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DOSSIER

Texte Alison Eugénie Bender

Illustration Wikimedia Commons

Le darwinisme social : la loi du

plus fort comme seule loi

Il existe de nombreuses théories infâmes et répugnantes cherchant à

justifier la haine d’autrui ou l’indifférence assumée vis-à-vis des plus

« faibles » que soi. Les personnes qui prônent les discriminations les

justifient souvent à l’aide de la récupération scientifique . La théorie

de l’évolution initiée par Charles Darwin n’y a pas fait exception.

La théorie de l’évolution est un ensemble

de concepts relativement complexes et

entremêlés, et ce déjà au temps de Darwin.

Cependant certaines formules simplistes

ont très vite tenté de la résumer, sans nécessairement

le faire avec de mauvaises

intentions. Ainsi, on a résumé la sélection

naturelle par « les plus fort.e.s survivent »

ou « les plus performant.e.s survivent », ou

par leurs formulations négatives telles que

« les plus faibles mourront » ou « ne se reproduiront

pas ». Au-delà de la part d’informations

complexes ou des moqueries qui en

ont résulté, certaines personnes y ont vu des

justifications naturelles et objectives de leur

mode de pensée. Les doctrines appliquant

les concepts évolutionnistes aux sociétés

humaines sont regroupées par leurs opposant·e·s

sous le nom du “darwinisme social”.

En effet le terme semble apparaître pour la

première fois dans l’espace public dans la

bouche d’Eduard Oscar Schmidt, un zoologiste

allemand dénonçant dans une conférence

en 1877 la récupération des idées

scientifiques, dont celles de Darwin, à des

fins de justification politique. Depuis, le terme

est resté connoté négativement. L’anarchiste

Émile Gautier apporta d’ailleurs cette

terminologie dans le monde francophone au

travers d’un tract en 1880 à Paris.

Le darwinisme social présente deux points

de vue généraux très différents : le refus

d’intervenir dans une sélection naturelle

qui agirait dans les sociétés humaines ou au

contraire la justification d’une accélération

de cette sélection.

Dichotomie idéologique

Le refus d’intervenir se caractérise par un

laissez-faire économique et social, interprétant

l’intervention de l’État ou de la société

"A Venerable Orang-outang", une caricature de

Charles Darwin, 1871

comme contraire à la loi naturelle qui devrait

permettre la domination des fort.e.s

sur les faibles – les fort.e.s et les faibles en

question variant selon l’idéologie prônée,

comme les hommes et les femmes, les riches

et les pauvres, l’élite cultivée et la plèbe, telle

ethnie contre une autre, tel pays contre son

voisin et ainsi de suite… Ainsi certain·e·s

refusent toute aide dédiée aux misérables,

comme l’économiste Thomas Malthus qui

voyait en la charité une potentielle exacerbation

des problèmes sociaux, idée que le

darwinisme social reprendra parfois. Francis

Galton, un polymathe anglais, pensait,

lui, que la qualité morale des individus relevait

aussi de l’hérédité et qu’il fallait donc

éviter que les éléments faibles de l’humanité

ne se reproduisent trop. Pour ce faire, il suggérait

de limiter l’aide sociale ou la création

d’asiles psychiatriques.

Il n’y a alors qu’un pas pour préférer l’action

au laissez-faire. Viennent ainsi pêle-mêle

l’eugénisme, l’autoritarisme, le fascisme ou

encore le nazisme qui récupèrent ces idées

pour justifier une sélection plus proactive,

allant de la discrimination systématique aux

massacres et guerres en tout genre. Tous ont

en commun un rejet de plusieurs groupes

humains, pour des motifs racistes, politiques

ou classistes, au profit d’un autre groupe

naturellement prédisposé à régner, à savoir

eux-mêmes, invoquant systématiquement

une certaine « qualité génétique ». Ce sont

ces idéologies et en particulier les dégâts

qu’elles causeront durant le XXe siècle ainsi

que l’avancée de la recherche scientifique

qui réduiront la popularité du darwinisme

social et le rendra quasiment inaudible.

Récupérer la science

Il faut bien relever que ces partisan·e·s

n’ont jamais compris – ou voulu comprendre

– ce qu’était la théorie de l’évolution et

les concepts qui lui sont liés. Ces individus

ont manifestement interprété les théories

scientifiques à l’aune de leurs propres croyances.

D’ailleurs, les théories scientifiques

tendraient plutôt à montrer que l’évolution

semble avoir eu un rôle clef dans l’émergence

de comportements tels que l’empathie ou

l’entraide dans le monde animal, humains y

compris, de même pour l’altruisme ou le

sens du sacrifice. La science et ses découvertes

ne sont pas là pour plaire à nos esprits,

alors veillons autant que possible à ce

qu’elle reste ce qu’elle doit être : une quête

de connaissance pour mieux comprendre

notre monde, et non pas le modeler à notre

guise. P

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