Brahim BANHAKEIA
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Pascal DÉCARPES<br />
Sciences sociales<br />
On dénombre quatre caractéristiques<br />
dans l’appréhension de<br />
l’objet d’étude «prison» :<br />
. un objet où les charges symboliques<br />
et sociales sont fortes ;<br />
. un regard qui doit rester avant tout<br />
celui d’une sensibilité intellectuelle ;<br />
. un outil de pratique pénale qui tend à<br />
la naturalisation de l’enfermement et en<br />
empêcherait toute analyse sociétale ;<br />
. une approche réflexive qui doit s’appuyer<br />
sur des théories et suggérer des<br />
modèles.<br />
Objet unique tout d’abord, car il prive<br />
légalement un individu de sa place au<br />
sein de la société pour l’exclure et le<br />
punir dans un espace de réclusion.<br />
Objet singulier ensuite, car il est<br />
devenu l’archétype de l’institution<br />
totale ou totalitaire qui s’est graduellement<br />
distancée de l’hôpital psychiatrique<br />
ou de la caserne militaire.<br />
Objet paradoxal enfin, car il assure<br />
une pratique millénaire – la relégation<br />
sociale des indésirables – par des<br />
moyens récents – l’enfermement institutionnel.<br />
Recherche atypique d’autre part, car<br />
l’accès au terrain est soumis à de mul-<br />
Le rapport du chercheur à son terrain : la mise en place d'une étude<br />
en milieu carcéral, ou comment le poids de l'institution pénitentiaire<br />
pèse sur l'indépendance scientifique<br />
tiples restrictions : territoire fermé,<br />
sécurisé, non-public, où les input sont<br />
des flux d’entrées imposées et non<br />
proposées.<br />
Cadre sensible s’il en est, l’espace<br />
carcéral est de plus traversé par des<br />
violences diverses : physiques, psychiques,<br />
institutionnelles.<br />
Population délicate surtout, car le<br />
détenu est en situation de crise et<br />
donc en difficulté quant à socialiser<br />
dans un projet de rencontre et<br />
d’échange avec le chercheur.<br />
Le chercheur en prison fait face à la<br />
fois à l’objectivité paralysante de<br />
l’établissement pénitentiaire et à la<br />
subjectivité déconcertante de personnes<br />
aux trajectoires individuelles<br />
dramatiques (au sens que lui fait<br />
prendre la mise en scène pénale).<br />
A contrario, l’impact totalisant de la<br />
prison a tendance à objectiver les<br />
comportements des détenus qui peuvent<br />
alors apparaître comme les vecteurs<br />
voire les médiateurs des discours<br />
de l’institution «prison».<br />
Objectivité et subjectivité du chercheur<br />
évoluent en mimétisme ou en<br />
décalage avec les deux approches<br />
majeures de la sociologie carcérale.<br />
D’un côté, un objectivisme institutionnel<br />
qui appréhende toute activité<br />
carcérale comme le produit des<br />
contraintes et des finalités pénitentiaires.<br />
D’autre part, un subjectivisme<br />
novateur qui prend en compte la<br />
porosité sociale introduite en prison<br />
par la présence intra-muros de personnels<br />
n’appartenant pas à l’administration<br />
pénitentiaire.<br />
La prégnance de la prison au sein de<br />
l’imaginaire pénal nécessite une<br />
déconstruction de l’objet, et des<br />
conceptualisations qui s’affranchissent<br />
des présupposés, clichés, stéréotypes<br />
et stigmates qui brouillent<br />
l’analyse de l’objet carcéral.<br />
L’objectivité est requise pour contrer<br />
le poids affectif et émotionnel entourant<br />
la privation de liberté, mais la<br />
subjectivité demeure indispensable<br />
pour reconnaître le rôle de l’individu<br />
dans un environnement hautement<br />
désocialisant.<br />
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Ecoledoctorale