Spectrum_06_2021
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
a dysmorphie corporelle est une pathologie
définie dans le Diagnostic and Sta-
L
tistical Manual of Mental Disorders (DSM-5)
comme un état dans lequel une personne est
excessivement préoccupée par plusieurs défauts
physiques qui ne sont pas apparents
pour d’autres personnes. Cette pathologie
peut également être vécue comme une insatisfaction
générale envers son corps. Aussi
référencée comme dysmorphophobie- traduction
de dismorfofobia terme utilisé par le
psychiatre italien Enrico Morselli en 1891-
elle peut être décrite comme une peur anxieuse
persuadant l’esprit que le corps est
difforme, sans qu’il ne le soit.
Cette phobie se distingue d’un complexe
de par son aspect obsessionnel mais aussi
de par son exagération imaginée. Pour notre
témoin Maxime* 20 ans: «Un complexe,
c’est voir quelque chose qui ne nous plaît pas
alors que la dysmorphie corporelle pousse
à imaginer des choses qui ne reflètent
pas la réalité». Ce décalage avec la réalité
peut créer une angoisse constante. Dans le
DSM-5 la dysmorphie corporelle est classée
parmi les troubles obsessionnels-compulsifs
et connexes. Un trouble devient pathologique
quand il y a un comportement obsessionnel
qui empêche de penser à autre chose,
au point d’affecter le quotidien de la personne
qui en souffre. Il devient alors impossible
d’exécuter la moindre tâche sans que les
méninges ne soient occupées à imaginer
comment le corps est perçu par les autres
et par soi-même.
Le conseil de Loris: relativiser
Selon le dictionnaire Larousse, relativiser
signifie faire perdre à quelque chose son
caractère absolu en le replaçant dans un ensemble,
un contexte. Loris, 24 ans, a à cœur
de sensibiliser la population à cette pathologie
qui est selon ses termes «oubliée et incomprise».
N’étant guère connue, elle peut
donc être plus difficile à reconnaître que
d’autres troubles, tels que ceux en rapport
avec l’alimentation par exemple.
L’amateur de fitness décrit une focalisation
constante sur une partie du corps spécifique.
Il raconte avoir eu de la peine à apprécier et
parfois même à reconnaître ses résultats à
la salle. Il essayait alors tant bien que mal
de changer une partie de son corps, mais en
restait éternellement insatisfait. C’est grâce
aux expériences de camarades de fitness et
aux réseaux sociaux que Loris a compris
qu’il souffrait de dysmorphie corporelle. Il
explique son vécu: «Il y a des moment où
tu ne vas vouloir que travailler là-dessus.
Tu veux trouver des solutions pour corri-
* Prénom d'emprunt
ger ça alors qu'en fait il n'y a rien à corriger.
J’ai appris à m’accepter et à me forcer à ne
plus me focaliser là-dessus», confie-t-il. Sa
résilience l’aide à déconstruire cette vision
altérée qu’il a de lui-même. Il a dû s’habituer
à prendre de la distance face aux progrès
physiques des autres athlètes, que ce soit
ses proches où des influenceurs derrière un
écran.
Par rapport à ces derniers, Loris reste lucide:
«Il faut penser que c’est leur boulot,
qu’ils font ça toute la journée. Ils n’ont pas
de travail ou d’ études à côté, ils sont suivis
par des médecins, des diététicien·ne·s et
même par des coachs sportifs. Toute leur
vie est dédiée à leur physique.» Une dévotion
qui ne peut pas être du ressort de monsieur-tout-le-monde.
Loris rappelle qu’il y
a des prédispositions génétiques à prendre
en compte mais que l’honnêteté joue également
un rôle important. Une prise de médicaments,
du dopage, un montage photoshop
ou encore de la chirurgie esthétique, qui sait
ce qui se cache vraiment derrière une photo
qui semble parfaite? Loris aime à rappeler
qu’il est souhaitable d’essayer de rester connecté
à la réalité le plus possible, et surtout
de rester humain.
Le conseil de Maxime: normaliser
Le Robert définit le verbe "normaliser" par
faire devenir ou redevenir normal. Maxime
est également concerné par la pathologie et
confie que c’est un sujet qu'iel a déjà abordé
avec sa psychologue.
À la demande de ce qu’un proche a la possibilité
de faire ou dire pour faciliter la vie
de quelqu’un souffrant de dysmorphie corporelle,
Maxime conseille d’éviter les commentaires
sur le physique, les compliments
y compris. Iel développe en nous rappelant
que, malgré une bonne intention, un compliment
peut provoquer un sentiment de
mal-être. «Je n'aime pas recevoir de commentaires
sur mon corps, surtout que généralement
ça ne va pas dans le bon sens. Ce
que les gens pensent être un compliment ce
n’est pas du tout quelque chose que je veux»,
explique Maxime. Iel propose donc de concentrer
les compliments sur la personnalité
ainsi que sur les aspects physiques contrôlables
tels que le style vestimentaire. Maxime
avise également les proches de personnes
souffrant de dysmorphie corporelle à faire la
part des choses. Les patient.es ne cherchent
pas toujours des conseils et veulent parfois
juste exprimer leur frustration.
Pour les gens qui ont de la peine à apprécier
leur corps, les conseils de Maxime sont:
«Passer du temps à poil et avoir un max de
miroirs. Cela peut contribuer à banaliser
son propre corps et à le reconnaître pour ce
qu’il est. »
Le cas des modifications corporelles
Spectrum a interrogé Loris et Maxime sur la
chirurgie esthétique et l’aide qu’elle pourrait
apporter dans un cas de dysmorphie corporelle.
Tous deux ont répondu qu’ils n’y voyaient
pas une solution pour eux personnellement.
Ils y voient tout de même du potentiel
dans un cas où le patient reconnaîtrait les
limites de cette possibilité. Loris mentionne
le risque de création d’un cercle vicieux :
«Ça peut être bénéfique jusqu'à un certain
point mais ce n'est pas la solution. La première
chose à faire c'est de travailler sur son
esprit», précise-t-il. Maxime rappelle que de
nos jours l’aspect potentiellement traumatisant
des opérations chirurgicales a tendance
à être oublié: «Banaliser, glorifier mais aussi
capitaliser sur des opérations chirurgicales
pour en faire des modes… C’est vraiment
malsain.» soupire-t-iel.
Les piercings et autres tatouages devenant
de plus en plus communs dans la société
contemporaine occidentale, il peut être
sage de se rappeler que des moyens moins
radicaux existent pour se réapproprier son
corps. C’est la liberté de chacun.e que de
choisir les moyens de cette réappropriation...
P
Ressources
N’oubliez pas cher.e.s lecteur.
rice.s que le conseil psychologique
aux étudiant.e.s se porte à votre
disposition via l’adresse e-mail
conseilpsychologique@unifr.ch .
Vous trouverez plus d’informations
sur le site de l’UNIFR sous les onglets
“organisations” et “conseil psychologique
aux étudiant.e.s”.
La dysmorphie corporelle est à différencier
de la dysphorie de genre,
commune aux personnes dont l’identité
sexuelle n’est pas cisgenre. Elle
décrit la détresse et l’inadéquation
qu’une personne peut ressentir entre
son identité de genre et le genre
assigné à la naissance. L ’American
Psychiatric Association (APA) insiste
sur le fait que la non-conformité de
genre n’est pas un trouble mental.
Elle peut être cela dit caractérisée
par une souffrance clinique significative,
ce qui lui donne de la pertinence
dans l'étude des psychopathologies.
12.21
spectrum
19