DOSSIERTexte Laurie NievaPhoto Marie SchallerDysmorphie corporelle: quandl’esprit déforme le miroirLes témoignages de deux jeunes vivants avec une dysmorphiecorporelle. Ils nous parlent de la déconnexion entreles attentes qu’ils ont envers leur corps et leur reflet maisaussi de leur lutte vers l’acceptation de soi.18 spectrum 12.21
a dysmorphie corporelle est une pathologiedéfinie dans le Diagnostic and Sta-Ltistical Manual of Mental Disorders (DSM-5)comme un état dans lequel une personne estexcessivement préoccupée par plusieurs défautsphysiques qui ne sont pas apparentspour d’autres personnes. Cette pathologiepeut également être vécue comme une insatisfactiongénérale envers son corps. Aussiréférencée comme dysmorphophobie- traductionde dismorfofobia terme utilisé par lepsychiatre italien Enrico Morselli en 1891-elle peut être décrite comme une peur anxieusepersuadant l’esprit que le corps estdifforme, sans qu’il ne le soit.Cette phobie se distingue d’un complexede par son aspect obsessionnel mais ausside par son exagération imaginée. Pour notretémoin Maxime* 20 ans: «Un complexe,c’est voir quelque chose qui ne nous plaît pasalors que la dysmorphie corporelle pousseà imaginer des choses qui ne reflètentpas la réalité». Ce décalage avec la réalitépeut créer une angoisse constante. Dans leDSM-5 la dysmorphie corporelle est classéeparmi les troubles obsessionnels-compulsifset connexes. Un trouble devient pathologiquequand il y a un comportement obsessionnelqui empêche de penser à autre chose,au point d’affecter le quotidien de la personnequi en souffre. Il devient alors impossibled’exécuter la moindre tâche sans que lesméninges ne soient occupées à imaginercomment le corps est perçu par les autreset par soi-même.Le conseil de Loris: relativiserSelon le dictionnaire Larousse, relativisersignifie faire perdre à quelque chose soncaractère absolu en le replaçant dans un ensemble,un contexte. Loris, 24 ans, a à cœurde sensibiliser la population à cette pathologiequi est selon ses termes «oubliée et incomprise».N’étant guère connue, elle peutdonc être plus difficile à reconnaître qued’autres troubles, tels que ceux en rapportavec l’alimentation par exemple.L’amateur de fitness décrit une focalisationconstante sur une partie du corps spécifique.Il raconte avoir eu de la peine à apprécier etparfois même à reconnaître ses résultats àla salle. Il essayait alors tant bien que malde changer une partie de son corps, mais enrestait éternellement insatisfait. C’est grâceaux expériences de camarades de fitness etaux réseaux sociaux que Loris a comprisqu’il souffrait de dysmorphie corporelle. Ilexplique son vécu: «Il y a des moment oùtu ne vas vouloir que travailler là-dessus.Tu veux trouver des solutions pour corri-* Prénom d'empruntger ça alors qu'en fait il n'y a rien à corriger.J’ai appris à m’accepter et à me forcer à neplus me focaliser là-dessus», confie-t-il. Sarésilience l’aide à déconstruire cette visionaltérée qu’il a de lui-même. Il a dû s’habituerà prendre de la distance face aux progrèsphysiques des autres athlètes, que ce soitses proches où des influenceurs derrière unécran.Par rapport à ces derniers, Loris reste lucide:«Il faut penser que c’est leur boulot,qu’ils font ça toute la journée. Ils n’ont pasde travail ou d’ études à côté, ils sont suivispar des médecins, des diététicien·ne·s etmême par des coachs sportifs. Toute leurvie est dédiée à leur physique.» Une dévotionqui ne peut pas être du ressort de monsieur-tout-le-monde.Loris rappelle qu’il ya des prédispositions génétiques à prendreen compte mais que l’honnêteté joue égalementun rôle important. Une prise de médicaments,du dopage, un montage photoshopou encore de la chirurgie esthétique, qui saitce qui se cache vraiment derrière une photoqui semble parfaite? Loris aime à rappelerqu’il est souhaitable d’essayer de rester connectéà la réalité le plus possible, et surtoutde rester humain.Le conseil de Maxime: normaliserLe Robert définit le verbe "normaliser" parfaire devenir ou redevenir normal. Maximeest également concerné par la pathologie etconfie que c’est un sujet qu'iel a déjà abordéavec sa psychologue.À la demande de ce qu’un proche a la possibilitéde faire ou dire pour faciliter la viede quelqu’un souffrant de dysmorphie corporelle,Maxime conseille d’éviter les commentairessur le physique, les complimentsy compris. Iel développe en nous rappelantque, malgré une bonne intention, un complimentpeut provoquer un sentiment demal-être. «Je n'aime pas recevoir de commentairessur mon corps, surtout que généralementça ne va pas dans le bon sens. Ceque les gens pensent être un compliment cen’est pas du tout quelque chose que je veux»,explique Maxime. Iel propose donc de concentrerles compliments sur la personnalitéainsi que sur les aspects physiques contrôlablestels que le style vestimentaire. Maximeavise également les proches de personnessouffrant de dysmorphie corporelle à faire lapart des choses. Les patient.es ne cherchentpas toujours des conseils et veulent parfoisjuste exprimer leur frustration.Pour les gens qui ont de la peine à apprécierleur corps, les conseils de Maxime sont:«Passer du temps à poil et avoir un max demiroirs. Cela peut contribuer à banaliserson propre corps et à le reconnaître pour cequ’il est. »Le cas des modifications corporellesSpectrum a interrogé Loris et Maxime sur lachirurgie esthétique et l’aide qu’elle pourraitapporter dans un cas de dysmorphie corporelle.Tous deux ont répondu qu’ils n’y voyaientpas une solution pour eux personnellement.Ils y voient tout de même du potentieldans un cas où le patient reconnaîtrait leslimites de cette possibilité. Loris mentionnele risque de création d’un cercle vicieux :«Ça peut être bénéfique jusqu'à un certainpoint mais ce n'est pas la solution. La premièrechose à faire c'est de travailler sur sonesprit», précise-t-il. Maxime rappelle que denos jours l’aspect potentiellement traumatisantdes opérations chirurgicales a tendanceà être oublié: «Banaliser, glorifier mais aussicapitaliser sur des opérations chirurgicalespour en faire des modes… C’est vraimentmalsain.» soupire-t-iel.Les piercings et autres tatouages devenantde plus en plus communs dans la sociétécontemporaine occidentale, il peut êtresage de se rappeler que des moyens moinsradicaux existent pour se réapproprier soncorps. C’est la liberté de chacun.e que dechoisir les moyens de cette réappropriation...PRessourcesN’oubliez pas cher.e.s lecteur.rice.s que le conseil psychologiqueaux étudiant.e.s se porte à votredisposition via l’adresse e-mailconseilpsychologique@unifr.ch .Vous trouverez plus d’informationssur le site de l’UNIFR sous les onglets“organisations” et “conseil psychologiqueaux étudiant.e.s”.La dysmorphie corporelle est à différencierde la dysphorie de genre,commune aux personnes dont l’identitésexuelle n’est pas cisgenre. Elledécrit la détresse et l’inadéquationqu’une personne peut ressentir entreson identité de genre et le genreassigné à la naissance. L ’AmericanPsychiatric Association (APA) insistesur le fait que la non-conformité degenre n’est pas un trouble mental.Elle peut être cela dit caractériséepar une souffrance clinique significative,ce qui lui donne de la pertinencedans l'étude des psychopathologies.12.21spectrum19