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Artisanat<br />
Du mortier de chaux aux figures de style<br />
Après leur journée de travail, des aspirants compagnons vivent une autre<br />
expérience de créativité, qu’ils mettent en mots.<br />
Après une journée de chantier, des jeunes compagnons s'essaient à l'écriture artisanale.<br />
F.-X. Tramond, le chef d'atelier.<br />
es compagnons, la fine fleur<br />
des artisans, 800 ans de<br />
tradition, de cathédrales, Lde savoir-faire, de transmission.<br />
L’histoire ne s’est jamais vraiment<br />
arrêtée. Aujourd’hui encore, des<br />
jeunes font le tour de France. Cinq<br />
à sept ans d’itinérance, d’étape en<br />
étape, pour maîtriser pleinement la<br />
discipline choisie : la menuiserie,<br />
l'ébénisterie, la charpenterie, la<br />
maçonnerie, la plomberie…<br />
Lorsque leur route s’arrête à Agen<br />
(Lot-et-Garonne), ils se frottent en<br />
plus à une expérience originale,<br />
l’écriture. L’idée a germé dans la<br />
tête du Gersois François-Xavier<br />
Tramond, ancien enseignant à<br />
Sciences-Po Paris, lui-même assez<br />
doué de ses mains, et grand lecteur<br />
d’Arthur Lochman, Ole<br />
Thorstensen ou Thierry Metz, ces<br />
artisans qui ont raconté leur geste,<br />
superbement.<br />
Douze séances, quinze jeunes<br />
L’idée était peu ou prou la même,<br />
amener des futurs compagnons à<br />
mettre en mots leur métier, ses<br />
joies, ses déboires, le chantier, la<br />
camaraderie, l’accident, etc. C’est<br />
la Fédération compagnonnique des<br />
métiers du bâtiment d’Agen et son<br />
directeur Christophe Bousquet qui<br />
ont accueilli le projet en question,<br />
avec l’appui de la librairie Martin-<br />
Delbert. Le 29 mars, précisément<br />
dans cette maison historique (on y<br />
vend des livres depuis 1850 !), on<br />
fêtait la restitution sous forme<br />
d’un album du dernier atelier en<br />
date, le troisième depuis le début<br />
de l’aventure.<br />
« Ça se déroule sur un trimestre<br />
entre septembre et Noël, détaille le<br />
chef d’atelier François-Xavier<br />
Tramond, à raison de 2 h par<br />
semaine, le mardi de 20 h à 22 h.<br />
Les jeunes arrivent de leur<br />
chantier, rafraîchis, changés.<br />
Pendant plus d’une heure et demie,<br />
on lit ensemble des textes de<br />
littérature artisanale. S’ouvre<br />
ensuite un temps d’écriture sur un<br />
thème annoncé en début de séance,<br />
20 minutes. Pour certains, c’est très<br />
long, mais comme j’exclus<br />
d’emblée toutes les conventions<br />
d’orthographe et de syntaxe, la<br />
plupart s’y mettent, et bien souvent<br />
ce qu’ils expriment est assez<br />
bluffant ».<br />
Jean-Marc Lestieux, le président<br />
de la Fédération compagnonnique<br />
d’Agen, a qualifié lui le résultat de<br />
« stupéfiant ». Et en effet, même<br />
s’il y a un temps de réécriture pour<br />
rendre les textes fluides, « sans les<br />
trahir non plus », on plonge avec<br />
intérêt dans ces récits où il est<br />
question de chevrons, de noues, de<br />
scie radiale, d’équerres<br />
métalliques, de pause, de cassecroûte,<br />
de différends avec les<br />
anciens, d’épuisement, d’accidents<br />
évités de justesse. Il y a des<br />
passages à suspens, comme dans<br />
un polar. Et les illustrations sont<br />
signées du photographe Thomas<br />
Millet.<br />
16<br />
Paul, 18 ans, est l’un des quinze<br />
jeunes. Lui est plutôt à l’aise avec<br />
le stylo. Il manie le porte-mine<br />
pour exercer sa discipline, un geste<br />
délicat. Ses phrases aussi, il dit que<br />
son crayon « tournoie comme une<br />
ballerine », préambule à l’affûtage<br />
d’une plaquette. Comme ses<br />
camarades de l’atelier, il a dû<br />
relater un de ses loupés, mais aussi<br />
son « idée de génie ».<br />
La "trempe" a opéré<br />
Ces instantanés, écrits avec des<br />
restes de peinture sur les doigts,<br />
voire des échardes dans la peau, en<br />
disent long sur la réalité de la vie<br />
d’artisan. « Des métiers<br />
aujourd’hui invisibilisés dans la<br />
cité », regrette François-Xavier<br />
Tramond. Mais son travail, avec<br />
l’album qui en découle, et demain<br />
peut-être un livre, dévoile ce qu’on<br />
ne savait plus voir. La « trempe » a<br />
opéré.<br />
H.L.<br />
Chez Martin-Delbert pour la restitution.