adressent à

la population par la radio et la télévision. Ils sont appuyés par plusieurs éléments

issus de trois régiments de parachutistes (1 er REP, 14 e RCP et 18 e RCP)

et plusieurs officiers affiliés à l’OAS. Mais le putsch des généraux n’est pas

suivi par la masse des soldats du contingent qui pour la plupart d’entre eux

ne pensent qu’à « la quille » et à rentrer en France.

Après quelques jours pendant lesquels la psychose d’une attaque parachutiste

s’installe à Paris, la tentative des ultras échoue le 26 avril. Alors que

les conspirateurs entrent dans la clandestinité, de Gaulle, renforcé après


318 Atlas historique de l’algérie

cette confrontation, entreprend de régler le problème algérien avec le GPRA.

À partir de mai-juin 1961 commencent ainsi les négociations d’Évian, mais

qui se heurtent à la question du Sahara, où, le 25 avril, le quatrième essai

nucléaire français venait d’être réalisé à Reggane… ce qu’ignoraient totalement

les dirigeants algériens. De Gaulle tient vraiment beaucoup à garder le

Sahara français, proposant même une partition du territoire algérien. Un plan

de partage fut même proposé en 1961 par Alain Peyrefitte, consistant à laisser

l’ouest de l’Algérie et la région Alger-Mitidja à la population européenne tandis

que les Algériens auraient leur État à l’est, de la Kabylie à la Tunisie. Mais ce

plan sur le modèle sud-africain fut rapidement abandonné.

Le FLN pousse la population algérienne à manifester son désaccord à

toute amputation territoriale. Dans les villes en juillet 1961, comme à

Constantine, les rassemblements sont violemment dispersés, faisant

80 morts. Les activistes de « l’Algérie française » sont quant à eux de plus en

plus déterminés à lutter contre la politique « d’abandon » du président français.

Ce dernier est visé par une première tentative d’attentat à Pont-sur-

Seine le 8 septembre 1961 alors que Paris subit quarante attaques de l’OAS.

Cette dernière pense représenter les 990 000 Européens d’Algérie, dont la

question ne figure pas dans les plans du général de Gaulle. En Algérie, l’OAS

dirige ses attentats contre de nombreuses personnes travaillant pour le gouvernement,

mais également contre les commerçants algériens, notamment

en juillet-août 1961. Mais les derniers mois de la guerre d’Algérie verront la

violence de l’OAS exacerbée par l’issue diplomatique du conflit. De Gaulle

tournera définitivement le dos à l’Algérie. Mais il a obtenu des garanties

secrètes lors des dernières négociations d’Évian concernant le Sahara. Si le

désert restera bien algérien, il continuera d’abriter les installations spéciales

françaises jusqu’en 1967.


De Gaulle en Algérie 319



LE SAHARA ET LES SITES

STRATÉGIQUES FRANÇAIS

’est pendant les années 1950 que le Sahara algérien devient hautement

stratégique pour les autorités françaises. Ces années corres-

C pondent à la fois à la découverte de gisements d’hydrocarbures

considérables et au développement spectaculaire des programmes spatial et

nucléaire français. Avec le déclenchement de l’insurrection du FLN en

novembre 1954 et son extension à la majeure partie de l’Algérie du Nord,

les gouvernements français ont redouté que les régions sahariennes soient

atteintes par la guerre.

Le Sahara abrite plusieurs sites stratégiques sensibles dont celui du programme

nucléaire ultra secret dans l’extrême sud de l’Algérie. D’autres bases

militaires tout aussi discrètes se trouvent dans la région de Colomb-Béchar

depuis 1935 et à Hammaguir depuis 1948. Avec la découverte du gisement de

pétrole d’Hassi Messaoud en 1956, le Sahara est rapidement présenté à l’opinion

publique française comme un trésor national à protéger, notamment des

prétentions indépendantistes du FLN. Ainsi médiatisé, le Sahara « utile » avec

ses ressources énergétiques occultera l’existence des autres programmes

stratégiques, dont l’existence fut bien cachée.

Après la « pacification » du Sahara algérien au début du XX e siècle (voire

carte sur la conquête du Sahara) par les Français, « l’aventure saharienne »

marqua un temps d’arrêt avec la Première Guerre mondiale. Génératrice

d’innovations techniques en termes d’armement, la Grande Guerre poussa

l’armée française à développer certaines armes nouvelles de type chimique,

que les Allemands avaient employées sur les champs de bataille, avec un

succès relatif toutefois. Avec l’immensité du Sahara algérien, les autorités

décident de créer en 1935 une base d’essais spéciaux dans la région de

Beni Ounif, dans la vallée de l’oued Namous. Disposant de plusieurs centaines

de kilomètres carrés, l’armée française entreprend des tirs d’obus et autres

bombes chargés de substances chimiques hautement toxiques. La base

prend le nom discret de « centre d’expérimentation semi-permanent »

(CESP).

La base B2 Namous devait pouvoir développer tout un arsenal chimique à

usage militaire et constituer une arme dissuasive mais également adaptée à


322 Atlas historique de l’algérie

certaines opérations. Mais dès avant 1945, un programme d’armes de type

bactériologique fut lancé. Des essais d’armes utilisant des agents de la peste

et de l’anthrax ont été rapportés par un spécialiste français (Olivier Lepick,

Science et Vie, HSn o 19, 2004, p. 112).

En 1945, les militaires français sont préoccupés par leur retard technique

à côté des Anglo-Américains et des Soviétiques. Après la Seconde Guerre

mondiale et le développement scientifique militaire qui l’accompagna, les

États-Unis avaient fini par être les premiers à mettre au point l’arme atomique,

qu’ils utilisèrent contre le Japon en août 1945. Avec l’occupation de

l’Europe et du Japon, les Américains avaient accumulé de nombreux travaux

scientifiques des « professeurs » nazis et japonais concernant les essais chimiques

et bactériologiques sur leurs captifs. Mais avec la « récupération » de

l’Allemand Wernher von Braun, créateur des fusées V1 et V2, les Américains

relancèrent leur programme pour conquérir l’espace. La France développa

son propre programme d’armement spécial à B2 Namous et entreprit la création

d’une nouvelle base au sud de Colomb-Béchar en avril 1947.

Le Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) disposait du site

de Bou Hammadi, à l’ouest de Béchar pour développer des missiles antichars

et anti-avions. Les bases B0 et B1 avaient leurs champs de tir non loin de la

frontière marocaine, dans une région désertique et très peu peuplée. Mais

assez rapidement, une autre base située à 120 km au sud-ouest de Béchar

fut désignée pour entreprendre des lancements de missiles balistiques et de

premières fusées du programme spatial français. La base d’Hammaguir a été

choisie en raison de sa position à 30° de latitude nord (non loin de l’équateur),

idéale pour la mise sur orbite d’engins satellites. La conception de la première

fusée française dès 1949 ouvre rapidement la voie à la construction

d’une rampe de lancement à Hammaguir. La fusée « Véronique » décollera

du sol algérien en 1952. D’autres vols habités partiront dans le même type

de fusée, avec des chats, souris et singes… Ces bons résultats réalisés dans

le Sahara algérien se déroulent dans cette période particulière des

années 1950 où le contexte de la guerre froide provoque une course aux

armements et où domine la question nucléaire.

Pionnière dans le domaine de la physique de l’atome avec ses travaux sur

la radioactivité (travaux de l’équipe Joliot-Curie et découverte de la fission

nucléaire en 1939), la France s’était lancée dans un programme nucléaire civil

dès 1945 avec la création du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) puis

avec le premier réacteur de Marcoule en 1952. Le gouvernement Guy Mollet

entreprit même de fournir le premier réacteur aux Israéliens en échange de

leur participation à l’expédition contre Nasser et de la collaboration du

Mossad concernant les activités FLN en Égypte (accords secrets de Sèvres

en 1956, auxquels participa le général Challe).

Quant aux travaux du nucléaire militaire, c’est dans le Sahara algérien

qu’ils trouvent leur terrain d’application. Les États-Unis avaient déjà utilisé le

désert du Nouveau-Mexique pour faire exploser leur première bombe atomique

en 1945 (projet Manhattan), tandis que la bombe britannique explosait

en 1952 dans le Pacifique. L’instabilité chronique des derniers gouvernements

de la IV e République, confrontés aux vagues de grèves en France, à la guerre

d’Indochine et à la question algérienne, avait probablement limité les possibilités

politiques et économiques nécessaires à la réalisation de la première


Le Sahara et les sites stratégiques français 323

bombe. En outre, les recherches anglo-américaines sur le nucléaire militaire

n’avaient pas été partagées avec la France, pourtant membre de l’Otan.

La guerre en Algérie et l’indépendance du Maroc en 1956 avaient provoqué

une inquiétude sécuritaire dans certaines régions du Sahara. Le gouvernement

du Maroc, qui envisageait de reprendre les régions encore occupées par

les Espagnols dans le Rio de Oro, entreprit de créer un climat d’insécurité

au-delà de sa frontière sud, en armant l’ALM (Armée de libération marocaine).

Les incursions de ces groupes armés composés de nomades au-delà du

Draa, en direction de Tindouf, provoquèrent la réaction de l’armée française

en 1958. L’opération « Écouvillon » fut menée en février 1958 par les forces

françaises et espagnoles contre cette armée irrégulière.

Le FLN avait quant à lui atteint plusieurs régions du Sahara depuis 1955-

1956, notamment les oasis du Souf ainsi que le secteur de Béchar et de

Timimoun. Des troupes méharistes avaient déserté en tuant leurs officiers

français en 1957, provoquant l’envoi du RPC de Bigeard sur les oasis de Timimoun.

C’est cette même année que le pétrole jaillit à Hassi Messaoud et

qu’est créé le Centre saharien d’expérimentation militaire (CSEM) à Reggane,

pour préparer les premiers essais atomiques. Cette oasis est située aux

abords du Grand Erg occidental, étendue désertique de sable.

Lorsque le général de Gaulle arrive au pouvoir en 1958, il a bien l’intention

de réaliser son programme de dissuasion nucléaire. Pour l’ancien chef de la

France libre qui avait été confronté à la question de l’indépendance de la

France après la Pax Americana en 1944-1945, le pays devait se doter de

moyens militaires à la hauteur de ses ambitions internationales. Choisi pour

régler la question algérienne, le premier président de la V e République fut

particulièrement préoccupé par la réalisation du programme nucléaire lancé

par Mendès France. Pour Constantin Melnik, ancien conseiller à la sécurité

du Premier ministre de 1959 à 1962, « de Gaulle s’intéressait plus à la bombe

atomique qu’à la reprise en main de l’Algérie ». La nomination de Pierre

Guillaumet, issu du CEA, comme ministre des Armées en 1959 et de Crépin

au poste de commandant en chef illustre cette volonté de disposer d’un cabinet

très engagé dans la réalisation du projet nucléaire militaire.

La première bombe A française finit par exploser à Reggane le 13 février

1960, d’une puissance trois à quatre fois supérieure à celle d’Hiroshima.

De Gaulle se trouve en pleine crise avec les Européens d’Algérie, désemparés

par sa politique en faveur de l’autodétermination des Algériens. Pourtant,

les essais nucléaires se succèdent dans la région de Reggane, protégée

par plusieurs zones d’exclusion aérienne et polygones de tirs totalement

interdits aux non-militaires chargés du programme. Cinq mille personnes,

Français et travailleurs locaux vivent sur la base de Hamoudia, non loin du

site des essais atomiques.

Après « Gerboise bleue » en février suivent trois autres explosions aériennes

avec « Gerboise blanche » le 1 er avril 1960, puis « Gerboise rouge » le

27 décembre 1960. Le dernier essai, « Gerboise verte », est réalisé le 25 avril

1961 dans le même périmètre.

Les États-Unis finiront par détecter ces essais, poussant les autorités

françaises à déplacer les campagnes d’explosions atomiques dans le massif

du Hoggar où se suivent treize « opérations » du 7 juillet 1961 au 16 décembre


324 Atlas historique de l’algérie

1966. Ces nombreux essais souterrains seront effectués dans la partie occidentale

du massif du Hoggar, dans les montagnes d’In Ecker. Enterrées dans

des galeries creusées dans les roches granitiques, les charges atomiques

provoquent des implosions qui pour certaines entraînèrent des fuites radioactives

imprévues. Ce fut le cas lors du deuxième essai « Béryl » du 1 er mai

1962 mais également le 30 mars 1963 (« Améthyste »), le 20 octobre 1963

(« Rubis ») et le 30 mai 1965 (« Jade »). Les militaires chargés de veiller aux

installations et les personnels techniques se trouvèrent exposés à des irradiations

ainsi que les populations locales. Comme dans la région de Reggane,

les vents de sable succédant aux explosions déposèrent une quantité non

négligeable de radioactivité dans les espaces peuplés de l’erg Chech au

Hoggar.

Des années après, les anciens militaires français n’ont cessé de réclamer

réparation pour les maladies dont ils ont été victimes après leur exposition

non protégée pendant les campagnes d’essais nucléaires. Les populations

algériennes de ces régions ont quant à elles été affectées dans leur santé

avec un nombre anormal de naissances d’enfants atteints de déformations.

Lancés pendant la guerre d’Algérie, ces essais atomiques avaient été préparés

sans réelles précautions sanitaires concernant les personnels et les

populations locales. De Gaulle avait bien accordé des crédits quasi illimités

pour ce projet, mais il voulait faire vite. En 1960 avaient débuté les premières

discussions avec le GPRA dans l’optique du règlement de la guerre. Les chefs

du GPRA avaient-ils connaissance des premiers essais nucléaires ? Si les

dirigeants algériens du FLN n’avaient certainement pas eu accès à ce secret

trop bien gardé, il n’en demeure pas moins qu’ils avaient contribué à les

protéger dans le cadre des arrangements entre Delouvrier et le GPRA pour

que l’ALN ne touche pas à certaines installations du Sahara comme le gazoduc

Hassi R’Mel-Arzew (gisement de Hassi R’Mel découvert en 1956).

À son arrivée en 1959, le nouveau délégué général du gouvernement de

Gaulle en Algérie Paul Delouvrier (qui a révélé cette information en 1983 à

l’historien français Daniel Lefeuvre (Science et vie, HSn o 19, 2004, p. 106)

devait lancer le fameux plan de Constantine comprenant le développement

des activités énergétiques algériennes. Après la découverte du pétrole en

1956, son exploitation fut appuyée politiquement par les gouvernements français

bien que son coût ait été plus élevé que celui d’un marché très concurrentiel

(puits français, gisements de Libye…). Le 5 décembre 1959 fut inauguré

le premier oléoduc Hassi Messaoud-Bougie, événement très médiatisé et

ajouté aux nombreuses « réalisations françaises » en Algérie.

De Gaulle savait quant à lui que l’indépendance de l’Algérie était inéluctable

mais il souhaitait pouvoir disposer d’un statut avantageux pour la

France, sous forme d’une coopération étroite avec le futur gouvernement

algérien. Les territoires du Sahara algérien, devenus un espace hautement

stratégique depuis les années 1950, auraient été dissociés d’une future Algérie

indépendante. Pour Roger Goetze, haut fonctionnaire du gouvernement de

Gaulle en 1958, « l’attachement des plus hautes autorités françaises pour un

Sahara hors d’Algérie, c’était moins pour le pétrole qu’à cause de la base

d’essais nucléaires de Reggane ».

De Gaulle voulait conserver le Sahara pour la France et laisser le nord au

GPRA. C’est cette question qui bloqua les négociations de février 1961 entre


Le Sahara et les sites stratégiques français 325

les Français et le GPRA. Pour les dirigeants algériens, il était hors de question

que l’Algérie indépendante soit amputée du Sahara. Ferhat Abbas lutta très

fortement sur le terrain diplomatique contre ce projet de partition. À l’issue

des discussions d’Évian de mai-juin 1961 entre le GPRA et le gouvernement

français qui n’aboutirent pas pour le même problème du Sahara et du pétrole,

les populations algériennes manifestèrent leur désapprobation au projet français

sur le Sahara, notamment à Constantine où 80 Algériens le payèrent de

leur vie. Bien que se trouvant militairement en position de force après les

opérations du plan Challe, le général de Gaulle doit néanmoins négocier avec

le GPRA sous la double pression de la rue algérienne et de la rue européenne

d’Algérie, livrée aux activistes de l’OAS.

De Gaulle finit par reconnaître la souveraineté algérienne sur le Sahara le

5 septembre 1961. C’est dans ce climat explosif du printemps 1962 que sont

signés les accords d’Évian qui prévoient l’indépendance à l’Algérie mais qui

comprennent plusieurs clauses plus discrètes concernant les installations

militaires du Sahara.

En fait, les installations militaires du Sahara furent concédées par le GPRA

à la France pour une durée de cinq ans. Les deux grands complexes d’In

Ecker-Reggane et Béchar-Hammaguir furent conservés par les militaires

français où les essais nucléaires continuèrent jusqu’au 16 février 1966.

À Hammaguir, le premier satellite français fut envoyé dans l’espace le

26 novembre 1965, quelques mois avant l’évacuation de la base, selon les

accords de 1962. Cependant, la base B2 Namous continuera de fonctionner

jusqu’en 1972, après la signature d’un accord secret de renouvellement de la

concession pour cinq ans, reconduite ensuite jusqu’en 1978. Après cette date,

les activités de la base sont confiées à la Sodeteg, société française privée,

filiale de Thomson, qui fermera définitivement en 1982. La France a exploité

pendant dix ans ses bases d’essais nucléaires du Sahara avant de transférer

dans l’océan Pacifique ces activités très sensibles au niveau international.

Avec la non-ratification du traité Biological and Toxin Weapons Convention sur

l’interdiction des armes biologiques de 1972, la France a continué discrètement

ses activités « chimiques et biologiques » à B2 Namous, dont le contenu

reste encore bien caché.



LA RÉPRESSION DU 17 OCTOBRE

1961 À PARIS

près les attaques du FLN en août-septembre 1958, la police avait

A

procédé à des arrestations massives contre la Fédération de France,

qui dut s’installer en Allemagne. Avec l’arrivée à Paris du nouveau

préfet de police Maurice Papon en mars 1958, la répression policière violente

se met en place. Un nouveau seuil est franchi avec l’apparition de la FPA

(Force de police auxiliaire) à la fin de 1959. Ce corps de police est entièrement

composé de 220 harkis recrutés en Algérie et commandés par Montaner,

un Européen d’Algérie. À partir de 1960, ces policiers harkis investissent les

quartiers parisiens acquis au FLN comme le 18 e arrondissement où ils

s’installent à la Goutte d’Or et le 13 e . Environ 27 000 Algériens vivent à Paris,

le plus souvent dans des hôtels meublés.

Pour « remonter » les réseaux FLN parisiens, les harkis utilisent les

mêmes méthodes banalisées en Algérie. Ils seront systématiquement ciblés

par les groupes de choc du FLN. Alors que le général de Gaulle a commencé

à évoquer l’autodétermination pour les Algériens en 1959, le préfet Papon,

qui a passé deux ans comme préfet du département de Constantine entre

1956 et 1958, fait de la lutte contre le FLN une de ses priorités. Avec une

tolérance accordée à la police et aux harkis, le nouveau préfet provoque une

quasi-guerre entre les commandos FLN et la police parisienne. « Entre janvier

et octobre 1961, 22 policiers ont été tués, dont plus de la moitié entre fin

août et début octobre 1961 » (Peggy Derder, Immigration algérienne et indépendance,

La Documentation française, 2012). Le 2 octobre 1961, Papon déclare

aux policiers rassemblés lors des obsèques d’un collègue : « pour un coup

reçu, nous en porterons dix ». Trois jours plus tard, le préfet de Paris décide

d’imposer un couvre-feu uniquement pour les Algériens de 20 h 30 à 5 h 30.

Le FLN décide de répliquer pacifiquement à cette mesure d’exception en

manifestant massivement à Paris le 17 octobre 1961.

Les cortèges doivent tous converger vers les quartiers du centre de la

capitale à partir de la place de l’Étoile, des Grands Boulevards entre l’Opéra

et République ainsi que de Saint-Michel en direction de l’Assemblée nationale.

La présence des Algériens à la manifestation a été rendue obligatoire par

les militants du FLN qui doivent encadrer des milliers d’individus, lesquelles


328 Atlas historique de l’algérie

affluent principalement des grands bidonvilles de Nanterre où vivent

10 000 personnes. Les manifestants algériens viennent des quartiers nord de

Saint-Denis-Aubervilliers et de Choisy-le-Roi.

La police, qui a été rapidement informée de la préparation d’une manifestation,

s’est vite déployée aux abords des ponts qui enjambent la Seine à

Levallois et Neuilly. C’est ici que les violences policières font les premières

victimes algériennes. Les policiers n’hésitent pas à tirer dans la foule et à

précipiter des manifestants dans la Seine. À la sortie des stations de métro,

les premiers groupes de manifestants sont rapidement chargés par la police,

qui a ordre d’empêcher tout début de manifestation. Les fonctionnaires de

police ont reçu l’assurance qu’ils seraient « couverts » par leur préfet et

déchaînent leur haine sur les manifestants désarmés. Ils matraquent systématiquement

les Algériens, qui ont des centaines de blessés, le plus souvent

à la tête. À Saint-Michel, les quais de la Seine sont le théâtre de la répression

policière, où périront noyés plusieurs manifestants jetés dans la Seine. En

même temps que les policiers s’acharnent sur les Algériens et font la chasse

au faciès, raflant plusieurs « bruns » italiens ou français, des milliers de

manifestants sont arrêtés. Parmi eux, un certain nombre est conduit dans la

cour de la préfecture de police de Paris où ils sont matraqués parfois jusqu’à

la mort. « Sur un total de plus de 22 000 manifestants, 11 538 personnes sont

interpellées et emmenées dans des centres de détention » (P. Derder. op. cit.).

Avec la réquisition des bus de la RATP et de plusieurs installations sportives,

les autorités civiles se sont indubitablement soumises à la politique de

Papon, dont la responsabilité administrative dans la déportation des juifs de

Gironde pendant la Seconde Guerre mondiale a été établie en 1997.

Des milliers d’Algériens se retrouvent parqués dans des conditions sanitaires

déplorables, alors qu’ils sont souvent grièvement blessés. Plusieurs

centaines seront expulsés vers l’Algérie. Tous ces Algériens sont les survivants

du massacre policier de la nuit du 17 octobre 1961, pendant laquelle

une centaine d’hommes ont été assassinés en toute impunité, puisque ces

« incidents » ont été couverts au plus haut niveau. Seuls quelques témoins

ont pris les rares clichés de cette répression sans précédent dans l’histoire

de Paris depuis 1871. En couvrant la répression du 17 octobre 1961, à six mois

du cessez-le-feu en Algérie, l’État français banalise les méthodes brutales de

la guerre menée depuis six ans contre les indépendantistes algériens.

De Gaulle, qui négociait la place de la France dans le Sahara algérien

depuis février 1961, un an après l’explosion atomique de Reggane, n’avait pas

du tout apprécié les manifestations pro-FLN de Belcourt alors qu’il s’était

rendu à Alger en décembre 1960. Que le drapeau algérien soit déployé en

plein Paris lui était encore plus insupportable. Ce 17 octobre demeura longtemps

un épisode insignifiant dans la mémoire de la guerre d’Algérie, mais il

a fini par resurgir dans les années 1980, et plus récemment avec les commémorations

de 2001 et 2021.


La répression du 17 octobre 1961 à Paris 329

Paris, octobre 1961.


Plaque commémorative sur le pont de la rue du Port à Saint-Denis.


LES DÉCHIRURES DE LA

POPULATION FRANCO-ALGÉRIENNE

DES VIOLENCES EXACERBÉES,

DE MARS À L’ ÉTÉ 1962

es négociations d’Évian entamées le 7 mars 1962 aboutissent à la

L

signature des accords historiques entre le GPRA et le gouvernement

français le 18 mars 1962. Le cessez-le-feu est effectif le lendemain,

engendrant des scènes de liesse parmi la population algérienne, sauf dans

les grandes villes où l’OAS n’en finit pas de s’opposer par la violence au

processus inéluctable des négociations pour l’indépendance. Le 15 mars

1962, l’OAS perpètre 120 attentats en une seule journée, dont l’assassinat de

Mouloud Feraoun et d’autres personnels socio-éducatifs.

À Alger, les ultras sont notamment retranchés dans le quartier de Bab el

Oued, habité exclusivement d’Européens. Encerclé par les gardes mobiles et

l’armée, le bastion OAS se prépare à combattre ces soldats français qui seront

considérés comme faisant partie d’une armée d’occupation à partir du

23 mars 1962. Alors que des milliers de prisonniers algériens sont libérés

par les autorités françaises en Algérie et en France, concrétisant la fin d’une

guerre qui a duré six ans et deux mois, un nouveau bain de sang survient en

plein cœur d’Alger. Le 26 mars 1962, une manifestation de soutien aux insurgés

de l’OAS dégénère en fusillade aveugle devant la grande poste, faisant

54 morts (estimation) et 140 blessés dans la population européenne. À ce

moment-là, des milliers d’Européens avaient commencé à quitter l’Algérie

vers la France.

Dans le cadre des accords d’Évian est mis en place un « exécutif provisoire

» algérien, situé à Rocher Noir (Boumerdès), loin du centre d’Alger

devenu la proie des attaques quotidiennes de l’OAS. Cette structure doit

notamment disposer d’une force locale, composée de 40 000 appelés musulmans

du contingent. La tâche d’Abderrahmane Farès d’assurer la transition

avec l’autorité française s’avère bien difficile à mettre en œuvre. Le printemps

1962 est le commencement d’un grand désordre. Les activistes de l’OAS ont

choisi la fuite en avant, sur fond de désespoir de la population européenne

qui choisit de partir, d’abord pour fuir le climat de violence meurtrière qui

règne à Alger et Oran. Se mettre à l’abri des violences est bien le premier

souci, sans réaliser vraiment qu’une nouvelle Algérie vient de naître, où les

Européens ne domineront plus ceux qu’ils ont longtemps appelés les


332 Atlas historique de l’algérie

« Arabes ». En réalité une peur diffuse fait craindre des représailles de la part

de la population algérienne ou du FLN, l’ennemi diabolisé par les autorités

françaises pendant toute la guerre. Pourtant, les milliers d’Européens qui

resteront après juillet 1962 ne seront pas inquiétés ni par le nouveau pouvoir

en place ni par la population…

C’est surtout la grande vague meurtrière de l’OAS contre les Algériens

entre mai et juin 1962 qui précipite le départ des Européens qui bravent

l’interdiction des activistes. L’OAS déclare une guerre totale contre les Algériens.

Femmes de ménage, petits commerçants ou simples piétons algériens

sont exécutés en pleine rue ou massacrés par des bombes, comme celle qui

explose dans le port d’Alger le 2 mai 1962, faisant 110 morts et 150 blessés

parmi les dockers algériens, qui attendaient du travail, certains accompagnés

leurs enfants. Les Algériens ont fini par se replier sur leurs quartiers comme

à Belcourt, fief historique du FLN. Des commandos FLN de Si Azzedine

(ancien chef de la wilaya IV) répliquent au massacre en frappant les quartiers

européens. Mais l’exécutif provisoire et le GPRA de Ben Khedda prônent la

modération. Car les maquisards des wilayas autour d’Alger pourraient attaquer

les Européens d’Alger.

Mais le GPRA a d’autres problèmes. À Tripoli, son président Ben Khedda

a été mis en minorité. C’est Ahmed Ben Bella qui est élu le25 mai comme

nouveau dirigeant du futur État indépendant. C’est à l’issue d’un vote du

congrès que se met en place une opposition au nouveau GPRA avec Ben

Khedda qui rejoint Tunis et ses partisans. Ben Bella, élu par une majorité du

CNRA doit cependant s’appuyer sur l’État-major général (EMG) dont Houari

Boumediene est le chef. Celui-ci dispose de l’armée des frontières comme

carte décisive face à l’autre clan politique. Le GPRA historique, composé des

trois « B » : Krim Belkacem, Ben Tobbal et Boussouf, avait dû affronter une

crise majeure avec l’EMG durant l’été 1961. En décembre 1961, Boumediene

avait envoyé Abdelaziz Bouteflika en France pour proposer à Ben Bella (déjà

vice-président du GPRA au moment de sa création en 1958) la formation d’un

nouveau GPRA. Aït Ahmed et Boudiaf, compagnons de captivité de Ben Bella,

avaient pris leurs distances avec ces rivalités, comme Ferhat Abbas qui fut

« éloigné » de la présidence au même moment, remplacé par Ben Khedda.

C’est à Oujda au Maroc, que Ben Bella, nouveau chef d’un GPRA « bis », se

rend en juin 1962 avec Mohamed Khider, son compagnon (depuis leur départ

vers l’Égypte en 1952). Ben Bella y est accueilli par Boumediene, en conflit

avec le GPRA de Tunis. Mais il bénéficie du soutien de Ferhat Abbas et des

ex-militants de l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien) comme

Boumendjel.

Pendant ce temps, des tractations politico-militaires ont lieu autour du

pouvoir algérien alors qu’Alger est à feu et à sang. Pratiquant la politique de

la terre brûlée par ses nombreuses destructions (hôtel de ville, Bibliothèque

nationale…), l’OAS menace de faire sauter les installations pétrolières du

Sahara et annonce avoir miné les égouts de la casbah et de Belcourt. Quant

au chef OAS Godard, un des responsables militaires lors de la bataille d’Alger

en 1957, il n’hésite pas à pointer ses mortiers sur la casbah.

L’OAS a atteint un niveau de violence tel, que l’exécutif provisoire et certains

responsables du FLN décident d’entamer des négociations avec l’un de

ses chefs le 15 juin 1962. Représenté par Susini, l’OAS discute d’une trêve


Des violences exacerbées, de mars à l’été 1962 333

avec le docteur Mostefaï. Depuis le 1 er juin, l’ancien maire d’Alger Jacques

Chevallier (chassé de la mairie d’Alger par Salan pour ses positions proalgériennes)

avait déjà tenté une première médiation entre Susini et Farès.

Si Azzedine finit par donner son accord pour sauver les vies des Algériens

sous la menace des bombes de l’OAS. Mais ces accords ne sont pas reconnus

par la direction bicéphale du GPRA.

Alors que la France reconnaît officiellement l’indépendance de l’Algérie le

3 juillet 1962, deux jours après le référendum pour l’autodétermination se

mettent en place deux groupes politico-militaires algériens, l’un à Oujda avec

Ben Bella et l’autre à Tunis avec Ben Khedda. Ce dernier atterrit le 3 juillet à

Alger, pour entériner sa légitimité auprès de la foule algéroise, qui l’accueille

dans une ambiance de liesse générale. Deux jours plus tard, la population

algérienne célèbre officiellement son premier jour d’indépendance, fixé cent

trente ans après le débarquement français de Sidi-Ferruch. Le gouvernement

Ben Khedda, conscient de l’arrivée imminente du gouvernement Ben Bella

qui s’installe le 11 juillet à Tlemcen, finit par se « dessaisir de tous ses pouvoirs

au profit du bureau politique imposé par le groupe de Tlemcen » (Amar

Mohand Amer, Le Monde hors-série février-mars 2012).

Cependant, les chefs des wilayas II, III et IV, qui avaient soutenu le GPRA

historique associé aux chefs Krim Belkacem et Ben Tobbal, tentent de résister

aux colonnes de l’ALN des frontières. Des combats fratricides se déroulent

en plusieurs points de l’Algérie, faisant des centaines de morts, notamment

dans la wilaya IV.

C’est dans ce contexte de confusion politique et d’absence de pouvoir réel

que se déroulent de nombreux massacres d’anciens supplétifs algériens de

l’armée française. Mais les exactions contre les harkis avaient débuté dès

mars 1962, au moment où leur désarmement fut décidé par Paris. Bien que

la majorité d’entre eux regagnent discrètement leurs familles, de nombreuses

« harkas », comme celles qui avaient fortement contribué à détruire les

groupes de maquisards tout en terrorisant la population, furent en partie

« rapatriées » par leurs chefs militaires français, qui les avaient, et pour

cause, considérées comme « trop exposées ». Mais les harkas qui n’avaient

pas pu bénéficier d’une aide militaire, à l’initiative des officiers français seuls,

avant juillet 1962 furent en partie massacrées ou emprisonnées par les responsables

locaux du FLN ou de l’ALN, souvent par des résistants de la dernière

heure, les « marsiens ». Les supplétifs algériens de l’armée française

doivent attendre l’intervention du Premier ministre Georges Pompidou en

octobre 1962, pour être rapatriés. Ils seront 500 soldats et leurs familles à

pouvoir s’échapper. Le nombre de harkis massacrés entre mars et

octobre 1962 fut estimé à 10 000 personnes.


Couverture de Siné Massacre, 3 janvier 1963.


DES EUROPÉENS D’ALGÉRIE

AUX PIEDS-NOIRS EN FRANCE

e terme administratif d’« Européens » pour dénommer les populations

émigrées d’Europe en Algérie avait été employé dès les pre-

L mières années de la conquête. En 1836, la population européenne

s’élevait à 14 500 personnes et comprenait plus de la moitié d’Espagnols,

d’Italiens et de Maltais. Vingt ans plus tard, ces Méditerranéens seront 41 000

sur 95 000 Européens, qui comptaient des milliers d’Allemands et de Suisses.

Le nombre de ces « étrangers » augmente constamment (39,5 % de la population

européenne en 1866 puis 46,8 % en 1886). Avec le processus des naturalisations,

le nombre d’Européens finit par diminuer, surtout après la loi de

1889. La population indigène est quant à elle définie comme « arabe » ou

« indigène ». Les militaires français distinguent les « indigènes musulmans »

des « israélites ». Avec les nombreux travaux des diverses commissions

scientifiques qui sillonnent le pays, les officiers précisent leur description

détaillée des populations : Arabes, Kabyles de la plaine, de la montagne,

Mozabites, Chaouias et autres ensembles ethnolinguistiques du Sahara

forment l’ensemble des indigènes, que le terme générique d’« Arabes »

englobera indistinctement. Jusqu’à la Première Guerre mondiale et les premiers

indigènes naturalisés pour leur bravoure sur les champs de bataille, il

n’y a qu’une infime minorité d’indigènes musulmans de nationalité française.

Seules les populations judéo-berbères, qui avaient bénéficié du décret Crémieux

sur la naturalisation, sont devenues des citoyens français. Malgré cela,

la minorité judéo-berbère a longtemps été perçue comme indigène par les

habitants de souche européenne. Avec l’instauration du code de l’indigénat

en 1888, les autorités coloniales étaient parvenues à marquer fortement le

caractère discriminatoire entre les Français naturalisés et la masse indigène

musulmane. C’est pendant la Seconde Guerre mondiale que la catégorie des

« Français musulmans » apparaît clairement dans les documents administratifs.

Les Français musulmans restent les « Arabes », terme hors d’un espace

national précis, renvoyant à une ethnie et une langue orientale…

Les Français de la minorité non musulmane d’Algérie redeviennent rapidement

les « Européens » car cela paraît bien commode afin d’éviter d’utiliser

le terme d’« Algériens », qui engloberait toute la population dans les limites


336 Atlas historique de l’algérie

d’une géographie. Quand l’armée française est aux commandes en 1958, elle

précise encore plus les catégories de population : FSNA (Français de souche

nord-africaine) et FSE (Français de souche européenne). Ce procédé élude la

question de la minorité juive qui se retrouve intégrée dans la catégorie des

FSE… l’armée avait besoin de sigles faciles et pratiques à utiliser, dans un

souci d’efficacité lors de rédaction de ses rapports.

Pour le général de Gaulle, qui s’exprime devant des milliers d’Algérois en

mai 1958, « en Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie de Français ». Dans les

faits, les Arabes restent cette masse distincte invitée à rejoindre la fraternisation

et l’intégration, soutenue par les comités de salut public. Tous français ?

Cette utopie déclarative se heurte à la réalité des inégalités politiques qui ont

prévalu jusqu’en 1958. En métropole, où des milliers de Français musulmans

travaillent ou y ont trouvé refuge, se dirigent les premiers réfugiés francoeuropéens

d’Algérie. Une première vague de rapatriés a effectivement eu lieu

en 1960. Ces premiers rapatriés avaient eu les moyens économiques et relationnels

pour s’établir en métropole, fuyant d’abord l’insécurité et une situation

d’incertitude face à la politique du gouvernement français. Les discours

équivoques du président français avaient semé le trouble dans l’esprit des

« Européens » d’Algérie, surtout après son discours sur l’autodétermination

de septembre 1959. Cependant, de nombreux Européens avaient pris

conscience du changement qui s’opérait dans le monde colonial, surtout

après les indépendances du Maroc et de la Tunisie en 1956. Les populations

françaises de ces protectorats prirent en partie la route de l’exil vers la métropole,

mais pas seulement.

La minorité juive d’Afrique du Nord avait la possibilité d’émigrer dans le

nouvel État d’Israël créé en 1948, où affluaient les olims (émigrants juifs en

hébreu) du monde entier. En Algérie, la minorité juive n’était française que

dans le nord du pays. Les juifs des territoires sahariens étaient restés sous

le statut d’« indigène » comme les autres Algériens musulmans et n’avaient

pas bénéficié de la même « assimilation » sociale que les juifs des départements

du nord naturalisés en 1870. Comme les juifs tunisiens et marocains,

les juifs du Sahara algérien choisirent d’émigrer en Israël. Mais ce phénomène

avait commencé bien avant l’indépendance de l’État hébreu. Dès les

années 1930 des juifs algériens se sont rendus ou ont émigré en Palestine

(sous administration ottomane), aidés par le Congrès sioniste mondial, qui

réunit en 1901 plusieurs représentants d’Algérie, notamment de Constantine

et de Bordj Bou Arreridj. De 1931 à 1961, 7 500 juifs algériens émigreront

en Palestine/Israël. À partir de 1949, les structures du Congrès juif mondial

entreprennent de parcourir l’Algérie pour promouvoir l’alya auprès des juifs

de la communauté du M’Zab (environ 3 000 personnes). À l’instar des autres

« Européens », des juifs algériens commencent a quitté l’Algérie vers la

métropole.

Ils sont 6 000 juifs algériens à émigrer en France en 1957. De nombreuses

communautés juives algériennes se sont retrouvées impliquées dans la violence

de la guerre. Le FLN avait invité les juifs algériens à participer à la lutte

contre le colonialisme après le congrès de Soummam en 1956. Le Comité juif

algérien d’études sociales et la grande figure œcuménique d’Elie Gozlan ne

pouvaient renier la France, tout en prônant le dialogue et la non-violence.

Mais l’aggravation de la répression française contre la population musulmane


Des Européens d’Algérie aux pieds-noirs en France 337

et l’implication de certains juifs dans les milieux ultras furent en partie à

l’origine de nombreux attentats contre des Juifs algériens. Certaines attaques

visant des synagogues ou des personnalités juives ne furent jamais revendiquées

(Boghari en 1958, Alger en 1960…).

À partir de 1956, le Mossad, qui a des agents présents en Algérie, organise

un état-major clandestin et constitue des cellules armées, comme à Constantine.

Le gouvernement israélien envoie des agents chargés de promouvoir

l’émigration en Eretz Israël, comme les deux Israéliens qui furent enlevés par

le FLN en 1958 entre Aflou et Tiaret.

Beaucoup d’assassinats irrationnels furent commis à la fin de la guerre,

comme celui de David Zermati, ami de Ferhat Abbas et d’Ali Boumendjel qui

fut tué à Sétif en 1961, tout comme Cheikh Raymond à Constantine.

En outre, les commandos de l’OAS ont créé beaucoup de confusion en

1961-1962, avec leurs attaques contre de nombreuses personnalités modérées

ou considérées comme proches des nationalistes algériens. Paradoxalement,

l’OAS a visé des Algériens sans distinction de religion tout en intégrant

des cellules « juives » en son sein, notamment à Oran. Des « commandos

israélites » ont participé à plusieurs attentats contre la population algérienne

de 1961 à 1962.

Les conséquences de ces violences furent désastreuses aussi bien pour les

juifs algériens que pour le reste de la masse « européenne », qui quittent précipitamment

l’Algérie à partir d’avril 1962. Un mois après la signature des accords

d’Évian, 46 000 Français partent pour la France. Le climat d’insécurité est tel

que les familles envoient leurs enfants et leurs femmes en « vacances anticipées

». Mais le mouvement de rapatriement s’était mis en marche progressivement

depuis 1961, avec des départs réguliers vers la métropole.


338 Atlas historique de l’algérie

Alors que 20 % des Européens ont déjà quitté l’Algérie en mars 1962, le

mouvement s’accélère brutalement en mai et juin. Près de 500 000 personnes

débarquent en France pendant l’été 1962, dont 355 000 pour le seul mois de

juin ! Les autorités françaises qui ne s’attendaient pas à un exode d’une telle

ampleur sont débordées. C’est un vent de panique qui a poussé à s’enfuir

d’Algérie par tous les moyens de transport disponibles. Vivant essentiellement

dans les villes, les Français subissaient la domination de l’OAS qui leur avait

d’abord interdit de quitter le pays.

Les aéroports et surtout les ports français accueillent un véritable exode

des Européens d’Algérie, notamment dans la région de Marseille, qui voit

transiter quotidiennement des milliers de « pieds-noirs » fatigués et déboussolés.

Bien que des solutions d’hébergement collectif aient été mises en

place par le gouvernement français pour faire face à l’urgence, les piedsnoirs

logent par leurs propres moyens. Des dizaines de milliers de logements


Des Européens d’Algérie aux pieds-noirs en France 339

furent cependant réservés aux rapatriés dans toute la France mais les piedsnoirs

souhaitaient vivre dans le Sud. Ils seront 130 000 rapatriés à s’installer

dans le département des Bouches-du-Rhône, Marseille étant la première ville

« pied-noire »de France, avec sa porte ouverte sur la mer Méditerranée.

Les villes du sud de la France accueillent une part importante de la population

rapatriée. Marseille et Nice en seront les deux principales portes. Si

Paris, Toulouse et Lyon apparaissent comme les destinations les plus recherchées

dans les années 1970, les statistiques révèlent un mouvement migratoire

de repli des familles de rapatriés vers le midi de la France. Mais le travail

et les logements se trouvant essentiellement dans la région parisienne, les

rapatriés seront nombreux autour de la capitale.

À la fin de 1962, 800 000 rapatriés sont arrivés en France, certains ne

faisant que transiter par Marseille pour de rendre ensuite en Israël. Le camp

du Grand Arénas fut utilisé par certaines structures israéliennes pour aider

les juifs d’Afrique du Nord à émigrer en Israël. Des juifs algériens transitèrent

par ce camp pour effectuer leur alya. Environ 60 000 juifs algériens quittent

l’Algérie pour la France en 1962. Au total 125 000 juifs algériens partiront en

1962, dont 15 000 iront en Israël, transitant par Marseille. En France, la moitié

d’entre eux s’installera dans la région parisienne (Sarcelles…) et dans le Sud-

Est, comme la population « pied-noire » avec laquelle les juifs ont été confondus

dans la mémoire collective. Effectivement attachés à la culture française,

les juifs d’Algérie n’ont toutefois pas renié leur « algérianité ».

D’ailleurs, ils feront encore partie des derniers Français à quitter l’Algérie.

Ils sont quelque 25 000 juifs en 1962, mais en 1963, il n’en reste que 3 000

(1 500 à Alger, 800 à Oran, 100 à Annaba, 160 à Constantine, 70 à Batna, 20

à Sétif et 80 à Blida).



LA FRANCE, REFUGE DES

COMBATTANTS ALGÉRIENS

PRO-FRANÇAIS

es militaires français en poste en Algérie en mars 1962 avaient été

L

les premiers à « évacuer » certaines unités de harkis vers la métropole.

Ces harkas avaient intégré le retrait progressif de l’armée française

à partir du cessez-le-feu en mars 1962. Ce mouvement de rapatriement

vers la France faisait partie des accords d’Évian signés entre le GPRA et le


342 Atlas historique de l’algérie

gouvernement français. Il prévoyait officiellement le retour de 40 904 harkis

en France, chiffre correspondant au nombre de prisonniers FLN en France,

les autres combattants supplétifs devant être laissés sur place.

Le gouvernement français avait donc délibérément restreint les mouvements

de rapatriement des harkis par crainte qu’ils ne soutiennent le mouvement

armé de l’OAS. Mais de nombreux chefs de harkas passèrent outre les

ordres de Paris, faisant traverser la Méditerranée à leurs unités. Les réseaux

OAS participèrent au rapatriement illégal des harkis vers la métropole, assurant

jusqu’à leur hébergement. Avec les harkis, les moghaznis, groupes

mobiles de sécurité (GMS) et les groupes d’autodéfense (GAD), le nombre de

miliciens algériens « profrançais » s’élevait à plus de 100 000 hommes au

moment du cessez-le-feu du 18 mars 1962. Pierre Baillet explique que

« malgré les consignes passées aux officiers de ne rapatrier que le minimum

de supplétifs – ceux qui étaient les plus exposés aux représailles –, 40 000

d’entre eux sont arrivés avec leurs familles ».

Jusqu’en mars 1962, il était encore possible de quitter l’Algérie en souscrivant

un engagement dans l’armée française. Des centaines de harkis avaient

déserté avec leurs armes pour rejoindre l’ALN encore dans les maquis. Pendant

la guerre, de nombreux harkis ou moghaznis avaient aidé clandestinement

le FLN, notamment en fournissant des informations. Car ces Algériens

armés de gré ou de force par la machine de guerre française restaient attachés

à leurs liens familiaux ou tribaux dans un monde rural où leur vision du

monde ne dépassait souvent pas le douar ou le village. C’est ainsi que la

plupart des supplétifs de l’armée française demeurèrent sur place après

mars 1962, protégés par leur tribu ou leur famille.

Ces anciens harkis participèrent au mouvement des « marsiens »avecles

insurgés algériens de la « dernière heure ». En mars 1962, au moment où la

violence de l’OAS fait des ravages dans les villes, des groupes d’insurgés

« spontanés » surgissent et s’attaquent aux suspects ou aux Européens, pour

accaparer leurs biens ou pour donner des gages au FLN. Les responsables

du FLN n’ont pas encore la direction du pays quand commencent les premiers

massacres de harkis après le cessez-le-feu. Alors que le GPRA a éclaté en

une direction bicéphale, entre Tunis et Oujda, le FLN tente de protéger les

Algériens des attentats de l’OAS qui sème la terreur à Alger. Les maquis de

l’ALN attendent quant à eux les ordres du GPRA, qui arriveront tant du clan

Ben Khedda qui demandera dans un premier temps de résister à l’armée des

frontières tandis que le duo Boumediene-Ben Bella mobilisait « ses » wilayas,

alimentant l’instabilité et la « vacance » du pouvoir algérien. Entre mars et

l’été 1962, plusieurs massacres sont perpétrés par la population le plus souvent

livrée à elle-même dans ses vengeances. Car c’est bien dans un contexte

local que se sont déroulées ces exactions prenant souvent la forme de lynchages

collectifs.

L’arrivée des premières vagues de supplétifs de l’armée française en

France correspond au mouvement des Européens, qui quittent massivement

l’Algérie à partir d’avril 1962. Parmi eux se trouvent nombre d’Algériens profrançais

mais non combattants. Souvent aisés, ils sont notables ou fonctionnaires

quand ils quittent l’Algérie. Ce n’est pas du tout le cas des harkis

accompagnés de leurs familles. À partir de juin 1962, leur accueil a été mal

préparé par les autorités françaises avec l’ouverture de « camps de transit »,


La France, refuge des combattants algériens pro-français 343

tous situés dans des régions rurales. Les camps du Larzac et de Bourg Lastic

avaient servi à « héberger » les milliers de prisonniers FLN arrêtés en France.

Toujours considérés comme Algériens par les autorités françaises, les

harkis et leurs familles seront « parqués » dans ces camps de transit

jusqu’en 1964. Avec la reprise des massacres en octobre 1962 en Algérie,

quatre autres camps sont ouverts à Rivesaltes (ex-camp de détenus FLN),

Saint-Maurice-l’Ardoise, Bias et La Rye. Une population de 40 000 personnes

s’installe dans ces camps tandis que 10 000 à 30 000 autres supplétifs et

leurs familles se dispersent dans le reste de la France.

Les autorités françaises (Georges Pompidou, ministre délégué auprès du

Premier ministre) chargées d’administrer cette nouvelle population de

« Français musulmans » entreprennent la création de centres d’hébergement

collectif, les « hameaux forestiers » (chantiers au service de l’entretien des

forets et maquis) où sont réparties les familles de harkis. Le gouvernement,

qui vient de créer pour les « Européens d’Algérie » un secrétariat d’État aux

Rapatriés, pense isoler ces réfugiés harkis, des « Français musulmans » qu’il

juge bien encombrants. Cette population doit éviter les contacts avec les

quelque 400 000 émigrés algériens, dont les flux ne tarissent pas. Les Algériens

continuent de se rendre en France pour travailler, avec la crise économique

de l’après-guerre en Algérie. Ils seront 600 000 en 1965.

Situés en pleine zone rurale, souvent en montagne, les hameaux « réservés

» aux harkis doivent aussi bien abriter ces familles que fournir un emploi

aux hommes. Plus de 70 hameaux forestiers disséminés essentiellement

dans le sud-est de la France sont attribués aux anciens harkis, répartis par

groupes de 25 ou 30 travailleurs par chantier. Mais à partir de 1966, le nombre

des hameaux forestiers est réduit à 33 par le ministère de l’Intérieur, tous

situés dans les régions méridionales. Les conditions de vie avaient été très

dures pour les familles de harkis et l’activité forestière rapidement limitée.

Alors que quelques communautés harkis s’organisent spontanément en villages

dans certaines campagnes (Mas-Thibert avec le bachaga Boualem,

Saint-Valérien…), l’État entreprend de proposer d’autres sites d’hébergement

comme alternative aux hameaux forestiers. Un certain nombre de logements

souvent de type HLM ou Sonacotra sont ainsi réservées dans des « cités

urbaines », comme à Amiens, Bourges, Dreux, Lodève, Louviers et Montpellier.

Avec 138 458 personnes en 1968, la population des « Français musulmans

rapatriés » se concentre essentiellement dans le Nord-Pas-de-Calais, Paris,

le Nord-Est, l’axe Lyon-Grenoble et la côte méditerranéenne. Comme la majorité

des travailleurs de l’émigration algérienne en France, les anciens harkis

occupent des emplois dans l’industrie, ce qui explique leur redéploiement

économique vers les grandes villes. Quant à la population demeurée dans les

régions méridionales, elle tend à se fixer dans le monde rural dès les premières

années de leur arrivée. Ainsi, les cités d’accueil de Bias et Saint-

Maurice-l’Ardoise hébergent encore 3 000 personnes en 1973. Les premières

structures d’accueil des harkis et de leurs familles qui avaient été mises en

place dans l’urgence avaient fini par devenir permanentes dix ans après. Tout

un personnel d’encadrement administratif, scolaire et de formation professionnelle

avait été organisé pour assister ces populations doublement marginalisées,

à la fois par leur isolement socio-économique et par le traitement


344 Atlas historique de l’algérie

discriminatoire dont elles firent l’objet. 60 000 chefs de famille harkis avaient

dû demander la nationalité française après leur arrivée en France. Le sentiment

de la jeunesse harkie d’avoir été marginalisée dans la société française

finira par se traduire violemment dans les années 1975, avec les actions

revendicatives de la deuxième génération.

C’est dans les vieux camps de Saint-Maurice-l’Ardoise et de Bias que la

jeune génération se rebelle contre les chefs de camp. Elle dénonce leur gestion

arbitraire et paternaliste, de même que le traitement global de la question

harkie par les gouvernements qui se sont succédé. Ces jeunes qui ont

vécu leur enfance dans un monde fermé réclament le droit à être entendus

et reconnus au même titre que les autres jeunes Français. Ce « printemps »

harki sera la première brèche dans le couvercle de silence qui entoure la

question très politique de la guerre d’Algérie. Depuis la crise des nationalisations

des compagnies françaises en Algérie en 1971 et les nombreux crimes

à caractère raciste perpétrés contre des immigrés algériens ou leurs enfants

(population algérienne en France en 1973 : 845 000 personnes), la question

migratoire et donc identitaire est réapparue violemment dans la France

entrée de plein fouet dans la crise économique. En 1991, de nouvelles

émeutes des fils d’anciens harkis relanceront la question de la reconnaissance

des erreurs de l’État. Mais sur ce point, une autre communauté se

présente jusqu’aujourd’hui comme bien plus nombreuse à réclamer ce droit :

les pieds-noirs.




TRENTE ANS DE RECONSTRUCTION

AUTORITAIRE

LES ANNÉES BEN BELLA

près plusieurs semaines de tensions entre les deux directions du

A

GPRA, Ben Khedda finit par laisser le gouvernement à Ben Bella

appuyé par son « groupe de Tlemcen ». Le clan « Ben Khedda » avait

été mis en minorité après le congrès exceptionnel du CNRA de Tripoli en juin

1962. Les « légalistes » reconnaissent Ben Bella comme nouveau président

d’un GPRA « bis ». Cependant plusieurs chefs de l’ALN des maquis de l’intérieur

tentent de s’opposer à l’entrée des forces de l’armée des frontières

commandée par Boumediene, principal soutien de Ben Bella. Après plusieurs

combats contre les maquisards de la wilaya IV, début juillet et fin août dans

les régions de Chélif et Boghar, l’ALN des bases marocaines finit par atteindre

Alger.

Ben Bella, le nouveau chef du gouvernement algérien, s’installe à Alger le

25 juillet 1962, alors que la situation politique dans les wilayas est encore

très instable. La population exprime son mécontentement face à ces violences

entre combattants algériens. Seb’a snin barakat, « sept ans ça suffit », crient

les Algérois qui sont épuisés par toutes ces années de guerre, comme les

10 millions d’Algériens.

Les mois qui suivent le cessez-le-feu de mars 1962 sont marqués par

d’importants mouvements de population à l’intérieur du pays. Les quelques

2 millions de personnes qui avaient été regroupées de force pendant la guerre

retournent en partie vers leurs terres et leurs villages, surtout les populations

montagnardes, tandis que les nomades se remettent en marche après le

traumatisme du camp cerné de barbelés. Mais une partie des « regroupés »

ou « déplacés » reste sur place, notamment dans les nouveaux villages

construits dans le cadre du plan de Constantine. Avec le départ massif des

« Européens » à partir d’avril 1962, des milliers d’Algériens des campagnes,

mais surtout des quartiers pauvres, « investissent » les villes pour tenter

d’occuper un logement vidé de ses habitants. En fait, cet d’exode rural n’avait

jamais cessé mais il s’était brusquement amplifié avec la guerre. Entre 1960

et 1963, ce sont 800 000 personnes qui ont afflué dans les villes, dont la

moitié dans la seule ville d’Alger.


348 Atlas historique de l’algérie

La construction des immeubles collectifs et autres HLM du plan de

Constantine était en grande partie inachevée, voire restée au stade de plans.

Les chantiers reprendront en 1963 dans le cadre de la coopération francoalgérienne.

Mais la pression des populations rurales était si forte dans les

villes en partie abandonnées par les Européens que de nombreux logements

furent occupés spontanément ou vendus précipitamment pour une somme

dérisoire. Mais toutes ces habitations acquises dans la confusion de l’été 1962

allaient faire rapidement l’objet d’une loi sur les « biens vacants » en octobre

1962. Le gouvernement Ben Bella déclara « biens vacants » toutes les propriétés

agricoles, commerciales, industrielles, minières. Toute transaction

sur ces biens à partir du 1 er juillet 1962 fut rendue interdite. Les comités de

gestion théoriquement prévus pour administrer ces biens laissèrent finalement

la place aux appétits de la nouvelle caste du pouvoir en place. Toute


Les années Ben Bella 349

une bourgeoisie d’État (surtout les personnels militaires et policiers) bénéficia

de cette première manne de biens vacants, notamment les logements du

centre d’Alger. Le phénomène du clientélisme acheva de disperser les premiers

projets d’autogestion prévus par l’exécutif provisoire avant juillet 1962.

Les accords d’Évian avaient pourtant pris en compte la protection des biens

des Européens qui étaient restés en Algérie, 200 000 personnes vivant principalement

dans les grandes villes (octobre 1962).

Les Français occupent des fonctions très utiles pour la nouvelle administration

qui se met péniblement en place à l’automne 1962. Le manque de cadres

et de techniciens algériens a été compensé par l’arrivée des coopérants français

et étrangers. C’est dans le secteur de l’enseignement que la coopération

est la plus rapide. 13 000 Français encadrent les écoliers algériens en 1963. La

plupart enseignaient déjà avant l’indépendance, en tant qu’appelés du

contingent. Il s’agissait d’une aide planifiée dans le cadre des accords d’Évian.

Le gouvernement français assure l’essentiel du redémarrage économique de

ses ex-départements algériens, en accordant une aide financière d’un milliard

de francs à partir de janvier 1963. Les Trésors français et algériens se trouvaient

en commun jusqu’au 12 novembre 1962. L’assistance technique, les

transports aériens, la situation des biens vacants et la construction des logements

inachevés font l’objet d’un accord global en janvier 1963.

Pendant les premiers mois de l’indépendance, la situation économique

de l’Algérie est très critique, surtout au niveau du ravitaillement alimentaire.

L’agriculture a été brutalement désorganisée par le départ des exploitants

français, et les transactions commerciales d’importation quasi interrompues

pendant l’exode massif des Européens. Ben Bella fait appel à l’homme

d’affaires Messaoud Zeghar, riche de son carnet d’adresses international,

pour importer des produits alimentaires ou autres. Quant aux caisses du

jeune État algérien, Ben Bella demande contribution aux Algériennes invitées

à y déposer leur or…

Si les finances dépendaient donc intimement de la perfusion française,

l’assistance médicale arriva quant à elle de nombreux pays. En plus des Français

restés sur place, Bulgares, Chinois, Cubains, Russes, Américains et

Arabes du Moyen-Orient sont les premiers médecins étrangers à débarquer

en Algérie dès l’automne 1962. Ils vont soigner mais aussi enseigner la médecine

et former toute une génération d’infirmiers, sages-femmes et autres

aides-soignantes.

Alger attire nombre de révolutionnaires invités par Ben Bella. Les

membres de mouvements qui luttent contre l’ennemi commun impérialiste

se rendent à partir de 1963 en Algérie, notamment plusieurs groupes africains

tels que l’ANC (Afrique du Sud), les Angolais du MPLA, des Namibiens,

des Érythréens…

Des Palestiniens, réfugiés invités des pays arabes, s’installent à Alger où

ils sont le plus souvent enseignants. D’autres militants provenant d’horizons

politiques divers trouvent à Alger le moyen de s’exprimer comme les Black

Panthers des États-Unis. Le FLN est perçu comme une formation politique

populaire qui a vaincu le colonialisme français, c’est une sorte de modèle

pour de nombreuses oppositions armées « gauchisantes » dans le monde.

Cependant, le gouvernement de Ben Bella se présente bien différemment d’une

formation démocratique. À partir d’avril 1963, le FLN se trouve confronté à la


350 Atlas historique de l’algérie

démission de Mohamed Khider, chef historique de la formation indépendantiste.

Comme plusieurs autres responsables du FLN, il préfère quitter le premier gouvernement

Ben Bella qu’il juge autocratique. Les élections législatives de septembre

1962 n’avaient pas été « saines » avec l’éviction d’un certain nombre d’anciens du

GPRA. Ben Bella succède à Khider à la tête du FLN, prenant Boumediene comme

vice-président du Conseil et comme ministre de la Défense en mai 1963. La mise

en place du « parti unique » et l’étouffement de la vie politique par ce duo politicomilitaire

provoquent une grave crise en mai 1963.

Hocine Aït Ahmed, responsable historique du FLN qui n’entend pas laisser

ce pouvoir autoproclamé diriger la vie politique du pays fait sécession le 9 juin

1963. Ben Bella est bien conscient qu’il a provoqué une fronde chez de nombreux

« historiques » du FLN. Craignant pour la stabilité du nouveau pouvoir,

il fait arrêter Mohamed Boudiaf le 24 juin. La Sécurité militaire, structure

héritée du MALG de Boussouf, reçoit la mission de prévenir toute opposition

en arrêtant tout suspect.

C’est dans ce climat politique inquiétant de l’été 1963 que la frontière marocaine

est le théâtre de plusieurs incidents dans la région entre Figuig et Béchar.

En septembre 1963, alors que la tension avec le Maroc ne faiblit pas, Ben Bella

doit faire face à une dissidence armée d’Aït Ahmed, en Grande Kabylie. Après

avoir créé le Front des forces socialistes (FFS), le chef historique du FLN a

choisi de résister par les armes au régime personnel de Ben Bella. Ce dernier

est d’ailleurs élu président de la République algérienne démocratique et populaire

le 15 septembre 1963. À la fin du mois de septembre 1963, la grande

manifestation antigouvernementale organisée à Tizi Ouzou sonne comme un

désaveu pour le nouveau président, alors même que le Maroc fait occuper les

deux villages litigieux de Tindjoub et de Hassi Beïda. L’opposant marocain Mehdi

Ben Barka, réfugié en Algérie, avait dénoncé en juillet 1963 l’attitude du roi

Hassan II et sa politique agressive envers l’Algérie. Les combats pour le

contrôle de Tindjoub et de Hassi Beïda, opposent début octobre, la nouvelle

ANP (Armée nationale populaire) de Boumediene aux Forces royales marocaines,

mieux équipées. L’armée des anciens djounouds est mobilisée le

15 octobre 1963 mais ne parvient pas à repousser l’armée marocaine. Après

les combats de Hassi Beïda du 25 octobre, des négociations sont entamées

sous l’égide de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) réunie à Bamako le

2 novembre. Une zone démilitarisée sera délimitée entre Figuig et Tindouf.

L’ANP regagne ses casernes, sauf une partie qui est envoyée en Kabylie pour

réprimer la dissidence du FFS. À partir de l’automne 1963, une terrible campagne

militaro-policière est déclenchée par le régime contre les maquis du

FFS. Dénoncés comme « agents de l’étranger » ou séparatistes par le président

Ben Bella, les militants du FFS subissent une très dure répression jusqu’en

1964, deuxième campagne contre une opposition armée depuis l’indépendance.

Un autre front s’ouvre dans les Aurès contre le régime Ben Bella en juin 1964.

C’est la révolte du colonel Mohamed Chabani, ancien chef de l’ALN intérieure, qui

sera finalement exécuté. De nombreux Algériens vivent un grand désenchantement

un an après l’indépendance. Le système de l’autogestion est tombé le plus

souvent dans les mains de potentats locaux, laissant la population des campagnes

toujours aussi démunie qu’avant 1962. Malgré la nationalisation des terres « européennes

» (2 700 000 hectares) en septembre 1963, le nombre de personnes sans

ressources est estimé à 2 600 000 Algériens en 1964.


Les années Ben Bella 351

Une partie de la population algérienne a pris massivement la route de la

France en pleine croissance économique. Un pic de l’émigration est atteint

avec 262 000 Algériens entrés en France en 1963. Les travailleurs algériens

et leur famille installés en France seront 600 000 en 1965. C’est également en

juin 1963 que rembarquent pour la France les dernières troupes françaises,

à l’exception des bases de Mers el Kebir et du Sahara.

Mais l’Algérie ne s’est pas encore séparée de nombreuses structures françaises,

notamment dans les domaines économique et administratif. Les nouvelles

wilayas reprennent les délimitations de 1956, tout en modifiant la

dénomination des villes et villages qui reprennent les noms des sites ou douars

« indigènes » d’avant la conquête, ou retrouvent leur nom ancien antique arabisé

(Skikda…). La nouveauté provient surtout des noms donnés aux anciens villages

coloniaux en hommage aux grands hommes de la guerre d’indépendance

ou de la résistance pendant la conquête (Lakhdaria, Zighoud Youcef, Emir Abd

el Kader…). Ce sera aussi le cas des rues et places des villes et villages d’Algérie,

dont le nom est partout modifié. Pour le gouvernement Ben Bella, la question

de l’identité culturelle algérienne doit passer par ces transformations des

édifices « exogènes », monuments aux morts ou églises qui seront progressivement

effacés du champ visuel algérien. Dans ces premières années, cette

reconstruction identitaire engagera le débat sur la question linguistique.

Une nouvelle fenêtre sur le monde s’ouvre en 1964 avec la création de la

Cinémathèque d’Alger. Du film Algérie, année zéro projeté en 1962 au tournage

de La Bataille d’Alger par Pontecorvo à Alger en juin 1965, les débuts du

cinéma algérien resteront encore très marqués par le thème de la guerre

d’indépendance. En arrière-plan du tournage de La Bataille d’Alger les blindés

de l’armée de Boumediene entrent dans la ville pour arrêter dans sa villa le

président Ben Bella le 19 juin 1965.



LES ANNÉES BOUMEDIENE

près la fiction de l’entente Ben Bella-Boumediene, l’ALN reprend en

A

quelque sorte le pouvoir qu’elle a « délégué » au clan de Tlemcen

en juillet 1962. Le chef de l’État-major général (EMG) a toujours pris

ses distances avec les hommes du GPRA. Après la crise entre le commandement

de l’ALN et le GPRA pendant l’été 1961, Boumediene a fait son choix de

Ben Bella pour la direction du pays après l’indépendance. En décembre 1961,

Abdelaziz Bouteflika a été mandaté en France par Boumediene pour inviter

Ben Bella au projet de nouveau gouvernement, un GPRA « bis » formé à

Oujda, siège de l’EMG « ouest ». C’est ici que Boumediene a commandé la

wilaya V avant d’être responsable de l’EMG à Ghardimaou en Tunisie.

Son ascension au sein de l’ALN a commencé après sa formation militaire en

Égypte dans les années 1950. Le jeune Mohammed Bou Kharouba (son vrai

nom) s’est rendu au Caire en 1951 afin de parfaire ses études islamiques à la

mosquée Al Azhar, construite par ses ancêtres Kotama. Avant de s’installer à

Héliopolis (Guelma) où il naquit, la famille de Boumediene vivait dans la région

de Jijel. En 1945, la répression militaire française contre les populations de sa

région marqua profondément le jeune Boumediene, qui milita ensuite au MTLD.

Son séjour en Égypte l’impliqua dans le petit groupe de militants algériens

réfugiés sur place dont les dirigeants historiques du FLN Ben Bella, Khider

et Aït Ahmed. Après avoir reçu un enseignement militaire à Alexandrie,

Boumediene fut envoyé sur le front algérien en 1955. Pendant la guerre, Boumediene

avait été confronté au problème du barrage électrifié de la frontière

tunisienne, contre lequel il conçut de nombreuses attaques. La bataille du

barrage avait occasionné de lourdes pertes tandis que le moral des djounouds

avait été atteint, provoquant certaines révoltes d’officiers. Mais Boumediene

était parvenu à rétablir la discipline non sans dureté. À partir de 1958,

Boumediene était pris entre deux feux. D’un côté il commandait le principal

front de la guerre et de l’autre il subissait les pressions du GPRA de Tunis.

Boumediene parvint à se maintenir contre vents et marées jusqu’en 1961,

où il devint incontournable. Responsable de toute l’ALN extérieure en 1962,

Boumediene était apparu comme l’indispensable soutien au « groupe de

Tlemcen » ayant choisi Ben Bella comme nouveau chef du GPRA. Ministre de

la Défense, vice-président, Houari Boumediene est le numéro 2 du régime

Ben Bella jusqu’au moment de la destitution discrète du 19 juin 1965.


354 Atlas historique de l’algérie

Après la guerre des sables et l’intervention en Kabylie, Boumediene se

démarque d’un président qui apparaît dépassé par ces événements. Ben Bella

n’était pas vraiment conscient qu’il se trouvait dans une situation précaire car

l’armée que commande Boumediene est bien plus qu’un ministère, c’était la

seule force politique autonome, qui l’avait « fait roi » en 1962. Le roi déchu

finira emprisonné dans l’extrême sud algérien.

Ayant réussi son tour de force sans tirer un seul coup de feu, Boumediene

veut tourner la page des années Ben Bella. Il est bien conscient que la population

algérienne est en proie à d’énormes difficultés économiques auxquelles

la politique de Ben Bella n’a pas répondu. Seule une infime partie des Algériens,

« courtisans » du régime, avaient bénéficié de logements et d’emplois

publics. Pour mettre en place son programme, Houari Boumediene s’entoure

d’un « Conseil de la Révolution » dont il est président, regroupant responsables

militaires issus de l’ALN intérieure et extérieure ainsi que quelques « politiques »

du FLN. Parmi eux se trouvent : Saïd Abid (colonel), Kaïd Ahmed (« commandant

Slimane »), A. Belhaouchet (colonel), Chérif Belkacem, Mohammed ben Ahmed

(colonel), Ahmed Bencherif (colonel), Chadli (colonel), Ben Haddou (colonel), A.

Bensalem (commandant), Salah Boubnider (colonel), Ahmed Boudjenane (colonel),

Bachir Boumaza, Abdelaziz Bouteflika (commandant), Ahmed Draïa (colonel),

Youcef Khatib (colonel « Si Hassen »), Ahmed Massas, Ahmed Medeghri, Ali

Mendjeli, Mohand Oul Hadj (colonel), Saïd Mohammedi, Moulay Abd el Kader

(commandant Chabou), Salah Soufi (commandant), Tahar Zbiri (colonel), Mohamed

Tayebi Larbi (commandant) et Mohamed Salah Yahiaoui (commandant).

Boumediene envisage de sortir l’Algérie du sous-développement dans le

cadre d’une économie « indépendante » qui doit prendre modèle sur les pays

« socialistes ». Les conseillers de Boumediene élaborent une stratégie de

développement en 1966-1967, avec la priorité accordée à l’industrie de base,

qui devrait tirer tous les autres secteurs dont l’agriculture.

En 1967, l’organisation administrative du pays, voulue décentralisée,

s’adapte aux impératifs de la « révolution » notamment par la mise en place

des assemblées populaires communales (APC) proches du modèle des communes

populaires de la Chine communiste (1958). Élues pour quatre ans, les

APC sont exclusivement dirigées par des membres du FLN qui doivent gérer

les « activités du secteur socialiste de la commune » dont la création de coopératives,

l’organisation de l’approvisionnement, l’exploitation des établissements

touristiques, les logements…

Les premières années de l’autogestion avaient été reconnues comme

anarchiques par le successeur de Ben Bella. C’est ainsi que l’ONRA est dissoute

en 1968 et les conseils de gestion contrôlés directement par le ministère

de l’Agriculture. Le gouvernement Boumediene procède dès 1966 aux

premières nationalisations dans tous les secteurs d’activité. Des banques

algériennes publiques sont créées à partir de 1966 avec la BNA (juin 1966)

reprenant les activités du Crédit d’Algérie et de Tunisie, puis le CPA (Crédit

populaire d’Algérie) en décembre 1966. La BEA (Banque extérieure d’Algérie),

spécialisée dans les transactions internationales, est créée en octobre 1967.

Les activités commerciales de la Sonatrach, créée en 1963, sont complétées

en 1966 par la recherche, la production (25 % du total en 1969) et la

transformation des hydrocarbures. La distribution des carburants devient

également monopole d’État en août 1967. En mai-juin 1968 interviennent de


Les années Boumediene 355

nombreuses nationalisations de sociétés industrielles étrangères, françaises

pour la plupart, remplacées par de nouvelles sociétés nationales. La Sonacom

(Société nationale des constructions mécaniques) créée en août 1967

doit notamment produire des tracteurs pour les besoins de l’agriculture. Ses

usines sont réparties à Médéa, Rouiba, Guelma et Constantine. La SNMC

(Société nationale des matériaux de construction) est créée fin 1967, résultat

de plusieurs nationalisations de sociétés comme Lafarge. La construction de

nouvelles cimenteries allait particulièrement dégrader l’environnement de

nombreuses régions d’une Algérie encore relativement vierge d’industries

polluantes (cimenteries de Meftah, Aïn el Kebira, etc.). 1969 est l’année du

lancement des grands chantiers industriels comme celui du complexe pétrochimique

de Skikda (liquéfaction du gaz) dont la construction sera achevée

en 1973. Le complexe sidérurgique d’El Hadjar géré par la SNS (Société nationale

de sidérurgie créée en 1964) près d’Annaba est inauguré le 19 juin 1969.

Le président Boumediene déclarera un an plus tard : « Notre pays entre de

plain-pied dans l’ère de l’industrie lourde et dans une phase décisive de la

bataille pour le développement. »

Ce programme industriel a été planifié pour développer plusieurs régions

assez démunies et s’étant impliquées fortement pendant la guerre d’indépendance.

C’est ainsi que de nombreuses petites unités industrielles sont réparties

en Algérie. La Sonitex qui fabrique des textiles aura plusieurs usines,

notamment dans l’Est algérien (Draa ben Khedda, Aïn Beïda, Tébessa…). Le

premier Plan triennal prévu pour la période 1967-1969 voit se transformer le

paysage algérien en un immense chantier. Ces constructions d’usines

impliquent une importation massive d’équipements industriels mais aussi de

compétences étrangères. Ingénieurs et experts du monde entier viennent

superviser les nouveaux chantiers et faire fonctionner les machines, toutes

importées.

Mais la création de milliers d’emplois ne suffit pas à combler le chômage

qui pousse encore les Algériens à émigrer en France, où leur nombre atteint

environ 700 000 personnes en 1969, suscitant un nouvel accord franco-algérien

le 27 décembre 1968 afin d’imposer un contrôle plus strict aux frontières.

En Algérie, c’est de la langue française que les jeunes Algériens sont éloignés,

avec le début du processus d’arabisation décidée par le gouvernement

Boumediene en 1968. Un décret donne trois ans au personnel de l’administration

pour « s’arabiser ». Il s’agit de mettre en application une « révolution

culturelle ». Pour le ministère de l’Information et de la Culture « toute indépendance

véritable n’est complète que si elle libère à la fois le sol de la patrie

et l’âme du peuple », et le ministre Taleb el Ibrahimi d’ajouter :«ilfautformer

un homme nouveau au sein d’une société nouvelle ». L’arabisation de l’éducation

est entreprise principalement dans les cycles primaire et secondaire pour

s’étendre à partir des années 1970 à l’enseignement supérieur (facultés de

lettres et sciences humaines, droit). L’alphabétisation est massive dans les

années 1970. Deux millions d’enfants sont scolarisés dans le primaire à la

rentrée 1971-1972 contre 777 630 en 1962-1963 tandis que le secondaire

accueille 198 836 élèves en 1970 contre 51 014 à la rentrée 1962. De nombreux

enseignants « orientaux » ont été recrutés dans ces années, notamment des

Égyptiens, Syriens et Palestiniens.


356 Atlas historique de l’algérie

Les universités d’Alger, Oran et

Constantine qui avaient été ouvertes

avant l’indépendance se développent

avec l’arrivée de nouveaux étudiants

toujours plus nombreux. À Constantine,

un nouveau complexe universitaire est

lancé en 1968 tandis que Sétif ouvre

ses premières facultés en 1972, suivie

de Tizi Ouzou en 1977. Après la première

vague des coopérants de 1962,

Timbre mettant en valeur la révolution agraire,

1972.

les étrangers russes ou originaires des

démocraties populaires d’Europe de

l’Est continuent d’arriver nombreux en Algérie. Ils participent à la réalisation

du programme industriel assurant l’encadrement de plusieurs chantiers de

construction de logements.

Le premier Plan quadriennal qui est lancé en 1970 bénéficie des retombées

financières du choc pétrolier de 1973, qui augmente les capacités

d’investissement industriel. Boumediene décide de nationaliser tous les

hydrocarbures en 1971, provoquant une crise avec la France, dont les sociétés

exploitent les gisements sahariens depuis leur découverte en 1956. Cette

« crise du pétrole » entretient une certaine tension entre les gouvernements

français et algérien, qui retombera assez rapidement. Par l’accord du

29 juillet 1965, l’Algérie avait déjà réalisé la prise de contrôle majoritaire au

sein des compagnies nationales françaises d’hydrocarbures. En 1971, Boumediene,

qui a fait entrer l’Algérie parmi les membres de l’OPEP depuis 1969,

décide de faire profiter pleinement le pays de ses ressources. La France, qui

achetait le pétrole algérien au-dessus de son prix pour soutenir l’économie

de son premier partenaire commercial, finit par rapatrier les compagnies

concernées, non sans mettre un terme aux accords préférentiels avec l’Algérie.

Cet épisode des relations particulières entre la France et son ancienne

colonie fut sans réelle gravité de part et d’autre mais favorisa le climat antialgérien

en France, comme dans le Sud où plusieurs émigrés furent victimes

de violences à caractère raciste. Deux ans après la nationalisation des ressources

d’hydrocarbures, le choc pétrolier de 1973 triple les rentrées pétrolières

de l’Algérie.

Entretemps, Boumediene avait lancé en 1972 la « révolution agraire »,

censée répondre aux aspirations de la population rurale postcoloniale.

L’article premier de ce programme proclame : « la terre appartient à ceux qui

la travaillent. Seuls ceux qui la cultivent ont des droits sur elle ». Théoriquement,

il s’agit donc de distribuer des terres aux paysans pauvres ou modestes

en réquisitionnant une part des grandes propriétés privées et de mettre fin à

une inégalité dans la répartition des terres. En octobre 1972, l’État procède

au recensement des terres privées. Une structure est créée pour la gestion

de terres nationalisées, le FNRA (Fonds national de la révolution agraire ».

Les ayants droit doivent cependant s’acquitter de nombreuses tâches (travaux

d’intérêt collectif, mise en valeur des terres…), notamment avec l’aide des

coopératives auxquelles des matériels sont fournis par l’État. Le programme

de la révolution agraire se présente comme très ambitieux, en voulant « créer

toutes les conditions d’une promotion profonde du monde rural ».


Les années Boumediene 357

Cependant, comme dans l’industrie, le facteur « humain » limitera les

attentes du gouvernement « révolutionnaire ». Le clientélisme, l’absentéisme

et le détournement de biens favorisés par le manque de contrôle freineront

inévitablement la croissance de la production agricole. Pourtant, les besoins

alimentaires de la population n’ont pas cessé d’augmenter. 30 % des denrées

sont importées en 1969 mais l’autosuffisance alimentaire recule très rapidement.

L’industrie absorbe presque tout l’effort financier quand elle n’occupe

pas des bonnes terres comme dans la Mitidja avec la zone d’activités de

Rouiba. Avec le deuxième Plan quadriennal, toutes les villes d’Algérie

accueillent leur petite zone industrielle. Les nouveaux revenus pétroliers

engendrent une augmentation massive des dépenses publiques principalement

dans l’industrie. Les investissements représentent 43 % du PIB en 1973

(110 milliards de dinars). Bien que ces investissements aient triplé, les usines

continuent de tourner à 50 % voire à 30 % de leurcapacité.Lapriorité absolue

donnée à l’industrie « industrialisante » limite la croissance aussi bien dans

l’agriculture que dans le domaine du logement, alors que les ruraux continuent

d’affluer vers les villes. En mai 1973 est lancée l’opération « 1 000 villages

socialistes » qui n’aboutira qu’à la construction de 400 villages en milieu rural.

Les paysans restent attirés par les nouveaux emplois dans l’industrie, face à

l’apparition de tout un personnel administratif surabondant dans les bureaux.

Malgré la croissance économique restée assez

faible, les Algériens commencent à bénéficier de

nouveaux services publics « socialistes » avec

l’école et la mise en place de la gratuité des soins

en 1973. C’est le rôle des wilayas, dont le nombre

est porté à 31 en juillet 1974, d’assurer le service

public décentralisé, la construction de centres de

santé, des logements ainsi que l’accès à l’eau et

à l’énergie. Certaines wilayas ont bénéficié de

« programmes spéciaux » de développement à

partir de 1966. La wilaya des Oasis représentant la

moitié orientale du Sahara est la première à être

« assistée » en matière d’irrigation. Plusieurs

villages de la wilaya des Aurès sont équipés en 1968

(électrification, gaz, usines de conditionnement

de dattes, hôpitaux…). Puis viennent les wilayas

de Grande Kabylie et du Titteri (Médéa) en 1969,

Sétif et Tlemcen en 1970, Saïda en 1971 et El Asnam

Timbre dédié au barrage vert.

en 1972.

Le gouvernement « révolutionnaire » de Boumediene lance le 14 août 1974

un vaste projet de « développement durable » sous le nom de « Barrage

vert ». Il s’agit d’une campagne de vingt ans pour planter une forêt de 3 millions

d’hectares censée arrêter la désertification des zones steppiques. Cette

mission de plantation de jeunes arbres sur 1500 km de longueur fut confiée

aux appelés du contingent de l’ANP. Ce projet fait suite aux premières campagnes

de reboisement initiées pendant les années Ben Bella. La fin du

deuxième Plan quadriennal est marquée par certaines tensions sociales. Plusieurs

grèves éclatent en effet au printemps 1977. Malgré la dépendance

technologique de l’étranger et le recours massif aux importations, l’économie


358 Atlas historique de l’algérie

algérienne parvient encore à supporter les coûts très élevés de sa production

industrielle.

La crise du Sahara occidental à partir de 1975, au

moment où une charte nationale est annoncée, se présente

comme bien plus inquiétante pour le gouvernement

Boumediene. Après l’attentat manqué contre lui

le 24 avril 1968 et la tentative de coup d’État du colonel

Tahar Zbiri en décembre de la même année, Houari

Boumediene avait échappé au pire. Avec la nouvelle

crise contre le Maroc voisin, le régime autoritaire de

Boumediene va étouffer toute tentative politique

d’opposition au moment de la consultation populaire

sur la Charte nationale. Un groupe de quatre personnalités

politiques historiques (Ferhat Abbas, Ben Khedda,

Hocine Lahouel et le cheikh Khayr al Din) ayant proposé

une alternative à la politique en cours, ils sont immédiatement

arrêtés. La situation extrêmement tendue

avec le Maroc provoque même une tentative de déstabilisation

déjouée au cap Sigli, où des armes furent parachutées

pour entretenir un maquis d’opposition. Car le

Timbre en faveur de la campagne

de reboisement. s’est exilée à l’étranger, comme Boudiaf parti vivre

régime ne manque pas d’opposants, dont une partie

au Maroc, Khider en Espagne et Krim Belkacem en

Allemagne.

Face au Maroc qui a entrepris en décembre 1975 une « Marche verte »

pour occuper les territoires du Rio de Oro espagnol, le gouvernement de Boumediene

exploite toutes ses ressources diplomatiques afin de stopper

l’avance marocaine et mauritanienne pour occuper le Sahara occidental.

Hassan II et Ould Daddah s’étaient entendus secrètement pour se partager

la colonie espagnole livrée de fait aux nouveaux conquérants.

Depuis que Boumediene avait rétabli le pouvoir « révolutionnaire » en

1965, il n’avait pas cessé d’entreprendre la promotion de l’Algérie au sein des

pays non-alignés et de soutenir certaines causes de peuples opprimés. C’est

dans le monde arabe, où la diplomatie algérienne avait fait ses premiers pas

pendant la guerre, que Boumediene plaide la cause sahraouie.


Brochure touristique, 1976.

Les années Boumediene 359



L’ALGÉRIE DE BOUMEDIENE

ET LE MONDE

endant la guerre d’indépendance, le FLN avait réussi à développer

P

des relations internationales (voir carte le FLN dans le monde). Le

GPRA avait été reconnu par de nombreux pays à partir de 1958, dont

la plupart étaient arabes ou africains. Les pays arabes avaient été les premiers

à soutenir les indépendantistes, notamment l’Égypte, où Boumediene

avait séjourné en compagnie des dirigeants FLN en exil. L’Égypte avait continué

à soutenir l’Algérie après l’indépendance par l’envoi de militaires, qui

furent d’ailleurs impliqués dans la guerre des sables en 1964. Au moment où

Boumediene s’empare du pouvoir en 1965, le président-colonel Gamal Abdel

Nasser, qui bénéficiait de l’aide soviétique, se présentait comme le libérateur

de la Palestine occupée par « l’ennemi sioniste ». Après la nationalisation du

canal de Suez, Nasser voulait affirmer le rôle de l’Égypte dans la région au

Yémen où il a soutenu une opposition armée antiroyaliste.

Mais au printemps 1967, la tension entre Nasser et Israël a pour conséquence

l’envoi d’un corps expéditionnaire de l’ANP en Égypte. Une division

blindée algérienne basée à Teleghma prend ainsi

la route de l’Égypte en mai 1967 tandis que l’aviation

se prépare à intervenir à partir de la base

libyenne de Benghazi. La guerre éclair de l’armée

israélienne a raison des forces égyptiennes surprises.

Les Israéliens finissent par s’emparer du

Sinaï mais surtout de la Cisjordanie et du Golan

syrien. La défaite de la guerre des Six-Jours sera

un choc très durement ressenti dans les pays

arabes dont l’Algérie de Boumediene, qui appuie

particulièrement les militants palestiniens. L’Algérie

se servira du 5 e sommet de l’OUA qui se tient à

Alger en septembre 1968 pour proclamer son soutien

inconditionnel au peuple palestinien. L’Algérie

sera des quelques pays arabes du groupe du Timbre en faveur de la cause

« front du refus » totalement opposé au dialogue sahraouie.


362 Atlas historique de l’algérie

avec l’État hébreu. Quelques jours après le début de la guerre des Six-Jours,

l’Algérie rompra ses relations avec les États-Unis, parrains de l’État israélien.

Le premier Festival culturel panafricain a lieu à Alger, ville qui prend une

dimension internationale, surtout à partir des années 1970. De nombreuses organisations

révolutionnaires armées y trouvent asile comme l’ANC de Nelson Mandela,

qui suivra une formation militaire en Algérie à l’instar de l’OLP de Yasser

Arafat, qui bénéficie d’un soutien majeur du gouvernement Boumediene.

Alors que le successeur de Nasser (décédé en 1970) Anouar el Sadate prépare

la reconquête du Sinaï, l’Algérie reçoit 77 représentations gouvernementales à la

conférence des pays non alignés en 1971. La position commune des « 77 » prône

une indépendance politique vis-à-vis des grandes puissances, notamment des

deux blocs américain et soviétique, qui n’ont d’ailleurs pas empêché Israël d’envahir

le reste de la Palestine historique avec Jérusalem.

Boumediene n’exclut pas la possibilité de participer à une reconquête de

ces territoires. L’ANP est envoyée en 1973 pour soutenir une éventuelle offensive

égyptienne. Quand Sadate attaque la ligne Bar-Lev en octobre 1973, des

avions algériens assurent la couverture des villes égyptiennes tandis que

l’armée de terre est engagée sur le Sinaï. Malgré la contre-offensive israélienne,

les premiers succès égyptiens ont redonné confiance aux armées

arabes. Mais ce fut l’arme du pétrole qui allait frapper davantage les pays

occidentaux réputés proches d’Israël. Avec le roi Fayçal d’Arabie saoudite, une

nouvelle stratégie commune apparaît dans le monde arabe pétrolier.

L’Algérie va certes bénéficier des retombées économiques du choc pétrolier

mais deviendra la cible de tentatives de déstabilisation. Comme le roi

Fayçal, le président Boumediene représentait le refus de transiger avec les

États-Unis ou Israël. Avec Muammar el Kadhafi, Saddam Hussein et Al Assad,

Boumediene bénéficie du soutien soviétique qui fournit des équipements militaires

et forme un grand nombre d’officiers algériens. Au moment où l’Algérie

devient une puissance militaire montante, son armée intervient en 1975 dans

le conflit qui oppose le Maroc aux indépendantistes sahraouis.

Après l’invasion des territoires du Sahara occidental

par les forces marocaines au nord et mauritaniennes au

sud, Boumediene se retrouve face au fait accompli de

ses voisins, qui n’ont pas consulté leur grand voisin

algérien. Ayant commandé l’armée dans la région frontalière

lors de la guerre des sables en 1964, Boumediene

connaît la région de Tindouf, qui fait face au

territoire sahraoui. À la fin de l’année 1975, les populations

nomades de la région de Seguiet el Hamra n’ont

pas été consultées par Hassan II qui décide d’annexer

tous les anciens territoires espagnols au royaume

marocain. Ce dernier revendique la région comme faisant

partie d’un « grand Maroc » dont les limites historiques

débordent largement vers le sud, au-delà des

limites fixées par les Espagnols et les Français dans les Timbre dédié à l’ANC.

années 1905.

Bien que l’ONU ait préconisé la tenue d’un référendum auprès des populations

du Sahara occidental afin de déterminer leurs aspirations réelles, le roi

Hassan II veut s’appuyer sur la démonstration populaire de la Marche verte


L’Algérie de Boumediene et le monde 363

pour justifier l’annexion « naturelle » de ces territoires. Les milieux indépendantistes

sahraouis regroupés sous le nom du Polisario sont soutenus par

l’Algérie qui fournit armes et bases de repli autour de Tindouf. Alors que la

guérilla sahraouie commence à attaquer les positions marocaines et mauritaniennes

en janvier 1976, des milliers de réfugiés sahraouis qui fuient les combats

affluent à Tindouf.

Bien que son action consiste essentiellement dans le soutien logistique

du front Polisario, l’armée algérienne finit par se retrouver impliquée assez

loin de ses bases et se retrouve même à combattre directement les Forces

royales marocaines dans le désert au sud-ouest de Tindouf. À Amgala,

l’armée algérienne subit des pertes sérieuses, décidant les gouvernements

algérien et marocain à poursuivre les négociations, évitant une aggravation

des tensions et le risque d’un conflit ouvert. Tout en reconnaissant la nouvelle

RASD (République arabe sahraouie démocratique) en février 1976, l’Algérie

développe une diplomatie intensive représentée par le ministre des Affaires

étrangères algérien Abdelaziz Bouteflika pendant ces années 1975-1976 afin

de trouver une solution au conflit. Mais plus de 70 000 réfugiés sahraouis

s’accumulent dans les camps de Tindouf, illustrant la dureté des combats et

la répression qui s’exerce sur les populations. La minorité marocaine vivant

dans l’ouest de l’Algérie va être victime de la dégradation des relations avec

le Maroc. Les autorités décident d’expulser près de 3 000 Marocains vivant

principalement dans la région frontalière de Tlemcen-Marnia, parfois installés

depuis très longtemps. Partisan de la construction d’un Maghreb uni,

Ferhat Abbas dénoncera ce traitement ainsi que l’intervention armée de

l’Algérie dans le conflit sahraoui.

C’est entre 1977 et 1978 que s’aggrave la tension entre le Maroc et l’Algérie

alors que le président Boumediene est victime d’une maladie subitement

contractée après son voyage au Proche-Orient en juillet 1978. Houari Boumediene

disparaîtra le 27 décembre 1978, emportée par ce qui a paru ressembler

à un empoisonnement.

L’ambitieux président aura marqué très fortement la société algérienne,

qui s’était globalement soumise au système autoritaire de « l’État démiurge »,

mais un État qui a créé des milliers d’emplois tout en ouvrant les portes du

savoir universitaire. Avec un nouveau paysage parsemé d’usines et de réalisations

« socialistes » aux devises écrites dans la langue arabe « orientale », les

Algériens étant restés malgré tout accrochés à la langue française, pratiquant

un bilinguisme de fait.

Au-delà des signes visibles des années Boumediene, c’est le « boumediénisme

» qui aura marqué les esprits. La rudesse de l’homme du Constantinois

et son expression du nationalisme parlaient à la masse algérienne encore

très rurale. Les acquis de l’ère Boumediene seront défendus par une partie

du Conseil de la Révolution. Cette structure politico-militaire du FLN désignera

en 1978 un de ses membres pour diriger le pays.


Meeting nationaliste à Alger.


LES ANNÉES CHADLI

e nouveau président Chadli Bendjedid, également originaire de l’Est

L

algérien (El Tarf), est avant tout un haut gradé de l’armée désigné

par le Conseil de la Révolution. Mais plusieurs clans du pouvoir

apparaissent comme les vrais décideurs post-Boumediene, avec une armée

toujours plus impliquée dans les choix politiques et économiques du pays.

Après 1978, « deux clans s’affrontent pour la succession à la direction de

l’État, d’une part autour de Bouteflika, les partisans d’une réforme économique

laissant plus de place au marché et à l’initiative privée ; de l’autre

autour de M. Yahiaoui, partisans du renforcement de l’option socialiste et de

la défense des acquis de la révolution » (Ignacio Ramonet, « Manière de voir »,

Le Monde diplomatique, mars 2012).

Le gouvernement Chadli, qui hérite d’une situation économique difficile, lance

un plan quinquennal à partir de 1980. Mais il est bien conscient des limites des

derniers programmes de développement. Ces derniers n’ont pas permis de libérer

l’Algérie de plusieurs dépendances. D’abord technologique dans une industrie

devenue trop coûteuse pour les finances publiques qui doivent nourrir une population

toujours plus nombreuse (19,8 millions d’habitants en 1982), avec une

croissance très élevée de 3,2 % par an et un des taux de fécondité les plus élevés

au monde (environ 7 enfants/femme). « Le développement économique algérien

se trouve en fait menacé par cette croissance démographique, qui mange une

large partie de la croissance » (Marc Côte).

Le projet gigantesque des industries « industrialisantes » est interrompu

pour se consacrer aux plus petites unités productrices de biens de consommation.

Le nouveau gouvernement voudrait pouvoir répondre aux besoins de

la société algérienne avec son programme « Pour une vie meilleure ». Moins

ambitieux que les projets de la période Boumediene, ces projets se heurtent

à l’inertie des sociétés nationales qui devraient pouvoir concurrencer les

importations.

Mais la compétitivité ne semble pas être la principale préoccupation des

entreprises publiques. « Les puissantes sociétés nationales sont devenues

des machines à distribuer des salaires plutôt que des entreprises rentables

fournissant au pays des produits de qualité » (Michalon, T, Le Monde diplomatique).

Chadli engage en 1981 une campagne « d’assainissement contre les

gaspilleurs, les malversations et la corruption » pensant faire des exemples


366 Atlas historique de l’algérie

parmi les quelques responsables licenciés sinon jugés. Il vise certains

membres de la nomenklatura du FLN. Chadli annonce ensuite une évolution

du processus de recrutement dans les sociétés nationales, désormais sur

concours. Le nouveau gouvernement, qui a décidé d’entreprendre la restructuration

des entreprises nationales, cherche à encadrer le commerce de gros,

notamment en facilitant la distribution par le moyen de magasins publics, les

fameux Souk el Fellah.

Nourrir et loger une population toujours plus nombreuse se présente bien

comme le défi du gouvernement Chadli. L’État, qui est le principal employeur

du pays (60 % du total des emplois) doit reprendre en main la question du

logement, parent pauvre de la décennie Boumediene. Les nouveaux bassins

d’emplois créés dans les années 1970 avaient attiré de nombreux ruraux

confrontés au problème de la crise du logement. Des programmes de

construction d’immeubles collectifs avaient été lancés dans toutes les villes

grandes et moyennes, avec une sorte de modèle répété à l’identique : des

blocs à la mode socialiste, construits à la périphérie immédiate des centresvilles.

Des cités de 200 à 1000 logements apparaissent dans le paysage urbain

algérien, deuxième vague d’immeubles après les logements achevés du plan

de Constantine qui avait été rapidement accaparé par la population en 1962.

Ces quartiers rapidement bâtis sont ensuite livrés à la population sans autre

structure sociale particulière ni espaces de jeu pour les enfants. Des quartiers

dortoirs à la soviétique qui se parent progressivement des fameuses

antennes satellites, devenues quasi indispensables aux Algériens à partir des

années 1980.

Avec le tremblement de terre d’El Asnam (ex-Orléansville) survenu en

octobre 1980, les Algériens en quête de logement relativisent leur situation

pendant le temps du drame qui a fait 5 000 morts. Quelques mois avant le

séisme, la Grande Kabylie avait été le théâtre de manifestations massives

pour dénoncer l’arabisation forcée dans une région berbérophone, dont le

patrimoine linguistique et culturel est défendu par plusieurs universitaires

comme Salem Chaker. Ce printemps berbère inaugure l’apparition d’une certaine

crise identitaire algérienne, en particulier chez les jeunes générations.

Après la mort de Boumediene, le climat politique s’était légèrement détendu

avec la libération de plusieurs opposants comme Ben Bella ou Ferhat Abbas.

Mais alors que le mouvement islamique El

Qiyam avait été interdit par Boumediene en

1970, on assiste à la montée des groupes

musulmans militants, dénommés généralement

« islamistes ». Depuis 1979 et la révolution

islamique en Iran, de nouveaux acteurs

politiques avaient émergé dans le monde

musulman, dominé par les écoles de pensée

sunnite égyptienne et surtout saoudienne.

Après l’invasion de l’Afghanistan par les forces soviétiques en 1979, de nombreux

musulmans notamment algériens se rendent sur place en vue du djihad

contre l’ennemi communiste, aidés par les réseaux saoudiens. Avec l’influence

des Frères musulmans d’Égypte, les Algériens, comme le nouveau parti

tunisien d’Ennahda en 1979, avaient commencé à développer leur propre


Les années Chadli 367

courant autour du cheikh Soltani. En

avril 1981, lors de l’enterrement du

chef de file de la pensée fondamentaliste

algérienne, une masse de

20 000 personnes suivront son cortège

funèbre. C’est à cette époque

que l’on entend parler d’affrontements

entre des groupes armés de

tendance fondamentaliste et la

police. Le groupe de Bouyali aurait

tenu un maquis dans la région de

Blida mais aurait été démantelé en

1981 alors qu’à Laghouat, des Timbre célébrant la Coupe du monde 1982.

membres d’une secte religieuse

auraient été arrêtés par la police.

La société algérienne, dont 90 000 jeunes étudient à l’université en 1982,

semble redécouvrir la pluralité de ses cultures et la religion islamique. L’université

des sciences islamiques de Constantine ouvre ses portes en 1981,

dans un contexte de tensions récurrentes entre étudiants traditionalistes et

modernistes. Cette ambiance se traduit parfois par des affrontements directs

à l’intérieur même des campus comme à Ben Aknoun en novembre 1982 ou

à Oran. Une agitation étudiante qui se retourne contre la police, comme en

mai 1981.

Ces nouveaux foyers de contestation pour défendre l’amazighité ou l’islamité

ne gagnent pourtant pas la masse de la population algérienne, préoccupée

par le ravitaillement quotidien (pénurie de produits de base) et par son

soutien à l’équipe nationale lors de la Coupe du monde de football en 1982,

marquée par la fameuse victoire contre l’Allemagne…

Chadli voudrait bien préserver cette union sacrée des Algériens autour

d’autres événements ou monuments en rapport avec la guerre de libération.

Le mémorial du Martyr (Maqam el Chahid) est inauguré en 1982, vingt ans

après l’indépendance. De nombreuses commémorations sont organisées,

comme celles du recueillement auprès des « carrés aux martyrs » dont les

corps sont encore retrouvés dans des fosses communes.

Le gouvernement Chadli veut renforcer l’unanimisme hérité des années

Boumediene. Mais il ne dispose pas des mêmes moyens que son prédécesseur.

On assiste plutôt à un « blocage du système » avec un mécontentement

inquiétant de la majorité de la population. En plus des détournements de

biens importés et la corruption, l’économie algérienne fait face à la chute

des recettes pétrolières en pleine crise économique mondiale. Le programme

socialiste de l’État providence n’est donc plus capable d’assurer ses promesses

d’une vie meilleure.

En 1984 le nombre de wilayas est augmenté et passe à 48. Pour le géographe

Marc Cote, ce « découpage manifeste le souci de promouvoir le développement

des régions enclavées et montagneuses (Tissemsilt, Khenchela),

d’apporter une attention particulière aux zones frontalières de l’est (El Tarf,

Souk Ahras, El Oued) et de mieux contrôler la croissance algéroise (Tipaza,

Boumerdès) ». Le grand Sahara se trouve quant à lui partagé en quatre nouvelles

wilayas (Tindouf, Adrar, Tamanrasset et Illizi).


368 Atlas historique de l’algérie

Depuis 1985, la crise économique mondiale a rapidement atteint l’économie

algérienne, largement dépendante de ses hydrocarbures, dont les cours

ne cessent de baisser sur le marché mondial. La dette de l’État, qui s’élève à

20,7 milliards de dollars en 1984, pousse les finances algériennes à bloquer

salaires et subventions aux produits alimentaires. Avec la corruption à tous

les échelons de la distribution des biens et des produits alimentaires de base,

qui sont en outre massivement importés, les familles algériennes se

retrouvent livrées à la débrouillardise et à l’instabilité du ravitaillement. Mais

d’autres tensions apparaissent à partir de 1986, avec les premières manifestations

lycéennes à Sétif et Constantine. Ces jeunes souhaitaient exprimer

leur mécontentement après la décision gouvernementale d’introduire les

matières religieuses dans les enseignements obligatoires. L’État répond par

la répression, comme un avertissement à cette jeunesse qui représente alors

70 % de la population algérienne. Ces jeunes sont mis à contribution par leur

famille pour attendre très tôt le matin devant les magasins d’État l’arrivée

improbable des produits alimentaires de base. La plupart des lycéens et étudiants

poursuivent leur scolarité dans des conditions difficiles, au sein d’une

famille généralement nombreuse, vivant souvent dans des logements exigus.

Les autorités se trouvent confrontées à un nouveau maquis de contestation

islamiste dans la région de Larbaâ. Le Mouvement islamique armé (MIA)

fait le coup de feu contre les gendarmes et attaque même une caserne à

Soumaa en août 1985. C’est à ce moment que les Algériens prennent connaissance

de ces événements avec le procès « Bouyali » (70 condamnés à la

prison). Le gouvernement Chadli-Messadia, représentant un certain courant

du FLN, n’arrive pas à surmonter les difficultés structurelles de l’économie

algérienne en crise. Ils subissent la pression de la rue mais également celle

de leurs détracteurs au sein même des décideurs des autres clans du FLN.

Les hiérarchies militaires de l’ANP et de la SM (Sécurité militaire) qui sont

les deux structures permanentes du commandement de l’Algérie mènent leur

propre stratégie, parfois en opposition avec ceux qui gouvernent et qui sont

de fait les éléments visibles du système algérien. Leurs contradictions produisent

jusqu’à la déstabilisation des gouvernants en place.

Les grèves de septembre 1988, puis les émeutes d’octobre, illustrent à la

fois la spontanéité de la contestation sociale d’une population qui se sent

livrée à elle-même, et traduit cette stratégie de déstabilisation du gouvernement

Chadli dans le cadre de la lutte des clans politiques au sommet.

Les enfants et adolescents algériens investissent les centres-villes dans

plusieurs régions d’Algérie et s’attaquer aux vitrines, principalement celles

des établissements étatiques comme les agences postales, les compagnies

d’assurances, les Souk el fellah, Air Algérie, etc. Aux actes de vandalisme

succède une terrible répression militaro-policière. Des milliers de jeunes sont

arrêtés et détenus pour subir la « question » version algérienne, tandis que

les marches pacifiques encadrées par des militants religieux dégénèrent. Les

régiments venus du sud-ouest oranais, dépassés, ont mitraillé les manifestants.

Ces terribles jours de répression feront des centaines de morts.

Le gouvernement de Chadli, lui-même dépassé par cet enchaînement de

violences, décide une politique de réformes, en annonçant la mise en place

d’un processus de démocratisation et le début du multipartisme. En 1989,

pendant que le bloc de l’Est sous emprise soviétique commence sa lente


Les années Chadli 369

désagrégation, la liberté politique paraît revenir en Algérie, avec la création

d’une soixantaine de partis politiques. Le FLN, devenu ancien parti unique,

adopte une nouvelle stratégie en direction des futurs électeurs libres. Lors

de son congrès de 1989, le FLN propose la suppression de la mixité scolaire,

certains membres proposant l’application de la loi islamique en Algérie.

Car la course électorale est engagée pour les premières élections libres

de l’Algérie indépendante. Un parti est donné favori, c’est la nouvelle formation

du FIS (Front islamique du Salut) dirigée par un ancien du FLN, Abassi

Madani. Des millions d’Algériens se rapprochent de ce parti perçu comme

honnête car islamique. Le programme du FIS propose de rétablir les valeurs

de l’islam dans les institutions. Son discours se veut très social, avec la

famille comme base de la société musulmane. Mais les chefs du FIS, et

notamment Ali Belhadj, dénoncent l’occidentalisation du pays et surtout celle

du pouvoir. Reprenant quelque peu le discours « socialiste » des années Boumediene,

le FIS entend rétablir le peuple algérien musulman dans la gestion

du pays. Pour les dirigeants du FIS, la religion musulmane ne laisse pas

d’autre choix au peuple algérien que d’établir une république islamique. Des

campagnes municipales de 1990 aux législatives de 1991, les Algériens entendront

de ce fait beaucoup parler de sharia, dehidjab et d’autres éléments de la

vie musulmane, mais ne se mobilisent pas outre mesure dans ces campagnes

hormis les militants du FIS et du FFS. Ce dernier a refait surface avec le

retour d’Hocine Aït Ahmed, qui entend bien profiter de cette ouverture démocratique

sans précédent dans l’histoire algérienne. Il en fut de même pour

Ben Bella, qui revient de son exil suisse pour fonder un nouveau parti.

Alger en octobre 1988.

De 1989 à 1990, le monde bipolaire a maintenant explosé. Depuis son

retrait d’Afghanistan, l’URSS de Gorbatchev a laissé les démocraties populaires

reprendre leur liberté. Mais dans le même temps, le lobby militaroindustriel

américain, qui s’inquiétait de la fin de la guerre froide, provoque

une intervention occidentale contre l’Iraq de Saddam Hussein.

En Algérie, si les Américains se satisfont de l’ouverture démocratique du

pays, ils sont loin d’être soutenus par la population dans leur guerre dans le


370 Atlas historique de l’algérie

Golfe. Les militants du FIS exploitent d’ailleurs le mécontentement des Algériens

contre les États-Unis. Pourtant, l’anti-occidentalisme n’est pas leur seul

fonds de commerce. Proches de l’Arabie saoudite, pays perçu comme la référence

en matière d’école islamique, les décideurs du FIS sont pour l’économie

libérale dans un cadre musulman, à la fois traditionnel et ouvert sur le monde

moderne. L’Arabie saoudite soutient le FIS dans ses projets d’établir un nouvel

État islamique dans le monde arabo-musulman.

Après la victoire du FIS aux élections municipales de juillet 1990 dans

plusieurs grandes villes d’Algérie dont Alger, les dirigeants du parti islamoconservateur

entrent dans une sorte de discours millénariste. Ils préparent

les prochaines élections législatives prévues pour décembre 1991 pour lesquelles

ils envisagent déjà quasiment la victoire. Pour Madani et Belhadj une

révolution islamique à l’iranienne serait en train de se profiler. Pourtant, les

membres du gouvernement Chadli ne s’inquiètent pas vraiment des premiers

succès du FIS. Le FLN dispose encore de nombreux électeurs ainsi que le

FFS, bien que le parti d’Aït Ahmed soit trop souvent associé à la Kabylie par

l’opinion publique algérienne. Mais l’année 1991 est marquée par les premières

violences politiques qui précédent le 1 er tour des élections législatives

de décembre 1991.

À partir de juin 1991 se met en place une confrontation entre le FIS et les

autorités, qui bouleverse rapidement le processus démocratique en marche.

L’ambiance plutôt sympathique qui avait prévalu au commencement de

l’ouverture politique de 1989 fond progressivement, pour laisser la place aux

vieux réflexes de la violence.


Mémorial du Martyr (ou Maqam el Chahid) érigé en 1982.

Les années Chadli 371



DE LA GUERRE CIVILE AU HIRAK

DE LA CRISE POLITIQUE

À LA GUERRE CIVILE (1991-1994)

vant même l’émergence du FIS sur la scène politique algérienne,

A

plusieurs groupuscules se réclamant de l’islam « militant » s’étaient

développés dans le pays. Avec le retour des combattants algériens

d’Afghanistan, des groupes marginaux étaient apparus dans les quartiers

populaires à l’occasion de l’ouverture démocratique de 1989. Le FIS se présentait

quant à lui comme une association hétérogène de plusieurs courants

de pensée. L’aile modérée du parti était représentée par Abd el Kader

Hachani, partisan d’un islam à l’algérienne, garantissant l’indépendance du

pays et devant progressivement intégrer les structures de l’État. Mais une

partie des militants était impatiente d’en finir avec le régime « socialiste » du

FLN. Le discours anti-occidental de Belhadj visait la classe dirigeante et une

partie de la population algérienne qui ne suivait pas les préceptes de l’islam,

officiellement « religion d’État ».

Les États-Unis, devenus la seule grande puissance après la dislocation de

l’Empire soviétique, envisageaient avec intérêt la prise du pouvoir par le FIS,

proche de son grand allié saoudien. Le très influent clan du général Belkheir,

impliqué dans la captation occulte de commissions à l’importation, cherchait à

entraver la montée du FIS. Les services de renseignement étaient chargés de

mener des opérations psychologiques complexes, afin de discréditer le FIS.

Le premier tour des élections législatives fut précédé par plusieurs actes

de violence comme l’attaque d’une caserne à Guemar (El Oued). Malgré tout,

l’élection se déroula comme prévu avec une majorité de sièges obtenue par

le FIS (46 %), dont les deux chefs se trouvaient en prison depuis le 30 juin

1991. La grève générale décrétée par le FIS contre une loi de découpage

électoral avait provoqué une répression des rassemblements et l’arrestation

d’Abassi Madani et d’Ali Belhadj.

Entre les deux tours de l’élection législative, alors que se mobilisent les

militants des autres partis pour préserver la démocratie, le gouvernement

Chadli est « démissionné » par l’armée. Cette fermeture brutale de la très

courte période démocratique de trois ans met en lumière les limites du système

du pouvoir bicéphale entre un clan de l’armée/Sécurité militaire et le

gouvernement de Chadli, qu’avait quitté Mouloud Hamrouche en juin. Chadli


374 Atlas historique de l’algérie

s’était engagé un peu « par effraction » (Aït Ahmed) à ouvrir au peuple l’accès

aux institutions par des élections libres. Pourtant, la structure principale du

pouvoir algérien a toujours été l’armée depuis 1962.

Les discours « révolutionnaires » du FIS avaient été perçus comme des

menaces à peine voilées contre l’oligarchie politico-militaire et une partie de

la population. Voulant se protéger ou prévenir une confrontation armée qui

mettrait en péril l’unité de la nation, les décideurs du pouvoir militaire

décident d’annuler le deuxième tour des élections législatives, qui aurait certainement

donné la majorité des sièges au FIS. Mais cette initiative du « coup

de force » s’accompagne d’arrestations massives dans les rangs du FIS.

La population algérienne a vite compris que le temps du « bâton » était

revenu. Pour les électeurs, ceux du FIS en particulier, qui s’étaient tant investis

dans les campagnes électorales et dont certains avaient péri à la suite des

violences de juin 1991, c’est un choc. En manifestant de nouveau leur mécontentement,

ils sont confrontés à une répression massive. Des camps de prisonniers

sont ouverts dans le Sahara, notamment à Reggane, Aïn M’Guel et Oued

Namous, où des milliers de personnes raflées sont emprisonnées.

Les manifestations à la sortie des mosquées se multiplient en janvier 1992

et dégénèrent le plus souvent en affrontements meurtriers avec les policiers

et militaires massivement déployés dans les villes. Avec les arrestations de

nombreux militants du FIS, plusieurs responsables du parti désormais interdit

(le 9 février) passent dans la clandestinité ou quittent l’Algérie pour se réfugier

à l’étranger. Des maquis de militants du FIS se forment dans les montagnes

au sud d’Alger et dans l’Ouarsenis tandis que certains groupes se préparent

déjà l’affrontement armé. Mais les services de renseignement infiltrent rapidement

ces groupes, qui n’ont pas encore de nom particulier.

Le Haut comité d’État, façade visible du pouvoir militaire réel, est formé

en janvier, avec l’appel à Mohamed Boudiaf pour le présider. Dirigeant historique

du FLN, il revient du Maroc apporter une certaine légitimité au coup

d’État. Boudiaf tente de reprendre en main la gestion sérieuse des affaires

du pays, mais sa marge de manœuvre se trouve rapidement réduite par la

tendance dure du commandement militaire. Il découvre les pratiques de la

corruption et l’autonomie de certains généraux. Six mois après avoir été désigné

pour redonner espoir à la population algérienne, l’ancien ministre captif

du GPRA est assassiné à Annaba par sa propre garde présidentielle le 29 juin

1992. L’été 1992 est d’ailleurs marqué par un terrible attentat qui frappe

l’aéroport international d’Alger, en pleine période de vacances.

Une insécurité gagne dans toute l’Algérie, mais principalement la région

d’Alger, où les habitudes de vie sont transformées par les violences permanentes

qui se déroulent dans les quartiers populaires de la capitale, bastions

du parti déchu. Jusqu’à la fin 1992 se mettent en place des groupes encore

faiblement armés issus du FIS notamment dans l’Atlas blidéen. C’est à partir

de 1993 qu’une Armée islamique du Salut (AIS) apparaît dans ces maquis et

commence à affronter l’armée et la gendarmerie. Plusieurs embuscades sont

rapportées entre 1993 et 1994, qui montrent un développement de la guérilla

islamique, malgré les premières opérations d’envergure de l’ANP. Mais cette

dernière n’a pas encore l’habitude de ce type de conflit asymétrique, sauf

certains de ses chefs qui ont participé à la guerre d’Algérie, dans un camp

ou un autre.


De la crise politique à la guerre civile (1991-1994) 375

Alors que les villes sont quadrillées par la police et l’armée, la violence se

développe fortement dans les régions rurales, où de nouveaux groupes armés

apparaissent, parfois sans objectifs clairs. Les violences atteignent les

grandes prisons d’Algérie, où sont détenus nombre de militants du FIS. Alors

qu’à Alger et Berrouaghia, les mutineries sont réprimées de manière sanglante,

une spectaculaire évasion se produit à Tazoult (1994) au pied des

Aurès. Toutes les régions d’Algérie ont leurs maquis « terroristes » fréquemment

ratissés et bombardés par l’armée.

Cependant, les régions du centre et du centre-ouest apparaissent les plus

affectées par ce qui s’apparente à une guerre civile larvée. Des milices sont

constituées tandis que les assassinats de personnalités se multiplient, surtout

à Alger. Mais la population se trouve très affectée par la crise économique

et la nouvelle austérité décrétée par le HCE, dans le cadre de ses obligations

au FMI. Les responsables du gouvernement ont décidé d’emprunter aux

banques et d’appliquer une stricte application des conditions du FMI. L’appauvrissement

des classes populaires est général, tandis que les années de sécheresse

se suivent dans les campagnes. Malgré les négociations à Rome

(Sant’Egidio, 13 janvier 1995) entre différents partis politiques de l’opposition

algérienne, en vue de trouver une solution à la grave crise que traverse l’Algérie,

la violence continue de s’étendre et atteint même la France, où plusieurs attentats

poussent les autorités à soutenir la répression contre le FIS, dont l’un des

membres fondateurs est exécuté en plein Paris (mosquée de la rue Myrha).

De nombreux attentats surviennent dans la région d’Alger, ciblés contre

des sites du pouvoir et des personnalités ou totalement aveugles en pleine

rue. À partir de 1995-1996 on assiste à des déplacements permanents de

populations qui fuient les régions où se déroulent des affrontements. Mais

les populations sont soumises à des pressions très fortes aussi bien de la

part des insurgés (qui réclament souvent de l’argent) que des rudes forces

militaires encore peu entraînées à la contre-guérilla. Pourtant, les insurgés

islamiques n’ont plus l’initiative sur le terrain à partir de 1995. L’armée utilise

des hélicoptères spécialement équipés pour traquer les groupes armés et

bénéficie du soutien de milices d’autodéfense. Mais la multiplicité des

groupes d’insurgés politiques ou moudjahidine autoproclamés, voire de

groupes armés de contre-guérilla, provoque beaucoup de confusion parmi la

population, qui vit sous une menace permanente. Avec les premiers grands

massacres de l’automne 1996, le conflit prend une dimension infernale.



LES ANNÉES DE SANG 1 ,

1996-1999

’est principalement dans la région de la Mitidja et dans les montagnes

au sud de Blida que survient toute une campagne de mas-

C sacres contre la population à partir de 1996. Des hameaux sont

attaqués en pleine nuit, visant des familles particulières ou des quartiers

entiers d’habitations. L’horreur de ces massacres pousse des milliers de

familles à abandonner leurs terres pour fuir aux abords des grandes villes.

Blida et la banlieue d’Alger se couvrent de constructions sommaires. L’apparition

de groupes armés non identifiés a semé la panique dans les montagnes

boisées de l’Atlas blidéen ainsi que dans l’Ouarsenis, l’autre région victime de

grands massacres.

En 1997, les villages de la Mitidja plongent dans la peur la plus totale

avec des massacres de masse perpétrés parfois aux portes même d’Alger

(Ben Aknoun, Bologhine). À Bentalha, Reiss, Chebli et autour de Larbaâ, des

centaines de familles ont été atrocement massacrées de juillet à décembre

1997. L’hiver 1997-1998 est une période de grands massacres dans la région

entre Médéa et Berrouaghia tandis que les populations de l’Ouarsenis

subissent le même sort que les habitants de l’Atlas blidéen. Les affrontements

entre l’armée et les groupes armés islamiques paraissaient baisser

d’intensité à partir de 1996. Mais les populations des régions proches au sud

et à l’ouest se retrouvent livrées à elles-mêmes, sous le feu de groupes ou

d’escadrons qui sèment la mort et la destruction. L’assassinat des moines

français de Tibhirine en mars 1996 fut un des faits marquants de cette

période.

Les régions de l’est de l’Algérie échappent cependant à ces effrayants

massacres bien que l’activité des groupes armés y soit bien réelle. C’est le

cas dans la région de Jijel, fief de l’AIS qui a mené de nombreuses embuscades

contre l’armée et la gendarmerie. Les montagnes boisées du Belezma,

du djebel Maadid et de l’Edough apparaissent comme des zones refuges pour

les maquis qui affrontent l’État (al Houkouma) en bloc, visant aussi bien des

forces de sécurité que des fonctionnaires. Mais plusieurs régions restent

1. L’expression est inspirée du titre de Mohammed Samraoui, Algérie, les années de sang.


378 Atlas historique de l’algérie


Les années de sang, 1996-1999 379

assez calmes pendant ces années d’affrontements, notamment en Grande

Kabylie, dans l’est des Aurès, l’axe Annaba-Souk Ahras-Tébessa ainsi que les

hautes plaines de l’axe Bordj Bou Arreridj-Sétif-Batna-Aïn Beïda.

À l’ouest d’Alger, les régions de l’Ouarsenis et de la chaîne du Dahra sont

les plus touchées par les violences, qui poussent des milliers de familles vers

la plaine du Chélif et en direction d’Oran. Mais si la grande ville de l’ouest est

relativement épargnée, ce n’est pas le cas autour de Tlemcen, de Mascara et

Tiaret, où affrontements et massacres marquent ces années 1996-1998, comme

si le front des massacres s’était déplacé progressivement du centre vers l’ouest

de l’Algérie.

Paradoxalement, c’est au moment où des premières négociations étaient

engagées entre l’armée et l’AIS que les plus grands massacres eurent lieu.

Le président Liamine Zéroual, nommé en 1997, chercha plusieurs solutions

pour mettre un terme aux violences en négociant une trêve avec l’AIS le

24 septembre 1997. Mais il ne représentait qu’une aile du commandement de

l’armée. Le groupe des « faucons » au sein de l’ANP/SM entendait bien éradiquer

les groupes armés d’opposition, quoi qu’en fut le prix. Mais à partir de

1998, la violence s’étend à tout le pays, dans la région des hauts plateaux

de Djelfa-Laghouat tandis que la Grande Kabylie se retrouve impliquée, avec

l’assassinat de Matoub Lounès en juin 1998.

Des émeutes éclatent dans toute la région kabyle, tandis que des groupes

armés font leur apparition dans les forêts entre Tizi Ouzou et Boumerdès,

ainsi que dans l’Akfadou. De grandes opérations de l’armée se produisent

dans la région des gorges de Lakhdaria à Draa el Mizan entre 1998 et 1999,

pendant lesquelles de nombreuses forêts sont incendiées. C’est le cas dans

la région de Jijel, où l’activité des groupes armés ne faiblit pas. À partir de

1999, les massacres de populations civiles sont apparus comme plus ciblés,

visant le plus souvent des familles entières, dans le centre et l’ouest du pays.

Mais après la sélection du candidat d’Abdelaziz Bouteflika par les décideurs

de l’armée et son élection à la présidence en avril 1999, les autorités

militaires paraissent entamer une nouvelle politique. L’ancien ministre des

Affaires étrangères de Boumediene engage une nouvelle démarche en vue

d’un retour à la paix. Son projet de « concorde civile » propose aux groupes

armés de déposer les armes dans le cadre d’une « réconciliation nationale ».

Pour contraindre les derniers groupes en activité à descendre des maquis,

l’armée multiplie les grandes opérations durant cette période dans les

Babors, la Grande Kabylie, l’Ouarsenis, les monts de Tiaret et toute la région

entre Tlemcen à Mascara.

Le référendum sur la concorde civile est adopté le 16 septembre 1999 par

plus de 98 % des voix, accordant au nouveau président un premier soutien

populaire. Car la population algérienne est épuisée par la guerre civile. Pourtant,

nombre de groupes armés ne désarment pas, dans l’est du pays, devenu

leur principal refuge. Dans les hauts plateaux de Djelfa et le djebel Amour

s’ouvrent de nouveaux fronts, tandis que les groupes armés semblent se renforcer

dans les massifs berbères de Kabylie et des Aurès.

Jusqu’en 2001, accrochages et opérations perdurent dans ces régions.

C’est d’ailleurs au cœur de la grande Kabylie qu’éclate une émeute, qui

s’étend rapidement à tout le pays kabyle. La mort d’un lycéen arrêté par la

gendarmerie à Beni Douala en avril 2001 provoque une révolte générale


380 Atlas historique de l’algérie

contre les casernes de police et de gendarmerie dans toute la région. Les

émeutes s’étendent jusqu’à Kerrata et même au-delà, dans les Aurès et le

pays chaouia jusqu’à Tébessa. Manifestations et destructions de bâtiments

publics se succèdent, rappelant les scènes d’octobre 1988. Mais ce « printemps

kabyle » devient rapidement un « printemps noir » qui fait des dizaines

de morts. Une marche immense réunit des centaines de milliers d’habitants

de Kabylie le 31 mai 2001.

Mais avec la spectaculaire opération du 11 septembre 2001 aux États-

Unis, les autorités algériennes sont conviées à prendre part à la « guerre

contre le terrorisme » (the war on terror), se posant en victimes d’un ennemi

commun. À partir de 2002, les opérations militaires contre les maquis se

concentreront principalement dans les régions de l’ouest, entre Tlemcen et

Relizane et dans pratiquement toutes les montagnes de l’Est algérien.

Des années 2003 à 2005, les affrontements armés baissent d’intensité,

sauf dans l’ouest de la Grande Kabylie, la région de Jijel-presqu’île de Collo

et dans les Aurès-Nementcha, où de nouveaux groupes semblent émerger

tels que le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat). Cependant,

un certain nombre de groupes armés marginaux vivant avec leurs

familles et sans réel programme, sinon de survivre à l’écart de la société, se

maintiennent dans les maquis.

La sécurité revient progressivement dans le pays, avec une certaine libéralisation

de l’économie initiée par le gouvernement Bouteflika. Depuis 2002, le

président lance effectivement un programme de relance de l’économie algérienne,

avec l’ouverture de grands chantiers dans tout le pays.


Les années de sang, 1996-1999 381



LA DÉCENNIE BOUTEFLIKA,

2002-2012

e président Abdelaziz Bouteflika avait envisagé depuis des années

L

l’introduction du marché au privé, afin de permettre au plus grand

nombre de produire sa propre activité. Mais le gouvernement a

l’intention d’ouvrir des grands chantiers, dans les infrastructures de transport

et l’hydraulique. Ces secteurs avaient été placés au second plan des programmes

économiques des années Boumediene-Chadli. Avec la succession

inquiétante des sécheresses dans le pays pendant la décennie noire, la question

hydraulique était revenue comme une des priorités du gouvernement

Bouteflika. De nombreux barrages sont ainsi construits dans toute l’Algérie.

Parmi les chantiers les plus impressionnants des années Bouteflika figure

celui de la construction de l’autoroute transnationale, décidée en 2005 et

lancée en 2007. Les caisses de l’État avaient commencé à se remplir, grâce

à l’augmentation du prix du pétrole consécutif à la guerre en Iraq, permettant

de financer de nombreux grands projets dont celui de l’aéroport d’Alger commencé

en 2006. La wilaya de Sétif, deuxième du pays par sa population, avait

« reçu » son aéroport en 2003.

Abdelaziz Bouteflika a d’ailleurs beaucoup pris l’avion depuis le début de

son mandat. Spécialiste de la diplomatie, le président a entrepris de nombreux

voyages auprès des partenaires de l’Algérie, qui entre dans une nouvelle

phase d’ouverture économique sans précédent. Après sa réélection en avril

2004, Bouteflika signe un accord de partenariat stratégique avec le gouvernement

français en juillet 2004. Alors que les commerciaux européens se

pressent à Alger pour négocier leurs contrats de vente de matériels à l’État

ou aux entreprises privées débarque en Algérie une myriade de travailleurs

étrangers, chinois, malaisiens, vietnamiens ou turcs, qui participent aux

grands travaux qui marqueront la décennie Bouteflika. Ils apparaissent

comme le signe d’un nouveau partenariat humain international qui contribue

à la croissance algérienne. Avec la reprise d’une forte croissance économique

en Algérie, on assiste à une explosion du secteur privé, notamment dans les

activités d’importation de biens de consommation. Bien que de nombreux

emplois soient créés, les sociétés nationales qui avaient survécu aux destructions

des années 1990 se retrouvent confrontées à la concurrence des


384 Atlas historique de l’algérie


La décennie Bouteflika, 2002-2012 385

hommes d’affaires spécialisés dans l’importation. Quant aux grandes entreprises

d’État, elles réduisent drastiquement leur personnel, pour lequel le

départ anticipé à la retraite devient généralement la règle. En 2005 il y a

300 000 entreprises privées dont 95 % de PME. Des milliers d’entreprises

privées sont créées chaque année, le plus souvent familiales et commerciales.

Cependant, cette croissance de l’activité commerciale a touché essentiellement

les villes où la population s’est concentrée depuis les années

noires. On estime entre 1 et 1,5 million le nombre de personnes déplacées

pendant la décennie de la guerre civile. Affluant à la périphérie des villes où

se sont formés des quartiers entiers d’habitations spontanées, ces populations

ont accentué la crise du logement en Algérie.

Le gouvernement Bouteflika entreprend plusieurs campagnes de

construction de logements pour répondre aux demandes massives des populations.

Mais cette politique se heurte à la corruption et au phénomène de

création de bidonvilles par des candidats aux logements sociaux. Un programme

récent d’un million de logements pour 2010-2014 a été lancé par la

présidence. Mais l’accumulation de nouvelles populations souvent rurales

dans ces nouvelles périphéries soulève la question de la paix sociale. Car la

délinquance a refait son apparition dans tout le pays.

Le retour à la sécurité avait pourtant été le principal chantier de Bouteflika,

qui avait relancé une campagne en 2005 avec la « Charte pour la paix

et la réconciliation nationale ». Approuvé par référendum le 29 septembre

2005, cet événement semblait inaugurer une nouvelle période de paix. Mais

le président Bouteflika reste affaibli par son hospitalisation en 2005 puis par

un mystérieux attentat suicide qui frappe le cœur de la capitale le

11 décembre 2007.

Il est indéniable que l’Algérie se trouvait être la cible de plusieurs tentatives

de déstabilisation. Son indépendance politique internationale ainsi que

ses ressources énergétiques du Sahara la maintiennent dans un statut de

puissance régionale, devenue incontournable après les événements politiques

violents chez ses voisins. La région de l’ouest de la Grande Kabylie, proche

de la capitale, apparaît comme le refuge idéal des derniers groupes armés,

pour faire pression sur le gouvernement. C’est dans un tel contexte qu’en

2008 Bouteflika limite les perspectives de transition politique, en faisant

sauter le verrou constitutionnel qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels

(Le Monde, avril 2019). Le troisième mandat se présente comme celui

d’une corruption massive, à la hauteur d’une trésorerie de 190 milliards de

dollars.

Les derniers chantiers ouverts par le président Bouteflika ainsi que la

nouvelle politique en particulier en direction des universités et des populations

rurales (aide à la construction) ont relancé en quelque sorte la vision

« boumédiéniste » de l’Algérie. La dimension à la fois sociale et internationale

de la stratégie présidentielle a permis au pays de retrouver une certaine stabilité.

Mais le phénomène de la globalisation a touché la population algérienne,

qui a tendance à s’individualiser, aussi bien dans son comportement

social que dans ses choix culturels. Le 8 mai 2012 à Sétif, lors de la commémoration

des massacres de 1945, Abdelaziz Bouteflika rappelait aux jeunes

que le temps de la transition des responsabilités devait commencer :


386 Atlas historique de l’algérie

« Je m’adresse aux jeunes qui doivent prendre le témoin car ma génération

a fait son temps. Après avoir libéré le pays et participé par la suite à son

édification, l’heure de la retraite a sonné pour les anciens ne pouvant plus

gérer les affaires du pays. On vous transmet le témoin. Il faut prendre soin

de ce bien construit sur des bases solides. Il ne faut pas le trahir. Les gens

qui ont libéré le pays vous disent que nous n’avons plus les forces pour continuer.

Le pays est entre vos mains prenez en soin. (…) Vous devez être fiers de

vos réalisations car on a fait beaucoup en matière d’éducation, de logements

et soins. »

Le président souligne les enjeux auxquels l’Algérie doit faire face :

« Je demeure convaincu que les jeunes, sortis par millions de l’École algérienne,

ouverts au monde de la connaissance moderne et des technologies

de la communication et conscients des défis et dangers de la mondialisation

sauront se dresser contre les ennemis du pays et faire face aux instigateurs

de la Fitna et de la division ou aux velléités d’ingérence étrangère. ».

Son discours paraît résumer le retour d’un état d’esprit boumediéniste, en

annonçant une ouverture générationnelle. Mais son clan familial en décidera

tout autrement.


La décennie Bouteflika, 2002-2012 387

Abdelaziz Bouteflika, Jacques et Bernadette Chirac, Oran, 4 mars 2003.

François Hollande et Abdelaziz Bouteflika, Alger, décembre 2012.



LE CLAN BOUTEFLIKA FACE

AU HIRAK

u moment de son discours de Sétif en 2012, le président Bouteflika

A

paraît déjà éprouvé physiquement. Il a délégué à ses ministres et

à des membres de sa famille la gestion d’un pays qui célèbre le

cinquantenaire de son indépendance en juillet. La période paraît euphorique,

et le portrait du président est affiché à chaque événement et dans la plupart

des villes. Il s’agit d’un phénomène inédit en Algérie, où, contrairement à de

nombreux pays du monde arabe, ce type de publicité a toujours été limité.

Mais dans ces années de forte croissance économique, les revendications

politiques avaient été mises au second plan. Les printemps arabes avaient

emporté leurs foules enthousiastes sur le chemin de la désillusion et pire,

avaient mené à des guerres civiles. Tandis que la Syrie, pays traditionnellement

proche de l’Algérie, sombrait dans une guerre alimentée par les puissances

régionales, les divisions libyennes menaçaient d’atteindre le sud-est

de l’Algérie et ses gisements d’hydrocarbures. En 2013, le nord du Mali devenait

quant à lui le théâtre d’une sécession touarègue, sur fond de djihadisme

transsaharien. Avec l’afflux des armes libyennes et de lointains soutiens

arabes, les groupes armés redeviennent une menace pour les intérêts français

dans la région sahélienne. Les Mirage 2000 français survoleront un ciel

algérien assombri par la faiblesse d’un président très malade (victime d’un

AVC en 2013) et otage du clan en place. Seule l’armée paraît pouvoir compenser

ce vide présidentiel, mais elle montre de graves signes de déficience dans

la crise de Tiguentourine comme dans son incapacité à sécuriser ses avions,

dont les catastrophes se succèdent. Dans un tel contexte, la mascarade de

l’élection présidentielle de 2014 (4 e mandat…) permet au pouvoir en place

d’agir en toute impunité, tout en maintenant ses programmes sociaux pour

le logement et l’emploi (Ansej, etc.). Mais ces budgets généreux sont loin

d’atteindre tous leurs ayants droit, faute de lutte contre une corruption et des

détournements massifs de programmes sociaux. Ainsi, les services hospitaliers

sont dépassés par la demande de soins, notamment anticancéreux, car

les maladies chroniques ont suivi la courbe ascendante de la croissance économique…

La pollution environnementale a accompagné ces années d’importations

massives, dans l’euphorie de la consommation à bas prix. Les


390 Atlas historique de l’algérie

contestations et émeutes sociales n’ont pas cessé. Demandes de logement

inabouties, protestations contre les pénuries d’eau potable, etc., les populations

des régions rurales ou des quartiers populaires n’ont pas désarmé.

L’insécurité s’est développée dans les quartiers des villes nouvelles, dans lesquelles

des bandes rivales s’affrontent, sur fond de trafics de stupéfiants et

autres psychotropes, véritable guerre insidieuse, qui sévit dans la jeunesse

désœuvrée.

Les populations du Sahara ont maintenu la pression sur les autorités,

revendiquant leurs droits aux services sociaux et infrastructures de santé.

Les manifestants dans la région de Ouargla n’étaient pas restés indifférents

à la question du projet de gaz de schiste. Comme souvent dans l’histoire des

révoltes en Algérie, aucune coordination ne prend forme entre les régions

contestataires. Ainsi, les rassemblements politiques contre le système

avaient-ils principalement lieu à Alger ou en Kabylie, fief contestataire historique.

Pourtant, c’est à Kerrata, à 50 km au nord de Sétif, que l’annonce

insupportable d’un 5 e mandat par les ténors du clan Bouteflika a déclenché

le début d’un mouvement d’opposition inédit, le 16 février 2019.

À partir du 22 février 2019, le mouvement d’opposition au 5 e mandat

s’étend à toutes les grandes villes et prend une forme très pacifique. Le 2 avril

2019, le chef d’État-major de l’armée Gaïd Salah « démissionne » le président

Bouteflika, lequel emporte avec lui tout un clan familial qui se retrouve visé

par une vague judiciaire sans précédent. Elle cible Saïd Bouteflika qui occupait

la responsabilité de régent à la place de son frère malade. Les oligarques

proches du cercle Bouteflika sont brutalement contraints à s’expliquer devant

la justice dans des dossiers de détournements de devises, blanchiments et

autres malversations. Ministres et walis se retrouvent assez rapidement

inquiétés par cette opération policière. Les manifestations du mouvement de

contestation, devenu le Hirak (mouvement en arabe), se poursuivent cependant,

les leaders populaires s’opposant au calendrier proposé par l’armée, qui

a maintenu un certain nombre de ministres du clan Bouteflika. L’arrestation

d’anciens hauts responsables du DRS, acteurs majeurs de la machine répressive

des années 1990, a marqué cette révolution interne au système politicomilitaire

qui dirigeait le pays depuis 1962. Le printemps algérien du Hirak a

révélé le dynamisme d’une société urbaine devenue exigeante, et déterminée

à s’affranchir d’une tutelle et d’un unanimisme dépassés. Force de proposition,

cette génération du Hirak ne renie pas la culture révolutionnaire, dont

elle revendique l’héritage. Mais la confiscation de la gestion du pays par un

clan quasi tribal lui était devenue inacceptable.


Couverture de L'Obs, mars 2019.

Le clan Bouteflika face au Hirak 391



L’ALGÉRIE EN 2022 ET LES

DÉFIS DE LA MONDIALISATION

(RÉSEAUX, PANDÉMIE, CRISE

DU PÉTROLE…)

près les succès du Hirak, une évolution politique paraît aboutir en

A

Algérie avec l’élection du président Tebboune en décembre 2019.

Bien que controversée, cette élection-nomination d’un diplômé de

l’École nationale d’administration met en avant un grand commis de l’État,

avec les promesses d’une gestion rationnelle du pays. Les vingt ans des gouvernements

Bouteflika (1999-2019) avaient été marqués par une croissance

économique continue et une mise en chantier du pays. Mais les ressources

principales de l’économie algérienne sont restées dépendantes des hydrocarbures

sahariens.

Le Sahara algérien, par son immensité et son ouverture africaine, apparaît

comme un espace géopolitique majeur en 2020. Les flux migratoires transsahariens

témoignent d’une activité humaine renouvelée dans le Sud algérien.

La population algérienne actuelle intègre des milliers de Subsahariens, réfugiés

ou migrants économiques. Bien que leur statut ne soit pas favorisé par

les autorités, la présence des Subsahariens et Ouest-Africains est devenue

une des réalités du Sahara algérien. L’Algérie n’est donc plus uniquement un

pays de transit mais aussi d’installation des migrants, dont la dynamique ne

paraît pas faiblir.

L’exportation des hydrocarbures algériens vers l’Europe ne garantit pas

des ressources financières suffisantes dans un contexte de baisse constante

des cours du baril de pétrole depuis 2014. La stratégie saoudienne a accentué

cette baisse en 2019, avant la chute historique du printemps 2020. Pourtant,

l’Algérie dispose de ressources minières notables, notamment dans le

Sahara. Des secteurs de l’agroalimentaire exportent leurs productions dans

les pays proches. Le potentiel touristique de l’Algérie, avec son littoral méditerranéen

et ses sites culturels classés, reste quant à lui peu exploité économiquement,

malgré le retour de la sécurité. Le marché reste national et les

perspectives d’accueillir des flux touristiques européens importants ne


394 Atlas historique de l’algérie

paraissent toujours pas au programme. Pourtant, le transport aérien n’a

cessé de croître, malgré la faible concurrence des compagnies étrangères.

Les destinations de la compagnie nationale Air Algérie pourraient résumer la

carte d’une diaspora algérienne (estimée à 8 millions de personnes). L’importante

circulation de la population franco-algérienne vers l’Algérie exerce une

certaine influence sur la société très urbanisée et connectée. La très forte

utilisation des réseaux sociaux numériques a cependant ouvert d’autres

fenêtres sur le monde. Longtemps focalisés sur la France et le Moyen-Orient,

les téléspectateurs algériens disposent de nouveaux accès à l’information et

des divertissements inédits, mais toujours dominés par le football et les

séries type « drama coréen ». Pourtant, jamais les Algériens n’auront autant

voyagé. De La Mecque à Istanbul, l’Orient reste leur destination touristique

préférentielle tandis que les étudiants se rendent désormais autant dans les

universités françaises que canadiennes ou chinoises. En mars 2020, la pandémie

du Covid-19 aura été le révélateur de la dépendance économique aux

revenus du pétrole en chute libre et d’un système hospitalier décrié depuis

vingt ans.

Sa proximité avec l’Europe et son arrière-pays saharien offrent à l’Algérie

de demain une situation géostratégique unique. Le pays est loin d’avoir épuisé

toutes ses ressources. L’énergie solaire saharienne apparaît comme l’une des

cartes de la politique énergétique algérienne, complétant des gisements de

métaux précieux et stratégiques. Le Sahara constitue bien la réserve stratégique

majeure des futurs de l’Algérie. Le potentiel universitaire, porté par une

jeunesse dynamique, pourrait, si le système de népotisme et de cooptation

des élites ne l’empêche pas, relancer un projet global. Cette « Algérie empêchée

» (Akram Belkaïd) et la saturation urbaine qui caractérise le nord de

l’Algérie pourraient cependant bien constituer une bombe à retardement,

dans un pays qui n’a toujours pas réglé de nombreuses questions, notamment

les contentieux de la guerre civile.

La pandémie du Covid-19, en mettant en pause les questions politiques,

aura révélé l’importance des solidarités et des ressources agroalimentaires

locales. L’importation de masse qui caractérise l’économie algérienne est

remise en cause, comme ailleurs dans le monde. Un retour aux ressources

locales pourrait bien apparaître comme l’une des clés d’une autosuffisance

alimentaire. Les méfaits de l’alimentation actuelle, source de maladies chroniques

très importantes en Algérie, restent un défi aussi important que celui

du Covid-19. Des milliers d’Algériens partent se soigner ou étudier à l’étranger.

Sans la priorisation des secteurs de la santé et de l’éducation, les projets

de l’Algérie 2.0 resteront un vœu pieux. La sortie de l’épreuve du Covid-19

devrait probablement marquer une étape significative, dans la prise en

compte de tels enjeux pour le développement de l’Algérie de demain.


REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont activement contribué à

la réalisation de cet ouvrage, en particulier Pierre Vermeren et Leïla Latrèche.

Je remercie également les nombreux passionnés et les personnes investies

dans l’histoire et la mémoire de l’Algérie : Jacques Frémeaux, qui a rédigé la

préface, Frédéric Grasset et Paul Malmassari, qui m’ont également encouragé

dans mes travaux.

J’ai également bénéficié du soutien du cercle familial et d’amis toujours

dévoués, de Lyon à Paris, et de Tunis à El Eulma, en particulier Luiz Carlos,

Amal, Benziane, Marc, Linda, Mamoudou, Solvej, Anouck, Walid, Nourredine,

Sylla, Noamen Rebai, Rihem, Guillaume et Mounir.

Enfin, je remercie tous les professionnels des centres d’archives de France

et des bibliothèques, la Fondation GACMT, l’Amicale des Sahariens, les étudiants

et enseignants du Master CIAMO Paris 1-Panthéon Sorbonne.


396 Atlas historique de l’algérie

Carte arabe médiévale représentant l'Occident musulman.


BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES GÉNÉRAUX SUR L’ALGÉRIE –ATLAS

« Algérie », Geo, numéro spécial, n° 114, août 1988.

Algérie, atlas historique, géographique, économique, Alger, Gouvernement

général, 1938.

« L’Algérie au cœur », Geo, numéro spécial, n° 229, mars 1998.

« Atlas de la Méditerranée », L’Histoire, hors-série « Les atlas », n° 1, mai

2010.

« L’Atlas des civilisations », Le Monde-La Vie, hors-série 2009.

Algérie et Tunisie, Hachette, « Les Guides bleus », 1916.

« Algérie, 1830-1987. Histoire et nostalgie », Historia, n° 86, juin 1987.

Atlas 2000, la France et le monde, Paris, Nathan, 1992.

Atlas routier France, Clermont-Ferrand, Michelin, 1998.

BERNARD Augustin, DE FLOTTE DE ROQUEVAIRE R., Atlas d’Algérie et de Tunisie,

Alger et Paris, Gouvernement général de l’Algérie, Direction des services

économiques, Service cartographique, 1923-1935.

CÔTE Marc, Guide d’Algérie, Constantine, Média-Plus, 2006.

Djazaïrouna, l’atlas pratique de l’Algérie, INCT, Alger, 2004.

DORIGNY Marcel, KLEIN Jean-François, PEYROULOU Jean-Pierre et al., Grand

atlas des empires coloniaux, Paris, Autrement, 2019.

DUBY Georges, Atlas historique mondial, Larousse, 2000.

ELLYAS Akram B., À la rencontre du Maghreb, Paris, La Découverte, 2001.

FAUVELLE François-Xavier, SURUN Isabelle (dir), Atlas historique de l’Afrique,

Paris, Autrement, 2019.

GOUROU Pierre, Atlas classique, Paris, Hachette, 1956.

GRESH Alain, REKACEWICZ Philippe, VIDAL Dominique (dir.), « L’Atlas 2006 du

Monde diplomatique », Le Monde diplomatique, hors-série 2006.

HENRY Jean-Robert (dir.), L’Algérie et la France. Destins et imaginaires croisés,

Marseille, Images en manœuvres, 2003.

JULIEN Charles-André, Histoire de l’Afrique du Nord des origines à 1830, Paris,

Payot, 1994 (1 re éd. 1951).

KHANZADIAN Z., Atlas de géographie historique de l’Algérie. Livre d’or du Centenaire

1830-1930, Paris, s.n., 1930.


398 Atlas historique de l’algérie

Mémoires du XX e siècle. 1920-1929, Encyclopédie Bordas, Paris, Bordas-SGED,

1990.

PELEGRI Jean, ADAM André, BASDEVANT Denise et al., L’Algérie, Larousse,

« Collection Monde et voyages », 1977.

NYSSEN Hubert, L’Algérie, Paris, Arthaud, 1972.

STEMMELEN Éric, AGERON Suzanne, AGERON Charles-Robert et al., Algérie,

Hachette, « Les Guides bleus », 1986.

PRÉHISTOIRE

« Algérie Antique », Dossiers d’archéologie, n° 286, septembre 2003.

AUMASSIP Ginette, L’Algérie des premiers hommes, Paris, EMSH, 2001.

« Préhistoire de l’Algérie », Dossiers d’archéologie, n° 282, avril 2003.

PROTOHISTOIRE –ANTIQUITÉ

BLAS DE ROBLÈS Jean-Marie, SINTES Claude, Sites et monuments antiques de

l’Algérie, Aix-en-Provence, Edisud, 2003.

BOUCHENAKI Mounir, Cités antiques d’Algérie, Alger, Ministère de la Culture,

1978.

CHAKER Salem (dir.), Encyclopédie Berbère, vol. XXVI : Judaïsme-Kabylie, Aixen-Provence,

Edisud, 2004.

CHENOUF Aïssa, Les Juifs d’Algérie, Alger, El Maarifa, 1999.

COLTELLONI-TRANNOY Michèle, Le Royaume de Maurétanie sous Juba II et Ptolémée,

Paris, Éditions du CNRS, 1997.

COURTOIS Christian, Les Vandales et l’Afrique, Paris, Gouvernement général

d’Algérie, Direction de l’Intérieur et des Beaux-Arts, Service des antiquités,

Arts et Métiers graphiques, 1955.

DELVERT Ray, DI MEGLIO Guy, L’Algérie au cœur vue du ciel en 1951, Jean-Paul

Gisserot, Paris, 2002 (1 re éd. 1989).

DE VITA Victor, Histoire de la persécution vandale en Afrique du Nord, Paris, Les

Belles Lettres, 2002.

DIEHL Charles, L’Afrique byzantine, Paris, E. Leroux, 1896.

DUPUIS Xavier, LEPELLEY Claude (dir.), Frontières et limites de l’Afrique du nord

antique, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.

FENTRESS Elizabeth, Numidia and the Roman Army, Oxford, BAR International

Series 53, 1979.

FÉVRIER Paul-Albert, Approches du Maghreb romain, t. I et t. II, Aix-en-Provence,

Edisud, 1989 et 1990.

GSELL Stéphane, L’Algérie dans l’Antiquité, Alger, Giralt imprimeur, 1900.

HIRSCHBERG H. Z., A history of the Jews in North Africa, vol.1:From Antiquity

to the Sixteenth Century, Leyde, Brill, 1974.

JEDIN Hubert, LATOURETTE Kenneth Scott, MARTIN Jochen (ed.), Atlas d’histoire

de l’Église, Turnhout, Brepols, 1990.

KADDACHE Mahfoud, L’Algérie dans l’antiquité, Alger, ENAL, 1992.

KOLENDO Jerzy, Le colonat en Afrique sous le Haut-Empire, Les Belles Lettres,

1991.


Bibliographie 399

LANCEL Serge, L’Algérie antique, Paris, Mengès, 2003.

LARONDE André, GOLVIN Jean-Claude, L’Afrique antique. Histoire et monuments,

Paris, Tallandier, 2001.

LEBRUN François (dir.), Les grandes dates du christianisme, Paris, Larousse,

1989.

LE GALL Joël, LE GLAY Marcel, L’Empire romain, Paris, PUF, 1992.

LEPELLEY Claude, Aspects de l’Afrique romaine. Les cités, la vie rurale, le christianisme,

Bari, Edipuglia, 2001.

RACHET Marguerite, Rome et les Berbères. Un problème militaire d’Auguste à

Dioclétien, Bruxelles, Latomus, 1970.

« Saint Augustin », Lire, numéro spécial, n° 400, novembre 2011.

SALAMA Pierre, Les voies romaines de l’Afrique du Nord, Alger, Imprimerie officielle,

1950.

VAN DER MEER, Frederick, Atlas de l’Antiquité chrétienne, Paris-Bruxelles,

Sequoia, 1960.

PÉRIODE MÉDIÉVALE

ABU KHALIL Shauqi, Atlas of the Qu’rân, Ryadh, Darussalam, 2003.

BEL Alfred, Les Benou Ghâniya, Paris, E. Leroux, 1903.

BLACHÈRE Régis, Extraits des principaux géographes arabes du Moyen Âge,

Paris, Klincksieck, 1957.

BOUROUIBA Rachid, L’architecture militaire de l’Algérie médiévale, Alger, OPU,

1983.

CORNU Georgette, Atlas du monde arabo-islamique à l’époque classique, IX e -

X e siècles, Leyde, E. J. Brill, 1985.

DACHRAOUI Farhat, Le califat fatimide au Maghreb, Tunis, STD, 1981.

DJAIT Hichem, « La wilaya d’Ifriqiya au II e -VIII e siècle », Studia Islamica, n° XVII,

1967.

GOLVIN Lucien, Le Magrib central à l’époque des Zirides, Paris, Arts et Métiers

Graphiques, 1957.

IBN KHALDUN, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique

septentrionale, trad. par le baron de Slane, Alger, Imprimerie du Gouvernement,

1856.

IDRIS Hady Roger, La Berbérie orientale sous les Zirides, Paris, Librairie d’Amérique

et d’Orient Adrien Maisonneuve, 1962.

IDRIS Hady Roger, « Le récit d’Al-Maliki sur la conquête de l’Ifriqiya. Traduction

annotée et examen critique », Revue des études islamiques, n° 37, 1969/1,

p. 117-149.

JAUBERT P. Amédée, La géographie d’Idrissi, Amsterdam, Philo Presse, 1975.

KADDACHE Mahfoud, L’Algérie médiévale, Alger, ENAL, 1992 (2 e éd.).

KENNEDY Hugh, An Historical Atlas of Islam, Leyde, Brill, 2002.

Kettermann Günter, Atlas zur Geschichte des Islam, Darmstadt, Primus Verlag,

2001.

MARÇAIS Georges, « La Berbérie au IX e siècle d’après El-Ya’qoûbi », Revue

africaine, vol. 85, 1941, p. 40-61.

OLIEL Jacob, Les Juifs au Sahara. Le Touat au Moyen Âge, Paris, CNRS éditions,

1994.


400 Atlas historique de l’algérie

OLIEL Jacob, Les Juifs au Sahara, une présence millénaire, Montréal, Élysée,

2007.

PRINGLE Denys, The Defence of Byzantine Africa from Justinian to the Arab

Conquest, Londres, BAR International Series 99(i), 1981.

TALBI Mohamed, L’émirat aghlabide, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient

Adrien Maisonneuve, 1966.

THIRY Jacques, Le Sahara libyen dans l’Afrique du Nord médiévale, Leuven,

Orientalia, 1995.

VONDERHEYDEN Maurice, La Berbérie orientale sous la dynastie des Benoûl-

Arlab, Paris, Geuthner, 1927.

PÉRIODE OTTOMANE

BACHELOT Bernard, Louis XIV en Algérie, Monaco, Éditions du Rocher, 2003.

BENNASSAR Bartolomé, JACQUART Jean, Le XVI e siècle, Paris, Armand Colin,

2002.

BRAHIMI Denise, Opinions et regards des Européens sur le Maghreb aux XVII e et

XVIII e siècles, Alger, SNED, 1978.

CHARLES-ROUX F., France et Afrique du Nord avant 1830, Paris, Librairie Félix

Alcan, 1932.

EISENBETH Maurice, Les Juifs en Algérie et en Tunisie à l’époque turque, Alger,

Société historique africaine, 1952.

GRAMMONT H. D. de, Histoire d’Alger sous la domination turque, Paris,

E. Leroux, 1887.

HAUDRÈRE Philippe, La Compagnie française des Indes au XVIII e siècle (1719-

1795), Paris, Librairie de l’Inde, 1989.

HEERS Jacques, Les Barbaresques. La course et la guerre en Méditerranée, XIV-

XVI e siècle, Paris, Perrin, 2001.

HESS Andrew C., « The Forgotten Frontier: the Ottoman North African Provinces

during the Eighteenth Century », in Studies in Eighteenth Century

Islamic History, p. 74-88, 1977.

KADDACHE Mahfoud, L’Algérie durant la période ottomane, Alger, OPU, 1998.

KHIARI Farid, Vivre et mourir en Algérie. L’Algérie ottomane aux XVI e -XVII e siècles :

un destin confisqué, Paris, L’Harmattan, 2002.

LEBRUN François, Le XVII e siècle, Paris, Armand Colin, 1994.

MANTRAN Robert, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989.

PETER Jean, Les Barbaresques sous Louis XIV. Le duel entre Alger et la Marine

du Roi (1681-1698), Paris, Economica, 1997.

PITCHER Donald Edgar, An Historical Geography of the Ottoman Empire, Leyde,

E. J. Brill, 1972.

SHALER William, Esquisse de l’État d’Alger, Saint-Denis, Éditions Bouchène,

2001 (1 re édition 1830).

TEMIMI Abdeijalil, Le Beylik de Constantine et Hadj Ahmed Bey, Tunis, Publications

de la Revue d’histoire maghrébine, 1978.

VAYSSETTES Eugène, Histoire de Constantine sous la domination turque, Saint-

Denis, Éditions Bouchène, 2003.


Bibliographie 401

CONQUÊTE ET COLONISATION FRANÇAISES, 1830-1945

ABITBOL Michel, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, Riveneuve, 2008.

« Algérie », Historia, numéro spécial, n° 486, juin 1987.

« Algérie », Revue historique de l’Armée, numéro spécial, n° 2, juin 1953.

« Algérie-Sahara », Revue historique de l’Armée, numéro spécial, n° 4,

novembre 1959.

AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, BECKER Jean-Jacques (dir.), Encyclopédie de la

Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004.

AYOUN Richard, COHEN Bernard, Les Juifs d’Algérie, deux mille ans d’histoire,

Paris, JC Lattès, 1982.

BARBIER Maurice, Voyages et exploration au Sahara occidental au XIX e siècle,

Paris, L’Harmattan, 1985.

BERBRUGGER Adrien, Les époques militaires de la Grande Kabylie, Alger, Bastide,

1857.

BERNARD Augustin, Afrique septentrionale et occidentale, in P. Vidal de La

Blache, L. Gallois (dir.), Géographie universelle, tome XI, Paris, Armand

Colin, 1939.

BONTEMS Claude, Manuel des institutions algériennes, tomeI:De la domination

turque à l’indépendance, Paris, Éditions Cujas, 1976.

BOUCHAMA Kamel, Les Algériens à Bilâd ec-Sham, de Sidi Boumediène à l’émir

Abdelkader (1187-1911), Alger, Juba, 2010.

BOURDET-PLÉVILLE Michel, Des galériens, des forçats, des bagnards, Paris,

Plon, 1957.

CAPOT-REY Robert, Le Sahara français, Paris, PUF, 1953.

CARLIER Claude, PEDRONCINI Guy, Les troupes coloniales dans la Grande

Guerre. Actes du colloque organisé pour le 80 e anniversaire de la bataille de

Verdun le 27 novembre 1996 à Verdun au Centre mondial de la paix, Paris,

Economica, 1997.

CHAMOISEAU Patrick, Guyane. Traces-mémoires du bagne, Paris, CNMHS, 1994.

CHOURAQUI André, Histoire des juifs en Afrique du Nord, Paris, Hachette, 1985.

COHEN Jean-Louis, OULEBSIR Nabila, KANOUN Youcef, Alger. Paysage urbain et

architectures, 1800-2000, Besançon, Les Éditions de l’imprimeur, 2003.

DAUMAS Eugène, CHANCEL Ausone de, Le grand désert, Paris, N. Chaix, 1848.

DEYGAS F.-J. capitaine, L’Armée d’Orient dans la guerre mondiale, 1915-1919,

Paris, Payot, 1932.

DIRECHE-SLIMANI Karima, Chrétiens de Kabylie, 1873-1954, Alger, EDIF, 2000.

« Dragoon. Débarquement de Provence », 39-45 Magazine, n° 97-98, juilletaoût

1994.

DURAND-ÉVRARD Françoise, MARTINI Lucienne (dir.), Archives d’Algérie (1830-

1960), Paris, Hazan, 2003.

EMERIT Marcel, Les liaisons terrestres entre le Soudan et l’Afrique du Nord au

XVIII e et au début du XIX e siècle, Alger, Imprimerie de Imbert, 1954.

ENFANTIN Barthélémy-Prosper, Colonisation de l’Algérie, Paris, P. Bertrand,

1843.

FRÉMEAUX Jacques, Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Paris,

Denoël, 1993.

GARÇON Maurice, Les bagnes, Paris, Mercure de France, 1925.


402 Atlas historique de l’algérie

GAUTIER E.-F., Le passé de l’Afrique du Nord, Paris, Payot, 1952.

GAUTIER E.-F., Le Sahara, Paris, Payot, 1928.

GRÉVOZ Daniel, Les méharistes français à la conquête du Sahara (1900-1930),

Paris, L’Harmattan, 1994.

GSELL Stéphane, Exploration scientifique de l’Algérie, Paris, E. Ledoux, 1912.

HIRTZ Georges, L’Algérie nomade et ksourienne 1834-1954, Marseille, Tacussel,

1989.

JACQUOT Félix, Expédition du général Cavaignac dans le Sahara algérien en avril

et mai 1847, Paris, Gide et J. Baudry libraires-éditeurs, 1849.

JULIEN Charles-André, Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF, 1964.

KATEB Kamel, Européens, « indigènes » et Juifs en Algérie (1830-1962). Représentations

et réalité des populations, Paris, INED, 2001.

KOUMAS Ahmed, NAFA Chéhrazade, L’Algérie et son patrimoine. Dessins français

du XIX e siècle, Paris, Monum-Éditions du Patrimoine, 2003.

LALLAOUI Mehdi, Algériens du Pacifique, les déportés de la Nouvelle-Calédonie,

Alger, Zyriab, 2001.

LELEU Jean-Luc, PASSERA Françoise, QUELLIEN Jean (dir.), La France pendant

la Seconde Guerre mondiale. Atlas historique, Paris, Fayard-Ministère de la

Défense, 2010.

LAMARQUE Philippe, Les très riches heures de l’Algérie, Sommières, Romain

Pages éditeur, 2004.

MAILHE Germaine, Déportation en Nouvelle-Calédonie des communards et des

révoltés de la Grande Kabylie (1872-1876), Paris, L’Harmattan, 1995.

MALTE-BRUN Victor-Adolphe, Résumé historique de la grande exploration de

l’Afrique centrale faite de 1880 à 1855 par J. Richardson, H. Barth, A. Overweg…,

Paris, A. Bertrand, 1856.

MARTIN Claude, Les israélites algériens de 1830 à 1902, Paris, Herakles, 1936.

MARTONNE Emmanuel de, « La structure géographique de l’Afrique du nord

française. À propos de la nouvelle carte de l’“atlas Vidal La Blache” »,

Annales de géographie, n° 235, p. 61-72, 1933.

MICHELOT Jean-Claude, La guillotine sèche. Histoire des bagnes de Guyane,

Paris, Fayard, 1981.

MINISTÈRE DE LA GUERRE, Tableau de la situation des établissements français

dans l’Algérie, Paris, Imprimerie royale, 1846.

NANTET Bernard, Le Sahara. Histoire, guerres et conquêtes, Paris, Tallandier,

2013.

NICOMÈDE Gaston, « Un coin de la colonisation pénale. Bourail en Nouvelle-

Calédonie, 1883-1885, Bulletin de la Société de géographie de Rochefort,

tome VII, n° 3, p. 161-246, 1885.

NODIER Charles, Journal de l’expédition des Portes de Fer, Paris, Imprimerie

royale, 1844.

NOUSCHI André, La naissance du nationalisme algérien, 1914-1954, Paris, Les

Éditions de Minuit, 1962.

OUENNOUGHI Mélica, Algériens et Maghrébins en Nouvelle-Calédonie de 1864 à

nos jours, Alger, Casbah éditions, 2008.

PÉAN Pierre, Main basse sur Alger. Enquête sur un pillage, juillet 1830, Paris,

Plon, 2004.

PELLISSIER DE REYNAUD Edmond, Annales Algériennes, Alger, Librairie Bastide,

1854.


Bibliographie 403

PEYEIMHOFF DE FONTANELLE Henri de, Enquête sur les résultats de la colonisation

officielle de 1871 à 1895. Rapport à M. Jonnart, gouverneur général de

l’Algérie, Alger, Imprimerie de Torrent, 1906.

PIERRE Michel, La terre de la grande punition. Histoire des bagnes de Guyane,

Paris, Ramsay, 1982.

PRAX J., Commerce de l’Algérie avec La Mecque et le Soudan, Paris, J. Rouvier,

1849.

RINN Louis, Histoire de l’insurrection de 1871 en Algérie, Alger, A. Jourdan,

1891.

RIVIÈRE Léon, La Guyane française en 1865, Cayenne, Imprimerie du Gouvernement,

1866.

ROUSSET Camille, La conquête de l’Algérie, 1841-1857, Paris, E. Plon, Nourrit

et Cie, 1889.

SARI Djilali, L’insurrection de 1881-1882, Alger, SNED, 1981.

SARI Djilali, La dépossession des fellahs (1830-1962), Alger, ENAG, 2010.

« Seconde Guerre mondiale », Historia magazine, numéros spéciaux, n° 82,

84, 87.

SICARD Christian, La Kabylie en feu. Algérie 1871, Paris, Georges Sud, 1998.

STORA Benjamin, Histoire de l’Algérie coloniale, 1830-1954, Paris, La Découverte,

1991.

STORA Benjamin, Les immigrés algériens en France. Une histoire politique,

1912-1962, Paris, Hachette Littératures, 2009.

TEMIME Émile, « La migration européenne en Algérie au XIX e siècle : migration

organisée ou migration tolérée ? », Revue de l’Occident musulman et de la

Méditerranée, n° 43, 1987, p. 31-45.

VATIN Jean-Claude, L’Algérie politique, histoire et société, Paris, Fondation

nationale des sciences politiques, 1974.

YACONO Xavier, Histoire de la colonisation française, Paris, PUF, 1969.

ZURCHER Magali, La pacification et l’organisation de la Kabylie (1838-1870),

Paris, Les Belles Lettres, 1948.

NATIONALISME -RÉPRESSION DE 1945

« Colonisation. Les massacres oubliés », L’Histoire, n° 318, mars 2007.

HABERBUSCH Benoît, La gendarmerie en Algérie (1939-1945), Maisons-Alfort,

SHGN, 2004.

JAUFFRET Jean-Charles, La guerre d’Algérie par les documents, Vincennes,

SHAT, 1990.

PEYROULOU Jean-Pierre, Guelma, 1945, Paris, La Découverte, 2009.

REY-GOLDZEIGUER Annie, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945, Paris,

La Découverte, 2002.

STORA Benjamin, DAOUD Zakya, Ferhat Abbas. Une autre Algérie, Alger, Casbah

éditions, 1995.

VÉTILLARD Roger, Sétif, Guelma, mai 1945. Massacres en Algérie, préface de

Guy Pervillé, Versailles, Éditions de Paris, 2008.


404 Atlas historique de l’algérie

FILMS DOCUMENTAIRES

ADI Yasmina, L’autre 8 mai 1945. Aux origines de la guerre d’Algérie, Compagnie

des phares et balises, France 2, 2008.

LALLAOUI Mehdi, Les massacres de Sétif. Un certain 8 mai 1945, Point du Jour-

Mémoires vives Productions, Arte, 1995.

GUERRE D’ALGÉRIE

AGERON Charles-Robert, « Un versant de la guerre d’Algérie : la bataille des

frontières (1956-1962) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°46-

2, avril-juin 1999, p. 348-359.

« Algérie », Revue historique de l’Armée, numéro spécial, n° 2, juin 1953.

Algérie, naissance de mille villages, Alger, Imprimerie Baconnier, 1960.

« Algérie-Sahara », Revue historique de l’Armée, numéro spécial, n° 4,

novembre 1959.

ALLEG Henri, La guerre d’Algérie, Paris, Temps actuels, 1981.

AMIROUCHE Hamou, Akfadou. Un an avec le colonel Amirouche, Alger, Casbah

éditions, 2013.

BAILLET Pierre, Les rapatriés d’Algérie en France, Paris, La Documentation

française, 1976.

BARRILLOT Bruno, L’héritage de la bombe. Sahara, Polynésie, 1960-2002. Les

faits, les personnels, les populations, Lyon, CDRPC, 2002.

« Les bases secrètes du Sahara », Science et Vie, hors-série, « Algérie 1954-

1962 : la dernière guerre des Français », n° 19, octobre 2004.

BEKKA Ouari, Parcours d’un maquisard de la Wilaya III, Béjaïa, Talantikit, 2006.

BOUCHÈNE Abderrhamane, PEYROULOU Jean-Pierre, TENGOUR Ouanassa Siari,

THÉNAULT Sylvie, Histoire de l'Algérie à la période coloniale, 1830-1962,

Paris, La Découverte, 2014.

BRANCHE Raphaëlle (présenté par), La guerre d’indépendance des Algériens,

1954-1962, Perrin, 2009.

BRANCHE Raphaëlle, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Paris,

Gallimard, 2001.

BRANCHE Raphaëlle, THÉNAULT Sylvie, La guerre d’Algérie, Paris, La Documentation

française, 2001.

CATTET Serge, La Tourmente, 1830-1964. La France en Afrique du Nord, Paris,

LBM, 2010.

CHEMOUILLI Henri, Une diaspora méconnue : les Juifs d’Algérie, Paris, à compte

d’auteur, 1976.

CHERQUI A., « L’activité sioniste en Algérie », La Vie juive, n° 14, 1951.

CLAYTON Anthony, Histoire de l’armée française en Afrique, 1830-1962, Paris,

Albin Michel, 1994.

CÔMES Jean-Pierre, « Ma » guerre d’Algérie et la torture, Paris, L’Harmattan,

2002.

CORNATON Michel, Les camps de regroupement de la guerre d’Algérie, Paris,

L’Harmattan, 1998.

COURRIÈRE Yves, La guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 1968-1971.


Bibliographie 405

DERDER Peggy, Immigration algérienne et guerre d’indépendance, Paris, La

Documentation française, 2012.

FAIVRE Maurice, Le renseignement dans la guerre d’Algérie, Panazol, Lavauzelle,

2006.

FARALE Dominique, La bataille des monts Nementcha (Algérie 1954-1962). Un

cas concret de guerre subversive et contre-subversive, Paris, Economica,

2012.

FAVRELIÈRE Noël, Le désert à l’aube, Paris, Éditions de Minuit, 1960.

GALULA David, Contre-insurrection. Théorie et pratique, Paris, Economica, 2006.

« La guerre d’Algérie », Carto, n° 9, janvier-février 2012.

« La guerre d’Algérie », Historia magazine, n° 1-112, 1971-1973.

« La guerre d’Algérie », Histoire mondiale des conflits, n° 7, janvier-février

2005.

La guerre d’Algérie, Paris, Gaje-FNACA, 2002.

« Guerre d’Algérie. Mémoires parallèles », Le Monde, hors-série, n° 28,

février-mars 2012.

Historique des compagnies méharistes, 1902-1952, Alger, Gouvernement général

de l’Algérie, Direction des territoires du Sud, 1955.

HORNE Alistair, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Pygmalion, 1987.

JAUFFRET Jean-Charles, Ces officiers qui ont dit non à la torture, Paris, Autrement,

2005.

JORDI Jean-Jacques, 1962 : l’arrivée des pieds-noirs, Paris, Autrement, 1995.

KADRI Aïssa, BOUAZIZ Moula, QUEMENEUR Tramor (dir.), La guerre d’Algérie

revisitée, Paris, Khartala, 2015.

LAPOUGE Jean, De Sétif à Marseille, par Cassino. Carnets de guerre de Jean

Lapouge, sous-lieutenant au 7 e RTA. Campagnes de Tunisie, Italie et Provence,

1942-1944, Parçay-sur-Vienne, Anovi, 2007.

LEBJAOUI Mohamed, Vérités sur la révolution algérienne, Paris, Gallimard,

1970.

LEVINE Michel, Les ratonnades d’octobre. Un meurtre collectif à Paris en 1961,

Paris, Ramsay, 1985.

LEVISSE-TOUZÉ Christine, L’Afrique du Nord dans la guerre, 1939-1945, Paris,

Albin Michel, 1998.

LOUSTEAU Henry-Jean, Guerre en Kabylie, 1956-1961, Paris, Albin Michel, 1985.

MAADAD Messaoud, Guerre d’Algérie, chronologie et commentaires, Alger,

ENAG, 1992.

MADACI Mohamed Larbi, Les tamiseurs de sable. Aurès-Nememcha, 1954-1959,

Alger, ANEP, 2001.

MALTI Hocine, Histoire secrète du pétrole algérien, Paris, La Découverte, 2012.

MAUSS-COPEAUX Claire, Algérie, 20 août 1955, Paris, Payot, 2011.

MELNIK Constantin, De Gaulle, les services secrets et l’Algérie, Paris, Nouveau

Monde éditions, 2010.

MINISTÈRE DE L’INFORMATION ET DE LA CULTURE, De l’ALN à l’ANP, Alger, MIC,

1979.

MSELLATI Henri, Les Juifs d’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, L’Harmattan,

1999.

« Nom de code : B2-Namous. Quand la France testait ses armes chimiques

en Algérie », Le Nouvel Observateur, n° 1720, 23 octobre 1997.

PERVILLÉ Guy, Atlas de la guerre d’Algérie, Paris, Autrement, 2003.


406 Atlas historique de l’algérie

PERVILLÉ Guy, « L’insertion internationale du FLN algérien », 3 juin 2007.

guy.perville.free.fr

PORTEU DE LA MORANDIÈRE François, Soldats du djebel, Paris, Société de production

littéraire, 1979.

QUEMENEUR Tramor, STORA Benjamin, « La guerre d’Algérie », Geo, Les dossiers

de l’histoire, 2012.

RAHMANI Abdelkader, L’affaire des officiers algériens, Paris, Éditions du Seuil,

1959.

RENAUD Patrick-Charles, Combats sahariens, 1955-1962, Paris, Jacques Grancher,

1993.

ROBIN Marie-Monique, Escadrons de la mort, l’école française, Paris, La

Découverte, 2008.

SCHWEISGUTH Charles, Journal de Kabylie, Toulouse, Privat, 2006.

SHEPARD Todd, 1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la

France, Paris, Payot, 2008.

STORA Benjamin, Les immigrés algériens en France. 1912-1962, une histoire

politique, Paris, Hachette littérature, 2009.

STORA Benjamin, Algérie 1954, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2004.

STORA Benjamin, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 2004.

STORA Benjamin, QUEMENEUR Tramor, Algérie, 1954-1962. Lettres, carnets et

récits des Français et des Algériens dans la guerre, Paris, Les Arènes, 2010.

STORA Benjamin, La guerre d’Algérie expliquée en images, Paris, Seuil, 2014.

THÉNAULT Sylvie, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Flammarion,

2005.

TILLION Germaine, L’Algérie en 1957, Paris, Éditions de Minuit, 1957.

VALETTE Jacques, La guerre d’Algérie du général Salan, Sceaux, L’Esprit du

livre, 2008.

VALLAUD Pierre, La guerre d’Algérie, tomeI:1830-1958. L’ère coloniale, Paris,

Acropole, 2005.

VERMEREN Pierre, Le choc des décolonisations, Paris, Odile Jacob, 2015.

VIDAL-NAQUET Pierre, Les crimes de l’armée française en Algérie, Paris, La

Découverte, 2001.

FILMS DOCUMENTAIRES

BENCHIHA Larbi, Vent de sable. Le Sahara des essais nucléaires, 24images,

France 3 Corse, 2008.

COURRIÈRE Yves, MONNIER Philippe, La guerre d’Algérie, Galatée Films, 1972.

FAVRE Bernard, ALFONSI Philippe, PESNOT Patrick, STORA Benjamin, Les

années algériennes, 1954-1962, Ina/France 2-Nouvel observateur, 1991.

LE BOMIN Gabriel, STORA Benjamin, Guerre d’Algérie. La Déchirure 1954-1962,

Nilaya productions, France Télévisions, 2012.

ALGÉRIE INDÉPENDANTE

« Algérie. La guerre n’est pas finie », Les Cahiers de l’Orient, n° 84, janvier

2006.


Bibliographie 407

« Algérie, 1954-2012. Histoire et espérances », Le Monde diplomatique,

« Manière de voir », n° 121, février-mars 2012.

« Algérie, quel avenir ? », Les Cahiers de l’Orient, n° 39-40, 3 e -4 e trimestre

1995.

« Algérie, les nouveaux islamistes », Les Cahiers de l’Orient, n° 62, 2 e trimestre

2001.

« Algérie, les raisons de la colère », Les Cahiers de l’Orient, n° 51, 1998.

BALTA Paul, RULLEAU Claudine, L’Algérie des Algériens vingt ans après, Paris,

Les Éditions ouvrières, 1981.

BENYOUCEF Cherif, Algérie, une saison en enfer, Paris, L’Aventurine, 2003.

BRULÉ Jean-Claude, FONTAINE Jacques, L’Algérie : volontarisme étatique et

aménagement du territoire, Besançon, université de Franche-Comté/Tours,

Urbama-université de Tours, 1986.

CHAREF Abed, Algérie. Autopsie d’un massacre, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 1998.

CHERRAD Salah-Eddine, « Élections municipales et législatives en Algérie. Les

scrutins du 12 juin 1990 et du 26 décembre 1991 », Espace rural, n°29,

octobre 1992.

« Chrétiens en terre d’islam », Les Cahiers de l’Orient, n° 48, janvier 1997.

COLONNA Fanny (dir.), « Algérie : la fin de l’unanimisme. Débats et combats

des années 80 et 90 », Monde arabe, Maghreb-Machrek, n° 154, octobredécembre

1996.

« Coopération France-Algérie », Historia magazine, n° 375, numéro spécial

« Guerre d’Algérie », 1 er janvier 1974.

CÔTE Marc, L’Algérie ou l’espace retourné, Constantine, Média-Plus, 1993.

CÔTE Marc, L’Algérie, Paris, Armand Colin, 1996.

CUBERTAFOND Bernard, L’Algérie contemporaine, Paris, PUF, 1999 (1 re éd.

1981).

GRAFFENRIED Michael von, Algérie, Le rêve brisé de la démocratie, Berne, Benteli,

1996.

GRAFFENRIED Michael von, Mon journal d’Algérie, 1991-2001, Paris Autrement,

2003.

MINISTÈRE DE L’INFORMATION ET DE LA CULTURE, La Révolution algérienne, réalités

et perspectives, Alger, 1972.

OUITIS Aïssa, Les contradictions sociales et leur expression symbolique dans le

Sétifois, Alger, SNED, 1977.

PEYROULOU Jean-Pierre, Histoire de l’Algérie depuis 1988, Paris, La Découverte,

2020.

SIMON Catherine, Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l’indépendance

au désenchantement (1962-1969), Paris, La Découverte, 2009.

STORA Benjamin, Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance, 1962-1988, Paris,

La Découverte, 2004.

ZIREM Youcef, Algérie. La guerre des ombres, Bruxelles, Complexe, 2002.

FILMS DOCUMENTAIRES

BENSMAÏL Malek, Algérie(s), Éditions Montparnasse, 2004.

FEKIRI Faouzia, Algérie, entre la guerre et la paix, Arte, Thema, mai 2001.



CRÉDITS ICONOGRAPHIQUES

Archives nationales d’outre-mer (ANOM), p. 99, 103, 113, 123, 126, 130, 162-

164, 176, 194, 198, 206, 207, 216, 222, 231, 240, 276, 302, 303, 314, 316, 341 ;

© Claude BELLAC/ECPAD/Défense, p. 281 ; BnF, p. 58, 84, 111, 131, 137, 179,

220, 396 ; © Karim Chaïbi, p. 16, 18, 21, 24, 26, 28, 30, 32, 34, 36, 40, 42, 45, 46,

48, 50, 52, 55-57, 59, 60, 62, 64, 67, 68, 70, 72, 74, 77-79, 80, 82, 86, 88, 90, 92,

94, 96, 100, 104, 106, 108, 110, 114, 118, 120, 124, 128, 132, 134, 136, 138, 140,

144, 150, 154, 156, 158, 160, 161, 166, 170, 174, 180, 182-184, 186, 190, 196, 200,

202, 204, 208, 212, 214, 215, 218, 224, 227-229, 232, 234, 237, 238, 242, 245, 246,

248, 250-252, 258, 260, 264, 268, 272, 274, 278, 284, 291, 292, 296, 300, 304, 307,

308, 319, 320, 326, 337, 338, 340, 345, 346, 348, 352, 360, 372, 376, 378, 381,

382, 384, 388, 392 ; © ECPAD/Défense, couverture, 217 ; © ECPAD/fonds Smet/

Arthur Smet, 289 ; © Marc FLAMENT/ECPAD/Défense, p. 282 ; Médiathèque de

l’architecture et du patrimoine (MAP), p. 116 ; Musée archéologique de Sétif,

p. 38, 63 ; Musée de Carthage, p. 23 ; Musée du Château de Versailles, p. 142,

149 ; Musée de Tipasa, p. 27, 39, 43 ; Musée de Topkapi, p. 101 ; © Siné, p. 334.


TABLE DES MATIÈRES

Préface............................................................................................................. 7

Présentation.................................................................................................... 11

LA GENÈSE D’UN TERRITOIRE, ENTRE SAHARA

ET MÉDITERRANÉE

L’Algérie préhistorique.................................................................................... 19

Les Phéniciens et les rivages de la Méditerranée berbère......................... 21

UNE CIVILISATION ROMANO-AFRICAINE

De la seconde guerre punique (−219 −201) à la destruction de Carthage

(−146) ........................................................................................................... 25

La guerre de Jugurtha ................................................................................... 27

César en afrique, la création de l’Africa Nova.............................................. 29

L’Algérie au temps des premiers empereurs romains ................................ 33

Christianisation et grandes révoltes berbères au III e siècle........................ 37

La réorganisation des provinces africaines sous dioclétien........................ 41

La question donatiste et la guerre des nubel .............................................. 43

Saint Augustin, un enfant de Thagaste ......................................................... 47

Les vandales, de la Baltique à la Numidie................................................... 49

La conquête vandale....................................................................................... 51

La reconquête byzantine ................................................................................ 53

LA CIVILISATION ARABO-MUSULMANE

Les arabo-musulmans et la conquête de l’Africa ........................................ 57

Les campagnes de Hassan ibn Nu’man et Mussa ibn Nusayr ................... 59

Le Maghreb au VIII e siècle.............................................................................. 61


Table des matières 411

Abu Abdallah : itinéraire d’un prédicateur chiite ......................................... 63

Le prédicateur chiite en pays Kotama .......................................................... 65

La conquête de l’Ifriqiya par l’armée d’Abu Abdallah .................................. 69

Les campagnes fatimides à l’ouest............................................................... 71

La révolte d’Abu Yazid..................................................................................... 73

Les campagnes d’Égypte ............................................................................... 75

L’avènement des Zirides et des Hammadides.............................................. 77

Les Bédouins Beni Hillel et Suleym.............................................................. 79

Zirides et Hammadides face à l’invasion bédouine...................................... 81

Al Murabitun, la conquête almoravide .......................................................... 83

Le Maghreb d’Al Idrissi .................................................................................. 85

Les Almohades ............................................................................................... 87

L’épopée des Beni Ghaniya ............................................................................ 89

Le Maghreb aux XIII e et XIV e siècles............................................................... 91

L’itinéraire algérien d’Ibn Khaldun, grand homme du XIV e siècle ............... 93

L’EMPIRE OTTOMAN ET LE PACHALIK D’ALGER

La Méditerranée en 1492 ............................................................................... 95

Espagnols et Ottomans au Maghreb central de 1509 à 1518...................... 97

La conquête des pays d’el Djazaïr (Alger) et les nouveaux alliés de Khayr

al Din, dit Barberousse (1519-1534) .......................................................... 101

Les campagnes de Hassan Agha et Salah Raïs (1534-1556) ...................... 105

Alger et la Méditerranée au XVI e siècle......................................................... 107

1571, La bataille d’Alger................................................................................. 109

L’organisation de l’Algérie ottomane au XVII e siècle..................................... 111

Situation générale au XVII e siècle .................................................................. 115

Alger et ses relations internationales........................................................... 119

L’Algérie ottomane au XVIII e siècle................................................................. 121

L’Algérie ottomane au début du XIX e siècle................................................... 125

CONQUÊTE FRANÇAISE ET COLONISATION

Le débarquement français à Sidi-Ferruch.................................................... 129

Opérations françaises autour d’Alger............................................................ 133

La conquête française en 1830...................................................................... 135

La première guerre contre Abd el Kader...................................................... 139

Les expéditions contre Constantine .............................................................. 141

La deuxième expédition de Constantine ....................................................... 143

La conquête en 1839 ...................................................................................... 145

L’expédition des Portes de Fer, octobre 1839............................................... 147

La deuxième guerre contre l’émir Abd el Kader.......................................... 151

Les exils de l’émir Abd el Kader ................................................................... 155

La conquête du beylik de l’Est....................................................................... 157

Organisation administrative de l’Algérie en 1845 ......................................... 159

La colonisation européenne........................................................................... 161

Alger transformée par la colonisation .......................................................... 167


412 Atlas historique de l’algérie

La conquête des montagnes de Kabylie ....................................................... 171

La conquête des dernières crêtes de Kabylie .............................................. 175

La conquête du Sahara : de Aïn Sefra à Ouargla......................................... 177

L’Algérie dans les années 1864-1868 ............................................................ 181

Les soldats algériens au service de l’Empire............................................... 185

La grande insurrection de 1871..................................................................... 187

La guerre de juillet à octobre 1871 ............................................................... 191

La diaspora des prisonniers algériens dans le monde ............................... 193

Christianisme et judaïsme dans l’Algérie coloniale du XIX e siècle.............. 197

Les missions chrétiennes en Grande Kabylie .............................................. 201

La conquête du Grand Sahara....................................................................... 203

Les Algériens en Orient ................................................................................. 209

GUERRES MONDIALES

ET MONTÉE DU NATIONALISME ALGÉRIEN

Les Algériens dans la Première Guerre mondiale....................................... 213

L’Algérie de 1918 à 1939................................................................................. 219

L’Algérie dans la Seconde Guerre mondiale................................................. 225

Du débarquement américain en Algérie à la campagne de Tunisie (1942-

1943)............................................................................................................. 227

Les soldats algériens sur le front d’Italie (juillet 1943-juin 1944) .............. 233

La libération de la France, de la Provence à l’Alsace.................................. 235

Les soldats algériens en Allemagne............................................................. 239

RÉVOLTES ET RÉPRESSIONS DE SÉTIF À GUELMA

La répression disproportionnée de 1945....................................................... 241

Sétif, 8 mai 1945 ............................................................................................. 243

La guerre de représailles au nord de Sétif................................................... 247

Exécutions sommaires préventives à Guelma.............................................. 253

LA GUERRE D’INDÉPENDANCE

1954-1956, le début de la guerre d’indépendance....................................... 256

La « Toussaint rouge » ................................................................................... 259

Août 1955 : l’embrasement du Nord-Constantinois..................................... 265

La riposte militaire française en 1954-1956 ................................................. 269

La Kabylie dans la guerre.............................................................................. 273

L’ALN à son apogée en 1957.......................................................................... 275

Les opérations françaises, 1957-1958 .......................................................... 277

La bataille militaro-policière d’Alger............................................................. 279

La bataille du barrage est en 1958 ............................................................... 285

La stratégie contre-insurrectionnelle française........................................... 287

Arrestations de masse et centres de renseignement (CTT, CMI, DOP

et autres CRA)............................................................................................. 293


Table des matières 413

Le FLN en Europe .......................................................................................... 297

Le FLN et le monde arabe............................................................................. 301

Le FLN dans le monde................................................................................... 305

Le plan Challe................................................................................................. 309

De Gaulle en Algérie ...................................................................................... 315

Le Sahara et les sites stratégiques français................................................ 321

La répression du 17 octobre 1961 à Paris.................................................... 327

LES DÉCHIRURES DE LA POPULATION FRANCO-ALGÉRIENNE

Des violences exacerbées, de mars à l’été 1962.......................................... 331

Des Européens d’Algérie aux pieds-noirs en France................................... 335

La France, refuge des combattants algériens pro-français........................ 341

TRENTE ANS DE RECONSTRUCTION AUTORITAIRE

Les années Ben Bella .................................................................................... 347

Les années Boumediene................................................................................ 353

L’Algérie de Boumediene et le monde .......................................................... 361

Les années Chadli .......................................................................................... 365

DE LA GUERRE CIVILE AU HIRAK

De la crise politique à la guerre civile (1991-1994) ..................................... 373

Les années de sang, 1996-1999 .................................................................... 377

La décennie Bouteflika, 2002-2012 ............................................................... 383

Le clan Bouteflika face au Hirak................................................................... 389

L’Algérie en 2022 et les défis de la mondialisation (réseaux, pandémie,

crise du pétrole…) ....................................................................................... 393

Remerciements............................................................................................... 395

Bibliographie ................................................................................................... 397

Crédits iconographiques................................................................................. 409

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!