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Vente Christie's - 27 juin 2018

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LA STATUE FANG GUILLAUME-MATISSE

Commentaire de Louis Perrois

Issue du fonds du célèbre marchand Paul

Guillaume dans les années trente, voilà une

fgure d’ancêtre qui est la quintessence du

génie sculptural des Fang-Beti de l’Afrique

équatoriale atlantique. Connue depuis déjà

longtemps, elle fut acquise en juin 2006 chez

Sotheby’s Paris par les Durand-Dessert ; elle

complète à merveille l’ensemble rare et de qualité

rassemblé par ces amateurs éclairés férus de

pièces africaines exceptionnelles au pedigree

prestigieux. Jean-Louis Paudrat, le rédacteur du

catalogue écrit : « Cette figure par la symbiose

plastiquement réussie entre des référents que tout

devrait opposer : ‘petit homme et animal’, ‘enfant

et vieillard’, constitue pour les Durand-Dessert le

modèle de cette unité perdue que l’art a le pouvoir

de faire resurgir » (Catalogue, 2008, p. 12).

Concernant ces remarques sur les ressemblances

immédiates entre la morphologie globale de

l’efigie et certains éléments de contexte, plus

ou moins fantasmés, elles relèvent en fait de

l’étonnement des Occidentaux par rapport à la

surprenante liberté d’expression des sculpteurs

africains et notamment Fang, qui n’ont pas hésité

à transposer les rapports de volumes des corps

représentés. On peut en efet, dans la posture

majestueuse de l’ancêtre, avec ses épaules

larges et imposantes et sa tête volumineuse,

décorée d’une coife à grosses tresses, au visage

marqué d’un nez très aplati, mais aussi ses

avant-bras démesurés avec les mains posées

sur le haut des cuisses, et ses mollets massifs,

penser à quelque réminiscence animale, celle

du fameux gorille au « dos argenté » si présent

dans ces contrées. Personnellement, je ne pense

pas que ce lien d’ordre iconographique soit

pertinent dans l’aire beti-fang, compte tenu des

traditions orales connues, alors qu’il l’est chez

les Kota, comme par exemple pour les masques

‘emboli’ de la région de Makokou-Mékambo,

une représentation d’un esprit de la forêt

spécialement craint et célébré lors des initiations.

Les proportions éclatées des statues Fang

Comme je l’ai mentionné par ailleurs dans diverses

publications à propos des arts du Gabon, j’ai

mené une recherche doctorale approfondie à

propos de la statuaire des Fang dont les résultats

ont été publiés en 1972 « La statuaire des Fañ,

Gabon ». « Un des éléments déterminants de

l’analyse, appelée ‘analyse ethno-morphologique’,

a été l’étude des proportions relatives des

principaux volumes des éléments du corps

représenté (la tête, le tronc, les jambes) comme

caractéristique différentielle des styles et variantes

identifés. Dès les années 60, plusieurs auteurs

avaient réféchi à la question des « proportions

africaines » des représentations sculptées,

tels que Hans Himmelheber (« Negerkunst

und Negerkunstler », Braunschweig, 1960),

174

Margaret Plass ou William Fagg (« African

Sculpture.An Anthology », London, 1964). Plus

tard, on trouvera un long développement sur

ce même thème dans l’ouvrage « L’art africain »

de Jacques Kerchache, Lucien Stéphan et

Jean-Louis Paudrat (Mazenod, Paris 1988) ».

Le philosophe Lucien Stéphan en efet

discute dans cet ouvrage (p. 111-113) des «

représentations des proportions et proportions

de la représentation », en évoquant ce qui

diférencie la sculpture africaine, aux formes

souvent étonnantes voire choquantes à nos yeux

d’Européens, de la sculpture classique occidentale

(notamment des Grecs et des Romains), vouée

au naturalisme. A propos de la statuaire Fang

d’ailleurs, l’auteur revient longuement sur

le concept de « païdomorphisme », à savoir

le caractère apparemment « infantile » des

proportions des efigies, qui doit être disjoint des

présupposés naturalistes. Beaucoup de statues

Fang de référence, dont celle-ci 44 cm, avec sa

tête particulièrement importante et prégnante d’un

ancêtre du byeri, incite à revenir sur cette notion.

L’efigie évoque par ses proportions irréalistes la

représentation d’un corps d’enfant [ôyôm ô mon]

(tête volumineuse et jambes de volume trapu

au niveau des cuisses et des mollets) alors que

le thème traité est celui d’un ancêtre, c’est-àdire,

un vieillard, qui après avoir été un guerrier

puissant est devenu un chef respecté et craint. A

noter qu’aucun de mes informateurs fang, lors de

mes enquêtes de terrain de 1966 à 1970, ne m’a

Proportions relatives des trois éléments du corps

du Fang Durand-Dessert, 44.5 cm, la tête, le tronc,

les membres inférieurs : on note que dans un schéma

« longiforme » (épaules larges mais tronc allongé),

la masse de la tête/coife est équivalente à celle des

jambes (cuisses, mollets).

évoqué spontanément ce type de ressemblance

de premier niveau. Il ne faut pas oublier que ces

sculptures sont avant tout des ensembles de

signes, des représentations symboliques à mettre

en rapport avec l’enseignement oral des traditions.

« En revanche, que certaines efigies aient des

traits particuliers de vieillard (homme au visage

ridé ou femme aux seins tombants, c’est-à-dire des

ancêtres puissants et expérimentés), de guerrier

viril (à la musculature soigneusement représentée)

ou de femme jeune (aux seins pointus, gage

de fécondité à venir), est reconnu in situ. Il me

semble, quant à moi, que l’importance donnée à

la tête sculptée est plus liée au rôle central des

crânes (ekokwe nlô) dans les rites du byeri qu’à

toute autre considération iconographique ».

Une tête très caractéristique de

la facture Fang classique

La tête de l’ancêtre comporte deux parties

opposées (visage et coife), juchées sur un cou

cylindrique surgissant du tronc allongé. De face,

le visage est d’une grande économie de formes,

avec un ample front arrondi en quart de sphère,

d’une surface parfaitement polie (marqué d’une

discrète scarifcation axiale), et une face creusée

« en cœur » comportant deux arcades sourcilières

arrondies appuyées sur un nez très aplati et large

à sa base, traité en angle (platyrhinien), d’aspect

simiesque. Les yeux sont agrémentés de pupilles

en laiton (clous de tapissier, de tailles légèrement

diférentes). La bouche, très large et aux lèvres

fnes, est projetée en avant, surmontant un

menton en léger retrait, l’ensemble formant un

volume prognathe, entièrement en avant du cou.

La seconde partie, formant les deux tiers de ce

volume, est appuyée sur le cylindre du cou : la

coife, traitée au ras du crâne, est constituée

de trois tresses aplaties, à motif décoratif en

chevrons, qui se déroulent vers l’arrière pour

retomber en oblique sur la nuque. Sur les côtés,

les tempes sont rasées, mettant en valeur les

oreilles arquées au pavillon ouvert vers l’avant.

A noter que celles-ci ne sont pas tout à fait à la

même hauteur, ni de même taille, des deux côtés

des joues. En projection et de profl, on remarque

que les courbes du front et des nattes s’inscrivent

dans un cercle dont le centre est placé juste

derrière l’oreille. La tête paraît donc globalement

sphérique et stylisée sans pour autant perdre en

rien son expression réaliste (yeux, nez, bouche).

Quelques détails de sculpture

Cou, torse et dos

Ce byeri présente un torse, un abdomen et

un dos particulièrement bien traités selon

un modelé d’une rare maîtrise de sculpture,

évoquant d’une certaine façon une facture digne

des plus belles antiquités méditerranéennes. Le

cou cylindrique est épais et puissant, marqué

PHOTO : HUGHES DUBOIS

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