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ÉDITO<br />

La Tunisie<br />

en transition<br />

permanente<br />

par Zyad Limam<br />

Biennale<br />

DAK’ART EST UNE FÊTE !<br />

Des<br />

combattants<br />

déjeunent dans<br />

leur tranchée,<br />

en 1915.<br />

Soldats de la coloniale<br />

Le destin héroïque<br />

et tragique<br />

des tirailleurs<br />

LA CRISE<br />

QUI VIENT<br />

Ukraine, énergie, inflation,<br />

sécurité alimentaire, dette… L’Afrique face à la tempête.<br />

HISTOIRE<br />

L’odyssée<br />

des rois<br />

de Napata,<br />

pharaons<br />

noirs<br />

INTERVIEW<br />

Ndèye<br />

Fatou Kane<br />

« Ce monde<br />

est<br />

fait<br />

pour les<br />

hommes »<br />

+<br />

Découverte<br />

DJIBOUTI<br />

CÉLÈBRE<br />

SES 45 ANS!<br />

N°<strong>429</strong> - JUIN 2022<br />

L 13888 - <strong>429</strong> S - F: 4,90 € - RD<br />

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C<br />

DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />

Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0


édito<br />

LA TUNISIE EN<br />

TRANSITION PERMANENTE<br />

PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />

Fin mai 2022, voyage à Tunis, avec les sensations,<br />

les différences et les convergences entre ce<br />

que l’on lit et l’on entend à l’extérieur et ce que l’on<br />

ressent sur place. Cette magnifique baie de Tunis tout<br />

d’abord, la mer Méditerranée, lorsque l’on atterrit. Le<br />

premier contact avec l’aéroport, Tunis-Carthage, qui<br />

semble tel un vieux navire amiral, saturé et épuisé.<br />

Cette sensation d’activité, de fourmillement, avec<br />

les embouteillages, les immeubles flambant neufs,<br />

tous ces nouveaux quartiers, qui encerclent de plus<br />

en plus l’ancien centre-ville, ces autoroutes urbaines,<br />

ces embouteillages permanents, ces gens, nombreux,<br />

qui conduisent comme de véritables dingues,<br />

des dangers publics pour eux-mêmes et pour les<br />

autres. Il y a ces restaurants pleins, ces marchés animés,<br />

ces boutiques achalandées. Et cette impression<br />

pourtant que tout coûte cher, horriblement cher. Il y<br />

a ces grands bateaux que l’on voit dans la rade du<br />

port, au large, et dont un spécialiste me dit qu’il s’agit<br />

de cargaisons de blé qui attendent un paiement<br />

avant de débarquer… Il y a ces hôtels complets, un<br />

peu partout de Tunis à Djerba, avec les touristes qui<br />

reviennent en masse. Il y a eu le pèlerinage de la<br />

Ghriba, un véritable succès avec des centaines de<br />

fidèles venus se recueillir et festoyer dans l’une des<br />

plus anciennes synagogues du monde arabe. Avec<br />

les sempiternelles polémiques stériles sur les relations<br />

entre la Tunisie, sa diaspora juive et les passeports<br />

qu’elle détient…<br />

Une dame évoque une urgence médicale, un<br />

séjour dans une clinique privée, avec des médecins<br />

et des équipements dignes de l’Europe, de la médecine<br />

du premier monde. Et puis, il y a ces hôpitaux<br />

publics qui faisaient autrefois la gloire de la Tunisie<br />

et qui luttent, se déglinguent, malgré le dévouement<br />

et la qualité des équipes. Un peu comme l’école et<br />

les universités.<br />

Il y a cette Tunisie fonctionnelle, dans son<br />

siècle, celle des gens aisés, qui semble surfer sans<br />

trop de problèmes sur la vague des incertitudes.<br />

Cette autre Tunisie, celle des classes moyennes et<br />

des gens modestes, fragilisés, qui voient l’inflation<br />

et la paralysie économique rogner les revenus et les<br />

salaires. Cette autre encore, celle du bled, ou des<br />

banlieues pauvres, ou des régions déshéritées, et qui<br />

semble comme prostrée. Cette Tunisie enfin qui vit<br />

de l’économie informelle, du cash et des dinars qui<br />

passent de main en main, une Tunisie pas franchement<br />

légale, mais qui sert probablement de matelas<br />

ou d’amortisseurs à toutes les autres.<br />

Il y a ces discussions passionnantes avec<br />

une jeunesse toujours mobilisée, ces acteurs de<br />

la société civile, ces artistes qui cherchent toujours<br />

plus d’espaces de liberté. Il y a ces sportifs émérites<br />

comme la tenniswoman Ons Jabeur (qui est entrée<br />

dans le top 5 mondial) ou le nageur Ahmed Hafnaoui<br />

(médaille d’or sur 400 mètres nage libre aux JO de<br />

Tokyo 2021). On inaugure une rue de La Goulette<br />

du nom de Claudia Cardinale, et la star italienne,<br />

84 ans, était présente, là, dans la ville où elle est née,<br />

témoignage émouvant sur les origines multiples<br />

de la tunisianité.<br />

Il y a ces entrepreneurs qui cherchent à investir,<br />

malgré la crise, à ouvrir les marchés de l’avenir<br />

(santé, digital, services…). Et puis, il y a aussi ces<br />

chiffres désespérants, ceux de l’émigration, ces<br />

hommes, femmes et enfants, pauvres ou fortunés, qui<br />

s’échappent, pour aller vivre ailleurs. Il y a ces villes,<br />

ces campagnes, qui donnent une nette sensation<br />

de laisser-aller, cette impression que tout cela n’est<br />

pas très propre et que tout le monde s’en fiche, cet<br />

espace du bien commun qui paraît comme délaissé<br />

et abandonné. Comme si les Tunisiens se refermaient<br />

sur leur « sphère privée », sur leur vie, leur chez-soi, leur<br />

business, tout en délaissant une sphère « publique »<br />

jugée épuisante, dysfonctionnelle, sans espoir…<br />

En ce fin mai-début juin, tous les écrans sont<br />

occupés par le président de la République, Kaïs<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 3


Saïed. Près d’un an après avoir dissous le Parlement et pris<br />

de lui-même les pleins pouvoirs (c’était le 25 juillet 2021),<br />

le président accélère, fonce même… Il n’a pas froid aux<br />

yeux, il a un plan qu’il veut imposer, il le dit depuis des<br />

mois, voire des années. Kaïs Saïed veut transformer, refonder<br />

la Tunisie, balayer les structures héritées de l’avantrévolution<br />

et de l’après-révolution. Il veut faire naître une<br />

nouvelle république, aux contours plus ou moins définis,<br />

qui serait réellement révolutionnaire. Où le peuple et<br />

le président se partageraient la légitimité et la souveraineté,<br />

balayant au passage tous les corps intermédiaires,<br />

partis, institutions, justice… Il veut lutter contre la<br />

corruption, perçue comme systémique. Pour le huitième<br />

président de la République (après Habib Bourguiba, Zine<br />

el- Abidine Ben Ali, l’intérim de Mohamed Ghannouchi,<br />

Fouad Mebazaa, Moncef Marzouki, Béji Caïd Essebsi, et<br />

l’intérim de Mohamed Ennaceur), le système est clairement<br />

pourri, à l’agonie. Il faut tout refaire. Et on verra plus<br />

tard pour le business, l’économie, les investissements,<br />

secteurs de toute façon hautement suspects qu’il faudra<br />

réorienter vers le développement « vrai » du pays…<br />

Le président a exclu du dialogue national,<br />

annoncé début mai, les partis politiques. La puissante<br />

centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail<br />

(UGTT), a refusé, elle, d’y participer, comme d’autres<br />

aussi. Il a modifié de lui-même la composition de l’Instance<br />

supérieure indépendante pour les élections (ISIE),<br />

qui avait pourtant assuré le déroulement relativement<br />

satisfaisant des consultations depuis 2011. Kaïs Saïed<br />

« trace » malgré les objections des partenaires historiques,<br />

États-Unis, France, Union européenne, ou les<br />

messages surprenants en forme de leçons de démocratie<br />

du voisin algérien… Il invoque la souveraineté<br />

nationale, il tance les membres de la Commission de<br />

Venise, organe consultatif du Conseil de l’Europe sur<br />

les questions constitutionnelles, les somme de quitter la<br />

Tunisie… Le président veut faire voter sa nouvelle constitution<br />

le 25 juillet prochain. Mais à la date où ces lignes<br />

sont écrites, tout début juin, personne ou presque n’a<br />

encore vu le projet de nouvelle loi fondamentale. Même<br />

le mode de scrutin semble mystérieux. Par ailleurs, dans<br />

la nuit du 1 er au 2 juin, le président a révoqué 57 juges<br />

pour incompétence, corruption, voire complicité avec<br />

les terroristes… 57 juges qui vont passer du prétoire au<br />

banc des accusés.<br />

Kaïs Saïed aura été sous-estimé. Lors de sa campagne<br />

électorale de 2019, au début de sa présidence,<br />

sous-estimé aussi lors de sa prise du pouvoir du 25 juillet<br />

2021. Sous-estimé depuis, dans sa marche méthodique,<br />

envers et contre tous, vers une nouvelle architecture institutionnelle.<br />

L’ancien professeur de droit au discours<br />

emphatique est devenu un « politique » qui a conquis la<br />

Tunisie sans coup férir…<br />

Une bonne partie de l’appareil d’État, des institutions<br />

sécuritaires, des forces de l’ordre appliquent ses<br />

ordres, font tourner comme ils le peuvent la machine. Il<br />

y a une cheffe du gouvernement, Najla Bouden, et des<br />

ministres. Le président bénéficie de l’onction du suffrage<br />

populaire. Il a été élu. Son discours sur « la corruption » et<br />

« la probité » a touché les plus fragiles et les plus jeunes.<br />

Il est soutenu également par tous ceux, et ils sont nombreux,<br />

dont le premier objectif était de se débarrasser<br />

des islamistes, d’Ennahdha, de Rached Ghannouchi,<br />

de cette fameuse théorie du « consensus » qui a prévalu<br />

depuis la chute de Ben Ali. Il est soutenu, même passivement,<br />

par une partie de l’opinion, épuisée par les<br />

errements, l’immobilisme et les divisions de la dernière<br />

décennie, les blocages politiques, la pandémie de<br />

Covid-19… Kaïs Saïed n’est peut-être pas aussi populaire<br />

qu’en 2019, mais il n’est pas globalement impopulaire en<br />

ce début d’été 2022.<br />

4 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Lors de la cérémonie<br />

d’investiture du nouveau<br />

président tunisien Kaïs Saïed,<br />

le 23 octobre 2019.<br />

CHOKRI/ZUMA/REA<br />

Cela étant dit, la Tunisie, comme les autres pays,<br />

ne peut pas, ne peut plus être gouvernée par un seul<br />

homme. Le chef de l’État ne peut pas être également<br />

juge et législateur, définir les lois, les procédures et les<br />

juridictions. On ne peut pas effacer tous les acquis de la<br />

révolution, tout particulièrement en matière de démocratie.<br />

Le pays a besoin évidemment d’un pouvoir organisé,<br />

mais aussi d’institutions fédératrices pour fonctionner. Et<br />

de contre-pouvoirs pour éviter l’arbitraire. La Constitution<br />

est le reflet d’une volonté de vivre ensemble, le reflet<br />

d’un pacte national, d’une évolution longue. La Tunisie<br />

est en outre un pays fragile, modeste, endetté, qui a<br />

besoin d’alliances, de soutien, d’équilibres subtils dans<br />

sa relation au monde extérieur. Elle ne peut pas s’aliéner<br />

ses voisins, s’éloigner de l’Europe, des États-Unis, de ses<br />

marchés et de ses partenaires. Elle se doit d’être ouverte<br />

justement pour se financer, se restructurer, et donc protéger<br />

sa souveraineté.<br />

La réalité, c’est que sans économie, sans développement,<br />

sans croissance, sans marge de manœuvre<br />

financière, les « institutions » et les constitutions ne<br />

peuvent rien. La Tunisie est un pays avant tout de com-<br />

merçants, d’agriculteurs, d’entrepreneurs. Toutes les<br />

tentatives d’économie « administrée » ou « centralisée »,<br />

ou « collectiviste », ont échoué. La corruption existe, mais<br />

ce n’est pas pire (ni mieux) qu’ailleurs. Il faut d’abord<br />

de la croissance, des emplois, des opportunités, réformer,<br />

moderniser.<br />

Au fond, l’histoire de la révolution continue à<br />

s’écrire. Depuis 2011, la Tunisie est en transition, en<br />

mutation. Elle cherche à nouveau son équilibre dans<br />

un contexte particulièrement explosif, avec la guerre<br />

en Ukraine, ses conséquences, la crise qui menace<br />

[voir pp. 30-39], l’inflation, le coût des céréales et du<br />

pétrole, les risques d’éruptions sociales. Elle fait face, à<br />

nouveau, à un véritable choix de société, de modèle<br />

qui engage son avenir. Et ce choix ne peut être celui<br />

d’un seul homme. Ou d’un seul parti. De gauche, de<br />

droite, ou qui se réclame de Dieu. La Tunisie est un pays<br />

carrefour, complexe, aux identités et aux cultures multiples.<br />

C’est également un pays somme toute « gérable »,<br />

idéalement placé au cœur de la Méditerranée, avec un<br />

acquis, des citoyens, créatifs, motivés.<br />

Le crash est possible. Mais le rebond aussi. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 5


Des<br />

combattants<br />

déjeunent dans<br />

leur tranchée,<br />

en 1915.<br />

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C<br />

DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />

Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0<br />

<strong>AM</strong> <strong>429</strong> COUV.indd 1 03/06/2022 17:31<br />

N°<strong>429</strong> JUIN 2022<br />

3 ÉDITO<br />

La Tunisie en transition<br />

permanente<br />

par Zyad Limam<br />

10 ON EN PARLE<br />

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE,<br />

DE LA MODE ET DU DESIGN<br />

Africa Fashion prend<br />

ses quartiers à Londres<br />

26 PARCOURS<br />

Walid Hajar Rachedi<br />

par Astrid Krivian<br />

29 C’EST COMMENT ?<br />

Mauvaise note<br />

par Emmanuelle Pontié<br />

40 CE QUE J’AI APPRIS<br />

Imed Alibi<br />

par Astrid Krivian<br />

106 VINGT QUESTIONS À…<br />

Lucibela<br />

par Astrid Krivian<br />

TEMPS FORTS<br />

30 LA CRISE QUI VIENT<br />

par Cédric Gouverneur<br />

34 Akram Belkaïd :<br />

« La faim<br />

est une menace<br />

à moyen terme »<br />

36 Carlos Lopes :<br />

« S’organiser<br />

pour obtenir<br />

davantage »<br />

38 Données<br />

et perspectives<br />

sur une rupture<br />

multifactorielle<br />

P.10<br />

P.30<br />

42 Anthony Guyon :<br />

Des hommes<br />

considérés comme<br />

des soldats nés<br />

par Cédric Gouverneur<br />

72 L’odyssée des rois<br />

de Napata<br />

par Alexine Jelkic<br />

78 Dak’art est une fête<br />

par Luisa Nannipieri<br />

84 Ndèye Fatou Kane :<br />

« Ce monde est fait<br />

pour les hommes »<br />

par Astrid Krivian<br />

ÉDITO<br />

La Tunisie<br />

en transition<br />

permanente<br />

par Zyad Limam<br />

LA CRISE<br />

QUI VIENT<br />

Ukraine, énergie, inflation,<br />

Biennale<br />

DAK’ART EST UNE FÊTE !<br />

sécurité alimentaire, dette… L’Afrique face à la tempête.<br />

HISTOIRE<br />

L’odyssée<br />

des rois<br />

de Napata,<br />

pharaons<br />

noirs<br />

Soldats de la coloniale<br />

Le destin héroïque<br />

et tragique<br />

des tirailleurs<br />

INTERVIEW Ndèye<br />

Fatou Kane<br />

« Ce monde<br />

est fait<br />

pour ph les<br />

hommes »<br />

PHOTOS DE COUVERTURE :<br />

LUISA NANNIPIERI - COLL O. CALONGE/ADOC-PHOTOS<br />

- SHUTTERSTOCK - CHRISTIAN DÉC<strong>AM</strong>PS/GRAND<br />

PALAIS/MUSÉE DU LOUVRE - DR<br />

+<br />

Découverte<br />

DJIBOUTI<br />

CÉLÈBRE<br />

SES 45 ANS!<br />

N°<strong>429</strong> - JUIN 2022<br />

L 13888 - <strong>429</strong> S - F: 4,90 € - RD<br />

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande<br />

nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps.<br />

Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement<br />

de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com<br />

MAGANGA MWAGOGO - TOM SAATER/THE NEW YORK TIMES<br />

8 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


RÉALISÉ PAR THIBAUT CABRERA<br />

Le président<br />

Ismaïl Omar<br />

Guelleh.<br />

03/06/2022 22:37<br />

VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA (2) - MUSÉE JACQUEMARD ANDRÉ/INSTITUT DE FRANCE/STUDIO SÉBERT - DR<br />

DÉCOUVERTE<br />

47 Djibouti : 45 ans !<br />

par Thibaut Cabrera<br />

48 Le chemin vers la liberté<br />

53 La paix, seconde<br />

indépendance<br />

56 D’hier à maintenant :<br />

Les 10 chiffres<br />

60 Les enjeux de demain<br />

BUSINESS<br />

90 Le gaz africain,<br />

nouvelle alternative<br />

94 Rabia Ferroukhi :<br />

« La transition énergétique<br />

est une vaste opportunité »<br />

96 Lacina Koné :<br />

« Nous devons davantage<br />

investir en nous-mêmes »<br />

98 Gandoul et la connectivité<br />

Orange en Afrique<br />

100 Le BTP turc<br />

à l’assaut du continent<br />

101 Un étonnant modèle<br />

de coopération sud-sud<br />

par Cédric Gouverneur, Oscar<br />

Pemba et Emmanuelle Pontié<br />

VIVRE MIEUX<br />

102 L’andropause,<br />

la ménopause au masculin<br />

103 Des crampes en marchant ?<br />

104 Des plantes contre l’arthrose<br />

105 Se blanchir les dents,<br />

mais pas n’importe comment<br />

par Annick Beaucousin<br />

et Julie Gilles<br />

P.47 DOSSIER<br />

VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA<br />

DÉCOUVERTE<br />

Comprendre un pays, une ville, une région, une organisation<br />

DJIBOUTI<br />

45 ANS !<br />

Le pays fête le 21 juin 2022<br />

l’anniversaire de son indépendance.<br />

Une date fortement symbolique.<br />

Retour vers un passé si proche,<br />

aux origines de la nation.<br />

Et voyage vers le futur et<br />

le projet de développement.<br />

P.72<br />

P.78<br />

FONDÉ EN 1983 (38 e ANNÉE)<br />

31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE<br />

Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />

redaction@afriquemagazine.com<br />

Zyad Limam<br />

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION<br />

DIRECTEUR DE LA RÉDACTION<br />

zlimam@afriquemagazine.com<br />

Assisté de Laurence Limousin<br />

llimousin@afriquemagazine.com<br />

RÉDACTION<br />

Emmanuelle Pontié<br />

DIRECTRICE ADJOINTE<br />

DE LA RÉDACTION<br />

epontie@afriquemagazine.com<br />

Isabella Meomartini<br />

DIRECTRICE ARTISTIQUE<br />

imeomartini@afriquemagazine.com<br />

Jessica Binois<br />

PREMIÈRE SECRÉTAIRE<br />

DE RÉDACTION<br />

sr@afriquemagazine.com<br />

Amanda Rougier PHOTO<br />

arougier@afriquemagazine.com<br />

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO<br />

Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau,<br />

Catherine Faye, Cédric Gouverneur,<br />

Alexine Jelkic, Dominique Jouenne, Astrid<br />

Krivian, Luisa Nannipieri, Oscar Pemba,<br />

Carine Renard, Sophie Rosemont.<br />

VIVRE MIEUX<br />

Danielle Ben Yahmed<br />

RÉDACTRICE EN CHEF<br />

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.<br />

VENTES<br />

EXPORT Laurent Boin<br />

TÉL. : (33) 6 87 31 88 65<br />

FRANCE Destination Media<br />

66, rue des Cévennes - 75015 Paris<br />

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ABONNEMENTS<br />

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AFRIQUE MAGAZINE<br />

EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR<br />

31, rue Poussin - 75016 Paris.<br />

SAS au capital de 768 200 euros.<br />

PRÉSIDENT: Zyad Limam.<br />

Compogravure : Open Graphic<br />

Média, Bagnolet.<br />

Imprimeur : Léonce Deprez, ZI,<br />

Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.<br />

Commission paritaire : 0224 D 85602.<br />

Dépôt légal : juin 2022.<br />

La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos<br />

reçus. Les indications de marque et les adresses figurant<br />

dans les pages rédactionnelles sont données à titre<br />

d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction,<br />

même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique<br />

Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction.<br />

© Afrique Magazine 2022.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 9


ON EN PARLE<br />

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage<br />

AFRICA FASHION<br />

MODE<br />

prend ses quartiers<br />

à Londres<br />

Une exposition événement au Victoria and Albert Museum<br />

pour célébrer une SCÈNE ÉCLECTIQUE ET COSMOPOLITE,<br />

toujours en ébullition.<br />

MÊME AU ROYAUME-UNI, c’est une<br />

première. L’exposition « Africa Fashion »,<br />

organisée par le Victoria and Albert<br />

Museum, à Londres, qui ouvrira en<br />

juillet prochain, s’annonce comme<br />

la plus importante exhibition dédiée<br />

à la mode africaine jamais réalisée<br />

outre-Manche. Les conservateurs ont<br />

sélectionné 45 créateurs de plus de<br />

20 pays à travers le continent et ont<br />

créé un parcours avec plus de 250 objets<br />

emblématiques pour célébrer l’histoire<br />

et l’impact mondial de la mode africaine<br />

contemporaine. Croquis, reportages,<br />

photographies, films et séquences<br />

de défilés alternent avec vêtements et<br />

accessoires sortis tout droit des archives<br />

personnelles des stylistes les plus<br />

iconiques de la seconde moitié du<br />

XX e siècle. Les créations de la première<br />

fashion designeuse du Nigeria Shade<br />

Thomas-Fahm, du maître du bogolan<br />

Chris Seydou, de l’« enfant terrible »<br />

de la mode ghanéenne Kofi Ansah et<br />

du « magicien du désert » Alphadi seront<br />

La pionnière nigériane Shade Thomas<br />

Fahm, à Lagos, fin des années 1960.<br />

présentées pour la première fois dans un<br />

musée londonien. Elles seront montrées<br />

au cœur de la section « L’avant-garde »,<br />

avec les silhouettes de la pionnière<br />

marocaine Naïma Bennis.<br />

Mais l’exposition met aussi en<br />

avant les créateurs contemporains.<br />

Comme le Camerounais Imane Ayissi,<br />

dont un ensemble associant soie<br />

scintillante et couches exubérantes<br />

de raphia accueille les visiteurs,<br />

soufflant l’idée que les modes africaines<br />

sont indéfinissables et que chaque<br />

artiste choisit son propre chemin. Parmi<br />

la nouvelle génération, on retrouve<br />

le label marocain MaisonArtC avec<br />

des pièces réalisées pour l’occasion,<br />

les Sud-Africains Thebe Magugu et<br />

Sindiso Khumalo, la marque nigériane<br />

Iamisigo et la rwandaise minimaliste<br />

Moshions. Avec des sections dédiées<br />

à la Renaissance culturelle africaine et<br />

au rôle politique des garde-robes dans le<br />

contexte des indépendances, l’exposition<br />

rappelle que la mode se développe avant<br />

tout dans la société et la rue. Un concept<br />

que l’on retrouve chez la Sénégalaise<br />

Selly Raby Kane ou dans les bijoux<br />

de la Kenyane Ami Doshi Shah, qui<br />

soulignent le rapport entre mode,<br />

matière et nature. ■ Luisa Nannipieri<br />

« AFRICA FASHION », Victoria<br />

and Albert Museum, Londres<br />

(Royaume-Uni), du 2 juillet 2022<br />

au 16 avril 2023. vam.ac.uk<br />

DR<br />

10 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Collection<br />

automne-hiver 2020<br />

de la marque<br />

kenyane Iamsigo.<br />

MAGANGA MWAGOGO<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 11


ON EN PARLE<br />

RYTHMES<br />

VIEUX FARKA<br />

TOURÉ<br />

AUX SOURCES MALIENNES<br />

Le fils d’Ali Farka Touré rend<br />

HOMMAGE À SES ORIGINES<br />

et à l’instrument transmis par<br />

son père : la guitare. Virtuose.<br />

IL SUFFIT DE FERMER LES YEUX et de monter le son sur « Ngala<br />

Kaourene ». C’est alors que tout le potentiel hypnotique de la<br />

musique de Vieux Farka Touré prend son sens. Le guitariste malien<br />

sait tirer le meilleur de son instrument comme de sa voix, fort<br />

d’un héritage paternel qu’il célèbre aujourd’hui avec le bien nommé<br />

Les Racines, qui cultive les sonorités songhaï rendues célèbres par<br />

Ali Farka Touré – dont il a su s’émanciper durant de longues années.<br />

Qu’est-ce qu’être malien ? Comment faire face aux difficultés<br />

socio-économiques d’un pays à la culture pourtant ancestrale ?<br />

C’est pendant le confinement qu’il a tenté de<br />

répondre à ces questions. « Racines »,<br />

le morceau-titre instrumental, est<br />

aussi poétique que virtuose. On<br />

retrouve en invité sur l’album,<br />

enregistré à Bamako, Amadou<br />

Bagayoko, du duo Amadou &<br />

Mariam. ■ Sophie Rosemont<br />

❶<br />

SOUNDS<br />

À écouter maintenant !<br />

Emeli Sandé<br />

Let’s Say For Instance,<br />

Chrysalis/Pias<br />

Avec plus de 6 millions<br />

d’albums écoulés à ce<br />

jour, et forte de dix ans<br />

de carrière, Emeli Sandé pourrait<br />

se reposer sur ses lauriers. Que nenni,<br />

son nouvel album Let’s Say For Instance,<br />

signé chez un label indépendant,<br />

explore les thématiques de la résilience<br />

et de l’invention de soi-même avec<br />

un sens de la pop et du groove bien<br />

trempé. Avec, toujours, son timbre<br />

épatant… Parfait pour amorcer l’été.<br />

❷ Sly Johnson<br />

55.4, BBE Music<br />

Devenu célèbre grâce<br />

au Saïan Supa Crew,<br />

le chanteur et beatboxer<br />

Silvère « Sly » Johnson<br />

s’est très vite émancipé avec son projet<br />

solo, dès le début des années 2010.<br />

Son signe distinctif ? Un mix réussi<br />

de soul, de rap et de funk, avec ce qu’il<br />

faut d’émotion et d’énergie, toutes deux<br />

contagieuses. Ce qui se retrouve dans<br />

ce quatrième album écrit, incarné et<br />

produit par Sly lui-même. Bien joué !<br />

VIEUX<br />

FARKA TOURÉ,<br />

Les Racines,<br />

World Circuit<br />

Records.<br />

❸<br />

Thaïs Lona<br />

Cube, Mister Ibé<br />

La dernière fois que l’on<br />

avait parlé ici de cette<br />

jeune chanteuse au joli<br />

potentiel, elle sortait seulement quelques<br />

titres et n’avait pas encore eu l’occasion<br />

de s’illustrer sur scène. C’est chose<br />

faite. Après des prestations remarquées<br />

en première partie de Kimberose,<br />

I<strong>AM</strong> ou encore Ibrahim Maalouf – qui<br />

l’a signée sur son label Mister Ibé –,<br />

Thaïs Lona s’affirme avec un premier<br />

album de R’n’B bien senti. ■ S.R.<br />

KISS DIOUARA - DR (4)<br />

12 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


PHÉNOMÈNE<br />

Impulsé par le très populaire<br />

comédien, Tirailleurs s’attaque<br />

à un chapitre de la colonisation<br />

française peu traité au cinéma.<br />

OMAR SY SUR TOUS LES FRONTS<br />

Entre deux tournages pour Netflix et un blockbuster à Hollywood,<br />

le héros star de Lupin REVIENT À SES SOURCES SÉNÉGALAISES<br />

dans un rôle historique en langue peule…<br />

MARIE-CLEMENCE DAVID/LIGHT MOTIV - DR<br />

« ON N’A PAS LA MÊME MÉMOIRE, mais on a la même<br />

histoire. » C’est avec ces mots qu’Omar Sy a présenté au Festival<br />

de Cannes en avant-première un long-métrage sur les tirailleurs<br />

sénégalais. Trente-quatre ans après Ousmane Sembène (Camp<br />

de Thiaroye), c’est sous la bannière de la Gaumont que cette<br />

coproduction franco-sénégalaise impulsée par le très populaire<br />

comédien s’attaque à un chapitre de l’histoire coloniale<br />

française peu traité au cinéma [voir pp. 42-46]. L’essentiel de<br />

cette immersion dans la boucherie qu’a été la Première Guerre<br />

mondiale se passe à l’écran dans les tranchées de Verdun, mais<br />

plusieurs séquences ont été tournées au Sénégal en janvier<br />

dernier. L’acteur interprète avec sobriété un éleveur du Fouta-<br />

Toro qui, en 1917, essaye en vain d’empêcher son fils de 17 ans<br />

d’être enrôlé par les Français pour aller défendre « la maman<br />

patrie », comme le dit un recruteur. Il le suivra jusque là-bas.<br />

Amour filial, sens de l’histoire et complexités des rapports<br />

raciaux, soit autant de thèmes chers au comédien qui, pour<br />

ce rôle, s’exprime uniquement en peul. Réalisé et coécrit (avec<br />

Olivier Demangel, coscénariste d’Atlantique, de Mati Diop)<br />

par Mathieu Vadepied, Tirailleurs sera en salles à l’automne en<br />

France… et les dernières images pourraient faire polémique à<br />

quelques jours de la célébration de l’armistice du 11 novembre.<br />

Omar Sy acteur et producteur, ce n’est pas qu’au cinéma :<br />

le contrat qu’il a signé avec Netflix court toujours, sur la<br />

lancée de Lupin. La troisième saison de la série française au<br />

succès planétaire vient d’être tournée, et c’est directement sur<br />

la plate-forme qu’est sortie en mai Loin du périph – la suite,<br />

dix ans après, d’un autre gros succès, De l’autre côté du périph,<br />

toujours en duo avec Laurent Lafitte. Il renoue aussi avec ses<br />

rêves d’enfants à Hollywood : après avoir joué un petit rôle<br />

dans X-Men: Days of Future Past, pour Marvel, en 2014, et dans<br />

le premier Jurassic World, le revoici en éleveur de vélociraptors<br />

dans le troisième épisode de la saga dinosauresque (Jurassic<br />

World : Le Monde d’après). Avant d’atteindre enfin le haut de<br />

l’affiche d’une production américaine dans Shadow Force, avec<br />

Kerry Washington, annoncé pour 2023… ■ Jean-Marie Chazeau<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 13


ON EN PARLE<br />

SHOW<br />

La bande emmenée<br />

par Donald Glover (au centre)<br />

part en tournée en Europe…<br />

LE REGARD NOIR<br />

Le racisme et les travers du POLITIQUEMENT<br />

CORRECT dynamités… avec subtilité par une<br />

série US toujours aussi surprenante dans sa saison 3.<br />

ATLANTA,<br />

saison 3<br />

(États-Unis),<br />

de Donald Glover.<br />

Avec Brian Tyree<br />

Henry, Lakeith<br />

Stanfield, Zazie<br />

Beetz. Sur OCS.<br />

IL AURA FALLU ATTENDRE QUATRE ANS, pour cause de<br />

pandémie, avant qu’une troisième saison de la remarquable<br />

série de Donald Glover arrive sur les écrans. Avec un ton unique<br />

pour souligner le racisme qui sous-tend les sociétés occidentales,<br />

le comédien et producteur américain poursuit les aventures<br />

du héros qu’il interprète, Earn, manager de son cousin rappeur<br />

à Atlanta. Dans ces 10 nouveaux chapitres, il part en tournée<br />

en Europe avec Alfred (dit Paper boi), le colocataire de ce<br />

dernier, Darius, et son ex, Vanessa, et c’est parfois le choc des<br />

cultures : prison trois étoiles et cérémonie pour une euthanasie<br />

à Amsterdam, soirée londonienne chez un riche mécène qui va<br />

se terminer à la tronçonneuse… Mais occasionnellement, un<br />

épisode abandonne le trio et se recentre sur les États-Unis : un<br />

employé de bureau se voit réclamer des millions de dollars par<br />

une descendante d’esclaves africains au titre des réparations<br />

pour l’esclavage pratiqué par ses ancêtres, le petit garçon d’un<br />

couple de bourgeois new-yorkais blanc assiste aux obsèques<br />

de sa nounou antillaise qui était plus maternelle que sa propre<br />

mère… Des situations au bord du malaise, un regard acéré<br />

des Noirs sur les Blancs, dans des petits bijoux de 30 minutes<br />

qui n’hésitent pas à bousculer les travers du politiquement<br />

correct, mais aussi les comportements de la communauté<br />

noire. À noter : dans la version française, Donald Glover<br />

est doublé par le comédien malien Diouc Koma. ■ J.-M.C.<br />

FRANÇOIS BEAURAIN, Cinémas<br />

du Maroc : Lumière sur les salles<br />

obscures du Maroc, La Croisée<br />

des chemins, 392 pages, 80 €.<br />

BEAU LIVRE<br />

Les derniers palais du cinéma<br />

QUAND ELLES NE SONT PAS TRANSFORMÉES EN BERGERIES ou éventrées, les<br />

salles du Maroc sont conservées dans leur splendeur d’antan. Le royaume abrite en effet<br />

une étonnante variété de ces palais dédiés au septième art, construits depuis 1913, et qui<br />

n’ont pas tous été détruits ou transformés en multiplexes comme en Europe. Témoins<br />

architecturaux mais aussi d’une époque où les Marocains se retrouvaient en masse dans<br />

les salles obscures, ces lieux racontent l’histoire d’un pays, comme le révèlent les splendides<br />

photos de François Beaurain. Ce beau livre, désormais disponible hors du royaume, nous<br />

permet d’en rencontrer les exploitants et les projectionnistes, gardiens de temples somptueux<br />

menacés de disparition. À voir également, le compte @cinemagrhib sur Instagram, où<br />

le photographe français, installé à Rabat, distille quelques-uns de ces trésors. ■ J.-M.C.<br />

FX NETWORKS - DR (2)<br />

14 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


LITTÉRATURE<br />

DJAÏLI<br />

<strong>AM</strong>ADOU <strong>AM</strong>AL<br />

La force des mots<br />

Un nouveau roman sur la condition<br />

des femmes au Sahel, par la militante<br />

que la presse camerounaise surnomme<br />

« LA VOIX DES SANS-VOIX ».<br />

CÉLINE NIESZAWER/LEEXTRA/OPALE<br />

FINALISTE DU GONCOURT, puis lauréate du prix<br />

Goncourt des lycéens 2020 pour son roman Les Impatientes,<br />

l’écrivaine camerounaise se sert de l’écriture comme<br />

d’un instrument de combat contre les violences faites aux<br />

femmes. À 47 ans, cette militante féministe n’a en effet<br />

de cesse de dénoncer les problèmes sociaux et religieux<br />

causés par les traditions dans son pays, notamment les<br />

discriminations quotidiennes. Après avoir traité de la<br />

condition des femmes de la haute société musulmane et<br />

peule, c’est maintenant les vicissitudes de la vie de leurs<br />

domestiques chrétiennes qu’elle révèle. Son nouveau roman<br />

met en scène la jeune Faydé, partie dans la ville la plus<br />

proche, au nord, pour y devenir servante d’une riche<br />

famille, et ainsi aider sa famille à vivre. Un macrocosme<br />

où deux mondes se côtoient, mais ne se mélangent jamais.<br />

Deux mondes en proie aux répercussions du changement<br />

climatique et des attaques de Boko Haram. Un texte coup<br />

de poing, renforcé par un vrai travail d’enquête et le propre<br />

parcours de l’autrice, qui a elle-même subi les affres de<br />

la polygamie et de la violence masculine. Et une histoire<br />

d’acceptation de l’autre, de tolérance et d’interculturalité,<br />

où les jeunes filles luttent pour survivre et se construire un<br />

avenir, malgré les viols, les mauvais traitements, le mépris<br />

de classe… « Dans toutes les larmes s’attarde un espoir »,<br />

écrit Simone de Beauvoir, que Djaïli Amadou Amal cite<br />

en exergue. Si son précédent roman a entraîné une prise<br />

de conscience au Cameroun – le gouvernement a décidé<br />

de l’inscrire au programme des classes de terminale –, Cœur<br />

du Sahel confirme son exhortation à résister et à restituer<br />

aux femmes le droit à disposer de leur corps. Un sujet<br />

primordial pour l’écrivaine, dans son œuvre comme dans<br />

les activités qu’elle mène en tant qu’ambassadrice de<br />

l’Unicef ou au sein de son association Femmes du Sahel,<br />

laquelle œuvre pour l’éducation des filles. Plus que jamais,<br />

les mots puisent leur force dans l’action. ■ Catherine Faye<br />

DJAÏLI <strong>AM</strong>ADOU <strong>AM</strong>AL, Cœur du Sahel,<br />

Emmanuelle Collas, 364 pages, 19 €.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 15


ON EN PARLE<br />

EXPO<br />

MUSIQUE<br />

JESHI, RAP IN UK<br />

À la fois authentique et longuement façonné, le premier album<br />

de cette NOUVELLE SENSATION fait mouche.<br />

À suivre de près.<br />

LE « UNIVERSAL CREDIT » est une prestation sociale versée par le gouvernement<br />

du Royaume-Uni pour venir en aide aux foyers aux (très) faibles revenus. C’est aussi<br />

le nom du premier album d’un rappeur de 27 ans, Londonien d’origine jamaïcaine,<br />

qui fait beaucoup parler de lui sur la scène britannique, et pas seulement. Le son est<br />

old school, sans être nostalgique, le propos militant, et l’interprète charismatique.<br />

Ses armes, il les a faites dans l’appartement partagé avec sa mère et ses sœurs,<br />

à l’aide du micro USB d’un jeu de karaoké sur Nintendo ! Depuis, ayant collaboré<br />

avec des artistes comme le Nigérian Obongjayar (sur les super efficaces « Violence »<br />

et « Protein ») ou la chanteuse soul britannique Celeste, il a construit un langage<br />

engagé mais groovy, auquel il est bien difficile de résister. ■ S.R.<br />

JESHI, Universal Credit,<br />

Because Music.<br />

DR (2)<br />

16 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


DR<br />

Plat à vanner le riz.<br />

Photographie de Jean Hurault, 1970.<br />

La guérisseuse Ma Atema,<br />

à Mana, en Guyane,<br />

Karl Joseph, 2019.<br />

REPRÉSENTATION<br />

Femmes capitaines<br />

du peuple<br />

Saramaca, au<br />

Suriname, Nicola<br />

Lo Calzo, 2014.<br />

NOUVEAUX<br />

MONDES<br />

Aujourd’hui comme hier,<br />

de l’autre côté de l’Atlantique,<br />

l’ART MARRON rend<br />

hommage à la liberté.<br />

TELS DES ÎLOTS DE RÉSISTANCE, les créations artistiques<br />

des sociétés marronnes, qu’il s’agisse de sculptures, de<br />

gravures, de broderies ou de photographies, mettent en<br />

évidence la continuité historique et l’inventivité des témoins<br />

du temps de l’esclavage et de leurs descendants. Une culture<br />

originale, issue de la transmission et du prolongement<br />

de ces nouvelles sociétés, aux Amériques, aux Antilles ou<br />

dans les Mascareignes. Une fois libérés de leurs chaînes,<br />

les « marrons », nom donné aux esclaves ayant fui la propriété<br />

de leur maître, ont en effet su sauvegarder et transmettre<br />

leurs modes de vie africains, et même partiellement<br />

leurs langues d’origine. Plus encore, ils ont déployé une<br />

fibre créative d’une grande vitalité. Un art d’émancipation,<br />

mais aussi un art social qui célèbre les rencontres et<br />

l’altruisme. Des Guyanais Wani Amoedang et Franky<br />

Amete au peintre haïtien Hervé Télémaque, parrain de<br />

l’exposition, deux générations d’artistes peuvent enfin se<br />

présenter elles-mêmes et exprimer leur propre vision des arts<br />

marrons, notamment via le catalogue d’exposition (publié<br />

aux éditions Loco), préfacé par Christiane Taubira. ■ C.F.<br />

« MARRONAGE : L’ART DE BRISER SES CHAÎNES »,<br />

Maison de l’Amérique latine, Paris (France),<br />

jusqu’au 24 septembre. mal217.org<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 17


ON EN PARLE<br />

CINÉMA<br />

Une love story<br />

inattendue entre<br />

une galeriste<br />

allemande et<br />

un diamantaire<br />

congolais.<br />

PASSI PAS<br />

SI MÂLE !<br />

Le PREMIER RÔLE sur grand<br />

écran du rappeur fondateur<br />

du collectif Bisso Na Bisso.<br />

MONIKA, quadragénaire célibataire, dirige une galerie<br />

d’art contemporain à Francfort, où elle rencontre<br />

par hasard Joseph, venu de Kinshasa, qui trafique des<br />

diamants avec les diasporas congolaises et angolaises.<br />

Une histoire d’amour naît, se heurtant à plusieurs<br />

obstacles qui révèlent surtout les caractères de l’un et<br />

de l’autre : les pressions de leurs entourages respectifs<br />

sont sous-jacentes et poussent à la méfiance, quand<br />

il ne s’agit pas d’intolérance ou de racisme. On est<br />

en Allemagne, pas d’effusions sentimentales, pas<br />

de dramatisation à outrance. Ce n’est pas non plus la<br />

description clinique d’une histoire d’amour compliquée,<br />

les personnages sont incarnés avec justesse par les<br />

deux comédiens principaux, dont Passi : à bientôt<br />

50 ans, pour son premier rôle au cinéma, le rappeur<br />

de Ministère A.M.E.R. incarne un personnage sexy,<br />

à la fois déterminé et fragile, sans jamais élever la voix<br />

mais en quête de respect : « Mon père a été colonisé.<br />

Pas moi. » Et on s’immerge avec lui dans les cafés<br />

congolais de la capitale financière de l’Europe ! ■ J.-M.C.<br />

LE PRINCE (Allemagne), de Lisa Bierwirth.<br />

Avec Ursula Strauss, Passi Balende,<br />

Nsumbo Tango Samuel. En salles.<br />

ROMAN<br />

CHASSEUR D’HISTOIRES<br />

Figure majeure de la littérature tunisienne,<br />

Habib Selmi aborde ici les questions<br />

de l’immigration, de l’acculturation,<br />

des dissemblances.<br />

IL ÉCRIT TOUJOURS sur des sujets<br />

qui l’ont marqué. Des instantanés de la<br />

vie quotidienne, auxquels il parvient à<br />

donner une densité sensible, en explorant méticuleusement<br />

la singularité de l’humain. Des extraits de tous les jours,<br />

à la fois banals et uniques, comme en écho au va-et-vient du<br />

quotidien. S’il a longtemps enseigné la langue et la littérature<br />

arabes dans un lycée parisien, cet agrégé tunisien, auteur<br />

d’une dizaine de romans, ne peut écrire que dans sa langue<br />

maternelle, car son rapport à la langue arabe est viscéral.<br />

Une langue épurée, où la simplicité donne à voir différentes<br />

strates de la société tunisienne, en quête permanente. Dans<br />

ce roman plein d’humour, nommé pour le Prix international<br />

du roman arabe, il nous narre la rencontre inattendue à Paris<br />

entre Kamal, un sexagénaire bourgeois, et Zohra, que la plupart<br />

des habitants de l’immeuble appellent « la femme de ménage »<br />

ou « la Tunisienne ». Une histoire de hasard et de cœur. ■ C.F.<br />

HABIB SELMI, La Voisine du cinquième,<br />

Actes Sud, 208 pages, 21,50 €.<br />

VOYAGE<br />

PAR-DELÀ LES CIMES<br />

Un récit à la frontière de l’Ouganda<br />

et de la République démocratique du Congo,<br />

qui interroge les motifs des hommes à<br />

se confronter aux aléas de la montagne.<br />

« NYRAGONGO, Noël 1967. Tentez d’imaginer<br />

l’Origine de l’Eau. Imaginez une eau parfaite,<br />

une eau primitive qui mouillerait le monde pour la première<br />

fois. Cette eau originelle existe. Les volcanologues l’appellent<br />

“l’eau juvénile”. » Cet extrait des carnets d’expéditions d’un<br />

ancien compagnon de cordée de l’auteur préfigure le voyage<br />

d’un jeune couple d’alpinistes explorateurs, vingt ans plus tard.<br />

Un voyage initiatique, à l’assaut de l’ascension du mont Stanley,<br />

à plus de 5 000 mètres d’altitude, dans le massif du Ruwenzori,<br />

communément appelé « montagnes de la Lune ». C’est ici que<br />

naissent les sources du Nil Blanc. Entre les glaces tourmentées et<br />

les forêts de nuages, l’ascension se fait parfois éprouvante, malgré<br />

l’intensité de l’aventure. La quête et la détermination, plus que<br />

jamais moteurs. Le périple est relaté par le cinéaste, écrivain et<br />

alpiniste français Bernard Germain. Comme s’il en avait été. ■ C.F.<br />

BERNARD GERMAIN, La Montagne de la lune,<br />

Paulsen, 272 pages, 15 €.<br />

DR (4)<br />

18 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


MOKTAR GANIA<br />

& GNAWA SOUL,<br />

Gnawa Soul, Universal.<br />

ANASS DOU<br />

CORDES<br />

MOKTAR GANIA<br />

& GNAWA SOUL<br />

Inspiration gnaouie<br />

Le JOUEUR DE GUEMBRI natif<br />

d’Essaouira revient avec 11 nouvelles<br />

chansons enregistrées entre ciel et désert.<br />

FILS DU GRAND MAÂLEM<br />

Boubker et petit-fils de Ba Massoud,<br />

icône de la musique gnaouie<br />

marocaine, le chanteur et joueur<br />

de guembri Moktar Gania revient<br />

avec un nouvel album enregistré<br />

aux côtés de ses musiciens, réunis<br />

à Essaouira sous le nom de Gnawa<br />

Soul. Et c’est vrai qu’il y a beaucoup<br />

d’âme dans ces ritournelles<br />

aux cordes entrelacées, comme<br />

en témoignent « Rabi Laafou » ou<br />

« Moussoyo ». Il y a aussi du groove<br />

audacieux sur « Lala Mulati » ou<br />

« Al Walidine ». Le son est de plus<br />

parfait, ayant bénéficié d’un mixage<br />

à Austin par Chris Shaw, lequel<br />

a travaillé avec Bob Dylan, Public<br />

Enemy ou encore Weezer, ainsi que<br />

d’un master aux studios londoniens<br />

Metropolis, signé Tony Cousins<br />

(Adele, Fatoumata Diawara, George<br />

Michael, Seal…). Oui, c’est chic,<br />

mais sans occulter la sincérité du<br />

chant de Moktar Gania. ■ S.R.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 19


ON EN PARLE<br />

An Impenetrable Shield,<br />

Khadim Haydar, 1965.<br />

La Glace au-dessus de la cheminée ?,<br />

Pablo Picasso, 1916-1917.<br />

PEINTURE<br />

EFFET MIROIR<br />

À travers quelque 70 œuvres,<br />

un dialogue quasi fraternel<br />

et une fascination mutuelle<br />

entre PICASSO et les artistes<br />

MODERNES ARABES.<br />

C’EST UN VA-ET-VIENT idéologique et créatif fascinant<br />

entre le maître espagnol et les artistes arabes que cette<br />

exposition interroge, au-delà de l’influence reconnaissable<br />

du cubisme et de l’abstraction. Un voyage au cœur de thèmes<br />

tels que l’émancipation, l’anticolonialisme et le pacifisme.<br />

Picasso n’a pourtant jamais visité le Moyen-Orient, mais<br />

il a indéniablement été influencé par l’art du monde entier,<br />

notamment du continent africain. Apollinaire, dès 1905,<br />

le décrit d’ailleurs comme « arabe rythmiquement »,<br />

offrant la promesse d’un art universel sans hiérarchie<br />

géographique (Orient/Occident), temporelle (passé/présent)<br />

ou stylistique (art naïf/art savant). Cette attraction est<br />

présente chez nombre de pères de la modernité irakienne,<br />

libanaise, syrienne, algérienne ou égyptienne, comme<br />

Jewad Selim, Aref El Rayess, Idham Ismaïl, Mohammed<br />

Khadda ou encore Samir Rafi. Parmi les 32 artistes<br />

exposés, certains d’entre eux ont même croisé la route<br />

de Pablo Picasso. L’un des principaux points focaux de<br />

ce dialogue artistique est incontestablement sa peinture<br />

épique, Guernica (1937) : une fresque universelle refusant<br />

toutes les formes de violence contre les civils, qu’aucune<br />

idéologie ni aucun régime ne peuvent justifier. ■ C.F.<br />

« PICASSO ET LES AVANT-GARDES ARABES »,<br />

Institut du monde arabe, Tourcoing (France),<br />

jusqu’au 10 juillet. ima-tourcoing.fr<br />

DR - M.D. - RACHEL PRAT<br />

20 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


DESIGN<br />

RÉVÉLATIONS, OU L’AFRIQUE<br />

CRÉATIVE EN VEDETTE<br />

La biennale internationale des métiers d’art et de la création<br />

met à l’honneur LES SAVOIR-FAIRE du continent.<br />

POUR SON RETOUR au Grand Palais éphémère,<br />

du 9 au 12 juin, la biennale « Révélations » accueille artistes<br />

et artisans du continent. Ils dévoileront leurs créations sur<br />

des stands individuels et seront au centre du programme<br />

culturel Hors les murs, notamment avec l’exposition-vente<br />

« Exceptions d’Afrique », installée dans le concept store<br />

parisien Empreintes du 19 mai au 18 juin. Réalisée sous<br />

le commissariat de Nelly Wandji, la sélection comprend<br />

L’œuvre textile<br />

M.O.M.S.002<br />

de la Marocaine<br />

Ghizlane Sahli.<br />

Un masque de<br />

la communauté<br />

Mbunda,<br />

en Zambie.<br />

des œuvres uniques d’ébénistes, de forgerons, bronziers,<br />

céramistes, vanniers et damasquineurs, issus d’une dizaine<br />

de pays comme Madagascar, le Burkina Faso ou l’Afrique<br />

du Sud. Dans les allées du salon, la dinanderie marocaine,<br />

le tissage traditionnel sénégalais revisité ou les métiers<br />

d’arts togolais offriront aux visiteurs un tour d’horizon<br />

du continent et de ses talents. Au Banquet, l’exposition<br />

internationale construite autour de 10 espaces<br />

scénographiés, on retrouvera les étonnants travaux textiles<br />

de la Marocaine Ghizlane Sahli, les sculptures en bronze<br />

et bois du Nigérian Alimi Adewale, ou encore<br />

la sélection de Claire Chan et Paula<br />

Sachar-Phiri de la Gallery 37d.<br />

Celles-ci présenteront les<br />

majestueux masques réalisés<br />

par la communauté Mbunda,<br />

à la lisière de la Zambie<br />

et de l’Angola. ■ L.N.<br />

Une sculpture<br />

du Nigérian Alimi<br />

Adewale.<br />

DR (4)<br />

« RÉVÉLATIONS », Grand Palais éphémère,<br />

Paris (France), du 9 au 12 juin. revelations-grandpalais.comndpalais.com<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 21


ON EN PARLE<br />

EXPO<br />

CRÉATION<br />

LUDIQUE<br />

Ci-contre,<br />

« Sans titre »,<br />

série La Salle<br />

de classe,<br />

Hicham<br />

Benohoud,<br />

1994-2002.<br />

Une exploration de la thématique<br />

du JEU DANS L’ART. Et plus encore…<br />

SOUVENIRS D’ENFANCE, quête d’identité, vertige, extase…<br />

Avec plus de 80 œuvres de 64 artistes contemporains, la transgression<br />

et le divertissement deviennent dans cette exposition du Musée<br />

d’art contemporain africain Al Maaden (MACAAL), à Marrakech, les<br />

instruments de la représentation, notamment picturale. Et la création,<br />

une variation entre pratiques ludique et artistique. Psychanalytique<br />

aussi. La théorie du jeu, nous la devons à Donald W. Winnicott,<br />

pédiatre et psychanalyste britannique, qui définit le jeu comme une<br />

mise en scène des tensions psychiques et un moyen thérapeutique.<br />

Quelque chose qui, dans son observation, s’apparenterait à<br />

l’interprétation des rêves. C’est ce que font, à leur manière, loin<br />

des certitudes, Mariam Abouzid Souali, Joy Labinjo, GaHee Park<br />

ou encore Mohamed El Baz. Passeurs d’idées et de désirs, ces artistes<br />

interrogent eux aussi l’inconscient, individuel et collectif. En jouant<br />

avec les signes, les significations, les matières, les techniques et les<br />

technologies, ils proposent un autre regard, libre, parfois subversif.<br />

Un autre rapport à soi. Et au monde. Un monde décomplexé, onirique,<br />

souvent joyeux et frisant l’absurde. Peut-être plus authentique. ■ C.F.<br />

Ci-dessous, « Berouita (Brouette) », série Rule Of Game,<br />

Mariam Abouzid Souali, 2017<br />

« L’ART, UN JEU SÉRIEUX », Musée d’art<br />

contemporain africain Al Maaden, Marrakech<br />

(Maroc), jusqu’au 17 juillet. macaal.org<br />

AYOUB EL BARDII - COLLECTION FONDATION ALLIANCE MACAAL (2)<br />

22 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


JUNE MACHIA<br />

SOUL<br />

IRMA<br />

ENTRE DOUALA<br />

ET PARIS<br />

Son nouvel EP fait le PONT<br />

ENTRE DEUX CONTINENTS<br />

et de multiples genres musicaux.<br />

Frais et chic à la fois.<br />

CHANSON, FOLK, afro-pop, et ce<br />

léger swing qui n’appartient qu’à elle :<br />

entourée de musiciens de Bangangté,<br />

Douala, Londres et Paris, la chanteuse<br />

camerounaise s’essaye au registre<br />

francophone. Et c’est réussi. Découverte<br />

au tout début des années 2000 avec<br />

le single « I Know », Irma est née de<br />

scientifiques mélomanes qui l’ont bercée<br />

au son d’Ella Fitzgerald ou de Fela<br />

Kuti. À l’adolescence, elle part faire<br />

de brillantes études à Paris, mais la<br />

musique l’appelle et, très vite, elle<br />

apprend à mixer et produire ses propres<br />

morceaux. Aujourd’hui, après trois<br />

albums dans la langue de Shakespeare,<br />

s’ouvre un nouveau chapitre : « Une<br />

étape qui me rapproche encore plus<br />

de moi-même, confie-t-elle, même<br />

si cette quête ne sera<br />

jamais véritablement<br />

terminée ! » En effet,<br />

les huit chansons<br />

de cet EP sont nées<br />

pendant le premier<br />

confinement, et, comme son nom<br />

l’indique, entre Douala et Paris.<br />

« C’est un moment où tout s’est arrêté<br />

d’un coup, et il a été pour moi l’occasion<br />

d’une introspection à travers mes<br />

différentes identités, mes différentes<br />

cultures, se souvient la chanteuse.<br />

Comme chez beaucoup de gens, il<br />

a éveillé la nécessité d’un retour aux<br />

racines. Je suis une Africaine d’Occident<br />

ou une Occidentale d’Afrique. Cette<br />

dualité qui, lorsque j’étais plus jeune,<br />

IRMA, Douala Paris,<br />

Irma Pany, sous licence<br />

exclusive Saraswati/<br />

Sony Music.<br />

était une source de conflit<br />

intérieur et de quête d’identité,<br />

est au fil des années devenue<br />

ma plus grande force. De<br />

là est née l’envie de parler<br />

de cette réconciliation culturelle<br />

et identitaire. » Ce qui s’entend<br />

au fil de Douala Paris, au travers<br />

de morceaux contrastés<br />

comme « Va-t’en », « Mes failles »<br />

ou encore « Danse ». Irma<br />

s’y dévoile plus que jamais auparavant,<br />

sur ses amours ou ses doutes<br />

existentiels, tout en renouant des liens<br />

forts avec sa ville natale : « Je suis fière<br />

de montrer que le Cameroun regorge de<br />

talents et d’un savoir-faire incroyables,<br />

qui résonnent dans le monde entier. Et<br />

puis, tout simplement, j’étais heureuse<br />

de tourner pour la première fois chez<br />

moi, là où j’ai grandi. Et de montrer la<br />

beauté, la richesse des paysages comme<br />

de la culture camerounaise. » ■ S.R.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 23


ON EN PARLE<br />

Le bar du Nok by Alara,<br />

à Lagos, a été décoré<br />

par le plasticien Victor<br />

Ehikhamenor.<br />

SPOTS<br />

ENTRE<br />

INNOVATION<br />

ET TRADITION<br />

Des fusions made in Lagos à<br />

l’héritage marocain mis à l’honneur<br />

à Marrakech, L’EXCELLENCE<br />

se décline de mille façons.<br />

La Maison arabe est un riad à Marrakech, qui propose<br />

une expérience gastronomique raffinée.<br />

● OUVERT PAR L’ENTREPRENEUSE Reni Folawiyo, déjà<br />

derrière le concept store Alara, le restaurant panafricain<br />

Nok by Alara est l’une des tables les plus connues de Lagos.<br />

On y vient pour dîner dans un cadre intimiste, un œil sur les<br />

œuvres d’art et de design venues de tout le continent. Ou pour<br />

se relaxer dans l’élégant jardin entouré de bambous et prendre<br />

un cocktail maison au bar décoré par l’artiste nigérian Victor<br />

Ehikhamenor. Mais surtout pour y déguster les classiques<br />

de la cuisine africaine revisités par les chefs : du misir wat<br />

de lentilles rouges éthiopien au dibi d’agneau sénégalais,<br />

en passant par le délicieux braai sud-africain ou le poulet<br />

suya, il y en a pour tous les goûts. On y trouve aussi l’un<br />

des meilleurs riz jollof de la ville, servi avec du bœuf<br />

dambu-nama, une spécialité du nord du pays.<br />

● Si à Lagos on innove, à Marrakech on fait de la tradition<br />

une force. Chez La Maison arabe, un riad de luxe au cœur<br />

de la médina, on célèbre la finesse de la cuisine marocaine<br />

depuis 1946. Ouvert seulement le soir, Le Restaurant offre<br />

une expérience gastronomique raffinée en proposant en<br />

entrées des salades, des pastillas variées ou des briouates,<br />

mais aussi des plats, comme des couscous, des tajines et<br />

d’autres recettes classiques exécutées à la perfection, tels<br />

l’épaule d’agneau aux dattes ou le poulet au citron confit et<br />

au safran de Taliouine. Certains de ces plats sont à retrouver<br />

également dans l’autre restaurant de la maison, Les Trois<br />

Saveurs, ouvert, lui, à midi et doté d’une terrasse avec vue<br />

imprenable sur la piscine et les jardins. ■ L.N.<br />

nokbyalara.com / cenizaro.com<br />

DR (2)<br />

24 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


ARCHI<br />

Sèmè One,<br />

un smart building<br />

à Cotonou<br />

Une intervention ingénieuse<br />

du CABINET COBLOC a transformé<br />

un vieux bâtiment délabré en un<br />

campus innovant et écoresponsable.<br />

MAYEUL AKPOVI<br />

LE PREMIER C<strong>AM</strong>PUS de Sèmè City, espace dédié à<br />

l’innovation et au savoir, a pris ses quartiers fin 2020 dans<br />

un bâtiment multifonctionnel baptisé « Sèmè One ». Le projet<br />

a été magistralement réalisé par le cabinet franco-béninois<br />

Cobloc, dirigé par Ola Olayimika Faladé et Clarisse Krause,<br />

qui a rénové la structure délabrée préexistante avec une série<br />

d’interventions simples et efficaces. Le corps principal, un bloc<br />

de plus de 100 mètres de long, est plein et massif. Les murs<br />

ont été doublés pour réduire les écarts thermiques et garantir<br />

un climat stable, jour et nuit. Sur les trois côtés les plus<br />

exposés au soleil, ce système a permis de créer des fenêtres<br />

en retrait, naturellement ombragées. Avec une série de<br />

lamelles colorées, elles participent à un jeu de volumes<br />

qui anime la longue façade en terre rouge, cassant son<br />

horizontalité. Côté nord en revanche, de larges encadrements<br />

captent et diffusent le maximum de lumière à l’intérieur<br />

du campus. Ici, c’est par la couleur que se dessinent les<br />

différents espaces, et les murs cachent un système d’assistance<br />

smart building à l’avant-garde : le bâtiment est équipé<br />

pour transmettre et stocker des données sur son état et<br />

son utilisation. Une innovation qui permet au gestionnaire<br />

de la structure d’adapter l’éclairage, la climatisation,<br />

le réseau informatique ainsi que d’autres paramètres en<br />

fonction des besoins réels des usagers. ■ L.N. cobloc.archi<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 25


PARCOURS<br />

Walid Hajar Rachedi<br />

L’ÉCRIVAIN D’ORIGINE ALGÉRIENNE SIGNE<br />

un premier roman sensible, en lice pour le prix Orange du livre.<br />

De Kaboul à Tanger, de Londres à Oran, il y fait le récit initiatique<br />

d’un jeune héros travaillé par des questions métaphysiques. par Astrid Krivian<br />

Le<br />

«<br />

voyage, c’est aller de soi à soi en passant par les autres. » Ce proverbe<br />

touareg résume bien le cheminement du héros de Qu’est-ce que j’irais faire<br />

au paradis ? Français d’origine algérienne, Malek, la vingtaine au début<br />

des années 2000, souffre d’être assigné à une identité « arabe, musulmane »<br />

associée à l’obscurantisme, au déclassement. « Les attentats du 11 septembre ont<br />

bouleversé les représentations et débats dans la société française. Auparavant<br />

appelés “Arabes”, “immigrés”, les Français d’origine maghrébine sont devenus<br />

des “musulmans”. Et certains pratiquants étaient soupçonnés de radicalité »,<br />

regrette Walid Hajar Rachedi. Après sa rencontre marquante avec un jeune<br />

exilé afghan, Malek se lance sur les routes du monde arabe, en vue de se libérer des carcans, de trouver du sens.<br />

Un voyage initiatique, une quête spirituelle, existentielle, pour découvrir les richesses culturelles de l’Andalousie<br />

au Caire, en passant par Tanger, Oran… Se confrontant aux autres, au réel, il crève l’écran de fantasmes posé<br />

entre lui et le monde. Avec pour boussole, sa foi en l’islam. « Mon roman est un thriller<br />

métaphysique. Souvent, les personnages issus de l’immigration sont sauvés par les lettres<br />

et la République. Le mien trouve sa force et sa transcendance autrement, incarnant<br />

une figure positive. » Malek tombe amoureux de Kathleen, jeune Londonienne dont<br />

le père, humanitaire en Afghanistan, a disparu. Dans ce portrait tout en nuances d’une<br />

génération Y mondialisée, l’auteur tisse avec finesse la toile de son intrigue haletante<br />

et entrelace les destins, entre Londres, Kaboul, Paris… Avec une puissance d’évocation,<br />

il trempe sa plume dans les drames contemporains comme dans les blessures intimes, les<br />

rêves et désillusions de ses héros. S’ils sont hantés par des questions semblables – amour,<br />

identité… –, les événements géopolitiques les affectent et les forgent différemment.<br />

Poursuivre les horizons, c’est aussi le moteur de cet écrivain. Né en 1981 à Créteil,<br />

enfant rêveur et solitaire, il s’évade à travers les livres. Il attrape le virus de l’écriture<br />

grâce à Sourires de loup, de Zadie Smith, et aux rappeurs des années 1990, maîtres<br />

du storytelling. Diplômé d’informatique puis d’une école de commerce, il est le<br />

cofondateur du média en ligne Frictions. Ses expériences professionnelles (consultant<br />

Qu’est-ce que j’irais<br />

faire au paradis ?,<br />

Emmanuelle Collas,<br />

304 pages, 18 €.<br />

digital, journaliste, enseignant…) lui font poser ses valises au Mexique, aux États-Unis, au Brésil pendant six ans.<br />

Globe-trotteur infatigable, la soif de liberté et la curiosité en bandoulière, ce polyglotte, désormais établi à Lisbonne,<br />

a traversé l’Amérique latine du Brésil à Cuba, en se demandant : l’identité latino-américaine existe-t-elle ? Le voyage<br />

l’« autorise à être ébloui », défie ses valeurs, ses perceptions sur les sociétés. Et le libère de cette double conscience,<br />

avancée par le sociologue américain W.E.B. Du Bois, ce poids des représentations raciales, ce regard de l’autre<br />

qui enferme, et que le sujet intériorise. « Pour forcer un peu le trait, à l’étranger, je suis en mode béret-baguette !<br />

J’ai réalisé à quel point j’étais français – mes goûts culturels, la conscience sociale pour l’égalité, l’esprit critique,<br />

l’intérêt pour l’actualité, la curiosité… L’identité française existe, mais elle mérite un débat apaisé. » ■<br />

DR<br />

26 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


ANNIE GOZARD<br />

« L’identité<br />

française existe,<br />

mais elle<br />

mérite un<br />

débat apaisé. »


France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C<br />

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en prise<br />

avec cette Afrique<br />

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d’aujourd’hui,<br />

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VOYAGE DANS<br />

L’EXTRÊME DROITE<br />

Avec les interviews<br />

de Fatou Diome<br />

et d’Ugo Palheta<br />

CHANGEMENT CLIMATIQUE<br />

POUR L’AFRIQUE,<br />

IL EST ENCORE TEMPS<br />

SÉNÉGAL<br />

LA DÉMOCRATIE ZOOM<br />

LIBERTÉS<br />

CARICATURISTES,<br />

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MINES :<br />

LES NOUVEAUX TRÉSORS<br />

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AFRICAINS<br />

LA FRANCE 1AN<br />

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C’EST COMMENT ?<br />

PAR EMMANUELLE PONTIÉ<br />

MAUVAISE NOTE<br />

DOM<br />

Le 16 juin sera célébrée la journée internationale de l’enfant africain,<br />

instaurée depuis 1991. Triste commémoration annuelle des jeunes tués lors du soulèvement<br />

estudiantin de 1976 à Soweto, en Afrique du Sud. À cette occasion, de nombreux<br />

bilans et études sont publiés, rappelant la situation précaire de l’enfance face notamment<br />

à l’éducation, première étape de la formation pour un accès à un travail et une<br />

intégration optimale dans le monde de demain. Les chiffres de l’Institut de statistique de<br />

l’UNESCO (ISU) brocardent sempiternellement l’Afrique subsaharienne. Parmi toutes les<br />

régions du monde, c’est en effet ici que l’on relève le plus fort taux d’exclusion de l’éducation<br />

: plus d’un cinquième des enfants âgés de 6 à 11 ans n’est pas scolarisé, suivi par<br />

un tiers des 12-14 ans et près de deux tiers des 15-17 ans.<br />

Bien sûr, chez les filles, les indicateurs<br />

s’aggravent. Pour des raisons bien connues de<br />

pauvreté qui pousse les familles à « investir » sur<br />

l’éducation d’un seul garçon ou à rechigner à<br />

envoyer leur fille loin du foyer, ou pour des raisons<br />

culturelles ou d’attachement au mariage précoce,<br />

qui les entraînent à ne pas voir l’intérêt de l’envoyer<br />

à l’école.<br />

D’autres soucis viennent compliquer<br />

encore l’accès à la scolarité, comme la pénurie<br />

de professeurs formés, la précarité des classes, sans<br />

eau courante ni électricité, parfois sans bancs, aux<br />

effectifs pléthoriques d’élèves… Et bien entendu,<br />

les zones de conflits génèrent année blanche sur<br />

année blanche. Alors certes, les politiques d’éducation<br />

s’améliorent, on construit des classes, on<br />

forme des profs, on lance des campagnes de<br />

sensibilisation à l’intention des parents retors, etc.<br />

Et les mentalités évoluent. Surtout en ville.<br />

Pourtant, la démographie galopante de<br />

ces régions, qui affichent un taux de natalité très élevé, inquiète les spécialistes.<br />

Comment absorber demain et après- demain le nombre exponentiel d’enfants et de<br />

jeunes en demande d’éducation avec un système déjà totalement dépassé ? Et les<br />

projections du dernier Rapport mondial de suivi sur l’éducation de l’UNESCO ne sont<br />

pas très optimistes. Il en ressort, entre autres, que la proportion d’enseignants formés en<br />

Afrique subsaharienne est en baisse depuis 2000. On prévoit aussi qu’en 2030, 20 % des<br />

jeunes et 30 % des adultes ne sauront toujours pas lire… De quoi interroger les pouvoirs<br />

publics, qui doivent urgemment revoir leur copie. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 29


urgencesLA<br />

CRISE<br />

QUI<br />

VIENT<br />

Conséquences de la guerre en Ukraine,<br />

contrecoups de la pandémie de Covid-19,<br />

dette, impacts du changement climatique…<br />

les menaces s’accumulent.<br />

Explications et ébauches de solutions.<br />

par Cédric Gouverneur<br />

SHUTTERSTOCK<br />

30 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 31


URGENCES<br />

Un marché de Douala, au Cameroun,<br />

le 10 mai dernier. L’inflation se fait fortement ressentir.<br />

Le secrétaire général des Nations unies ne<br />

cache pas son inquiétude : « La guerre en<br />

Ukraine est en train de nourrir une crise<br />

tridimensionnelle – alimentaire, énergétique<br />

et financière – avec des impacts<br />

dévastateurs sur les pays, les économies<br />

et les populations les plus vulnérables<br />

du globe », alerte António Guterres dans<br />

la préface d’un rapport de l’ONU sur les<br />

crises alimentaires, rendu public en mai. Le changement climatique,<br />

les séquelles de la pandémie de Covid-19 et les combats<br />

qui mettent aux prises deux des principaux greniers à blé de<br />

la planète s’agglutinent pour former « une triple combinaison<br />

toxique », analyse les Nations unies. Le conflit en Ukraine, « cet<br />

ultime revers, n’aurait pu survenir à un pire moment », résume<br />

l’Éthiopien Abebe Aemro Sélassié, directeur du département<br />

Afrique du Fonds monétaire international (FMI), sur le blog<br />

de l’institution, « alors même que la croissance redémarrait et<br />

que les dirigeants commençaient à répondre aux conséquences<br />

socio-économiques du Covid. Les impacts de la guerre auront<br />

de profondes conséquences, érodant le niveau de vie et aggravant<br />

les indices macroéconomiques. Nous nous attendons<br />

désormais à une croissance de 3,8 % » en Afrique pour 2022,<br />

contre 4,5 % pronostiqués avant l’invasion russe. « Trop peu<br />

pour rattraper le terrain perdu pendant la pandémie », s’alarme<br />

l’économiste.<br />

Le renchérissement des prix alimentaires fragilise encore<br />

davantage des populations appauvries par les confinements<br />

successifs : « En mars, les prix alimentaires au Nigeria étaient<br />

déjà 48 % plus élevés qu’à la fin de 2019 », juste avant l’irruption<br />

du Covid-19, relève l’institut Oxford Economics dans une<br />

étude publiée en mai. Parallèlement, le taux de chômage dans<br />

TOM SAATER/THE NEW YORK TIMES<br />

32 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Macky Sall avec Vladimir Poutine à Sotchi, le 3 juin 2022. Le président du Sénégal,<br />

et président en exercice de l’Union africaine, a souligné la situation extrêmement difficile<br />

du continent, victime du conflit en Ukraine, en particulier sur le plan de la sécurité alimentaire.<br />

MIKHAIL KLIMENTYEV/KREMLIN POOL/SPUTNIK<br />

le pays le plus peuplé du continent a grimpé « de 23,4 % en 2019<br />

à 32 % en 2021 ». Idem en Afrique du Sud, où une inflation de<br />

14,2 % en mars 2022 par rapport à 2019 se greffe à un chômage<br />

qui est passé de 28,7 % à 34,3 % durant la même période. Oxford<br />

Economics rappelle que les ménages du continent consacrent<br />

entre un quart et plus de la moitié de leur budget à l’alimentation<br />

(contre 15 % dans les pays riches). Le FMI estime que l’inflation<br />

en Afrique subsaharienne dépassera les 12 % cette année, et<br />

jusqu’à 34,5 % en Éthiopie, plombée par la guerre civile et une<br />

sécheresse empirée par le réchauffement climatique.<br />

Dans la Corne de l’Afrique, les 20 millions de personnes<br />

victimes de la sécheresse se trouvent dorénavant, à cause<br />

d’un conflit en Europe, en danger de mort. Directeur du Programme<br />

alimentaire mondial (P<strong>AM</strong>), David Beasley évoque une<br />

situation « au-delà de tout ce que l’on a vu depuis la Seconde<br />

Guerre mondiale » : la moitié des grains utilisés pour nourrir<br />

Les ménages<br />

du continent<br />

consacrent entre<br />

un quart et plus<br />

de la moitié<br />

de leur budget<br />

à l’alimentation.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 33


URGENCES<br />

les 125 millions de personnes dépendantes du P<strong>AM</strong> venait<br />

d’Ukraine. Ses propos devant le Conseil de sécurité des Nations<br />

unies glacent le sang : « La dernière chose que nous voulons faire<br />

est de priver de nourriture des enfants affamés pour nourrir<br />

des enfants mourant de faim ! » 20 millions de tonnes de blé<br />

et de maïs ukrainiens sont bloquées dans les ports de la mer<br />

Noire, souligne dans un communiqué David McNair, directeur<br />

de l’association humanitaire ONE (cofondée par Bono, le chanteur<br />

de U2). L’Unicef prévient que, en raison du renchérissement<br />

des noisettes et de l’huile de tournesol, le coût de la pâte<br />

nutritive thérapeutique prête à l’emploi (utilisée pour sauver les<br />

enfants souffrant de malnutrition sévère) a grimpé de 16 %. Et la<br />

situation ne va pas s’améliorer à court terme : le conflit s’enlise,<br />

et Russes et Ukrainiens ne font même plus semblant de parlementer.<br />

Soucieux pour leurs propres populations, d’autres États<br />

exportateurs de nourriture se replient sur eux-mêmes : l’Inde a<br />

interdit en mai l’exportation de blé, comme l’avait fait l’Indonésie<br />

en avril avec l’huile de palme.<br />

DES ÉTATS DÉJÀ ÉTRANGLÉS PAR LES EMPRUNTS<br />

Les sanctions occidentales contre la Russie renchérissent<br />

également les prix de l’énergie. « Les pays africains importateurs<br />

de pétrole vont voir leur facture grimper de 19 milliards de dollars<br />

», estime Abebe Aemro Sélassié sur le blog du FMI, ce qui<br />

va « plomber la balance des paiements et augmenter les coûts<br />

de transport ». Et, pendant ce temps, en Chine, l’impitoyable<br />

politique de confinement « zéro Covid » paralyse l’économie.<br />

Aux États-Unis, les décisions prises afin de juguler l’inflation<br />

qui frappe les ménages pourraient nuire aux investissements en<br />

Afrique : la hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale, la<br />

Fed, risque d’inciter les investisseurs à délaisser les pays à moyen<br />

et bas revenus, plus risqués, pour se focaliser sur ceux industrialisés,<br />

plus sûrs, alertait le New York Times le 17 mai. En faisant<br />

grimper le dollar et en affaiblissant les monnaies nationales,<br />

les décisions de la Fed vont aussi renchérir le poids de la dette.<br />

Or, l’initiative de suspension du service de la dette, octroyée<br />

par les créanciers internationaux pendant la pandémie, a expiré<br />

en décembre. Début avril, le FMI et la Banque mondiale ont<br />

donc appelé à une « action décisive » concernant l’endettement,<br />

rappelant que 23 États du continent étaient déjà étranglés par<br />

les emprunts (contractés ces dix dernières années, souvent<br />

auprès de la Chine, afin notamment de financer des mégaprojets<br />

d’infrastructures). « Le G20 devrait mieux définir son processus<br />

de restructuration de la dette, préconise Abebe Aemro Sélassié.<br />

Le règlement du service de la dette devrait être suspendu jusqu’à<br />

ce qu’un accord soit conclu. »<br />

La situation politique et sociale pourrait devenir explosive<br />

dans de nombreux pays : Égypte, Tunisie, Maroc, Ghana,<br />

Afrique du Sud… « Ce sont les mêmes conditions qui avaient<br />

conduit aux Printemps arabes », remarque David McNair. Il y a<br />

dix ans, « la hausse du coût de la vie avait aggravé le mécontentement<br />

et catalysé une large révolte sociale ». ■<br />

AKR<strong>AM</strong><br />

BELKAÏD<br />

« La<br />

faim est une<br />

menace à<br />

moyen terme »<br />

Pour le journaliste et essayiste algérien,<br />

le système financier international<br />

est devenu « insoutenable », suscitant<br />

même des remises en question<br />

au forum de Davos, jadis véritable<br />

citadelle de l’orthodoxie néolibérale.<br />

<strong>AM</strong> : Un danger multiforme menace l’Afrique :<br />

impacts de la pandémie de Covid, du conflit<br />

en Ukraine, du réchauffement climatique,<br />

de la dette… Une telle conjoncture s’est-elle<br />

déjà produite depuis les indépendances ?<br />

Akram Belkaïd : C’est effectivement inédit en matière<br />

de gravité et d’étendue. On peut faire le parallèle<br />

avec le début des années 1980, lorsque la crise de la<br />

dette a poussé nombre de pays africains à faire appel<br />

au FMI. Mais dans le cas présent, la conjonction de<br />

plusieurs facteurs est impressionnante. Cela mériterait<br />

une réponse de grande ampleur. Cependant, l’Union<br />

africaine semble totalement dépassée, encore une fois.<br />

La croissance macroéconomique africaine a été<br />

boostée par l’envolée du cours des matières premières,<br />

mais le développement humain n’a pas suivi…<br />

Ce contexte, débuté avec l’épidémie de Covid<br />

il y a deux ans, peut-il constituer l’occasion<br />

de repenser les rapports économiques ?<br />

En théorie, oui. Mais rien ne montre que l’on va<br />

dans cette direction. Pire encore, le relèvement des taux<br />

d’intérêt dans les pays riches, afin de lutter contre l’inflation,<br />

va alourdir le fardeau de la dette, notamment africaine.<br />

Cela promet des jours difficiles pour les pays dont la<br />

PATRICK GELY<br />

34 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


ARND WIEGMANN/REUTERS<br />

balance des paiements est déficitaire. Pourtant, des pistes<br />

existent. Par exemple, le Forum économique mondial,<br />

à Davos – qui est tout sauf un repère de gauchistes –,<br />

a réfléchi cette année à l’économie « solidaire et sociale ».<br />

Des pays tentent de promouvoir cette approche, qui se<br />

veut indépendante des exigences de rentabilité, mais il faut<br />

pour cela une volonté économique globale. Le vrai problème<br />

est le caractère insoutenable du capitalisme financier tel<br />

qu’il existe aujourd’hui. Cependant, une fois la chose dite,<br />

quelles politiques, quelles doctrines peuvent émerger ?<br />

Ces dernières années, la construction d’infrastructures<br />

sur le continent s’est faite au prix d’un endettement<br />

massif, en particulier envers la Chine. Comment<br />

sortir du piège éternel de la dette ?<br />

C’est une question sans réponse satisfaisante. Les pays<br />

ont des besoins, il faut qu’ils se développent, qu’ils aient<br />

des infrastructures. Comment faire quand les moyens<br />

sont faibles ? La dette est une calamité, parce qu’elle<br />

entrave un pays sur plusieurs générations.<br />

De manière régulière, on appelle à son<br />

annulation pour les pays les moins avancés,<br />

mais lorsque cela arrive, une décennie<br />

suffit pour que le processus soit de nouveau<br />

relancé. L’utopie serait des financements<br />

gratuits, au nom de la solidarité<br />

internationale, mais il ne faut pas rêver…<br />

Les banques et les financiers ne l’accepteront<br />

jamais. Lutter contre la corruption<br />

permettrait déjà d’atténuer le fardeau de<br />

la dette, mais ce qui est certain, c’est que<br />

cette question est liée à celle du modèle<br />

de développement économique. Répéter<br />

à l’envi que « le marché réglera tout »,<br />

comme le font certains économistes<br />

africains, est criminel. Cela pousse<br />

le continent vers moins de solidarité<br />

et – surtout – vers moins d’autonomie.<br />

En parlant d’autonomie, avec une<br />

dépendance excessive à quelques<br />

greniers à blé, des pénuries aggravées<br />

par la spéculation et de fortes<br />

sécheresses, faut-il s’attendre à un retour<br />

durable de la faim ?<br />

La question est bien plus structurelle qu’on ne le croit.<br />

La faim est une menace à moyen terme. Quel sera l’état<br />

des terres agricoles pour une planète de 10 milliards<br />

d’habitants ? À court terme, pour nombre de pays<br />

africains, c’est la question du modèle alimentaire qui<br />

se pose. Pourquoi importer – au prix fort – des céréales<br />

d’Europe, d’Australie ou encore d’Argentine, alors que<br />

l’on dispose de modes de culture traditionnels et qu’il<br />

est souhaitable de généraliser une agriculture moins<br />

intensive ? Actuellement, on assiste à la mise en coupes<br />

réglées des terres du continent, même par des ONG<br />

occidentales, qui plaident pour une agriculture intensive,<br />

à l’image de ce qu’a fait l’Inde dans les années 1950 et 1960.<br />

Or, l’Afrique est aussi un berceau de l’agriculture, qui<br />

a ses traditions, ses propres cultures : c’est le moment<br />

de réhabiliter cela, en explorant d’autres voies que<br />

l’approche intensive, qui pollue et épuise les sols.<br />

Le conflit en Ukraine signe le retour de la guerre<br />

froide. Chaque pays du continent va-t-il devoir<br />

choisir un « camp »? Ou jouer sur les rivalités ?<br />

La tentation serait de miser sur un camp contre l’autre.<br />

Or, l’Afrique a besoin du multilatéralisme, seul atout dont<br />

disposent les pays les moins puissants. Se jeter dans les<br />

bras des Russes, après avoir longtemps tiré des bénéfices<br />

de la Françafrique, est une erreur. De nombreux pays<br />

jouent la prudence, et ils ont raison. Ce conflit doit leur<br />

parler, car il remet en cause le caractère indéniable de<br />

Au Forum économique et mondial, le 26 mai,<br />

à Davos, en Suisse. On y a réfléchi pour la première<br />

fois au thème de l’économie « solidaire et sociale ».<br />

la frontière. Aussi est-il important de défendre la légalité<br />

internationale, même si cette dernière est régulièrement<br />

foulée aux pieds par ceux qui, aujourd’hui, la revendiquent.<br />

Ce n’est pas parce que les Américains ont envahi l’Irak<br />

en 2003 sans respecter le droit international qu’il faudrait<br />

accepter que la Russie en fasse autant aujourd’hui en<br />

Ukraine. Mais il est tout aussi important pour les pays<br />

africains de montrer leur indépendance et de ne plus accepter<br />

que les Occidentaux – la France en tête – les considèrent<br />

juste comme des réserves dociles de voix à l’ONU. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 35


URGENCES<br />

CARLOS LOPES<br />

« S’organiser pour<br />

obtenir davantage »<br />

L’économiste bissau-guinéen, professeur à l’université du Cap et ancien secrétaire<br />

exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA),<br />

nous livre ses réflexions sur la situation actuelle.<br />

<strong>AM</strong> : La guerre en Ukraine venant s’ajouter aux retombées<br />

de la pandémie, l’Afrique se trouve confrontée à une crise<br />

brutale. Quelles mesures prendre en urgence ?<br />

Carlos Lopes : Lorsque l’on soulève la question d’aider<br />

l’Afrique, on est tout d’un coup moins crédible aux yeux de la<br />

communauté internationale : les réponses face à la pandémie<br />

et aux atteintes climatiques se sont avérées totalement<br />

inadéquates, vu l’urgence. Ainsi, le nombre de pays qui ont<br />

pu bénéficier de l’Initiative de suspension du service de la<br />

dette (ISSD) s’est révélé en définitive ridiculement bas, du<br />

fait notamment de la complexité du dispositif et des menaces<br />

de mesures de rétorsion de la part des agences de notation.<br />

Le conflit en Ukraine et ses répercussions sur l’inflation, la<br />

logistique et les approvisionnements alimentaires entraînent<br />

les mêmes comportements égoïstes que lors de<br />

la pandémie : les pays qui disposent de moyens<br />

économiques suffisants se préparent à affronter<br />

des conséquences désastreuses. Les autres<br />

font la queue pour les quelques miettes qui<br />

leur seront laissées. C’est, semble-t-il, ce qui<br />

va se passer pour l’achalandage alimentaire<br />

– dont l’Afrique est hautement dépendante –,<br />

comme pour l’inflation, qui va durement<br />

toucher les États importateurs de pétrole,<br />

avec toutes les retombées prévisibles.<br />

Comment la communauté internationale<br />

peut-elle aider le continent à traverser<br />

cette période ?<br />

On atteint là les limites du saupoudrage :<br />

une semaine avant l’invasion russe en Ukraine,<br />

en février, s’était déroulé le sommet Union africaine-Union<br />

européenne, où 150 milliards d’euros avaient été promis<br />

à l’Afrique. Mais ces budgets vont être redirigés afin de<br />

subvenir aux besoins de l’Ukraine [Kiev évalue déjà le<br />

total des dommages subis à 500 milliards de dollars, ndlr].<br />

Nous assistons au même phénomène qu’avec les vaccins<br />

lors de la pandémie : un décalage entre les promesses et<br />

Des budgets<br />

promis<br />

à l’Afrique<br />

vont être<br />

redirigés afin<br />

de subvenir<br />

aux besoins<br />

de l’Ukraine.<br />

la réalité. Il faudrait profiter de cette crise pour repenser<br />

le système financier international, comme l’envisage la<br />

secrétaire au Trésor des États-Unis, Janet Yellen, qui plaide<br />

pour un nouveau Bretton Woods [accords qui, en 1944,<br />

ont abouti à la création du FMI et de la Banque mondiale,<br />

ndlr]. Ce serait bienvenu si une telle démarche mettait fin<br />

à la distorsion et à l’asymétrie actuelles. Le constat général<br />

est que ce système ne fonctionne plus. Le continent demeure<br />

un acteur marginal sur la scène internationale : les États<br />

africains doivent s’organiser afin d’obtenir davantage, un<br />

allègement de la dette afin de pouvoir financer les budgets<br />

sociaux, et une amélioration de leur accès au capital<br />

par la mise en place de mécanismes multilatéraux.<br />

La dépendance de nombreux pays du continent<br />

au blé ukrainien et russe montre les<br />

limites du système : comment accroître<br />

leur production agricole ?<br />

Le problème principal de l’agriculture<br />

africaine est son rendement. Elle pâtit d’un<br />

déficit d’irrigation, mais aussi d’une déperdition.<br />

On estime que, chaque année, environ<br />

30 % de la production agricole est perdue,<br />

du fait de problèmes de stockage, de transport<br />

et de commercialisation. Il faut investir beaucoup<br />

plus, notamment dans les infrastructures, afin<br />

de mettre en valeur ce qui est déjà produit et<br />

de réduire au maximum cette déperdition. Sur<br />

le globe, 60 % des terres arables non utilisées<br />

sont situées sur le continent. Au Sahel, le problème<br />

de l’accès à l’eau crée de nombreux conflits,<br />

résultats de la difficile intégration du pastoralisme dans<br />

la production moderne. En comparaison, d’importants<br />

investissements ont été réalisés dans les industries<br />

extractives, dans la continuité du modèle colonial, et sans<br />

véritablement se soucier de la qualité de vie des populations.<br />

Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine,<br />

considère que les agences de notation surestiment<br />

VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE<br />

36 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


le risque d’investir sur le continent,<br />

et appelle à la création d’une agence africaine.<br />

Certaines existent déjà, mais elles sont rachetées par<br />

des concurrentes américaines [Moody’s a racheté début février<br />

la majorité des parts de l’agence panafricaine Global Credit<br />

Rating, ndlr]. Ce domaine d’activité est soumis aux règles<br />

du marché et le restera tant qu’il n’y aura pas de décision<br />

politique. Il faudrait modérer le comportement de ces cabinets<br />

de notation, marqué par le cynisme et la subjectivité.<br />

Comment s’extraire enfin du piège de la dette ?<br />

Tant que l’on ne régulera pas l’accès au capital<br />

des économies africaines, le problème sera récurrent. La<br />

taille de ces dernières a doublé durant les vingt dernières<br />

années en raison de la croissance démographique : ce<br />

qui est désormais disponible ne répond plus aux besoins.<br />

Le continent n’a pas le même accès au capital et endure<br />

les taux d’intérêt le plus élevés au monde. C’est une<br />

injustice systémique qui se révèle lorsque se produit un<br />

choc externe, comme la pandémie, la guerre en Ukraine<br />

ou, de manière plus diffuse, le réchauffement climatique.<br />

À noter que les pays industriels ont une dette carbone<br />

conséquente vis-à-vis du continent, qui est celui qui émet le<br />

moins de CO 2<br />

et qui subit le plus de dégâts. Lui apporter les<br />

financements proportionnés à cette dette carbone afin qu’il<br />

puisse affronter les impacts du réchauffement serait une<br />

question de cohérence. Il faudrait que les pays occidentaux<br />

commencent par tenir leurs promesses, cela<br />

compenserait largement cette dette.<br />

L’Afrique jouit d’une faible assiette fiscale :<br />

comment accroître ses revenus ?<br />

En effet, son taux de pression fiscale est<br />

le plus bas au monde : 16 % en moyenne, contre<br />

35 % sur le reste du globe. Les responsables<br />

doivent transformer structurellement l’économie,<br />

qui doit enfin sortir de l’informel. Pour cela,<br />

elle ne doit plus dépendre de la rente : dans<br />

certains pays, comme le Nigeria, jusqu’à 80 % des<br />

exportations concernent les matières premières<br />

non transformées. Cela ne diffère guère de<br />

la configuration durant la période coloniale.<br />

Cette situation enferme certains États dans<br />

une dépendance aux relations extérieures, car<br />

ils ne disposent que de peu de revenus, ils sont pris entre<br />

une économie informelle, en roue libre, et une économie<br />

de rente qui ne bénéficie qu’aux élites et à leur reproduction<br />

sociale. C’est un problème majeur. Je classerais les pays<br />

africains entre les réformateurs et les rentiers. Hélas,<br />

la plupart des États producteurs de pétrole continuent<br />

de vivre de la rente, malgré quelques ajustements réalisés<br />

pour qu’ils soient crédibles vis-à-vis de leurs créanciers.<br />

Depuis février se dessine une « seconde guerre<br />

froide »: comment le continent peut-il se positionner<br />

sur cette nouvelle carte du monde ?<br />

Ces deux dernières décennies, il a beaucoup diversifié<br />

ses sources de financement. Les sanctions occidentales contre<br />

la Russie et la rupture des chaînes d’approvisionnement en<br />

raison de la pandémie et de la guerre en Ukraine constituent<br />

un moment de vérité : cela lui donne la possibilité d’en<br />

profiter pour se concentrer sur la mise en œuvre de la<br />

Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), qui<br />

permet de constituer un marché plus appétissant pour les<br />

investisseurs et de pouvoir enfin négocier d’un seul bloc.<br />

Cette crise peut donc constituer une occasion si les réformes<br />

nécessaires sont faites : se sortir du modèle extractif issu<br />

du colonialisme, consolider la Zlecaf, et ainsi négocier<br />

en un bloc continental face aux autres puissances.<br />

Ces réformes sont-elles en bonne voie ?<br />

Je reste sur mes gardes. J’exprime le souhait de<br />

les voir se réaliser, mais tout dépendra de la volonté<br />

politique. Il faut cesser de négocier unilatéralement, État<br />

africain par État africain avec l’Union européenne ou<br />

la Chine. La Zlecaf doit désormais servir à négocier au<br />

nom de tout le continent pour chaque secteur d’activité,<br />

chaque technologie, chaque chaîne de valeur.<br />

La spéculation joue un rôle considérable dans l’envolée<br />

Les États<br />

sont pris entre<br />

une économie<br />

informelle et<br />

une économie<br />

de rente<br />

qui ne bénéficie<br />

qu’aux élites.<br />

du prix des produits alimentaires. Comment y mettre fin ?<br />

Ce n’est pas différent de ce qu’il s’est<br />

passé lors de la pandémie, sur des produits<br />

tels que les masques, les respirateurs,<br />

puis les vaccins. C’est la loi sauvage du<br />

marché, qui s’applique même sur des biens<br />

communs et stratégiques, devenus objets<br />

de spéculation. Ce que les économistes<br />

libéraux du XIX e siècle nommaient « la main<br />

invisible » du marché. Je ne crois pas qu’il<br />

existe une véritable volonté de remettre<br />

en question la mondialisation telle qu’on<br />

la connaît (avec pour règle de base de<br />

produire là où c’est le moins cher, sans la<br />

moindre considération éthique, sociale ou<br />

environnementale, aux dépens, par exemple,<br />

des ouvrières du textile du Bangladesh).<br />

Depuis la crise sanitaire, la priorité des États est de ne plus<br />

dépendre d’un seul pays pour un même produit (comme<br />

les masques fabriqués en Chine) : c’est une considération<br />

différente, qui implique un autre type de mondialisation.<br />

Cette évolution peut bénéficier aux Africains, à condition<br />

qu’ils développent et rentabilisent la Zlecaf, en établissant<br />

des chaînes de valeurs nationales et régionales puis<br />

en les intégrant aux chaînes de valeurs globales. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 37


URGENCES<br />

Données et perspectives<br />

sur une rupture multifactorielle<br />

Inflation, pénurie, baisse des investissements risquent de stopper net<br />

la croissance continentale. Mais à terme, les pays aux économies diversifiées<br />

auront davantage d’atouts pour sortir de l’ornière.<br />

Pénurie dans<br />

un supermarché<br />

du Zimbabwe.<br />

La spéculation dope<br />

l’envolée des prix<br />

LA GUERRE n’est pas la seule responsable<br />

de la hausse des prix alimentaires :<br />

la spéculation boursière joue, depuis deux<br />

ans, un rôle mortifère. « En avril 2022,<br />

la spéculation était responsable de 72 %<br />

des achats sur le marché des céréales de<br />

la Bourse de Paris », contre « 25 % avant<br />

la pandémie », estime Lighthouse Reports,<br />

plate-forme internationale de journalistes<br />

d’investigation basée aux Pays-Bas, qui<br />

accuse les fonds d’investissement « d’exploiter<br />

le chaos pour faire grimper les prix ».<br />

13,5 %<br />

C’est le taux<br />

que devrait<br />

atteindre l’inflation<br />

en Afrique en<br />

2022, contre 13 %<br />

en 2021 et 10,8 %<br />

en 2020, du fait<br />

de la flambée des<br />

prix de l’énergie et<br />

de l’alimentation.<br />

L’urgence<br />

climatique toujours<br />

sous-financée<br />

LE CONTINENT connaît à la fois « la<br />

plus grande vulnérabilité » aux impacts<br />

du réchauffement climatique et « la plus<br />

faible préparation à l’adaptation aux chocs<br />

climatiques », souligne la Banque africaine<br />

de développement<br />

(BAD), qui évoque<br />

une « menace<br />

existentielle ».<br />

Et pourtant,<br />

la planète<br />

regarde ailleurs :<br />

il faudrait qu’il reçoive<br />

« 10 fois le financement mondial climatique<br />

annuel reçu de 2016 à 2019 » afin de<br />

pouvoir assurer sa transition énergétique,<br />

c’est-à-dire « entre 118 et 145 milliards<br />

de dollars par an jusqu’en 2030 ».<br />

+72,5 %<br />

POUR LE PRIX<br />

DU BLÉ EN UN AN<br />

EN AVRIL 2022, LES PRIX<br />

MONDIAUX DU BLÉ<br />

ET DU MAÏS AVAIENT<br />

RESPECTIVEMENT<br />

AUGMENTÉ DE 72,5 %<br />

ET DE 21,9 % PAR RAPPORT<br />

À CEUX D’AVRIL 2021.<br />

LA RUSSIE ET L’UKRAINE<br />

COMPTANT PARMI LES<br />

PRINCIPAUX GRENIERS<br />

À BLÉ, LA GUERRE ET LES<br />

SANCTIONS PARALYSENT<br />

LEURS EXPORTATIONS.<br />

FELIPE TRUEBA/REPORT DIGITAL/RÉA - SHUTTERSTOCK<br />

38 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Le siège de la Banque<br />

africaine de développement,<br />

à Abidjan.<br />

UNE CROISSANCE DIVISÉE PAR DEUX<br />

« Le PIB réel devrait croître de seulement 4,1 % en 2022 »,<br />

soit moitié moins que prévu, et « nettement inférieur au 7 %<br />

de 2021 », souligne la BAD dans son rapport Perspectives<br />

économiques en Afrique. La guerre en Ukraine a éclaté<br />

alors que l’économie était « sur la voie de la reprise » après<br />

la pandémie de Covid-19. En 2023, la croissance devrait<br />

stagner à 4 %. La Banque africaine de développement<br />

redoute que le continent « plonge dans la stagflation,<br />

combinaison de croissance lente et d’inflation élevée ».<br />

Répit illusoire<br />

pour les pays<br />

pétroliers<br />

Les exportateurs<br />

de pétrole profitent<br />

de la hausse des<br />

cours. Mais le répit<br />

sera bref : « Ce sont<br />

les pays importateurs<br />

qui progresseront<br />

le plus en 2023 »,<br />

remarque la<br />

Banque africaine<br />

de développement,<br />

du fait de « la<br />

diversification<br />

de leurs sources<br />

de croissance ».<br />

SHUTTERSTOCK (2)<br />

Un endettement<br />

qui a doublé<br />

en dix ans<br />

Face à la pandémie,<br />

les États ont dû<br />

emprunter : le ratio<br />

dette/PIB dépasse<br />

désormais les 65 %<br />

(33 % en 2010).<br />

La moitié des pays<br />

du continent<br />

sont surendettés.<br />

LE JOUG DE LA DÉPENDANCE AGRICOLE<br />

15 pays africains importent plus de la moitié<br />

de leur blé de Russie et d’Ukraine, souligne la<br />

Conférence des Nations unies sur le commerce et le<br />

développement : Égypte, Soudan, Nigeria, Tanzanie,<br />

Algérie, Kenya et Afrique du Sud sont les plus<br />

dépendants. « Les tensions pourraient déborder et<br />

provoquer de violentes protestations », notamment<br />

en cas de contexte électoral, alerte l’économiste<br />

en chef du Programme des Nations unies pour le<br />

développement, le Sierra-Léonais Raymond Gilpin.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 39


CE QUE J’AI APPRIS<br />

Imed Alibi<br />

LE PERCUSSIONNISTE TUNISIEN PUISE<br />

dans les musiques du monde entier pour nourrir son groove unique.<br />

Rencontre des rythmes nord-africains et de l’électro, son nouvel album<br />

est une ode à la migration et au continent. propos recueillis par Astrid Krivian<br />

Né à Meknassy, j’ai commencé à jouer des percussions à 12 ans. J’ai été imprégné par les<br />

rythmes, très présents au quotidien. C’était un apprentissage en autodidacte, oral, sur le terrain. Ensuite, j’ai mené<br />

des recherches auprès de maîtres de percussions en Turquie, au Kurdistan, avec patience et curiosité. À 22 ans,<br />

j’ai eu la chance de partir étudier la littérature anglaise à Montpellier. J’ai alors exploré le métissage, la fusion.<br />

Le melting-pot en France m’a permis de côtoyer des musiciens sénégalais, cubains…<br />

J’ai travaillé avec des artistes d’horizons très divers : le groupe de rock Les Boukakes,<br />

Emel Mathlouthi, Rachid Taha, Natacha Atlas, Kel Assouf, le groupe réunionnais Ziskakan, Justin Adams…<br />

Dans le rythme, il ne faut pas être puritain, mais rester ouvert. On n’est jamais arrivé, l’apprentissage est infini !<br />

J’adore le jeu persan, indien, cubain. Chaque culture a ses techniques, ses styles. Dans chaque pays où je voyage,<br />

je m’achète une percussion locale et la mélange avec bonheur à mon set.<br />

J’ai été nommé chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres par le ministère de<br />

la Culture français en 2021. Après deux ans de pandémie, de multiples annulations de concerts<br />

et reports de festival, c’était une bonne surprise ! Cette distinction m’a rappelé que j’avais accompli pas mal<br />

de choses dans mon parcours de percussionniste, de compositeur. Mais aussi en tant qu’acteur culturel,<br />

investi à créer des liens entre la France et la Tunisie, le Liban, le Maroc… J’ai notamment dirigé les Journées<br />

musicales de Carthage en 2019, dédiées à l’accompagnement des jeunes talents. Puis,<br />

j’ai été directeur du Festival international de Carthage. Les musiciens ont tendance<br />

à se démoraliser facilement. On a parfois besoin de ce genre de reconnaissance.<br />

Pendant longtemps, les musiques populaires du pays étaient<br />

rejetées au niveau institutionnel. Pourtant, elles font vibrer la rue, les<br />

mariages, les scènes du quotidien. La reconnaissance officielle se limitait aux musiques<br />

ottomanes ou arabo-andalouses, tel le malouf. Une nouvelle vague artistique apparue<br />

après la révolution s’est réapproprié ce patrimoine populaire : le stambeli (équivalent<br />

du gnawa marocain), le mezwed (sorte de cornemuse), les musiques berbères du Sud,<br />

le bendir (percussion)… Certaines rythment désormais les soirées en boîte de nuit.<br />

Frigya, Imed Alibi<br />

et Khalil Epi, Nashwa.<br />

Conçu avec Khalil Epi, Frigya puise dans des rythmes traditionnels nord-africains,<br />

tunisiens en particulier. Notre approche contemporaine fusionne le son authentique des percussions avec<br />

l’électronique. Le titre de l'album renvoie au nom d'une région du nord-ouest de la Tunisie, où les gens du Sud<br />

migraient afin de trouver de l’eau pour leur cheptel. Un carrefour de rencontres entre musiques du Nord et du Sud.<br />

Ce nom signifie aussi « Afrique », en derja. Menée essentiellement par les jeunes, la recherche<br />

de l’africanité fait partie des changements majeurs post-révolution. Avant, dû à des appartenances politiques<br />

– les mouvements panarabistes des années 1950-1960 –, l’Afrique était perçue comme exotique, tel un autre<br />

continent. Or, la Tunisie est profondément africaine et méditerranéenne. Une grande partie de nos rythmes<br />

sont africains, jusque dans les techniques de frappe. ■ En concert le 10 juin à Marseille et le 21 juin à Tunis.<br />

DR<br />

40 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


CEDRIC MATET<br />

« On n’est<br />

jamais arrivé,<br />

l’apprentissage<br />

est infini ! »


histoire<br />

ANTHONY GUYON<br />

DES HOMMES<br />

CONSIDÉRÉS COMME<br />

DES SOLDATS NÉS<br />

Des centaines de milliers d’Africains ont combattu<br />

pour les intérêts de la France coloniale, du xix e siècle<br />

aux indépendances. Dans un livre passionnant, l’historien<br />

retrace leur destin. propos recueillis par Cédric Gouverneur<br />

Présenté au dernier Festival<br />

de Cannes dans<br />

la sélection Un certain<br />

regard, le film Tirailleurs,<br />

de Mathieu Vadepied,<br />

est coproduit par la<br />

France et le Sénégal, et<br />

tourné en peul. Omar Sy<br />

– également producteur<br />

du long-métrage – y incarne un Sénégalais qui,<br />

en 1917, s’engage dans l’armée française afin de<br />

veiller sur son fils de 17 ans (joué par Alassane<br />

Diong), recruté de force. Les deux hommes se<br />

trouvent plongés dans l’enfer des tranchées,<br />

au cœur d’un conflit qui n’est pas le leur. Cette<br />

histoire est celle des centaines de milliers de<br />

tirailleurs dits « sénégalais » – mais en réalité<br />

issus de tous les pays d’Afrique colonisés par la<br />

France – qui, entre le XIX e siècle et le temps des<br />

indépendances, ont combattu pour les intérêts<br />

de l’Hexagone, pour le meilleur et pour le pire.<br />

Rencontre avec l’historien Anthony Guyon, qui<br />

vient de publier un ouvrage sur le sujet.<br />

<strong>AM</strong> : Vous expliquez que beaucoup<br />

de tirailleurs, au départ, sont d’anciens<br />

esclaves affranchis en 1848, mais<br />

maintenus de facto en servitude.<br />

Pendant un siècle, ils se trouvent donc<br />

dans une position de soumission ?<br />

Anthony Guyon : La création du premier bataillon<br />

de tirailleurs sénégalais coïncide en effet<br />

avec l’abolition de l’esclavage. Certains des premiers<br />

tirailleurs sont donc d’anciens esclaves,<br />

dont le quotidien est d’être soumis, d’exécuter<br />

des corvées. Le général Faidherbe décide de les<br />

séparer des soldats européens afin d’en faire de<br />

vrais combattants, plus uniquement assujettis<br />

aux basses tâches. Lors des premières campagnes<br />

militaires menées par les tirailleurs<br />

pour conquérir l’intérieur des terres, ceux-ci<br />

capturent même des esclaves dans les villages,<br />

qui font partie du butin. Le rapport de soumission<br />

se manifeste également dans le vocabulaire<br />

sommaire utilisé pour donner des ordres, en<br />

« petit nègre » comme on disait à l’époque, sous<br />

prétexte que les tirailleurs ne parlent pas bien<br />

Les Tirailleurs sénégalais :<br />

De l’indigène au soldat,<br />

de 1857 à nos jours, Perrin,<br />

380 pages, 22 €.<br />

Ci-contre, des soldats entre<br />

deux assauts, pendant<br />

la bataille du Chemin<br />

des dames, dans l’Aisne<br />

(France), en 1917.<br />

DR (2)<br />

42 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


COLL. O. CALONGE/ADOC-PHOTOS<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 43


HISTOIRE<br />

Des combattants déjeunent dans leur tranchée, en 1915.<br />

français. Notons que plusieurs ont par la suite écrit leur autobiographie<br />

dans un français parfait, et que d’autres, ayant passé<br />

le concours des sous-officiers, ont obtenu des notes aux dictées<br />

témoignant de leur maîtrise de la langue de Molière.<br />

La différence est par ailleurs ténue entre<br />

un tirailleur volontaire et un enrôlé de force…<br />

Il existe des volontaires pleins et entiers, et même des<br />

dynasties de tirailleurs (comme les Sy), qui croient aux valeurs<br />

de la France. Le recrutement brutal se raréfie après la guerre<br />

du Bani-Volta, près de Ouagadougou, où les villages s’étaient<br />

révoltés, en 1915. Pour les chefs de village, le recrutement peut<br />

être le moyen d’écarter des rivaux et des gêneurs. Les jeunes<br />

hommes susceptibles d’être recrutés se cachent dans la brousse,<br />

pendant que la commission de recrutement se trouve au village.<br />

Parmi ceux qui restent, la plupart n’ont pas la condition physique<br />

nécessaire, donc on arrive à des taux d’inaptitude de 75 %!<br />

En 1919 est institué le recrutement par tirage au sort. Dans<br />

certains villages, les chefs sont plutôt satisfaits de ce changement,<br />

car le choix des tirailleurs ne repose plus sur eux. Pendant<br />

l’entre-deux-guerres, les autorités commencent la tournée de<br />

recrutement dans l’intérieur des terres, en Haute-Volta (Burkina<br />

Faso), au Soudan français (Mali), et la terminent au Sénégal,<br />

afin de contenter les autorités locales.<br />

Si toutes les puissances coloniales utilisent<br />

des supplétifs pour soumettre par la force l’intérieur<br />

du continent, la France est la seule à utiliser<br />

des soldats noirs en Europe. Pourquoi cette exception ?<br />

À partir de 1908, les tirailleurs font leurs preuves dans<br />

la campagne du Maroc. Le lieutenant-colonel Charles Mangin<br />

plaide alors pour une « force noire » – c’est le titre de son<br />

livre – afin de contrebalancer l’avantage démographique de l’Allemagne<br />

et d’utiliser des hommes qu’il considère comme des<br />

soldats nés. Ces arguments vont faire leur chemin, et on trouve<br />

des tirailleurs engagés sur le front dès septembre 1914. Ce sera<br />

très mal perçu par les autres pays, alliés comme ennemis.<br />

Vous expliquez que le pourcentage de pertes pour<br />

les tirailleurs pendant la guerre de 14-18 est le même<br />

que celui des soldats de métropole (20 %), ce qui montre<br />

que les combattants africains n’ont pas été plus sacrifiés<br />

que les autres (malgré une déclaration abjecte du<br />

général Nivelle, qui voulait « économiser le sang blanc »).<br />

Les chiffres sont en effet globalement les mêmes ; les historiens<br />

Marc Michel et Jacques Frémeaux parviennent à des<br />

conclusions identiques. Mais cela ne change évidemment rien<br />

au ressenti des descendants des tirailleurs, à savoir que cette<br />

guerre n’était nullement la leur et que leurs pères n’avaient rien<br />

à y faire.<br />

L’image du tirailleur, en 1914-1918, fait l’objet<br />

d’une double propagande : les Français l’utilisent pour<br />

terrifier les Allemands, et les seconds s’en servent<br />

COLL. O. CALONGE/ADOC-PHOTOS<br />

44 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


COLLECTION NBL/KHARBINE TAPABOR<br />

Des tirailleurs algériens prisonniers en Allemagne, pendant la Grande Guerre, en train de jouer aux cartes.<br />

pour décrédibiliser les premiers. Vous rappelez<br />

en outre l’usage d’iconographies dégradantes<br />

(comme celle liée au slogan « Y’a bon Banania »,<br />

utilisé jusqu’en 2011). On a ainsi le sentiment que<br />

les tirailleurs n’ont jamais pu contrôler leur image…<br />

L’image du sauvage est utilisée des deux côtés. Berlin accuse<br />

Paris d’employer des Africains contre la « civilisation » européenne<br />

; les Français amplifient sciemment des rumeurs de<br />

colliers d’oreilles et de décapitations au coupe-coupe, afin de<br />

semer la terreur chez les troupes adverses. Mais les autorités<br />

françaises se rendent vite compte des limites de cette propagande<br />

: l’Hexagone est censé avoir colonisé l’Afrique au nom<br />

d’une mission civilisatrice, or, si après quarante ans de présence,<br />

l’Africain demeure un « sauvage », c’est bien que cette<br />

mission a échoué ! L’image véhiculée glisse donc vers le « grand<br />

enfant », domestiqué afin qu’il combatte le « Hun » allemand…<br />

À aucun moment, les tirailleurs n’ont donc été maîtres de leur<br />

image. Après la Première Guerre mondiale, alors que la France<br />

occupe la Rhénanie, des accusations de viols, véhiculées par<br />

les presses germaniques et anglo-saxonnes, alimentent la propagande<br />

nazie : « la honte noire », dont parle Hitler dans Mein<br />

Kampf. Les conséquences en sont terribles : lors de la débâcle<br />

française en juin 1940, les soldats allemands massacrent<br />

entre 1500 et 3000 tirailleurs prisonniers, avec l’approbation<br />

de leur hiérarchie.<br />

« Comme le pensent<br />

leurs descendants,<br />

cette guerre n’était<br />

nullement la leur<br />

et ils n’avaient<br />

rien à y faire. »<br />

Lors de la Première Guerre mondiale, on les retire<br />

du front entre octobre et avril, le climat étant jugé<br />

trop rigoureux. Ils sont alors logés dans des « camps<br />

d’hivernage » dans le Var, sur la Côte d’Azur. Quels<br />

sont leurs rapports avec la population locale ?<br />

Il n’y a eu pas moins de 13 camps à Fréjus et à Saint- Raphaël.<br />

Les tirailleurs nouent des liens avec la population, malgré les<br />

consignes de prudence données par les autorités, qui recommandent<br />

de ne pas approcher ces hommes « à la sexualité<br />

débridée »! Des amitiés et des idylles se créent. La peintre Lucie<br />

Cousturier (1876-1925) sympathise avec certains, leur donne<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 45


HISTOIRE<br />

des cours de français, puis, après la guerre, leur rend visite en<br />

Afrique. Elle en tirera plusieurs livres (comme Des inconnus<br />

chez moi, 1920). À Fréjus sont construites la mosquée Al-Missiri,<br />

pour les soldats musulmans, et la pagode Hông Hiên Tu,<br />

pour les bouddhistes indochinois. Parmi les donateurs qui ont<br />

financé leur construction, on trouve des hôteliers et des restaurateurs,<br />

sans doute en remerciement de l’action décisive de<br />

tirailleurs lors d’un feu de forêt à Valescure, qui a permis de<br />

sauver leurs établissements.<br />

Vous expliquez la crainte constante des autorités<br />

qu’ils ne se retournent contre l’ordre colonial.<br />

Le fossé est flagrant entre les valeurs véhiculées par la<br />

France et la réalité coloniale. À l’école des sous-officiers de Fréjus,<br />

les tirailleurs reçoivent de l’instruction, des cours d’histoire<br />

sur l’Afrique (dans lesquels on leur raconte que l’Hexagone a<br />

apporté la prospérité et la paix…) et un enseignement moral<br />

(où la « liberté » et l’« égalité » ont une place de choix) ! Dès les<br />

années 1930, des tirailleurs commencent<br />

à mettre la France face<br />

à ses contradictions. L’exemple de<br />

Lamine Senghor (1889-1927) est<br />

éloquent : alors qu’il vit en métropole<br />

car il a épousé une Française<br />

(justement rencontrée à Saint-<br />

Raphaël), il va devenir après la<br />

Première Guerre mondiale un<br />

militant communiste et anticolonialiste<br />

et lutter contre la guerre<br />

du Rif. Il meurt prématurément,<br />

hélas, de séquelles du gaz moutarde<br />

inhalé dans les tranchées.<br />

Vous racontez un fait<br />

extrêmement choquant : le<br />

« blanchiment » des libérateurs<br />

en 1944-1945 ! De Gaulle le<br />

justifie dans ses Mémoires<br />

en prétextant des raisons climatiques, peu crédibles…<br />

Ce blanchiment intervient avant même la libération de l’Alsace<br />

en décembre 1944. Au fur et à mesure que l’armée française<br />

monte vers le nord, après le débarquement de Provence<br />

(15 août 1944), on souhaite présenter à la population libérée<br />

des troupes blanches. Des soldats africains, qui ont mené des<br />

campagnes emblématiques sur le continent, comme Bir Hakeim,<br />

doivent se dévêtir de leurs uniformes pour les donner à des<br />

maquisards ! Ils ont vécu extrêmement mal, on le comprend,<br />

cette injustice. Ce manque de respect sera l’une des causes de<br />

la révolte de Thiaroye.<br />

Le fameux massacre de tirailleurs par l’armée<br />

française à Thiaroye, en décembre 1944…<br />

Comment comprendre ce qu’il s’est passé ?<br />

En 1944, les hommes demandent ce qui leur est dû,<br />

leur solde. Il leur est proposé des taux de change inférieurs<br />

« Le bilan exact<br />

du massacre de<br />

Thiaroye ne sera<br />

jamais connu si<br />

l’on n’entreprend<br />

pas de fouilles<br />

archéologiques. »<br />

au marché, ce qui provoque leur colère. Ils retiennent alors<br />

prisonnier le général Dagnan, venu négocier. Les troupes<br />

finissent par ouvrir le feu. On a longtemps parlé de 35 morts,<br />

mais François Hollande a admis en 2014 le chiffre de 70, qui<br />

comptabilise ceux qui sont décédés des suites de leurs blessures.<br />

Selon l’historien Martin Mourre, le bilan exact ne sera jamais<br />

connu si l’on n’entreprend pas de fouilles archéologiques.<br />

Après la Seconde Guerre mondiale, on les retrouve<br />

déployés en Syrie, au Maroc, à Madagascar,<br />

en Indochine, où ils participent à la répression<br />

des indépendantistes… Quelle a été leur image<br />

en Afrique après les indépendances ?<br />

Ils se retrouvent en effet à lutter contre les indépendantistes.<br />

Au Maroc, à Madagascar, la figure du tirailleur sera détestée<br />

pour son absence de solidarité avec les colonisés révoltés. Ils<br />

sont toutefois plus employés en Indochine qu’en Algérie, les<br />

autorités françaises redoutant une solidarité entre musulmans.<br />

À l’indépendance de la Guinée,<br />

en 1958, la population s’en prend<br />

à ces anciens combattants, considérés<br />

comme des collaborateurs.<br />

Certains vont devenir officiers dans<br />

les armées nationales des nouveaux<br />

États indépendants. Sur 14 pays<br />

d’Afrique-Occidentale française<br />

(AOF) et d’Afrique-Équatoriale française<br />

(AEF), pas moins de sept ont<br />

été dirigés par d’anciens tirailleurs :<br />

Moussa Traoré (Mali), Étienne Gnassingbé<br />

Eyadéma (Togo) ou encore<br />

Jean-Bedel Bokassa (République<br />

centrafricaine).<br />

En novembre 2018 à Reims,<br />

les présidents français et malien<br />

ont inauguré la restauration<br />

d’un monument dédié à<br />

ces combattants, qui avait été détruit par les nazis<br />

en 1940. Le sujet de leur mémoire, en France comme<br />

sur le continent, vous paraît-il apaisé aujourd’hui ?<br />

Oui, j’ai le sentiment que l’on a bien avancé sur cette question<br />

: il existe une journée du tirailleur au Sénégal [le 23 août,<br />

en commémoration de cette journée de 1944, où ils entrèrent les<br />

premiers dans Toulon, ndlr]. Dans le sud de la France, où je vis, il<br />

y a un monument sur la plage de Fréjus, un carré réservé dans<br />

le cimetière de Menton… Des films ont été réalisés sur le sujet :<br />

Indigènes (2006), Nos patriotes (2017) – sur le résistant Addi Bâ,<br />

qui a participé à fonder le premier maquis dans les Vosges –, et<br />

Tirailleurs aujourd’hui. Les présidents français Nicolas Sarkozy,<br />

François Hollande, puis Emmanuel Macron ont accompli des<br />

gestes certains pour les réhabiliter. Même s’ils ont évidemment<br />

été tardifs, et qu’ils s’adressaient à des hommes déjà très âgés…<br />

En 2017, Hollande a, par exemple, naturalisé 28 tirailleurs. ■<br />

46 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


DÉCOUVERTE<br />

Comprendre un pays, une ville, une région, une organisation<br />

Le président<br />

Ismaïl Omar<br />

Guelleh.<br />

VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA<br />

DJIBOUTI<br />

45 ANS !<br />

Le pays fête le 27 juin 2022<br />

l’anniversaire de son indépendance.<br />

Une date fortement symbolique.<br />

Retour vers un passé si proche,<br />

aux origines de la nation.<br />

Et voyage vers le futur et<br />

le projet de développement.<br />

DOSSIER RÉALISÉ PAR THIBAUT CABRERA


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

Le chemin<br />

vers la liberté<br />

Le récit national, des premières implantations<br />

sur le golfe de Tadjourah, vers le XVI e siècle,<br />

en passant par la colonisation française,<br />

jusqu’au référendum du 8 mai 1977.<br />

Le territoire de Djibouti a toujours été un carrefour<br />

d’échanges commerciaux. Il est le point de passage<br />

obligé entre l’Asie et l’Afrique, au croisement des<br />

principales routes maritimes mondiales. Situé au sud<br />

du bloc Danakil, un massif montagneux qui délimite la partie<br />

ouest du détroit de Bab el-Mandeb, il est aussi une escale<br />

incontournable pour le ravitaillement des navires. Sur leur<br />

chemin vers l’encens et la myrrhe, les marins de l’Égypte<br />

pharaonique y transitaient. Ces caractéristiques expliquent<br />

pourquoi cette région a toujours été considérée comme<br />

stratégique par les puissances régionales et internationales.<br />

L’histoire qui précède le XIX e siècle reste peu connue.<br />

L’apparition de la ville de Tadjourah aux alentours<br />

du XVI e siècle semble constituer le début d’une activité<br />

permanente dans la région. Située sur le golfe de Tadjourah<br />

au nord de la Corne de l’Afrique, elle est entourée de<br />

territoires arides et désertiques sillonnés par des pasteurs<br />

transhumants qui vivent au rythme des pâturages. Parmi<br />

ces groupes de nomades, deux grandes communautés<br />

y cohabitent pacifiquement : les Issas, une tribu somalie<br />

répartie sur une large zone chevauchant Djibouti, l’Éthiopie<br />

et le Somaliland ; et les Afars, se répartissant en sultanats<br />

sur le même espace. Ces deux communautés partagent une<br />

histoire commune ainsi qu’une même religion, l’islam sunnite.<br />

Sous le contrôle de l’Abyssinie pendant la Renaissance,<br />

l’attractivité de Tadjourah et de son port est décuplée sous<br />

l’effet du commerce de caféine et de la traite négrière.<br />

Les dominations successives des troupes égyptiennes<br />

à la fin du XIX e siècle et des puissances européennes<br />

colonisatrices, notamment la France, vont renforcer le<br />

caractère stratégique de ce territoire, tout en dégradant<br />

progressivement la cohabitation pacifique entre Issas et Afars.<br />

Vue aérienne<br />

du quartier<br />

européen de<br />

la capitale,<br />

prise le<br />

26 décembre<br />

1938.<br />

48 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


AFP<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 49


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

Du premier traité entre le ministre<br />

de Napoléon III Édouard Thouvenel<br />

et le sultanat afar de Tadjourah en 1862,<br />

jusqu’au traité additif avec la chefferie de la<br />

communauté issa en 1917, plusieurs accords<br />

déterminants pour le tracé des futures<br />

frontières sont signés avec la France. Dans<br />

le territoire colonial qui devient la Côte<br />

française des Somalis (CFS) en 1896, celle-ci<br />

construit un port en eaux profondes sur<br />

la rive sud du golfe de Tadjourah, dans le<br />

village de Djibouti. Pour l’administration<br />

française, il sert notamment de port d’escale<br />

vers l’Indochine et Madagascar. Il permet<br />

aussi de rattraper le retard pris sur les autres<br />

puissances coloniales de la région – les<br />

Britanniques contrôlent les ports de Zeila<br />

(actuel Somaliland) et Aden (Yémen), les<br />

Italiens le port d’Assab (Érythrée). En 1917,<br />

l’inauguration du chemin de fer le reliant<br />

à Addis-Abeba fait du port de Djibouti l’un<br />

des débouchés majeurs de l’Éthiopie. Le port<br />

et le chemin de fer sont les actes fondateurs<br />

de la future République de Djibouti.<br />

La longue marche<br />

vers la souveraineté<br />

Sous le joug de la France, les nomades se<br />

sédentarisent progressivement et s’installent<br />

dans les bidonvilles entourant Djibouti-ville,<br />

dont le centre est occupé par les colons et<br />

les militaires français. Le développement<br />

de l’activité portuaire favorise la puissance<br />

coloniale à tel point que le port deviendra,<br />

dans les années 1960, le troisième de France<br />

(derrière Le Havre et Marseille). Cependant,<br />

il n’a aucun impact sur les populations locales<br />

qui vivent en grande partie dans la pauvreté.<br />

L’écaillement des relations entre Issas et<br />

Afars atteint son paroxysme pendant la<br />

présence française. En favorisant tour à tour<br />

une communauté au détriment de l’autre,<br />

l’administration coloniale crée une fracture<br />

entre elles. Les Français nourrissent le conflit<br />

ethnique pour l’utiliser comme arme de<br />

domination. En 1949, des affrontements entre<br />

quartiers populaires provoquent des centaines<br />

de morts. Certaines franges de la population<br />

Des pêcheurs dans le port<br />

de Djibouti, en mai 1977.<br />

En favorisant<br />

tour à tour une<br />

communauté au<br />

détriment d’une<br />

autre, l’administration<br />

coloniale<br />

crée des fractures<br />

profondes<br />

et durables.<br />

JEAN-CLAUDE FRANCOLON/G<strong>AM</strong>MA<br />

50 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Le référendum de mars 1967 donne lieu à des manifestations violemment réprimées par l’armée française.<br />

DR - KEYSTONE PRESS/AL<strong>AM</strong>Y STOCK PHOTO<br />

La population célèbre l’annonce de l’indépendance en mai 1977.<br />

prennent alors conscience du jeu malsain<br />

de l’administration coloniale.<br />

L’élite locale se regroupe alors au sein<br />

d’une organisation bicommunautaire qui<br />

annonce les prémices de la future élite<br />

politique unitaire de Djibouti. Deux hommes<br />

incarnent cette tendance : Hassan Gouled<br />

Aptidon, homme politique issa, et Ahmed<br />

Dini Ahmed, leader de la communauté<br />

afar. Au milieu des années 1950, les figures<br />

politiques locales occupent tous les postes de<br />

représentants du territoire dans les institutions<br />

de la IV e République. Ainsi apparaissent<br />

les premières velléités indépendantistes.<br />

Mahmoud Harbi – premier député autochtone<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 51


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

Ce pays<br />

qui vient de naître,<br />

produit d’une<br />

longue histoire<br />

et d’une diversité<br />

ethnique, paraît<br />

bien fragile.<br />

Une nation<br />

est à construire.<br />

provenant d’une tribu issa à l’Assemblée<br />

nationale française – est aussi le premier à<br />

exprimer le vœu de voir Djibouti indépendant,<br />

tout en prônant un discours pan-somali.<br />

Celui-ci se caractérise par la volonté de<br />

rejoindre le projet de Great Somalia préconisé<br />

par les Britanniques. Cependant, les Afars et la<br />

majorité des Issas redoutent le rapprochement<br />

avec Mogadiscio. Dès lors, le résultat<br />

du premier référendum sur le maintien de<br />

l’administration coloniale en 1958 est clair :<br />

le « Oui » l’emporte largement avec 75 %.<br />

Les désirs d’indépendance grandissants<br />

des Issas, notamment à travers Mahmoud<br />

Harbi, poussent l’administration coloniale<br />

à prendre des décisions qui opposent les<br />

deux communautés historiques. Elle réprime<br />

l’élite politique issa, expulse des milliers de<br />

familles somalies et licencie les travailleurs<br />

du port issus de cette communauté pour<br />

les remplacer par des Afars. Les deux<br />

groupes sombrent dans une haine mutuelle,<br />

mais n’oublient pas leur intérêt commun :<br />

la souveraineté. Cet intérêt est renforcé<br />

par les événements du 25 août 1966, quand<br />

la police coloniale réprime sauvagement la<br />

foule venue manifester son mécontentement<br />

lors de la visite du général de Gaulle,<br />

faisant officiellement 6 morts et 70 blessés.<br />

Le nouveau référendum de mars 1967<br />

voit les élites des deux communautés faire<br />

campagne pour l’indépendance. Mais par<br />

crainte du rattachement à l’empire éthiopien<br />

ou du chaos, les électeurs choisissent le<br />

maintien de l’administration coloniale.<br />

Une majorité approuve néanmoins<br />

le changement de dénomination de la<br />

colonie qui devient le Territoire français<br />

des Afars et des Issas (TFAI).<br />

Un projet commun<br />

Deux groupes aux visions différentes<br />

s’opposent chez les Issas : les premiers veulent<br />

en finir avec la France et prônent la lutte<br />

armée. Ils créent le Front de libération de<br />

la Côte des Somalis (FLCS). Les seconds<br />

craignent d’être annexés par Mogadiscio et<br />

militent pour une indépendance par la voie<br />

pacifique. Il s’agit notamment de l’élite<br />

politique issa et de leur leader, Hassan<br />

Gouled. Ce dernier tente d’apaiser les<br />

tensions interethniques et de rassembler<br />

les deux communautés autour d’un projet<br />

commun devant mener à l’indépendance du<br />

pays. Le binôme qui l’associe avec le leader<br />

afar Ahmed Dini devient le moteur de cette<br />

ambition. En février 1972, ils scellent un pacte<br />

et fusionnent leurs deux partis pour créer la<br />

Ligue populaire africaine (LPA). Trois ans plus<br />

tard, de nouveaux partis politiques rejoignent<br />

la formation, qui est baptisée Ligue populaire<br />

africaine pour l’indépendance (LPAI).<br />

Vive la République !<br />

L’élan indépendantiste s’empare enfin<br />

des populations et dépasse les clivages<br />

ethniques. Les deux leaders de la LPAI sont<br />

rejoints par un jeune partisan qui s’impose<br />

dans la haute hiérarchie du parti : Ismaïl Omar<br />

Guelleh (IOG). Ce proche d’Hassan Gouled est<br />

l’une des figures de la lutte pour l’émancipation<br />

du pays. Chargé des affaires sécuritaires et<br />

de renseignement du parti, il est le directeur<br />

du journal Djibouti aujourd’hui, organe<br />

central de la LPAI. Un nouveau référendum<br />

est organisé le 8 mai 1977. Issas et Afars<br />

votent à l’unisson, le score est sans appel :<br />

les partisans de l’indépendance obtiennent<br />

plus de 99 % des suffrages exprimés. Le<br />

27 juin 1977, la jeune République de Djibouti<br />

est née. Hassan Gouled est élu président,<br />

Ahmed Dini nommé Premier ministre,<br />

et le palais du gouverneur devient palais<br />

présidentiel. Bien qu’uni dans son combat<br />

pour la souveraineté, le peuple djiboutien se<br />

divise aussitôt sur fond d’oppositions tribales.<br />

Produit d’une longue histoire et d’une<br />

diversité ethnique, Djibouti paraît bien<br />

fragile au lendemain de l’indépendance.<br />

Alors que l’exigence de développement est<br />

urgente pour ce nouveau pays très pauvre,<br />

les tensions régionales et la situation au<br />

sein de la jeune République n’aident pas à<br />

consolider l’État. Une nation est à construire. ■<br />

52 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


La paix, seconde<br />

indépendance<br />

Pour engager la lutte pour le développement, il faut tout d’abord créer<br />

les conditions de l’unité intérieure. C’est la mission d’Ismaïl Omar Guelleh,<br />

à partir des années 1990.<br />

DR<br />

En 1977, le président Hassan Gouled, à droite, et son Premier ministre,<br />

Ahmed Dini, à gauche. Au second plan (en chemise blanche),<br />

Idriss Omar Guelleh, le frère aîné d’IOG.<br />

L’indépendance de Djibouti ne s’accomplit<br />

pas dans un esprit de pacification des<br />

esprits. Sept mois après la proclamation<br />

de l’indépendance, le binôme Gouled-<br />

Dini implose. Le second refuse de dénoncer<br />

publiquement les agissements du Mouvement<br />

populaire de libération (MPL), un groupuscule<br />

marxiste-léniniste animé par de jeunes<br />

Afars. Il est limogé de son poste de Premier<br />

ministre, alors qu’Hassan Gouled s’apprête<br />

à vivre un mandat compliqué, rythmé par les<br />

conflits interethniques, l’instabilité régionale<br />

et les besoins immenses en développement.<br />

La Corne de l’Afrique est en proie<br />

à des tensions constantes. Ce qui participe<br />

à la déstabilisation de Djibouti. Les conflits<br />

successifs entre les deux grands voisins,<br />

l’Éthiopie et la Somalie, mettent à mal<br />

la neutralité que s’est imposée la jeune<br />

République et bouleversent son fragile<br />

équilibre. En Éthiopie, la révolution renverse<br />

la monarchie et met fin à l’empire en 1974.<br />

Face à ces convulsions internes, le président<br />

somalien Siad Barré décide d’envahir l’Ogaden,<br />

région de l’est de l’Éthiopie, en 1977. Lorsque<br />

l’armée somalienne occupe Diré Dawa<br />

la même année, elle empêche le trafic du<br />

chemin de fer relié au port, coupant ainsi<br />

une grande partie des revenus de l’État<br />

djiboutien. En effet, le port de Djibouti,<br />

principale source de revenus du pays, a pour<br />

unique client l’Éthiopie. En 1991, la Somalie<br />

s’effondre à la suite du renversement<br />

de son président. Les conséquences pour<br />

Djibouti sont avant tout humaines : les<br />

réfugiés représentent désormais le quart de<br />

la population, soit environ 200000 personnes.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 53


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

Guerre civile,<br />

tensions régionales,<br />

pauvreté persistante<br />

marquent les<br />

premières années.<br />

Il faut d’urgence<br />

rétablir l’unité<br />

pour enclencher<br />

un cercle vertueux.<br />

Car les Somaliens en exil rejoignent<br />

une population d’expatriés yéménites<br />

qui, à la suite du conflit inter-yéménite<br />

en 1979, a trouvé refuge à Djibouti.<br />

Sur le plan interne, la situation du pays<br />

devient irrespirable. Créé en 1991 par<br />

Mohamed Adoyta Youssouf et dirigé par<br />

l’ancien Premier ministre Ahmed Dini, le Front<br />

pour la restauration de l’unité et la démocratie<br />

(FRUD) prend les armes contre la République.<br />

L’offensive lancée le 12 novembre 1991<br />

inflige des pertes considérables à la modeste<br />

armée nationale (2 500 hommes, soutenus<br />

par la milice afar Ougougoumo, composée<br />

de 18 000 hommes). Une guerre civile<br />

longue de près de dix ans débute. Ses effets<br />

sont catastrophiques pour le jeune État,<br />

qui voit le chômage s’aggraver, l’extrême<br />

pauvreté se généraliser et les perspectives de<br />

développement s’éloigner. L’avancée du FRUD<br />

coupe le pays en deux, et la défense représente<br />

plus de la moitié de son budget. La dernière<br />

décennie du XX e siècle est éprouvante pour<br />

le président Hassan Gouled et pour son<br />

pays. Malgré l’apport de fonds saoudiens et<br />

koweïtiens, l’économie locale reste très fragile.<br />

La situation géopolitique incertaine et les<br />

tensions ethniques exacerbées font de l’élection<br />

présidentielle d’avril 1999 un enjeu de taille.<br />

L’apaisement<br />

Au sein du clan d’Hassan Gouled,<br />

un homme se démarque : Ismaïl Omar<br />

Guelleh. Ancien policier et inspecteur<br />

adjoint de la sûreté du territoire sous<br />

l’autorité française, IOG s’engage auprès de<br />

la LPAI d’Hassan Gouled après sa radiation<br />

de la police, en 1974 – l’administration<br />

coloniale n’appréciant guère l’activisme<br />

indépendantiste de sa famille. Lorsqu’il<br />

prend la direction de la rédaction de l’organe<br />

central de la LPAI, Djibouti aujourd’hui,<br />

IOG s’approprie une place fondamentale.<br />

Grâce à ses compétences dans la sécurité, le<br />

renseignement et la communication, il devient<br />

rapidement indispensable au président, qu’il<br />

accompagne à Paris lors des négociations<br />

pour l’indépendance. Nommé chef de cabinet,<br />

chargé de la sécurité et de la communication,<br />

il gère des dossiers complexes et épineux.<br />

Notamment celui de la rébellion afar aux côtés<br />

du Premier ministre Barkat Gourad Hamadou.<br />

Ils réussissent à inverser le rapport de force<br />

dans ce conflit à partir de 1993. Cependant,<br />

les revers militaires subis par le FRUD ne<br />

tendent pas à renforcer la cohésion nationale.<br />

Au contraire, un conflit larvé pourrait avoir des<br />

conséquences irréversibles sur la coexistence<br />

communautaire. Pour IOG et le Premier<br />

ministre, il faut négocier avec les rebelles, les<br />

convaincre de déposer les armes.<br />

Dans la plus grande discrétion, le duo<br />

entame de longues discussions avec Ougoureh<br />

Kifleh Ahmed, chef de l’aile militaire du<br />

FRUD. La proposition finale, à l’initiative<br />

d’IOG, va dans le sens de l’apaisement et de<br />

la pacification. Elle a pour but de transformer<br />

la rébellion en parti politique et d’associer ses<br />

dirigeants à la gestion des affaires publiques.<br />

Cette manœuvre a un double objectif :<br />

permettre au FRUD de sortir la tête haute du<br />

conflit, et l’empêcher de spéculer sur la chute<br />

du régime en place. Le 26 décembre 1994,<br />

le gouvernement et le FRUD signent l’accord<br />

de paix d’Aba’a. Accompagnée d’une centaine<br />

d’hommes, une partie de la direction politique<br />

du FRUD, dont Ahmed Dini, décide de<br />

poursuivre la lutte à travers le FRUD-armé.<br />

Mais l’impact de ce dernier sur l’opinion<br />

nationale est relativement faible.<br />

En 1998, Hassan Gouled, dont l’âge<br />

officiel est de 82 ans, est diminué par<br />

la maladie. Il est persuadé que son chef de<br />

cabinet a l’étoffe d’un président. Il décide<br />

de se retirer et de laisser le champ libre à<br />

Ismaïl Omar Guelleh, qui est investi par le<br />

Rassemblement populaire pour le progrès<br />

(RPP) dans le cadre de l’élection présidentielle<br />

d’avril 1999. Issu des Mamassans, un clan<br />

de la tribu Eleye’ chez les Issas, IOG succède<br />

au père de la nation en obtenant près de 75 %<br />

des suffrages. Président de la République, il<br />

se concentre sur sa première mission : aboutir<br />

à une paix véritable, condition indispensable<br />

pour le développement. En négociant un<br />

54 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


ALEXANDER JOE/AFP<br />

Ismaïl Omar Guelleh<br />

dépose son bulletin dans<br />

l’urne, le jour de son<br />

élection, le 9 avril 1999.<br />

Ahmed Dini<br />

abandonne<br />

la lutte armée<br />

en février 2001.<br />

Le multipartisme<br />

est instauré<br />

l’année suivante.<br />

Le pays peut<br />

se tourner alors<br />

vers une politique<br />

ambitieuse de<br />

développement.<br />

nouvel accord avec Ahmed Dini, qui signe<br />

l’abandon de la lutte armée en février 2001,<br />

le président IOG concrétise son engagement :<br />

« La paix d’abord. »<br />

Au sortir de la guerre civile, en 2001,<br />

Djibouti est un pays pauvre, dont 75 % de<br />

la population active est au chômage. Les<br />

salaires de la fonction publique comptent six<br />

mois d’arriérés, et 60 % du budget de l’État<br />

dépend de l’aide internationale. Vingt ans<br />

plus tard, c’est devenu un pays émergent doté<br />

d’une infrastructure logistique et portuaire<br />

de pointe. L’émergence économique du pays<br />

est le résultat de la stratégie d’IOG, qui a fait<br />

de l’unité nationale et de la paix intérieure<br />

la base du projet national de développement.<br />

Le président va inventer un modèle djiboutien,<br />

qui se traduit rapidement par des actions<br />

sur les plans économique et diplomatique. En<br />

2002, il abroge une limitation constitutionnelle,<br />

instaurant le multipartisme intégral et faisant du<br />

pluralisme politique une réalité. En nommant<br />

une femme dans son premier gouvernement,<br />

en réformant la loi électorale, qui impose<br />

désormais une présence féminine dans les listes<br />

législatives, il adopte une vision progressiste<br />

pour améliorer le statut des femmes. Et<br />

poursuit cette démarche en faisant voter,<br />

en janvier 2002, la Stratégie nationale pour<br />

l’intégration de la femme (SNIF), qui impose<br />

un quota dans les fonctions électives. Grâce<br />

à plusieurs réformes, IOG réussit à améliorer<br />

la compétitivité du pays, et les investissements<br />

directs à l’étranger (IDE) passent de 5 millions<br />

de dollars en 2000 à 234 millions en 2005.<br />

Les bienfaits de la stratégie de développement<br />

économique commencent à porter leurs fruits<br />

lors de son deuxième mandat (2005-2011), avec<br />

une croissance se situant entre 4,5 % et 5 %.<br />

Avec son projet de développement Vision 2035,<br />

IOG mène le pays vers une croissance durable<br />

et inclusive. L’activité logistique et portuaire<br />

se développe, et Djibouti devient un hub<br />

régional. Le travail autour des infrastructures<br />

portuaires est immense. La mise sur pied du<br />

terminal pétrolier Horizon, en 2006, est suivie<br />

de l’ouverture du terminal à conteneurs de<br />

Doraleh, en 2008. En 2017, trois nouveaux<br />

terminaux sont inaugurés : deux terminaux<br />

minéraliers et le port polyvalent de<br />

Doraleh (DMP), symbole de croissance<br />

et de développement.<br />

Sur le plan international, la politique<br />

menée par IOG marque une rupture avec<br />

la neutralité passive de son prédécesseur.<br />

Il adopte une position de neutralité active,<br />

cherchant à garantir la stabilité et la sécurité<br />

du pays ainsi que son indépendance d’action.<br />

De par sa position géostratégique, Djibouti<br />

maintient l’équilibre entre les grandes<br />

puissances régionales, en proie à une<br />

instabilité chronique depuis la seconde moitié<br />

du XX e siècle. Le chef de l’État participe à<br />

d’importantes médiations internationales. En<br />

janvier 2000, IOG réunit les différentes parties<br />

en conflit en Somalie. À huis clos, pendant<br />

huit mois, d’intenses négociations débouchent<br />

sur la conférence de paix d’Arta et sur l’élection<br />

d’un président et d’un gouvernement de<br />

transition, en août 2000. Dans le cadre de<br />

sa diplomatie militaire, Djibouti accueille<br />

également différentes bases étrangères sur<br />

son territoire. En 2017, la Chine y inaugure sa<br />

première base logistique militaire à l’étranger.<br />

Depuis 2018, elle dispose également d’une base<br />

militaire navale à Doraleh. Elle a ainsi rejoint<br />

la France, les États-Unis ou encore l’Italie dans<br />

la liste des puissances étrangères disposant de<br />

contingents à Djibouti. L’action diplomatique<br />

menée par IOG et son gouvernement ont fait<br />

du pays un interlocuteur privilégié auquel on<br />

reconnaît le rôle de médiateur de conflits.<br />

Dépourvu de richesses naturelles<br />

et économiquement dévasté au début du<br />

XX e siècle, Djibouti a su tirer parti de sa<br />

situation géostratégique pour concrétiser<br />

son ambition de développement. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 55


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

D’hier<br />

à maintenant :<br />

les 10 chiffres<br />

Le pays connaît une croissance soutenue depuis deux décennies.<br />

En pariant sur sa position géographique. Et en s’imposant progressivement<br />

comme un hub portuaire et logistique incontournable.<br />

À<br />

partir du début des<br />

années 2000, avec l’arrivée<br />

récente au pouvoir<br />

d’Ismaïl Omar Guelleh,<br />

en 1999, le pays entre dans une<br />

ère de développement soutenu. La<br />

transformation est manifeste et touche<br />

tous les secteurs, des infrastructures<br />

au logement, de l’éducation à la santé.<br />

Le processus d’émergence s’appuie sur<br />

la position géostratégique du pays.<br />

Après avoir acté et ancré la paix dans<br />

les esprits, le développement d’un<br />

hub portuaire et logistique et des<br />

services associés est devenu prioritaire.<br />

À la création de deux terminaux<br />

pétroliers dans la première décennie du<br />

XXI e siècle (terminal pétrolier Horizon,<br />

en 2004, terminal à conteneurs de<br />

Doraleh, en 2008), s’ajoute la création<br />

d’une nouvelle ligne de chemin de<br />

fer, entamée en 2013 et inaugurée<br />

début 2017. Cette dernière fluidifie<br />

et densifie la connectivité avec le<br />

voisin éthiopien. Avec la Djibouti<br />

International Free Trade Zone<br />

(DIFTZ), lancée en mars 2016, le<br />

pays devrait bénéficier également<br />

de la plus grande zone franche<br />

d’Afrique. En 2017, la création de<br />

trois nouveaux terminaux, notamment<br />

le port polyvalent de Doraleh, est<br />

annoncée. L’année suivante, le<br />

terminal de Doraleh, désormais<br />

appelé Société de gestion du terminal<br />

à conteneurs de Doraleh (SGTD), voit<br />

sa performance nettement s’améliorer<br />

à la suite de sa nationalisation. Tout<br />

cela a pour conséquence d’accroître<br />

l’attrait des investisseurs, qui peuvent<br />

également compter sur l’ambition<br />

numérique du pays. Depuis 1999,<br />

les conditions de vie de la population<br />

se sont substantiellement améliorées.<br />

Explications en 10 chiffres.<br />

3,384 MILLIARDS<br />

DE DOLLARS<br />

PIB en 2020<br />

DEPUIS DEUX DÉCENNIES, la<br />

croissance de Djibouti est spectaculaire.<br />

Entre 1999 et 2012, le PIB a presque<br />

triplé, passant de 536 millions de<br />

dollars à 1,35 milliard de dollars.<br />

Sur les huit années qui ont suivi,<br />

l’indicateur a été multiplié par 2,5.<br />

Comme toutes les économies<br />

mondiales, le pays a souffert de la<br />

crise due à la pandémie de Covid-19.<br />

Cependant, la croissance est restée<br />

positive en 2020 (0,5 %), et les<br />

perspectives économiques à moyen<br />

terme le sont également (5,5 %<br />

attendus en 2022 et 6,2 % en 2023).<br />

3 425 DOLLARS<br />

PIB par habitant<br />

en 2020<br />

EN 1999, LA POPULATION était<br />

estimée à 700 000. En 2021, elle a<br />

atteint 1 million. Dans le même temps,<br />

le PIB par habitant a enregistré une<br />

hausse considérable de plus de 350 %,<br />

passant de 757 dollars à 3 425 dollars.<br />

Djibouti se place ainsi dans la première<br />

moitié des nations africaines comptant<br />

le plus haut PIB par habitant. Une<br />

performance notable pour un pays<br />

dénué de ressources naturelles et<br />

dont la situation économique à son<br />

indépendance était extrêmement<br />

précaire. Il reste dorénavant à relever<br />

le défi d’une croissance plus inclusive.<br />

56 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


10,4<br />

MILLIONS DE TONNES<br />

Quantité de marchandises<br />

traitées par le port en 2019<br />

AVEC LE DÉVELOPPEMENT de son<br />

port, le pays a réussi à tirer le meilleur<br />

parti de sa position géostratégique. Il est<br />

devenu un hub logistique et portuaire<br />

dont l’activité ne cesse de croître. Djibouti<br />

est le premier port à conteneurs d’Afrique<br />

en matière d’efficacité technique, selon<br />

le Container Port Performance Index,<br />

publié par la Banque mondiale et IHS<br />

Markit. Le volume de marchandises<br />

traité est passé de 3,78 millions de<br />

tonnes en 1999 à plus de 10 millions<br />

en 2019. Il est ainsi le principal débouché<br />

maritime de l’Éthiopie. Une grande<br />

partie de ce volume est donc consacrée<br />

au commerce extérieur de cette dernière.<br />

Situé sur l’une des voies maritimes les<br />

plus empruntées de la planète, Djibouti<br />

a également développé ses capacités de<br />

transbordements vers l’Afrique de l’Est<br />

au sud, et vers le canal de Suez au nord.<br />

VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA<br />

69 COLLÈGES<br />

ET 35 LYCÉES<br />

Nombre d’établissements<br />

secondaires en 2019<br />

LE PAYS CONSACRE près de 20 %<br />

de ses dépenses courantes à des<br />

secteurs considérés prioritaires :<br />

l’éducation et la formation<br />

professionnelle. En 1999, Djibouti<br />

ne comptait que quatre collèges et<br />

deux lycées… Et entre 1999 et 2019,<br />

le nombre d’écoles primaires est passé<br />

de 67 à 194. Ces efforts ont permis<br />

au pays d’améliorer le maillage du<br />

territoire et d’adopter une approche<br />

plus inclusive de l’éducation.<br />

Les capacités<br />

conteneurs du port<br />

de Doraleh, un atout<br />

considérable.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

Le logement, une autre priorité de l’État.<br />

6 000<br />

Unités de logement<br />

construites<br />

entre 1999 et 2019<br />

10 750<br />

Nombre d’étudiants<br />

en 2019<br />

AU DÉBUT DU XXI E SIÈCLE, la vie<br />

universitaire n’existait pas à Djibouti.<br />

En 2000, IOG lance la création<br />

du premier pôle d’enseignement<br />

supérieur du pays, qui accueille<br />

un nombre modeste d’étudiants.<br />

Transformé en université (l’université<br />

de Djibouti) en 2006, le campus<br />

accueille chaque année de plus en<br />

plus de jeunes répartis sur 40 filières<br />

de formations supérieures.<br />

Cérémonie d’inauguration du campus<br />

de l’université de Djibouti, en février 2018.<br />

67 ANS<br />

Espérance de vie en 2020<br />

ENTRE 1999 ET 2020, l’espérance<br />

de vie d’un Djiboutien à la naissance<br />

a augmenté de 10 ans, passant<br />

de 57 à 67 ans. Dans le même<br />

temps, l’espérance de vie mondiale<br />

est passée de 67 à 73 ans. Cette<br />

hausse considérable est notamment<br />

due à la baisse de la mortalité<br />

infantile, qui a été divisée par<br />

deux pendant cette période.<br />

À L’ÉCHELLE d’un pays comme<br />

Djibouti, cela équivaut à la construction<br />

de quatre nouvelles villes. Parmi<br />

les logements bâtis, on compte<br />

5 000 logements sociaux réalisés par<br />

l’État et destinés aux foyers à faible<br />

et moyen revenus. En parallèle,<br />

celui-ci souhaite assurer, à travers<br />

le Programme zéro bidonville, la<br />

mise à niveau des quartiers précaires<br />

de la capitale. 33,7 millions de<br />

dollars y ont déjà été alloués.<br />

605 MÉGAWATTS<br />

Quantité d’électricité<br />

produite en 2019<br />

EN DEUX DÉCENNIES, la production<br />

d’électricité a triplé, passant de 192 MW<br />

en 1999 à 605 MW en 2019. Cette<br />

hausse répond à une demande en<br />

énergie toujours plus grande. L’accès<br />

PATRICK ROBERT (2)<br />

58 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


à l’électricité a nettement augmenté,<br />

comme l’attestent les chiffres des<br />

abonnés d’Électricité de Djibouti<br />

(environ 27 000 en 1999, contre<br />

plus de 65 000 en 2019). L’entrée en<br />

production des unités industrielles du<br />

projet Damerjog, à la mi-2020, réclame<br />

1 000 mégawatts supplémentaires.<br />

Un chiffre qui pourrait être comblé<br />

par le potentiel géothermique du pays.<br />

La ligne reliant Addis-Abeba à Djibouti<br />

atteint les 120 km/h.<br />

21,1 MILLIONS DE M 3<br />

Quantité d’eau<br />

produite en 2019<br />

LA PRODUCTION D’EAU a également<br />

augmenté dans le pays, où les villages<br />

et les lieux isolés sont désormais mieux<br />

desservis. C’est notamment dû au<br />

système de citernes et de fontaines<br />

publiques. En 2017, l’inauguration<br />

d’un aqueduc transfrontalier depuis<br />

l’Éthiopie a permis de couvrir plus<br />

de territoire. Les pertes d’eau sur<br />

le réseau sont passées de 42,3 %<br />

en 1999 à 26 % en 2019, ce qui<br />

a également aidé à compenser<br />

l’augmentation de la consommation,<br />

ayant doublé en vingt ans.<br />

PATRICK ROBERT<br />

756 KILOMÈTRES<br />

Longueur de la ligne<br />

Addis-Abeba-Djibouti<br />

LA LIGNE LA PLUS RAPIDE de<br />

l’histoire ferroviaire du pays a<br />

été inaugurée côté djiboutien en<br />

janvier 2017. Atteignant 120 km/h,<br />

elle a réduit de 7 heures le trajet<br />

jusqu’à Addis-Abeba. Cette ligne<br />

reliant les deux capitales est un<br />

symbole de l’intégration régionale<br />

et de la complémentarité des deux<br />

économies. L’énorme projet a mobilisé<br />

des investissements de l’ordre de<br />

4 milliards de dollars au total. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 59


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

Les enjeux<br />

de demain<br />

Djibouti entre dans la seconde phase de son projet de croissance,<br />

en s’appuyant sur sa stratégie de long terme, la Vision 2035.<br />

Objectifs : accentuer la compétitivité, s’adapter aux données<br />

du développement durable et favoriser l’inclusivité.<br />

PATRICK ROBERT<br />

60 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Le terminal<br />

pétrolier de Doraleh,<br />

une extension<br />

du port international<br />

de Djibouti.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 61


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

La première phase de la Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ) a été inaugurée en juillet 2018.<br />

Avec plus de 30000 navires<br />

l’empruntant chaque année,<br />

la voie maritime reliant le détroit<br />

de Bab el-Mandeb au canal<br />

de Suez est l’une des routes commerciales<br />

les plus fréquentées au monde. L’éclosion<br />

successive de cinq terminaux entre 2004<br />

et 2017 à Djibouti n’est pas due au hasard. IOG<br />

a perçu l’immense opportunité qui découlait<br />

de la position géostratégique de son pays,<br />

et la nécessité de le doter d’un hub portuaire.<br />

Rapidement, ces infrastructures se sont<br />

avérées rentables : le terminal à conteneurs<br />

de Doraleh, créé en 2006, dont le coût de<br />

réalisation s’élevait à 397 millions de dollars,<br />

a été remboursé en seulement huit ans. 2017<br />

est l’année des 40 ans de l’indépendance<br />

de la République. C’est également l’année<br />

choisie par IOG pour entrer dans une phase<br />

de diversification de l’offre portuaire, avec la<br />

construction de deux terminaux minéraliers<br />

et d’un port polyvalent. Le port autonome<br />

de Ghoubet est utilisé dans le cadre de<br />

l’exportation du sel du lac Assal, ressource<br />

quasi inépuisable. Le port de Tadjourah<br />

est prolongé d’un corridor permettant de<br />

mieux desservir l’Éthiopie, principalement<br />

en charbon, en acier et en gaz liquide. Enfin,<br />

le port polyvalent de Doraleh offre des<br />

capacités de stockage importantes et regroupe<br />

des installations à la pointe de la modernité.<br />

À travers son complexe portuaire, Djibouti<br />

fait preuve d’innovation et de modernité.<br />

En mai 2022, le Djibouti Port Community<br />

Systems a été reconnu comme l’une des<br />

solutions numériques portuaires les plus<br />

PATRICK ROBERT - VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE<br />

62 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Le système<br />

portuaire<br />

a été reconnu<br />

comme offrant une<br />

véritable expertise<br />

numérique et<br />

logistique par la<br />

Banque mondiale.<br />

Le complexe pétrolier<br />

de Doraleh a notamment<br />

la possibilité d’accueillir<br />

des navires ayant un tirant<br />

d’eau de 20 mètres.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 63


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

performantes au monde par la Banque<br />

mondiale. À cette offre s’ajoute la Djibouti<br />

International Free Trade Zone (DIFTZ), qui<br />

tend à devenir la plus grande zone franche<br />

d’Afrique, et dont la première phase a été<br />

inaugurée en juillet 2018. Le complexe<br />

apparaît comme le premier jalon de la Zone de<br />

libre-échange continentale africaine (Zeclaf).<br />

Les efforts consentis dans le<br />

développement des infrastructures portuaires<br />

entrent dans le cadre de la Vision 2035,<br />

du président IOG. Djibouti ne doit pas juste<br />

être un point de transit de marchandises.<br />

Sa stabilité, son poids dans le commerce<br />

maritime mondial et ses performances<br />

économiques peuvent en faire un pays<br />

émergent. C’est l’objectif d’IOG, qui souhaite<br />

le voir devenir « la Singapour de l’Afrique »,<br />

un carrefour incontournable du commerce<br />

et des services. Pour cela, les infrastructures<br />

et la productivité sont au cœur de sa<br />

conception. Deux immenses projets sont<br />

en cours de réalisation : le réaménagement<br />

du port historique en quartier d’affaires et<br />

l’expansion des ports et des zones franches,<br />

le Djibouti Damerjog Industrial Development.<br />

La première phase de ce dernier a<br />

démarré en septembre 2020, et son coût<br />

atteindra 3,8 milliards de dollars. Il consiste<br />

en la conception d’un parc de 30 km 2 ,<br />

dont les deux tiers sont gagnés sur la<br />

mer. Réalisé sur une période de quinze<br />

ans (2020-2035), le parc accueillera deux<br />

raffineries, la jetée du terminal pétrolier<br />

et les premières unités d’industries lourdes<br />

du pays telles qu’une cimenterie et une usine<br />

de dessalement d’eau de mer. Un chantier<br />

de réparation navale devrait également<br />

être livré en 2023. En parallèle de ce projet<br />

à dimension locale, le réaménagement<br />

du port historique est d’une ampleur<br />

plus internationale, en se consacrant<br />

notamment à l’innovation, à la fintech et<br />

aux télécoms. La réalisation de ces objectifs<br />

devrait permettre d’atteindre une ambition<br />

cruciale : la création de 200 000 emplois,<br />

pour ramener le taux de chômage à 10 %<br />

de la population active, contre 45 % en 2019.<br />

DR<br />

64 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Le projet de la zone<br />

industrielle de Damerjog,<br />

situé à 30 km au sud-est<br />

de la capitale.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 65


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

La Salaam Tower,<br />

siège de la Salaam<br />

African Bank.<br />

Les<br />

investisseurs<br />

bénéfi cient<br />

d’un cadre fi nancier<br />

stable, avec en<br />

particulier une<br />

monnaie librement<br />

convertible dont<br />

la parité avec le<br />

dollar est garantie.<br />

Un hub à quatre dimensions<br />

Depuis le début du XXI e siècle, Djibouti<br />

s’inscrit dans une logique de libéralisation<br />

de l’économie. En créant un cadre financier<br />

attractif et en assainissant le climat des<br />

affaires, IOG souhaite que le pays soit<br />

davantage ciblé par les investisseurs. La<br />

stabilité monétaire est l’un des réels atouts<br />

du pays : le franc Djibouti (DJF) bénéficie<br />

d’une libre convertibilité et d’une parité<br />

fixe avec le dollar (USD). En effet, la<br />

convertibilité en devises est sans limite,<br />

et, depuis l’indépendance, le taux de<br />

change avec le dollar est resté inchangé<br />

(1 USD = 177,721 DJF). Le pays cherche<br />

à devenir une place financière régionale<br />

reconnue. Les efforts du gouvernement<br />

et de la Banque centrale de Djibouti ont<br />

renforcé sa crédibilité. Deux des plus grandes<br />

banques chinoises s’y sont installées, Exim<br />

Bank of China et Silkroad International<br />

Bank. Un chantier de modernisation de<br />

l’infrastructure financière nationale a été lancé,<br />

soutenu par la Banque mondiale. Avec l’arrivée<br />

de la dématérialisation des transactions et<br />

de l’automatisation des services, Djibouti veut<br />

favoriser le développement de la fintech. La<br />

création du business district a pour vocation<br />

d’en devenir le pôle principal et de bénéficier<br />

à toute la région, en particulier à la Somalie.<br />

Grâce au développement d’une<br />

infrastructure numérique nationale, le pays<br />

répond au besoin de modernité, malgré<br />

un marché intérieur restreint. L’opérateur<br />

public, Djibouti Télécom, est leader sur le<br />

marché régional. En se dotant du centre<br />

de données le plus performant de la Corne<br />

de l’Afrique, celui-ci a attiré l’attention des<br />

grandes entreprises du numérique. L’annonce<br />

de sa privatisation partielle, en 2021, s’inscrit<br />

dans un plan de modernisation de l’économie<br />

nationale. Ce processus intervient alors<br />

que l’opérateur a les capacités de connecter<br />

VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA<br />

66 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Des techniciens travaillant sur une<br />

antenne relais de Djibouti Télécom,<br />

leader sur le marché régional.<br />

VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 67


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

Un parc éolien, dont la capacité<br />

sera de 60 MW, verra bientôt<br />

le jour à Ghoubet.<br />

la sous-région et le continent. Djibouti mise<br />

sur sa position centrale dans les systèmes de<br />

télécommunications mondiaux en investissant<br />

dans ses stations d’atterrissage. Neuf câbles<br />

sous-marins reliant trois continents y passent.<br />

Plus de 150 millions de dollars ont été investis<br />

dans cette couche physique indispensable<br />

pour la transmission des données. En<br />

février 2020, l’atterrissement du Djibouti<br />

Africa Régional Express (DARE1) a permis<br />

de relier les deux plus grands points d’accès<br />

télécoms de la région : Djibouti et Mombasa<br />

(Kenya). Ce projet est le fruit d’un travail<br />

avec l’opérateur national, qui a financé<br />

65 des 80 millions de dollars de ce câble<br />

de plus de 5 000 kilomètres. D’ici à 2024,<br />

Djibouti sera l’un des points d’atterrissage<br />

du câble sous-marin le plus long du monde.<br />

Avec 135 jours d’ensoleillement par an, le pays investit dans le photovoltaïque.<br />

SHUTTERSTOCK (2)<br />

68 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


AL<strong>AM</strong>Y STOCK PHOTO<br />

En effet, en mai, le pays a conclu un accord<br />

avec Meta (anciennement Facebook)<br />

pour héberger le câble 2Africa, reliant<br />

l’Afrique, l’Asie et l’Europe, d’une longueur<br />

de 45 000 kilomètres. L’attitude proactive<br />

de l’État dans le secteur et le dynamisme<br />

de son opérateur principal œuvrent à<br />

révolutionner la connectivité africaine.<br />

Un futur durable<br />

La densité du développement djiboutien<br />

s’accompagne de nouveaux besoins<br />

énergétiques. Selon les estimations, plus de<br />

1 000 mégawatts (MW) seront nécessaires<br />

d’ici à 2024 pour mener à bien les grands<br />

projets industriels. L’offre actuelle, d’environ<br />

605 MW, est insuffisante, d’autant que le pays<br />

est de plus en plus énergivore. Pour combler<br />

ce manque, le président IOG souhaite couvrir<br />

85 % de ses besoins énergétiques avec les<br />

énergies renouvelables. Bien que le pays soit<br />

dénué de ressources naturelles, ses sols arides<br />

offrent un immense potentiel géothermique.<br />

La production de cette source inépuisable<br />

d’énergie pourrait atteindre plus de 1 000 MW<br />

d’ici à 2024. Un financement de la Banque<br />

mondiale, à hauteur de 6 millions de dollars<br />

(sur un coût total de 31 millions), a permis<br />

d’enclencher les premiers forages. Djibouti<br />

recourt également aux énergies éolienne et<br />

solaire, conforté par un ensoleillement de<br />

135 jours par an. Deux projets matérialiseront<br />

ses avancées dans ces domaines : la<br />

construction de la centrale solaire de Grand<br />

Bara, sur la base d’un partenariat public-privé<br />

avec le groupe français Engie ; ainsi<br />

Le territoire regorge<br />

d’extraordinaires sites<br />

naturels. comme la banquise<br />

de sel du lac Assal.<br />

Les énergies<br />

propres,<br />

le tourisme<br />

responsable,<br />

les infrastructures<br />

vertes constituent<br />

les axes prioritaires<br />

du projet de<br />

développement<br />

durable.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 69


DÉCOUVERTE/Djibouti<br />

que le projet de parc éolien de Ghoubet,<br />

dont la capacité sera de 60 MW.<br />

De la banquise de sel du lac Assal<br />

aux cheminées de calcaire dans le lac<br />

Abbé en passant par la forêt millénaire<br />

du Day, Djibouti regorge d’extraordinaires<br />

sites naturels. Situé au nord-ouest,<br />

Abourma, l’un des plus importants sites<br />

d’art rupestre d’Afrique de l’Est, illustre<br />

l’étendue du patrimoine archéologique<br />

et culturel du pays. On peut y apercevoir<br />

des gravures datant du paléolithique.<br />

Le tourisme responsable<br />

Face à la richesse environnementale<br />

du territoire, IOG a fait de la durabilité<br />

l’une des composantes de la Vision 2035.<br />

Cela se caractérise d’abord par la promotion<br />

du tourisme responsable, au cœur duquel la<br />

préservation des sites naturels est prioritaire.<br />

Les projets d’urbanisme durable entamés<br />

dans la capitale vont aussi dans ce sens. Au<br />

cœur du business district, le pays a entamé la<br />

construction d’un immense océanorium, dont<br />

les besoins énergétiques seront majoritairement<br />

produits par des capteurs solaires installés sur<br />

sa toiture. Avec une cinquantaine d’aquariums,<br />

il mettra en avant toute la richesse des<br />

fonds marins de Djibouti. Enfin, de par son<br />

climat et sa position proche de l’Équateur, les<br />

conséquences du changement climatique sont<br />

importantes dans le pays. Les inondations<br />

et les épisodes de sécheresse étant de plus<br />

en plus fréquents, celui-ci a décidé d’investir<br />

dans des moyens innovants pour s’adapter<br />

à ces phénomènes. Les autorités associent les<br />

infrastructures « vertes », inspirées de systèmes<br />

naturels, aux infrastructures « grises »,<br />

comme les digues, pour s’assurer de l’impact<br />

positif sur l’environnement à long terme. À<br />

Tadjourah, une digue de 2 kilomètres a ainsi<br />

été construite pour protéger des inondations.<br />

En entrant dans une phase de<br />

développement soutenue, Djibouti souhaite<br />

renforcer son statut de hub à quatre<br />

dimensions : logistique, commerciale,<br />

numérique et financière. ■<br />

70 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Les amateurs de plongée sont comblés par les fonds<br />

marins, réputés pour leur richesse et leur beauté.<br />

DR (3)<br />

Le luxueux hôtel Kempinski<br />

offre une vue unique sur<br />

le golfe de Tadjourah.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 71


portfolio<br />

L’ODYSSÉE<br />

DES ROIS<br />

DE NAPATA<br />

Venus de Nubie,<br />

au viii e siècle avant notre ère,<br />

ils conquirent l’Égypte<br />

des pharaons et fondèrent<br />

ainsi la 25 e dynastie.<br />

Un moment de l’histoire<br />

peu connu, une étonnante<br />

rencontre entre deux<br />

cultures qui fait l’objet<br />

d’une exposition majeure<br />

au musée du Louvre, à Paris.<br />

par Alexine Jelkic<br />

CHRISTIAN DÉC<strong>AM</strong>PS/MUSÉE DU LOUVRE<br />

72 AFRIQUE MAGAZINE A I <strong>429</strong><br />

– JUIN 2022<br />

22<br />

2


C’est l’une des expositions phénomènes de<br />

l’année. Et de l’égyptologie contemporaine.<br />

Depuis le 28 avril jusqu’au 25 juillet,<br />

le musée du Louvre nous entraîne à<br />

l’époque où l’Égypte antique fut conquise<br />

puis gouvernée par des « pharaons<br />

noirs », venus du royaume de Koush<br />

(également appelé royaume de Napata ou<br />

Nubie à cette période), situé dans le nord de l’actuel Soudan.<br />

C’est l’histoire de la 25 e dynastie, dont les terres s’étendaient du<br />

Nil Blanc et du Nil Bleu jusqu’au delta du fleuve. Une épopée<br />

courte, d’à peine cinquante ans, entre 712 et 663 avant J.-C.,<br />

mais particulièrement florissante sur les plans culturel et artistique.<br />

Et surtout méconnue. L’exposition met en lumière toute<br />

la richesse des cultures nubiennes et du royaume de Napata, ses<br />

liens avec l’Égypte, à travers les fusions de leurs traditions et de<br />

leur culture. Une manière de redécouvrir l’africanité de l’Égypte<br />

et la grande histoire des peuples au sud du Nil.<br />

La Nubie est conquise par l’Égypte dès le XV e siècle<br />

avant notre ère. Le pouvoir des pharaons, militaire,<br />

économique, culturel et religieux, façonne ces nouvelles<br />

provinces du Sud. Mais au VIII e siècle avant<br />

J.-C., la grande Égypte, celle des Ramsès, des<br />

LE ROI TAHARQA<br />

ET LE FAUCON HÉMEN<br />

25 E DYNASTIE, MUSÉE DU LOUVRE<br />

En position d’offrande,<br />

Taharqa présente des vases<br />

à vin au dieu faucon.<br />

AFRIQUE MAGAZINE A I <strong>429</strong><br />

– JUIN 2022<br />

22<br />

2<br />

73


PORTFOLIO<br />

Thoutmôsis, des Toutânkhamon, est désormais un empire mourant,<br />

divisé, fragilisé, constamment menacé par la puissance<br />

assyrienne, venue de Mésopotamie. Les dynasties, épuisées,<br />

perdent progressivement leur emprise sur les territoires du Sud.<br />

Piânkhy, roi de Koush, descend le Nil depuis sa capitale, Napata,<br />

et conquiert, ville après ville, toute la vallée jusqu’à Memphis,<br />

à l’entrée du delta. Sa stèle, exposée au Louvre, témoigne de<br />

cette aventure. Persuadé qu’il est personnellement investi par le<br />

dieu égyptien Amon-Rê, il s’attribue la responsabilité de rétablir<br />

l’ordre divin à travers de nombreuses offrandes. Ses successeurs<br />

suivront cette logique d’appropriation de la culture égyptienne.<br />

Ils fondent ainsi la 25 e dynastie, un « royaume des Deux Terres »<br />

unifiant l’Égypte et le royaume de Koush.<br />

Taharqa, troisième pharaon, est sans doute le plus remarquable,<br />

avec un règne de vingt-cinq ans. Respectant la ligne de<br />

ses prédécesseurs, il fait construire de nombreux temples en<br />

Égypte et au royaume de Koush. L’exposition présente une figurine<br />

le représentant en position d’offrande devant le dieu faucon<br />

Hémen. Il possède des critères stylistiques et symboliques qui<br />

permettent de reconnaître les pharaons noirs : un visage plutôt<br />

rond, souvent doté d’une coiffe koushite (couronne) ornée au<br />

front de deux cobras symbolisant les Deux Terres.<br />

L’hégémonie de la dynastie prend fin en 663 avant J.-C.,<br />

les pharaons noirs abdiquant face aux armées assyriennes,<br />

alliées aux roitelets renaissants du delta. Les vainqueurs veulent<br />

détruire l’héritage de cette période afin qu’elle soit oubliée de<br />

l’histoire, et poursuivent les rois de Napata jusque dans leur<br />

capitale. Mais la ville ne disparaît pas pour autant, ouvrant la<br />

voie à la naissance du fameux royaume de Méroé…<br />

Le Suisse Charles Bonnet, sommité de l’archéologie européenne,<br />

fouille le nord du Soudan depuis des décennies.<br />

En 2003, il fit une découverte à Doukki Gel. Intrigué par la<br />

présence de feuilles d’or dans une zone près du site de Kerma,<br />

il creusa avec précaution. Trois mètres plus bas, il découvrit sept<br />

statues du royaume de Napata, dont celles de Taharqa, Anlamani,<br />

Tanouétamani, Senkamanisken et Aspelta. La 25 e dynastie<br />

revient dans la lumière. Les statues exposées au Louvre ont<br />

été reconstituées par le biais de la<br />

3D. Grâce à cette exposition, l’un<br />

des règnes les plus méconnus de<br />

l’Égypte antique – et l’un des<br />

premiers grands royaumes<br />

africains ins – retrouve sa place<br />

dans la grande histoire<br />

de l’humanité. ■<br />

Les<br />

successeurs<br />

de Piânkhy<br />

fondent la<br />

25 e dynastie,<br />

un « royaume<br />

des Deux<br />

Terres » unifiant<br />

l’Égypte et<br />

le royaume<br />

de Koush.<br />

STATUE ASSISE<br />

DE MONTOUEMHAT<br />

FIN 25 E -DÉBUT 26 E DYNASTIE,<br />

MUSÉE ÉGYPTIEN DE BERLIN<br />

Montouemhat, gouverneur<br />

de Thèbes sous le règne<br />

de Taharqa arqa (25 e dynastie),<br />

est un personnage<br />

important : il est influent<br />

à travers son importance<br />

politique, mais endosse<br />

aussi des charges<br />

religieuses euses en tant que<br />

quatrième prophète<br />

d’Amon. Il conserve<br />

certaines es de ses fonctions<br />

lors de l’invasion des<br />

Assyriens, puis sous le<br />

règne de Psammétique II<br />

(26 e dynastie).<br />

SANDRA STEISS/RMN-GP<br />

74 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


CHRISTIAN DÉC<strong>AM</strong>PS/MUSÉE DU LOUVRE - INSTITUT DE FRANCE/STUDIO SÉBERT PHOTOGRAPHES<br />

ÉTUI DE CHÉPÉNOUPET<br />

25 E DYNASTIE, MUSÉE DU LOUVRE<br />

Cet objet énigmatique contient une plaque<br />

en ivoire d’éléphant, aujourd’hui illisible. L’étui est<br />

dédié à Chépénoupet II, fille de Piânkhy et sœur<br />

de Taharqa. Elle porte le titre de divine adoratrice<br />

d’Amon pendant plusieurs décennies.<br />

PS<strong>AM</strong>MÉTIQUE II<br />

26 E DYNASTIE, MUSÉE JACQUEMART-ANDRÉ<br />

Ce pharaon de la nouvelle dynastie mène<br />

une expédition militaire contre Napata vers 593<br />

avant J.-C. Les statues royales sont brisées sous ses<br />

ordres, et les restes regroupés avant d’être enterrés<br />

probablement par le roi victime de l’attaque,<br />

Aspelta (cinquième successeur de Taharqa).<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 75


PORTFOLIO<br />

GROUPE DE STATUES<br />

DÉCOUVERTES À DOUKKI GEL<br />

25 E DYNASTIE, MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE<br />

DE KERMA (SOUDAN)<br />

Les sept statues représentent sept rois,<br />

dont Taharqa (la plus grande). Le musée<br />

du Louvre en expose une impression 3D,<br />

telles qu’elles étaient avant leur destruction.<br />

SPHINX<br />

DE CHÉPÉNOUPET II<br />

25 E DYNASTIE, MUSÉE<br />

ÉGYPTIEN DE BERLIN<br />

Cette statue a été trouvée<br />

dans le lac sacré du temple<br />

d’Amon à Karnak. Elle représente<br />

Chépénoupet II sous la forme<br />

d’un sphinx enveloppant<br />

un vase nemset, utilisé<br />

lors des libations.<br />

THOMAS BURÖ/ TRIGONART - JÜRGEN LIEPE/RMN-GP


L’un<br />

des premiers<br />

royaumes<br />

africains<br />

importants<br />

retrouve<br />

sa place dans<br />

la grande<br />

histoire de<br />

l’humanité.<br />

CHRISTIAN DÉC<strong>AM</strong>PS/MUSÉE DU LOUVRE - HERVE LEWANDOWSKI/MUSÉE DU LOUVRE<br />

ÉGIDE EN BRONZE<br />

AU NOM DU ROI<br />

TANOUT<strong>AM</strong>ON<br />

25 E DYNASTIE,<br />

MUSÉE DU LOUVRE<br />

STÈLE D’OUSERSATET<br />

18 E DYNASTIE, MUSÉE DU LOUVRE<br />

La stèle représente à droite le roi Aménophis II,<br />

qui donne en offrande du vin à plusieurs divinités<br />

égyptiennes en lien avec les territoires soudanais :<br />

de gauche à droite, Anoukis, Satis et Khnoum,<br />

à la tête de bélier.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 77


REPORTAGE<br />

La céramiste nigérienne Ngozi-Omeje Ezema crée<br />

des installations immersives avec des fragments de terre cuite.<br />

Le festival Off propose<br />

presque 500 événements<br />

dispersés dans tout le pays.<br />

LUISA NANNIPIERI (2) - DR<br />

78 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


One Way Vision,<br />

du Ghanéen Kwasi Darko.<br />

reportage<br />

Ci-dessus, le ministre sénégalais de la Culture<br />

et de la Communication Abdoulaye Diop visite l’exposition<br />

avec le directeur artistique El Hadji Malik Ndiaye.<br />

DAK’ART<br />

EST UNE FÊTE<br />

LUISA NANNIPIERI - IBRA KHALIL TRAORÉ<br />

Escapade,<br />

en « in » et « off »,<br />

dans les allées<br />

d’une biennale<br />

d’art contemporain<br />

longtemps attendue. Un<br />

rendez-vous éclectique,<br />

dynamique, et à la<br />

portée quasi mondiale !<br />

par Luisa Nannipieri,<br />

envoyée spéciale<br />

D’habitude, le jeudi soir, une certaine<br />

jeunesse dakaroise aime se retrouver<br />

sur la terrasse de l’espace Trames. Cette<br />

fourmilière artistique et culturelle,<br />

ouverte en 2018 sur la place de l’Indépendance,<br />

est connue pour accueillir<br />

des soirées DJ ou le festival ElectrAfrique.<br />

Mais en ce soir de mi-mai, la<br />

population est différente : on peut croiser sur le dancefloor la<br />

coordinatrice culturelle de l’Institut français de Saint-Louis et<br />

spécialiste de l’art contemporain africain Marie-Ann Yemsi, au<br />

bar l’envoyée d’une importante maison de vente aux enchères<br />

comme Sotheby’s, une Flag à la main, à côté d’un grand collectionneur<br />

nigérian, ou encore un groupe de jeunes passionnés<br />

d’art se partageant les bons plans pour voir des expos le lendemain.<br />

La 14 e édition de la Biennale d’art contemporain de<br />

Dakar donne son coup d’envoi. Pendant plus de trente jours, du<br />

19 mai au 21 juin, « le monde de l’art s’est donné rendez-vous<br />

ici ! », comme on l’entendra beaucoup autour de nous. Une<br />

phrase souvent prononcée avec fierté.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 79


REPORTAGE<br />

L’événement rend hommage au travail<br />

du maître malien Abdoulaye Konaté, 69 ans,<br />

qui expose ses œuvres dans l’ancienne salle<br />

d’audience de la Cour suprême.<br />

Au centre, le gagnant du Grand prix Léopold Sédar Senghor, l’Éthiopien Tegene<br />

Kunbi Senbeto, devant l’une de ses créations. Il est entouré de la secrétaire<br />

générale de la biennale Marième Ba (deuxième à gauche), de la délégation<br />

diplomatique éthiopienne et d’une galeriste.<br />

Depuis sa naissance en 1990, la Biennale de Dakar joue un<br />

rôle prédominant sur le continent en matière d’art contemporain,<br />

et est devenue l’un de ses événements majeurs à l’échelle<br />

internationale. « D’un point de vue économique, d’autres pays<br />

comme le Nigeria, l’Afrique du Sud ou la Côte d’Ivoire s’en sortent<br />

sans doute mieux. Le Sénégal est un petit pays, et pourtant, il<br />

a su se tailler ce statut sur le plan culturel que les autres n’ont<br />

pas », indique un artiste togolais croisé à un vernissage. Est-ce<br />

dû à sa stabilité politique ? Ou à l’héritage de Léopold Sédar<br />

Senghor – qui donne son nom au grand prix ? En tout cas, pour<br />

ce pays qui exporte peu, la culture est devenue une valeur sûre.<br />

Lorsque Macky Sall a remis le grand prix à l’Éthiopien Tegene<br />

Kunbi Senbeto devant un parterre d’invités de marque au Grand<br />

Théâtre lors de la soirée d’ouverture, le président a rappelé que<br />

l’édition de 2018 avait donné lieu à des transactions évaluées<br />

à 8 milliards de francs CFA (plus de 12 millions d’euros). De<br />

quoi justifier la hausse du budget de l’État pour l’événement,<br />

L’astrophysicienne de formation sénégalaise Caroline Gueye<br />

s’est inspirée de la physique quantique pour sa création<br />

époustouflante à l’effet tunnel, Quantum Tunneling.<br />

qui a atteint 1,5 milliard de francs CFA. L’engouement que l’on<br />

ressent dans la rue, les galeries et les musées pour cette « fête de<br />

l’art et de l’esprit », comme on aime à la définir, est en partie la<br />

conséquence des quatre ans d’absence depuis 2018, l’édition de<br />

2020 ayant été annulée à cause de la pandémie.<br />

« Normalement, à Dakar, on compte les activités culturelles<br />

sur les doigts d’une main. Même entre artistes sénégalais, on<br />

a du mal à se rencontrer », explique un cinéaste, installé dans<br />

une banlieue de la capitale. Aux côtés d’un graffeur, d’un artiste<br />

plasticien et d’un scénariste, il sirote un soda dans le jardin de<br />

la maison de la culture Douta Seck : « Après le Covid-19, on avait<br />

encore plus besoin que les choses bougent, de se voir, et là on a<br />

un mois entièrement dédié à la culture. On croise des personnes<br />

de qualité, et on se reconnecte entre nous. On a l’impression<br />

de souffler ! » Cet espace de 15 000 m 2 au cœur de la Médina,<br />

entièrement rénové par Black Rock Senegal – l’équipe fondée et<br />

dirigée par Kehinde Wiley –, rejoint la dizaine de lieux culturels<br />

qui a ouvert à Dakar ces quatre dernières années.<br />

LES GRANDES NOUVEAUTÉS DE L’ÉDITION<br />

Tous se sont affairés pour préparer un festival Off record :<br />

on compte presque 500 événements à Dakar, à Saint-Louis, et<br />

dans d’autres régions du pays. « Que le Off prenne une telle<br />

ampleur est un signe de vitalité de la biennale », sourit le sculpteur<br />

burkinabé Siriki Ky, devant l’une des œuvres de son ami et<br />

maître, le Malien Abdoulaye Konaté. Pour lui, qui fait partie des<br />

« anciens » de Dak’Art et a été l’un des premiers plasticiens du<br />

Burkina Faso à suivre une formation académique, la biennale,<br />

« c’est une grande famille ». Il ajoute : « Venir ici est l’occasion de<br />

revoir les vieux copains, de montrer mes derniers travaux… Ce<br />

n’est pas une question de visibilité, c’est surtout le plaisir des<br />

retrouvailles et du partage. »<br />

Parmi les grandes nouveautés de cette édition, citons le Marché<br />

international de l’art africain de Dakar (MIAD). Une plateforme<br />

de vente et d’exposition installée au pied du Monument de<br />

la Renaissance africaine, qui accueille également des rencontres<br />

professionnelles sur des sujets comme le financement de l’art<br />

sur le continent ou les droits de propriété intellectuelle : « Nous<br />

IBRA KHALIL TRAORÉ - LUISA NANNIPIERI (2)<br />

80 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


A Salted Intermission, l’installation sur le lac Rose du Jamaïcain<br />

Yrneh Gabon Brown interroge sur les effets du réchauffement<br />

climatique et l’utilisation du sel sur les deux continents.<br />

LUISA NANNIPIERI (3)<br />

L’engouement que<br />

l’on ressent dans<br />

la rue, les galeries<br />

et les musées<br />

est en partie<br />

la conséquence<br />

des quatre ans<br />

d’absence à cause<br />

de la pandémie.<br />

devons nous engager pour la professionnalisation de tous les<br />

acteurs du secteur », explique le plasticien sénégalais Kalidou<br />

Kassé, à l’initiative de la plate-forme.<br />

Le projet Doxantu (« promenade » en wolof), auquel participe<br />

Siriki Ky avec 16 autres artistes, est également remarquable :<br />

El Hadji Malick Ndiaye, le nouveau directeur artistique de la<br />

biennale, a souhaité installer pour la première fois 17 œuvres<br />

géantes tout le long de la Corniche ouest, ainsi qu’à l’intérieur de<br />

l’université Cheikh Anta Diop. Le Suisse-Sénégalais Ousmane Dia<br />

a voulu y placer ses créations, afin d’instaurer un dialogue avec<br />

les étudiants : Ni Barça Ni Barsak, construite sur place, interpelle<br />

La Franco-Camerounaise Beya Gille Gacha travaille<br />

également sur la thématique du changement climatique<br />

en mettant en scène ses sculptures perlées. Ici, L’Autre royaume.<br />

L’Ivoirien Roméo Mivekannin questionne la place des Noirs<br />

dans l’iconographie occidentale à travers ses autoportraits décalés,<br />

comme dans La Famille royale, Hollande ci-dessus.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 81


REPORTAGE<br />

Pour beaucoup d’artistes, c’est l’occasion de se rencontrer<br />

et d’échanger dans une ambiance décontractée et effervescente.<br />

particulièrement les jeunes Sénégalais, qui n’ont pas hésité à<br />

échanger avec l’artiste pendant son assemblage. Représentant<br />

une pirogue qui sombre dans la mer en emportant sa cargaison<br />

de vies humaines, la sculpture en métal dénonce les dangers<br />

de l’émigration clandestine, tout en pointant les responsabilités<br />

des dirigeants européens et africains qui ne font pas assez pour<br />

retenir la jeunesse sur le continent. Une œuvre très engagée<br />

qui résume bien les objectifs du projet Doxantu : « vulgariser les<br />

valeurs de la biennale », explique son directeur artistique : « C’est<br />

une façon de mettre en avant les valeurs de l’art, de créer la<br />

surprise, une rencontre subite. En installant des messages dans<br />

l’espace urbain, on interpelle les spectateurs dans la rue. Si l’on<br />

reste entre quatre murs, on ne change pas la société, alors que<br />

l’art peut contribuer au changement. Il ne change rien à lui seul,<br />

mais il aide à alerter le public, et à le rendre heureux aussi. »<br />

Une perspective intéressante quand on sait que le festival In est<br />

souvent considéré un brin trop institutionnel et élitiste.<br />

« IL N’Y A PAS DE IN SANS OFF, ET INVERSEMENT »<br />

Théoricien, historien de l’art et conservateur du musée<br />

Théodore Monod entre autres, El Hadji Malick Ndiaye n’a pas<br />

la renommée internationale de son prédécesseur, Simon Njami,<br />

mais il jouit d’une très bonne réputation dans le milieu : celle de<br />

quelqu’un de curieux, vif, avec qui échanger est un plaisir. « Il est<br />

conscient de ses défauts et a su s’entourer d’une super équipe,<br />

dynamique et jeune, pour pallier ses manques », observe un photographe.<br />

Sa première biennale – qui est également la première<br />

à porter un titre en sérère, « Indaffa » (« forger ») – suscite donc<br />

naturellement beaucoup de curiosité et d’attentes. Et le retour<br />

des visiteurs est enthousiaste. Galeristes, critiques d’art, artistes<br />

et amateurs ont pris d’assaut les locaux de l’ancien palais de justice<br />

: ce magnifique bâtiment des années 1950, longtemps abandonné,<br />

qui trône au bout de l’avenue Pasteur, au Cap Manuel,<br />

accueille depuis 2016 la sélection officielle de la biennale. Sous<br />

les hauts plafonds du grand hall, autour du patio arboré ou dans<br />

Ni Barça Ni Barsak, d’Ousmane Dia, a été installée à deux pas<br />

de la bibliothèque universitaire de Cheikh Anta Diop.<br />

les anciennes salles d’audience, on trouve des œuvres minimalistes,<br />

des travaux démesurés ou des installations interactives.<br />

Les tableaux du Sénégalais Omar Ba ont particulièrement frappé<br />

les collectionneurs. Pour sa première biennale, il présente de<br />

grandes toiles où des personnages mi-hommes mi-animaux,<br />

métaphores de la nature humaine, incarnent les traumatismes<br />

du colonialisme et les inégalités Nord-Sud. D’autres, avec des<br />

têtes en forme de trophée, symbolisent une Afrique qui sait être<br />

protagoniste de sa réussite. Engagé mais optimiste, il glorifie et<br />

rend hommage à la culture noire à travers le fond de ses toiles,<br />

rigoureusement noir. L’ancienne salle de la Cour suprême abrite<br />

un hommage à la carrière d’Abdoulaye Konaté, ce grand artiste<br />

qui travaille les tissus pour composer des œuvres au symbolisme<br />

puissant. Des créations qui suscitent toujours autant d’émerveillement<br />

que de vénération.<br />

Les 59 artistes ou collectifs sélectionnés pour cette édition<br />

– en grande partie issus de la diaspora – ont travaillé nuit et<br />

jour pour terminer leurs travaux à temps. L’astrophysicienne de<br />

formation sénégalaise Caroline Gueye, qui a remporté le prix<br />

CEDEAO de l’intégration avec Quantum Tunneling, à l’effet tunnel<br />

époustouflant, a même dormi dans son installation pour<br />

transformer la pièce en œuvre d’art. Être passionné par son travail<br />

est indispensable si l’on veut réussir à faire face aux petits<br />

et grands problèmes techniques durant la biennale : œuvres bloquées<br />

à la douane, outils non adaptés au projet initial, manque de<br />

coopération entre les équipes qui travaillent sur le site, chacune<br />

ayant ses propres priorités… Certains artistes déplorent aussi<br />

que leur séjour ne soit pris en charge par les organisateurs que<br />

durant les deux jours qui suivent le lancement de l’organisation.<br />

LUISA NANNIPIERI - DR<br />

82 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


DR - COOPER INVEEN/REUTERS<br />

Dans ses œuvres, le Français Emmanuel Tussore s’intéresse<br />

à la nature et à sa soumission par l’humain, mais également<br />

à notre rapport à l’étranger. Ici, De Cruce.<br />

Tous les artistes<br />

ont travaillé<br />

nuit et jour pour<br />

terminer leurs<br />

travaux à temps.<br />

« Chaque œuvre du projet Doxantu a été financée à hauteur de<br />

4 000 euros. J’ai donc dû trouver des sponsors pour terminer<br />

ma création, qui en a coûté 50 000 », regrette Ousmane Dia. Ce<br />

qui ne l’a pas empêché, comme les autres artistes, de se donner<br />

corps et âme pour cet événement.<br />

Pour beaucoup d’artistes, être dans le In est une fierté, mais<br />

c’est également l’occasion de se confronter à des collègues venus<br />

de toute l’Afrique et d’ailleurs, et de trouver des sources d’inspiration<br />

pour la suite. « De toute façon, les problèmes finissent<br />

toujours par se résoudre », assure le céramiste italien Mauro<br />

Petroni, qui a contribué à faire naître le Off en 2002. Depuis<br />

vingt ans, il en assure l’organisation en coulisse, un travail<br />

énorme mais fondamental : « Il n’y a pas de In sans Off, et vice-<br />

Le travail du Sénégalais Omar Ba est très prisé des collectionneurs.<br />

versa », aime-t-on répéter dans le milieu. Les passerelles entre<br />

les deux événements sont multiples, avec des artistes locaux ou<br />

étrangers qui commencent par le Off pour finir dans le In, ou qui<br />

participent aux deux. Mais l’ambiance décontractée du premier,<br />

où les collectionneurs et institutions viennent volontiers faire des<br />

achats en bloc, est aussi ce qui rend la biennale « si différente de<br />

celle de Venise ou d’ailleurs », explique la directrice de la foire<br />

du Cap, Laura Vincenti.<br />

Un point attractif également pour Zoé : comme tant d’autres,<br />

cette passionnée d’art d’origine africaine a fait le déplacement<br />

pour « s’immerger dans une autre atmosphère, voir un autre<br />

type d’art, loin des schémas occidentaux ». Elle trouvera certainement<br />

de quoi régaler ses yeux. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 83


interview<br />

NDÈYE<br />

FATOU<br />

KANE<br />

Chercheuse sur le genre,<br />

l’autrice sénégalaise<br />

a signé l’essai Vous<br />

avez dit féministe ?<br />

En remettant en cause<br />

le patriarcat, elle bouscule<br />

les normes sociétales et<br />

s’empare de sujets encore<br />

tabous, comme les violences<br />

faites aux femmes.<br />

« CE MONDE EST FAIT<br />

POUR LES HOMMES »<br />

propos recueillis par Astrid Krivian<br />

Lunettes cerclées noires qui lui<br />

mangent le visage, T-shirt rose à<br />

message d’empowerment, Ndèye<br />

Fatou Kane déroule sa pensée féministe<br />

tout en sirotant son jus de fraise<br />

dans un café parisien. Révoltée par<br />

les injustices et les inégalités dont<br />

souffrent toujours les femmes, la<br />

jeune autrice de 35 ans, née à Dakar, se réjouit par ailleurs<br />

de voir qu’une nouvelle génération de féministes<br />

sénégalaises se mobilise. Partageant sa vie entre la France<br />

et son pays natal, la militante vit pleinement son « aventure<br />

ambiguë », pour citer le titre d’un des ouvrages de son<br />

grand-père, l’illustre Cheikh Hamidou Kane. Après un<br />

premier roman en 2014, Le Malheur de vivre, et deux nouvelles,<br />

elle a publié l’essai Vous avez dit féministe ? en 2018,<br />

dans lequel elle analyse les discours de quatre penseuses<br />

féministes : la philosophe française Simone de Beauvoir,<br />

l’écrivaine sénégalaise Mariama Bâ, la romancière nigériane<br />

Chimamanda Ngozi Adichie et l’anthropologue<br />

sénégalaise Awa Thiam. Diplômée de l’École des hautes<br />

études en sciences sociales, cette doctorante poursuit ses<br />

recherches sur le genre, s’intéressant à la construction des<br />

masculinités médiatiques dans son pays.<br />

84 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


DR<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 85


INTERVIEW<br />

<strong>AM</strong> : Comment êtes-vous devenue féministe ?<br />

Ndèye Fatou Kane : Ma première expérience professionnelle,<br />

à mon retour au Sénégal, a provoqué un déclic.<br />

Après mes études en France, j’avais changé, mais mon<br />

pays était resté le même. J’ai intégré un grand groupe de<br />

transport et de logistique – un domaine majoritairement<br />

masculin, misogyne. En interagissant au quotidien avec<br />

ces collègues – la moyenne d’âge était de 50 ans –, j’ai<br />

été confrontée à la réalité sociétale. J’étais la cible d’incessantes<br />

remarques liées à mon genre et à mon âge. Ça a<br />

été le point de départ de mon militantisme féministe. Au<br />

bout d’un an, j’ai démissionné. J’ai ensuite écrit en 2018<br />

mon essai, Vous avez dit féministe ?, qui a coïncidé avec la<br />

déferlante du e-militantisme féministe, l’affaire Weinstein,<br />

les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc. La<br />

jeunesse féministe a pris la parole au Sénégal, beaucoup<br />

de livres ont été écrits, des chaînes YouTube et des<br />

espaces de discussions ont été créés…<br />

Dans le sillage de #MeToo, vous avez<br />

lancé le hashtag #BalanceTonSaïSaï<br />

au Sénégal. Quel écho a-t-il eu ?<br />

J’ai voulu contextualiser ce mouvement de libération<br />

de la parole. Nous, les Africaines, et particulièrement les<br />

Sénégalaises, étions incubées dans cet élan de revendication<br />

mondiale. J’ai eu l’idée d’un slogan marquant les esprits,<br />

« saï-saï » étant un terme qui signifie « pervers » en wolof. Mais<br />

paradoxalement, même si le Sénégal a été précurseur dans les<br />

mouvements féministes dans les années 1960, la libération des<br />

femmes et de leur parole est aujourd’hui en régression. L’accueil<br />

de #BalanceTonSaïSaï a donc été mitigé. On me reprochait<br />

d’avoir perdu ma « sénégalité », que je n’étais plus au fait des<br />

réalités. Mais les cas de violences sexuelles sont pourtant bien<br />

connus, et depuis longtemps. Il n’y a qu’à lire la colonne des<br />

faits divers.<br />

Le mot « féministe » est-il encore une insulte aujourd’hui ?<br />

Désigne-t-il toujours une femme acariâtre, en guerre<br />

contre les hommes, et suiviste de l’Occident ?<br />

C’est un mot encore chargé de connotation négative. Dans<br />

la psyché collective, être féministe signifie être une femme<br />

occidentalisée, proche des Français, dans la droite ligne de<br />

Simone de Beauvoir. Pourtant, les féministes au Sénégal se<br />

sont distanciées de ce modèle. La première « vague » dans les<br />

années 1960-1970 (Fatou Sow, Marie-Angélique Savané…) a<br />

décolonisé les savoirs féministes. Elles ont été les premières à<br />

étudier à l’université, à être diplômées. Et la jeune génération<br />

est en train de prendre un nouvel élan. Le féminisme serait en<br />

porte-à-faux avec la culture sénégalaise, mais peut-on porter<br />

une idéologie sans une certaine radicalité ? La société évolue, le<br />

féminisme aussi. Sur les réseaux sociaux, sur la Toile, beaucoup<br />

de jeunes femmes et jeunes hommes débattent entre eux, souvent<br />

à couteaux tirés. Nous avons besoin de ça pour renouveler<br />

cette idéologie.<br />

Qu’est-ce qui caractérise cette nouvelle<br />

génération de militantes ?<br />

Comme nos aînées, nous luttons contre le patriarcat. Avant,<br />

les revendications s’effectuaient par le biais de marches, c’est<br />

toujours le cas, mais il y a eu l’avènement des réseaux sociaux.<br />

On est à Dakar, mais on est ouvertes sur le monde. Et puis, il faut<br />

sortir du cliché de la pauvre femme africaine excisée, infibulée,<br />

qu’il faudrait sauver, qui n’aurait pas de liberté, qui se trouve<br />

en situation de polygamie, etc. À l’ère de la globalisation, nous<br />

pensons d’un point de vue mondial, mais en prenant en compte<br />

nos réalités. Nous prenons la parole dans la sphère publique<br />

au Sénégal comme à l’étranger. Nous vivons cette « aventure<br />

ambiguë », la dualité entre local et global, en veillant à ce que<br />

l’un ne prenne pas le pas sur l’autre.<br />

Le regard occidental condescendant, misérabiliste,<br />

sur les femmes africaines vous irrite ?<br />

Oui. Par exemple, je n’aime pas le terme « autonomisation »,<br />

très ONG, qui consiste à trouver des financements pour les<br />

femmes. Cela prouve qu’elles sont toujours infantilisées. Cette<br />

sémantique reste tenace dans les esprits. Des ONG mettent<br />

souvent en avant un certain type de femme, des leadeuses,<br />

une représentation qui tend vers le masculin… Alors que des<br />

Sénégalaises, surtout en Casamance et dans le Sine Saloum,<br />

pratiquent depuis longtemps la riziculture et ainsi font vivre<br />

leur famille. Pour moi, elles sont féministes ! Certes, elles ne<br />

connaissent pas les théories, l’intersectionnalité, etc., mais elles<br />

ont atteint un certain degré d’indépendance. Ce serait intéressant<br />

d’inclure ces femmes dans le féminisme du pays.<br />

PIERRE BOULAT/COSMOS<br />

86 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


ISABELLA DE MADDALENA/OPALE.PHOTO - FACEBOOK MAIR<strong>AM</strong>A BÂ - <strong>AM</strong>CS<br />

Vous vous êtes exprimée sur<br />

Seneweb au sujet de l’affaire<br />

Ousmane Sonko : principal<br />

opposant politique au<br />

président Macky Sall, il a été<br />

accusé en février 2021 de viols<br />

et de menaces de mort par<br />

Adji Sarr, une employée d’un<br />

salon de beauté. De quoi cette<br />

affaire et sa réception dans le<br />

pays sont-elles le symptôme ?<br />

À la suite de cet entretien<br />

dans Seneweb, on m’a insultée sur<br />

les réseaux, donc j’ai décidé de ne plus en parler ! Une révolution<br />

comporte toujours son lot de haine, je l’accepte. Cette affaire<br />

fait écho à une autre, survenue en 2012, quand le journaliste<br />

Cheikh Yérim Seck a été accusé de viol par une jeune fille. Ce<br />

sont à chaque fois des hommes au capital social élevé, jouissant<br />

d’une très bonne assise médiatique. Même si on le nie, la société<br />

sénégalaise est très violente avec les femmes. Si une femme est<br />

violée, même si elle le prouve, on lui demandera toujours comment<br />

elle était habillée ou quel comportement elle avait adopté.<br />

Le fameux « Elle l’a bien cherché »…<br />

Oui. La société sénégalaise défend un certain type<br />

d’hommes, médiatisés, et les femmes seraient celles par qui le<br />

De gauche à droite, la philosophe Simone de Beauvoir<br />

et les autrices Chimamanda Ngozi Adichie et Mariama Bâ,<br />

toutes trois penseuses féministes.<br />

Ci-contre, Adji Sarr, la jeune femme qui accuse l’homme<br />

politique Ousmane Sonko de viols et de menaces de mort.<br />

mal arrive. Elles subissent des violences physiques, psychologiques,<br />

sexuelles, des féminicides. Et ne gagnent jamais.<br />

Cette affaire prouve que la misogynie est très tenace. Un<br />

nouveau palier a été franchi dans le recul des libertés féminines.<br />

La presse nationale a encore du mal à s’emparer de<br />

ces sujets. Pourquoi ne pas faire entendre la voix d’Adji Sarr,<br />

la victime ? En mars 2021, le pays a traversé une vague<br />

d’émeutes et de manifestations, il était à feu et à sang après<br />

l’emprisonnement d’Ousmane Sonko. La question du viol est<br />

passée à la trappe, et l’hypothétique complot politique a occupé<br />

le devant de la scène. Le corps de cette jeune fille a été objectifié.<br />

Après la vague d’indignation et les insultes proférées envers<br />

Adji Sarr, je crains que les jeunes femmes aient encore plus peur<br />

de prendre la parole.<br />

C’est le « sutura », la loi du silence ?<br />

Oui. C’est la propension à tout cacher, montrer que tout va<br />

bien, toujours faire bonne figure. Selon le modèle de la parfaite<br />

femme sénégalaise « à marier », elle doit faire sutura en<br />

toutes circonstances. Même si son mari est un infidèle notoire,<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 87


INTERVIEW<br />

polygame avéré, elle ne doit jamais en parler. Le socle familial<br />

repose sur ses épaules (l’éducation des enfants, l’univers du<br />

ménage…), et elle ne doit pas outrepasser ce cadre. J’observe<br />

les jeunes femmes avec qui j’ai grandi. On peut s’exprimer à<br />

l’extérieur, mais une fois dans le pays, on doit rentrer dans le<br />

rang et incarner cette sacro-sainte femme sénégalaise. Alors<br />

que pour la génération de ma mère, les femmes de 60-70 ans,<br />

la polygamie était un sujet interdit, aujourd’hui, des études<br />

montrent qu’elle est en plein boom : les femmes de 30-40 ans se<br />

mettent dans des ménages polygames, prétextant que cela leur<br />

convient, qu’elles auront ainsi du temps pour elles les autres<br />

jours de la semaine. Mais au fond, c’est la société qui les pousse<br />

à agir ainsi. Après 35 ans, une Sénégalaise doit penser à se<br />

marier. Le célibat est très mal vu. Cela renvoie toujours à la<br />

domination masculine. Une femme est vouée à être dominée, à<br />

rentrer dans un carcan, à avoir un chaperon masculin qui la fait<br />

rentrer dans le rang. Trop d’égalité, ce n’est pas très féminin !<br />

Le viol a été criminalisé en décembre 2019.<br />

Une avancée majeure…<br />

Après soixante ans de<br />

combats, le viol est enfin<br />

considéré comme un crime,<br />

et non plus comme un<br />

délit. Cela restera dans les<br />

mémoires. Les cas de viol<br />

médiatisés se sont multipliés<br />

depuis. Cette loi doit être<br />

mise en pratique dans les<br />

tribunaux, les familles… car<br />

dans les faits, les procès ne<br />

vont pas jusqu’au bout. L’Association<br />

des juristes sénégalaises<br />

effectue pourtant un<br />

remarquable accompagnement juridique auprès des familles.<br />

Il faut faire entrer dans les mentalités qu’un homme qui viole<br />

une femme ira en prison. Et ne plus mettre en doute la parole<br />

des femmes.<br />

L’objectification<br />

du corps féminin<br />

traverse les époques,<br />

les ères culturelles,<br />

les continents.<br />

Dans votre essai Vous avez dit féministe ?,<br />

vous vous référez à Simone de Beauvoir, Mariama<br />

Bâ, Awa Thiam et Chimamanda Ngozi Adichie.<br />

En quoi ont-elles nourri votre pensée ?<br />

Ces penseuses nous ont légué des modèles de société. On<br />

ne peut pas parler de féminisme sans se référer à Simone de<br />

Beauvoir, Le Deuxième Sexe est un livre fondateur. Mariama Bâ<br />

est une romancière sociale : Une si longue lettre (1979) traverse<br />

les générations, les Sénégalaises vivent encore les oppressions,<br />

les réalités qu’elle y décrit. Awa Thiam, cofondatrice de la<br />

Coordination des femmes noires en 1976, est une chercheuse<br />

et anthropologue qui parlait d’intersectionnalité avant que<br />

celle-ci ne soit théorisée : La Parole aux négresses (1978) est<br />

une enquête dans laquelle elle recueille la parole des femmes<br />

d’Afrique francophone. Quarante-quatre ans après sa publication,<br />

il mériterait d’être réédité pour que les jeunes générations<br />

s’en emparent. Quant à Chimamanda Ngozi Adichie, son essai<br />

Nous sommes des féministes fut une révélation : oui, on peut être<br />

féministe, porter ses idées, et vouloir être belle.<br />

Certains ont reproché à cette dernière d’être<br />

égérie d’une marque de cosmétiques, arguant que<br />

c’était le signe d’une soumission au regard masculin,<br />

à l’injonction de plaire, et que c’était donc contraire<br />

à son discours féministe. Qu’en pensez-vous ?<br />

On peut porter un combat avec des atouts féminins. Les<br />

deux ne sont pas antinomiques. Une féministe « féminine »<br />

contredit l’image des féministes en Afrique : acariâtres, pas<br />

maquillées, pas apprêtées… Le corps et l’apparence des femmes<br />

doivent être sans cesse contrôlés, dominés, donc quand celles-ci<br />

s’émancipent, on cherche à les en empêcher. Dans les mentalités,<br />

le féminisme serait figé, alors qu’il évolue. Notre cause<br />

commune est la lutte contre le patriarcat, mais les postures, les<br />

manières de lutter, les discours sont pluriels. Il s’agit de se plaire<br />

à soi-même avant tout. Être une femme bien dans sa peau, dans<br />

sa tête. Comme la poétesse<br />

africaine-américaine Audre<br />

Lorde, j’estime que prendre<br />

soin de soi n’est pas un geste<br />

égocentrique mais politique.<br />

Face à un adversaire,<br />

je serais apprêtée, au maximum<br />

de ma flamboyance,<br />

pour le regarder droit dans<br />

les yeux et démonter son discours<br />

avec mes arguments.<br />

L’expression corporelle, la<br />

démarche contribuent à<br />

construire un personnage<br />

et distillent la confiance en soi. On irradie et on capte ainsi<br />

l’écoute des autres.<br />

Que vous inspire le débat sur le port du voile chez<br />

les féministes en France ? Pour certaines, c’est le signe<br />

visible d’une soumission aux hommes, alors que,<br />

pour d’autres, cela relève du libre choix des femmes.<br />

La question du voile, et plus largement celle du culte religieux,<br />

est problématique en France. Le Sénégal est un pays<br />

laïc, avec 95 % de musulmans et 5 % de chrétiens qui cohabitent.<br />

Chacun pratique sa religion comme il l’entend, dans le<br />

respect des croyances et des libertés. Un certain féminisme<br />

blanc doit décentrer le regard vers la marge, et sortir du slogan<br />

misérabiliste. Nous n’avons pas attendu que les féministes occidentales<br />

viennent nous sauver. Ce regard condescendant est<br />

problématique. Je note d’ailleurs que l’archétype de la femme<br />

musulmane en France est arabe. Les Noires sont invisibilisées,<br />

alors que nous sommes également musulmanes.<br />

Trop couvert avec le burkini, trop découvert<br />

avec la minijupe, le corps des femmes cristallise<br />

88 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


DR<br />

les enjeux politiques et fait l’objet<br />

de multiples injonctions…<br />

L’objectification du corps féminin traverse les époques,<br />

les ères culturelles, les continents. Ce monde est fait pour les<br />

hommes, nous cohabitons juste avec eux. Les lois, les discours<br />

sont faits par et pour eux. En Europe, il y a eu beaucoup d’avancées,<br />

mais la mainmise masculine demeure. Par exemple, les<br />

écarts de salaire entre les femmes cadres et les hommes cadres,<br />

surtout dans les entreprises du CAC 40, sont criants. À compétences<br />

égales, une femme devra toujours se battre, en faire<br />

plus que les hommes, pour gagner moins. Et on ne demandera<br />

jamais à un homme comment il arrive à concilier vie professionnelle<br />

et vie familiale. Le socle familial repose sur les épaules<br />

de la mère. Concernant les droits des femmes, le Sénégal fait<br />

preuve d’une grande rigidité dans de nombreux domaines.<br />

Sur le plan politique, la loi sur la parité a été votée à l’Assemblée<br />

nationale en 2010, mais pourquoi cette parité n’est-elle<br />

pas visible dans d’autres secteurs ? Deux<br />

femmes ont été cheffes de gouvernement,<br />

mais pour des durées très limitées. Cela<br />

envoie le message qu’une femme peut diriger,<br />

mais qu’un homme viendra tôt ou tard<br />

prendre sa place.<br />

La clé pour faire évoluer<br />

les mentalités, c’est l’éducation ?<br />

Oui, l’instruction à l’école et l’éducation<br />

à la maison. Souvent, dans les ménages<br />

sénégalais, l’éducation est différenciée :<br />

les filles sont élevées dans l’optique de<br />

devenir plus tard des femmes à tout faire<br />

– savoir cuisiner, tenir une maison, et servir,<br />

servir, toujours servir les hommes de<br />

la famille. Les garçons, eux, sont éduqués<br />

pour être de futurs chefs de famille. C’est<br />

très mal vu qu’un homme sache cuisiner,<br />

on dira qu’il a peur de son épouse. Ce sont<br />

des tâches dévolues aux femmes. Quant<br />

à la scolarisation, elle est en hausse : les<br />

filles font de plus en plus d’études scientifiques,<br />

d’ingénieur, des grandes écoles… mais l’éducation à la<br />

maison doit suivre aussi. Car une femme qui accède à un haut<br />

poste mais qui reste dominée dans son espace intime, c’est un<br />

problème.<br />

Vous avez dit féministe ?,<br />

L’Harmattan, 110 pages, 13 euros.<br />

Un homme qui multiplie les conquêtes valorise<br />

sa virilité, alors qu’une femme qui fera de même sera<br />

perçue comme une femme « de mauvaise vie ». Que<br />

vous inspire cette idée très ancrée dans les esprits ?<br />

Elle rejoint la question de la virginité, un enjeu central<br />

dans nos sociétés africaines – d’où ces mutilations génitales<br />

pour contrôler les corps. Lutter contre le contrôle des corps<br />

des femmes doit devenir un enjeu central du féminisme<br />

aujourd’hui. On a encore peur d’en parler. Le droit à l’avortement<br />

médicalisé est un combat porté par plusieurs associations.<br />

Des voix d’imams se sont élevées pour dire que celles-ci étaient<br />

contre la religion, mais une femme a le droit de disposer de son<br />

corps librement.<br />

Dans son dernier ouvrage, Réinventer l’amour,<br />

l’essayiste Mona Chollet s’interroge : comment<br />

vivre une histoire d’amour tout en étant féministe ?<br />

Ces questions vous travaillent-elles ?<br />

Oui. L’intime est politique. Selon mon groupe ethnique, les<br />

Peuls, je suis trop moderne : à 35 ans, je ne suis pas mariée, je<br />

n’ai pas d’enfant, j’ai fait trop d’études ! Seul un mari me fera<br />

rentrer dans le rang, m’assène-t-on. Nous avons besoin d’un<br />

modèle d’homme sénégalais « déconstruit ». Les hommes ont<br />

du mal à s’approprier les enjeux féministes, pourtant ils sont<br />

concernés ! Plutôt que de leur faire de la pédagogie, car ils se<br />

braquent, dans un débat caricatural impossible, il faudrait qu’ils<br />

en prennent conscience par eux-mêmes.<br />

Beaucoup prennent appui<br />

sur la religion pour perpétuer<br />

le patriarcat. Qu’en pensez-vous ?<br />

Il s’agit d’une mauvaise interprétation<br />

des textes religieux. Le Coran a honoré les<br />

femmes dans plusieurs sourates. Ce serait<br />

intéressant que les jeunes femmes s’y réfèrent<br />

et démontent les argumentaires religieux<br />

masculins.<br />

Sur quoi portent vos recherches<br />

dédiées au genre ?<br />

Mon mémoire de master 2 étudiait la<br />

construction des masculinités, d’un point de<br />

vue politique et religieux. Car on n’interroge<br />

jamais les hommes, le point de vue du dominant<br />

! Nous, les femmes, dans la recherche et<br />

le militantisme, nous nous posons en dominées.<br />

Le politique et le religieux forment un<br />

cocktail de domination. Surtout au Sénégal,<br />

où nous sommes en retrait au sein des confréries.<br />

Maintenant, je commence une thèse sur<br />

les masculinités médiatiques : quelles figures<br />

d’homme sont mises en avant, comment les médias participent<br />

à réifier un certain type d’homme, en quoi les masculinités sont<br />

un système de socialisation…<br />

Vous évoluez entre le Sénégal et la France, comment<br />

vivez-vous votre « aventure ambiguë », pour reprendre<br />

le titre du roman de votre grand-père ?<br />

Je la vis très bien. Au Sénégal, je parle en peul avec ma<br />

mère, je suis dans mon terroir, je n’ai pas à performer une africanité.<br />

En France, on me renvoie toujours à mes origines. Tout<br />

Africain évoluant hors de son pays natal est en proie à une<br />

aventure ambiguë : qu’est-ce que je prends de la modernité,<br />

qu’est-ce que je conserve de mon bagage sociétal, de mon éducation<br />

? Chacun porte en lui deux civilisations. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 89


BUSINESS<br />

Interview<br />

Rabia<br />

Ferroukhi<br />

Lacina Koné<br />

« Nous devons davantage<br />

investir en nous-mêmes »<br />

Gandoul<br />

et la connectivité<br />

Orange en Afrique<br />

Le BTP turc<br />

à l’assaut<br />

du continent<br />

Le gaz africain,<br />

nouvelle alternative<br />

L’offre du continent, en pleine croissance, rencontre au moment<br />

opportun la demande européenne, justement à la recherche de sources<br />

d’approvisionnement alternatives à la Russie, mise en quarantaine.<br />

Reste à mettre les infrastructures au diapason. par Cédric Gouverneur<br />

Depuis l’invasion de l’Ukraine<br />

le 24 février, l’Union<br />

européenne (UE) multiplie<br />

les sanctions contre le<br />

régime de Vladimir Poutine afin de<br />

frapper au portefeuille son économie<br />

de guerre. Dépendante à 45 % du gaz<br />

naturel de son remuant voisin, l’UE<br />

veut s’en affranchir totalement d’ici<br />

2027 et recherche donc des alternatives.<br />

Dès février, l’Allemagne a ainsi<br />

suspendu le gazoduc Nord Stream 2,<br />

tout juste achevé, grâce auquel le géant<br />

russe Gazprom aurait dû doubler sa<br />

capacité de livraison. En représailles,<br />

Moscou ferme le robinet aux clients<br />

européens qui n’agissent pas à sa guise :<br />

fin avril, Gazprom a cessé ses livraisons<br />

à la Bulgarie et à la Pologne – anciens<br />

pays satellites de l’Union soviétique<br />

devenus membres de l’UE et de<br />

l’Organisation du traité de l’Atlantique<br />

nord (OTAN) – parce qu’elles refusaient<br />

de régler leurs factures en roubles…<br />

« L’Allemagne et l’Europe doivent<br />

désormais vite accomplir ce qu’ils<br />

ont raté ces vingt dernières années »,<br />

a amèrement résumé Stefan Liebing. Le<br />

président de l’Association économique<br />

germano-africaine (Afrika-Verein)<br />

a, dès mars, conseillé au ministre<br />

écologiste de l’Économie et du Climat,<br />

Robert Habeck, de faire la tournée<br />

des pays africains producteurs de<br />

gaz, rapporte la radio internationale<br />

allemande Deutsche Welle (DW).<br />

L’Afrique pourrait, théoriquement,<br />

se substituer à la Russie. « Près de<br />

la moitié des 55 pays du continent<br />

dispose de réserves prouvées de gaz<br />

naturel », résumait, en juillet dernier,<br />

la plate-forme d’investissements<br />

Energy Capital & Power, basée au Cap.<br />

« À travers le continent, les réserves<br />

totales dépassent 800000 milliards<br />

de pieds cubes » (soit environ<br />

22650 milliards de m 3 ). Avant même<br />

le conflit en Ukraine et l’accroissement<br />

de la demande européenne, la<br />

compagnie britannique BP estimait déjà<br />

que la production de gaz naturel sur le<br />

continent pourrait s’accroître « de 80 %<br />

d’ici 2035 ». Selon Energy Capital &<br />

Power, les principaux producteurs<br />

seraient alors, par ordre décroissant :<br />

- le Nigeria (environ 5660 milliards de m 3 ),<br />

- l’Algérie (4 500),<br />

- le Sénégal (3400),<br />

- le Mozambique (2830),<br />

- l’Égypte (2180),<br />

- la Tanzanie (1 600),<br />

- la Libye (1 500),<br />

- l’Angola (380),<br />

- la République du Congo (280),<br />

- la Guinée équatoriale (140),<br />

- le Cameroun (135).<br />

90 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


« Les réserves totales<br />

du continent dépassent<br />

800 000 milliards<br />

de pieds cubes. »<br />

Le site gazier de Rhourde Nouss,<br />

en Algérie, développé par la Sonatrach.<br />

J.F. ROLLINGER/ONLYWORLD.NET<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 91


BUSINESS<br />

Le continent n’a évidemment pas<br />

attendu le conflit ukrainien pour doper<br />

sa production de gaz. Dès 2017, la<br />

Société nationale des hydrocarbures<br />

(SNH), confrontée à l’épuisement<br />

tendanciel des ressources pétrolières<br />

du Cameroun (69 000 barils par jour en<br />

2018, contre 185 000 en 1985), a investi<br />

dans une usine flottante de liquéfaction<br />

de gaz, à Kribi. Au Nigeria, en 2020,<br />

le président Muhammadu Buhari a<br />

décrété que la décennie à venir serait<br />

« celle du gaz ». Et le ministre des<br />

Ressources pétrolières, Timipre Sylva,<br />

ne cache pas les grandes ambitions<br />

de son pays dans ce secteur : « Il est<br />

temps de réveiller le géant, a-t-il<br />

déclaré début mars aux médias locaux.<br />

L’Afrique occidentale peut devenir<br />

autosuffisante en énergie » grâce à la<br />

« révolution gazière nigériane ». Même<br />

optimisme en Tanzanie, où la cheffe<br />

d’État Samia Suluhu Hassan, au pouvoir<br />

depuis mars 2021, entend faire de la<br />

production gazière la « priorité » de son<br />

mandat. Elle n’a pas caché que le conflit<br />

russo-ukranien pouvait constituer<br />

« une opportunité ». Avec les sociétés<br />

Shell et Equinor, le pays développe<br />

ainsi un projet d’extraction off-shore<br />

de 30 milliards de dollars au large<br />

de Lindi. Le Sénégal et la Mauritanie<br />

développent quant à eux leur gisement<br />

offshore conjoint de<br />

Grand Tortue Ahmeyin<br />

(GTA) : son exploitation<br />

pourrait démarrer<br />

dès 2023. BP, qui pilote<br />

l’opération, estime les<br />

réserves à 1 400 milliards<br />

de m 3 , pouvant générer<br />

jusqu’à 90 milliards de<br />

dollars de recettes sur<br />

vingt ans pour les deux États. Les<br />

défenseurs de l’environnement sont<br />

moins enthousiastes : afin d’atteindre<br />

la poche de gaz, à 65 km de la côte, le<br />

GTA a nécessité une douzaine de puits<br />

d’extraction, perforés à 2 700 mètres<br />

sous la mer, et la construction<br />

d’un brise-lames artificiel, constitué<br />

de milliers de tonnes de béton…<br />

Quoi qu’il en soit, lors du Forum<br />

des pays exportateurs de gaz qui<br />

Outre le manque<br />

de fonds, le<br />

Trans-Saharan<br />

Gas-Pipeline<br />

doit faire face<br />

à des menaces<br />

sécuritaires.<br />

s’est déroulé au Qatar – hasard du<br />

calendrier – fin février, les participants<br />

n’ont pas caché qu’ils ne pourraient<br />

se substituer immédiatement à la<br />

Russie, soulignant, rapporte la chaîne<br />

qatarienne Al Jazeera, le besoin<br />

d’« investissements<br />

significatifs dans les<br />

infrastructures gazières »,<br />

comme la nécessité de<br />

« contrats à long terme »<br />

avec les Européens.<br />

Le continent doit<br />

compléter son réseau<br />

de gazoducs. Or, ceux-ci<br />

sont rarement achevés.<br />

En 2016, le Maroc et le Nigeria ont<br />

signé un projet de gazoduc côtier, qui<br />

prolongerait celui reliant le Nigeria<br />

au Ghana, au Bénin et au Togo.<br />

Mais le géant africain manque de<br />

fonds… Pareillement, une semaine<br />

avant l’offensive russe, ce dernier,<br />

le Niger et l’Algérie ont signé à<br />

Niamey, en marge du 3 e Forum des<br />

mines et du pétrole de la Communauté<br />

économique des États de l’Afrique<br />

Le 6 e Forum des pays exportateurs<br />

de gaz s’est déroulé au Qatar<br />

le 22 février dernier.<br />

DR<br />

92 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


SHUTTERSTOCK (3)<br />

de l’Ouest (CEDEAO), une « feuille<br />

de route » pour enfin parachever la<br />

construction du gazoduc Trans-Saharan<br />

Gas-Pipeline (TSGP, dit aussi NIGAL),<br />

dans les cartons depuis 2009. La<br />

mise en service de cet ouvrage de<br />

plus de 4 000 kilomètres, qui pourrait<br />

acheminer 30 milliards de m 3 par an<br />

depuis le golfe de Guinée jusqu’aux<br />

consommateurs européens est prévue<br />

en… 2027. Outre le manque de fonds,<br />

celui-ci doit faire face à des menaces<br />

sécuritaires : insurgés du delta du Niger,<br />

djihadistes du Sahel… À cause du<br />

péril terroriste, Total a dû abandonner<br />

en 2021 un prometteur projet gazier<br />

à Cabo Delgado, dans le nord-est<br />

du Mozambique. Et il n’y a pas qu’en<br />

Europe que la dépendance au gaz<br />

peut servir de moyen de pression<br />

géopolitique : en froid avec Rabat sur la<br />

question du Sahara occidental, l’Algérie<br />

esquive dorénavant le Maroc pour<br />

approvisionner l’Espagne… La seule<br />

alternative aux chantiers titanesques<br />

de la construction de gazoducs consiste<br />

à liquéfier le gaz : la liquéfaction, qui<br />

permet de transformer 600 kilos de<br />

gaz en 1 kilo de gaz naturel liquéfié<br />

(GNL), tout aussi calorifique mais bien<br />

moins encombrant, nécessite d’atteindre<br />

une température de -160 °C ! Le GNL<br />

est ensuite transporté par cargos.<br />

Il en résulte toutefois une débauche<br />

énergétique qui émet deux fois plus<br />

de C0 2<br />

que le transport de gaz brut<br />

par gazoduc, guère compatible avec<br />

la nécessaire transition énergétique.<br />

À noter que, même si l’Europe<br />

parvient à remplacer le gaz russe par<br />

l’africain, l’œil du Kremlin risque fort<br />

de demeurer présent dans l’équation.<br />

Évoquant le projet de gazoduc côtier<br />

reliant le Nigeria au Maroc, le ministre<br />

Timipre Sylva s’est en effet réjoui :<br />

« Les Russes sont très désireux d’y<br />

investir. » Pas sûr que les Européens<br />

partagent son enthousiasme ! ■<br />

LES CHIFFRES<br />

LE NOMBRE DE TOURISTES<br />

SUR LE CONTINENT<br />

A GRIMPÉ DE 51 %<br />

ENTRE JANVIER 2021<br />

ET JANVIER 2022.<br />

Le Rwanda a attiré un record<br />

de 3,7 milliards de<br />

dollars d’investissements<br />

directs étrangers en 2021.<br />

1,7 %<br />

C’est le pourcentage<br />

d’Africains qui vivront<br />

dans l’extrême<br />

pauvreté en 2065,<br />

contre 35 %<br />

aujourd’hui, estime<br />

l’Union africaine.<br />

70 TONNES D’OR<br />

seront exportées<br />

par le Burkina Faso<br />

cette année, soit<br />

4 tonnes de plus qu’en<br />

2021. L’or est le premier<br />

produit d’exportation<br />

du pays.<br />

51, soit le nombre de destinations desservies<br />

par Turkish Airlines sur le continent.<br />

La ligne Istanbul-Djouba (Soudan du Sud)<br />

a été inaugurée le 1 er juin.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 93


BUSINESS<br />

Rabia Ferroukhi<br />

DIRECTRICE POUR LA RECHERCHE, LES POLITIQUES ÉNERGÉTIQUES ET LES FINANCES<br />

CHEZ L’AGENCE INTERNATIONALE POUR LES ÉNERGIES RENOUVELABLES (IRENA)<br />

« La transition énergétique<br />

est une vaste opportunité »<br />

Lutter contre<br />

le réchauffement<br />

climatique implique<br />

de basculer dans un<br />

monde décarboné.<br />

Pour les États africains<br />

producteurs de pétrole,<br />

cette transformation<br />

ne se fera pas sans<br />

douleur. Mais le dernier<br />

rapport de l’Agence<br />

internationale pour les<br />

énergies renouvelables<br />

(IRENA) estime<br />

que le continent a tout<br />

à y gagner, en matière<br />

de création d’emplois<br />

et de développement<br />

notamment.<br />

Explications avec<br />

Rabia Ferroukhi.<br />

propos recueillis<br />

par Cédric Gouverneur<br />

<strong>AM</strong> : Seulement 2 % des<br />

investissements dans les énergies<br />

renouvelables ont été effectués<br />

en Afrique, malgré son énorme<br />

potentiel dans l’éolien, et surtout<br />

le solaire. Pourquoi ?<br />

Rabia Ferroukhi : Être doté de<br />

ressources énergétiques renouvelables<br />

est une condition nécessaire, mais<br />

non suffisante. De nombreux<br />

autres aspects jouent un rôle dans<br />

l’orientation des investissements<br />

vers les énergies renouvelables.<br />

Ainsi, une dépendance économique<br />

structurelle à une matière première<br />

limite l’accès à un développement<br />

industriel efficace. Surmonter ces<br />

obstacles nécessite une amélioration<br />

significative de la collaboration<br />

internationale, afin de combler les<br />

lacunes accumulées par le passé.<br />

Les producteurs d’énergies fossiles<br />

se trouvent à la croisée des chemins :<br />

la demande de pétrole va baisser,<br />

des millions d’emplois sont en jeu.<br />

Comment peuvent-ils assumer la<br />

transition vers les énergies vertes ?<br />

L’IRENA estime que, dans un<br />

scénario limitant le réchauffement<br />

à 2 °C, la valeur des actifs bloqués<br />

dans le secteur des combustibles<br />

fossiles totaliserait 3300 milliards<br />

de dollars d’ici 2050… Retarder<br />

l’action pourrait faire grimper cette<br />

valeur à 6500 milliards de dollars,<br />

soit près du double ! Au contraire,<br />

stimuler les investissements et aider<br />

à la réallocation et à la création<br />

d’emplois et de services dans d’autres<br />

secteurs économiques aidera les<br />

producteurs de combustibles fossiles<br />

à tirer parti, eux aussi, de la transition<br />

énergétique. En Afrique, notre scénario<br />

de 1,5 °C (dans lequel le monde<br />

atteint ses objectifs climatiques dans<br />

le cadre de l’accord de Paris) prévoit<br />

3,5 % d’emplois supplémentaires<br />

sur la période 2021-2050.<br />

Autre point critique : les subventions<br />

aux carburants. Comment les<br />

supprimer sans impacter les plus<br />

vulnérables (une simple hausse<br />

GREYFRIARS<br />

94


SHUTTERSTOCK<br />

des prix des tickets de bus pouvant<br />

nuire au niveau de vie de dizaines<br />

de milliers de personnes) ?<br />

Celles-ci jouent un rôle essentiel<br />

dans la distorsion des marchés de<br />

l’énergie chez de nombreux pays<br />

africains. Et les ménages à faible revenu<br />

consacrent, proportionnellement,<br />

une part beaucoup plus importante<br />

de leurs ressources pour leurs<br />

dépenses énergétiques. La transition<br />

doit s’accompagner de mesures<br />

pour la rendre plus juste et plus<br />

équitable. Cela comprend des<br />

subventions afin d’aider à l’accès aux<br />

équipements en énergie renouvelable<br />

et des politiques spécifiques pour<br />

la distribution de ces énergies.<br />

Personne ne doit être laissé de côté.<br />

Certains modèles cités dans votre<br />

rapport Renewable Energy Market<br />

Analysis*, publié en janvier dernier,<br />

estiment que les énergies<br />

renouvelables créent<br />

en moyenne trois fois plus<br />

d’emplois que les fossiles !<br />

Comment expliquer<br />

un tel écart ?<br />

La modélisation de Heidi<br />

Garrett-Peltier révèle en effet<br />

que l’investissement dans<br />

les énergies renouvelables<br />

crée – pour chaque million<br />

de dollars de dépenses – près<br />

de trois fois plus d’emplois que<br />

dans les combustibles fossiles.<br />

Le caractère « distributif » des énergies<br />

renouvelables [c’est-à-dire leur accès<br />

à tous les secteurs de la société, ndlr]<br />

contribue à la création d’emplois de<br />

qualité. Mais l’effet net sur l’emploi du<br />

déploiement de la transition énergétique<br />

dépend de davantage de facteurs que<br />

la simple demande de main-d’œuvre<br />

pour produire ces technologies.<br />

L’ampleur de la transformation joue<br />

un rôle important : l’électrification<br />

liée à la transition introduit des<br />

Le continent offre un énorme potentiel dans le solaire. Ici, au Zimbabwe.<br />

changements sociétaux importants.<br />

La modélisation socio-économique<br />

des scénarios de l’IRENA montre que,<br />

dans l’ensemble, le solde d’emplois<br />

est positif en faveur de la transition<br />

énergétique, car les nouveaux emplois<br />

dépassent largement ceux perdus<br />

dans les combustibles fossiles.<br />

Les producteurs d’équipement<br />

se trouvent surtout dans quatre pays :<br />

les États-Unis, la Chine, le Japon<br />

et l’Allemagne. Comment promouvoir<br />

la fabrication de systèmes solaires<br />

et éoliens sur le continent ?<br />

Certains pays<br />

africains sont dotés<br />

On<br />

prévoit un PIB<br />

en Afrique<br />

plus élevé que<br />

celui réalisé<br />

dans le cadre<br />

de l’actuel<br />

statu quo.<br />

en minéraux essentiels<br />

utiles aux éoliennes<br />

ou aux batteries<br />

électriques (notamment<br />

le manganèse,<br />

le cuivre, le lithium,<br />

le cobalt, le chrome et<br />

le platine…). L’ampleur<br />

à laquelle l’Afrique<br />

tirera avantage de la<br />

transition énergétique<br />

dépendra fortement de la capacité<br />

des pays producteurs de matières<br />

premières à investir et développer<br />

les capacités de transformation plus<br />

en amont de la chaîne de valeur. Ce<br />

n’est que lorsque l’activité économique<br />

passera de la simple exportation de<br />

matières premières à celle de produits<br />

à plus forte valeur ajoutée que ces pays<br />

pourront s’emparer d’une plus grande<br />

part des emplois liés à la transition.<br />

Ceux-ci ne sont pas tous dans<br />

l’industrie, il existe également un<br />

énorme potentiel dans les services.<br />

Le continent n’a que faiblement<br />

contribué au réchauffement<br />

climatique, mais désormais les<br />

Africains sont appelés à s’adapter<br />

à la transition énergétique…<br />

Comment convaincre la population<br />

des bénéfices de cette dernière ?<br />

Nous devons nous débarrasser de<br />

l’idée que la transition énergétique exige<br />

des sacrifices, et comprendre que cette<br />

transition vers un système énergétique<br />

durable représente, en réalité, une<br />

vaste opportunité. Notre modélisation<br />

révèle que, malgré l’abandon difficile<br />

des sources d’énergie à forte intensité<br />

de carbone, la transition énergétique<br />

s’avère extrêmement prometteuse<br />

pour l’Afrique. En moyenne, sur<br />

la période de transition, on prévoit<br />

un PIB en Afrique plus élevé que<br />

celui réalisé dans le cadre de l’actuel<br />

statu quo. Mais c’est en matière de<br />

bien-être qu’elle offre les avantages<br />

les plus prononcés : notre indice de<br />

bien-être de la transition énergétique<br />

(qui intègre des composantes sociales,<br />

économiques, environnementales,<br />

etc.) s’améliore de plus de 25 % par<br />

rapport au statu quo. La transition<br />

apporte d’importants avantages<br />

structurels pour l’Afrique, notamment<br />

une économie diversifiée, innovante,<br />

l’accès à l’énergie et de profonds<br />

avantages pour l’environnement,<br />

tous essentiels à un développement<br />

socio-économique plus équitable. ■<br />

*Disponible sur irena.org/publications.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 95


BUSINESS<br />

Lacina Koné<br />

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ALLIANCE SMART AFRICA<br />

« Nous devons davantage<br />

investir en nous-mêmes »<br />

Le continent a<br />

encore de nombreux<br />

défis à relever avant<br />

de pouvoir pleinement<br />

profiter de l’opportunité<br />

technologique et<br />

digitale. Si l’Afrique<br />

a connu de récents<br />

progrès en matière<br />

de développement,<br />

elle doit faire attention<br />

à une « nouvelle forme<br />

de colonisation ».<br />

Rencontre avec<br />

l’Ivoirien Lacina<br />

Koné, patron<br />

de Smart Africa.<br />

par Oscar Pemba<br />

En tant que directeur général<br />

de l’alliance Smart Africa,<br />

une institution réunissant<br />

des acteurs privés et publics<br />

de l’économie africaine, Lacina Koné<br />

passe la plupart de son temps sur la<br />

route. Avant Barcelone, où il a assisté<br />

fin février au Mobile World Congress,<br />

le plus grand rassemblement au<br />

monde pour l’industrie du mobile,<br />

il s’est rendu en Estonie, pays<br />

leader en matière d’administration<br />

électronique et de numérisation.<br />

Ces déplacements lui permettent<br />

d’appréhender de nouvelles solutions<br />

digitales pour le continent et de tirer<br />

profit du partage de connaissance :<br />

« En Estonie, je ne voulais pas<br />

seulement comprendre comment les<br />

Estoniens faisaient ce qu’ils faisaient,<br />

mais ce qu’ils faisaient différemment. »<br />

Cet entrepreneur acharné essaye<br />

tant bien que mal de responsabiliser<br />

les professionnels qui l’entourent.<br />

Malgré les progrès réalisés en matière<br />

d’investissements, particulièrement dans<br />

le secteur technologique, Lacina Koné<br />

déplore la part toujours faible portée par<br />

le continent : « L’Afrique est le troisième<br />

plus grand continent du monde et<br />

ne représente pourtant que 1 % des<br />

investissements mondiaux dans la<br />

technologie. Nous avons une population<br />

de 1,3 milliard d’habitants, mais ne<br />

comptons que sept licornes. » Plus tôt<br />

dans l’année, Lacina Koné a rencontré<br />

Davit Sahakyan, vice-ministre arménien<br />

de l’Industrie de haute technologie :<br />

« L’Arménie compte 2,5 millions<br />

d’habitants, et elle a pourtant constitué<br />

un fonds national de capital-risque<br />

et ambitionne de créer 10 licornes<br />

dans les cinq ans ! » s’exclame<br />

le directeur de Smart Africa.<br />

Il s’inquiète en outre du fait qu’une<br />

grande partie des investissements<br />

actuels sont des capitaux étrangers.<br />

« Nous devons promouvoir l’idée<br />

du capital-risque sur notre propre<br />

terrain. C’est ainsi que la Silicon Valley<br />

a été créée, avec des capitaux locaux.<br />

Pour l’instant, seul l’opérationnel est<br />

en Afrique. L’argent est étranger. Les<br />

sociétés sont enregistrées en dehors du<br />

continent et, par conséquent, la valeur<br />

ira ailleurs. À long terme, ce n’est pas<br />

dans notre intérêt. » La question de la<br />

souveraineté revient régulièrement sur<br />

le tapis. Lacina Koné est persuadé que<br />

l’Afrique a le talent et le savoir-faire pour<br />

tirer parti de toutes ses opportunités,<br />

mais reste néanmoins réaliste. Deux<br />

types de partenariat définissent les<br />

relations entre les acteurs étrangers et<br />

africains, selon lui : « un partenariat<br />

dur » en matière d’apport de matériel de<br />

l’étranger, et « un partenariat doux et<br />

intelligent », où les Africains fournissent<br />

les idées et l’expertise pour appliquer<br />

la technologie sur le continent.<br />

Lacina Koné porte aussi beaucoup<br />

d’intérêt à la question du stockage<br />

96 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


des données. Aujourd’hui, l’Afrique<br />

en contrôle seulement 1,5 %,<br />

quand les États-Unis sont à 70 %,<br />

et la Chine à environ 22 %. « Nous<br />

sommes peut-être des retardataires,<br />

mais nous devons apprendre des<br />

erreurs des autres ; c’est l’avantage<br />

d’être en décalage ! C’est aussi une<br />

question de souveraineté. Les données<br />

africaines doivent être sur notre<br />

sol. C’est la raison pour laquelle<br />

nous faisons pression pour créer<br />

des centres de données locaux<br />

ainsi qu’un cloud africain. »<br />

En prenant exemple sur l’Estonie,<br />

il espère faire comprendre aux<br />

entrepreneurs africains l’importance<br />

de l’identification numérique : « C’est<br />

une pierre angulaire. Sans elle, on<br />

ne peut rien faire. Si nous voulons<br />

l’inclusion numérique, l’administration<br />

en ligne doit être en mesure d’effectuer<br />

des contrôles KYC [Know Your<br />

Customer, ndlr] ». Il considère cette<br />

situation comme étant un « scandale<br />

invisible ». « À l’heure actuelle, tous<br />

les KYC effectués par les start-up<br />

et le secteur privé sont basés sur<br />

les numéros de téléphone mobile. »<br />

Pour sortir de cette impasse<br />

et attirer les investissements, Lacina<br />

Koné tente de réunir politiciens et<br />

businessmen autour du sujet de l’accès<br />

à Internet. Selon lui, le partenariat<br />

entre les secteurs privé et<br />

public est la seule solution<br />

viable : « La couverture<br />

de 94 % de la population<br />

mondiale est assurée par<br />

la combinaison de câbles<br />

sous-marins, de câbles<br />

à fibres optiques et de<br />

satellites. Mais comment se<br />

fait-il que l’Afrique présente<br />

toujours une connectivité<br />

inférieure à 40 %, alors<br />

que le monde, selon les données de<br />

l’Organisation de coopération et de<br />

développement économiques (OCDE),<br />

est connecté en moyenne à 54 %? »<br />

Le dirigeant de Smart Africa se<br />

déplace régulièrement sur le continent<br />

pour convaincre les gouvernements<br />

à penser de façon stratégique et<br />

harmonisée en matière de cadres<br />

législatif et réglementaire, de protection<br />

des données, et à des questions telles<br />

que la capacité acité d’un cloud à grande<br />

Il nous faut<br />

promouvoir<br />

l’idée du<br />

capital-risque<br />

sur notre<br />

propre terrain.<br />

échelle. L’homme se dit impatient car<br />

il sait que les progrès peuvent être plus<br />

rapides, mais s’inquiète d’une éventuelle<br />

fuite des cerveaux – notamment<br />

les ingénieurs logiciels – et appelle<br />

à une refonte complète du<br />

système éducatif. « N’est-ce<br />

pas Dell qui affirme que<br />

85 % des emplois en 2030<br />

n’ont pas encore été<br />

créés ? » Il juge que l’Afrique<br />

n’a pas raté le coche et<br />

qu’elle a tout à y gagner.<br />

« Où est Nokia aujourd’hui ?<br />

La seule constante est<br />

que les choses changent<br />

de plus en plus vite.<br />

Nous sommes devenus un continent<br />

de la téléphonie mobile d’abord. »<br />

En 2021, le continent représentait 60 %<br />

des transactions mondiales d’argent<br />

via mobile. « Chacun avance à son<br />

rythme, ce qui est compréhensible,<br />

mais il y a un consensus sur le fait que<br />

sans un secteur informatique puissant,<br />

on est des laissés-pour-compte. » ■<br />

Une institution panafricaine<br />

DR<br />

SOUTENUE PAR L’UNION AFRICAINE et imaginée par Paul Kagame, président du Rwanda,<br />

Smart Africa a été conçue pour améliorer le paysage numérique sur le continent.<br />

L’institution travaille à la fois avec le secteur privé et les gouvernements. Son conseil<br />

d’administration étant composé de représentants du secteur privé, l’ordre du jour<br />

est déterminé à la fois par ce dernier et le secteur public, ce qui en fait une structure<br />

unique. Ses attributions sont vastes, allant de la collaboration avec les décideurs<br />

politiques pour améliorer l’environnement réglementaire à l’harmonisation<br />

de la réglementation sur le continent, en passant par la collaboration avec<br />

les gouvernements et les opérateurs pour déterminer la meilleure façon de<br />

réduire le coût des données. En résumé, il s’agit de faire preuve d’intelligence<br />

pour tirer réellement parti des possibilités offertes par la technologie et de créer<br />

un environnement propice à la réussite des entrepreneurs. De son côté, Lacina<br />

Koné a été formé aux États-Unis. Il a été le conseiller d’Alassane Ouattara,<br />

président de la Côte d’Ivoire, sur les questions relatives aux technologies<br />

de l’information et de la communication (TIC). Avant cela, il avait passé<br />

de nombreuses années outre-Atlantique au sein de la société de conseil<br />

internationale Booz Allen Hamilton, toujours dans le domaine des TIC. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 97


BUSINESS<br />

Gandoul et la connectivité<br />

Orange en Afrique<br />

Il y a cinquante ans, les communications par satellite sur le continent passaient<br />

par le Sénégal. C’est naturellement que ce pays accueille le portail d’accès vers une<br />

constellation satellitaire d’envergure, une avancée historique. par Emmanuelle Pontié<br />

Ce 17 mai, journée<br />

internationale des<br />

télécommunications,<br />

la petite localité de Gandoul,<br />

située à 50 kilomètres à l’est de<br />

Dakar, est à la fête. Elle procède<br />

à une double cérémonie. Tout d’abord,<br />

la commémoration du cinquantenaire<br />

du site historique de la première station<br />

terrienne des télécommunications<br />

par satellite implantée en Afrique,<br />

inaugurée le 5 avril 1972 par le<br />

président Léopold Sédar Senghor, et<br />

qui a rendu possibles les premières<br />

communications par satellite au<br />

Sénégal et en Afrique. Un mémorial<br />

sera érigé autour du périmètre<br />

de l’ancienne grande antenne de<br />

50 mètres de haut, qui pèse 350 tonnes.<br />

Le village de Gandoul bénéficiera<br />

aussi du Projet village de la fondation<br />

Sonatel, soutenu par les fondations<br />

Orange et Société européenne des<br />

satellites (SES), avec notamment<br />

la construction d’infrastructures<br />

de santé et d’éducation. L’ancien<br />

ministre d’État Alassane Dialy Ndiaye,<br />

premier Africain spécialisé dans les<br />

communications spatiales, ingénieur<br />

et chef du projet de construction de<br />

la station de Gandoul, a partagé ses<br />

souvenirs devant les applaudissements<br />

de l’assemblée réunie pour l’occasion.<br />

Mais la journée devait aussi marquer<br />

le lancement d’une nouvelle ère<br />

pour le téléport : le déploiement<br />

du premier gateway 03b mPower en<br />

Afrique, fruit d’un partenariat entre<br />

les sociétés Orange, SES et Sonatel.<br />

En plus clair : le Sénégal deviendra<br />

la porte d’entrée du continent pour une<br />

constellation initiale de 11 satellites<br />

de haute performance, mobiles et situés<br />

en moyenne orbite, à 8 000 kilomètres<br />

de la Terre. En accueillant l’une des<br />

huit stations de ce type existant<br />

dans le monde, le Sénégal garde sa<br />

position de leader dans le domaine.<br />

L’Afrique bénéficiera ainsi d’un accès<br />

facilité à des services de connectivité<br />

à des débits de plusieurs gigabits<br />

par seconde. Dans son discours,<br />

le ministre de l’Économie numérique<br />

et des Télécommunications, Yankhoba<br />

Diatara, a souligné,<br />

célébrant entre autres<br />

le thème de la 53 e édition<br />

de la journée internationale<br />

des télécommunications,<br />

« l’amélioration de la<br />

vie des personnes âgées<br />

et de leurs familles par<br />

l’accessibilité et l’inclusivité<br />

numériques. […] L’enjeu<br />

est de faire en sorte qu’elles<br />

puissent avoir accès à ces<br />

technologies et d’éviter une fracture<br />

numérique qui ne les prendrait pas<br />

en compte. C’est un devoir pour nous,<br />

notre responsabilité morale, de tirer le<br />

Nous<br />

investissons<br />

massivement<br />

pour le mobile<br />

et en faveur<br />

du réseau fixe<br />

entre les pays.<br />

Christel Heydemann dirige<br />

le groupe Orange depuis le 4 avril.<br />

meilleur parti des possibilités offertes<br />

par la 5G, l’intelligence artificielle,<br />

l’Internet des objets, l’informatique<br />

en nuages, la santé numérique et<br />

d’autres technologies ».<br />

À la manœuvre, la société<br />

française Orange a pour<br />

projet de se connecter aux<br />

constellations satellites<br />

afin de couvrir l’ensemble<br />

des zones blanches.<br />

Avec une couverture<br />

mobile de 99 % de la<br />

population sénégalaise<br />

et un service 4G offert<br />

à 90 % des habitants,<br />

elle lancera les premiers tests 5G cette<br />

année. Selon Jérôme Barré, CEO<br />

d’Orange Wholesale & International<br />

Networks : « Le trafic international<br />

NICOLAS GOUHIER<br />

98 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


Ci-dessus, de gauche à droite<br />

(en costume) : Jérôme Barré, CEO<br />

d’Orange Wholesale & International<br />

Networks ; Jean-Luc Vuillemin,<br />

directeur des réseaux et des services<br />

internationaux d’Orange ; Sékou Dramé,<br />

DG de Sonatel ; et Yankhoba Diatara,<br />

ministre de l’Économie numérique<br />

et des Télécommunications.<br />

DR (2)<br />

La fameuse antenne de Gandoul, érigée en 1972 sous Léopold Sédar Senghor.<br />

Haute de 50 mètres, elle pèse 350 tonnes.<br />

en gigaoctets augmente<br />

de 35 % chaque année. Un groupe<br />

comme le nôtre a pour enjeu<br />

d’accompagner les besoins en<br />

connectivité de plus en plus forts<br />

que connaît l’Afrique. C’est pourquoi<br />

nous investissons massivement<br />

sur le continent, à hauteur de<br />

1 milliard par an, pour le mobile,<br />

mais aussi en faveur du réseau fixe<br />

et de l’interconnectivité entre les pays,<br />

à travers trois axes. Tout d’abord, le<br />

câble sous-marin, afin d’accéder à des<br />

contenus éloignés, comme les géants<br />

du Web. L’Afrique doit être raccordée<br />

en sécurité, avec deux ou trois câbles,<br />

comme au Sénégal. Nous essayons<br />

ainsi de mailler tous les pays côtiers.<br />

En ce qui concerne le terrestre,<br />

le réseau Djoliba dessert huit États<br />

d’Afrique de l’Ouest : le Sénégal,<br />

le Ghana, le Burkina Faso, la Côte<br />

d’Ivoire, le Liberia, la Guinée, le Mali<br />

et le Nigeria. C’est le premier réseau<br />

totalement interconnecté, avec un seul<br />

interlocuteur, technique, commercial,<br />

etc. Et enfin, le satellite, qui est une<br />

solution de connexion directe. Nous<br />

pouvons y accéder avec un portable<br />

lambda. » Avec une triple solution de<br />

connectivité, enrichie par le nouveau<br />

téléport de Gandoul, qui devrait être<br />

opérationnel d’ici à la fin de cette<br />

année, l’Afrique devrait bénéficier<br />

d’une réelle amélioration de son accès<br />

aux communications et aux nouvelles<br />

technologies. Grâce, en partie, au rôle<br />

de pionnier historique du Sénégal. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 99


BUSINESS<br />

Le BTP turc<br />

à l’assaut du continent<br />

Les entreprises de construction du pays sont de plus en plus présentes<br />

dans un contexte de recul de la « Chinafrique ».<br />

Le palais des sports Dakar Arena a été érigé<br />

par la société Summa.<br />

Inauguré en février, le stade<br />

olympique de Diamniadio – la<br />

fameuse ville nouvelle près de la<br />

capitale sénégalaise – est l’œuvre<br />

d’une entreprise de bâtiment et travaux<br />

publics (BTP) turque, Summa, qui a<br />

bâti cette enceinte de 50 000 places<br />

en dix-huit mois. Elle a aussi érigé<br />

le palais des sports Dakar Arena<br />

ainsi que le centre des expositions<br />

de Dakar. La société est par ailleurs<br />

co-actionnaire – avec son compatriote,<br />

le groupe cimentier Limak – de<br />

l’aéroport international Blaise Diagne.<br />

Son carnet de commandes africain ne<br />

désemplit pas : des aéroports au Niger,<br />

en Guinée-Bissau, en Sierra Leone,<br />

un stade au Rwanda, ou encore des<br />

centres d’exposition en République<br />

démocratique du Congo et en Guinée<br />

équatoriale… Depuis 2015, Summa<br />

prospecte aussi l’or au Niger. « Il y a<br />

dix ans, nous n’avions aucun projet<br />

en Afrique en dehors de la Libye,<br />

aujourd’hui, cela concerne 99 % de nos<br />

activités », a résumé Selim Bora, PDG de<br />

la société, début mai à The Economist.<br />

La plupart des groupes de BTP turcs<br />

sont dans le même cas : désormais,<br />

17 % de leurs chantiers à l’étranger<br />

sont situés en Afrique subsaharienne…<br />

contre seulement 0,3 % en 2008 !<br />

Quarante des plus importantes<br />

entreprises de construction du globe<br />

sont turques. Le secteur du BTP est le<br />

troisième le plus important au monde,<br />

SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA<br />

100 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


DR<br />

après la Chine et les États-Unis.<br />

Très présents en Afrique du Nord, ces<br />

groupes se sont tournés vers le sud<br />

du Sahara après la chute du colonel<br />

Kadhafi en 2011, le chaos libyen les<br />

incitant à diversifier leurs activités.<br />

Leur réputation les y avait précédés :<br />

« Beaucoup de dirigeants africains<br />

qui avaient visité la Libye et apprécié<br />

les ouvrages turcs étaient impatients<br />

de travailler avec eux », souligne<br />

The Economist. Ces sociétés ont en<br />

effet la réputation de travailler plus<br />

vite que leurs concurrents chinois,<br />

pour un rendu de qualité. Surtout,<br />

leurs chantiers sur le continent font<br />

majoritairement appel à des ouvriers<br />

et des sous-traitants africains, alors<br />

que les Chinois ont tendance à faire<br />

venir leur propre main-d’œuvre. Signe<br />

des temps, le groupe Yapi Merkezi<br />

a remporté fin décembre, face à des<br />

concurrents chinois, l’appel d’offres<br />

pour la construction de la ligne de<br />

chemin de fer reliant Dar Es Salam au<br />

lac Victoria en Tanzanie, pays pourtant<br />

partenaire historique de Pékin.<br />

L’essor du made in Türkiye (le<br />

pays ne souhaite plus être appelé<br />

« Turkey » en anglais, qui signifie<br />

aussi « dinde »…) est concomitant<br />

du reflux de la Chinafrique : selon le<br />

Boston University Global Development<br />

Policy Center, après deux décennies<br />

de domination et un pic en 2016, les<br />

prêts chinois ont chuté de 78 % l’an<br />

dernier, pour un montant inférieur<br />

à 2 milliards de dollars, soit leur<br />

plus bas niveau en Afrique depuis<br />

2004 ! Le Covid-19 est passé par là :<br />

affecté par une récession en 2020, le<br />

continent est plus regardant envers<br />

les prêts de l’Empire du Milieu, son<br />

premier créancier. La crise a aussi<br />

affecté la capacité de prêt de la Chine.<br />

La nature ayant horreur du vide,<br />

ses challengers, notamment turcs,<br />

prennent donc le relais. ■ C.G.<br />

Un étonnant modèle<br />

de coopération sud-sud<br />

La République du Congo va concéder 12 000 hectares<br />

de maraîchages au Rwanda.<br />

L’annonce a été faite<br />

à l’occasion de la visite<br />

du président rwandais Paul<br />

Kagamé à son homologue congolais<br />

Denis Sassou-Nguesso (DSN),<br />

mi-avril : la République du Congo<br />

va céder 12 000 hectares de terres<br />

agricoles au Rwanda. Les parcelles,<br />

concédées par Brazzaville à Kigali<br />

pour une période de vingt-cinq ans,<br />

sont constituées de maraîchages situés<br />

au bord du fleuve Congo. Il y sera<br />

principalement cultivé du ricin, plante<br />

avec laquelle est produite de l’huile,<br />

susceptible d’être exportée. Les deux<br />

pays d’Afrique centrale – qui n’ont<br />

pas de frontière commune – ont en<br />

effet chacun des besoins que l’autre<br />

peut satisfaire : le Congo (342 000 km 2<br />

pour 5,5 millions d’habitants) compte<br />

Le président rwandais<br />

Paul Kagamé a été accueilli<br />

par son homologue congolais<br />

Denis Sassou-Nguesso<br />

le 13 avril dernier.<br />

10 à 12 millions de terres arables,<br />

dont 5 % seulement sont exploitées.<br />

Inversement, le pays des mille collines,<br />

douze fois moins vaste mais presque<br />

trois fois plus peuplé (26 000 km 2<br />

pour 13 millions d’habitants), souffre<br />

d’un manque chronique de terres,<br />

ce qui entraîne des litiges fonciers et<br />

des tensions sociales. DSN et Kagamé<br />

entendent ainsi démontrer le potentiel<br />

de la coopération sud-sud au service<br />

du développement du continent.<br />

Certains à Brazzaville redoutent<br />

cependant que le Rwanda profite de<br />

ce deal davantage que son partenaire :<br />

« Il y aura le made in Congo, mais<br />

les ressources financières vont atterrir<br />

dans une banque de Kigali », a estimé<br />

le 3 mai l’analyse économique Alphonse<br />

Ndongo à nos confrères de RFI. ■ C.G.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 101


VIVRE MIEUX<br />

Pages dirigées par Danielle Ben Yahmed, avec Annick Beaucousin et Julie Gilles<br />

L’ANDROPAUSE,<br />

LA MÉNOPAUSE AU MASCULIN<br />

LES HOMMES CONNAISSENT MAL CE PHÉNOMÈNE. ILS EN SOUFFRENT POURTANT<br />

TOUS, MAIS À DES DEGRÉS DIVERS.<br />

ON ASSIMILE l’andropause chez les hommes à la<br />

ménopause chez les femmes. Il s’agit dans les deux<br />

cas d’une histoire d’hormones avec des différences.<br />

Chez les femmes, la ménopause correspond à la fin<br />

de la sécrétion des hormones estrogènes et progestérone,<br />

elle marque la fin de la fertilité. Chez les hommes,<br />

il n’y a pas d’arrêt de production des hormones masculines,<br />

mais une baisse de la sécrétion de testostérone (principale<br />

hormone masculine, essentiellement produite dans<br />

les testicules). On parle alors d’andropause, ou de déficit<br />

androgénique lié à l’âge, lorsque cette baisse s’accompagne<br />

de symptômes. La production de spermatozoïdes<br />

n’est pas stoppée, et l’homme peut toujours procréer.<br />

Toutes les femmes sont concernées par la ménopause,<br />

même si elles n’en subissent pas forcément les désagréments<br />

avec la même intensité. En revanche, l’andropause n’est<br />

pas systématique : il y a des hommes qui gardent toute leur<br />

vie un taux assez élevé de testostérone, tandis que d’autres<br />

souffrent d’un franc déficit. En fait, l’andropause ne touche<br />

qu’une petite partie des hommes (aux alentours de 25<br />

à 30 % après 60 ans), même si la baisse de la testostérone,<br />

progressive, se produit chez tous : à partir de 30 ans,<br />

le taux diminue déjà d’environ 1 % par an, étant un<br />

phénomène naturel lié au vieillissement. Mais la majorité<br />

en conserve tout de même assez pour ne pas avoir de<br />

symptômes, et donc ne pas s’en rendre compte. Les normes<br />

SHUTTERSTOCK<br />

102 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


de testostérone varient selon les tranches d’âge, et<br />

le dosage se fait par analyse de sang à deux reprises,<br />

à un mois d’intervalle, pour confirmation du diagnostic.<br />

Quand elle se manifeste, l’andropause peut aussi bien<br />

survenir à 50 ans qu’à 60 ou 65 ans – voire encore plus tard.<br />

La testostérone régulant la fonction sexuelle masculine,<br />

les symptômes les plus courants sont la diminution du<br />

désir, des érections moins fréquentes et moins fermes. Il y a<br />

également disparition des érections spontanées nocturnes ou<br />

matinales. L’andropause peut provoquer d’autres symptômes :<br />

fatigue, état dépressif, irritabilité, prise de graisse au niveau<br />

abdominal, diminution de la force et de la masse musculaire,<br />

de la densité osseuse ou encore de la pilosité. Une sudation<br />

importante (des bouffées de chaleur) ou des troubles de<br />

la mémoire ou du sommeil peuvent aussi être constatés.<br />

SHUTTERSTOCK<br />

LIMITER LES SYMPTÔMES<br />

Le surpoids augmente le risque de souffrir d’andropause,<br />

le tissu graisseux entraînant une réduction des hormones<br />

masculines. Tout ce qui permet de perdre de la graisse,<br />

comme une alimentation adaptée et de l’exercice<br />

physique, est ainsi bénéfique pour la testostérone : cela<br />

aide à préserver son taux ou à diminuer les symptômes<br />

de l’andropause. Une consommation excessive d’alcool<br />

peut aussi affecter la production hormonale masculine,<br />

de même que, selon certaines données, le fait de dormir<br />

moins de 6 heures par nuit sur le long terme.<br />

Pour limiter les symptômes, on peut prendre un<br />

traitement hormonal substitutif au long cours. La testostérone<br />

peut être prescrite sous forme de comprimés, de patchs,<br />

de gels à appliquer quotidiennement sur la peau ou sous<br />

forme injectable (avec une administration à plusieurs<br />

semaines d’intervalle). Son action peut être variable, mais<br />

en principe, il permet de réduire les symptômes gênants,<br />

de redonner un coup de fouet à la libido, d’améliorer<br />

la force musculaire et de diminuer la masse grasse.<br />

Avant sa prescription, un bilan est indispensable<br />

car diverses affections sont contre-indiquées (comme<br />

un cancer du sein – possible chez l’homme –, de la prostate…),<br />

la testostérone pouvant favoriser le développement d’un<br />

cancer débutant. En revanche, contrairement à une crainte,<br />

ce traitement ne favorise pas le déclenchement d’un cancer<br />

de la prostate. Si le traitement hormonal est contre-indiqué<br />

ou non voulu, une prescription de médicaments<br />

de la dysfonction érectile, une perte de poids ou encore<br />

une activité physique plus soutenue peuvent permettre<br />

de retrouver une meilleure qualité de vie. ■ Julie Gilles<br />

DES CR<strong>AM</strong>PES<br />

EN MARCHANT ?<br />

PERÇUES COMME BANALES, ELLES PEUVENT<br />

AUSSI ÊTRE LE SIGNE D’UNE ARTÉRITE.<br />

SOUVENT, on s’inquiète peu de ces crampes :<br />

on les attribue à un manque de magnésium,<br />

à une fatigue musculaire… Et puis, lorsqu’on<br />

s’arrête de marcher quelques minutes, le<br />

mal disparaît, donc on ne s’inquiète pas.<br />

Or, le fait d’avoir des crampes qui se répètent<br />

lors de la marche doit faire penser à un problème<br />

d’artères : celles des jambes irriguant les muscles,<br />

sont encrassées par des plaques de graisses et peuvent<br />

finir par se boucher. Tabagisme, diabète, excès de<br />

cholestérol ou encore hypertension favorisent cette<br />

maladie appelée « artériopathie oblitérante des<br />

membres inférieurs », ou communément « artérite ».<br />

Il est capital de consulter son médecin afin<br />

d’éviter une aggravation (difficultés de marche,<br />

puis douleurs au repos). Il existe des traitements<br />

efficaces, mais il faut arrêter de fumer et continuer<br />

à marcher régulièrement (30 minutes trois fois<br />

par semaine). Consulter permet en parallèle<br />

de rechercher le même problème d’artères<br />

obstruées au niveau du cœur ou du cerveau :<br />

un traitement peut ainsi permettre d’éviter<br />

un infarctus ou un AVC. ■ Annick Beaucousin<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 103


VIVRE MIEUX<br />

DES PLANTES<br />

CONTRE L’ARTHROSE<br />

UNE OPTION NATURELLE À NE PAS NÉGLIGER POUR ÉLOIGNER LES DOULEURS.<br />

Les baies et les feuilles de cassis ont des propriétés<br />

anti-oxydantes et anti-inflammatoires.<br />

L’ARTHROSE EST UNE ATTEINTE du cartilage : lésé,<br />

il se dégrade peu à peu, d’où le mal. Le réflexe est alors<br />

de se tourner vers des médicaments antidouleur et<br />

anti-inflammatoires, mais tout miser sur eux ne suffit pas.<br />

Avant tout, deux points sont essentiels. En premier lieu,<br />

il faut continuer à bouger (sauf poussée très douloureuse) :<br />

une activité physique douce régulière entraîne la sécrétion<br />

d’endorphines qui contrôlent la douleur, améliore la<br />

mobilité des articulations et diminue l’inflammation<br />

qui les agresse. Par pression sur le cartilage, le mouvement<br />

améliore ainsi sa nutrition et stimule sa reconstruction.<br />

Au besoin, de la kinésithérapie est recommandée.<br />

Le second point capital est de batailler contre le surpoids :<br />

les kilos en trop augmentent en effet la pression sur<br />

les articulations et les cartilages des membres inférieurs,<br />

les surmenant. Mais ce n’est pas tout, le tissu graisseux<br />

sécrète des substances inflammatoires néfastes sur<br />

toutes les articulations, y compris celles des mains.<br />

La phytothérapie est en outre très intéressante<br />

pour combattre le mal. L’harpagophytum est souvent<br />

la première plante préconisée, des études ayant montré<br />

qu’elle diminue bel et bien les douleurs. Elle peut ainsi<br />

permettre de réduire la consommation de médicaments.<br />

Il est conseillé de la prendre en gélules afin d’absorber<br />

une bonne teneur en principes actifs (2 à 4 g par jour).<br />

Mais il faut savoir que l’efficacité n’est pas immédiate :<br />

cela nécessite plusieurs semaines pour avoir des résultats.<br />

Autre plante intéressante, le cassis (baies et feuilles) :<br />

ses propriétés anti-oxydantes et anti-inflammatoires,<br />

grâce à ses flavonoïdes, soulagent les douleurs articulaires.<br />

On le prend en tisane (40 g pour ½ litre d’eau), à plusieurs<br />

reprises dans la journée, en cures de trois semaines<br />

espacées d’une semaine d’arrêt. Pendant une crise très<br />

douloureuse, on peut également boire trois à cinq tasses<br />

par jour de cette tisane à l’effet « aspirine naturelle » :<br />

un mélange de fleurs de reine-des-prés et d’écorce de<br />

saule blanc, à raison de 3 g de chaque dans 25 cl d’eau.<br />

Enfin, on pense aux huiles essentielles pour une<br />

douleur localisée sur une articulation peu profonde (mains,<br />

genoux…). Celles de gaulthérie et de gingembre notamment<br />

ont des propriétés antidouleur et anti-inflammatoires : on<br />

mélange trois gouttes de chaque dans une demi-cuillerée<br />

d’huile végétale, et on se masse en douceur.<br />

Dans tous les cas, il faut demander conseil<br />

à son médecin ou son pharmacien pour s’assurer<br />

de l’absence de contre-indication aux plantes. ■ A.B.<br />

SHUTTERSTOCK<br />

104 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


SE BLANCHIR LES DENTS,<br />

MAIS PAS N’IMPORTE COMMENT<br />

AVOIR UN SOURIRE ÉCLATANT EST UN RÊVE POUR BEAUCOUP.<br />

IL FAUT NÉANMOINS ÊTRE PRUDENT.<br />

En bref<br />

Le pouvoir dans<br />

votre assiette<br />

● Un chef et un médecin<br />

ont mis en commun<br />

leurs savoirs pour donner<br />

les clés d’une bonne<br />

santé, d’une alimentation<br />

saine, sans régimes ni<br />

frustrations, en s’écoutant<br />

et en faisant preuve de<br />

bon sens. Bien manger<br />

ne coûte pas plus cher !<br />

L’Assiette santé :<br />

Alimentation, sommeil,<br />

sport et bien-être,<br />

par Thierry Marx et le<br />

Dr Alexandra Dalu,<br />

Flammarion, 19,90 euros.<br />

SHUTTERSTOCK - DR - SHUTTERSTOCK<br />

QUAND ON SOUHAITE blanchir ses dents,<br />

le risque est d’utiliser des produits agressifs<br />

qui vont attaquer l’émail, cette couche dure<br />

recouvrant les dents et leur donnant leur<br />

teinte brillante. Avec plusieurs conséquences<br />

possibles : une sensibilité au brossage, au<br />

contact du chaud et/ou du froid, d’aliments<br />

acides ou sucrés… L’émail peut aussi être en<br />

quelque sorte abrasé, plus fin, et devenir une<br />

porte ouverte aux attaques microbiennes. Il<br />

peut également laisser apparaître la dentine<br />

en dessous, dentine qui a toujours une<br />

couleur jaune… allant bien sûr à l’encontre<br />

du résultat escompté ! Et malheureusement,<br />

une fois l’émail abîmé, c’est définitif, il ne<br />

se régénère jamais. Il faut donc être prudent.<br />

Utiliser des dentifrices blancheur<br />

ou blanchissants n’est pas très risqué :<br />

ils vont surtout aider à limiter les<br />

colorations sur les dents, dues par<br />

exemple aux boissons contenant des<br />

tanins (thé, café, vin), au tabac…<br />

En revanche, il faut se méfier d’autres<br />

méthodes, même « naturelles ». Ainsi,<br />

mettre du citron sur sa brosse à dents pour<br />

éliminer des taches est une fort mauvaise<br />

idée ! Le citron battant des records d’acidité,<br />

plus on en met, plus on abîme ses dents<br />

avec une déminéralisation de l’émail,<br />

et plus on les jaunit ! Utiliser du charbon<br />

peut avoir les mêmes conséquences, avec<br />

un amincissement de l’émail. Et cela vaut<br />

aussi pour la poudre de bicarbonate.<br />

Des « bars à sourire » se sont ouverts<br />

un peu partout. Mais le blanchiment,<br />

peu cher, n’y est pas effectué par des<br />

professionnels de santé, les produits<br />

employés sont peu concentrés en actifs,<br />

et l’effet blanchiment ne dure pas<br />

longtemps. Certes, il y a peu de risques,<br />

cependant un contrôle au préalable chez<br />

son dentiste est conseillé : un problème<br />

de carie ou d’inflammation des gencives<br />

pourrait être aggravé par l’acte.<br />

Un blanchiment en cabinet dentaire<br />

est d’ailleurs la meilleure solution, car<br />

réalisé dans les règles de l’art et durable.<br />

Les dentistes utilisent des gels à base de<br />

peroxyde d’hydrogène très concentrés et<br />

réalisent des gouttières sur mesure pour<br />

y déposer le produit. Attention, les produits<br />

à base de peroxyde d’hydrogène fortement<br />

concentrés que l’on trouve sur Internet ne<br />

doivent pas être employés à la maison sous<br />

peine d’ennuis : hypersensibilité, douleurs,<br />

résultat inadapté ou encore dents abîmées…<br />

Enfin, c’est à savoir : le blanchiment<br />

n’agit que sur les dents naturelles. Donc,<br />

en cas de couronne en céramique ou<br />

de dent comblée avec un composite,<br />

il faudra souvent la refaire si l’on veut<br />

arriver à la même teinte. ■ J.G.<br />

L’avocat, bon<br />

pour le cœur<br />

● On le savait déjà plein<br />

de bienfaits, mais une<br />

étude, publiée dans le<br />

Journal of the American<br />

Heart Association, menée<br />

durant trente ans sur plus<br />

de 100000 personnes<br />

confirme son atout<br />

pour le cœur. Ainsi, en<br />

mangeant un avocat par<br />

semaine, on a un risque de<br />

maladies cardiovasculaire<br />

et coronarienne inférieur<br />

de 16 et 21 % par rapport<br />

à quelqu’un qui n’en mange<br />

rarement ou jamais.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 105


LES 20 QUESTIONS<br />

Lucibela<br />

Nouvelle ambassadrice des musiques du<br />

Cap-Vert, la chanteuse signe son deuxième<br />

album. VIBRANTE DE SAUDADE,<br />

sa voix raconte les joies, les peines,<br />

les défis des femmes de son « petit pays ».<br />

propos recueillis par Astrid Krivian<br />

1 Votre objet fétiche ?<br />

Mon téléphone portable ! Il rassemble mon travail,<br />

mes appels, mes loisirs. Je ne peux pas vivre sans.<br />

2 Votre voyage favori ?<br />

L’Australie. C’était un rêve ! J’ai adoré<br />

Sydney. Maintenant, j’aimerais découvrir<br />

le Japon ou la Corée du Sud.<br />

3 Le dernier voyage que vous avez fait ?<br />

En France à Albi, pour un concert<br />

hommage à Césaria Evora.<br />

4 Ce que vous emportez toujours<br />

avec vous ?<br />

Un porte-clés réalisé par ma fille<br />

de 9 ans. Et mes peignes afro :<br />

un dans mon sac à main et un<br />

dans mon bagage en soute !<br />

5 Un morceau de musique ?<br />

Pendant longtemps, « Your Song »,<br />

d’Elton John, était une obsession.<br />

6 Un livre sur une île déserte ?<br />

L’Alchimiste, de Paulo Coelho. Enfant,<br />

je n’étais pas encouragée à la lecture.<br />

Maintenant, je me mets doucement à lire<br />

des ouvrages recommandés par des proches.<br />

7 Un film inoubliable ?<br />

Pretty Woman. Je ne m’en lasse pas !<br />

8 Votre mot favori ?<br />

« Musique ».<br />

Amdjer,<br />

Lucibela/Sony.<br />

9 Prodigue ou économe ?<br />

Avant, j’étais prodigue. Mais après de nombreuses<br />

difficultés, je suis devenue plus économe.<br />

10 De jour ou de nuit ?<br />

De nuit, assurément. Je ne suis pas du<br />

genre à aller en boîte, mais j’aime sortir,<br />

me promener, être avec des amis.<br />

11 Twitter, Facebook, e-mail,<br />

coup de fil ou lettre ?<br />

Coup de fil. Je ne suis pas aussi moderne<br />

que les gens de ma génération [rires] !<br />

12 Votre truc pour penser à autre chose,<br />

tout oublier ?<br />

Écouter de la musique. Je peux penser,<br />

réfléchir, mais aussi oublier le monde extérieur<br />

avec des écouteurs sur les oreilles.<br />

13 Votre extravagance favorite ?<br />

Passer une journée entière dans<br />

les magasins à acheter des vêtements.<br />

14 Ce que vous rêviez d’être<br />

quand vous étiez enfant ?<br />

Économiste. Ce n’était pas vraiment un rêve,<br />

mais autour de moi, on disait que c’était<br />

un bon travail. Maintenant, si je n’étais pas<br />

chanteuse, j’aimerais être massothérapeute.<br />

15 La dernière rencontre qui vous<br />

a marquée ?<br />

Un rendez-vous amoureux ? Ça fait longtemps<br />

que je n’ai pas eu de rencontre inoubliable…<br />

16 Ce à quoi vous êtes incapable<br />

de résister ?<br />

La bonne cuisine !<br />

17 Votre plus beau souvenir ?<br />

La première fois que j’ai vu le visage<br />

de ma fille, à la maternité. J’ai parfois<br />

l’impression que son parfum est resté le même.<br />

18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?<br />

Au Portugal, où je vis. Je m’y sens bien.<br />

19 Votre plus belle déclaration d’amour ?<br />

Je n’ai jamais eu de déclarations d’amour comme dans<br />

les films [rires] ! C’est plutôt des « Je t’aime », je ressens<br />

de l’amour, de l’affection, de l’attention, de l’amitié.<br />

20 Ce que vous aimeriez que l’on retienne<br />

de vous au siècle prochain ?<br />

Que je communiquais de bonnes énergies aux gens,<br />

réchauffais leur cœur, leur apportais de la joie avec<br />

ma voix. Que je perpétuais la musique traditionnelle<br />

du Cap-Vert, et la diffusais partout où j’allais. ■<br />

ALEX TOME - DR<br />

106 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022


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PATRICIA AHOURO<br />

RESPONSABLE DU CUSTOMER SERVICE<br />

SC BTL-09/21 - Crédits photos : © Patrick Sordoillet.<br />

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