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Brahim BANHAKEIA

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Catherine GOURIOU<br />

En 1933, Döblin (1878-1957),<br />

auteur allemand d’origine juive,<br />

quitte l’Allemagne nazie pour la<br />

France, puis les Etats-Unis. Tandis<br />

que la guerre se rapproche, il compose<br />

Amazonas, un roman décrivant le<br />

choc de la conquête du Nouveau<br />

Monde pour des Indiens confrontés à<br />

des conquistadores qui, eux, semblent<br />

avoir oublié ce que peut être l’harmonie<br />

avec une nature animée. C’est au<br />

mythe et à sa force primordiale que<br />

Döblin choisit de confier la parole<br />

qu’il s’est vu confisquer. En instrumentalisant<br />

ce discours ô combien<br />

complexe, il espère rendre palpable<br />

l’affrontement de deux mondes que<br />

justement leur compréhension du<br />

mythe sépare. Pour les Indiens, il est<br />

grille de lecture de toute chose, car<br />

investi, comme récit sacré de ce que<br />

les dieux ont fait à l’origine, en un<br />

temps précédant l’Histoire, in illo<br />

tempore, un temps de basculement<br />

entre nature et culture, d’une puissance<br />

fondamentale. Replacé dans son<br />

contexte originel, le mythe tel que<br />

Amazonas nous le montre, se fait<br />

6<br />

Ecoledoctorale<br />

Etudes germaniques<br />

La Conquête de l’Amérique dans Amazonas d’Alfred Döblin 1934-1935 :<br />

le mythe à la croisée de cultures en affrontement<br />

l’écho d’une nature animée liant<br />

organique et anorganique, vie et mort,<br />

en un renouvellement perpétuel, une<br />

nature ainsi que Döblin se la représente<br />

en sa Naturphilosophie. Point<br />

de départ de sa réflexion : la prise de<br />

conscience de la désunion du moi au<br />

monde, désunion que seule ce qu’il<br />

reste de lien entre l’homme et la nature<br />

peut combler. Ce lien, l’auteur<br />

l’appelle “résonance”, une résonance<br />

dont il évoque la présence chez les<br />

Indiens à travers la représentation de<br />

nombreux mythes totémiques réactualisés<br />

par le rite. Ce lien, il semble<br />

que les Européens qui débarquent en<br />

ce Nouveau Monde l’aient perdu à<br />

force de se revendiquer maîtres de la<br />

nature. Un excès de “prométhéisme”,<br />

voilà leur faute pour l’auteur de<br />

“Prometheus und das Primitive”<br />

(1938), article dans lequel il évoque<br />

l’influence successive dans l’Histoire<br />

du monde occidental de deux principes<br />

dialectiques : le principe primitif<br />

(entretenir aussi fort que possible<br />

le lien à la nature) et le principe prométhéen<br />

(se revendiquer maître de la<br />

nature). Force lui est de constater que<br />

le “prométhéisme” des conquista-<br />

dores les laisse dépourvus de grille de<br />

lecture du monde comparable à celle<br />

du mythe pour les Indiens. Ils s’avèrent<br />

même incapables de s’approprier<br />

les mythes bibliques d’un christianisme<br />

dont ils ne retiennent qu’une pratique<br />

aveugle. Que Döblin ait à l’esprit<br />

ses contemporains qu’il entend<br />

appeler à une véritable prise de<br />

conscience du “désenchantement du<br />

monde” occidental, prisonnier de la<br />

raison, cela est confirmé par la troisième<br />

partie du roman qui a pour<br />

cadre le XXème siècle et dans laquelle<br />

un procès est intenté à Copernic,<br />

Galilée et Giordano Bruno pour l’utilisation<br />

désastreuse que l’époque<br />

moderne a faite de leurs enseignements.<br />

Avec eux, c’est aux piliers du<br />

rationalisme occidental que Döblin<br />

s’en prend en un roman qui n’a de<br />

cesse d’interroger les cultures, en<br />

leurs affrontements, certes, mais aussi<br />

en leurs échanges, voire en un dialogue<br />

rendu possible par le seul discours<br />

susceptible de les réunir : le<br />

mythe.

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