50 idées fausses sur les insectes - Christophe Bouget
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TABLE DES MATIÈRES
Couverture
50 idées fausses sur les insectes
Introduction
1 Il existe plus d’espèces de plantes que d’insectes sur Terre
2 Les fourmis n’existaient pas au temps des dinosaures
3 Il n’y a pas d’insectes marins
4 Il n’y a pas d’insectes des neiges
5 Les invasions incontrôlées d’insectes exotiques
n’augmentent plus
6 La biomasse des insectes ne cesse de croître
7 Le changement climatique est favorable aux insectes
8 Sans prédateurs, il y aurait des insectes géants sur Terre
9 Tous les insectes ont des ailes
10 Les insectes respirent par la bouche
11 Les insectes ne captent pas l’énergie du soleil
12 Les insectes n’urinent pas
13 La mouche qui pète n’existe pas !
14 Les lucioles sont des centrales d’électricité
15 Les antennes sont les organes auditifs des insectes
16 La décapitation entraîne la mort immédiate
17 Un appendice arraché ne repousse pas !
18 Chez toutes les espèces d’insectes, on trouve des mâles et
des femelles
19 Les insectes ne peuvent jouer les caméléons
20 Les insectes ne savent pas nager
21 Les insectes ne creusent ni dans le plastique ni dans le
métal
22 Les insectes n’ont pas de force
23 Les insectes résisteraient à une explosion nucléaire
24 Les insectes ont une mauvaise vue
25 Les insectes ont la vie courte
26 Les insectes grandissent toute leur vie
27 Tout insecte doit manger pour survivre
28 Tous les insectes sont ovipares
29 Les insectes n’ont pas d’hygiène
30 Seuls les insectes sociaux s’occupent de leurs petits
31 Les insectes ne savent pas se soigner
32 Les insectes ne dorment pas
33 Il n’y a pas de migrations chez les insectes
34 Les insectes ne sont pas capables d’apprendre
35 Le braconnage d’insectes n’est pas inquiétant
36 Les collections d’insectes sont purement décoratives
37 L’entomologie est une science mineure
38 Les introductions d’insectes sont toutes accidentelles
39 Tous les frelons sont des prédateurs d’abeilles
40 L’abeille domestique est le meilleur pollinisateur
41 Manger des insectes est un non-sens nutritionnel
42 Il n’existe pas d’insectes OGM dans la nature
43 Les insectes ne sont pas des animaux de compagnie
44 Le pou n’est pas un insecte mais un acarien
45 La punaise de lit pond ses œufs sur la peau des dormeurs
46 Ils tuent moins d’hommes que les reptiles
47 Éradiquer les moustiques n’a que des avantages
48 Les moustiques nous piquent pour se nourrir de notre sang
49 Une piqûre de moustique peut transmettre le sida
50 Il n’y a pas de méthode efficace pour éloigner les
moustiques
Bibliographie
Remerciements
Crédits photographiques
50 IDÉES FAUSSES SUR LES INSECTES
Christophe Bouget
© éditions Quæ, 2022
ISBN papier : 978-2-7592-3488-2
ISBN PDF : 978-2-7592-3489-9
ISBN ePub : 978-2-7592-3490-5
Éditions Quæ
RD 10
78026 Versailles Cedex
www.quae.com
www.quae-open.com
Pour toutes questions, remarques ou suggestions : quae-numerique@quae.fr
À Denise
INTRODUCTION
Plaidoyer pour les insectes
« En première approximation statistique, toutes les espèces animales sur
Terre sont des insectes ! » (N. Stork, 2007). Partis des mers à la conquête
des milieux terrestres il y a plus de 400 millions d’années, les insectes
comptent aujourd’hui 25 fois plus d’espèces que les crustacés dont ils
descendent. Ils constituent la grande majorité des espèces animales connues
et sont omniprésents dans tous les écosystèmes continentaux. Cette successstory
de l’évolution et leur réussite écologique dans les milieux terrestres
relèvent d’un faisceau de facteurs.
Très mobiles par le vol, ils peuvent échapper aux prédateurs et s’approprier
de nouvelles ressources. Leur coévolution avec les plantes leur a permis
d’exploiter les richesses végétales et de se diversifier avec elles. Leur
exosquelette à cuticule sclérifiée, rigide, coriace et étanche, leur assure une
protection contre les agresseurs et contre la déshydratation en milieu aérien.
Leur cycle avec métamorphose sépare les rôles des larves et des adultes, et
réduit leur compétition en les situant dans des habitats contrastés. Leur œuf
doté de couches extra-embryonnaires protectrices est très résistant à la
dessiccation. Grâce à une grande fécondité et à des cycles vitaux courts,
leurs populations s’adaptent rapidement aux changements
environnementaux. Rappelons qu’« un puceron a plus d’ancêtres qu’un
éléphant » (J. Paul, 1800). Leur petite taille leur confère une grande
résistance aux forces de gravité, une appréciable puissance musculaire et
l’accès à davantage de niches écologiques et d’habitats qu’un animal de
grande taille. Ils sont capables de passer en diapause, une vie ralentie pour
traverser les périodes défavorables. Leur système sensoriel est équipé de
multiples capteurs performants pour ressentir les vibrations, détecter les
odeurs ou les infrarouges et les ultraviolets. Enfin, certaines espèces vivent
en colonies et en sociétés dans lesquelles l’union fait la force.
Innombrables par la diversité de leurs espèces et la biomasse cumulée de
leurs individus, les insectes sont des maillons cruciaux des écosystèmes
continentaux, où ils jouent des rôles écologiques clés. En tant
qu’herbivores, ils régulent la distribution et l’abondance des végétaux. Ils
peuvent d’ailleurs être ravageurs des cultures et causer des pertes de
rendement significatives. Mais ils assurent aussi la reproduction des plantes
à fleurs, en les pollinisant et en dispersant leurs graines. La production des
graines et des fruits de nombreuses cultures dépend de ces auxiliaires.
Comme fossoyeurs et consommateurs de déchets organiques, ils contribuent
activement aux cycles de la matière, au maintien de la fertilité des sols et à
la productivité des écosystèmes. Aux États-Unis, les services rendus par les
bousiers dans les pâtures sont évalués à 2 milliards de dollars par an. Dans
les étangs et les rivières, leur activité de filtration participe à la qualité des
eaux. Ils sont omniprésents aux niveaux intermédiaires des réseaux
trophiques. En tant que proies, ils sont essentiels à la survie des insectivores
terrestres, comme les oiseaux et les chauves-souris, mais aussi aquatiques,
comme les poissons. En tant que prédateurs et parasites, ils contrôlent les
populations d’autres invertébrés et sont des auxiliaires de lutte biologique :
un tiers des ravageurs agricoles sont régulés naturellement par d’autres
insectes. Comme parasites et hématophages, ils exercent une pression sur
les populations de vertébrés, et certains sont nuisibles à la santé des
hommes en leur transmettant des pathogènes. Le rôle des insectes dans les
maladies infectieuses qui touchent l’animal et l’homme est encore
largement mésestimé : les fourmis des forêts tropicales d’Afrique centrale
présentent la plus forte probabilité d’être le réservoir saisonnier du virus
Ebola… Finalement, par leur prééminence dans les écosystèmes, les
insectes assurent des services écosystémiques positifs pour une valeur
estimée à 67 milliards de dollars par an aux États-Unis. Au cœur des
préoccupations du développement durable, maintes espèces sont des
sentinelles de l’état de santé des écosystèmes.
Les insectes sont aussi les fournisseurs officiels de produits traditionnels
comme la soie, le miel, la cire d’abeille, les colorants (noir de galle, carmin
de cochenille). Inépuisables sources d’idées pour les ingénieurs
biomiméticiens, ils livrent de multiples modèles d’inspiration : bâtiments à
énergie passive imitant les termitières tropicales, plus économes en énergie
et plus efficaces en climatisation, pièges à brume pour récupérer l’eau dans
les régions sèches s’inspirant des scarabées du désert, matériaux super-
hydrophobes singeant les insectes flottants, matériaux alvéolaires en nidd’abeilles
alliant légèreté et résistance aux chocs, nanotechnologies (écrans
électroniques, sécurité monétique) reproduisant l’architecture des cuticules
réfléchissantes. La légende veut que l’inventeur du papier, le Chinois Cai
Lun, au I er siècle, ait observé des guêpes construisant leur nid dans une
matière mélangeant du bois mastiqué avec leur salive.
Les insectes sont aussi des cobayes essentiels pour la recherche
biomédicale. Les chirurgiens cardiologues copient la résiline des muscles
souples des insectes comme un « botox » réparateur des artères, tandis que
des médecins piratent le tympan ultrasensible d’une mouche pour concevoir
des prothèses auditives ou dressent des fourmis à détecter l’odeur des
cancers dans les urines. Plus efficacement que les bactéries, des cultures de
cellules d’insectes servent à la production de protéines, comme les
antigènes des vaccins annuels antigrippe ou du vaccin américain anti-
Covid-19 Novavax. Les laboratoires pharmaceutiques puisent, dans le
gisement infini des molécules d’insectes, des substances d’intérêt
thérapeutique, notamment des médicaments antimicrobiens. Par ailleurs,
des légions de petits robots de course à allure de cafard ou de drone volant
rappelant des libellules sortent des laboratoires pour explorer les éboulis des
zones de guerre ou pour remplacer les abeilles à la pollinisation des
cultures. En outre, des armées d’insectes cyborgs, téléguidés par un
dispositif électronique branché sur leur système nerveux, traquent les
explosifs.
À la différence des trilobites, des ammonites et des dinosaures, les insectes
ont survécu aux grandes crises d’extinction de la biosphère. Toutefois,
l’impact croissant des civilisations humaines sur l’environnement durant
l’Anthropocène les menace. On estime que, depuis le début de l’ère
industrielle, il y a environ 200 ans, 5 à 10 % des espèces d’insectes ont déjà
disparu, un taux d’extinction 8 fois plus rapide que celui des mammifères
ou des oiseaux. Pour faire face au risque d’une extinction de masse et à son
effet domino imprévisible sur le fonctionnement des écosystèmes,
l’Allemagne s’est dotée, en 2019, d’un plan d’action de 100 millions
d’euros dédié à leur protection et à leur suivi. Une protection efficace passe
par la sauvegarde de leurs habitats et la réduction drastique des pressions
qui pèsent sur eux, en particulier l’application colossale de pesticides et
l’artificialisation de l’espace rural. Alors que l’industrie des pesticides était
évaluée à moins de 10 milliards de dollars pour une centaine de principes
actifs dans les années 1960, le secteur pèse aujourd’hui 6 fois plus. Si elle
érode la diversité globale, l’utilisation abusive d’insecticides a par ailleurs
contribué à créer quelques super-insectes résistants. Un super-doryphore est
aujourd’hui insensible à la plupart des insecticides disponibles ! Qui, de
l’homme ou de l’insecte, sortira vainqueur de cette course aux armements ?
Il existe probablement plus de 5 millions d’espèces d’insectes. Chaque
année, 10 000 espèces nouvelles sont décrites. Même si les entomologistes
accumulent des connaissances depuis deux siècles et demi, on ne connaît la
biologie détaillée que de quelques milliers d’espèces tout au plus. Avec la
régression des insectes, leurs fonctions dans les écosystèmes déclinent et
c’est un réservoir d’innovations qui disparaît. « Va prendre tes leçons dans
la nature, c’est là qu’est notre futur », clamait Léonard de Vinci. Comme le
rappelait la Convention internationale sur la diversité biologique en 2008,
« nous sommes actuellement en train de détruire à un rythme extraordinaire
le “disque dur” de la nature, sans aucun espoir de restaurer les données
perdues ».
Et pourtant, les insectes constituent l’une des formes de vie sauvage les plus
directement accessibles. La fréquence des interactions de proximité
quotidiennes en fait un support pertinent d’éducation à l’environnement.
Dans la plupart des pays, le public n’est pas conscient des services fournis
par les insectes, et les perceptions négatives sont répandues et amplifiées
par le sensationnalisme de la couverture médiatique sur les insectes
envahissants, ravageurs ou nuisibles. C’est un défi de réhabiliter ces acteurs
majeurs de notre environnement pour mieux les protéger.
1 IL EXISTE PLUS D’ESPÈCES DE
PLANTES QUE D’INSECTES SUR
TERRE
Les plantes ont conquis les continents avant
les insectes, mais sont trois fois moins
diversifiées qu’eux.
Il y a davantage d’espèces de coléoptères que d’espèces végétales sur la
planète.
Les plantes sont la clé de voûte de la plupart des écosystèmes terrestres et la
base des chaînes alimentaires. Pourtant, avec 350 000 plantes à fleurs et
390 000 espèces végétales au total (en incluant fougères, mousses et
conifères), les plantes sont devancées en diversité par les coléoptères
(scarabées), avec plus de 400 000 espèces nommées à ce jour.
Aux créationnistes qui prétendaient que chaque espèce avait fait l’objet
d’une création individuelle, le naturaliste anglais J.B.S. Haldane répondait
en 1949 que Dieu avait certainement un goût immodéré pour les
coléoptères, ayant inventé plus de variétés de scarabées que tout autre
groupe animal ou végétal ! De fait, 30 000 espèces étaient enregistrées dans
les catalogues faunistiques en 1832, 77 000 en 1876 et 120 000 vers 1900.
Pour autant, le catalogue du riche groupe des coléoptères est loin d’être
complet aujourd’hui : on en décrit en moyenne 2 000 espèces nouvelles
chaque année !
Dans les années 1980, pour connaître la proportion d’espèces vivantes
inconnues, le biologiste T. Erwin s’est livré à un raisonnement par
extrapolations successives dans les forêts tropicales du Panama et
d’Amazonie. En pulvérisant des insecticides sur des arbres de différentes
espèces et en récoltant tous les insectes qui tombaient au pied de chacun, il
a évalué le nombre moyen d’espèces de coléoptères présents sur chaque
essence et extrapolé ce chiffre en fonction du nombre d’espèces d’arbres
par hectare, de la proportion d’espèces de coléoptères non arboricoles, de la
relation de la faune d’Amérique tropicale à celle des autres régions, pour
aboutir à une estimation de 12 à 40 millions d’espèces de coléoptères sur
Terre. À la suite d’autres approches complétant celle d’Erwin, la moyenne
des estimations converge aujourd’hui autour de 2 millions d’espèces de
coléoptères et plus de 5 millions d’insectes. Au rythme actuel de description
par les spécialistes, il reste 800 ans de travail pour décrire les 80 % de la
diversité des scarabées qui nous échappent encore !
Avec près d’un million d’espèces découvertes et décrites, la classe des
insectes est la plus vaste du monde animal connu, bien loin devant les
10 000 oiseaux ou les 6 495 mammifères. Elle comprend entre 26 et
30 ordres, selon les spécialistes, et près de 1 200 familles. L’ordre
numériquement le plus important est celui des coléoptères, suivi par les
papillons, puis les mouches et moustiques et enfin les fourmis, abeilles et
guêpes, les pucerons et punaises et les sauterelles et criquets (voir
l’introduction).
Les petits derniers…
Les notoptères constituent le dernier ordre d’insectes décrit en 2004 pour quelques
dizaines d’espèces ressemblant à des chimères de cafards, de sauterelles et de
mantes. Il inclut les grylloblattides, découverts en 1914, dont la trentaine d’espèces
vivent sur les glaciers d’Amérique du Nord et d’Asie et meurent si la température
dépasse 10 °C ! Il comporte aussi une vingtaine d’espèces de mantophasmides, des
prédateurs des rochers d’Afrique australe découverts en 2002.
Cette grylloblatte d’Alberta (Grylloblatta campodeiformis) est un
notoptère.
Les insectes représentent plus de la moitié de tous les êtres vivants et 85 %
de la diversité animale de la planète : 4 espèces animales sur 5 sont donc
des insectes, et 3 espèces animales sur 10 sont des scarabées ! En France
métropolitaine, 40 000 espèces d’insectes ont été observées.
2 LES FOURMIS N’EXISTAIENT PAS
AU TEMPS DES DINOSAURES
Il y avait des insectes bien avant
l’émergence des premiers vertébrés
terrestres.
Libellule fossile (Cordulagomphus fenestratus) datant du Crétacé (− 125
MA) découverte au Brésil.
Les plus anciens insectes connus remontent au Dévonien, il y a 420 millions
d’années (MA), alors que la flore est encore réduite à des plantes
minuscules ! Ces premiers insectes sont d’anciens crustacés marins sortis
des eaux. D’autres arthropodes terrestres, comme des mille-pattes, des
acariens ou des scorpions, peuplaient déjà les sols depuis quelques dizaines
de millions d’années. Premiers animaux à conquérir les airs il y a 400 MA,
les insectes se sont trouvés dotés d’un avantage évolutif primordial. Pendant
plus de 150 MA, jusqu’à l’apparition des ptérosaures puis des oiseaux, ils
ont détenu le monopole du vol.
C’est en s’appuyant sur des données génétiques et sur 40 000 occurrences
d’insectes fossiles que les chercheurs essaient de retracer leur histoire
évolutive. En fonction de la distance génétique actuelle entre les groupes
d’insectes, ils calculent la durée écoulée depuis leur divergence et l’âge de
leur ancêtre commun. Ces travaux révèlent un taux de diversification élevé
et des taux d’extinction plutôt faibles dès l’apparition des insectes, avec la
persistance de nombreuses espèces archaïques. Les insectes montrent à la
fois une forte résistance aux extinctions de masse connues pour le reste de
la biosphère et une importante résilience en s’adaptant rapidement lors de la
crise. Seuls 10 des 38 ordres d’insectes déjà décrits ne comportent que des
espèces fossiles. Signalons le cas des paléodictyoptères (ancêtres de
certaines blattes, longs de 50 cm), qui furent l’un des groupes les plus
développés il y a 300 MA et qui ont totalement disparu environ 50 MA plus
tard. À la même période, les libellules géantes (voir fiche 8) du Carbonifère,
apparues avant les tyrannosaures et autres dinosaures géants, succomberont
aux vertébrés insectivores.
Chaînon manquant chez les insectes fossiles
Bizarrement, on n’a retrouvé aucun fossile d’insecte ni dans les couches géologiques
du Dévonien supérieur (− 382 MA) ni dans celles du Carbonifère inférieur (− 346 MA).
De vastes forêts ont pourtant émergé à cette époque, livrant nos gisements de charbon
d’aujourd’hui. Les paléosols trop acides ont peut-être détruit les restes organiques
avant fossilisation, ou une baisse du taux d’oxygène de l’air a fait chuter la biodiversité
terrestre… Mystère !
Les derniers résultats des paléo-entomologistes contredisent les idées
communément admises que l’apparition des ailes, puis du cycle de
développement avec larves et métamorphose complète il y a 340 MA, et
enfin la coévolution avec les plantes à fleurs, en pleine diversification il y a
100 MA, ont été les moteurs majeurs de bouffées évolutives chez les
insectes.
En revanche, des innovations spécifiques à chacun des 4 ordres majeurs ont
stimulé leur diversification : l’évolution des élytres chez les coléoptères, du
mode de vie parasitoïde chez les hyménoptères, des pièces buccales
diversifiant le régime alimentaire chez les diptères, des tympans des
lépidoptères pour échapper aux vertébrés prédateurs (voir fiche 15).
À la fin du Trias, vers − 200 MA, presque tous les ordres d’insectes actuels
existent déjà. Aux alentours de − 100 MA, la majorité des familles
modernes est déjà en place, bien avant les familles de mammifères actuels,
apparues il y a seulement 25 MA.
Les fourmis apparaissent au début du Crétacé, il y a environ 140 MA, et ont
donc cohabité avec les dinosaures, signalés dès − 250 MA. Elles ont
commencé à se diversifier il y a 100 MA, alors même que se développait
leur système social. Elles ont survécu à l’extinction de masse du Crétacé-
Tertiaire qui a éradiqué les dinosaures il y a 66 MA !
À l’ère tertiaire, les faunes d’insectes sont déjà résolument modernes et
comportent de très nombreux genres actuels il y a 50 MA. La répartition
des espèces sera ensuite modelée par la succession des glaciations durant le
Quaternaire (voir fiche 7).
Trichoptère fossile dans un morceau d’ambre jaune, trouvé en mer
Baltique.
3 IL N’Y A PAS D’INSECTES
MARINS
Anciens crustacés adaptés à la vie terrestre,
les insectes ont à peine recolonisé le milieu
océanique.
Les poux parasites des otaries, tel cet Antarctophthirus trichechi, plongent
dans les profondeurs, agrippés à la peau de leurs hôtes.
Groupe d’êtres vivants le plus diversifié de la planète, les insectes sont
présents dans tous les écosystèmes terrestres ! On les rencontre dans les
marais hypersalés et les flaques de pétrole, au fond des grottes et des
fissures souterraines, dans l’atmosphère à haute altitude et les déserts, etc.
Mais quelques insectes seulement sont retournés à la mer. Parmi ces
insectes « marins », la plupart sont en fait côtiers : ils occupent la zone de
balancement des marées (dite « intertidale ») et ne sont que temporairement
immergés. C’est le cas des larves de quelques moustiques chironomes
vivant dans des tubes accrochés aux rochers, du petit carabe Aepopsis
robini, ou encore de quelques herbivores friands d’algues ou de plantes
d’estuaire immergées à marée haute. Le moustique Pontomyia natans, dont
le mâle nage avec ses longues pattes à la rencontre de la femelle dans les
lagons des îles Samoa, est la seule espèce sous-marine à tous les stades, de
la larve jusqu’à l’adulte.
A. robini chasse sur les rochers marins à marée basse et se réfugie à marée
haute dans les fissures profondes où subsistent des poches d’air.
En haute mer, on ne trouve que des insectes flottants ou parasites. Les
5 gerridés du genre Halobates flottent en pleine mer tropicale à des
centaines de kilomètres de la terre ferme. Ces punaises patinent sur leurs
4 pattes postérieures pourvues de nombreuses soies hydrofuges et ne
plongent jamais dans l’eau. Elles n’atterrissent jamais sur des îles et
dérivent entre les débris du 6 e continent en formant des communautés de
radeaux. À l’inverse, les poux ectoparasites des otaries amphibies plongent
avec leurs hôtes. Ces poux « plongeurs » vivent agrippés en permanence à
la peau sans fourrure des otaries et entrent en vie ralentie lorsque leurs hôtes
entament de longues descentes dans les abysses. Ils se reproduisent et
contaminent d’autres otaries pendant leurs rassemblements terrestres.
La palme des plongeurs
Le pou plongeur Antarctophthirus microchir peut rester 10 jours sans sortir de l’eau de
mer, et Lepidophthirus macrorhini peut plonger jusqu’à 1 500 m de profondeur sur son
éléphant de mer.
La rareté des insectes en pleine mer serait inhérente à plusieurs contraintes
morphologiques, physiologiques et écologiques. Les trachées remplies d’air
parcourant le corps des insectes font risquer l’inondation, et rendent
sensibles à la pression des profondeurs. De plus, elles font flotter les corps
et entravent les déplacements actifs sous l’eau. La colonisation du milieu
marin hypersalé est également délicate pour des raisons osmotiques. Les
fluides internes de l’insecte étant moins concentrés que l’eau de mer, l’eau
s’échappe de son corps vers l’extérieur pour équilibrer les concentrations :
l’insecte finirait par mourir déshydraté dans l’océan ! Enfin, extraire
l’oxygène de l’eau salée est difficile, et la quantité de nourriture disponible
faiblit en profondeur. Les crustacés ont surmonté ces problèmes, et leur
concurrence est probablement à l’origine de la faible réussite des insectes
dans les mers.
4 IL N’Y A PAS D’INSECTES DES
NEIGES
Sauf quelques-uns sur la neige hivernale des
régions tempérées ou la banquise des
pôles !
La mouche-scorpion des neiges gambade sur les glaciers des Alpes à des
températures négatives.
Les puces des glaciers (les collemboles Desoria ou Ceratophysella)
survivent jusqu’à − 20 °C sur la neige et les glaciers des Alpes, mais
meurent à 12 °C ! La mouche-scorpion des neiges (Boreus hyemalis) et les
40 espèces de mouches des neiges (Chionea et Sphaeconophilus) sautent ou
marchent sur la neige dans l’hémisphère nord. Les adultes de tous ces
insectes des glaces n’ont pas d’ailes, car réchauffer les muscles du vol à
basse température serait trop énergivore. En cas de blocage de leurs pattes,
les mouches des neiges Niphadobata ont, en haut des fémurs, une zone de
fracture naturelle qui leur évite de rester prisonnières de la glace !
Un génome économe
Le moustique Belgica antarctica est le seul insecte endémique de l’Antarctique.
L’adulte vit à peine 10 jours en supportant des vents de 140 km/h et des rayonnements
ultraviolets intenses. Il possède le plus petit génome connu chez les insectes (40 %
plus petit que celui de la drosophile), avec autant de gènes que les autres insectes,
mais plus de gènes de régulation du métabolisme pour survivre dans ces conditions
extrêmes, et très peu de séquences ne codant pas pour des protéines.
Dans ces milieux, ces espèces profitent de la rareté des concurrents et des
prédateurs. Mais elles sont confrontées à plusieurs défis, notamment
s’alimenter et résister au froid. Certains adultes, comme ceux des mouches
des neiges Chionea, qui vivent 2 mois, évitent de se nourrir, profitant des
réserves accumulées au stade de larve dans la litière des feuilles : les
aliments formeraient des noyaux de cristallisation de la glace dans
l’intestin. En revanche, les puces des glaciers consomment la cryoconite,
une poussière de particules (roche, microbes, pollen) déposée par le vent,
ainsi que des algues rouges Chlamydomonas résistantes au gel. Elles
tireraient de ces algues des substances à longues chaînes pour protéger leur
tube digestif.
Les adultes de mouches des neiges du genre Chionea n’ont pas d’ailes et ne
se nourrissent pas.
La larve de Belgica antarctica, qui résiste à − 20 °C, contrôle le gel
corporel en produisant des particules qui concentrent la cristallisation dans
les espaces extracellulaires. Elle peut survivre deux hivers successifs,
endurant une déshydratation de 70 % (un insecte ordinaire est limité à
20 %), ce qui restreint la formation de cristaux de glace intracellulaires
néfaste aux organes.
Les insectes des neiges synthétisent aussi dans leur hémolymphe différentes
substances antigel, souvent à chaîne moléculaire courte, comme des sucres
(le tréhalose) ou des alcools saturés (le glycérol), qui abaissent le point de
congélation des liquides vitaux mais ne suffiraient pas à très basse
température. Pour être mobiles à − 15 °C, les puces des glaciers fabriquent
un autre antigel composé de glycoprotéines à chaîne moléculaire longue,
efficaces à faible concentration et qui les protègent de la cristallisation par
contact. Chez le coléoptère arctique Upis ceramboides, les membranes
cellulaires contiennent un assemblage d’acides gras et de sucres lui
permettant de survivre à − 73 °C !
5 LES INVASIONS INCONTRÔLÉES
D’INSECTES EXOTIQUES
N’AUGMENTENT PLUS
La cadence actuelle des introductions
accidentelles de ces insectes est très élevée
et en forte croissance en Europe.
La punaise diabolique, originaire d’Asie, est nuisible à de multiples plantes
cultivées (ici, des larves).
En Europe, plus d’une quinzaine de nouvelles espèces d’insectes exotiques
sont détectées chaque année depuis l’an 2000, soit deux fois plus que dans
les années 1950. Depuis un siècle, seuls 10 % des espèces introduites sur un
territoire s’y acclimatent, et 10 % d’entre elles deviennent invasives.
Toutefois, en France, les scolytes, des scarabées xylophages parfois
ravageurs des arbres, se sont enrichis d’une vingtaine d’espèces en un demisiècle.
Rarement discrètes, les espèces exotiques ont de multiples effets dans les
écosystèmes d’accueil. Certaines se révèlent délétères pour l’agriculture, la
foresterie ou la santé humaine. Le coût des insectes envahissants a été
évalué à 69 milliards d’euros par an dans le monde. L’un des risques
majeurs des invasions biologiques est aussi l’uniformisation des faunes au
détriment des espèces indigènes et au profit de quelques espèces
cosmopolites.
Auparavant, les nouvelles espèces provenaient surtout d’introductions
intentionnelles d’insectes prédateurs ou de parasites exotiques pour lutter
contre un ravageur (voir fiche 38). Ces introductions échappent à tout
contrôle lorsque l’espèce prétendument auxiliaire se répand dans le milieu
naturel. Ces espèces exotiques deviennent parfois « invasives » en l’absence
de leurs propres ennemis naturels. Parmi les exemples marquants figure la
coccinelle asiatique, initialement confinée dans les serres européennes pour
y lutter contre les pucerons (voir fiche 38). Le bombyx disparate européen
(Lymantria dispar), introduit aux États-Unis en 1870 pour être hybridé avec
le ver à soie, qu’il rendrait plus vigoureux, s’est échappé des cages pour
devenir le plus grand ravageur forestier nord-américain. L’hybride de
l’abeille sud-africaine et européenne, à l’agressivité décuplée, s’est évadé
du Brésil pour envahir le continent américain en une trentaine d’années !
Aujourd’hui, la majorité des introductions est accidentelle, de nombreuses
espèces profitant des flux commerciaux et touristiques. Depuis les
années 1950, le nombre d’invasions biologiques a explosé. Les ports et les
aéroports sont des sites d’introduction privilégiés où la biovigilance est de
mise. Des espèces cosmopolites, comme la punaise de lit (voir fiche 45),
voyagent avec le fret et les bagages.
Les routes d’invasion reflètent les circuits commerciaux internationaux
prédominants : entre l’Europe et l’Amérique du Nord avant les
années 1950, comme l’illustrent le phylloxéra ou le doryphore (arrivés en
France respectivement en 1922 et en 1863) ; aujourd’hui plutôt entre l’Asie
et le reste du monde. Les célèbres coccinelle, capricorne et frelon asiatiques
(voir fiche 39) l’attestent dans les années 2000, tout comme la punaise
diabolique (Halyomorpha halys), détectée en 2012 à Strasbourg, inoffensive
pour l’homme mais nuisible à de nombreuses cultures. La voie américaine
perdure toutefois, puisque la punaise américaine du pin (Leptoglossus
occidentalis) a été repérée en France en 2006 et n’a mis que 3 ans à
coloniser les pinèdes de tout le pays.
Le capricorne asiatique s’est répandu en Europe et aux États-Unis grâce à
sa larve, cachée dans des palettes en bois.
Un battement d’ailes de l’agrile du frêne…
Agrilus planipennis est un scarabée asiatique aux reflets verts introduit
accidentellement en Amérique du Nord en 2002. Il a causé la mort et l’abattage de
plusieurs millions d’hectares de frênaie dans le nord-est des États-Unis (100 millions
d’arbres en 10 ans !). Affectant la qualité de l’air, cette déforestation aurait provoqué
21 000 décès humains supplémentaires de 1990 à 2007.
A. planipennis fait dépérir les frênes du monde en creusant des galeries
dans le bois.
De nombreux insectes conquièrent la planète grâce au stockage de denrées
(grains, grumes de bois, terreau ou plantes ornementales en pots).
Émergeant de caisses d’emballage en peuplier mal séché renfermant des
larves vivantes, le capricorne asiatique (Anoplophora glabripennis) a
envahi New York et Chicago de 1996 à 1998, défigurant le paysage des
avenues et des parcs et provoquant l’abattage massif d’arbres contaminés.
Le papillon sud-américain Paysandisia archon et le charançon
Neoderelomus piriformis des Canaries, importés avec des plantes
ornementales, ravagent les palmiers de la Côte d’Azur depuis 1999. La
chenille Cameraria ohridella, originaire du bassin méditerranéen oriental, a
bénéficié du réseau de circulation continentale est-ouest pour s’attaquer aux
marronniers français.
Les insectes « profitent » aussi des mouvements de troupes lors des conflits
militaires. La chrysomèle américaine du maïs, Diabrotica virgifera, a été
détectée en Europe (en 1992 à Belgrade), importée des États-Unis par les
avions militaires durant la guerre des Balkans. Depuis, à la faveur d’une
maïsiculture intensive, elle s’est installée en Europe de l’Ouest.
Les larves de Rhynchophorus ferrugineus, un autre charançon venu de
Bornéo, dévorent le stipe des palmiers méditerranéens et les font pourrir
de l’intérieur.
Le tour du monde du moustique-tigre
Épidémie en 2005 à la Réunion, apparition en 2007 à Ravenne (Italie), en 2010 dans le
Var, propagation en 2013 dans les Antilles, en 2014 en Amérique latine, en 2015 au
Canada et aux États-Unis… Via les bateaux-cargos, le chikungunya, parti d’Asie à dos
de moustique-tigre vecteur, a conquis le monde en moins de dix ans !
Là où la température et l’humidité sont propices à l’éclosion de ses œufs, et où il a
résisté au froid en hivernant, Aedes albopictus propage le chikungunya. Ses œufs et
ses larves survivent dans les flaques d’eau retenues dans les pneus usagés et les pots
de plantes ornementales. Essentiellement urbain, plus agressif que les moustiques
indigènes, il cible l’homme dans 80 % des cas lorsqu’il a le choix avec d’autres cibles
animales. En 2021, il occupait déjà 70 % du territoire métropolitain.
6 LA BIOMASSE DES INSECTES NE
CESSE DE CROÎTRE
Les insectes peuvent, à tort, donner
l’impression d’être de plus en plus
nombreux…
L’effondrement de la biomasse des insectes dans les paysages agricoles fait
régresser les oiseaux insectivores comme le pie-grièche écorcheur (ici, une
femelle).
Pourtant, en 2017, une étude dans les réserves naturelles allemandes a
défrayé la chronique en annonçant une chute de 76 % de la densité
d’insectes volants au cours des 27 années précédentes, soit une baisse
moyenne de 3 % par an. Un an plus tard, c’est dans les forêts tropicales de
Porto Rico qu’était dévoilée une diminution de 90 % de la biomasse des
arthropodes terrestres durant les quatre dernières décennies. Ces résultats
alarmants ont été rapidement repris dans la presse internationale, qui a
qualifié ce déclin sans précédent d’Apocalypse des insectes,
d’Insectageddon, en prévoyant la disparition des insectes d’ici un siècle !
À la vague médiatique catastrophiste a succédé une querelle de chiffres et
de méthodes entre spécialistes. Mais le constat demeure : les quelques
suivis rigoureux et statistiques disponibles confirment que les effectifs
d’insectes s’érodent. L’abondance des papillons a baissé de 80 % en un
siècle aux Pays-Bas, de 39 % depuis 1990 dans 16 pays européens, et les
papillons monarques (voir fiche 33) sont 86 % moins nombreux qu’il y
a30 ans en Californie. En France, depuis 1995, le taux de mortalité dans les
colonies d’abeilles domestiques est passé de 5 à 40 %. En Grande-Bretagne,
les insectes pollinisateurs ont aujourd’hui totalement disparu dans un quart
des localités où ils étaient abondants en 1980. Au niveau mondial, en
compilant 166 études portant sur 1 676 sites géographiques dans 41 pays,
les chercheurs ont mesuré que l’abondance des insectes terrestres avait
diminué de 10 % par décennie depuis 1960, soit de 1 à 2 % par an.
En France, l’hespérie du Barbon (Gegenes pumilio), qui n’était connue que
dans le Var et les Alpes-Maritimes, n’a pas été revue depuis 1997, ses
stations ayant été détruites par l’urbanisation.
D’ailleurs, en utilisant des « splatomètres », de petites grilles fixées sur le
pare-brise ou la plaque d’immatriculation qui mesurent le nombre d’impacts
d’insectes écrasés, des enquêtes ont révélé une baisse de 80 % des contacts
de 1997 à 2017 dans les zones rurales du Danemark, et un déclin de 50 %
de 2004 à 2019 dans le comté britannique du Kent. C’est le syndrome du
pare-brise propre ! La chute de biomasse des insectes a entraîné des effets
en cascade dans la chaîne alimentaire : les populations d’oiseaux
insectivores ont diminué de 13 % en Europe et de 28 % au Danemark entre
1990 et 2015. Les insectes aquatiques semblent tirer leur épingle du jeu, et
leur population aurait même augmenté de 1 % par an en moyenne depuis
1960 en Europe et en Amérique du Nord, à la faveur des récentes
législations sur la qualité de l’eau. Signalons toutefois que 30 % des espèces
de libellules, dont les larves sont aquatiques, présentent un fort risque
d’extinction en Europe…
Effets de biomasse…
À tout instant, 10 trillions, soit 10 milliards de milliards d’insectes, sillonneraient la
planète. À raison de 150 millions d’insectes pour chaque être humain, ils
représenteraient 300 fois la biomasse humaine et 4 fois celle de l’ensemble des
vertébrés. La biomasse des insectes est dominée à 75 % par les 12 000 espèces
d’insectes sociaux (termites, fourmis, abeilles…). Une termitière peut rassembler
jusqu’à 3 millions de termites. La supercolonie de 45 000 dômes interconnectés de
Formica yessensis sur la côte ouest d’Hokkaidō, au Japon, a été estimée à
306 millions d’ouvrières et 1 million de reines sur une zone de 30 000 ha.
Les fourmis, qui pèsent en moyenne moins de 1 mg, doivent se rassembler à quelques
millions pour faire le poids d’un humain moyen. Leur biomasse sur la planète est à peu
près constante depuis 30 MA. Au cours des années 2000, on estime que la biomasse
totale de l’homme, dont la population est passée de 1 million à 8 milliards en
10 000 ans, a rattrapé celle des fourmis !
Deux fourmilières dômes (Formica sp.) appartenant à la même
supercolonie dans la forêt jurassienne.
Non seulement l’abondance et la biomasse des insectes périclitent, mais
l’aire de répartition de la plupart des espèces se rétracte et la diversité
régresse. En Allemagne, sur quelque 300 sites de forêt ou de prairie suivis
de 2008 à 2017, le nombre d’espèces d’insectes a chuté d’un tiers. En
conséquence, les fonctions écologiques et les interactions biotiques
s’étiolent, avec des incidences imprévisibles dans les réseaux écologiques.
Chez les papillons de jour danois, durant le dernier siècle écoulé, des
espèces généralistes plus tolérantes aux changements ont investi les niches
écologiques laissées vacantes par l’extinction des spécialistes.
Sur le banc des accusés figure une large palette de facteurs délétères, parmi
lesquels l’utilisation d’insecticides et autres pesticides, ainsi que la
pollution chimique des eaux et des sols, la simplification des paysages
ruraux, la conversion des prairies naturelles et des zones humides en
monocultures, la déforestation, la destruction des habitats par
l’urbanisation, l’invasion par des espèces exogènes (notamment de
nouveaux agents pathogènes), la pollution lumineuse, le changement
climatique, ses vagues de chaleur et ses sécheresses. Il existe même des cas
de coextinction, comme cette puce (Xenopsylla nesiotes) du rat de l’île
Christmas, dont l’hôte a disparu après l’invasion du rat noir ! L’importance
relative des facteurs et leurs interactions sont encore mal connues. Sur les
abeilles par exemple, des effets synergiques ont été observés entre les
insecticides néonicotinoïdes, les plus vendus au monde, et des parasites.
Quand ils opèrent simultanément, les atteintes ne s’additionnent pas mais se
multiplient !
La déesse précieuse (Nehalennia speciosa) fait partie des libellules
menacées d’extinction par la régression des zones tourbeuses en France.
7 LE CHANGEMENT CLIMATIQUE
EST FAVORABLE AUX INSECTES
Au jeu du changement climatique, il y a de
nombreux insectes gagnants, mais aussi des
perdants.
En raison du réchauffement climatique, les espèces boréo-alpines comme
l’apollon (Parnassius apollo) régressent à basse altitude.
Le changement climatique actuel, provoqué entre autres par les émissions
de gaz à effet de serre d’origine humaine, fait suite aux alternances des
fronts glaciaires des deux derniers millions d’années, qui ont façonné la
répartition actuelle des faunes. À chaque refroidissement, l’avancée des
glaces arctiques a repoussé les espèces nordiques ou montagnardes (boréoalpines)
vers le sud. Durant chaque réchauffement interglaciaire, faune et
flore remontaient vers le nord ou en altitude. Depuis le dernier
réchauffement, certaines espèces boréo-alpines se sont maintenues, au sud,
dans des refuges froids. À la faveur d’épisodes climatiques ponctuels,
comme le « petit âge glaciaire » (1450-1810), elles se sont étendues à basse
altitude, où elles pâtissent du réchauffement en cours.
Le papillon apollon régresse dans le Jura ou le Larzac, et se replie en
altitude. En Espagne, en une trentaine d’années, la limite basse de plusieurs
papillons montagnards est remontée de plus de 200 m sans être
accompagnée par un décalage équivalent de la limite haute : finalement,
leur aire de distribution a été tronquée de 30 %. Dans le bassin du Rhône,
les insectes inféodés aux eaux douces fraîches se réfugient plus à l’amont,
progressivement remplacés par des espèces thermophiles. En disparaissant,
certains habitats froids, comme les glaciers (voir fiche 4) ou les tourbières
froides, entraînent la disparition d’espèces emblématiques telles que la
libellule Aeshna subarctica en France. D’après les prévisions pour le
XXI e siècle, le papillon Boloria titania souffrira de l’absence de la bistorte,
une plante des zones humides fraîches en train de s’assécher, et donc
disparaîtra sur 80 % de son aire de répartition actuelle ! La dégradation des
habitats par l’homme accentue le phénomène.
Avec les sécheresses plus fréquentes et le réchauffement climatique, l’état
des tourbières d’altitude, de leur flore et de leur faune, se dégrade.
Chez les bourdons européens, 30 des 56 espèces perdront plus de la moitié
de leurs habitats en cas de réchauffement global de 3 °C d’ici 2100. Or, en
provoquant des mortalités excessives, les canicules estivales plus fréquentes
ont déjà contribué à leur forte régression depuis 2002…
Les rendements céréaliers impactés par les ravages
d’insectes
En simulant l’évolution des populations d’insectes, les chercheurs ont estimé que les
récoltes de riz, de maïs et de blé diminueront de 10 à 25 % par degré de
réchauffement planétaire (voir fiche 33).
Le changement climatique actuel se traduit en effet par une forte hausse des
températures moyennes et une diminution des froids extrêmes en hiver,
mais aussi par une augmentation du nombre de vagues de chaleur et de
sécheresse en été. Même si des facteurs stables comme la durée du jour
régulent l’ampleur du phénomène, ces modifications thermiques et
hygrométriques affectent les cycles saisonniers des insectes, leurs taux de
mortalité et de reproduction, et donc leur démographie et leur aire de
distribution. Les espèces les plus vulnérables sont les moins mobiles et les
plus sensibles à la compétition avec les espèces gagnantes.
En Europe, où les températures sont limitantes une partie de l’année, la
somme de degrés jour qui contrôle l’émergence printanière des espèces est
atteinte plus tôt. Cette douceur hivernale peut stimuler prématurément la
levée de diapause (un état temporaire de vie ralentie) et un réveil fatal des
insectes, qui meurent de faim si les ressources printanières ne sont pas
encore disponibles. Le changement climatique peut ainsi désynchroniser
l’activité des insectes herbivores ou pollinisateurs avec la période de
feuillaison ou de floraison de leurs plantes-hôtes, qui ne répondent pas aux
mêmes déclencheurs. La densité de la phalène brumeuse (Operophtera
brumata) a diminué ces dernières décades, car la chenille sort beaucoup
plus tôt que les feuilles de chêne.
La phalène brumeuse régresse, car sa chenille émerge plus tôt que les
feuilles d’arbres au printemps.
Changements de faune dans les Länder de l’Ouest
Les experts estiment que dans l’ouest de l’Allemagne, le changement climatique a un
effet positif sur 40 % des espèces de libellules et 55 % des espèces de sauterelles,
mais menace 14 % des espèces de libellules et 10 % des espèces de sauterelles. Du
côté des papillons, 34 % des espèces sont considérées comme gagnantes, tandis que
20 % sont perdantes.
À côté de ces insectes perdants, on trouve pourtant de nombreux gagnants !
Un réchauffement peut en effet conduire à un allongement de la période
d’activité, plus précoce au printemps et plus tardive en automne, ainsi qu’à
un développement larvaire plus rapide, une activité accrue, plus de
générations par an, et une mortalité hivernale réduite. En Angleterre, les
pucerons apparaissent aujourd’hui 6 jours plus tôt qu’il y a 25 ans, et les
pics d’abondance de 104 espèces de papillons microlépidoptères ont en
moyenne 12 jours d’avance par rapport aux données antérieures. Le gain de
survie hivernale permet à certaines espèces de s’implanter à des latitudes
plus nordiques. Plusieurs insectes terrestres thermophiles remontent vers le
nord depuis quelques décennies : la processionnaire du pin (Thaumatopoea
pityocampa), le bupreste coroèbe du chêne chêne (Coraebus fasciatus), la
mante religieuse (Mantis religiosa), le grillon d’Italie (Oecanthus
pellucens), le criquet œdipode turquoise (Oedipoda caerulescens), la
libellule crocothémis écarlate (Crocothemis erythraea)…
La libellule écarlate fait partie des insectes thermophiles qui remontent
vers le nord depuis quelques décennies en profitant du changement
climatique.
Le changement climatique, c’est aussi leur faute !
Les conditions plus chaudes des dernières décennies ont stimulé la dynamique des
ravageurs. En s’intensifiant, les épidémies de ravageurs accentuent la déforestation et
diminuent la séquestration du CO 2 atmosphérique par les arbres. De plus, les arbres
tués se décomposent en libérant du carbone dans l’atmosphère. Aux États-Unis, entre
1997 et 2015, les ravageurs forestiers ont été annuellement responsables de l’émission
d’autant de carbone que les feux de forêt ou que 11 millions de véhicules
supplémentaires. Les scolytes, coupables de 61 % des mortalités d’arbres, en ont tué
davantage entre 2000 et 2010 qu’entre 1980 et 2000. Une boucle de rétroaction
amplifie le phénomène : le réchauffement climatique stimule les insectes ravageurs,
dont la prolifération contribue à la déforestation, qui renforce l’effet de serre et le
réchauffement du climat…
Chez les papillons vulcains, habituellement migrateurs, certains spécimens
ne quittent plus le nord de France à l’automne pour se reproduire dans le
bassin méditerranéen : la clémence hivernale provoque leur
sédentarisation.
On estime qu’une variation de 3 °C dans les températures moyennes
annuelles correspond à un déplacement des lignes isothermes d’environ 300
à 400 km en latitude et de 500 m en altitude dans les zones tempérées.
L’analyse de 35 papillons non migrateurs européens a montré que deux tiers
d’entre eux ont étendu leur aire de distribution vers le nord sur les cent
dernières années (jusqu’à 240 km !), sans variation de leur limite sud. En
parallèle, dans les milieux aquatiques, les libellules du sud de l’Europe,
dont les larves tolèrent le réchauffement des eaux stagnantes et la réduction
de la concentration en oxygène dissous, ont progressé vers le nord de
115 km par décennie.
8 SANS PRÉDATEURS, IL Y AURAIT
DES INSECTES GÉANTS SUR
TERRE
Malgré leur réussite, les insectes n’ont
jamais évolué vers des monstres
gigantesques.
Le papillon asiatique Attacus atlas atteint 30 cm d’envergure.
La taille moyenne des insectes actuels avoisine seulement 3 mm. Deux
raisons principales sont avancées pour expliquer la limitation de leur taille.
La première contrainte repose sur la force de gravité. Les insectes sont
entourés d’un squelette externe rigide, et dans leur corps mou les organes
flottent sans structure de soutien. En raison de leur petite taille, la surface de
leur corps est importante proportionnellement à leur poids, et le poids des
organes internes est en équilibre avec les forces de surface. S’ils
grossissent, le rapport poids/surface s’inversera, les forces de surface seront
dominées par la force de gravité (le poids), qui comprimera les organes vers
le bas, les uns sur les autres, faute de squelette interne. De plus, au moment
de la mue, avant que la nouvelle carapace durcisse, des insectes géants
seraient aplatis par cette gravité. Ils seraient aussi moins résistants aux
chutes.
Par ailleurs, les muscles étant accrochés à l’intérieur du squelette externe,
un insecte géant, doté de plus gros muscles nécessaires à ses déplacements,
aurait besoin d’un exosquelette plus épais pour supporter la plus forte
traction des muscles. Or une enveloppe de chitine très épaisse finirait par
prendre trop d’espace à l’intérieur de l’insecte. Les muscles additionnels
nécessiteraient aussi une surface d’insertion plus grande dans
l’exosquelette, dont la surface interne augmente moins vite (au carré) que
son volume (au cube)…
Records de tailles
L’insecte le plus long est un phasme longiligne de Bornéo (Phobaeticus chani) qui
atteint 36 cm (57 cm avec les pattes antérieures étendues). Le coléoptère le plus long
(Titanus giganteus) mesure à peine 17 cm. Les quelques insectes géants du
Carbonifère étaient des libellules (Meganeura) de 70 cm de long et d’envergure, soit
6 fois les grandes libellules actuelles.
L’insecte le plus long est un phasme de 36 cm (sans les pattes), trouvé
en quelques exemplaires à Bornéo.
La seconde contrainte relève du mode de respiration des insectes et de leurs
besoins en oxygène. L’air circule en effet dans leur corps par simple
diffusion dans un système de tuyaux (trachées), à partir de petits orifices
ouverts vers l’extérieur. Dans un insecte plus grand, dont le volume
augmenterait plus rapidement que la surface, les tubes s’allongeraient et se
ramifieraient pour atteindre tous les organes et les tissus centraux. Quand la
longueur du corps augmente de 100 %, le volume du système de trachées
doit croître de 120 %. Dans le corps d’un insecte plus gros, le système
respiratoire prendrait alors une place dominante, au détriment des autres
organes.
Le scarabée Goliath pèse l’équivalent de cinq petites souris.
D’après un modèle physique établi sur des radiographies aux rayons X de
coléoptères, les scientifiques ont estimé la limite de longueur d’un insecte à
environ 30 cm et la masse maximale à environ 125 g (ce qui se rapproche
du calibre respectif du phasme de Bornéo et du scarabée Goliath de 115 g).
De plus, si leur petite taille actuelle ne rend pas indispensable la présence
de pompes pour transporter les fluides dans l’ensemble du corps, un
système de trachées plus longues dans un corps allongé nécessiterait une
pompe pour ventiler tout le circuit ! Il y a 300 MA, à l’époque des insectes
géants, la concentration d’oxygène dans l’atmosphère avoisinait 35 %
(contre 21 % aujourd’hui). Dans ces conditions, de grands insectes
pouvaient satisfaire leurs besoins en oxygène avec un appareil trachéen plus
étroit et moins d’air.
Étant donné ces contraintes, seule une planète avec davantage d’oxygène et
moins de gravité permettrait l’existence d’insectes plus gros.
9 TOUS LES INSECTES ONT DES
AILES
Au cours de l’évolution, les ailes de
certaines espèces ont disparu ou se sont
transformées.
Termite ailé reproducteur au milieu des soldats et ouvriers stériles et
aptères.
Yeux à facettes, corps articulé, carapace, mandibules acérées et antennes
chercheuses, voici quelques attributs de l’insecte courant. Son plan
d’organisation en 4-6-3-2, digne du schéma tactique d’une équipe de rugby,
s’est stabilisé très tôt dans leur évolution, il y a 400 MA : 4 ailes et 6 pattes
portées par le thorax, un corps en 3 parties (tête-thorax-abdomen) et
2 antennes.
Le thorax de tous les insectes est lui-même divisé en 3 segments, notés T1,
T2 et T3. Les segments T2 et T3 portent chacun une paire de pattes et une
paire d’ailes, alors que le segment T1 porte uniquement une paire de pattes.
Certains insectes fossiles très anciens, comme le paléodictyoptère
Homoioptera gigantea (voir fiche 2), possédaient des ailes sur le
segment T1, mais cette troisième paire d’ailes a été rapidement perdue. Il y
a 40 MA, très longtemps après cette perte, les membracides, des cousins des
cigales essentiellement sud-américains, ont développé une expansion sur le
segment T1. Dégagée de la pression de sélection qui pèse sur les ailes pour
le vol, cette troisième paire d’appendices dorsaux a pu diversifier sa forme
de façon spectaculaire. C’est l’une des rares entorses connues au schéma
morphologique constant des insectes.
Les coléoptères comme le lucane (Lucanus cervus) volent grâce à leurs
deux ailes postérieures protégées au repos sous les ailes antérieures
converties en élytres rigides.
Malgré leur encombrement, les ailes apportent des avantages notoires. Elles
sont plus efficaces que les pattes marcheuses ou sauteuses pour échapper
aux prédateurs terrestres et se déplacer en quête de nourriture ou de
partenaires.
Comme des ailes embarrasseraient la larve à chaque mue, les insectes ne
s’en équipent qu’au stade adulte (voir fiche 26). Mais tous les insectes
adultes ne respectent pas le plan d’organisation à 4 ailes. Pour améliorer
l’ergonomie du vol, les 2 ailes postérieures des diptères (mouches et
moustiques) ont été réduites à 2 minuscules balanciers. Chez les scarabées,
les ailes membraneuses postérieures restent dédiées au vol, alors que les
2 ailes antérieures ont été converties en étuis rigides pour les protéger au
repos.
La beauté, atout fragile des papillons
Sur leurs ailes à l’origine transparentes, les papillons possèdent des écailles
microscopiques qui leur confèrent motifs et couleurs, mais qui se détachent facilement.
Sans écailles, les papillons peuvent voler mais ils peinent à trouver leurs partenaires.
Détail d’une aile de papillon apollon (Parnassius apollo).
Certains insectes n’ont même plus d’ailes, qu’ils ont perdues au cours de
leur évolution pour des raisons d’économie. Dans les fourmilières, les
ouvrières en sont dépourvues, alors que les mâles et quelques femelles
sexuellement matures sont ailés. De même, les termitières comportent une
majorité d’individus stériles, sans ailes, soldats ou ouvriers, et quelques
reproducteurs ailés. Les pucerons ne connaissent qu’une seule génération
d’ailés reproducteurs à l’automne, après des générations de clones sans ailes
fixés à leur plante (voir fiche 18). Les ailes permettent aux reproducteurs
d’assurer le brassage génétique en se reproduisant avec des individus
éloignés des parents proches.
Le moustique, quel athlète !
Il est capable de voler sous la pluie et de survivre à un déluge sans essayer d’éviter les
gouttes. Son exosquelette est si résistant qu’il peut supporter une forte accélération de
100 à 300 G (voir fiche 22), et l’équivalent du poids de 1 000 moustiques sur sa tête !
Lorsqu’il est frappé par une goutte d’eau, dont la masse est jusqu’à 50 fois la sienne, il
fusionne avec elle, l’accompagne et chute sur une distance de 5 à 20 fois sa longueur,
pour finalement se libérer en pivotant ses longues ailes et ses pattes tel un maître de
tai-chi-chuan !
L’absence d’ailes répond aussi à une adaptation régressive chez les insectes
des grottes, pour qui les ailes sont encombrantes et inutiles. C’est aussi le
cas des mouches aptères des terres australes subantarctiques très ventées.
Comme l’avait déjà suggéré Charles Darwin, ces espèces de mouches ont
perdu leurs ailes, qui feraient voile au vent, les emportant dans l’océan.
Cette régression se retrouve également chez des parasites sédentaires de
végétaux, comme les cochenilles femelles, ou des ectoparasites d’animaux,
comme des mouches, puces, poux, morpions (voir fiche 44) ou scarabées,
installés dans le pelage ou le plumage des hôtes, et dont la nourriture est
accessible sans bouger ou à la force des pattes. La mouche femelle
hippoboscide, après avoir colonisé un hôte, digère ses ailes pour les
convertir en réserve de graisse. La femelle de plusieurs papillons est
vermiforme, parfois réduite à un sac d’œufs comme chez l’orgye, et reste
abritée en attendant la visite d’un mâle ailé pour la féconder.
Les mouches nyctéribiides, parasites externes des chauves-souris, ont
perdu leurs ailes et s’accrochent dans le pelage avec leurs longues pattes.
Des adaptations ergonomiques
Certains bourdons sont capables de voler à 9 000 m d’altitude, en rapprochant leurs
ailes de leur tête pour augmenter leur portance et pallier le manque de pression d’air.
Bien que le coût énergétique du vol (en calories par unité de portance) soit similaire à
celui des oiseaux et des chauves-souris, la musculature de vol d’un insecte produit
deux fois plus de puissance par unité de masse musculaire. Ce rendement élevé est
surtout dû à l’élasticité du thorax : plus de 90 % de l’énergie de flexion de
l’exosquelette thoracique est libérée sous forme d’énergie cinétique pendant la course
descendante de l’aile.
Chez les libellules, les ailes ne sont pas animées par des muscles, mais
par la déformation vibratoire du thorax, économe en énergie.
10 LES INSECTES RESPIRENT PAR
LA BOUCHE
Les insectes n’ont ni poumons ni narines, et
ne respirent pas par la bouche.
Les larves d’éphémères (ici, Potamanthus luteus) captent l’oxygène dissous
dans l’eau par leurs branchies abdominales qui le transmettent au réseau
de trachées internes.
La majorité des insectes inspire et expire grâce à de petites ouvertures, les
stigmates, situées par paires sur les côtés, 2 sur le thorax et au maximum 8
sur l’abdomen. Ces stigmates s’ouvrent sur un réseau de canalisations, les
trachées, qui se ramifient en profondeur en trachéoles de plus en plus fines
afin d’apporter l’oxygène à tous les organes. Ces tuyaux creux qui
parcourent tout le corps sont composés de chitine, comme l’enveloppe
extérieure, et sont renouvelés à chaque mue.
Par des échanges gazeux à chaque bout du réseau, ce système permet à
l’oxygène de se diffuser vers tous les tissus et au gaz carbonique d’être
rejeté vers l’extérieur. L’air frais ou vicié circule dans les vaisseaux grâce à
des contractions rythmiques de différents muscles de l’abdomen qui font
varier la pression interne. À certains endroits, les trachées forment des sacs
bordés de muscles qui fonctionnent comme des pompes à air. La
coordination de la circulation croisée de l’air frais et de l’air vicié dans les
mêmes tuyaux est encore mal expliquée. Les stigmates sont des valves
contrôlées, filtrant aussi les poussières ou les parasites, et réduisant les
pertes en eau.
Pour couvrir leurs besoins en oxygène sous l’eau, les insectes présentent
des adaptations extraordinaires. Certains captent l’oxygène dissous dans
l’eau par diffusion avec des surfaces d’échange comme les branchies
sanguines, les plastrons ou les trachéobranchies. Ces dernières sont des
expansions portées sur l’abdomen (larves d’éphémères et de phryganes), le
thorax (larves de plécoptères) ou dans le rectum (larves de libellules
anisoptères), qui transmettent au réseau de trachées l’oxygène capté. Les
branchies sanguines des larves rouges des moustiques chironomes, irriguées
par une hémolymphe contenant une hémoglobine, captent l’oxygène pour le
diffuser par l’hémolymphe dans tout le corps, à l’image du système
circulatoire sanguin des vertébrés. Enfin, le dense duvet ventral de fins poils
hydrophobes des coléoptères Elmis ou Dryops, habitués des eaux vives,
maintient une mince couche d’air permanente autour des stigmates. Ce
plastron agit comme une branchie physique : quand l’oxygène de la réserve
d’air est consommé, de l’oxygène diffuse à partir de l’eau pour le
remplacer, sans que les individus remontent à la surface.
La punaise aquatique Ranatra linearis respire grâce à un long tuba qui
apporte l'air de la surface à l'extrémité de son abdomen.
D’autres insectes respirent l’air atmosphérique ou l’emportent sous l’eau.
Sans sortir de l’eau, ils obtiennent de l’air par un tube respiratoire à
l’extrémité de leur abdomen, qui pointe vers le haut et traverse la surface.
C’est le cas des larves de moustiques culicidés, avec leur siphon abdominal
souple dont des valves ferment l’accès au système trachéen durant la
plongée, ou des punaises nèpes et ranâtres avec leur long tuba.
La chenille du papillon Elophila nymphaeata s’abrite dans un cocon
translucide rempli d’air et plaqué sous les nénuphars.
D’autres encore emportent une bonbonne de bulles d’air. Le dytique
plongeur l’embarque sous ses élytres, où débouchent ses stigmates, et vient
régulièrement la remplir en faisant affleurer l’arrière de son abdomen à la
surface. Le grand hydrophile (Hydrophilus piceus) aborde la surface par la
tête, les poils hydrofuges des antennes captant l’air qui est conduit jusqu’au
plastron ventral, où s’accumule un matelas de bulles d’air dans lequel
puisent les stigmates.
Enfin, dans la dernière catégorie, certains insectes, comme la larve des
coléoptères Donacia, siphonnent l’oxygène dans les végétaux immergés en
perforant leurs canaux aérifères.
En apnée
Au repos, les insectes s’arrêtent régulièrement de respirer pendant plusieurs minutes
d’affilée, pour limiter la pression d’oxygène dans les trachéoles au quart de sa
concentration de l’air ambiant, et éviter un excès d’oxygène qui pourrait endommager
les tissus.
11 LES INSECTES NE CAPTENT
PAS L’ÉNERGIE DU SOLEIL
Savez-vous que de nombreux insectes
jouent les panneaux solaires ?
Chez le morpho, les zones noires à la base des ailes absorbent les rayons
solaires pour réchauffer le thorax.
La température interne d’un papillon en vol se situe, au niveau du thorax,
entre 36 et 40 °C ! Cependant, la température interne des insectes varie en
fonction des conditions externes. Par temps frais, certains entrent en
léthargie tandis que d’autres demeurent actifs en réchauffant leur corps, et
notamment le point stratégique des muscles thoraciques locomoteurs. Pour
ce faire, ils emploient deux techniques.
La première stratégie, dite « du frissonnement », est adoptée par les
bourdons au printemps : la contraction des muscles thoraciques des ailes
sans battement produit une énergie consacrée à l’échauffement du thorax
jusqu’à la température critique nécessaire à la mise en mouvement.
Voler tient chaud
La température interne du thorax d’un papillon en vol se situe entre 36 et 40 °C !
La seconde consiste à capter l’énergie solaire grâce aux propriétés optiques
du corps et notamment des ailes, véritables réflecteurs ou pièges à rayons
lumineux. Parmi les adeptes de cette stratégie, on trouve des papillons à
ailes majoritairement blanches et réfléchissantes, qui jouent sur l’ouverture
et l’orientation de leurs ailes par rapport au soleil pour renvoyer et
concentrer les rayons solaires vers leur thorax à cuticule noire et
absorbante. Ces papillons ont une position de repos « ailes fermées
verticales » pour réduire l’absorption.
Se dorer au soleil
En positionnant ses ailes en forme de V avec un angle à 17°, la piéride du chou de nos
jardins réfléchit plus de 70 % de la lumière incidente en direction de son thorax pour le
réchauffer.
Le papillon piéride entrouvre ses ailes pour renvoyer les rayons solaires
vers son thorax.
D’autres papillons présentent des zones noires à la base des ailes, au plus
près du thorax, pourvues d’écailles noires à nanostructures antireflets, qui
absorbent jusqu’à 99 % de la lumière du spectre solaire chez certains
morphos. La conversion, dans les écailles noires, de l’énergie solaire en
chaleur, ensuite transmise au thorax, permet aux papillons de se réchauffer
rapidement. Ce capteur solaire est même sensible à un seuil thermique, audelà
duquel le bilan radiatif des ailes se traduit par une émission thermique
plutôt qu’une absorption pour éviter la surchauffe. D’autres insectes noirs
profitent de l’énergie solaire. Certains coléoptères ténébrions noirs du désert
ne s’activent qu’à la tombée de la nuit, absorbant la chaleur des derniers
rayons solaires pour poursuivre leur recherche de nourriture après le
rafraîchissement nocturne.
Le frelon oriental, animal photovoltaïque, est capable, comme les plantes,
de récupérer l’énergie solaire.
Couleurs et évolution
La couleur du corps et des ailes n’est pas modulée uniquement par ses rôles
thermiques, de réflecteur ou de capteur solaire, mais aussi par d’autres fonctions, sur
lesquelles opère la sélection naturelle, comme l’avertissement ou le camouflage vis-àvis
des prédateurs (voir fiche 19).
Une espèce, source de bio-inspiration pour les ingénieurs, va encore plus
loin en convertissant l’énergie solaire en énergie électrique ! Le frelon
oriental (voir fiche 39), présent du sud de l’Europe jusqu’en Inde, se
démarque des autres guêpes car il est d’autant plus actif que
l’ensoleillement est important. Son abdomen marron est traversé par une
large bande jaune, dont la cuticule est constituée de nanostructures
antireflets, piégeant la lumière. Ces structures sont associées à des couches
d’un pigment jaune photosensible, la xanthoptérine, qui convertirait la
lumière bleue et les UVB en énergie électrique par un processus
photochimique. Le flux d’électrons résultant alimenterait des réactions
métaboliques à proximité. À la différence des autres animaux,
hétérotrophes, qui tirent leur énergie de leur nourriture, le frelon oriental,
doté de capteurs solaires photovoltaïques, serait, comme les plantes,
capable d’un métabolisme autotrophe de photosynthèse directement basé
sur l’énergie du soleil.
12 LES INSECTES N’URINENT PAS
En fait, les insectes défèquent et urinent
souvent en même temps !
Sur la tige d’une fleur, des cercopes se cachent dans un « crachat de
coucou ».
Après la digestion et l’absorption des nutriments de leurs aliments dans
l’intestin, les insectes évacuent, par l’anus, les déchets solides et liquides,
dans des excréments qui mélangent urine et selles, un peu comme les
oiseaux.
L’urine est produite par des organes analogues aux reins, les tubes de
Malpighi, de fins canaux qui flottent dans l’hémolymphe, le liquide qui
baigne les organes, et débouchent entre l’intestin moyen et postérieur. Ils
sont chargés de maintenir constant l’équilibre osmotique de l’hémolymphe,
en régulant la quantité d’eau et en absorbant les ions en excès dans
l’hémolymphe. Ils éliminent les déchets azotés toxiques provenant de la
digestion des protéines en les excrétant dans l’intestin sous forme d’urine.
Les excréments sont généralement plutôt secs, et de couleur blanchâtre ou
jaunâtre. Du grain de sciure de bois à la chiure de mouche, leur consistance
est variable selon la teneur en eau du régime alimentaire, et selon les
conditions de vie. Les insectes des milieux désertiques réduisent les pertes
en eau, en la réabsorbant dans l’intestin postérieur, alors que les insectes des
eaux douces éliminent continuellement de l’eau pour préserver l’équilibre
ionique de l’hémolymphe.
Fourmi noire des jardins recueillant le miellat de l’abdomen d’un puceron.
Une tactique de chenille pour brouiller les pistes !
Pour ne pas se faire repérer par leurs parasitoïdes ou prédateurs à l’odeur de leurs
excréments, de nombreuses chenilles emploient un canon à crottes, pour les projeter à
distance. Dans les prairies nord-américaines, l’hespérie à taches argentées (Epargyrus
clarus) expulse ses crottes à près de 40 longueurs de corps pour semer la guêpe
prédatrice Polistes fuscatus ! Au laboratoire, en l’absence d’ennemi, elle vit
paisiblement au milieu de ses excréments…
Une méthode judicieuse de comptage des
chenilles…
En cas de pullulation de chenilles mangeuses de feuilles en forêt, comme la
cheimatobie ou le bombyx disparate, les scientifiques collectent la « pluie » de crottes
au moyen de copromètres, des toiles tendues sous les frondaisons, pour suivre la
dynamique de l’épidémie.
Les insectes phytophages comme les pucerons, les cochenilles, les
aleurodes, munis d’un rostre pour pomper la sève des plantes, produisent de
grandes quantités d’excréments liquides. Comme la sève est beaucoup plus
riche en sucres qu’en azote, les pucerons en aspirent beaucoup pour couvrir
leurs besoins en azote, et ils rejettent l’eau et les sucres en excès sous forme
d’un « sirop » collant, le miellat. Parmi ces hémiptères suceurs de sève, les
larves des cercopes se protègent sous un amas d’écume, le « crachat de
coucou », une mousse produite par insufflation d’air dans les excréments
liquides, agrémentés d’une mucoprotéine sécrétée par les tubes de
Malpighi.
Les larves de cercopes insufflent de l’air dans leur urine pour concocter
une mousse protectrice.
Les adultes des insectes qui vivent peu de temps (voir fiche 25) ne se
nourrissent pas et, de fait, ne défèquent pas. Certains insectes ne boivent
pas, car ils utilisent l’eau produite comme déchet dans les réactions
biochimiques de la digestion. D’autres insectes boivent, parfois sans
assimiler l’eau, comme ces abeilles butineuses spécialisées qui rapportent
de l’eau dans leur jabot pour la régurgiter aux ouvrières dans la ruche. Ces
ouvrières sédentaires la consomment ou l’utilisent au rafraîchissement du
nid ou à la confection de la gelée royale et du miel.
13 LA MOUCHE QUI PÈTE
N’EXISTE PAS !
À quelle réalité biologique ce fameux sketch
des Nuls fait-il référence ?
La paroi des termitières filtre une partie du méthane émis par la digestion
des termites.
Les lecteurs qui ont suivi les recherches du facétieux professeur Thibault
reconnaîtront ici une de ses interrogations fondamentales… Chez tous les
êtres vivants, y compris les insectes, les déchets de la digestion incluent
aussi des gaz à évacuer. Une flatulence est une émission par l’anus des gaz
digestifs, produits par des réactions chimiques ou par des microbes
symbiotiques dans l’intestin.
Dans les pets des insectes, les gaz les plus courants sont le méthane et le
dihydrogène, qui sont inodores. Une étude publiée en 1994 a évalué que,
sur 93 espèces d’insectes testées, seules 45 produisaient une quantité
mesurable de gaz. Les espèces qui décomposent les fibres de cellulose, en
particulier les cafards, les scarabées et les termites, sont des péteurs
invétérés. Comme pour les mammifères ruminants, ce sont des bactéries
méthanogènes contenues dans leur tube digestif qui sont responsables des
émissions.
Les asticots de diptères qui décomposent les matières végétales
pourrissantes, comme les larves de mouche soldat noire (Hermetia
illucens), souvent utilisées pour recycler des déchets organiques en
composts et produire des protéines d’insectes pour les entomophages
amateurs, émettent du dihydrogène sans impact sur l’effet de serre.
En fait, il est parfois difficile de déterminer où sortent les gaz digestifs. Par
exemple, l’émission de méthane des termites suit en partie les cycles
respiratoires. Certains gaz de la digestion pourraient ainsi diffuser dans
l’hémolymphe de l’insecte, avant d’être canalisés dans les trachées pour
être expulsés vers l’extérieur par les stigmates respiratoires. Toutefois,
comme la majeure partie du méthane est produite dans l’intestin postérieur,
certains gaz digestifs doivent sortir par l’anus.
Modélisation d’un bombardier d’espèce américaine. La vue en coupe
transversale montre les glandes produisant des réactifs et le réservoir, ainsi
que la chambre d’explosion, remplie (liquide rouge), avec une valve à sens
unique.
Si la déflagration anale des pets digestifs des termites n’est pas
retentissante, d’autres sécrétions gazeuses émises par différentes glandes
abdominales font davantage de bruit. Voyons d’abord le « pet qui sauve »
des scarabées bombardiers. Pour dégoûter un agresseur, ce coléoptère
(Brachinus sp.) lui projette un nuage toxique et brûlant, produit dans une
chambre très résistante à la pression, à l’extrémité de son abdomen. Les
hydroquinones et l’eau oxygénée, déversées dans cette chambre par deux
glandes annexes, réagissent brutalement en un bouillonnement violemment
expulsé à l’arrière de l’insecte.
Quant aux larves de la chrysope perlée (Lomamyia latipennis), elles se
nourrissent de termites en se cachant au sein même des abris de ceux-ci. La
larve dirige la pointe de son abdomen vers la tête d’un termite et dégage un
gaz létal émis par une glande anale. Après quelques minutes, le termite est
atteint d’une paralysie qui peut durer 3 h, une durée amplement suffisante
pour que la larve termine son repas ! La puissante flatulence est capable de
tuer un insecte 35 fois plus lourd que la larve, mais semble spécifiquement
mortel pour les termites. Les scientifiques ont en effet démontré que des
mouches, de petites guêpes et des poux étaient insensibles à ce pet.
Bonne nouvelle pour les termites !
L’impact du méthane, dont les émissions mondiales sont à 40 % naturelles, sur le
réchauffement est 25 fois plus élevé que celui du CO 2 . Dans les années 1990, on
estimait la production des termites jusqu’à 20 % du méthane produit sur la planète.
D’après les dernières évaluations, la contribution des termites ne serait que de 1 à 3 %
des émissions, en particulier grâce au recyclage interne dans les termitières, dont les
parois hébergent des bactéries qui « biofiltrent » le méthane avant sa sortie. Certaines
colonies produisent plus de méthane que d’autres, en raison des différences de
microbiote intestinal.
Les larves de la mouche soldat noire dégagent du dihydrogène dans les
composteurs industriels.
Enfin, signalons les larves aquatiques des libellules anisoptères, qui pètent
de l’eau pour avancer ! Ces larves extraient l’oxygène de l’eau par des
branchies trachéennes garnissant une ampoule rectale renflée, dans laquelle
elles aspirent de l’eau, qu’elles éjectent violemment par l’anus pour se
propulser.
14 LES LUCIOLES SONT DES
CENTRALES D’ÉLECTRICITÉ
Les lumières émises par quelques insectes
sont dues à une réaction biochimique.
Dans les grottes de Nouvelle-Zélande, les asticots de A. luminosa laissent
pendre des filaments de gouttelettes collantes et lumineuses pour attirer
des proies.
L’émission de lumière verte, jaune ou rouge, plus rarement bleue, par les
insectes provient d’une réaction biochimique, démontrée dès 1886 par le
pharmacien français R. Dubois. Elle est produite dans les photophores, des
organes formés de cellules remplies de cristaux d’urate agissant comme
réflecteurs, et d’une couronne de cellules lumineuses groupées autour d’une
trachée. Le mécanisme biochimique des feux de l’amour est aujourd’hui
connu dans le détail. Chez les lucioles, le stimulus sexuel augmente l’apport
d’oxygène par les trachéoles, tout en inhibant la respiration dans les cellules
lumineuses. De fait, la concentration en dioxygène augmente, ce qui
déclenche la réaction biochimique avec l’émission de lumière. Une protéine
(la luciférine) est en effet oxydée par une enzyme (la luciférase). Comme
l’état oxydé de cette luciférine est instable, elle repasse à son état stable en
libérant de l’énergie sous forme de photons lumineux.
Une lumière qui ne chauffe pas
La lumière émise par les insectes bioluminescents est dite « froide », car seulement
5 % de l’énergie de la réaction est convertie en chaleur, alors que 95 % produit de la
lumière. Par comparaison, une ampoule à incandescence disperse à l’inverse 90 % de
son énergie en chaleur !
Chez les lucioles, les mâles volants et les femelles au sol échangent des
codes lumineux avant de s’accoupler.
Seule une minorité d’insectes sont bioluminescents, avec 3 500 espèces de
coléoptères (dont 1 300 espèces de lucioles et vers luisants lampyridés) et
quelques espèces de mouches, comme les larves du mycétophilide
Arachnocampa luminosa dans les grottes de Nouvelle-Zélande. La même
voie biochimique est probablement apparue à plusieurs reprises dans
l’évolution chez des groupes non apparentés, pour neutraliser l’oxygène en
excès toxique dans les cellules, la luciférase étant assimilée à une enzyme
antioxydante. Un coléoptère vieux de 100 MA (Cretophengodes azari) a été
retrouvé dans l’ambre de Birmanie avec un organe lumineux bien
conservé !
La bioluminescence a différentes fonctions. Pour intimider certains
prédateurs, le cafard non toxique d’Amérique du Sud Lucihormetica luckae
produit des couleurs lumineuses imitant un coléoptère Pyrophorus toxique
vivant dans le même écosystème. Les grands taupins Pyrophorus émettent
deux points verts à l’arrière du thorax pour avertir les prédateurs de leur
toxicité, tandis que leur lanterne abdominale orange, visible seulement du
sol quand l’insecte est en vol, servirait à la communication sexuelle.
Chez plusieurs coléoptères, le mâle et la femelle, ou l’un des deux
seulement, utilisent un code lumineux fondé sur la luminosité ou la couleur,
mais surtout sur le rythme du clignotement, différent pour chaque espèce.
En modulant leurs signaux, les mâles volants signalent ainsi leur présence
et leur maturité sexuelle, et les femelles sédentaires leur position au sol et
leur disponibilité. En imitant les signaux lumineux d’autres lucioles, les
lucioles prédatrices Photuris les attirent pour les manger.
Dans les forêts de Singapour, les mâles des lucioles Pteroptyx clignotent par
milliers de façon synchrone pour attirer des femelles.
En Amérique du Sud, les peuplades locales utilisent traditionnellement les
Pyrophorus, installés dans des cages, comme lampes de poche ou
d’intérieur. Trente taupins Pyrophorus livrent une lumière égalant la
flamme d’une bougie, et l’explorateur A. von Humboldt lisait
confortablement à la lueur d’une douzaine d’entre eux. Des insectes
bioluminescents, mais aussi des champignons, sont aujourd’hui testés pour
l’éclairage intérieur ou extérieur par des ingénieurs biomiméticiens.
15 LES ANTENNES SONT LES
ORGANES AUDITIFS DES
INSECTES
Elles servent en fait à la réception de
nombreux autres signaux extérieurs.
Profil d’une cigale mâle, avec la cymbale gauche bien visible derrière la
patte arrière, cette plaque membraneuse ventrale vibrant pour émettre et
capter des sons.
Les antennes portent des plaques de récepteurs sensoriels qui servent au
goût, à l’odorat, au toucher, à la mesure de l’humidité de l’air, du taux de
CO 2 et de la température… et à la détection des vibrations. La plupart des
insectes ne distinguent pas les sons des banals courants d’air. Chez les
blattes, les soies filiformes portées par les cerques, à l’extrémité de
l’abdomen, contribuent à repérer les vibrations. Chez les moustiques, les
vibrations alaires de la femelle en vol sont perçues par les mâles grâce à
l’organe de Johnston, un groupe de récepteurs antennaires sensibles aux
mouvements d’air. Les drosophiles communiquent par des battements
d’ailes de fréquence variable : quand il aborde une femelle, le mâle ne
chuchote pas, il hurle ! La force du son que captent alors les antennes de la
femelle atteint 95 dB (l’équivalent d’un klaxon automobile !).
La capacité d’entendre n’existe que chez un tiers des ordres d’insectes. Le
vrai sens de l’audition est surtout développé chez les insectes chanteurs qui
émettent des appels nuptiaux pour communiquer avec leurs congénères.
Ainsi, pour séduire ou attirer les femelles, les mâles des criquets stridulent
en frictionnant des tubercules sur leurs pattes, ceux des grillons et des
sauterelles en frottant leurs élytres et ceux des cigales en faisant vibrer une
membrane sur les côtés de l’abdomen.
Chez le criquet, des tympans situés sur les côtés du premier segment
abdominal servent à l’audition, et le mâle stridule en frottant l’intérieur
de ses pattes arrière sur le haut des ailes.
À défaut d’oreilles, ces insectes n’utilisent pas leurs antennes pour
percevoir leur environnement sonore plus finement qu’un insecte ordinaire,
mais ils sont dotés d’organes spécialisés positionnés non sur la tête mais sur
d’autres parties du corps. Ces récepteurs de vibrations sonores sont
regroupés dans un organe auditif spécialisé, une membrane de cuticule
baptisée « tympan », localisée de chaque côté de l’abdomen chez les
criquets, les papillons de nuit et les cigales, ou sur les tibias de la première
paire de pattes chez les sauterelles et les grillons. Comme le nôtre, ce
tympan vibre selon l’amplitude des sons.
On peut voir les tympans de cette sauterelle en haut de ses tibias, sous la
forme de petites membranes brunes.
Les timbales des cigales, plaques membraneuses tendues sur les côtés à
l’avant de l’abdomen et recouvrant une petite cavité de résonance, servent à
capter les sons chez les mâles et les femelles, et à émettre les sons chez les
mâles. Lorsqu’ils font du bruit avec leur timbale, les mâles désactivent sa
fonction d’écoute. Chacune des 4 500 espèces de cigale du monde émet un
son spécifique.
Sons et ultrasons chez les cigales
Chez les cigales mâles, seuls capables de chanter, les deux timbales de chaque côté
de l’abdomen vibrent jusqu’à 900 fois par seconde, dès qu’une température
suffisamment élevée rend les membranes assez souples. Les claquements sont
amplifiés par l’abdomen partiellement creux, qui sert de caisse de résonance. Les
petites espèces chantent dans les aigus au point de ne pas être audibles par l’oreille
humaine. Le son le plus fort produit par une cigale australienne atteint 120 dB,
l’équivalent d’un avion au décollage ou d’un marteau piqueur à 1 m, aux limites du seuil
de surdité définitive pour les auditeurs humains trop proches !
Certains papillons de nuit, comme les noctuelles, dont mâles et femelles
communiquent par les phéromones, ont des tympans abdominaux très
performants pour se défendre contre les chauves-souris prédatrices. Ils
perçoivent les ultrasons que ces dernières émettent lors de
l’écholocalisation, et se laissent chuter brutalement pour éviter d’être
croqués.
Les spectaculaires antennes des mâles de papillon de nuit, tels que ce
bombyx disparate, sont surtout des capteurs chimiques à phéromones, le
tympan acoustique se trouvant sur l’abdomen.
Le capteur auditif le plus performant est celui d’une petite mouche
tachinide nocturne d’Hawaï (Ormia ochracea) dont les larves parasitent les
grillons mâles. La mouche femelle détermine très précisément la direction
et la distance des stridulations de ses hôtes potentiels, en analysant
rapidement la différence de temps entre le son ayant atteint chacun de ses
deux tympans thoraciques gauche et droit situés à 500 µm d’écart. Des
ingénieurs cherchent à copier ce système pour mettre au point des prothèses
auditives ou des micros directionnels.
Bzzzz toi-même !
Le bruit agaçant des moustiques est produit par les vibrations rapides de leurs ailes. Et
c’est un signal acoustique utile au rapprochement des deux sexes. Chez Aedes
aegypti, vecteur de la dengue et de la fièvre jaune, les vibrations alaires de la femelle
moustique, au rythme de plus de 400 fois par seconde (400 hertz), produisent un son
audible pour l’oreille humaine. Le battement d’ailes du mâle est plus rapide (700 Hz), et
le son plus aigu. Un mâle dont les soies antennaires ont été rasées ou dont les
antennes sont coupées devient sourd et ne sait plus repérer les femelles. Par ailleurs,
un mâle n’accorde aucune attention aux femelles posées. Une fois rapprochés, le mâle
et la femelle synchronisent la fréquence de battement de leurs ailes pour vibrer à
l’unisson et produire une harmonique autour de 1 200 Hz, un préalable indispensable à
l’accouplement en vol d’une dizaine de secondes.
16 LA DÉCAPITATION ENTRAÎNE
LA MORT IMMÉDIATE
Le corps et la tête d’un insecte peuvent
survivre séparément jusqu’à plusieurs
semaines !
Le mâle de la mante religieuse décapité par sa femelle peut continuer à
s’accoupler vigoureusement, car ses mouvements reproducteurs sont
commandés par un ganglion nerveux situé dans l’abdomen. La décapitation
lèverait même un mécanisme inhibant l’expulsion du sperme !
En tête-à-tête avec des entomologistes chirurgiens
Les chercheurs, comme le naturaliste italien Canestrini dès le XIX e siècle, ont
scientifiquement mesuré la durée de survie sans tête au moyen de soigneuses
décapitations et de plaies colmatées avec de la cire dentaire : les grillons sautent
14 jours après leur décapitation, les papillons volent 18 jours après leur décollement,
les cafards bougent plusieurs semaines après la guillotine…
Par comparaison, la décapitation est une blessure immédiatement mortelle
pour un mammifère : un rat décapité perd conscience au bout de 2,7 s en
moyenne ! En sectionnant des artères majeures, dans lesquelles le sang
circule sous pression, le corps perd rapidement un volume de sang
important et l’oxygénation des organes décroît en deçà de leur seuil de
survie. L’absorption de l’air vers les poumons par la trachée tranchée est
perturbée. Par ailleurs, la rupture du lien entre le centre de commande
cérébral et les organes induit une perte de contrôle des fonctions vitales
comme la respiration pulmonaire.
Chez les insectes, les systèmes nerveux et respiratoire ne sont pas
centralisés, mais distribués dans tous les segments du corps. Le système
circulatoire n’est pas un réseau clos de vaisseaux sanguins sous pression,
mais un liquide épais qui baigne les organes dans la cavité générale, ce qui
évite le risque d’hémorragie massive. La chaîne nerveuse qui parcourt tout
le corps ventralement comporte des amas de cellules nerveuses relativement
autonomes, qui agissent comme de mini-cerveaux périphériques. Les
ganglions thoraciques reçoivent les nerfs des ailes et des pattes, et
commandent les mouvements de ces appendices. Avec les ganglions
abdominaux, ils recueillent les signaux des organes sensoriels décentralisés,
comme les nombreuses soies dispersées à la surface du corps. Les ganglions
abdominaux commandent les muscles de l’abdomen, mais aussi le dard par
exemple.
En juin, sur les allées des chênaies françaises, le randonneur forestier peut
observer au sol des dizaines de têtes de lucane vivantes, détachées de
l’abdomen qui a régalé les chauves-souris et les rapaces nocturnes.
Le cerveau des insectes n’est qu’un amas de ganglions céphaliques à peine
ou pas plus gros que les autres, et n’est donc pas le seul centre de
commande. Des scientifiques américains spécialisés dans l’apprentissage
des insectes (voir fiche 34), accoutumés à dresser des cafards, ont d’ailleurs
échoué avec une tête de cafard détachée de son corps, alors privée des
autres ganglions et des multiples informations sensorielles apportées par les
sensilles réparties sur tout le corps !
Grâce à ses ganglions céphaliques, la tête détachée du corps peut agiter les
antennes et remuer les mandibules pendant plusieurs jours. En les
réfrigérant et en les alimentant de solutions nutritives, les chercheurs ont
fait survivre des têtes de cafard encore plus longtemps.
La relative autonomie des ganglions thoraciques et abdominaux explique
que le corps d’un insecte décapité ne meurt pas immédiatement. Puisqu’il
ne respire pas par la bouche, il continuera à absorber de l’oxygène par un
réseau de trachées réparties sur tout le corps (voir fiche 10). Son système
immunitaire va obturer et cicatriser la blessure du cou tranché pour ralentir
l’invasion de pathogènes. Il est toutefois fatalement condamné à moyen
terme. Faute de bouche, il ne peut plus ni se nourrir ni boire, et il épuisera
lentement ses ressources énergétiques en mettant son métabolisme au
ralenti, avant de succomber à la faim, à la déshydratation, à un prédateur,
voire à une infection. Mais il peut se tenir sur ses 6 pattes et les mouvoir,
battre des ailes, réagir au toucher et aux vibrations et projeter son dard
pendant quelque temps.
Le corps décapité d’un insecte, tel que cette libellule (Orthetrum
cancellatum), peut être actif et survivre plusieurs jours.
17 UN APPENDICE ARRACHÉ NE
REPOUSSE PAS !
On pense souvent qu’un insecte mutilé à la
suite d’un accident ne survivra pas…
Un phasme juvénile qui perd une patte peut la régénérer tout ou partie.
Il est fréquent d’observer dans la nature un insecte mutilé par un accident de
la vie. Il lui manque une antenne, une patte ou un de ses articles.
Généralement, cet appendice mutilé ne se régénère pas. Les insectes ne sont
en effet pas aussi aptes à la régénération que d’autres Invertébrés
segmentés, comme les vers de terre ou les limaces de mer. Toutefois, grâce
à de bonnes capacités de cicatrisation des tissus externes, l’insecte ne se
videra pas de ses fluides et il pourra survivre avec sa difformité. Un insecte
mutilé n’est donc pas condamné, même si le handicap le rend plus
vulnérable aux prédateurs. Le processus de cicatrisation d’une lésion à la
surface de l’exosquelette ressemble à celui des mammifères. Il implique une
coagulation des protéines, puis l’accumulation d’un caillot de mélanine
scellant la blessure, vers laquelle migrent enfin des cellules des couches
inférieures pour reconstituer une nouvelle cuticule chitineuse.
Le phasme, cet insecte brindille, montre d’exceptionnelles capacités de
régénération. C’est un insecte à développement paurométabole (voir
fiche 26), qui passe par des stades juvéniles lors des premières mues après
sa sortie de l’œuf. Ces juvéniles ressemblent à des adultes miniatures, sans
ailes ni organes génitaux, qui vivent dans le même milieu. Pour échapper à
un prédateur, le phasme pratique la mutilation spontanée d’une partie de son
corps (autotomie), comme l’amputation volontaire d’une patte. Il procède
comme le lézard abandonnant sa queue. L’autotomie des pattes postérieures
est fréquente chez d’autres paurométaboles, comme les sauterelles et les
criquets, mais, chez eux, la régénération est impossible.
Pour échapper à un prédateur, les criquets peuvent s’amputer d’une patte
et survivre avec ce membre en moins.
Chez le phasme, en revanche, la régénération est possible à la condition
qu’il ait encore au moins une mue à subir et soit donc encore à un stade
juvénile de son développement. Arrivé au stade adulte, il ne peut plus
reconstituer un fragment mutilé. L’autotomie d’une patte se produit en fait
en un point précis, un diaphragme annulaire situé entre le trochanter et le
fémur. Le processus de régénération implique une population de cellulessouches
spécialisées, dites « progénitrices », capables de se différencier
pour recréer un organe. La régénération est impossible si la pièce basale de
la patte (la hanche) est amputée. Après la fracture, la nouvelle patte
grandira successivement à chaque mue, et trois mues seront nécessaires
pour retrouver l’intégrité d’une patte, même si elle demeurera souvent plus
petite que les autres. Dans certaines conditions, la régénération peut être
accompagnée d’une anomalie du développement et produire un appendice
différent de l’organe initial, comme une patte à la place de l’antenne
sectionnée.
18 CHEZ TOUTES LES ESPÈCES
D’INSECTES, ON TROUVE DES
MÂLES ET DES FEMELLES
Certains insectes se reproduisent par
clonage, sans s’accoupler et sans mâle.
On ne connaît pas de mâle chez la sauterelle magicienne dentelée, qui se
reproduit par parthénogenèse.
Le mode de reproduction dominant chez les insectes est sexué : il implique
l’accouplement d’un mâle et d’une femelle. À l’inverse, la reproduction par
parthénogenèse consiste en un clonage à un seul partenaire, sans sexualité.
Elle présente un avantage démographique évident pour coloniser
rapidement un nouveau milieu. Une femelle parthénogénétique peut en effet
produire deux femelles filles, qui auront toutes deux des descendants, alors
qu’une femelle sexuée, pour le même coût, produit une femelle et un mâle,
qui devront se trouver, se conquérir, éliminer les partenaires concurrents et
s’apparier pour avoir des descendants ! C’est le fameux « coût de deux » du
sexe. En revanche, alors que la parthénogenèse fixe un génome
relativement constant et peu adaptable, la reproduction sexuée augmente la
capacité à faire face au changement, en brassant les génomes paternel et
maternel, et en créant de nouvelles combinaisons génétiques à chaque
descendant.
Malgré ses défauts, la reproduction clonale asexuée est constante chez
quelques espèces : toutes leurs générations ne sont composées que de
femelles qui pondent des œufs femelles sans avoir été fécondées ! Ainsi, le
mâle est inconnu chez les phasmes américains du genre Tinema, le puceron
vert du maïs Rhopalosiphum maidis, la fourmi champignonniste
Mycocepurus smithii, la guêpe Rhodites rosae, à l’origine des galles
chevelues du rosier, ou la sauterelle Saga pedo.
Chez de nombreux pucerons ou les guêpes cynipides, qui provoquent des
galles sur les végétaux, la parthénogenèse n’est pas systématique. Elle
alterne avec une reproduction sexuée d’une saison à l’autre. Les mâles
n’apparaissent que durant la saison de reproduction sexuée. À la belle
saison, des cycles successifs de parthénogenèse permettent au puceron vert
du rosier (Macrosiphum rosae) de proliférer. À l’automne, quand les
ressources alimentaires se raréfient, les femelles pondent des œufs sexués,
qui donnent des mâles ailés ou des femelles, s’accouplant avant l’hiver pour
engendrer des œufs résistants. Au printemps suivant, ces œufs d’hiver ne
produiront que des femelles.
Des chiffres vertigineux
Du printemps à l’automne, à raison d’une génération asexuée tous les 8 jours à 20 °C,
15 générations de pucerons verts du rosier se succèdent sur nos rosiers. Une seule
femelle engendre théoriquement 400 trillions de femelles, soit 400 milliards de tonnes
de pucerons. Un autre puceron (Rhopalosiphum prunifolia) détient le record du plus
petit temps de génération, avec 4 jours et 17 heures. Mais les ennemis et la limitation
des ressources opèrent une régulation naturelle qui représente jusqu’à 95 % de
mortalité larvaire !
Le puceron vert du rosier prolifère par reproduction clonale : les femelles
« pondent » des femelles !
Chez d’autres espèces, certaines races géographiques ont une reproduction
sexuée, avec des mâles, et d’autres sont parthénogénétiques et composées
uniquement de femelles. En France, toutes les populations du phasme
Bacillus rossius sont parthénogénétiques sans mâle, alors qu’en Afrique du
Nord, mâles et femelles sont présents en proportions égales. Le tristement
célèbre puceron phylloxéra de la vigne (Viteus vitifolii) ne se reproduit que
par parthénogenèse depuis son introduction en Europe, alors que les formes
parthénogénétiques et sexuées alternent dans les populations américaines
indigènes.
Cochenilles australiennes hermaphrodites sécrétant une goutte de miellat
pour évacuer l’excès de sucre.
Enfin, il existe de rares insectes hermaphrodites, dont les deux sexes sont
portés par le même individu, capable de s’autoféconder. Chez la cochenille
australienne des agrumes Icerya purchasi, on ne trouve pas de femelles, très
rarement de vrais mâles, et couramment des hermaphrodites ! Ces
hermaphrodites sont en fait des « femelles » qui ont incorporé dans leur
appareil reproducteur un tissu génital parasite provenant des
spermatozoïdes surnuméraires hérités du père. Les spermatozoïdes avec
lesquels l’hermaphrodite s’autoféconde sont produits par les cellules
sexuelles paternelles survivant dans la fille. La contribution des quelques
vrais mâles qui partent se reproduire avec d’autres femelles réduit les effets
de cette consanguinité des appariements père-fille répétés.
19 LES INSECTES NE PEUVENT
JOUER LES CAMÉLÉONS
Chez quelques insectes, les couleurs des
adultes ne sont pas figées après la dernière
mue.
En faisant varier l’hygrométrie de sa cuticule, la casside américaine C.
sexpunctata change de costume en quelques dizaines de secondes.
Les couleurs des insectes proviennent de pigments stockés dans les couches
superficielles de la cuticule, ou de l’arrangement des couches de chitine en
structures nanométriques réflectrices. Elles peuvent avoir pour fonctions le
camouflage pour se fondre dans le décor, la signalisation pour arborer une
tunique ostensible indiquant sa toxicité au prédateur, la thermorégulation
pour absorber les rayons solaires (voir fiche 11) ou pour se protéger des UV,
et parfois la séduction de l’autre sexe.
Certains insectes changent de couleur selon leur alimentation ou
progressivement au cours du développement, parfois pour suivre le
jaunissement de leur plante hôte qui se dessèche. Sans parler des espèces
bioluminescentes (voir fiche 14), d’autres changent brusquement en
découvrant une partie dissimulée de leur corps. Des papillons ou des
criquets dévoilent ainsi prestement les couleurs vives de leurs ailes
postérieures, recouvertes au repos par les ailes antérieures, pour surprendre
momentanément le prédateur et lui échapper.
Comme les caméléons, quelques insectes sont capables de modifier leur
couleur de manière rapide et réversible, en passant d’une coloration à
l’autre pour se faire voyants ou au contraire adapter temporairement leur
camouflage dans une gamme étroite de variation d’habitats.
En Europe, le criquet œdipode (Oedipoda coerulescens) prend
momentanément la couleur du substrat sur lequel il se déplace pour être
moins visible des prédateurs. La variation de teinte implique le déplacement
de 3 types de pigments (sépia, jaune rougeâtre et vert-jaune), stockés
respectivement dans les parties profonde, médiane et externe de chaque
cellule épidermique. À la stimulation neuro-hormonale de ces cellules, les
pigments sépia profonds peuvent migrer au premier plan pour couvrir les
autres et faire brunir le corps, ou redescendre au fond des cellules pour que
le corps redevienne jaunâtre.
Posé au sol, l’œdipode turquoise se fond dans le décor en prenant la
couleur du substrat. Mais en cas de danger, il s’envole en dévoilant ses ailes
postérieures bleues pour dérouter le prédateur.
Le phasme Carausius morosus change également de teinte du vert au brun
grâce à la migration de pigments dans ses cellules superficielles. Les mâles
des libellules européennes Sympetrum mettent quelques minutes à
s’éclaircir par un ajustement rapide de l’état d’oxydation des pigments
d’ommatine dans leur hypoderme, mais près de 10 h à s’assombrir à
nouveau. Les larves quasi transparentes des mouches européennes Corethra
plumicornis deviennent noires en quelques heures par des mouvements de
cellules remplies de pigments sombres vers la surface de la cuticule. Les
adultes du scarabée Dynastes hercules passent de jaunâtre à noir en
quelques minutes par des variations hygrométriques de leur cuticule. Les
mâles de sauterelles caméléons australiennes (Kosciuscola tristis) passent
du noir au turquoise en quelques minutes.
Les adultes de D. hercules passent de jaunâtre à noir en quelques minutes
par des variations hygrométriques de leur cuticule. On peut observer dans
la nature des individus momentanément bicolores, avec la moitié gauche
du corps encore jaune et la moitié droite déjà noircie !
Des couleurs adaptées à la pollution
Si certains individus sont capables de changer de couleur au cours de leur vie,
certaines espèces peuvent également s’adapter en quelques décennies à l’évolution
des couleurs dominantes de leur environnement. C’est le cas des papillons nocturnes,
qui se cachent des oiseaux pendant la journée, immobiles sur les troncs. En
Angleterre, dans les régions industrielles, la forte pollution atmosphérique a entraîné au
XIX e siècle la disparition des lichens clairs et le noircissement des bouleaux. Dans la
région de Manchester, la forme blanche de la phalène du bouleau (Biston betularia),
moins visible des oiseaux sur les troncs de bouleau naturellement clairs, s’est raréfiée
au profit de la forme sombre, moins repérable sur les bouleaux ternis. Le même
phénomène de mélanisme industriel a été observé en région parisienne dans les
années 1980 chez le bombyx de l’ailante (Samias cynthia), dont la teinte est passée du
beige clair au marron foncé.
Lorsque l’écorce est noircie par la pollution, la forme carbonaria de B.
betularia devient plus fréquente que la forme blanche typica.
Le changement de couleur le plus rapide est opéré par Charidotella
sexpunctata, appelée parfois « chrysomèle-tortue », capable de passer d’une
armure dorée uniforme à une livrée de coccinelle rouge à points noirs en
quelques dizaines de secondes ! Son exosquelette change de propriétés
réfléchissantes par la technique du miroir hygrochrome inversible. En
surface, l’épaisse cuticule multicouche est parcourue de rainures poreuses.
Quand elle est remplie d’eau, la carapace bombée est iridescente et la
chrysomèle ressemble à une goutte de rosée. Quand elle est perturbée (ou
morte…), les stries poreuses se vident du liquide, ce qui convertit le
revêtement de surface en plaque translucide et révèle les couches profondes
emplies de pigments rouges et noirs. Le contrôle hormonal et/ou nerveux
des variations internes d’hygrométrie n’est pas encore complètement
compris.
20 LES INSECTES NE SAVENT PAS
NAGER
Des dizaines de milliers d’espèces
d’insectes se déplacent en eau douce grâce
à des adaptations morphologiques.
Le véloce dytique est un coléoptère prédateur qui chasse à la nage,
propulsé à 15 cm/s par la brasse de ses larges pattes postérieures en forme
de pagaies.
Les eaux douces couvrent 1 % de la surface de la Terre mais abritent 6 %
des espèces d’insectes. Les insectes flottent sans se noyer, car l’eau est
repoussée à l’entrée de leurs trachées remplies d’air. Pour se déplacer à
grande vitesse à la surface de l’eau comme un hydroglisseur, la punaise
Gerris, parfois trompeusement appelée « araignée d’eau », est portée par
ses 4 longues pattes médianes et postérieures hydrophobes, aux tarses
couverts de milliers de micropoils très fins et rainurés de nanosillons qui
piègent de microcoussins d’air. D’autres modulent leur flottaison pour
marcher sur la vase au fond de l’eau ou sur les végétaux immergés, comme
de nombreuses larves (libellules, phryganes…) ou les punaises nèpes. Le
coléoptère Macronychus quadrituberculatus, incapable de nager, se
cramponne aux bois immergés dans les eaux courantes rapides et bien
oxygénées avec ses 6 longues pattes.
Les comportements de nage authentique reposent sur des modifications plus
drastiques du corps de l’insecte. Ces adaptations n’impliquent généralement
pas les pattes avant, qui sont réservées à la manipulation de la nourriture.
Le mâle des grandes punaises d’eau bélostomes nage en portant les œufs.
Les coléoptères gyrins, qui tourbillonnent à l’interface air-eau et ne
plongent que rarement, sont les nageurs les plus rapides. La forme
ellipsoïdale de leur corps, recouvert par un revêtement cireux qui les
empêche d’être mouillés, est particulièrement hydrodynamique et minimise
la résistance de l’eau, les pattes avant restant repliées sous le corps pour
réduire les frottements. Les pattes médianes et postérieures ont évolué pour
devenir d’efficaces palettes natatoires. Aplaties pour une meilleure
pénétration dans l’eau, elles possèdent un grand nombre de longs poils
rétractables, qui se déploient lors de l’effort de propulsion pour accroître de
40 fois la surface de battement, et se rétractent lors du mouvement de
récupération pour minimiser les frottements. Les pattes postérieures
pagaient à une fréquence de 50 Hz en alternant les battements de brasse sur
les côtés en nage de surface et les ondulations de dauphin sous le corps
pendant un plongeon. La trajectoire vers l’avant n’est jamais linéaire, mais
en forme de S : grâce à cette stratégie, 84 % de l’énergie des pattes gauche
et droite battant ensemble est convertie en force de propulsion. C’est
l’efficacité propulsive la plus élevée du règne animal ! Les pattes médianes
servent à la direction et garantissent des virages à faible rayon de braquage
et des manœuvres de pilotage très précises. Les punaises Rhagovelia sont
d’autres nageurs actifs à la surface des petits courants d’eau rapides. Elles
sont propulsées par leurs pattes médianes en forme d’aviron, équipées
d’éventails de longs poils.
Un tourniquet sans frottement
Un coléoptère gyrin récemment mort continue à tourbillonner passivement ! Une
molécule tensio-active sécrétée à l’extrémité de son abdomen crée un effet dispersant
à la surface de l’eau, ce qui entraîne une rotation automatique du gyrin mort à la
vitesse de 3 cm/s. Chez le gyrin vivant, cette propriété augmente la vélocité de 5 %.
Deux Gyrinus natator à la surface de l’eau.
Parmi les plongeurs spécialisés dans la nage sous l’eau figurent les punaises
notonectes et corises, deux carnassières hydrodynamiques avec leurs élytres
en V et leurs longues pattes arrière garnies de franges de soies élargies
comme des rames. Dans les eaux dormantes ou à faible courant, la corise
nage sur le ventre alors que la notonecte pratique une nage saccadée sur le
dos, face ventrale vers le haut, sous l’influence de la lumière solaire. Placée
dans un aquarium éclairé par le bas, elle se retourne et nage sur le ventre !
Si les dytiques, les gyrins et les notonectes sont des nageurs performants, ils
peuvent aussi voler avec aisance à la recherche de nouvelles mares, grâce à
leurs ailes, repliées sous un étui dorsal pendant la nage.
21 LES INSECTES NE CREUSENT
NI DANS LE PLASTIQUE NI DANS
LE MÉTAL
Les insectes sont capables de percer des
tunnels dans des matériaux très denses,
naturels ou pas.
La grande rhysse enfonce son long ovipositeur renforcé de métal
profondément dans le bois pour pondre ses œufs dans les galeries d’une
larve hôte.
La courtilière creuse des galeries dans la terre, avec ses pattes antérieures
fouisseuses armées de larges dents plates pour déblayer les débris. Les
scolytes creusent un tunnel dans le bois qu’ils consomment avec leurs
larves. Leur forme cylindrique, les brosses de poils dressés et la déclivité au
bout des élytres pour évacuer la sciure, le pronotum en forme de casque
recouvrant la tête, leur confèrent une morphologie de parfaits foreurs.
Quelques essences, comme l’acajou et l’ébène, particulièrement denses,
résistent à la plupart de ces xylophages. Grâce à de solides mandibules, les
chenilles mineuses sillonnent le fin parenchyme des feuilles, celles des
carpocapses la pulpe des pommes, et de nombreux asticots dévorent la chair
des champignons. La plupart tassent la vermoulure au fond de leur galerie,
tandis que certains l’expulsent par un trou de sortie, signalant ainsi leur
activité.
Au-delà de ces substrats naturels, de nombreux coléoptères, mais aussi des
guêpes et des larves de papillons, peuvent ronger les boîtes en plastique. Ils
peuvent mâcher et percer un film plastique, sans nécessairement le
consommer, pour atteindre la nourriture ou pour s’échapper d’un emballage.
Au Texas, un petit scolyte (Cnestus mutilatus) perfore les réservoirs
d’essence des tondeuses de petits trous de 2 mm, attiré par les 10 %
d’éthanol que contient l’essence standard américaine ! Le petit scolyte
tropical Coccotrypes dactyliperda parasite les noyaux de dattes et
différentes amandes. Au laboratoire, il perfore facilement le fond des tubes
en polystyrène rigide, là où de nombreuses guêpes parasitoïdes s’échappent
également des boîtes de Pétri en plastique.
Certains insectes vont jusqu’à se nourrir du matériau plastique. La teigne de
la cire (Galleria melonella), un papillon fléau des ruches où il consomme la
cire, possède une enzyme apte à digérer les molécules à longue chaîne de la
cire, mais également les polymères artificiels comme le polyéthylène.
Une voracité bénéfique ?
La teigne Galleria melonella, fléau des ruches, digère les polymères naturels, comme
la cire d’abeille, et artificiels, comme le polyéthylène. En 12 h, 100 chenilles dévorent
100 g de plastique ! Cette larve et son enzyme sont activement étudiées pour
contribuer à la dépollution des sols et des eaux.
La teigne de la cire, qui consomme la cire des ruches, est capable de
digérer les plastiques.
Certains coléoptères xylophages sont même capables de faire des trous dans
des plaques de métaux mous. Scobicia declivis, surnommé le scarabée des
courts-circuits, plutôt habitué des chênes et des érables, perçait le
revêtement en plomb des anciens câbles téléphoniques américains au début
du XIX e siècle, pour accéder à la gaine interne de cellulose.
La robuste courtilière, ou taupe-grillon, pond ses œufs dans un profond
terrier creusé dans le sol des jardins.
D’autres insectes peuvent transpercer des substrats très denses à l’aide d’un
organe « métallisé » ! Les guêpes parasitoïdes pondent leurs œufs sur un
hôte vivant, dont se nourrira leur larve. La femelle pond avec un
ovipositeur, une excroissance génitale tubulaire formée de 2 longues valves
creuses et flexibles, protégées par un fourreau, et dont l’extrémité est
dentelée et dotée de nombreux capteurs mécaniques et chimiques, pour
détecter précisément l’hôte dans son substrat. Certains parasitoïdes ont un
ovipositeur très long pour fouiller dans les profondeurs du support où s’est
enfoui leur hôte. Chez la grande rhysse (Rhyssa persuasoria), l’ovipositeur
atteint plus de 3 fois la longueur du corps, soit près de 14 cm (!), pour
pouvoir être inséré au fond du bois dur où vit la larve hôte. L’ovipositeur
des rhysses est renforcé par des minéraux métalliques (manganèse ou zinc)
qui en assurent la dureté. La guêpe parasite Apocrypta westwoodi pond ses
œufs sur les larves d’une autre guêpe vivant dans les figues non mûres.
Grâce à la solidité de son ovipositeur flexible, dont l’extrémité dentelée est
renforcée par du zinc, une femelle peut le planter dans une figue fraîche à
plus de 20 reprises au cours de sa vie.
22 LES INSECTES N’ONT PAS DE
FORCE
Les insectes sont souvent de minuscules
colosses, aux capacités biomécaniques
ahurissantes.
Les criquets font des bonds puissants qui défient la pesanteur.
En physique, la loi des échelles nous apprend que la force développée
augmente avec la taille au carré, et la masse avec la taille au cube. Ainsi, en
grandissant, un animal s’alourdit davantage qu’il ne gagne en puissance
musculaire, qui est proportionnelle à la section des muscles et donc au carré
de la taille.
Grâce à leur taille généralement petite (voir fiche 8), les insectes réalisent
des performances proportionnellement impressionnantes, en vitesse de
course, de vol et de nage, en force de traction et en longueur de saut
horizontal et vertical.
Une puce de 1,5 mm de long et de 0,7 mg peut accomplir un saut de 20 cm
en hauteur et de 35 cm en longueur, soit 100 à 200 fois sa propre taille. En
rapportant cet exploit à la taille d’un homme de 1,80 m, cela représente un
saut à 240 m de hauteur ! Entre son thorax et ses pattes arrière se trouve une
masse de résiline extrêmement élastique qui agit comme un puissant
ressort ; en se détendant brutalement, elle transmet sa force au levier des
jambes en appui sur les tarses, pour se lancer à une vitesse de 1,9 m/s, en
supportant une accélération de 150 G (G étant la constante d’accélération de
pesanteur), alors que le corps d’un pilote de chasse accepte difficilement
plus de 9 G. Cela signifie que la puce encaisse l’équivalent de 150 fois la
pesanteur normale sur Terre. Les bonds du criquet pygmée d’Afrique du
Sud (Xya capensis) sont encore plus toniques : du haut de son centimètre, il
déplie promptement ses pattes pour se propulser 1,40 m plus loin, en
décollant à 5,4 m/s avec une accélération de 300 G.
Une puce saute plus de 100 fois sa taille en actionnant le puissant ressort
de ses pattes postérieures.
L’exceptionnelle résistance des insectes à l’accélération a été mesurée chez
la fourmi Formica exsectoides en la collant par la tête au rotor d’une
centrifugeuse : à 350 G, elle a seulement allongé la cuticule souple du cou à
l’articulation tête-thorax, son corps ne se détachant de la tête que vers
4 000 G !
Pires que des pitbulls !
Grâce à des muscles disposés en biais, la contraction des mandibules de cafards
exerce une pression équivalente à 50 fois leur poids, 5 fois plus puissante que la
mâchoire humaine. La fourmi Odontomachus bauri, quant à elle, claque violemment
ses mandibules contre le sol à la vitesse de 64 m/s pour échapper à un prédateur (soit
230 km/h !).
Les insectes sont aussi capables de porter des fardeaux qui excèdent de
beaucoup leur propre masse, d’un facteur 10 à 50 pour les fourmis, et même
100 pour les fourmis tisserandes Oecophylla sp. La punaise Rhodnius
prolixus transporte dans son jabot un repas de sang qui représente 12 fois
son propre poids, comme si un homme avait bu 750 l de liquide pour
transporter un poids interne de 1 t. La libellule Anax junius parvient à voler
lestée d’une charge pesant 15 fois sa propre masse.
Seules ou à plusieurs, les fourmis rapportent au nid d’encombrants
fragments de plantes.
Les scarabées déploient une force de traction extraordinaire pour repousser
les prétendants d’un support conquis. Le plus fort est probablement le petit
bousier Onthophagus taurus, qui peut tirer une charge de 1 140 fois son
propre poids, comme si une personne traînait 6 bus doubles remplis de
voyageurs ! Un scarabée rhinocéros d’Amérique centrale (Xyloryctes
thestalus) est capable de soulever 100 fois son poids tout en continuant à
déambuler. Quant aux mâles de Lucanus cervus, suspendus par leurs
mandibules à une branche proche d’une plaie d’arbre suintante que leurs
femelles affectionnent, ils peuvent résister à la traction d’un poids de 200 g,
ce qui équivaudrait à une charge de 10 t pour un homme de 70 kg !
Un scarabée rhinocéros peut tracter une charge de plus de 100 fois son
poids !
Les plus rapides au sol sont des coureurs des sables. La petite fourmi
argentée (Cataglyphis bombycina), sprinteuse du désert, détale à 85 cm/s,
soit 108 fois la longueur de son corps par seconde ! Cette course rapide lui
permet de minimiser la durée de contact de ses pattes avec le sable chaud et
de produire une ventilation naturelle. Elle pose alternativement 3 pattes puis
les 3 autres, formant un trépied à chaque pose, et ne touche le sol que
pendant 7 ms, si bien que ses pattes touchent 47 fois le sol en une seconde.
Un coléoptère ténébrion du désert, Onymacris plana, mesuré à 4 km/h (plus
de 1 m/s), va encore plus vite. En Australie, les coléoptères chasseurs
cicindèles battent tous les records. Cicindela hudsoni, longue de 15 mm,
fonce à 2,5 m/s, soit 9 km/h. En Australie, C. eburneola court à 7 km/h, soit
171 fois la longueur de son corps par seconde, et vole à 43 km/h.
Fable de la fourmi et du sprinteur…
Rapporté à la taille d’une fourmi du désert, le sprinteur Usain Bolt n’atteindrait qu’une
vitesse maximale de 0,2 km/h, tandis qu’elle dépasse 740 km/h si on grossit la fourmi à
la taille d’Usain Bolt. Si le rapport vitesse/taille atteint 108 pour la fourmi, il n’est que
de… 6 pour Usain Bolt !
Même si les grandes libellules (aeshnidés) font des pointes à 60 km/h, les
plus véloces en vol sont les diptères (mouches). Un entomologiste de
Floride a mesuré un taon américain, Hybomitra hinei, à 145 km/h, chassant
un projectile tiré d’une carabine à air comprimé ! La mouche tsé-tsé fait des
démarrages fulgurants à 60 km/h, alors qu’une mouche vole déjà en
moyenne à 15 km/h. Les petites mouches piqueuses du genre Forcipomyia
battent des ailes à la fréquence de 1 000 fois par seconde.
Parmi les nageurs, le plus prompt est le gyrin tourniquet (Gyrinus natator,
voir fiche 20), qui se déplace à 80 cm/s, soit près de 2,9 km/h, 45 fois la
longueur de son corps par seconde et l’équivalent de 750 km/h pour un
homme de taille moyenne !
23 LES INSECTES RÉSISTERAIENT
À UNE EXPLOSION NUCLÉAIRE
Malgré une remarquable radiorésistance, les
insectes ne survivent pas aux catastrophes
nucléaires.
Les insectes ont recolonisé la forêt rouge de Pripyat autour de la centrale
de Tchernobyl.
Comme beaucoup d’organismes, les cafards ont succombé à la bombe
d’Hiroshima. Certes, les doses létales pour les blattes germanique ou
américaine sont 15 et 100 fois plus élevées que celle de l’homme. Et
d’autres insectes survivent même à un rayonnement plus fort, avec des
doses létales 200 à 400 fois plus élevées que celle de l’homme pour la
mouche domestique, la punaise des lits, le pou ou la fourmi pharaon. Mais
la résistance générale des insectes aux radiations a ses limites…
Pour la fourmi pharaon, la dose létale de radiations est 200 fois plus élevée
que pour l’homme, et la reine est beaucoup plus résistante que les
ouvrières.
Dans le corps des animaux, les radiations transforment plusieurs molécules
en radicaux libres très agressifs : ces radicaux dégradent les protéines,
inactivent les enzymes et le système immunitaire, et provoquent des
mutations délétères de l’ADN. Autour de Tchernobyl (accident du
26 avril 1986), le nombre des mutations a été multiplié par 10 et la
contamination restera mutagène pendant un siècle !
La survie des insectes en terrain irradié dépend de leur résistance à ces
effets délétères. Dans les zones naturellement radioactives, à proximité des
gisements d’uranium par exemple, certains insectes sont plus
radiorésistants. Ils ne sont pas mieux protégés par leur carapace de chitine,
qui est en fait faiblement radioprotectrice, mais par la faible quantité
d’ADN de leurs noyaux cellulaires, qui limite la portée des mutations. Par
ailleurs, les espèces radiorésistantes seraient dotées d’enzymes
supplémentaires de réparation des gènes lésés et de multiples systèmes de
protection contre les rayonnements, dont plusieurs antioxydants contre les
radicaux libres. Globalement, ces espèces sont plutôt petites et ont une
faible longévité. Enfin, les individus adultes sont plus radiorésistants que
les larves.
Autour de Fukushima, un an après l’accident de 2011, les chercheurs ont
constaté une réduction de croissance, de taille et de fertilité, une forte
mortalité et des anomalies morphologiques sur un papillon commun, y
compris pour des spécimens d’élevage nourris de feuilles contaminées, et
encore plus gravement pour les papillons de deuxième génération, nés de
parents recueillis sur le site contaminé. Trois ans après l’accident, 10 % des
pucerons survivants étaient fertiles mais déformés. Dans les forêts de
Tchernobyl, 25 ans après l’accident, la population des lucanes est stable,
mais les mâles portent des mandibules difformes. Des papillons, des
libellules, des abeilles, des sauterelles ont recolonisé en petit nombre le
secteur hautement contaminé de la Forêt rouge, où les pins ont perdu leur
chlorophylle. Chez les insectes en général, la recolonisation relève tout
autant de leur radiorésistance que de leur capacité à survivre dans des
refuges souterrains minuscules et moins contaminés, et à reconquérir les
espaces irradiés grâce à leur nombre. Les prédateurs subissent
l’accumulation des radionucléides dans les chaînes alimentaires, et sont
plus sensibles que les herbivores.
Accidents à répétition et risques de contamination
Depuis la première bombe atomique en 1945, plus de 2 000 essais nucléaires ont été
conduits dans le monde et plus de 200 accidents nucléaires sont à déplorer. L’accident
de Tchernobyl a libéré autant de radiations que 20 bombes d’Hiroshima et 10 accidents
de Fukushima. Les effets de toutes ces radiations à moyen et long terme sur les
communautés d’insectes restent difficiles à prévoir.
La réponse des insectes après une explosion atomique dépend aussi d’une
cascade d’effets écologiques associés aux changements d’interactions entre
les espèces. À titre d’exemple, après l’explosion de l’usine de retraitement
de combustible nucléaire à Kychtym en Russie en 1957, le troisième plus
grave accident nucléaire jamais connu derrière Tchernobyl et Fukushima,
les chenilles arboricoles du bombyx disparate survivaient mieux dans les
forêts les plus contaminées, grâce à la disparition dans les sols irradiés des
nymphes de leurs parasites, les mouches tachinides.
Les larves de chironomes sont les plus radiorésistantes dans les eaux
irradiées autour de Tchernobyl.
24 LES INSECTES ONT UNE
MAUVAISE VUE
Si les yeux à facettes n’atteignent pas la
résolution de l’œil humain, ils assurent une
large gamme de fonctionnalités.
Chez les mantes religieuses, un angle inter-ommatidies faible et des yeux
écartés et placés de chaque côté de la tête confèrent une vision
stéréoscopique à fort potentiel pour apprécier les distances.
Les insectes ont des yeux composés, où chaque facette hexagonale est la
surface d’un œil simple et indépendant, l’ommatidie. Les ommatidies sont
orientées dans différentes directions, et se juxtaposent pour former un œil
courbe. Chaque ommatidie est couverte d’une lentille transparente, qui
focalise la lumière vers un cône cristallin puis vers des cellules dotées de
pigments photorécepteurs, sensibles à différentes longueurs d’onde de la
lumière, donc à différentes couleurs. Chaque ommatidie est prolongée par
un axone, et les axones se rassemblent en un nerf optique qui convoie
l’information visuelle vers le cerveau. L’image y est interprétée par
apposition des images partielles fournies par chaque ommatidie pour donner
une représentation mentale de l’environnement. La combinaison des images
de chaque lentille forme une vue kaléidoscopique.
Le gain de netteté de l’image en mosaïque est corrélé à un plus grand
nombre d’ommatidies par unité de surface et à un plus faible angle couvert
par chaque ommatidie. Le nombre d’ommatidies varie selon les espèces.
Les espèces cavernicoles et souterraines ont perdu leurs yeux par adaptation
régressive, simple économie d’un organe inutile, alors que la luciole a des
yeux à 2 500 facettes, la mouche domestique 4 000, l’abeille 8 000, le
bourdon 10 000. La résolution de l’œil humain est 100 fois plus importante
que celle de l’abeille, 1 000 fois celle de la drosophile. Pour obtenir une
résolution analogue à celle de l’œil humain, le diamètre de l’œil composé
devrait atteindre 12 m ! Cependant, avec son capteur 29 × 29 pixels à
800 ommatidies, la drosophile reconnaît des images de ses congénères dans
94 % des cas et ne se trompe presque jamais sur leur sexe, ce dont un
humain est incapable lorsqu’il scrute des images de 29 × 29 pixels ! De
même, malgré une faible acuité, l’abeille reconnaît des images complexes,
distinguant un visage humain parmi d’autres dessins.
Grâce à son œil composé de 30 000 facettes, une libellule perçoit
175 images par seconde à 360° !
Les insectes ont la capacité d’estimer la distance des objets avec efficacité ;
par exemple, la libellule voit net jusqu’à 12 m. Ils ont aussi d’étonnantes
facultés pour détecter le mouvement, et ainsi repérer un prédateur en
approche ou se saisir brutalement d’une proie. La mouche perçoit les
mouvements à près de 200 images par seconde, soit 8 fois plus vite que
l’homme !
Quant au champ de vision des insectes, il est large, jusqu’à 360°
horizontalement et verticalement pour les blattes, les criquets ou les
mouches, qui voient donc vers l’avant et l’arrière, au-dessus et en dessous.
Par comparaison, l’homme a une vision nette sur seulement 5°, même s’il
distingue des formes jusqu’à près de 180°. Chez les coléoptères gyrins,
deux groupes d’ommatidies jouent le rôle de verres bifocaux.
Les gyrins, qui chassent en nageant à la surface des eaux douces, ont des
yeux divisés : la paire supérieure pour la vision aérienne et la paire basse
pour voir sous la ligne de flottaison. Leur champ de vision vertical couvre
360°.
Chez les insectes nocturnes, la luminosité de l’image est accrue par la
superposition de la lumière captée par les facettes adjacentes, au détriment
de la finesse de l’image. Chaque photorécepteur reçoit ainsi la lumière de
centaines de facettes, ce qui augmente la capture des photons et donc la
sensibilité visuelle. Des chercheurs suédois ont récemment montré que le
sphinx nocturne de la vigne (Deilephila elpenor), qui se nourrit sur des
fleurs, est capable de distinguer les couleurs la nuit. Après le poisson rouge,
c’est le deuxième animal chez qui cette aptitude est démontrée !
Le fond de l’œil des papillons est modifié en une couche qui réfléchit la
lumière, le tapetum, qui permet aux photons de traverser deux fois les
photorécepteurs. Cette adaptation augmente la sensibilité de la vision
nocturne et explique pourquoi les yeux des papillons de nuit brillent dans le
faisceau d’une lampe. Signalons d’ailleurs que les éclairages artificiels sont
une nuisance pour nombre d’animaux nocturnes en brouillant leurs repères
lumineux. En Europe, en raison de la pollution lumineuse inhérente à
l’urbanisation croissante, les papillons nocturnes déclinent plus rapidement
que les papillons de jour.
Les insectes voient le monde en couleurs, même si leur spectre visible est
décalé vers les longueurs d’onde courte (UV, bleu, violet). Les bourdons
distinguent beaucoup de nuances de bleu, et l’abeille différencie 6 couleurs
(jaune, bleu-vert, bleu, violet, UV et pourpre) mais ne perçoit pas le rouge.
Les pétales du coquelicot lui semblent probablement gris, et leurs marques
ultraviolettes qui nous sont invisibles les guident vers les sources de pollen
et de nectar.
Des antennes-relais des yeux
Chez les cicindèles, des coléoptères qui pratiquent la chasse à courre à une vitesse
équivalente à 360 km/h (sans parler des espèces championnes, voir fiche 22), les yeux
composés n’ont pas le temps de suivre le décor. Une cicindèle dont on a verni
expérimentalement les yeux ne court pas moins vite qu’une cicindèle indemne et ne
heurte pas les obstacles, car ses antennes, pointées vers l’avant à 1,5 mm du sol,
prennent le relais des yeux !
Chez les cicindèles, ou scarabées-tigres, coureurs extrêmement
rapides, les yeux ne suivent pas la cadence.
Comme beaucoup d’insectes, l’abeille s’oriente en percevant la lumière
polarisée. La lumière du soleil est partiellement polarisée par diffusion dans
l’atmosphère dans une direction dépendant de celle du soleil. Avec au
moins deux taches de ciel bleu, l’abeille peut localiser approximativement
la direction du soleil. Sur son chemin, elle mémorise la position par rapport
au soleil de plusieurs balises fixes. Grâce à son horloge interne, elle peut
même effectuer les corrections imposées par la course du soleil pour
actualiser sa boussole. En outre, lorsqu’elles quittent un endroit, leur nid ou
un gisement de nourriture, où elles voudront revenir, les abeilles, mais aussi
les guêpes ou les bourdons, mémorisent une carte mentale (couleurs et
formes) en 2 dimensions des environs immédiats. Au retour, elles
comparent l’image stockée avec l’image actuelle jusqu’à faire coïncider pas
à pas les 2 images. C’est pour fixer cette carte mentale que les guêpes
volent en zigzag à l’aplomb de notre table de pique-nique !
Les trois ocelles sur le front de la guêpe ne donnent aucune image mais
mesurent l’intensité lumineuse.
Dans la nature, la surface de l’eau est une source importante de lumière
polarisée, que les insectes aquatiques exploitent pour détecter leurs habitats.
De nombreux revêtements artificiels polarisant la lumière, comme les
façades vitrées ou les films plastiques étendus sur les terres agricoles, sont
confondus avec des plans d’eau par les insectes qui s’épuisent dans ces
pièges écologiques fatals.
25 LES INSECTES ONT LA VIE
COURTE
De l’œuf à l’adulte, le cycle de nombreux
insectes s’étend sur plusieurs années.
Les cigales américaines Magicicada émergent de façon synchronisée après
une vie larvaire souterraine de 17 ans.
La longévité d’un insecte ne doit pas être rapportée à sa seule vie adulte :
elle inclut aussi la durée de son cycle de développement de l’œuf à l’adulte.
Dans la plupart des cas, la larve vit plus longtemps que l’adulte, qui meurt
après une courte existence dédiée à la reproduction, après l’accouplement
pour les mâles, après la ponte pour les femelles. Les adultes de papillons,
succédant aux chenilles qui ont grandi pendant plusieurs mois, ne vivent
guère plus de quelques dizaines de jours. Les larves des taupins, des
hannetons et des cigales, dont les adultes vivent au plus quelques semaines,
passent plusieurs années enfouies sous terre.
Toutefois, certains développements larvaires sont très brefs. Celui de la
mouche domestique (Musca domestica) dure une quinzaine de jours de
l’œuf à l’adulte, qui vit moins de 1 mois. Chez les moustiques (Culex,
Aedes…), après 2 à 3 jours passés au stade d’œuf, qui peuvent se prolonger
plusieurs mois si le gîte de ponte est asséché, il faut compter 11 à 19 jours
de la larve à l’adulte, puis 3 semaines pour le mâle à 3 mois pour la femelle.
Chez les éphémères, la larve vit jusqu’à 3 ans dans les eaux douces, alors
que l’adulte survit 1 ou 2 jours, voire 2 heures pour Ephoron virgo. Le
record de la vie adulte la plus courte est détenu par l’éphémère Dolania
americana. Après 2 ans de vie larvaire, la femelle ne vit que 5 minutes pour
se faire féconder puis déposer ses œufs.
Dans une rivière allemande, un silure se gave d'une émergence massive
d’éphémères (E. virgo).
Par comparaison, les reines de certains insectes sociaux sont longévives.
Celle des abeilles vit 2 à 5 ans, mais l’ouvrière seulement quelques
semaines. Chez les termites tropicaux Bellicositermes, elle vivrait plus de
50 ans. Alors qu’une ouvrière de fourmi noire des jardins (Lasius niger) ne
vit que 3 à 10 mois, une reine a vécu 30 ans en élevage ! Fécondée une
seule fois, la reine des fourmis coupe-feuille (Atta sp.) pond pendant 15 ans.
Ralentissements métaboliques extrêmes
Après une croissance larvaire ralentie par la faible qualité nutritionnelle du bois, des
longicornes Eburia quadrigeminata ont émergé d’une bibliothèque en bouleau au bout
de 40 ans, un bupreste Buprestis aurulenta du bois d’un meuble après 26 ans ! Après
avoir perdu beaucoup d’eau et réduit leur activité métabolique pour survivre en état de
cryptobiose, des spécimens secs de la cochenille Margarodes vitium ont été retrouvés
vivants dans un musée après 17 ans d’archivage.
Certains insectes font des diapauses facultatives, en réponse aux conditions
extérieures difficiles, ou obligatoires, par simple programmation génétique,
à différents stades de leur développement. En Europe, œufs, larves,
nymphes ou adultes hivernent. Les coccinelles et les chrysopes passent
l’hiver regroupés dans les maisons, en vie ralentie, avant de se reproduire
au printemps.
Les adultes de la vanesse de l’ortie font une diapause hivernale et se
reproduisent au printemps suivant.
En réponse aux fluctuations imprévisibles des ressources, les diapauses
facultatives sont de durée variable et peuvent être pluriannuelles. Certaines
diapauses obligatoires sont également très longues. Alors que la plupart des
cigales ont un cycle larvaire de 2 à 5 ans, les cigales forestières nordaméricaines
du genre Magicicada ont des cycles de 13 ou 17 ans,
synchronisés entre tous les individus d’une localité, avec une très longue
diapause, probablement en réponse à la pression de prédation. En effet, une
guêpe ou une mante, dont le cycle de vie ne dure que 2 ans, ne peut compter
sur une proie aussi irrégulière !
26 LES INSECTES GRANDISSENT
TOUTE LEUR VIE
Tous les insectes muent pour grandir, mais
ils ne muent pas toute leur vie.
Les juvéniles d’insectes holométaboles subissent plusieurs mues et une
métamorphose avant de devenir adultes.
Chez les insectes, les membranes souples entre les segments peuvent
s’étirer légèrement en se déplissant, mais la taille des structures durcies,
comme la capsule céphalique, l’exosquelette des pattes et du thorax,
n’augmente plus à partir d’un stade donné du cycle de vie. L’existence de ce
squelette externe rigide qui ne peut s’allonger les empêche de grandir
graduellement. Pour s’assurer une croissance par paliers, tous les insectes
muent, aux stades juvéniles seulement, de 4 à 8 fois selon les groupes.
Sous l’action d’une hormone de mue, les cellules épidermiques se détachent
de l’ancienne cuticule et sécrètent depuis l’intérieur la nouvelle cuticule
plus grande. Dans ce processus, l’espace entre les 2 cuticules s’assèche,
l’ancienne cuticule se fend sous l’effet du gonflement d’air des trachées et
des contractions musculaires qui distendent le corps. L’insecte devenu plus
gros se dégage alors de son ancienne cuticule qu’on appelle « exuvie ».
Quand l’insecte ne la mange pas pour recycler ses ressources, on peut
trouver des exuvies sèches et vides dans la nature.
Chez presque tous les insectes, dès que l’état adulte est atteint, c’est-à-dire
une fois les éventuelles ailes et les organes sexuels complètement
développés, les glandes de sécrétion de l’hormone de mue disparaissent.
Seul un groupe d’insectes primitifs, les lépismes (ou thysanoures), conserve
ses glandes de sécrétion de l’hormone de mue et continue à muer à l’état
adulte sans changer d’aspect physique. Ces lépismes éclosent de l’œuf sous
une forme semblable à l’adulte et s’alimentent de la même façon jusqu’à
leur mort. Ils acquièrent leur maturité sexuelle à partir d’une certaine taille.
Les femelles pondent puis muent encore jusqu’à 50 fois ! Du stade adulte
jusqu’à leur mort, leur taille aura pu s’accroître d’un facteur 3.
Les lépismes sont les seuls insectes qui grandissent jusqu’à leur mort.
Selon leur degré d’évolution, les insectes connaissent deux grands types de
cycles de développement, qui se distinguent par l’existence ou non d’un
changement de forme spectaculaire (métamorphose) à la dernière mue avant
le stade adulte. Chez les insectes moins évolués (paurométaboles), comme
les perce-oreilles, les sauterelles, les criquets ou les punaises, la
métamorphose est dite « incomplète », et les juvéniles ressemblent aux
adultes et vivent dans le même milieu, tout en étant plus petits et dépourvus
d’ailes. Au cours des mues larvaires successives, des ébauches d’ailes se
développent progressivement, les autres caractéristiques externes du corps
étant peu modifiées.
Les juvéniles de sauterelle Katydide muent plusieurs fois avant d’avoir des
ailes fonctionnelles.
Les autres insectes, majoritaires avec 86 % des espèces actuelles, ont une
métamorphose complète (holométaboles). Chez ces insectes (scarabées,
mouches, papillons, guêpes, abeilles…), ce sont également uniquement les
larves qui muent et qui grandissent, mais leur forme (asticot, chenille,
ver…) et leur mode de vie sont très différents de ceux de l’adulte. De plus,
elles doivent passer par un stade intermédiaire supplémentaire, celui de
nymphes (ou pupes, chrysalides…), avant d’atteindre le stade adulte.
Il n’y a aucun lien entre la taille et l’âge des spécimens : un petit spécimen
ressemblant aux gros n’est pas le juvénile de l’espèce, mais c’est un petit
adulte dont la larve a bénéficié d’un régime moins riche, ou alors c’est
l’adulte d’une espèce voisine qui est en moyenne plus petite. Une mouche
et un papillon adultes ne grandissent plus, et une petite coccinelle à deux
points conservera sa taille et ses motifs jusqu’à sa mort. En France, il existe
plus de 120 espèces de coccinelles, de taille et de couleur différentes,
couvertes de 2 à 24 points, un nombre souvent caractéristique de l’espèce.
Sur aucun insecte, le nombre de taches n’indique l’âge !
Une pondeuse dilatée
Chez tous les insectes adultes, certaines parties du corps portent un tégument mou,
avec une couche superficielle de cuticule non chitinisée, très lâche et très plissée.
Celle-ci peut se dilater en se déplissant. L’abdomen de la reine de termite en fournit un
exemple frappant. Par suite du développement de ses organes reproducteurs, sa
cuticule se déplisse progressivement et l’abdomen s’accroît en longueur, passant de
12 mm à 10 cm pour une surface 50 fois plus grande !
La longueur de la reine pondeuse des termites peut être multipliée par 8
grâce à la dilatation de son abdomen.
Chez tous les insectes, à l’exception des lépismes, la croissance se fait
uniquement au stade larvaire, dont la finalité première consiste à manger.
Dans un milieu riche en ressources, la larve de dernier stade atteindra une
taille plus importante et pourra ainsi devenir un adulte plus gros. Au sein de
chaque espèce, la variabilité de taille des adultes dépend de la richesse
nutritive du substrat larvaire.
27 TOUT INSECTE DOIT MANGER
POUR SURVIVRE
Si toutes les larves se nourrissent
goulûment, de nombreux adultes mangent
peu ou pas du tout.
Les insectes nectarivores, comme ce moro-sphinx adulte, déroulent leur
trompe profondément dans les fleurs.
Chez les insectes, la larve est une machine à manger, et l’adulte une
machine consacrée à la reproduction. De nombreuses espèces ne
s’alimentent d’ailleurs que pendant les longs stades larvaires, alors que
l’adulte ne mange pas lors de sa courte vie. Le grand papillon Atlas ne vit
qu’une semaine et ne se nourrit pas. Les adultes de tipules, de mites, de
teignes et du papillon bombyx disparate ont des pièces buccales atrophiées
et meurent d’épuisement après s’être reproduits. Lors de la mue de la
nymphe à l’adulte, les éphémères perdent à la fois leurs appendices buccaux
et leur tractus digestif.
D’autres ne consomment que les réserves accumulées par la larve et
conservées à la métamorphose, comme le scarabée Nacerdes melanura,
dont les larves rongent le bois d’œuvre humide. Certains mâles se
contentent de consommer du liquide sucré, sur des fruits pourris, des
nectaires floraux ou de la sève suintante, qui leur apporte l’énergie
nécessaire aux déplacements et à l’accouplement. Les femelles privilégient
des aliments riches en protéines pour construire les œufs.
Chez les adultes qui s’alimentent, l’appareil buccal est adapté au régime
alimentaire… Les suceurs de sang ou de sève disposent d’un rostre piqueur,
les prédateurs ont des mandibules longues, musclées, dentées et acérées,
etc.
Les insectes s’appuient sur un riche arsenal enzymatique et un microbiote
diversifié pour tout digérer. L’asticot d’Helaeomyia petrolei est même
capable d’assimiler les hydrocarbures dans les flaques de pétrole.
Si la chenille de la mite (Tineola bisseliella) digère la kératine de la laine
et de la fourrure, les adultes ne s’alimentent pas.
L’inventaire de leurs repas est très hétéroclite. Il y a ceux qui dépendent
directement ou indirectement d’autres animaux. Le papillon Lobocraspis
irrite le globe oculaire des ongulés avec sa trompe pour lécher les larmes.
Les fourmis bergères élèvent des troupeaux de pucerons pour se repaître de
leur miellat sucré. La larve des guêpes aériennes mymaridés de moins d
1 mm se développe dans des œufs d’insectes aquatiques. L’asticot de la
lucilie bouchère (Cochliomyia hominivorax) dévore les plaies humaines. La
luciole injecte un jus digestif qui liquéfie les chairs d’un escargot avant de
l’aspirer. Le scarabée plat Platypsyllus castoris consomme des squames
dans le pelage des castors. La larve des scarabées anthrènes croque les
insectes secs en collection et les vertébrés empaillés. Celle des coléoptères
Nicrophorus ingurgite la chair des cadavres enterrés par leurs parents.
L’asticot de Piophila vit de la croûte d’un fromage de brebis sarde. Le taon
Tabanus bovinus pompe un demi-litre de sang de vache par jour. La larve de
la phrygane Philanisus plebeius s’installe dans une étoile de mer pour la
grignoter vivante.
L’asticot de Dermatobia hominis se développe dans la chair humaine
vivante.
Certains insectes sont associés aux champignons. Le scarabée ciide et
l’asticot de mycétophilide y font des tunnels pour en consommer la chair.
La fourmi Atta coupe des feuilles pour en faire un tapis souterrain sur lequel
cultiver un jardin de champignons. La larve des syrphes Ceriana filtre les
levures proliférant dans la sève des blessures d’arbres. Le scarabée xylébore
broute un champignon qu’il fait pousser dans des galeries du bois.
Les mouches Stomoxys calcitrans s’agglutinent autour des yeux des chevaux
pour s’abreuver de larmes et d’humeur aqueuse.
Enfin, près de la moitié des insectes se régalent de végétaux. La minuscule
chenille mineuse creuse ses galeries dans l’épaisseur des feuilles. La larve
du charançon Rhynchites consomme les feuilles de peuplier roulées en
cigare, celle de Cylas dévore les tubercules de patate douce. La chenille de
processionnaire du pin (Thaumatopoea pityocampa) ronge des aiguilles, la
larve du hanneton forestier (Melolontha hippocastani) les radicelles des
arbres, tandis que le charançon Hylobius abietis mordille l’écorce des
jeunes résineux. La larve de guêpe Megastigmus attaque les graines dans les
cônes de résineux, et la cochenille rouge Dactylopius coccus pompe la sève
des figuiers de Barbarie. Le scarabée Meligethes se nourrit du pollen des
fleurs. L’asticot de bibionidés grignote les feuilles mortes et la larve du
charançon balanin (Curculio elephas) la chair des châtaignes. Le scarabée
elmidé broute les algues au fond des torrents, et le papillon Cryptoses
cholepi celles de la fourrure des paresseux sud-américains. La vrillette
Stegobium paniceum a grand appétit pour les farines. Les psoques
consomment la cellulose des livres. Le scarabée Trogoderma s’attaque aux
céréales stockées en silos, et la fourmi Messor fabrique un pain spongieux
en mélangeant salive et graines broyées. La larve de cétoine pique-prune
(Osmoderma eremita) mange le terreau dans les arbres creux, la chenille du
Cossus cossus le bois des arbres fruitiers, la larve du charançon Pselactus
spadix le bois flotté imbibé de sel échoué sur les plages, celle du bupreste
Melanophila le bois des pins calcinés et celle de la teigne cuivrée
(Nemapogon cloacella) les bouchons de liège des bouteilles.
À consommation effrénée, croissance sidérante
Entre sa sortie de l’œuf et sa transformation en chrysalide, la chenille du papillon
Attacus atlas multiplie sa longueur par 20 et son poids par près de 15 000 ! Au cours
des 2 mois de son développement, la chenille du grand paon de nuit (Saturnia pyri)
mangera une quantité de feuilles équivalente à près de 100 000 fois le poids qu’elle
faisait à sa sortie de l’œuf. Pendant ses 56 jours de développement, la chenille nordaméricaine
d’Antheraea polyphemus consomme 86 000 fois son poids de naissance en
feuilles de chêne, d’érable et de bouleau.
Chenille d’Attacus atlas longue de 1,5 cm à 6 jours.
Chenille d’Attacus atlas longue de 6 cm à 20 jours.
28 TOUS LES INSECTES SONT
OVIPARES
La plupart des insectes pondent des œufs
pour se reproduire, mais certains sont
ovovivipares et même vivipares.
Pendant l’été, les pucerons femelles pondent des larves femelles sur
plusieurs générations.
En général, chaque femelle insecte produit des œufs qui termineront leur
croissance embryonnaire hors de l’organisme maternel, protégés par une
coque et déposés dans un endroit approprié pour la future larve. Dans ces
conditions, de nombreux œufs n’atteignent pas le stade de l’éclosion
larvaire…
Certains insectes retardent la libération de leur descendance dans le monde
extérieur pour la protéger des prédateurs, du froid, de la déshydratation, et
ne la libèrent pas au stade œuf.
Dans le cas des espèces ovovivipares, mode intermédiaire entre l’oviparité
et la viviparité, le développement de l’embryon se déroule dans un œuf,
mais cet œuf est incubé dans les voies génitales femelles. La femelle pond
donc un œuf tout prêt à éclore. C’est le cas du bourdon polaire (Bombus
polaris), dont la reine ovovivipare incube longtemps ses œufs dans son
abdomen réchauffé, pour faciliter et accélérer le développement
embryonnaire. Chez la mouche à viande grise à damier (Sarcophaga
carnaria), que tout le monde connaît, les œufs peuvent aussi éclore avant la
ponte, directement dans l’abdomen de la femelle.
La femelle de la mouche à viande grise à damier dépose de jeunes asticots
vigoureux sur la viande ou à l’entrée des galeries de vers de terre, dont sa
progéniture se repaît.
Plusieurs insectes sont vivipares et leurs femelles donnent naissance à de
jeunes larves indépendantes. Elles produisent souvent des œufs à enveloppe
très mince, qui demeurent dans les voies génitales après la fécondation et y
sont nourris par diffusion. Chez les œstridés, des mouches évoluées aux
larves parasites, les œufs réalisent leur développement embryonnaire à
l’abri, dans le vagin dilaté de la femelle. Puis la femelle projette, au vol, les
jeunes larves aux abords des narines ou des yeux des mammifères, pour
qu’elles finissent leur développement dans leur hôte. Chez la mouche tsétsé,
chaque œuf éclot tôt dans les voies génitales de la mère où la larve
réalise la totalité de sa croissance, dans le vagin élargi, en se nourrissant par
succion d’une papille qui produit un « lait ». Chaque mouche tsé-tsé
engendre au plus une douzaine de jeunes pendant sa vie adulte d’environ
6 mois.
À l’issue de son développement, l’asticot de la mouche tsé-tsé s’allonge
afin de s’engager vers la sortie. La femelle accompagne son mouvement de
contractions musculaires contrôlées, comme pour un accouchement, le
déposant dans un endroit bien choisi juste avant sa nymphose.
Pontes record
La plupart des femelles d’insectes pondent plusieurs dizaines à quelques centaines
d’œufs, environ 400 chez la piéride du chou par exemple. Mais les mouches
acrocérides pondent jusqu’à 4 000 œufs en une ponte. Une reine d’abeille peut pondre
15 000 œufs en une semaine. La reine des fourmis Atta pond 1 œuf toutes les 3 s, soit
28 800 œufs par jour, pendant 10 ans. Les reines de certains termites pondent un œuf
à la minute, voire un œuf par seconde !
Dans chaque alvéole, la reine des abeilles pond un œuf qui éclora au
bout de 3 jours, avant d’être pris en charge plus de 1 000 fois par jour
par les ouvrières.
Certaines espèces sont vivipares et parthénogénétiques, donc composées de
générations de femelles qui pondent des larves issues d’œufs non fécondés
sans s’être accouplées ! C’est le cas de nombreuses espèces de pucerons,
dont les générations successives de femelles « pondent » directement des
larves femelles, ce qui leur permet de proliférer pendant toute la belle
saison (voir fiche 18). Ce n’est qu’à l’automne, quand les ressources
alimentaires décroissent, qu’apparaissent des femelles ovipares. Chez les
pucerons vivipares, les parois du canal génital femelle laissent diffuser des
substances nutritives vers l’embryon en gestation. Le développement ne
dure que quelques jours, si bien que certaines larves dans l’appareil génital
maternel hébergent déjà elles-mêmes la génération ultérieure de petits
embryons parthénogénétiques, comme si une grand-mère était enceinte de
ses filles et, par effet emboîté, de ses petites-filles !
La prolifération des moustiques
Chez le moustique commun (Culex pipiens), les femelles d’été pondent plusieurs fois
une centaine d’œufs à la surface de l’eau durant leurs quelques semaines de vie
aérienne. Plusieurs générations d’été se succèdent : une tous les 15 jours, de la ponte
des œufs sur l’eau à la sortie des adultes après 4 stades larvaires aquatiques, si les
conditions de température restent autour de 20 °C ! En cas d’asséchement, les œufs
peuvent survivre dans un état de dormance pendant plusieurs mois dans un sol
humide en attente d’une inondation.
Grappe flottante d’œufs de moustiques et jeunes larves.
Quelques rares espèces sont d’ailleurs dites « larvipares » : elles sont
vivipares et parthénogénétiques et se reproduisent au stade larvaire, grâce à
des ovaires à développement accéléré, avant même d’atteindre le stade
adulte. C’est le cas des larves des petites mouches Miastor et du coléoptère
Micromalthus, qui se développent sous l’écorce pourrissante des arbres
morts. Les asticots de Miastor éclosent dans le corps de leur mère (qui est
encore une larve) et la dévorent de l’intérieur pour en sortir quand il ne
reste plus que l’enveloppe externe.
29 LES INSECTES N’ONT PAS
D’HYGIÈNE
Les insectes se lavent fréquemment et leurs
comportements de toilette augmentent leur
survie.
Entre deux attaques, la mante religieuse nettoie ses précieuses pattes
ravisseuses.
La plupart des insectes procèdent à un toilettage régulier de leur corps.
Cette suite stéréotypée de gestes répétitifs et innés persiste même si
l’appendice de nettoyage est mutilé. Le toilettage implique les pièces
buccales ainsi que des brosses de soies insérées sur les pattes. Il porte en
priorité sur les organes sensoriels, respiratoires ou locomoteurs, qu’il faut
débarrasser des particules étrangères pour en maintenir la fonction.
Ainsi, les mantes inclinent leurs longues antennes pour les passer à travers
leurs pièces buccales et les décharger des débris, qu’elles compactent et
recrachent. Chez les fourmis Camponotus, c’est par une encoche et un
éperon garnis de brosses formant une pince sur les pattes que les ouvrières
raclent leurs antennes. Les punaises pentatomidés ont un peigne à
l’extrémité des tibias antérieurs, qu’elles font coulisser ensemble autour de
l’antenne incurvée.
De nombreuses espèces nettoient leurs yeux en les frottant avec les pattes
antérieures. En frictionnant leurs pattes l’une sur l’autre, elles curent leurs
tarses pour maintenir leur pouvoir d’adhérence à différents supports et
entretenir leurs nombreux capteurs sensoriels. En astiquant les côtés du
corps avec leurs pattes, les insectes préviennent les bouchons à l’entrée des
trachées respiratoires. Les ailes sont décrassées par les pattes postérieures
pour diminuer la charge de débris, et maintenir la pénétration dans l’air.
Une mouche tachinaire nettoie ses tarses et leurs multiples capteurs en
frottant ses pattes antérieures.
Chez certaines espèces, les ailes et les élytres portent des structures en
picots qui les rendent autonettoyantes. Les ingénieurs s’inspirent de ces
textures pour concevoir des capteurs éoliens et solaires plus résistants dans
les zones désertiques, évitant l’adhérence du sable et son abrasion.
Toilette imparfaite chez la mouche
Sur les ailes et les pattes d’une mouche domestique, on a en effet dénombré
350 espèces de bactéries, contractées sur les carcasses ou les matières fécales.
Certaines sont pathogènes et déposées sur des produits utilisés par l’homme. D’après
les scientifiques, les mouches des champs portent moins de bactéries que les
mouches des villes.
Les fourmis et les abeilles procèdent à un autotoilettage systématique avant
de rentrer au nid, et d’y subir le nettoyage d’accueil de leurs congénères !
D’ailleurs, les apiculteurs saupoudrent du sucre glace dans les ruches pour
stimuler le toilettage et inciter les abeilles à se frotter avec les pattes pour se
débarrasser des parasites externes. Pour faire face aux risques élevés de
contagion dans les colonies, les insectes sociaux ont développé toute une
gamme de comportements hygiéniques dans le nid comme à l’extérieur
(voir fiche 31). Une abeille en demande de toilettage effectue une danse de
requête, avant d’ouvrir les ailes et d’être prise en charge par une ouvrière
toiletteuse. Les fourmis ouvrières lèchent fréquemment leurs congénères, et
stockent les déchets dans des cavités buccales, avant de recracher des
boulettes dans les dépotoirs à l’extérieur de la fourmilière.
Une grande fourmi rouge moissonneuse (Pogonomyrmex maricopa) se laisse
nettoyer par de petites ouvrières Dorymyrmex sp.
À l’entretien physique s’ajoute la diffusion sur le corps de molécules
antimicrobiennes (voir fiche 31). Les sécrétions de glandes abdominales des
dytiques ou des naucores aquatiques sont ainsi étalées par le frottement des
pattes, en particulier sur la zone qui stocke la réserve d’air pendant la
plongée, pour y éviter toute infection.
30 SEULS LES INSECTES SOCIAUX
S’OCCUPENT DE LEURS PETITS
Certains insectes solitaires prodiguent des
soins à leurs œufs ou à leurs larves.
Les nécrophores élèvent leurs larves en couple ou en communauté sur des
cadavres enterrés.
Chez les insectes sociaux comme les abeilles, les guêpes ou les fourmis,
l’investissement des ouvrières dans les soins aux œufs et aux larves est fort.
En revanche, chez les insectes non sociaux, la plupart des femelles
abandonnent leurs œufs (voir fiche 28) sur un site riche en ressources
alimentaires pour la future larve, en couvrant parfois les œufs d’une couche
de symbiontes que la larve absorbera pour faciliter sa digestion (voir
fiche 31). D’autres, comme les guêpes et abeilles solitaires, vont jusqu’à
approvisionner en réserves alimentaires un terrier où elles pondent avant
d’en obstruer l’accès. Enfin, certains parents assurent des soins particuliers
à leur descendance pour améliorer leur survie.
C’est parfois le père qui se charge de protéger les œufs en les transportant
avec lui ou en les défendant activement. Chez les bélostomes, punaises
aquatiques géantes d’Asie, la femelle pond ses œufs sur le dos du mâle qui
s’en occupe seul, en les baignant régulièrement tout en les protégeant des
assaillants, même après l’éclosion des larves. Pendant la ponte, le mâle
interrompt la femelle et exige un nouvel accouplement pour s’assurer la
paternité des œufs qu’il transporte. À l’inverse, chez les punaises réduves
terrestres Rhynocoris, la femelle pond quelques œufs pendant
l’accouplement, et c’est elle qui contrôle que le père les défend avant de
prolonger ou d’interrompre les ébats.
Chez d’autres espèces, ce sont les femelles qui manifestent un instinct
maternel en veillant à la protection des œufs ou au nourrissage des larves.
La femelle de la courtilière des jardins soigne ses œufs puis ses larves
durant 2 mois dans un nid souterrain. Chez les embioptères clothodidés
tropicaux, elle les nourrit par régurgitation dans des tunnels de soie tissés
sur des écorces. Chez les perce-oreilles Labidura, la femelle se cloître dans
le sable avec ses œufs, et les brosse régulièrement pour qu’ils ne se
couvrent pas de moisissures. D’autres femelles montent une garde plus ou
moins active auprès des œufs : celle du papillon tropical Hypolimnas
anomala recouvre ses œufs avec ses ailes déployées qu’elle bat pour
intimider les intrus, alors que la punaise Physomerus grossipes projette un
liquide répulsif sur les assaillants.
La femelle du perce-oreilles Labidura s’enfouit dans le sable avec ses œufs
pour les brosser régulièrement.
Échange de soins
Les blattes Cryptocercus vivent en couple dans le bois pourri. Après une ponte unique
de 75 œufs, les parents défendent, toilettent et nourrissent leurs larves pendant 3 à
5 ans. Ils leur transmettent les micro-organismes symbiotiques qui les aideront à
digérer la cellulose, en les alimentant avec un mélange de bois régurgité et de crottes
de leurs aînés. Pendant 20 % de leur temps, les larves nettoient leurs parents en
raclant leur cuticule avec leurs pièces buccales. La famille demeure groupée jusqu’à la
mort des parents.
À côté de ces insectes solitaires, il existe des communautés familiales
constituées des deux parents coopérant aux soins. Chez les coléoptères
tropicaux passalides qui vivent dans des galeries du bois en décomposition,
les parents monogames communiquent avec leurs larves par des signaux
acoustiques complexes et les nourrissent avec de la pulpe de bois
prédigérée. Une intime coopération parentale existe aussi chez les bousiers
coprophages et surtout les scarabées nécrophores, qui enfouissent, en
couple fidèle, excréments de vertébrés ou morceaux de cadavres dans un
tunnel souterrain. Chez les bousiers Cephalodesmius d’Australie, la femelle
creuse la galerie seule, le mâle monte la garde et approvisionne le nid en
excréments, que la femelle roule en boule avant d’en attribuer aux larves.
Dans les tunnels des scarabées nécrophores, les larves touchent la bouche
de leurs parents avec leurs pattes pour quémander la régurgitation de chair
de cadavre prédigérée. Le mâle passe davantage de temps à monter la
garde, mais il peut assumer seul toutes les tâches si la femelle disparaît.
Certaines femelles de Nicrophorus élèvent leurs larves en communauté
étendue, en enterrant des fragments de cadavres dans une loge souterraine
partagée par plusieurs couples.
Gardiennage de ses œufs par une femelle du papillon H. anomala.
31 LES INSECTES NE SAVENT PAS
SE SOIGNER
Les insectes combinent souvent des
comportements thérapeutiques individuels
et collectifs.
Lorsque la femelle du papillon monarque est infectée par un parasite
interne, elle pond ses œufs sur une asclépiade plus concentrée en
molécules antiparasitaires, dont ses chenilles profiteront.
Les insectes sont dotés d’un système immunitaire efficace, et leurs plaies
cicatrisent en s’infectant rarement (voir fiche 16). De plus, ils adoptent des
gestes pour prévenir les infections. Ainsi, les fourmis s’aspergent
mutuellement des sécrétions antibiotiques de leurs glandes thoraciques ou
de leur glande à poison, contenant l’acide formique antibactérien et
antifongique. Par léchage mutuel, elles s’enduisent de sécrétions
antimicrobiennes. Chez la fourmi Acromyrmex infectée par un champignon
parasite, les ouvrières restées en groupe ont une survie plus importante que
les ouvrières isolées !
Dans les nids, l’apport de substances naturelles antimicrobiennes permet
d’assainir l’habitat. Les fourmis et les abeilles importent de la résine de
conifère, dont les composés terpéniques sont des antibiotiques volatils,
réduisant significativement la densité de bactéries et de champignons. Dans
le Jura, un dôme de Formica paralugubris contient jusqu’à 20 kg de
boulettes de résine ! Au printemps et en été, les ouvrières intensifient la
récolte de résine pour assurer un environnement intérieur plus sain lors de
la production du couvain. Lors d’une infection de la ruche, le nombre
d’abeilles partant en quête de résine augmente. Dans les ruches où elles ont
ajouté des résines comme mortier entre les alvéoles, l’infestation par des
champignons parasites régresse. Elles mélangent aussi ces résines aux
sécrétions salivaires pour fabriquer la propolis, aux vertus antibiotiques
curatives, et pour momifier les intrus.
Les ouvrières de Formica accumulent les boulettes de résine de conifères
pour assainir l’atmosphère de la fourmilière.
Les insectes qui contribuent à une immunité collective recherchent
l’équilibre avec la sécurisation de leur immunité individuelle. Chez les
scarabées nécrophores, qui élèvent leurs larves en communautés sur des
carcasses, la blessure d’un adulte altère son comportement. Il investit alors
plus d’énergie dans le renforcement de son immunité personnelle, en
délaissant temporairement la production des sécrétions antibactériennes
collectives (voir fiche 27).
L’héritage de l’immunité
Chez la fourmi Crematogaster scutellaris, les ouvrières filles de reines qui ont été
auparavant exposées à de faibles doses d’un champignon pathogène sont plus
résistantes qu’un groupe témoin d’ouvrières, en vertu d’un mécanisme inconnu.
Certains insectes pratiquent l’automédication. Lorsqu’elle est parasitée de
l’intérieur par une larve de guêpe Leptopilina, la larve de la mouche du
vinaigre (Drosophila melanogaster) a tendance à consommer un « grog »
de fruits fermentés à concentration plus forte en alcool, sans modération.
Grâce à des enzymes performantes, elle est capable de détoxifier l’éthanol
jusqu’à une concentration de 6 %, mortelle pour la larve du parasite. Quant
aux bourdons anglais parasités par Crithidia bombi, ils recherchent les
fleurs dont le nectar contient de la nicotine, connue pour son action
antiparasitaire. Cette consommation de nicotine réduit le taux de
parasitisme des bourdons, mais diminue leur appétit.
Lorsqu’il est infecté, le criquet migrateur américain (Melanoplus
sanguinipes) se déplace vers des zones plus chaudes, ce qui élève sa
température corporelle de 6 °C et neutralise certains parasites internes.
On connaît même des cas de médication qui traversent les générations.
Lorsqu’elles sont infectées par un protozoaire, les femelles des papillons
monarques (voir fiche 33) transmettent ce parasite à leurs œufs.
Contrairement aux femelles saines, les femelles parasitées choisissent de
pondre préférentiellement sur l’espèce végétale la plus concentrée en
composés antiparasitaires parmi les trois plantes-hôtes possibles. De même,
la guêpe solitaire Philanthus triangulum projette un badigeon de
champignons Streptomyces antibactériens sur les parois du terrier dans
lequel elle enterre ses œufs avec des provisions, pour éviter la
contamination ultérieure des larves.
Antibiotiques entomologiques
Les tissus nerveux de cafards, qui vivent dans des habitats insalubres, contiennent
plusieurs molécules antibiotiques, capables de tuer plus de 90 % des souches
d’Escherichia coli et des staphylocoques dorés multirésistants.
32 LES INSECTES NE DORMENT
PAS
Ils alternent mouvement et repos et
s’adonnent à la sieste réparatrice.
L’étude du contrôle du repos chez la drosophile livre des enseignements sur
le sommeil humain.
La température interne des insectes varie en fonction des conditions
externes. Par temps frais, la plupart entrent ainsi en léthargie forcée pour
quelques heures. Mais les insectes font aussi des pauses et des siestes à des
températures ambiantes tempérées, notamment après une période de forte
activité, pour récupérer régulièrement et compenser la fatigue. Ce sommeil
des insectes n’a été découvert qu’en 1983 chez les abeilles et il a
notamment été étudié chez la drosophile et la blatte. L’activité et l’inactivité
sont en fait pilotées par le rythme circadien, réglé sur l’alternance du jour et
de la nuit, et par l’homéostasie, c’est-à-dire le maintien de conditions
internes « normales ».
Les insectes diurnes comme l’abeille domestique et la drosophile passent la
nuit dans un état inactif (et réciproquement pour les insectes nocturnes
comme les papillons de nuit), sauf s’ils sont excités par un fort stimulus
comme une hausse de température nocturne. Chez la drosophile (voir
fiche 37), la régulation du rythme circadien est commandée par 2 yeux
minuscules de 4 cellules photoréceptrices situés au bord des yeux à facettes
et reliés directement à 2 groupes de neurones, qui fonctionnent comme des
horloges biologiques, l’un commandant les activités du matin, l’autre les
activités du soir. Dans l’aire du cerveau de cette mouche qui correspondrait
à l’hypothalamus humain, l’un des centres du sommeil chez l’homme,
2 protéines contrôlent la quantité de sommeil.
Pendant les phases de sommeil, les insectes adoptent une posture immobile
caractéristique en repliant leurs antennes sur la tête et leurs ailes contre le
corps. Sans paupière devant les yeux, ils ne les ferment pas ! Leur
température corporelle, leur tonus musculaire et leur sensibilité aux
stimulus extérieurs diminuent.
Anthidium florentinum dormant, suspendue à une plante par ses
mandibules.
Le système nerveux profite du repos pour enregistrer et consolider les
apprentissages issus des expériences récentes. Par une privation
expérimentale de sommeil, en les exposant à une lumière artificielle, ou par
stimulation mécanique ou magnétique permanente, on provoque de
nombreux contrecoups sur le comportement des insectes : réduction des
performances d’accouplement et de la capacité d’apprentissage (voir
fiche 34), baisse de l’agressivité, de la réactivité et des réponses de fuite.
Privées de repos, les abeilles butineuses sont beaucoup plus imprécises dans
l’exercice de leur danse à la ruche pour informer leurs consœurs de la
localisation d’une zone de fleurs. Dans une population de drosophiles qu’on
empêche de dormir pendant une période prolongée, un tiers des individus
peuvent mourir prématurément !
Par ses impacts croissants sur l’environnement, l’homme peut
désynchroniser les insectes de leur rythme circadien. La lumière artificielle
et la hausse des températures et des bruits nocturnes surstimulent l’horloge
interne des insectes diurnes et entraînent une baisse des performances les
jours suivants. Les insecticides néonicotinoïdes qui perturbent le système
nerveux et agissent entre autres sur les neurones de l’horloge interne
rendent les abeilles insomniaques et incapables d’effectuer leurs missions
correctement…
Privées de repos, sous l’effet des insecticides néonicotinoïdes par exemple,
les abeilles meurent prématurément.
33 IL N’Y A PAS DE MIGRATIONS
CHEZ LES INSECTES
Comme les poissons ou les oiseaux, de
multiples groupes d’insectes sont capables
de migrer.
Hivernage au Mexique du monarque après des milliers de kilomètres de
migration sur le continent nord-américain.
Chez les insectes, le déclenchement des migrations est lié à la raréfaction
locale saisonnière d’une plante-hôte, qui reste disponible ailleurs, ou à
l’approche des rigueurs climatiques de la mauvaise saison. Contrairement
aux oiseaux, le cycle complet de la migration annuelle implique
généralement plusieurs générations successives.
Le monarque (Danaus plexippus), papillon migrateur américain célèbre
pour ses effectifs, circule à l’automne des États-Unis vers le Mexique, au
rythme de 130 km par jour. Arrivé dans les montagnes mexicaines, à plus
de 2 500 m d’altitude, il s’installe en colonies dans les arbres, chaque refuge
abritant de 7 à 20 millions d’individus en semi-léthargie. Ces individus
d’automne vivent jusqu’à 7 mois. En mars, lorsque la température s’élève et
que les jours rallongent, ils s’accouplent et une partie d’entre eux remonte
vers le nord. Sur le chemin du retour, les femelles migratrices pondent dans
le sud-est des États-Unis, en y recherchant des feuilles fraîches
d’asclépiades. La nouvelle génération qui éclot au printemps ne vit que 4 à
5 semaines : elle peut se reproduire sur place ou poursuivre son voyage vers
le Canada.
Plancton aérien
Porté par les courants atmosphériques, un nuage invisible vu du sol et largement
composé d’insectes batifole dans la stratosphère. Dans la campagne du sud de
l’Angleterre, des scientifiques ont estimé que ce nuage, sur un tronçon de 1 km durant
un mois typique de printemps, comporte 3 milliards d’insectes ! Cette manne est bien
connue des oiseaux insectivores.
Plusieurs papillons européens, comme le vulcain (Vanessa atalanta), la
belle-dame (Vanessa cardui), la noctuelle gamma (Autographa gamma) et
le sphinx tête-de-mort (Acherontia atropos), migrent au printemps du
pourtour méditerranéen vers le nord, où ils se reproduisent et meurent.
Leurs descendants repartent vers le sud à l’automne. En raison de ces
migrations saisonnières, la répartition géographique de ces espèces change
au cours de l’année.
Le sphinx tête-de-mort vit en Afrique et en Asie Mineure, et migre au début
de l’été pour se reproduire dans le nord de l’Europe, les descendants
repartant vers le sud en automne.
En Europe, le plus grand migrateur est le papillon belle-dame, qui parcourt
une distance de 15 000 km de la Scandinavie à l’Afrique occidentale. À
l’automne, certains individus européens meurent tandis que d’autres
migrent vers leurs quartiers d’hiver en Afrique du Nord. Sur place, ils
s’accouplent pour produire jusqu’à 4 générations hivernales. En mars, leurs
descendants repartent en direction de l’Europe, pour un trajet retour qui
pourra concerner 2 générations. Ils se déplacent par groupes de 4 ou
5 individus, couvrant jusqu’à 500 km par jour, en ne s’octroyant que de
rares pauses pour se nourrir sur des fleurs de chardon. Ils se rassemblent
parfois en essaims : en juin 1949, est passé au-dessus de la Suisse un vol
continu de belles-dames sur un front large de 50 km ! Pendant l’été en
Europe, les papillons s’accouplent et 1 à 3 générations estivales se
succèdent avant la nouvelle migration d’automne. Le voyage aller-retour de
la belle-dame implique jusqu’à 6 générations.
Pour chaque individu de papillon migrant, la distance parcourue en
quelques mois est spectaculaire : jusqu’à 5 000 km pour le monarque et
2 000 km pour la belle-dame. En cours de vol migratoire, les papillons
suivent une direction fixe en survolant les mers et les montagnes à plus de
50 km/h, en corrigeant la dérive exercée par les vents de travers pour
optimiser leur plan de vol. Ceux qui volent de jour s’orientent avec le soleil,
en compensant le décalage entre le sud et le soleil avec un « compas
solaire » constitué de protéines photoréceptrices dans l’œil et les antennes.
La plupart sont capables de mesurer la lumière polarisée du ciel lorsque le
soleil est masqué par des nuages (voir fiche 24). Certaines espèces sont
perturbées si on les équipe d’un micro-aimant, car leur corps contient des
particules de magnétite qui le rendent sensible au champ magnétique
terrestre.
Chaque été, en Europe du Nord, les populations du petit nacré de la
violette (Issoria lathonia) sont renforcées par des vagues de migration du
Sud.
La migration des papillons est également bien connue en Australie et en
Asie. Dans le sud de l’Inde, des centaines d’espèces migrent massivement
avant les moussons.
Identification d’un facteur de biodiversité florale en
Angleterre
En utilisant des radars verticaux, les entomologistes ont quantifié les flux d’insectes qui
se produisent entre le continent européen et le sud de l’Angleterre au printemps et
dans l’autre sens à l’automne. Au sein de ce plancton aérien (voir fiche 9), le flux de
mouches syrphes concerne 1 à 4 milliards d’individus, soit une densité 50 fois plus
forte que les migrations du papillon belle-dame. Le vol se situe entre 150 et 1 200 m
d’altitude, majoritairement à moins de 300 m. Comme ces syrphes aux habitudes
floricoles transportent des milliards de grains de pollen, ils contribuent à l’évolution de
la flore britannique !
Chaque année, des centaines de millions de syrphes des corolles
(Eupeodes corollae) migrent à haute altitude atmosphérique, du nord de
l’Europe vers le sud de l’Angleterre.
Au vrai sens du terme, une migration comporte un aller et un retour.
Toutefois, la génération migratrice peut n’effectuer qu’un retour partiel qui
sera poursuivi par la génération suivante née sur le parcours. Par ailleurs,
les migrations sont régulières, cycliques et orientées par rapport au champ
magnétique terrestre ou au mouvement apparent du soleil. Tous les
déplacements à longue distance ne sont donc pas des migrations. C’est le
cas des nuages de criquets pèlerins ou migrateurs, qui ne comportent parfois
qu’un aller simple et pas de retour à la zone d’origine. Ces déplacements
irréguliers sont liés à la disponibilité des ressources, et surviennent quand
un seuil de densité de population a été franchi.
En Afrique après les pluies, les criquets deviennent trop nombreux par
rapport aux ressources locales disponibles. Une nouvelle forme sombre,
grégaire et aux ailes longues, se rassemble alors en essaims gigantesques.
Un essaim historique a envahi le Kenya en 1954 : il couvrait deux fois la
surface de Paris, rassemblait 10 milliards de criquets, pour une masse de
100 000 tonnes. En 2013, un nuage record évalué à 500 milliards de
criquets migrateurs a envahi Madagascar ! Chaque criquet peut voler
pendant 9 heures sans s’arrêter, et l’essaim peut parcourir des milliers de
kilomètres à la vitesse de 50 km/h avant de s’abattre sur d’autres régions à
la végétation accueillante.
À Madagascar, les nuées de criquets migrateurs dévastent les cultures.
La libellule globe-trotter
Le cycle de la libellule Pantala flavescens, largement répandue dans la zone
intertropicale, inclut une phase de migration obligatoire. En automne, elle vole en
essaim à la vitesse de 18 km/h en profitant des vents humides. Entre l’Inde et l’Afrique
orientale, elle traverse l’océan Indien sans toucher terre, en vol plané sur 80 % d’un
voyage qui dure autour de 100 heures et réussit dans moins de 40 % des cas. Un
même individu est capable de voler jusqu’à 3 500 km sans escale, et 6 000 km dans sa
vie. Des nuages de plus de 30 km 2 de libellules de cette espèce ont pu être observés.
La faible diversité génétique entre ses populations autour du monde suggère que les
individus des différentes régions tropicales se mélangent régulièrement pour se
reproduire.
Un timbre nord-coréen célèbre la libellule migratrice tropicale P.
flavescens dans le Pacifique Sud.
34 LES INSECTES NE SONT PAS
CAPABLES D’APPRENDRE
Bien que petits en taille, ils ne se réduisent
pas à de simples machines à réflexes.
Une chenille de sphinx du tabac conditionnée à éviter une odeur toxique au
dernier stade larvaire conservera la mémoire de cet apprentissage au stade
papillon.
La majorité des comportements des insectes sont instinctifs et inscrits dans
le programme comportemental génétique de l’espèce. Mais chaque individu
est capable d’apprentissage. Cette flexibilité du comportement, qui participe
à l’adaptation rapide des populations dans la nature, fait des insectes de
potentiels animaux de compagnie (voir fiche 43). La mémoire et
l’apprentissage distinguent l’acquis (par l’individu) de l’inné (à l’échelle de
l’espèce). Ils permettent d’éviter des dangers déjà rencontrés ou de
mémoriser une source alimentaire pour la retrouver.
Comportements innés et acquis alternent dans la vie des insectes. Chez le
hanneton par exemple, la larve vit sous terre dans les champs alors que
l’adulte se nourrit sur les arbres des forêts. Lorsque l’adulte sort de terre, il
a un tropisme inné pour la partie haute de l’horizon, ce qui le conduit
souvent vers une forêt. Lorsque la femelle est prête à pondre, elle peut
retrouver les champs en inversant la direction de son premier vol, qu’elle a
mémorisé par référence aux champs magnétiques.
Les abeilles sont capables d’associer des odeurs, des couleurs et des motifs
à une récompense.
Les insectes reconnaissent instinctivement les odeurs de leurs ressources
alimentaires. Dans la nature, chaque fois que la couleur, la forme ou l’odeur
d’une fleur sont associées à une récolte de pollen ou de nectar, l’abeille
mémorise ses caractéristiques. Au laboratoire, des abeilles mellifères
peuvent être conditionnées à associer un effluve ou une image à une
récompense, comme de l’eau sucrée, ou à une sanction, comme une goutte
de quinine amère ou un choc électrique. Après initiation, les bourdons sont
capables de tirer une ficelle pour extraire une fleur artificielle recouverte
d’un liquide sucré. Certaines ouvrières de bourdons parviennent même à
copier le geste, simplement après avoir scruté leurs congénères. Les abeilles
observatrices présentent une flexibilité cognitive supérieure, se montrant
capables de copier un geste tout en l’améliorant.
Les bourdons ont les capacités cognitives nécessaires pour résoudre des
tâches complexes et non stéréotypées, mais les bons apprenants meurent
plusieurs jours avant les autres.
La persistance de la mémoire est variable. Des mouches drosophiles
conditionnées à associer une odeur n° 1 à une sanction, et placées ensuite
devant 2 tubes chargés des odeurs n° 1 ou n° 2, choisiront le tube n° 2 pour
éviter le désagrément. Ce souvenir ne durera que 4 h, sauf si l’apprentissage
est répété une dizaine de fois en quelques heures, auquel cas le souvenir
restera gravé à vie (soit une semaine…). La durée du souvenir est cruciale
dans les nids de certaines fourmis et de certaines guêpes Polistes à plusieurs
reines. La mémoire d’une rencontre entre deux ouvrières porteuses de la
signature odorante de leur reine perdure plus de 24 h. Un contact
régulièrement renouvelé suffit à entretenir durablement ce souvenir, pour
économiser des conflits inutiles et maintenir la paix dans la colonie.
La continuité de la mémoire larvaire après le passage au stade adulte a été
observée chez le sphinx du tabac (Manduca sexta). Conditionnés durant
leurs premières semaines de chenilles à éviter une odeur (l’acétate d’éthyle)
associée à un choc électrique, les papillons oublient tout lors de la
métamorphose. Seuls les papillons dont la chenille a été dressée durant le
dernier stade larvaire se souviennent de la leçon, grâce à des structures
neuronales construites à la fin de la vie larvaire.
Une peur épigénétique ?
De curieux résultats soulignent que la mémoire pourrait se transmettre entre
générations. Comparons le comportement de la descendance de deux lots de femelles
grillons qui ont été ou non confrontées à une araignée-loup (neutralisée pour
l’expérience) avant de pondre. Lorsqu’une araignée s’approche, les jeunes grillons
issus d’une femelle menacée demeurent en moyenne 50 % fois plus de temps cachés
que des grillons dont la mère n’a jamais rencontré d’araignée !
Les juvéniles de certaines proies hériteraient du comportement de fuite
maternel pour éviter les araignées prédatrices.
La mémoire et l’apprentissage améliorent généralement la survie. Un
bourdon butinant qui a échappé à une fausse araignée expérimentale,
simulée par une photo et une fausse pince, s’en souvient jusqu’au
lendemain et montre ensuite une réaction de fuite face au danger. Toutefois,
l’investissement dans l’apprentissage a un coût et peut altérer les autres
performances. Des drosophiles « dressées » pendant 40 générations ont une
vie plus courte de 15 % que les mouches non entraînées et une capacité de
reproduction réduite.
Insectes renifleurs dressés au dépistage
Comme d’autres insectes (guêpes, bourdons, drosophiles, blattes, papillons…)
également soumis à ces expérimentations, les abeilles ont été « dressées » comme
instruments de détection. Une start-up britannique a mis au point un système de
contrôle douanier, constitué d’un trio d’abeilles ouvrières ligotées dans un boîtier
devant un ventilateur leur apportant les effluves des passagers et de leurs bagages.
Alors que le dressage d’un chien requiert 6 mois, elles n’ont besoin que de 10 minutes
d’entraînement pour associer l’odeur des drogues ou des explosifs à une récompense
sucrée. Après quoi, elles tirent la langue devant la caméra pour recevoir l’eau sucrée
dès qu’elles sentent les composés suspects. Ajouter de la caféine à leur alimentation
permet d’améliorer leurs performances ! Une start-up néerlandaise a récemment formé
des abeilles à dépister l’odeur caractéristique dégagée par les patients atteints de la
Covid-19.
Les guêpes peuvent être dressées plus rapidement que les chiens à
dépister les drogues et les explosifs.
35 LE BRACONNAGE D’INSECTES
N’EST PAS INQUIÉTANT
Si une espèce lutte déjà contre d’autres
pressions, le braconnage peut menacer sa
survie.
Une forme rare de cette proserpine avec des taches rouges plus étendues
sur les ailes postérieures a été abondamment chassée dans les Alpes
méridionales. Le marché international des papillons pèse plusieurs
centaines de millions de dollars par an.
Les insectes de collection sont des objets de négoce depuis le XIX e siècle,
âge d’or des commerçants spécialisés, à la tête de lucratifs réseaux de
naturalistes à gages et de chasseurs mercenaires en quête des raretés les
mieux cotées. Depuis une trentaine d’années, l’essor des voyages
internationaux et du commerce en ligne met directement en contact
vendeurs et acheteurs, en court-circuitant les fournisseurs officiels
détenteurs de permis. Un marché noir d’insectes de contrebande se
développe en parallèle du commerce licite. En 2007, un Japonais a été
condamné aux États-Unis à 21 mois de prison pour avoir dirigé un trafic
international d’insectes protégés, capturés par des braconniers et vendus
ensuite sur son site Web.
Le braconnage frappe sévèrement les pays tropicaux, où les insectes
arborent des formes spectaculaires et où la chasse aux insectes fournit un
complément de revenus aux habitants. À la manœuvre, on trouve des
réseaux complexes, des rabatteurs, guides, chasseurs et marchands locaux
jusqu’aux négociants internationaux et aux collectionneurs. Les lois
nationales cultivent l’ambiguïté pour ne pas léser les économies locales. Sur
les marchés locaux d’Indonésie, il est permis d’acheter et de vendre des
spécimens d’espèces en danger nés en élevage, impossibles à distinguer de
spécimens sauvages. Par ailleurs, les règlements internationaux sont très
insuffisants : sur plus d’un million d’espèces d’insectes connues, moins de
cent sont réglementées par la Convention de Washington sur le commerce
international des espèces menacées d’extinction (CITES).
Les scarabées rutélidés du genre Plusiotis ont inspiré à Edgar Allan Poe Le
Scarabée d’or.
Les trafics concernent aussi la faune des pays tempérés. Au Japon, les
scarabées lucanes, domestiqués depuis des siècles, font l’objet d’un marché
florissant. Un mâle japonais du Dorcus hopei a été vendu plus de 62 000 €
dans les années 2000 ! Dans les Alpes-de-Haute-Provence, la préfecture a
interdit la chasse aux papillons, en réaction aux inquiétants voyages
organisés pour la capture des espèces rares. Parmi elles, une rare mutation à
taches rouges d’un papillon commun en zone méditerranéenne, la forme
honnorati de la proserpine (Zerynthia rumina), était commercialisée jusqu’à
4 500 € au début du XX e siècle. Plusieurs grands coléoptères carabes
européens à reflets brillants sont aussi les cibles de collectionneurs obstinés.
La municipalité de Rennes-les-Bains (Aude) a interdit les pièges à carabes,
posés en masse sur son territoire par les chasseurs du fameux croesus, un
hybride local de deux des plus grands carabes dorés de France (Carabus
rutilans et C. hispanus) qui cohabitent et s’hybrident « naturellement » dans
cette région seulement.
Les grands scarabées, des trophées prisés
Parmi les insectes tropicaux appréciés des collectionneurs, le longicorne titan (Titanus
giganteus), le plus imposant coléoptère du monde (voir fiche 8), dispose d’une cotation
des spécimens selon leur taille. Les grands mâles de 17 cm, capturés par des lumières
attractives, se vendent plusieurs centaines d’euros. Faute de connaître l’arbre
amazonien dont se nourrit sa larve, il est impossible à élever pour éviter la chasse en
milieu naturel.
Plus qu’esthétiques, les trophées sont parfois symboliques. Anophthalmus
hitleri, un minuscule carabe brunâtre connu de cinq grottes slovènes, ainsi
nommé en hommage au chancelier du Reich, est devenu si populaire parmi
les militants fascistes que les braconniers l’ont pratiquement décimé. En
2002, un exemplaire bien conservé se vendait 2 000 € au marché noir.
Le petit coléoptère cavernicole A. hitleri a été décimé par le braconnage.
36 LES COLLECTIONS D’INSECTES
SONT PUREMENT DÉCORATIVES
Avant tout, elles sont des archives et des
outils scientifiques pour les spécialistes de
la biodiversité.
Une chercheuse présente son exceptionnelle collection de constructions
d’insectes, et notamment un nid de guêpe sociale des forêts françaises.
Les collections de spécimens d’insectes morts trouvent leur origine dans la
pratique quotidienne de l’entomologiste. Celui-ci doit en effet examiner, à
la loupe ou au microscope, des caractères morphologiques externes ou
anatomiques internes (après dissection…) pour identifier ses modèles
d’étude de petite taille.
De très grandes collections de spécimens secs, stockés dans des boîtes
hermétiques, sont ainsi conservées au sein des musées d’histoire naturelle et
des laboratoires d’entomologie. Elles y bénéficient d’un entretien
rigoureux, à l’abri des insectes nécrophages (dermestes, anthrènes, psoques)
et de l’humidité favorable aux moisissures.
La plus ancienne et importante collection est celle du Musée d’histoire
naturelle de Londres, avec environ 34 millions d’insectes rassemblés depuis
plus de 300 ans. Elle abrite le plus ancien insecte épinglé en collection, un
papillon capturé en mai 1702 au Royaume-Uni ! La deuxième collection
publique majeure est celle du Muséum national d’histoire naturelle de Paris,
avec environ 30 millions de spécimens.
Les collections d’insectes contiennent les spécimens de référence de
chaque espèce.
Depuis les cabinets de curiosités du XVI e siècle, des collections privées sont
également constituées. L’engouement pour la collection d’insectes connut
son âge d’or en Europe de 1830 à 1960. Au début du XX e siècle, de riches
collectionneurs amassaient des insectes comme ils rassemblent aujourd’hui
de l’art contemporain, en finançant les expéditions de chasseurs
professionnels et en rachetant des collections privées grâce à des
commerçants mercenaires. Le fils du banquier Nathan de Rothschild créa à
Londres une collection personnelle qui contenait, en 1937, 2 millions de
papillons dans plusieurs dizaines de milliers de boîtes.
Ces collections d’insectes publiques ou privées ont des intérêts scientifiques
indéniables. Véritable patrimoine, elles archivent les spécimens « types »
ayant servi à décrire chaque espèce pour la première fois. Donc, d’une part,
toute étude taxinomique ultérieure recourt à la consultation de ces
spécimens certifiés pour rechercher des synonymes (une même espèce
décrite sous plusieurs noms) et décrire de nouvelles espèces. Et, d’autre
part, les bases de référence associées aux outils d’identification émergents
(codes-barres ADN, photographies reconnues par intelligence artificielle) se
nourrissent de ces collections.
Les riches collections de spécimens prélevés dans le passé sont parfois
employées comme des archives historiques de l’évolution des faunes. Voici
4 exemples de travaux scientifiques récents sur différents continents.
D’après l’examen des collections, le papillon des forêts humides Boloria
selene a presque disparu des Flandres après 1991.
• En Suède, en compilant les données sur la répartition et l’abondance des
coléoptères longicornes au cours des XIX e et XX e siècles à partir de
1 400 collections publiques et privées, les chercheurs ont constaté que 10 %
des espèces avaient disparu du pays au cours des deux derniers siècles, avec
l’essor de la sylviculture intensive et de l’agriculture industrielle.
• Au Canada, en comparant les spécimens actuels à ceux de collections
historiques, les scientifiques ont observé que les coléoptères carabes, des
insectes chasseurs de plusieurs centimètres de long, ont significativement
régressé en taille durant le siècle dernier, sous l’effet de la hausse des
températures affectant leurs larves.
• En Finlande, l’analyse de l’ADN de vieux spécimens de musée a
démontré l’érosion de la diversité génétique de 2 papillons des tourbières,
désormais proches de l’extinction à cause de la destruction de leurs habitats.
• Enfin, à l’aide de spécimens de collection, des entomologistes ont montré
que la dispersion des papillons monarques depuis l’Amérique du Nord vers
l’Australie avait été effectuée par des individus à grandes ailes, puis que les
populations établies avaient vu la taille de leurs ailes se réduire pendant les
1 000 générations suivantes.
37 L’ENTOMOLOGIE EST UNE
SCIENCE MINEURE
Des insectes cobayes ont contribué à
d’importantes découvertes médicales.
La drosophile est un animal cobaye universel de la recherche en génétique.
Chaque année, le prix Nobel de physiologie ou médecine récompense
d’éminents travaux de biologistes. De 1901 à 2020, 186 des
222 scientifiques récipiendaires avaient utilisé des modèles animaux dans
leurs études, et une quinzaine d’entre eux avaient choisi les insectes.
Ainsi, le prix Nobel fut remis en 1948 au chimiste P.H. Müller pour la mise
en évidence des propriétés insecticides du DDT, qui joua un rôle primordial
dans la lutte contre le pou vecteur du typhus et contre les moustiques
vecteurs de la malaria pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1973, ce
prix distingua l’éthologue K. von Frisch pour son analyse expérimentale du
comportement de butinage de l’abeille. Quelques prix ont également été
attribués à des médecins étudiant des insectes vecteurs de maladies : R.
Ross en 1902 pour sa découverte du mode de contagion du paludisme par
les moustiques, C. Nicolle en 1928 pour son analyse du rôle des poux dans
la transmission du typhus.
En 1973, le prix Nobel récompensa K. von Frisch pour son décryptage de la
communication entre les ouvrières d’abeilles.
À ce jour, six autres prix Nobel ont été décernés à dix scientifiques au total
pour leurs recherches sur la drosophile, ou mouche des fruits, l’une des
espèces modèles les plus étudiées. Elle est particulièrement adaptée aux
expérimentations et n’est pas dangereuse au laboratoire. Elle s’élève
facilement dans l’espace d’un tube à essai, sur un simple milieu artificiel
composé de farine, de levure et de sucre. Elle se reproduit très rapidement,
avec une génération tous les 15 jours et une descendance nombreuse. Elle a
une vie assez courte (80 jours au plus), et mâles et femelles sont aisés à
séparer. Avec son faible nombre de chromosomes (4 chromosomes géants
dans les glandes salivaires) et son taux de mutation élevé, c’est un cobaye
idéal pour la recherche génétique. De plus, l’effet des mutations est plus
facile à repérer que sur un organisme complexe comme la souris.
C’est le biologiste américain T. Morgan (prix Nobel 1933) qui adopta la
drosophile pour ses travaux sur l’hérédité et l’évolution au début du
XX e siècle. En analysant les caractères de milliers de drosophiles, Morgan et
ses étudiants confirmèrent que les gènes sont situés sur les chromosomes,
comme des perles sur un fil, et ils dressèrent les premières cartes de
localisation des gènes. Un élève de Morgan, H.J. Muller (prix Nobel 1946),
démontra les effets de l’irradiation aux rayons X sur le taux de mutation de
la drosophile, et initia une technique de mutagénèse qui connut de multiples
applications en génétique d’amélioration des plantes. Pour étudier l’effet
des rayonnements dans l’espace, le premier animal envoyé dans une fusée
américaine fut d’ailleurs une drosophile en 1947.
T. Morgan a obtenu le prix Nobel en 1933 en cartographiant les gènes sur
les chromosomes de la drosophile.
Une pionnière méconnue
Alors que les femmes scientifiques étaient des exceptions dans un monde masculin, N.
Stevens, brillante universitaire californienne, contribua à la science génétique
naissante en validant la théorie chromosomique du sexe. T. Morgan, de 5 ans son
cadet, supervisa sa thèse tardive. Elle découvrit en 1905 que le mâle du ver de farine
(Tenebrio sp.) avait des cellules reproductrices avec deux chromosomes, X et Y, alors
que la femelle ne possède que des X. À contre-courant des théories de l’époque, elle
en déduisit fort justement que les chromosomes paternels, notamment le chromosome
Y, déterminent le sexe de la progéniture.
La petite reine des labos d’entomo…
Le génome complet de la drosophile, séquencé en 2000, comporte 13 601 gènes. La
drosophile partage 60 % de son ADN avec l’homme, et 75 % des gènes de maladies
humaines connues ont un analogue chez la drosophile. Des milliers de mutants de
drosophiles ont été créés pour étudier des processus biomédicaux.
Les 4 prix Nobel récents couronnant des travaux sur la drosophile
concernent des mécanismes cellulaires ou moléculaires. Prix Nobel 1995,
C. Nüsslein-Volhard et ses collègues ont analysé le contrôle génétique du
développement embryonnaire de la drosophile, notamment le gène
Hedgehog, aujourd’hui cible de médicaments contre le cancer de la peau. R.
Axel et L. Buck, prix Nobel 2004, ont étudié les récepteurs olfactifs de cette
mouche et cartographié par extension les 350 gènes olfactifs chez l’homme.
Prix Nobel 2011, le français J. Hoffmann a mis en évidence chez la
drosophile les mécanismes d’activation d’une immunité innée à base de
peptides antimicrobiens, qui a ensuite été retrouvée chez l’homme. M.
Rosbash et ses collaborateurs, prix Nobel 2017, ont découvert les
mécanismes moléculaires du contrôle des rythmes circadiens, cette horloge
biologique qui rythme l’activité dans le règne animal (voir fiche 32).
D’autres chercheurs continuent à s’appuyer sur l’étude des drosophiles pour
percer les mystères du diabète, de la propagation des cancers ou de la
maladie d’Alzheimer.
38 LES INTRODUCTIONS
D’INSECTES SONT TOUTES
ACCIDENTELLES
Si de nombreux insectes profitent du fret et
du tourisme, certaines espèces sont
importées volontairement.
La coccinelle asiatique hiverne en groupe à l’intérieur des maisons.
Depuis le IV e siècle après J.-C., l’homme a introduit des insectes : en Chine,
on distribuait en effet aux paysans des nids de la fourmi Oecophylla
smaragdina afin qu’elles attaquent les insectes ravageurs des cultures
d’agrumes. Depuis 1870 (voir fiche 5), les introductions s’opèrent sur des
territoires où les insectes concernés ne sont pas natifs. Ces implantations
sont motivées par trois objectifs : renforcer les populations d’insectes
auxiliaires ou celles d’espèces en danger, ou encore créer des hybrides plus
performants, souvent avec succès, mais en causant parfois de calamiteux
dommages collatéraux.
Des insectes auxiliaires sont ainsi introduits comme agents de lutte
biologique pour maîtriser une espèce nuisible sans recourir à des pesticides.
En France, la lutte biologique a été inaugurée dans les années 1920, en
relâchant l’ennemi spécifique d’un herbivore pour réduire ses dégâts sur les
cultures. Prédatrice d’une cochenille australienne (Icerya purchasi, voir
fiche 18) qui menaçait les plantations horticoles et arboricoles en France
méridionale, la coccinelle australienne Rodolia cardinalis, qui avait déjà
fait ses preuves aux États-Unis, a été lâchée avec succès. Le développement
de l’agrochimie après 1945 a changé la donne, mais les effets
environnementaux indésirables des insecticides et l’émergence d’insectes
résistants ont suscité un regain d’intérêt pour la lutte biologique. Et l’essor
actuel des introductions accidentelles de ravageurs internationaux (voir
fiche 5) rehausse l’intérêt d’importer leurs ennemis exotiques.
Des millions de trichogrammes sont lâchés chaque année pour détruire les
œufs de la pyrale ravageuse du maïs.
En France, des dizaines de milliers d’hectares de maïs sont protégés contre
une chenille de pyrale par des largages annuels de guêpes trichogrammes.
Pour affronter la nouvelle pyrale du buis, des lâchers de trichogrammes sont
également effectués. Depuis les années 2000, une filière industrielle d’une
dizaine de fournisseurs commercialise des insectes pour la lutte biologique
en France.
Dans le monde, sur environ 5 000 introductions contre des insectes
nuisibles, et 1 000 contre des mauvaises herbes, on compte très peu de
contrecoups indésirables sur l’agriculture. En revanche, les effets
secondaires sur les écosystèmes naturels sont méconnus. Les quelques
résultats suivants inviteraient à la prudence quant au report des organismes
introduits sur des insectes indigènes non-cibles et à leur compétition avec
les ennemis naturels indigènes. La grande coccinelle asiatique arlequin
(Harmonia axyridis) a été enrôlée au cours du XX e siècle aux États-Unis, en
Europe puis en Amérique du Sud, car elle mange 5 fois plus de pucerons
que les coccinelles indigènes. Mais cette arme biologique se retourne
aujourd’hui contre les jardiniers en croquant les larves des indigènes, à tel
point que les populations de 7 coccinelles ont baissé de moitié en Grande-
Bretagne entre 2004 et 2012 ! Aux États-Unis, notre coccinelle commune
(Coccinella septempunctata), introduite pour combattre des pucerons,
s’attaque désormais aux chenilles d’un papillon en voie d’extinction
(Everes comyntas). En Italie, une guêpe (Encarsia pergandiella) introduite
pour parasiter les aleurodes des cultures maraîchères parasite aussi les
ennemis naturels indigènes des aleurodes ! Sur l’île de la Réunion, le grand
papillon endémique Papilio phorbanta, dont les habitats régressent face à
l’expansion urbaine, est également victime d’une mouche parasitoïde
tachinaire (Carcelia evolans), introduite dans les années 1960 pour lutter
contre un cousin papillon ravageur des agrumes (P. demodocus).
Une mouche parasite introduite pour détruire les chenilles du papillon
Papilio demodocus, ravageur des cultures d’agrumes, menace son cousin P.
phorbanta, le plus grand papillon endémique de la Réunion.
Coccinelles sur raisin ne donnent pas bon vin
Dans les vignobles où la récolte est mécanisée, les coccinelles asiatiques présentes
sur la vigne sont récoltées avec le raisin. Comme elles libèrent une substance
défensive amère lorsqu’elles sont malmenées, elles endommagent le vin. Aux États-
Unis, l’effet de l’ajout de 1 à 10 coléoptères à 1 l de vin blanc a été mesuré par des
dégustations. La limite au-delà de laquelle le vin est gâté est de 1,7 coléoptère par
kilogramme de raisin !
L’homme a également été amené à introduire des insectes auxiliaires
décomposeurs pour secourir l’élevage australien. Les scarabées bousiers
indigènes étaient en effet incapables d’enfouir les excréments des bovins
introduits en troupeaux au XIX e siècle. Par conséquent, l’accumulation d’une
croûte de bouse sèche condamnait jusqu’à un million d’hectares de prairies
par an dans les années 1960. De 1970 à 1985, les agronomes ont introduit
une cinquantaine de scarabées bousiers d’Afrique du Sud et du bassin
méditerranéen pour restaurer avec succès la fertilité des pâtures.
L’entomologiste hongrois G. Bornemissza a introduit une cinquantaine
d’espèces de scarabées bousiers en Australie de 1970 à 1985.
Enfin, quelques rares espèces en déclin ont fait l’objet de programmes de
réhabilitation. Au Royaume-Uni, des individus d’azuré du serpolet
(Phengaris arion), papillon disparu en 1979, ont été réintroduits en 1983
dans quelques stations, où l’espèce reste actuellement en danger
d’extinction. Le phasme Dryococelus australis, le « homard des arbres » de
l’île Lord Howe, à l’est de l’Australie, était considéré comme éteint depuis
1920 quand une population d’une trentaine de spécimens a été découverte
en 2001 sur une île voisine. L’élevage réussi au zoo de Melbourne laisse
espérer une réintroduction sur l’île Lord Howe, une fois que les rats invasifs
auront été éradiqués.
Des auxiliaires de biocontrôle
Depuis les années 1970, une cinquantaine d’insectes d’auxiliaires ont été
commercialisés en Europe afin de lutter contre des ravageurs. Au total, 140 insectes
exotiques auront ainsi été implantés en Europe depuis le début du XX e siècle.
39 TOUS LES FRELONS SONT DES
PRÉDATEURS D’ABEILLES
Tous les frelons sont insectivores, mais le
frelon européen n’est pas l’ennemi des
apiculteurs.
Le frelon européen, prédateur généraliste, est un auxiliaire du jardin.
À côté du frelon européen (Vespa crabro), peu agressif pour l’homme, on
trouve désormais en France deux autres espèces de frelons. Le frelon
asiatique à pattes jaunes (Vespa velutina), plus petit, plus sombre et plus
agressif (voir fiche 46), a envahi le pays en 12 ans après l’introduction
accidentelle d’une seule femelle gravide dans une poterie asiatique en 2004.
Le frelon oriental (Vespa orientalis), venu du sud-est de l’Europe ou du
Moyen-Orient à Marseille en 2020, a été détecté en 2021, et ses propriétés
de capteur solaire intriguent les chercheurs (voir fiche 11).
Insectivores, les frelons tuent leur proie en la mordant avec leurs solides
mandibules ou en lui injectant du venin grâce à leur dard. En général, ils ne
conservent que les parties riches en protéines du corps de leur proie, et
fabriquent une boulette mâchée qu’ils rapportent au nid pour nourrir leurs
larves. Friands de protéines, ce sont également des charognards que l’on
voit par exemple prélever des fragments de viande et de poisson aux étals
des marchés. Prédateur généraliste, le frelon européen régule les
populations des autres insectes et araignées de son environnement, en
s’attaquant très rarement aux abeilles. Comme il consomme les insectes
nuisibles aux plants cultivés, il est plutôt considéré comme un auxiliaire du
jardin.
Le frelon européen, un allié pour le vin
Pour leurs propres besoins énergétiques, les ouvrières du frelon européen en quête de
sucres grignotent les fruits, notamment les grains de raisin. Elles seraient le réservoir
naturel de la levure (Saccharomyces cerevisiae), responsable de la fermentation
alcoolique du moût de raisin et donc de la fabrication du vin. L’analyse génétique des
souches de levures hébergées dans leur intestin et des aliments fermentés dans la
même région a confirmé que ce sont les frelons, et non le vent, les oiseaux ou les
mouches drosophiles, qui apportent les levures sur la peau des jeunes baies à
l’automne et qui maintiennent la continuité du réservoir de levures d’une année à
l’autre. Les reines hivernantes transmettent en effet les levures à leurs jeunes
ouvrières dès le printemps suivant.
Le frelon européen est un précieux allié des viticulteurs en déposant les
levures sur les grains de raisin.
Dans leurs régions d’origine, le frelon asiatique et le frelon oriental sont
prédateurs des autres hyménoptères sociaux volants (guêpes et abeilles). En
vol stationnaire devant l’entrée d’une ruche, leurs ouvrières se relaient pour
capturer les butineuses qui reviennent au nid : elles saisissent la proie entre
leurs pattes, la tuent d’un coup de mandibules derrière la tête et l’emportent
à l’écart pour la dépecer et ne conserver que le thorax. La présence
insistante des frelons devant les ruches stresse les abeilles, ce qui réduit
leurs récoltes et leurs réserves pour l’hiver. Après avoir décimé les
gardiennes, les frelons peuvent pénétrer dans la ruche pour prélever le
couvain.
Frelon asiatique découpant une abeille domestique.
Au Japon, les abeilles asiatiques locales (Apis cerana japonica) ont
développé une technique de combat de groupe, en s’agglutinant en une
boule vivante de 500 ouvrières qui battent des ailes autour d’un assaillant
frelon, jusqu’à le tuer par surchauffe. À Chypre, les abeilles domestiques
(Apis mellifera cypria) font face au frelon oriental, insensible à la
surchauffe, et utilisent une stratégie collective d’étouffement, en enserrant
massivement l’assaillant à 300 ouvrières pour bloquer sa respiration. Les
abeilles françaises menacées par les frelons exotiques n’ont pas encore
développé de stratégies de défense collective. Mais l’entrée des ruches
françaises, réduite à une fente étroite, empêche au moins la pénétration des
frelons et la prédation sur le couvain. De nombreux moyens de destruction
ont été promus pour exterminer le frelon asiatique. Aux pièges actuels
généralistes qui détruisent trop d’insectes non nuisibles, devront succéder
des pièges avec appâts sélectifs à base de phéromones du frelon. Les nids
empoisonnés par insecticide doivent être incinérés pour éviter d’intoxiquer
les oiseaux insectivores.
Le frelon asiatique construit son nid en le suspendant dans une zone
dégagée.
Les frelons sont des guêpes sociales, dont toutes les ouvrières périssent en
automne et dont les jeunes reines fécondées abandonnent le nid pour
hiverner dans un bois mort ou un grenier… Au printemps, chaque reine
fonde une nouvelle colonie, construit une ébauche de nid, y pond quelques
œufs et nourrit les premières larves, jusqu’à ce qu’elles deviennent des
ouvrières stériles. Celles-ci prennent en charge la construction du nouveau
nid et la protection et l’alimentation de la colonie, qui comporte le couvain
et en permanence une centaine d’adultes. La reine ne se charge alors plus
que de la ponte.
L’enveloppe du nid est construite en étalant une pâte de fibres de bois
malaxées avec des sécrétions salivaires. Contrairement aux nids d’abeilles,
ceux des frelons portent des galettes horizontales, avec des alvéoles
hexagonales sur une seule face. Le frelon européen établit son nid dans un
espace confiné (arbre creux ou cheminée), alors que le frelon asiatique
construit le sien dans une zone dégagée, comme la frondaison d’un arbre.
Dès septembre, chaque colonie produit des reproducteurs (mâles et reines)
qui quittent le nid pour s’accoupler.
40 L’ABEILLE DOMESTIQUE EST
LE MEILLEUR POLLINISATEUR
D’autres insectes, qui déposent plus de
pollen, ont un rôle majeur dans la
fécondation des cultures.
Les abeilles sauvages Osmia contribuent à la pollinisation des pommiers.
La reproduction de plus de 80 % des espèces mondiales de plantes à fleurs
dépend des insectes pollinisateurs. La contribution des insectes est
considérable sur le rendement de trois quarts des plantes cultivées, des
arbres fruitiers aux cultures maraîchères en passant par les légumineuses.
Pastèques, citrouilles et cacao sont les cultures les plus dépendantes des
insectes. En tonnage, les cultures pollinisées par les insectes représentent
ainsi 35 % de la production mondiale de nourriture, et environ 10 % du
chiffre d’affaires de l’ensemble de l’agriculture. Ce service de pollinisation
est évalué à 250 à 500 milliards de dollars par an.
Bien que l’abeille domestique (ou mellifère) soit perçue comme le principal
insecte auxiliaire de pollinisation, elle est loin d’être seule. En Wallonie par
exemple, elle ne serait responsable que de 15 % tout au plus de la
pollinisation des cultures entomophiles (qui dépendent de la visite d’un
insecte). On sait aujourd’hui que les abeilles sauvages notamment, par leur
diversité et leur abondance, jouent un rôle primordial dans la pollinisation
de cultures telles que les pommiers, la luzerne, les melons, les tournesols,
les fraises ou les tomates. Aux États-Unis, dans les petites exploitations
extensives de Pennsylvanie où s’est maintenu le bocage, 50 à 80 % des
besoins de pollinisation des amandiers, des pastèques ou des choux-fleurs
sont satisfaits naturellement par des abeilles sauvages locales. En France,
environ 1 000 espèces d’abeilles sauvages côtoient l’abeille domestique. On
estime également que 25 à 50 % du nombre total de visites florales sont
effectués par des insectes non-abeilles : des diptères, des coléoptères et des
lépidoptères surtout.
Un kilo précieux, fruit d’un intense labeur d’abeilles
Les abeilles domestiques font 40 000 voyages en 14 000 h de récolte de nectar, et
butinent 20 millions de fleurs pour fabriquer 1 kg de miel. Une colonie produisant en
moyenne 10 kg de miel par an, ses butineuses auront visité 200 millions de fleurs !
La fleur femelle de courgette grossira en fruit si elle est pollinisée,
comme ici par une abeille domestique.
Certains chercheurs prétendent que quelques pollinisateurs généralistes et
dominants, comme l’osmie, certains bourdons et andrènes, suffiraient pour
assurer le service de pollinisation agricole (fruits et graines). Le système,
très artificiel, des introductions industrielles de ruches nomades de
pollinisateurs d’élevage montre toutefois ses limites dans de nombreuses
régions du monde.
Une abeille sauvage Andrena, en visite sur les fleurs d’un arbre.
De plus, de multiples études suggèrent que des communautés de
pollinisateurs sauvages diversifiés et abondants fournissent un service de
pollinisation plus stable dans le temps et dans l’espace. En effet, d’une
saison et d’une année à l’autre, pour une gamme de cultures plus large,
différents insectes pollinisateurs sont adaptés aux systèmes floraux de
diverses plantes cultivées. Dans les années 1970, la culture d’une nouvelle
variété de trèfle réputée plus productive dans le Val de Loire a
paradoxalement occasionné une baisse de rendement d’un facteur 10 à 15 !
En fait, une seule des 6 espèces de bourdons présentes sur le site disposait
d’une trompe suffisamment longue pour polliniser les fleurs de ce trèfle à
corolle allongée… Les pollinisateurs sauvages et l’abeille mellifère
joueraient donc un rôle complémentaire et additionnel, en pollinisant les
mêmes plantes de concert mais différemment, ce qui améliore leur
fécondation.
Le bourdon, ici dans un champ de trèfle, a une activité pollinisatrice plus
efficace que l’abeille.
L’abeille domestique est polyvalente et ses effectifs sont élevés, mais son
activité pollinisatrice individuelle est plus faible que celle de bien des
pollinisateurs sauvages. Sa vitesse de butinage est 3 fois plus faible que
celle des bourdons (10 à 12 fleurs/min, contre 30 à 38 fleurs/min). Les
autres insectes ont souvent des plages d’activité plus larges et peuvent
fournir des services de pollinisation à différents moments de la journée et
dans des conditions météorologiques de faibles températures et de pluie, où
les abeilles sont incapables de butiner. Une ouvrière de bourdon peut ainsi
visiter près de 4 000 fleurs par jour. L’abeille domestique a aussi tendance à
visiter les nectaires des fleurs en contournant les stigmates sans leur
apporter le pollen, et à confisquer trop de grains de pollen récoltés en les
agglutinant avec du nectar dans les corbeilles de ses pattes arrière pour
nourrir la colonie.
Indices d’activité de pollinisation
Les entomologistes accordent à une reine de bourdon la valeur de 5 abeilles
domestiques, aux ouvrières de bourdons à langue longue la valeur de 2,5 de ces
mêmes abeilles, et à celles de bourdons à langue courte la valeur de 1,5.
En raison des multiples menaces majeures qui pèsent sur la santé des
colonies d’abeilles mellifères, il paraît aujourd’hui essentiel, pour la
pérennité du service écologique de pollinisation des plantes, de ne pas miser
sur une seule espèce de pollinisateurs et de considérer à sa juste valeur la
contribution cruciale de leur diversité.
41 MANGER DES INSECTES EST
UN NON-SENS NUTRITIONNEL
En dehors des espèces venimeuses et
toxiques, consommer des insectes est
hautement nutritif.
Criquets frits et assaisonnés vendus sur un marché au Cambodge.
Même si la composition chimique des insectes dépend de l’espèce
considérée, ils sont en général pauvres en glucides, contiennent tous les
acides aminés essentiels, et leur teneur en acides gras oméga-3 insaturés est
comparable à celle des poissons. Leur concentration en protéines est plus
élevée que celle du bœuf, et leur part de lipides plus faible.
Vous prendrez bien un petit steak… de criquets ?
Les insectes sont moins caloriques que le bœuf (autour de 150, contre
300 kcal/100 g) : une dizaine de criquets cuits, soit 20 g, correspond à la valeur
énergétique d’un bifteck de 110 g. Ainsi, 100 g de criquets couvrent plus de la moitié
des besoins journaliers en protéines d’un adulte de 70 kg.
Leur exosquelette est riche en fibres de chitine, un polymère d’un dérivé de
glucose, indigeste pour l’homme comme la cellulose des végétaux, et donc
accélérateur de transit. Les vers de farine ont des teneurs en vitamines
généralement supérieures à celles du bœuf, et des concentrations
comparables en cuivre, sodium, potassium, fer, zinc et sélénium. De plus,
les insectes ont un taux de conversion alimentaire performant : en apportant
10 kg de protéines végétales, on obtient 9 kg de protéines animales pour le
criquet, contre 1 kg pour le bœuf et 3 kg pour la volaille. Enfin, le
pourcentage de matière comestible (80 % chez le criquet) est plus élevé que
chez le bœuf (40 %).
Criquets sur canapés lors d’une dégustation d’insectes au Japon.
Malgré ces excellentes propriétés nutritionnelles, les insectes sont
considérés comme culturellement non comestibles dans les pays du Nord,
même si nous ingérons sans le savoir près de 500 g d’insectes par an,
notamment via les colorants alimentaires… À la différence des escargots,
des huîtres et des crabes, les insectes inspirent peur et dégoût, et leur
consommation paraît exotique et répugnante à première vue. Leurs saveurs
font pourtant partie de nos standards gastronomiques : citronnée pour les
fourmis, au goût de noisette ou d’arachide pour les larves de capricornes du
bois.
Femmes vendant des sauterelles grillées et épicées au marché d’Oaxaca
(Mexique).
Au début du XXI e siècle, dans les pays du Sud, près de 2 000 espèces
d’insectes représentent une source importante de protéines pour environ
2 milliards de personnes. Les criquets et les sauterelles sont consommés par
les peuples arabes du désert, les chenilles dodues de Cossus l’étaient par les
Romains et les cigales par les Grecs de l’Antiquité, les chrysalides de vers à
soie en omelette par les sériciculteurs ardéchois du XIX e siècle ou bouillies
et assaisonnées dans les beondegi des Coréens, le ver de bancoule, larve de
longicorne du bois, en Nouvelle-Calédonie, le ver palmiste, larve des
charançons du palmier, en Amazonie, en Nouvelle-Guinée et en Inde, les
kungu cakes à base de moucherons et les termites dans plusieurs régions
d’Afrique, et les libellules adultes frites avec le riz à Bali. Souvent, le corps
des adultes est épluché (les ailes et les pattes sont enlevées) et seul
l’abdomen, moins sclérifié, est consommé, cru, grillé, salé, enrobé d’épices,
frit dans l’huile, rôti, bouilli, ou séché et réduit en farine.
Le chong cha, un remède traditionnel chinois
Recommandé depuis quatre siècles comme source d’antioxydants et de minéraux
essentiels (zinc, magnésium, calcium), ce breuvage aurait aussi des propriétés
probiotiques renforçant le système immunitaire. Il s’agit de l’infusion des excréments
séchés de chenilles grignotant les feuilles de thé. Ainsi, 1 kg de ces déjections sèches,
vendu jusqu’à 400 €, requiert l’activité des larves sur 10 kg de feuilles de thé fraîches.
Pour alimenter durablement 10 milliards d’hommes à l’horizon 2050, la
production d’insectes offre une alternative durable à l’agriculture d’élevage
conventionnelle, dont l’empreinte écologique (gaz à effet de serre, forte
consommation en eau, en territoires, en ressources végétales, transmission
de pathogènes) se heurte aux nouvelles aspirations environnementales. Les
chips de sauterelles, les burgers de protéines de vers de farine, les pâtés de
purée d’insectes à toaster colonisent nos assiettes occidentales, sans montrer
de morceaux d’insectes apparents pour ne pas rebuter le consommateur. En
2015, 2 des 10 meilleurs restaurants du monde, au Danemark et au Brésil,
servaient des insectes au menu.
Tartine de vers de farine, des larves de ténébrions produits en Hollande.
En 2021, 8 insectes, parmi lesquels le ver à soie (Bombyx mori), le ver de
farine (Tenebrio molitor) et la mouche soldat noire (Hermetia illucens), sont
autorisés par l’Union européenne pour l’alimentation des poissons,
crustacés, chiens et chats, porcs et volailles, à condition d’être nourris avec
des produits d’origine végétale. Alors que le prix de la farine de poisson a
plus que triplé en 20 ans, la farine d’insectes devient une alternative
pertinente pour les fabricants d’aliments d’élevage. Depuis 2015, la
fermilière de la société Ynsect dans le Jura, une des plus grandes
bioraffineries d’insectes au monde, recycle les coproduits de l’agriculture
végétale pour nourrir ses larves de ténébrions, et livre une tonne de farine
d’insecte par jour.
Un Viagra naturel
Les orgies libertines du marquis de Sade devaient leur succès à la distribution de
« dragées d’Hercule ». Ces pastilles aphrodisiaques contenaient de la cantharidine,
une toxine extraite d’un scarabée (Lytta vesicatoria) qui provoque une forte érection et
ranime la virilité. À prise répétée, elle est toutefois mortelle par défaillance des reins.
42 IL N’EXISTE PAS D’INSECTES
OGM DANS LA NATURE
Des insectes génétiquement modifiés sont
déjà lâchés dans la nature, avec des
objectifs de biocontrôle.
Des lâchers sous serre de mâles transgéniques de teigne du chou
provoquent l’extinction de la population du ravageur.
Après le séquençage complet des génomes du moustique vecteur de la
malaria en 2002, et de l’abeille domestique en 2006, plus d’une trentaine
d’insectes génétiquement modifiés (IGM) ont été créés. La plupart sont
cantonnés au labo : des drosophiles servent de modèle pour la recherche, le
ver à soie est converti en usine de synthèse de protéines.
Biomimétisme à finalité marketing
En 2006, une équipe américaine a conçu un papillon avec un logo vert fluo sur l’aile en
contrôlant génétiquement les arrangements d’écailles, premier pas vers un papillon
publicitaire vivant !
Des expérimentations en nature ont été réalisées sur les fronts médical et
agronomique, avec des IGM introduits pour endiguer la prolifération des
mouches nuisibles au bétail, des moustiques vecteurs de maladies humaines
et des ravageurs agricoles. D’autres IGM ont déjà passé les étapes du
prototype de labo et du modèle expérimental au champ, et se rapprochent de
la mise en pratique : ce sont les moustiques inoculateurs de vaccins, les
moustiques inoffensifs qui piquent sans transmettre l’agent de la maladie,
ou l’abeille résistante aux pesticides.
Les mâles transgéniques de la mouche des fruits (Ceratitis capitata), dont
les asticots ravagent 300 cultures dans le monde, transmettent un gène
entraînant la mort des larves femelles.
Dans les années 2000, les premiers IGM ont modernisé l’ancienne
technologie des lâchers de mâles stérilisés par irradiation, qui étaient
relâchés en grand nombre pour s’accoupler avec des femelles et empêcher
toute descendance. La version moderne implique des mâles transgéniques
auxquels les chercheurs ont introduit deux gènes. L’un code pour une
protéine fluorescente, empruntée à une méduse, qui ne s’exprime que chez
les mâles. Les mâles produits en laboratoire peuvent ainsi être triés par des
robots, puis suivis dans la nature. L’autre est un gène qui entraîne la mort
des larves femelles dès leur éclosion. Les mâles transgéniques s’accouplent
avec des femelles normales dans la nature et transmettent le gène létal à leur
descendance. Seuls les mâles survivent à chaque génération, en transmettant
le gène létal, ce qui réduit la population. À la différence des anciens mâles
stériles irradiés, moins actifs dans la reproduction que leurs rivaux
sauvages, les mâles IGM se comportent comme des mâles « normaux »,
vivent aussi longtemps, s’accouplent autant et les femelles fécondées
pondent autant d’œufs.
Des lâchers de millions de moustiques mâles transgéniques d’Aedes
aegypti, vecteur de multiples maladies (voir fiche 49), ont été menés dès
2010 aux îles Caïman, 2011 en Malaisie et 2013 au Brésil. Dans chaque cas,
ces tests ont permis une réduction rapide de plus de 80 % de la population
de moustiques sauvages. Un premier élevage de moustiques transgéniques à
grande échelle a ouvert au Brésil en 2014, pour livrer 2 millions de
moustiques mâles transgéniques par mois et inonder les populations
naturelles. Faute de consensus politique, les lâchers programmés en Floride
et au Royaume-Uni ont été reportés. Comme alternative à l’épandage de
pesticides et à la résistance croissante des insectes aux produits chimiques,
des mâles porteurs d’un gène d’autodestruction ont été développés pour des
ravageurs agricoles. En 2015, des tests en serre contre la teigne du chou
(Plutella xylostella) ont provoqué l’extinction de la population en trois
générations.
Les mâles (à gauche) transgéniques d’Aedes aegypti transmettent aux
larves femelles un gène d’autodestruction.
Contrairement aux insecticides, la méthode des lâchers inondatifs de mâles
transgéniques autodestructeurs est spécifique à une espèce et n’entraîne
donc pas la mort d’insectes non cibles. Des polémiques divisent toutefois
les scientifiques sur des risques environnementaux collatéraux. D’autres
insectes peuvent coloniser la niche écologique devenue vacante : A. aegypti
pourrait ainsi être remplacé par le moustique-tigre, espèce voisine
envahissante tout aussi dangereuse. Les nouveaux gènes modifiés
pourraient être transmis à d’autres espèces indigènes, entraînant une
cascade d’effets imprévisibles dans l’écosystème. Au Brésil, 3 à 5 % des
moustiques relâchés auraient survécu à leur mort programmée et propagé
leur génome dans les populations sauvages, avec le possible développement
d’une résistance. Les nombreux IGM en cours d’homologation n’ont pas
fini de nourrir les débats…
43 LES INSECTES NE SONT PAS
DES ANIMAUX DE COMPAGNIE
Sur tous les continents, des femmes, des
hommes et des enfants s’attachent la
compagnie d’insectes vivants.
Grillons chanteurs en cage à la vente sur un marché chinois.
Plusieurs tribus des forêts tropicales sud-américaines utilisent la
bioluminescence pour s’éclairer en plaçant des coléoptères taupins
(Pyrophorus sp.) dans une petite cage avec des morceaux de canne à sucre à
ronger. Aux Antilles, les femmes créoles fixaient des sachets de ces taupins
lumineux sur leur robe ou dans leurs cheveux. L’usage des insectes vivants
comme bijoux a ainsi été pratiqué depuis des millénaires et l’est encore
dans de nombreuses régions du monde. En Inde, les femmes accrochaient
par une chaînette à leur robe un bupreste cuivré (Chrysochroa ocellata)
vivant. En France, aux XVIII e et XIX e siècles, portées par la vogue des
cabinets de curiosités, les mondaines portaient des puces vivantes dans un
médaillon de cristal.
Les insectes vivants peuvent constituer des jouets rudimentaires : cirques de
puces, boîtes-lampes à lucioles, hannetons cerfs-volants attachés par un fil à
la patte… Au Japon, les enfants sont traditionnellement intéressés par
l’élevage des insectes. Les Souvenirs entomologiques du savant français du
XIX e siècle J.-H. Fabre, qui décrit avec poésie les comportements singuliers
des insectes dans la nature méditerranéenne, figurent au programme des
enseignements de l’école primaire. Les jeunes Nippons sont nombreux à
élever leur scarabée lucane (ohkuwagata), le baladant dans un terrarium
portable, en le nourrissant de miel pendant plusieurs années, et en le
confrontant à des congénères pour de modestes combats. Les récents succès
d’un jeu vidéo, de cartes de collection et d’un dessin animé, MushiKing (Le
roi des scarabées, sorti en 2003), basés sur des duels de lucanes (les
kuwagata), ont suscité une véritable coléomania !
Une passion du créateur des Pokémon
T. Satoshi, producteur de jeu vidéo japonais, faisait une collection d’insectes quand il
était enfant, et s’en inspira dans son travail. C’est en effet en imaginant des insectes
rampant sur le câble entre deux consoles que celui que ses pairs surnomment « Dr
Bug » (« docteur Insecte ») créa les célèbres Pokémon.
Dans le nord de la Thaïlande, ce sont les adultes qui parient sur des joutes
opposant des scarabées gladiateurs miniatures. Lors des combats, les mâles
cherchent à se déloger d’un rondin de bois, sous lequel deux femelles
captives libèrent leurs phéromones. Au sud de la Chine, des grillons sont
élevés depuis 2 000 ans pour des combats non clandestins organisés pour
les parieurs dans tout le pays, notamment dans les grandes villes. En Chine
et au Japon, la coutume est d’héberger des grillons domestiques dans de
petites cages pour se bercer de leur chant.
Les élevages de phasmes en terrarium permettent, en milieu scolaire par
exemple, d’observer un cycle de vie et d’illustrer le mimétisme.
Dopées par la baisse de la taille moyenne des logements, les ventes
d’insectes comme nouveaux animaux de compagnie (NAC), plus discrets
que les mammifères domestiques traditionnels, ont bondi dans de
nombreuses sociétés urbaines au cours des années 2000. Ces NAC, la
plupart du temps des phasmes, des cétoines ou des cafards, vivent en
terrarium, parfois agrémentés de tapis chauffants. Leur élevage, souvent
silencieux et inodore, sans frais de vétérinaire, peu encombrant, alimenté
par une nourriture facilement accessible et peu onéreuse (de la ronce, ou des
fruits et légumes surtout), connaît un succès international.
Des blattes de compagnie contre le cafard urbain
Les « adoptions » de certains cafards géants tropicaux, non agressifs et non volants,
se multiplient. Les Australiens élèvent le cafard le plus lourd du monde,
Macropanesthia rhinoceros, le cafard-rhinocéros (35 g), une espèce originaire du
Queensland, ovovivipare (voir fiche 28), qui atteint sa taille définitive après 12 ou
13 mues (voir fiche 26) et vit jusqu’à 10 ans. Les Thaïlandais importent de grands
cafards de Madagascar, populaires à cause des sifflements d’alerte ou de combat
qu’ils produisent en expulsant bruyamment de l’air par leurs stigmates abdominaux.
Leur trafic frauduleux est dorénavant interdit par les autorités de Bangkok en raison du
rôle des insectes dans la propagation de la typhoïde.
Le cafard siffleur géant des forêts de Madagascar (Gromphadorhina
portentosa) est devenu un NAC prisé.
44 LE POU N’EST PAS UN INSECTE
MAIS UN ACARIEN
Les poux sont des insectes sans ailes qui
s’accrochent aux poils avec leurs 6 pattes.
Le pou de l’homme s’accroche aux poils et y colle ses lentes.
Les 540 espèces de poux suceurs sont des insectes ectoparasites, qui vivent
en permanence sur leur hôte. Présents dès le Jurassique, les poux ont
coévolué avec les mammifères, chaque espèce de pou se spécialisant sur
quelques espèces hôtes pour s’adapter à ses pratiques de toilettage.
Ne pas confondre…
À la différence des puces et des poux, les aoûtats (Trombicula autumnalis) ne sont pas
des insectes mais des acariens à 8 pattes. Leurs larves, parfois localement
abondantes en été, percent la peau d’un mammifère durant quelques jours pour se
nourrir, non de sang, mais des cellules liquéfiées par leurs sucs digestifs. Les nymphes
et les adultes n’ont pas besoin de se nourrir sur un animal et vivent sur le sol.
Dépourvus d’ailes, ils possèdent 6 courtes pattes dotées d’une griffe qui leur
permet de s’accrocher fermement aux poils. Incapables de sauter, le pou de
l’homme, le pou de tête (Pediculus humanus capitis) et le morpion de la
région pubienne (Phtirus pubis) passent d’un hôte à l’autre par contact.
Pour ce faire, le pou de tête marche à la vitesse record de 0,5 cm par
seconde !
Leurs mandibules sont pointues et tranchantes afin de percer la peau pour
sucer le sang. Chaque heure, ils peuvent sucer une quantité de sang
atteignant 3 fois leur poids ! Ils meurent s’ils ne se nourrissent pas pendant
2 jours.
Tant qu’ils sont en contact avec la peau de leur hôte, ils peuvent survivre à
des températures extérieures comprises entre − 110 °C et + 90 °C. Si la
température externe de leur hôte ne les réchauffe plus, ils s’éteignent en
moins de 24 h sans autre source de chaleur. La probabilité de transmission
des poux de tête par les brosses et les taies d’oreiller est par conséquent
faible, et même négligeable pour les tapis.
Insubmersibles !
Les poux survivent aisément aux douches et aux bains, en s’abritant dans une bulle
d’oxygène sous l’eau pendant 18 h. Des chercheurs ont récemment mis au point des
shampoings étouffants qui bouchent les stigmates respiratoires à la surface de leur
corps.
Une femelle de pou de tête peut pondre près de 6 œufs par jour et vivre
1 mois, ce qui porte sa fécondité totale à près de 300 œufs. Les lentes sont
collées à la base des poils de l’hôte, contre la peau, à l’abri du grattage.
L’éclosion des jeunes larves exige une température ambiante minimale
équivalente à celle du cuir chevelu.
Dans les populations à l’hygiène précaire, les poux sont responsables de la
transmission de bactéries pathogènes, dont l’agent du typhus, injectées avec
les anticoagulants de la salive lors de la piqûre. Depuis deux décennies, par
mutation, les poux de tête ont acquis une résistance à plusieurs traitements
insecticides, ce qui représente un enjeu de santé publique préoccupant.
45 LA PUNAISE DE LIT POND SES
ŒUFS SUR LA PEAU DES
DORMEURS
Ce petit vampire nocturne qui défie
l’hôtellerie mondiale suce le sang des
voyageurs et cache ses œufs sous les lits.
La punaise pique avec son rostre court, replié ventralement au repos, et
composé d’une gaine souple protégeant les très fins stylets perforateurs
qui servent à l’aspiration alimentaire et à l’injection salivaire.
Dans la famille des cimicidés, des punaises suceuses du sang chaud de
mammifères ou d’oiseaux depuis 115 MA, on trouve une centaine
d’espèces dans le monde, dont deux spécialistes de l’homme appelées
« punaises de lit » : Cimex lectularius (cosmopolite) et C. hemipterus
(tropicale). On a retrouvé leur trace dans des sarcophages égyptiens vieux
de 3 500 ans, mais elles parasitent la lignée humaine depuis plusieurs
centaines de milliers d’années. C’est dans les grottes, où les populations
humaines modernes se sont réfugiées lors des glaciations des régions
tempérées de la planète, que l’association entre la punaise et l’homme s’est
établie par transfert depuis un autre mammifère ou un oiseau cavernicole.
En compagnie de l’homme et de son habitat artificiel, la punaise Cimex peut
survivre partout, dans les stations scientifiques aux pôles, en haute
montagne dans les refuges, dans les déserts avec les caravanes… Elles
avaient quasiment disparu de notre environnement depuis les années 1950
en raison de l’utilisation massive de DDT, un insecticide aujourd’hui
interdit. Depuis quelques décennies, grâce à l’intensification des voyages,
elles sont en pleine recrudescence et envahissent l’hôtellerie mondiale en
transitant avec les bagages.
Dépourvues d’ailes et de pattes sauteuses, elles se déplacent assez
lentement pour être détectables. Longues de 5 à 8 mm, de la taille et de la
couleur d’un pépin de pomme à l’âge adulte, elles sont claires et
translucides aux stades juvéniles. Elles fuient la lumière et se cachent le
jour dans les ourlets de matelas, sous les lattes des sommiers, derrière les
plinthes des murs et le papier peint, où elles pondent leurs œufs (200 à
500 œufs par vie de femelle).
Elles ne déposent donc pas leurs œufs sur notre peau. En revanche, adultes
et larves nous piquent effectivement, la nuit, pour se nourrir de sang. Elles
ne transmettent pas de maladies, mais les démangeaisons, les lésions de
grattage et les réactions allergiques constituent une nuisance significative.
Elles sont capables de jeûner longtemps et de survivre 1 an entre 2 repas de
sang.
La punaise de lit se nourrit de sang en piquant la nuit.
Pénétration forcée !
Le comportement sexuel des punaises de lit est extravagant. Lors de l’accouplement,
le mâle perfore le tégument de la femelle avec son pénis vulnérant et injecte sa
semence dans la cavité abdominale sans passer par les voies génitales. Les
spermatozoïdes devront migrer jusqu’aux ovules pour les féconder. Dans le cas
d’accouplements multiples, cette insémination traumatique extragénitale permettrait
aux seconds mâles de contourner le bouchon copulatoire mis en place dans les voies
génitales femelles par le premier. Cette pratique éviterait aussi au mâle de faire une
longue cour nuptiale et d’essuyer un éventuel refus. En revanche, les blessures de
copulation augmentent le taux de mortalité de la femelle de 25 %.
En l’absence de l’hôte, les punaises de lit se réfugient dans les vêtements
sales imprégnés de l’odeur humaine, qu’il faut donc éviter de laisser traîner
dans les zones de couchage. Leurs fèces forment de minuscules taches
sombres qui signalent leur présence sur les matelas et les murs. Ce n’est pas
le signe d’un déficit d’hygiène des lieux, car palaces et taudis sont autant
infestés. Elles sont en effet difficiles à déloger. La fréquence d’intervention
des entreprises de désinsectisation a explosé dans toutes les métropoles du
monde. Le recours excessif aux insecticides pendant de nombreuses années
a provoqué l’émergence de populations résistantes aux néonicotinoïdes et
pyréthrinoïdes.
Heureusement, la lutte mécanique à la chaleur ou au froid ou par aspiration
peut suffire à les éliminer. Les punaises de lit ne doivent pas être
confondues avec les puces de parquet, elles aussi en plein essor, qui sont en
fait les puces des chats (Ctenocephalides felis) dont les œufs sont tombés au
sol depuis un félin porteur, et dont les larves écloses sautent sur un nouvel
hôte, chat ou pas, à la première occasion !
La puce du chat pique pour se nourrir de sang et saute en dépliant ses
pattes postérieures.
46 ILS TUENT MOINS D’HOMMES
QUE LES REPTILES
Les insectes, en particulier les moustiques,
sont les animaux les plus mortels pour
l’homme.
Une moustiquaire imprégnée d’insecticide, ici dans un village traditionnel
d’Eswatini (ex-Swaziland), réduit les piqûres nocturnes des anophèles,
vecteurs de paludisme.
Environ 14 000 espèces d’insectes, des mouches, moustiques, punaises,
puces et poux, se nourrissent de sang grâce à un appareil buccal transformé
en pompe aspirante ou même en seringue. En piquant l’homme, et
successivement plusieurs individus, dont certains portent un parasite dans
leur sang, elles assurent la transmission active d’agents infectieux
contaminant l’homme. Toutes maladies confondues, 2 millions d’êtres
humains meurent chaque année d’une maladie transmise par l’un de ces
insectes hématophages, qui font donc 1 000 fois plus de victimes que les
crocodiles et 20 fois plus que les serpents !
Véritables tueurs en série, les moustiques disséminent le paludisme, la
dengue, la fièvre jaune, le chikungunya, le virus Zika. L’affection la plus
meurtrière, le paludisme (la malaria), transmise par des moustiques
anophèles, cause 800 000 décès par an, dont deux tiers d’enfants de moins
de 5 ans, et tue un enfant chaque minute. D’après les historiens, les
anophèles et le paludisme ont provoqué la moitié des morts humaines
depuis les origines de l’homme ! La maladie du sommeil, un parasite
transmis par la mouche tsé-tsé, qui causait plus de 250 000 morts en 1901,
tue encore 8 000 personnes par an aujourd’hui. En propageant la funeste
peste noire qui a dévasté l’Occident au milieu du XIV e siècle, les puces du
rat ont éradiqué 25 millions d’Européens, entre 30 et 50 % de la population
européenne d’alors. Malgré la découverte du rôle des insectes dans la
vection des maladies au début du XX e siècle (voir fiche 37), des
antibiotiques et des insecticides au cours du XX e siècle, la peste sévit encore,
notamment en Afrique. Le virus de la fièvre West Nile, introduit en 1999 à
New York par des oiseaux ou des moustiques Culex infectés et importés,
cause plus d’une centaine de morts par an aux États-Unis.
D’autres insectes (abeille, bourdon, guêpe) piquent avec leur aiguillon
abdominal et s’en servent pour injecter leur venin afin de paralyser des
proies ou se défendre contre des prédateurs. Plusieurs espèces de fourmis,
dotées de ce dard mais aussi de fortes mandibules, sont ainsi capables de
piquer et de mordre.
Attaque ou défense en nombre
La fourmi rouge moissonneuse d’Arizona (Pogonomyrmex maricopa), 5 e sur l’échelle
Schmidt de douleur des piqûres d’insecte, dispose du venin le plus puissant. Comme
les fourmis attaquent en nombre des animaux plus gros qu’elles, 12 piqûres suffisent à
tuer un rat de 2 kg (0,021 mg de venin injecté par piqûre). Théoriquement, il faudrait
500 piqûres et 10 mg de venin pour tuer un homme de 80 kg. Le choc allergique du
venin est souvent mortel avant cette dose.
Des ouvrières des très venimeuses fourmis rouges moissonneuses
(Pogononyrmex sp.) dans le désert de Chihuahua (Arizona).
Chez l’homme, une proportion de la population est très sensible et
allergique aux venins des insectes vulnérants. Plus le nombre de piqûres est
grand, plus la quantité de venin injectée est importante et plus élevés sont
les risques pour la santé. Au palmarès des tueurs, les hyménoptères
(fourmis, abeilles, guêpes, bourdons et frelons) figurent en bonne place. En
France, leurs piqûres causent une quinzaine de décès par an, principalement
de personnes allergiques attaquées par un escadron.
Dans le monde, les piqûres d’hyménoptères tuent 400 personnes par an,
2 fois plus que les lions, 4 fois plus que les méduses et 8 fois plus que les
requins, mais 10 fois moins que les scorpions et 250 fois moins que les
serpents ! Les frelons géants japonais comptent à leur actif 30 à 50 décès
par an, les abeilles tueuses hybrides (voir fiche 5) plus de 50 décès par an
aux États-Unis et au Brésil.
En croisant l’abeille mellifère européenne avec une sous-espèce sudafricaine,
les apiculteurs brésiliens ont obtenu un hybride adapté au climat
tropical, mais envahissant et très agressif !
47 ÉRADIQUER LES MOUSTIQUES
N’A QUE DES AVANTAGES
Attention, ils sont au carrefour des réseaux
écologiques terrestres et aquatiques…
Des campagnes de démoustication de masse sont réalisées par épandage
d’insecticide sur les zones humides où vivent les larves, comme ici, en
Espagne.
En 2003, une biologiste américaine préconisait le « specicide », c’est-à-dire
la destruction systématique de 30 espèces de moustiques, pour sauver
1 million de vies humaines par an, tout en diminuant la diversité des
moustiques de moins de 1 %. Selon l’OMS, sans le coût du paludisme, les
pays d’Afrique subsaharienne pourraient augmenter de 1,3 % leur
croissance économique annuelle.
De nouveaux outils sont en cours de développement : moustiques OGM
(voir fiche 42), stérilisation des mâles, insecticides et répulsifs sélectifs,
piégeages attractifs (voir fiche 50). Toutefois, l’éradication des moustiques
qui transmettent des maladies paraît utopique. Grâce à leur forte fécondité,
les moustiques acquièrent rapidement une résistance génétique aux
insecticides, ce qui implique de changer régulièrement la formulation des
produits qui imprègnent les moustiquaires. D’autres espèces de moustiques
que les espèces cibles peuvent coloniser la niche écologique devenue
vacante. Ainsi, aux îles Caïman, Aedes aegypti, visé par un programme
d’éradication assez efficace, pourrait être rapidement remplacé par le
moustique-tigre, espèce introduite envahissante tout aussi dangereuse.
Les armes de destruction massive utilisées dans le passé pour détruire les
larves dans les zones humides ont eu d’importants effets délétères sur les
autres espèces non-cibles de ces écosystèmes vulnérables. Au-delà de nos
incertitudes sur la faisabilité d’une démoustication radicale et sélective, se
pose la question de l’impact de la disparition des moustiques dans les
écosystèmes.
Les moustiques existent depuis 200 MA. Leur élimination entraînerait un
effondrement des réseaux alimentaires dans nombre d’écosystèmes. Les
trois quarts de leur cycle de vie (œuf, larve, nymphe) se passent dans l’eau.
Leurs larves sont des détritivores opportunistes du zooplancton des eaux
stagnantes. Vivant immergées, elles contribuent à la filtration de l’eau et à
la décomposition de la matière organique, évitant ainsi l’eutrophisation et
l’asphyxie du milieu. Elles servent de proies à de nombreux poissons,
batraciens et invertébrés aquatiques, et les adultes aériens sont dévorés par
les libellules, les oiseaux et les chauves-souris. Les adultes, en particulier
les mâles, visitent les fleurs pour s’alimenter du nectar et contribuent à la
pollinisation des plantes, notamment du cacaoyer. À ce titre, on peut
estimer qu’ils sont indispensables à l’industrie du chocolat !
Larves et nymphe de moustique commun respirant à la surface d’une mare.
Toutefois, ces rôles écologiques ne leur sont pas exclusifs. On ne connaît
pas de prédateur qui ne consomme que des moustiques, ni de plante dont la
pollinisation n’est effectuée que par des moustiques. Il est donc difficile de
prévoir que des prédateurs ou des plantes disparaîtraient avec les
moustiques. Leur éviction pourrait être compensée par l’essor d’autres
espèces aquatiques, y compris par des moustiques non piqueurs comme les
chironomes. Mais aucune étude scientifique globale n’a pu estimer
clairement les potentielles cascades trophiques consécutives à l’extinction
des moustiques. Les écologues suggèrent que la toundra pourrait être
déstabilisée par la démoustication, avec un effet domino imprévisible sur
les rassemblements d’oiseaux migrateurs et les migrations des troupeaux de
grands herbivores. Quel serait l’impact sur les loups (et les réactions en
chaîne sur les hommes…) si les caribous changeaient la trajectoire de leurs
longs itinéraires de migration ?
La destruction des larves de moustique peut bousculer les réseaux
alimentaires des étangs.
Un bilan écologique controversé en Camargue
La démoustication par épandage de Bti (Bacillus thuringiensis subsp. israelensis), le
bactério-insecticide le plus utilisé dans le monde depuis 40 ans, considéré comme
l’agent le plus sélectif et le moins toxique, y a réduit de 50 % l’abondance et la diversité
des libellules et de 34 % l’abondance des invertébrés des roselières.
Par impact sur le régime alimentaire des insectivores, cela a augmenté d’un tiers la
mortalité des oisillons d’hirondelles. L’accumulation des spores de Bti dans les
sédiments suggère aussi une persistance des impacts bien après les épandages.
48 LES MOUSTIQUES NOUS
PIQUENT POUR SE NOURRIR DE
NOTRE SANG
Chez ces insectes, seules les femelles d’une
faible proportion d’espèces sucent le sang
humain.
Femelle de moustique commun avec ses antennes non plumeuses.
Quel que soit le moustique, les mâles se contentent de butiner le nectar des
fleurs et ne piquent jamais. La femelle est également nectarivore, mais elle
a besoin d’au moins un repas de sang pour pouvoir pondre ses œufs après
avoir été fécondée. Elle ne se nourrit pas à proprement parler du sang
aspiré, mais elle exploite les protéines sanguines comme une forme de
complément alimentaire pour fabriquer ses œufs. Elle seule dispose d’un
long rostre fin suffisamment rigide pour s’enfoncer dans l’épiderme des
mammifères. Certaines pièces buccales ont en effet été transformées en
pièces allongées semi-rigides, qui délimitent deux canaux : un canal
salivaire, par lequel est injectée une salive anticoagulante, et un canal
alimentaire, par lequel est aspiré le sang.
Une fois atterrie sur la peau, elle utilise les poils thermosensibles de ses
antennes pour piquer au bon endroit en détectant précisément la position
des capillaires sanguins, qui rendent la peau localement plus chaude de
quelques dixièmes de degrés. On a récemment découvert que les
moustiques femelles piquent l’homme aussi pour boire du sang et étancher
leur soif en cas de sécheresse. Cette observation pointe l’accroissement des
risques de transmission de maladies par les moustiques si les épisodes
arides se répètent avec le réchauffement climatique…
La durée du repas de sang est contrôlée par le système nerveux. Le
moustique ingurgite généralement environ 5 mg de sang, soit 2 fois sa
propre masse. Des expérimentations sur Aedes aegypti ont montré qu’en cas
d’inactivation de sa chaîne nerveuse ventrale, une femelle moustique boit
sans s’interrompre et sans atteindre la satiété, jusqu’à mourir sur place,
l’abdomen dilaté. L’aspiration goulue de sang fait intervenir une grosse
pompe pharyngienne, actionnée par des muscles attachés à la capsule de la
tête. Une succion puissante permet de terminer le repas avant que l’hôte
temporairement anesthésié ne réagisse à la piqûre de la femelle (en
moyenne 3 min chez Homo sapiens).
La femelle de moustique peut excréter une gouttelette de sang chaud pour
se rafraîchir l’abdomen.
Lors de l’ingestion de sang chaud, la température corporelle augmente tant
que les moustiques du genre Anopheles adoptent un comportement de
thermorégulation pour éviter un choc thermique. Ils excrètent par l’anus une
gouttelette d’urine mêlée à du sang qu’ils retiennent à l’extrémité de
l’abdomen. En contact avec l’air, la goutte s’évapore et absorbe de la
chaleur, ce qui refroidit l’abdomen.
Dès la piqûre terminée, une femelle moustique doit réussir un envol furtif
depuis la surface de notre peau pour ne pas être détectée et aplatie. La
femelle Culex étire lentement ses longues pattes fines et bat des ailes à très
haute fréquence 30 ms avant l’envol. En général, sauf maladresse, nous ne
sentons une démangeaison que 30 s après son départ.
49 UNE PIQÛRE DE MOUSTIQUE
PEUT TRANSMETTRE LE SIDA
Certains moustiques sont de véritables taxis
à microbes.
La femelle de moustique-tigre transmet différents virus en injectant de la
salive anticoagulante pendant la piqûre.
Pour transmettre un pathogène, un moustique doit piquer un voyageur déjà
infecté et ingérer le microbe avec son repas de sang. Ledit pathogène doit
ensuite migrer dans les glandes salivaires pour être réinjecté à un nouvel
hôte avec le liquide anticoagulant à la piqûre suivante. Plusieurs virus
(Zika, dengue, fièvre jaune), quelques vers (comme la filaire de Bancroft) et
l’agent de la malaria sont adaptés pour survivre dans le tube digestif du
moustique vecteur après avoir été aspirés avec un repas de sang. À
l’inverse, le VIH est rapidement digéré avec le sang dans l’intestin du
moustique. On ne peut donc pas contracter le sida par une piqûre de
moustique, ni par la piqûre d’un autre suceur de sang comme le pou ou la
punaise triatome.
D’insolites championnats
À Tartu (Estonie), au championnat du monde de capture de moustiques morts ou vifs,
le lauréat du premier prix en 2010 a enchaîné 38 captures de moustiques en
10 minutes sur son corps transpirant. À Pelkosenniemi (Laponie finlandaise), le record
du monde de moustiques écrasés sans instrument ni produit a été établi à
21 moustiques tués en 5 minutes en 2005.
Lors de la piqûre, la femelle moustique injecte dans le capillaire sanguin de
l’hôte de la salive qui contient un cocktail de protéines anesthésiantes et
anticoagulantes. Les anticoagulants neutralisent nos plaquettes afin que le
sang reste fluide et n’obstrue pas le rostre-seringue très fin de l’insecte. Le
gonflement à l’endroit de la piqûre provient de la réaction allergique de
notre système immunitaire à ces anticoagulants. Selon notre sensibilité
individuelle à ces allergènes, les démangeaisons peuvent être brèves ou
durables. En grattant avec nos ongles, nous aggravons le risque
d’approfondir une plaie, de l’infecter et d’augmenter la réaction
inflammatoire.
Des vecteurs de maladies infectieuses
Les vrais moustiques sont des diptères de la famille des culicidés. Dans cette famille
aux 3 500 espèces déjà répertoriées dans le monde, les femelles possèdent un
appareil buccal piqueur et tous les individus portent de longues antennes fines. Près de
150 espèces (5 %), dans 3 genres principaux (Culex, Aedes et Anopheles), piquent le
sang des humains, les autres s’attaquant à des animaux.
À la différence du moustique commun (Culex pipiens) européen, quelques espèces
sont de véritables taxis à microbes et sont impliquées dans des maladies humaines de
gravité variable. Citons les célèbres Aedes aegypti et A. albopictus (tous deux
impliqués dans les épidémies de dengue, fièvre jaune, chikungunya et Zika), ainsi que
Anopheles gambiae, le vecteur du paludisme. D’autres diptères leur ressemblent,
comme les chironomes, dont les larves aquatiques vivent dans la vase, mais leurs
adultes ne piquent pas.
Mâles et femelles de l’inoffensif chironome plumeux (Chironomus
plumosus) ne s’alimentent pas et donc ne piquent pas durant leur courte
vie.
50 IL N’Y A PAS DE MÉTHODE
EFFICACE POUR ÉLOIGNER LES
MOUSTIQUES
On sait repousser les moustiques adultes ou
les attirer massivement dans un piège.
Notre signature odorante corporelle très personnelle, produit de nos eaux
de toilette et du microbiome présent sur notre peau, nous rend inégaux
face aux piqûres !
La majorité des moustiques (Culex, Anopheles…) opère la nuit, et seuls les
Aedes, comme le moustique-tigre, piquent en journée, particulièrement à
l’aube et au crépuscule. La lumière a un effet attractif sur les moustiques
nocturnes, qui sont cependant davantage attirés par les UV et les radiations
bleues et vertes que par les rayons orange et rouges du spectre visible. Par
conséquent, les émissions des éclairages domestiques et de la majorité des
pièges lumineux modernes attirent en fait peu de moustiques.
Les moustiques sont surtout attirés par d’autres facteurs que la lumière,
comme la chaleur dégagée par les corps vivants, le gaz carbonique exhalé
en respirant, et par certaines molécules contenues dans la sueur, telles que
l’acide lactique, l’ammoniaque et l’octénol.
Les bougies à la citronnelle, les huiles essentielles de géranium et
d’eucalyptus, les applications smartphone émettant des ultrasons se valent
dans leur inefficacité pour éloigner les moustiques ! En revanche, le DEET
(diéthyltoluamide), inventé en 1946 par l’armée américaine, est très utilisé
dans les répulsifs commercialisés en zones tropicales impaludées. Le DEET
réduirait la volatilité de l’octénol et, de ce fait, l’attraction des corps
humains.
Un spray répulsif contenant du DEET permet d’éloigner les moustiques lors
des activités d’extérieur proches de zones humides.
Il existe d’autres méthodes pour tenir les moustiques à l’écart, comme la
fumée, le brassage d’air par un ventilateur qui perturbe leur vol, et
l’abaissement de la température, grâce à l’air conditionné, en deçà du seuil
d’activité des moustiques piqueurs vers 18 °C. Enfin, un entomologiste
israélien vient de mettre en évidence une molécule qui pourrait se révéler
un répulsif déterminant. En effet, les notonectes, des punaises aquatiques
prédatrices de larves de moustiques, dégagent naturellement une substance
que détectent les femelles Culex. Celles-ci évitent alors de pondre dans les
mares où pullulent les carnassières…
Les notonectes, qui chassent les larves de moustiques sous l’eau, dégagent
une odeur que fuient les femelles moustiques pondeuses.
La BAM, c’est radical !
Parmi les solutions techniques pour enrayer la prolifération des moustiques, figurent
les systèmes d’attraction létale pour les adultes. En 2014, une start-up provençale a
inventé une Borne anti-moustique (BAM), aujourd’hui déployée en extérieur dans de
nombreuses municipalités méridionales ainsi qu’en Afrique, en Asie et aux États-Unis.
Cette borne émet du dioxyde de carbone recyclé, pour imiter la respiration humaine,
tout en diffusant un leurre olfactif, l’acide lactique, simulant l’odeur de la sueur. Les
femelles de plusieurs espèces de moustiques se rapprochent de la borne et sont alors
capturées par un courant d’aspiration continu alimenté par un panneau solaire. La
borne capture jusqu’à 8 000 moustiques par 24 h.
Les dégâts collatéraux sont négligeables, car les moustiques mâles et les autres
insectes ne sont pas attirés par le piège. Au test du mollet (un opérateur assis, les
mollets découverts, dénombre les moustiques se posant sur sa peau avec un miniaspirateur),
le taux de piqûre moyen s’élève à 1,7 pendant 10 minutes à proximité des
pièges, contre 15,2 dans les secteurs témoins. Le nombre de piqûres a baissé de 88 %
dans un rayon de 30 à 60 m.
Les ordres d’insectes actuels
Ordre
Exemples
Nombre d’espèces
déjà décrites dans le
monde
Archæognathes Machiles 513
Coléoptères
Scarabées, lucioles,
bousiers, chrysomèles,
coccinelles
386 500
Dermaptères Perce-oreilles ou forficules 1 978
Dictyoptères
blattes ou cafards, mantes,
termites
9 714
Diptères
Mouches, moustiques,
taons
155 477
Embioptères 463
Éphéméroptères Éphémères 3 240
Hémiptères
Punaises, cigales,
pucerons, cochenilles,
cicadelles
103 590
Hyménoptères
Guêpes, fourmis, abeilles,
bourdons, frelons
116 861
Lépidoptères Papillons 157 338
Mécoptères
Panorpes ou mouchesscorpions
757
Mégaloptères 354
Neuroptères
Chrysopes, fourmilions,
ascalaphes, mantispes
5 868
Notoptères 54
Odonates Demoiselles, libellules 5 899
Orthoptères
Sauterelles, criquets,
grillons, courtilières
23 855
Phasmatodes Phasmes 3 014
Plécoptères Perles 3 743
Psocodes
Psoques, poux des oiseaux,
poux des livres, poux,
morpion
10 822
Raphidioptères
Mouches-serpents ou
mouches à long cou
254
Siphonaptères Puces 2 075
Strepsiptères 609
Thysanoptères Thrips 5 864
Trichoptères Phryganes 14 391
Zoraptères 37
Zygentomes Thysanoures 560
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES POUR EN SAVOIR PLUS
Bouget C., 2016. Secrets d’insectes : 1 001 curiosités du peuple à 6 pattes.
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Sverdrup-Thygeson A., 2019. Extraordinary Insects: Weird. Wonderful.
Indispensable. The Ones Who Run Our World. Mudlark, 320 p.
Wigglesworth V., 1970. La Vie des insectes. Coll. La grande encyclopédie
de la nature, Bordas, 383 p.
REVUES
L’OPIE édite une revue très riche intitulée Insectes
(http://www.insectes.xyz/ ), et les chroniques en ligne d’Alain Fraval,
baptisées « Épingles » (http://www.insectes.xyz/epingle21.htm ).
REMERCIEMENTS
Merci pour tout à la tribu Bouget ! Un grand merci à Karine, Jules, Théo et
Manon pour leur intérêt, leurs encouragements et leurs relectures attentives
des premières versions.
Merci à Sylvie Blanchard, qui a mis son expérience d’éditrice et sa
connaissance des attentes des lecteurs au service de cette nouvelle aventure
des Idées fausses, après les Secrets d’insectes.
Merci à Véronique Véto pour sa persévérance à m’inscrire dans ce projet
des Idées fausses.
J’aimerais exprimer ma reconnaissance à Michel Liogier, Guy Bataillard,
Jacques Bordon, Pierre Réal, François Secchi, Philippe Richoux et Roland
Allemand, qui montré l’exemple au jeune entomologiste que j’étais et qui
ont su entretenir une vocation naissante.
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
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