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LE TOUR DU MONDE. 71
les rues de Pékin des vieillards impotents, trop pauvres
pour louer des chaises à porteur, qui sont assis dans
des charrettes à bras traînées par leurs petits-enfants :
sur leur passage, ils reçoivent les hommages de tous les
jeunes gens, qui cessent leurs jeux ou leurs travaux
pour prendre une attitude respectueuse. Le gouvernement
est le premier à encourager ces sentiments, en
donnant des robes jaunes aux vieillards d'un âge trèsavancé.
La robe jaune (on sait que cette couleur est réservée
aux membres de la famille impériale) est la plus
grande distinction qu'on puisse accorder à un particulier.
A l'âge de soixante et dix ans, tout Chinois est tenu dé
donner un repas et une fête à sa famille et à ses amis:
il est arrivé à l'âge vénérable , et s'il a employé sa vie à
accumuler des richesses, s'il a de nombreux enfants, il
a acquis , suivant l'adage populaire, le comble du bonheur
dont on puisse jouir ici-bas.
Le culte des ancêtres, si répandu, et qui est la religion
du foyer domestique, doit son origine aux mêmes
idées : c'est une chose touchante que cette vénération
pour les aïeux, ce souvenir permanent donné à leur mémoire
,
et cette participation muette qu'on leur accorde
dans les destinées de la famille. Il n'est pas une
cabane, si pauvre qu'elle soit, où les tablettes sur lesquelles
sont gravées les noms des ancêtres , depuis celui
qui passe pour le fondateur de la famille jusqu'au
grand-père défunt, n'occupent la place d'honneur dans
une niche au fond de la chambre. Chez les gens riches,
il y a une pièce réservée, espèce de sanctuaire
domestique, qui contient tous les portraits et les reliques
de famille. Devant un autel richement orné,
près duquel on entretient constamment des lampes allumées,
on vient au temps prescrit par les rites brûler
des parfums, présenter des offrandes et faire des
prostrations. Le chef actuel de la famille ne prendrait
pas une décision importante sans aller méditer dans
Cercueil chinois. — Dessia de Catenacci d'après une peinture chinoise.
le temple des ancêtres qu'il semble ainsi inviter à prendre
leur part des biens et des maux qui arrivent à leurs
descendants.
Au dix-huitième siècle , ce culte et les hommages
rendus à la mémoire de Confucius excitèrent des discussions
entre les missionnaires catholiques. Les uns voulurent
les tolérer comme innocents ,
les autres les condamnèrent
comme idolâtres, et furent appuyés par la
cour de Rome. Ces querelles malheureuses déplurent
au gouvernement chinois qui y vit une preuve d'intolérance,
et ordonna des persécutions contre les chrétiens.
Le culte domestique des ancêtres est d'accord avec les
soins qu'on donne à leurs tombeaux : au mois d'avril on
célèbre la fête du Tchancj-feu ou des morts. Tout le monde,
hommes, femmes, enfants, et jusqu'aux animaux, sont
ornés de petites branches de saule pleureur, symbole de
la douleur et du souvenir; on se rend ensuite aux tombeaux
des aïeux, soigneusement entretenus et décorés
de fleurs pour cette occasion ; on émaille le sol qui les
entoure de découpures en papier doré , on y brûle des
cierges et des bâtons d'encens, et, d'après les traditions,
on dépose tout autour des plateaux et des vases pleins
de mets délicats.
L'étiquette du deuil est rigoureusement observée :
dure trois ans pour un père ou une mère, et pendant cetemps
les mandarins même ne peuvent exercer aucune
fonction publique, ils doivent vivre dans la retraite, ne
rendre aucune visite , et interrompre toute relation officielle.
La couleur la plus généralement adoptée pour
les vêtements de deuil est le blanc.
Durant le séjour de M. et de Mme de Rourboulon à
Pékin, l'empereur Hieu-foung étant mort, le deuil impérial
fut décrété dans toute la Chine. La sévérité de ces
prescriptions est extrême. Aucun homme ne peut se faire
raser la tête pendant quatre-vingt-dix jours; toute réjouissance
de famille est interdite pendant un an et un
il