Vente Christie's - 27 juin 2018
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Provenant d’un autre site de leur préférence, la
zone frontalière de l’ouest ivoirien, entre autres
masques et statues, ils se procurent en 2006
deux œuvres relevant de registres esthétiques
totalement dissemblables. Ayant appartenu
auparavant à Jaques Kerchache puis à Baudoin
de Grunne, un grand masque du Koma Maou
dont le visage aux traits accentués, les divers
réceptacles à ingrédients magiques qui
l‘enserrent et le bandeau retenant la masse de
plumes qui le coife sont recouverts d’une gangue
croûteuse. À l’opposé, par la perfection de sa
facture, « ne témoignant de rien d’autre que de sa
beauté », une statue féminine Dan appartenant
au corpus des œuvres attribuées au maître
sculpteur Zlan.
À l’exception d’une statue de l’ancienne collection
Harter achetée en 1991, la sculpture Dogon, avec
huit exemplaires que leur iconographie distingue,
n’est entrée que récemment dans la collection.
Du Mali également, revêtu d’une épaisse matière
sacrifcielle, armé d’une gueule à la denture
puissante, hérissé de multiples cornes, l’un de ces
masques-heaumes du komo bamana que l’on a
dit « magnifquement horribles » mais que les
Durand-Dessert se plaisent à décrire comme la
version africaine du dragon asiatique dont on sait
les pouvoirs bénéfques.
Il semblerait que, hormis les « fétiches » Songye
dont ils se sont défaits, estimant l’un deux trop
« sauvage », les seuls témoignages de l’art du
vaste Congo ex-belge se soient limités, avant
2005, au nkonde beembe évoqué
précédemment, à un masque Azandé et à un
autre, songye-luba, à fguration simiesque.
Depuis, en revanche et tel qu’il apparaît ici, la
collection s’est dotée d’une dizaine de sculptures
remarquables : un masque kumu, deux masques
lega taillés respectivement dans l’ivoire et dans le
bois, une statue basikasingo, une autre, tabwa, de
l’ancienne collection Baudoin de Grunne, et
quatre mankishi Songye dont le plus important,
ayant appartenu à Jean Willy Mestach, provient
d’un atelier de la région Eki. Il impose, certes, sa
forte présence, moins « redoutable » cependant,
aux yeux de ses actuels détenteurs, que celle
d’autres statues « magiques » de même origine.
Venant de l’un ou l’autre Congo, deux « fétiches à
clous » s’adjoignent à l’ensemble des « sculptures
accumulatives » : un rare Yombe à double
reliquaire, puissant et rafiné, adjugé à la « Vente
Vérité » et un Dondo-Kamba « tout en rondeurs ».
Concession au goût dominant, pourrait-on croire,
ils font l’acquisition en 2006 d’un sommet de
Liliane et Michel Durand-Dessert avec Joseph Beuys,
Installation Galerie Durand-Dessert (Last space), janvier 1982.
Liliane et Michel Durand-Dessert avec le buste
de la PRÊTRESSE FON, icône de leur collection.
reliquaire Fang au label prestigieux : « ancienne
collection Paul Guillaume – socle Inagaki ». Cette
fgure, par la symbiose plastiquement réussie
entre des référents que tout devrait opposer :
« petit homme et animal », « enfant et vieillard »,
constitue pour les Durand-Dessert le modèle de
cette unité perdue que l’Art a le pouvoir de faire
resurgir.
Achetée quelques mois plus tard, assortie d’un
pedigree non moins éloquent, successivement, et
dès les années 1930, propriété de Charles Ratton,
de Louis Carré et de l’Albright Art Gallery de
Bufalo, commentée autrefois par Carl Einstein,
et, plus récemment, en 1966, objet de la
monographie de Christian Merlo, au titre sans
équivoque, Un chef-d’œuvre d’art nègre : Le Buste
de la prêtresse, une sculpture fon, si l’on en juge
d’après le lieu de sa trouvaille en 1928 – le quartier
Hountondji d’Abomey - et datée, selon l’analyse
de son matériau, du XVII e ou du XVIII e siècle. Ce
buste, vraisemblablement mutilé
intentionnellement peu après son achèvement,
est marqué profondément de l’empreinte du
temps, de sorte que l’érosion ayant fait
disparaître les parties les plus tendres de son
bois, « ses pores qui fgurent à s’y méprendre un
grain de peau d’une subtile fnesse (…) le rendent
vibrant d’une vie naturelle et surnaturelle tout à la
fois ». « Fragments du Vivant », « Fragments du
Sublime », cette œuvre, ainsi que la
représentation du « clairvoyant » dressée à
l’extrémité du tambour Mbembe, sont devenues
les icônes de la collection africaine des
Durand-Dessert.
Lesquels, non sans ferté,
auront accepté l’emprunt
de pièces jugées
indispensables par les
organisateurs de
quelques expositions
majeures de ces dernières
années, « Objetos-Signos
de África » à Saragosse
en 2000, « Bamana » à
Zurich et « Mains de
maîtres » à Bruxelles
l’année suivante, « Arts of
Africa. 7000 ans d’art
africain » à Monaco en
2005 ou « Ubangui » en
2007 à Berg-en-Dal.
Cependant, les œuvres
Vue in situ, détail de l’ensemble de la collection.
prêtées se trouvaient nécessairement privées de la
connexité qu’elles entretenaient au sein de la
collection. Afn de traduire, au-delà des mots dont
ils savent user pourtant avec une rare précision,
leur sensibilité à ces interrelations, les Durand-
Dessert ont élaboré pour ce livre un dispositif de
mise en images visant à faire « ressentir
visuellement ce qui ne peut être didactiquement
expliqué ». Aussi ont-ils conçu analogiquement
aux rythmes et aux rimes qui structurent et
dynamisent les compositions plastiques un mode
d’appréhension qui ne semble avoir eu de
précédent.
Le montage par assonances et brusques ruptures
de ton ne doit pas laisser penser à l’application
d’un procédé séduisant mais dénué de cohérence.
L’évocation succincte des premières séquences
sufit à s’en convaincre. À l’interrogation première,
celle du « regard » qui incite à l’échange ou,
intérieur, intensife l’expression de la concentration
ou encore, portant loin, ouvre aux horizons sans
limites du rêve, de la pensée, de la spiritualité,
succède abruptement l’afirmation, dans sa pleine
tridimensionnalité, du corps sculpté. Un soudain
changement de focale insiste, à la suite, sur le
traitement autonome des torses, tels qu’ils
manifestent puissance, fécondité et beauté. Puis,
subitement, l’attention à d’autres matériaux que le
bois se précise, la pierre taillée et la terre façonnée
invitant aux splendeurs palpables des temps
lointains. Ainsi, par sursauts et rebonds, par
l’usage alterné de plans larges et rapprochés, les
sculptures s’animent et paraissent se répondre.
Près de la moitié des œuvres de la collection
auront été retenues pour cet ouvrage. Photographe
renommé, Hughes Dubois a fxé en quelque deux
cent soixante clichés les images correspondant à
cent soixante-dix sculptures diférentes. Stimulé
par l’originalité du projet, il a exercé tout son talent
à restituer cet univers de formes en mouvement,
de matières vivifées, auquel Liliane et Michel
Durand-Dessert ont voué leur ardente passion.
« Aimer un objet, c’est le « reconnaître » dans tous
les sens du terme ; c’est entrer en résonnance avec
lui au point qu’il devienne un prolongement de
notre corps et de notre conscience. » Qu’ils aient
souhaité partager cette intimité, et faire accéder à
leur vision d’un monde « réenchanté » sous leur
regard, aura permis de saisir l’esprit d’une
collection dont on ne peut douter qu’elle soit
authentiquement, leur œuvre.
(Extrait de l'introduction, Paudrat, J.L., "Fragments du Vivant")
English version at the back of the catalogue
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