Spectrum_06_2021
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DOSSIER
Texte et Photo Alison Eugénie Bender
Donner son corps, l’ultime soutien
à la médecine
Les études de médecine, la formation continue des
médecins ou encore la recherche ont un point commun
essentiel : le besoin de véritables modèles anatomiques
humains grâce au don du corps. Enquête…
a demande en corps ne peut être satisfaite
que grâce à une forme ultime du
L
don de soi : offrir son corps en toute confiance
à une université. C’est une décision
purement personnelle – la famille ne peut
décider seule de donner un corps - qui est
nécessairement prise avant la mort. Cela nécessite
de remplir un formulaire détaillé sur
les possibilités d’usage du corps. La décision
peut évidemment être annulée à tout moment:
« Certaines conditions doivent être
remplies au-delà de l’accord du donneur ou
de la donneuse » nous explique le Prof. Luis
Filgueira, responsable de l’Anatomie à l’Université
de Fribourg : « la personne ne doit
pas être décédée d’une maladie contagieuse,
ni avoir subi d’opération lourde ou avoir
moins de 40 ans. Enfin, le don accepté, les
familles voulant récupérer les cendres doivent
attendre jusqu’à trois ans. »
En temps normal, le don vise une seule
université. Les corps donnés à l’Université
de Fribourg restent presque tous sur place
mais il arrive que certains subissent des procédures
dans d’autres universités avant de
revenir à Fribourg.
Étudier la médecine grâce à des personnes
décédées
Au-delà du don, il y a l’étude au plus près de
ces corps qui naturellement émeut: « Les
étudiant·e·s suivent un après-midi introductif
avant de voir les corps, incluant des
cours spéciaux et une séance de deux heures
avec des étudiant·e·s plus avancé·e·s ». Et
Prof. Filgueira d’ajouter : « j’aime dire aux
étudiant·e·s que ces personnes sont leurs
premier·ère·s patient·e·s. »
Jérémias, étudiant en 3ème année de médecine,
confirme l’importance de ces travaux
pratiques : « C’est vraiment utile, bien que
plus difficile que les autres cours, pour avoir
une vue d’ensemble du corps humain. Nous
sommes par groupe de dix étudiant·e·s par
corps - le groupe et le corps ayant été assignés
restant toujours les mêmes – et nous
l’étudions deux fois trois heures par semaine
en variant les régions anatomiques. Il est
aussi possible d’aller voir les autres groupes
pour observer les différences entre femmes
et hommes, l’impact de différentes maladies
ou l’anatomie de personnes d’âges différents.
Grâce à ces gens, j’ai pu par exemple
m’exercer à faire des sutures, et rien que
cela me rassure pour ma pratique future.
Pendant le début de mes études, c’était sans
aucun doute le cours le plus intéressant, le
plus passionnant et le plus utile. »
Il partage aussi l’impact émotionnel de tels
cours : « C’est bien sûr difficile, en particulier
au début. Mais ce que je trouve vraiment
bien fait c’est que nous sommes confronté·e·s
progressivement au corps ; nous commençons
toujours par étudier le dos, ne
voyant le visage qu’après plusieurs semaines
de cours. »
Un accompagnement religieux
Chaque année il y a une cérémonie œcuménique
ouverte aux membres des familles
et de la Faculté pour remercier les donneur·euse·s.
Les cendres n’étant pas systématiquement
réclamées, celles-ci sont
inhumées dans le mémorial commun de
l’Anatomie au cimetière St. Léonard de Fribourg:
« La cérémonie est une bonne occasion
pour remercier ces personnes » poursuit
Jérémias : « nous ne connaissons pas le
nom des individus, mais je ne les oublierai
jamais ; par exemple, je n’oublierai jamais la
couleur du vernis à ongles de la femme sur
laquelle mon groupe a étudié. Ce ne sont pas
des mauvais souvenirs, absolument pas, mais
pour moi c’est un lien très spécial et fort, difficile
à comprendre et à expliquer. » P
Le cas particulier des fœtus
Certains corps conservés actuellement
au bâtiment d’anatomie sont
ceux de fœtus. Ceux-ci ont plus de
cinquante ans, car il n’est plus possible
de recevoir de tels dons de
nos jours. Or, à l’époque, les fœtus
ou mort-nés non baptisés n’avaient
pas réellement de statut, et parfois
l’enfant était donné par les parents
à la médecine ou étaient conservés
au domicile familial. Un cas de
conservation artisanale a été découvert
récemment à Fribourg dans une
maison devant être rénovée : le fœtus
était entreposé avec soin dans
un pot de confiture rempli d’alcool.
Après investigation de la police, il a
été confirmé que le corps datait effectivement
de l’époque où de telles
pratiques étaient relativement courantes
et a pu donc être confié à la
médecine.
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