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Vente Christie's - 27 juin 2018

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Fig. 1. Vue de l’exposition Ancêtres M’bembé, Galerie Hélène Kamer, 1974.

L'Odyssée de la figure Mbembe des Durand-Dessert : du Nigéria

au XVII e siècle jusqu'au Metropolitan Museum of Art de New York

Sculptée probablement entre les XVII e et XVIII e siècles et comptant parmi

les plus anciennes et les plus spectaculaires sculptures en bois provenant

d'Afrique subsaharienne, cette représentation d’un personnage assis était

à l’origine une partie intégrante d’un tambour monumental positionné au

centre d'un village Mbembe au sud-est du Nigeria. Pendant des siècles,

ces tambours à fente – fabriqués à partir de troncs d’arbres évidés – ont

constitué le point central des rituels du village. Ils étaient sculptés à

partir d’un bois dur (afzelia africana) dont les maillures confrment que

cette statue ait servi de sommet de tambour et qu’elle fût sans doute à

l’origine la partie d’une entité plus grande. Ces tambours exposés sur

la place d’un village, et donc victimes des intempéries, ont de ce fait

une surface marquée par l’érosion et les extrémités anthropomorphes

brisées. Vénérés comme des statues d’ancêtres, ces objets ont été

précieusement conservés durant de nombreuses générations. Le

personnage représente vraisemblablement la femme d’un guerrier

légendaire ayant donné naissance au premier descendant mâle du clan

à l’origine du lignage. La surface érodée renforce l'aspect archaïque

émanant de cette statue. L’érosion a donné lieu aux rainures profondes

qui défnissent l’esthétique globale, ce qui a lentement renforcé la

qualité de la fgure. Malgré ce processus d’usure, une grande partie des

détails de la surface est restée intacte : les yeux, le nez, la bouche restent

lisibles et le visage refète une expression d’introspection contemplative.

Paradoxalement, la longue exposition aux intempéries semble avoir d’une

certaine façon changé la fgure, de sorte que son essence soit révélée.

L’expression du visage est d’une douceur sereine, sans

faiblesse et sans faille, comme seule une force infnie peut la

conférer ; la tête est d’une harmonie exceptionnelle : elle est

auréolée d’une coife en léger relief, qui dessine un triangle

au sommet du front, d’où elle part en deux courbes élégantes

qui viennent rejoindre les maxillaires ; elles s’achèvent là

avec, comme deux points d’orgue, la forme ovoïde des

oreilles placées bas, à la racine du cou, avec une inclinaison

juste et parfaite, car la tête est légèrement relevée, dans

une position d’oraison. En vertu d’un phénomène analogue

à celui que l’on n’observe d’ordinaire que pour les bronzes,

l’érosion semble avoir protégé la surface en réalisant

avec le bois fossilisé une sorte d’alliage qui a la beauté

sensible et vibrante d’une peau parcheminée ; attaquant

en revanche les parties tendres, elle fait apparaître les

strates du bois ; elle réalise ainsi le miracle d’une véritable

osmose entre l’enveloppe, la surface, la peau ravinée et

l’intérieur même du corps ; la sculpture est devenue un être

de chair auquel les dieux ont insuflé une âme : véritable

émanation du tambour, jusque dans sa posture médiative,

son regard de Sphinx porte au loin, là ou porte le son…

Liliane et Michel Durand-Dessert

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