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LE TOUR DU MONDE. 63
ti'moins, ils sont exposés à recevoir des coups de rotin,
suivant que leur déposition plaît ou ne plait pas; en
général les dépositions les plus longues sont celles qui
plaisent le moins au mandarin ;
car il a une foule d'affaires
à expédier, et son temps ne suffirait pas à les
examiner toutes dans leurs plus petits détails. Aussi la
condamnation ou l'acquittement dépendent-ils des officiers
de justice subalternes qui ont préparé la procédure
d'une manière favorable ou contraire à l'accusé
suivant qu'ils en ont reçu plus ou moins d'argent.
Le droit d'appel existe : le condamné peut en référer
au prétoire de la province et même jusqu'à Pékin à la
cour de cassation, mais les difficultés sont telles, les
chances de succès si minimes, les distances si grandes,
que les affaires criminelles se jugent presque tontes dans
les tribunaux des mandarins chargés de l'administration
locale. On trouve dans la loi chinoise une disposition
qui pourrait être de nature à mitiger les excès de pouvoir
des juges départementaux : les mandarins ne sont
justiciables que de l'empereur et de la cour suprême
pour les délits ordinaires; mais le privilège cesse quand
ils ont commis un des grands crimes spécifiés par le
Gode, tels que rébellion, désertion, parricide, inceste,
lèse-majesté, et même, quand un juge ou le président
d'un prétoire sont convaincus par suite d'appel d'avoir
rendu un arrêt erroné, ils sont condamnés à recevoir un
certain nombre de coups de rotin.
Mais, pour en arriver
là, combien en ont-ils fait distribuer à tort et à
travers ?
Il existe en Chine un grand nombre de lois disséminées
dans les édits impériaux, dans les recueils de
jurisprudence, dans les livres canoniques, mais il n'y a
pas, à vraiment parler, de code civil, ni pénal. Les magistrats
ont la plus complète latitude pour interpréter
la loi qui est d'une grande élasticité, parce qu'elle est
mal définie.
£,e principal recueil de jurisprudence est le livre des
lois de la dynastie des Tsing ; il a été traduit en anglais
sous le titre inexact de Code pénal chinois. Il est divisé
en sept sections : lois générales, civiles, fiscales, actuelles,
militaires, criminelles et lois sur les travaux
publics. A ce livre est annexé un traité de médecine
légale qui a la prétention de déterminer par l'examen
de certains signes physicpies s'il y a eu crime, comment
et dans quelle circonstance le crime a été commis. Ainsi
un noyé qui a été tué ou étouffé, avant d'être jeté à
l'eau, doit avoir la plante des pieds entièrement décolorée
et l'écume à la bouche, sinon la mort a été volontaire
ou accidentelle; il y a aussi un moyen, grâce à
certaines préparations pharmaceutiques, de faire reparaître
sur un cadavre les coups et les blessures qui ont
amené la mort. Le but de ce traité, où on trouve beaucoup
de fables au milieu d'observations ingénieuses, est
de remplacer les autopsies auxquelles répugnent extrêmement
les mœurs chinoises.
Quelques-unes des lois contenues dans le recueil des
Tsing méritent d'êh'e citées : la loi sur la trahison est
atroce. Est coupable de trahison tout individu qui a
trempé dans un complot ayant pour but de troubler
l'État, et d'attenter à la personne ou à la propriété du
souverain. Le coupable est condamné à subir la mort
lente, c'est-à-dire aux plus affreux supplices. Tous ses
parents mâles jusqu'au troisième degré doivent avoir
la tête tranchée. Tous les individus convaincus de connivence,
soit en ne dénonçant pas l'inculpé, soit en approuvant
ses tentatives criminelles, sont frappés de la même
peine. Ainsi la loi chinoise prescrit la destruction de
toute la famille dont un des membres s'est rendu coupable
du crime de haute trahison, et, de plus, elle
admet la complicité morale avec toutes ses conséquences
effroyables puisque l'approbation même tacite est considérée
comme im crime.
Une loi étrange, est celle qui rend responsable tout
propriétaire d'un terrain où est trouvé un cadavre : en
pareil cas, il doit une indemnité à la famille de la \ic
time, qui, si elle n'a pas été satisfaite, peut le traduire
devant le tribunal. Cette loi amène de nombreux abus;
on a vu des mandarins prévaricateurs s'entendre avec des
parents avides pour dépouiller par de longs procès et au
moyen de difficultés juridiques un riche propriétaire
qu'on faisait passer par toutes les frayeurs de la loi criminelle.
Aussi, quand un Chinois veut se venger de
quelqu'un, il ne peut mieux faire que de déposer furtivement
un cadavre la nuit sur son immeuble; on a
même vu des gens aller se tuer par vengeance dans
le jardin, dans la maison, dans la chambre de leur
ennemi.
Une autre loi plus rationnelle rend responsable le
maître de la mort de ses serviteurs : si un de vos domestiques
est mort, vous devez prouver qu'il a été bien soigné,
bien nourri, et qu'aucune brutalité, ni aucune
négligence n'a causé son décès.
Tout coupable qui avoue a droit à une réduction de
peine. Un conluma£equi livre son complice plus criminel
que lui est gracié.
Parmi un grand nombre d'autres lois, telles que
celles contre les solliciteurs d'emploi, contre les concurrences
déloyales , contre les marchands qui vendent
à faux poids , les lois relatives au mariage , au respect
des vieillards , les unes sont empreintes d'une cruauté
excessive, d'autres sont bizarres, il y en a enfin d'ingénieuses
et de libérales , mais tous ces détails spéciaux
nous entraîneraient bien au delà du cadre de ce recueil :
disons seulement qu'on trouve dans le Code chinois les
circonstances atténuantes, la non-rétroactivité , le droit
de grâce du souverain, le droit d'appel aussi étendu que
possible. Il est vrai que tout cela est mal combiné, mal
appliqué, et a dégénéré par suite du relâchement de la
centrahsation administrative en une réelle tyrannie et
une prévarication sans pudeur de la part des magistrats
chargés de la justice. L'autorité ayant perdu sa force,
le peuple vit comme il l'entend , sans se préoccuper des
lois que les magistrats appliquent suivant leur caprice.
Voilà où en est réellement arrivée de notre temps la
savante organisation judiciaire des Chinois ,
qui a été
beaucoup trop préconisée,