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62 LE TOUR DU MONDE.
fumer leur pipe, tandis que la prière tournante intercède
pour eux. Ceux-là, qui sont plus vastes et plus compliqués,
sont mis en mouvement par le vt-nl, et même par
des chutes d'eau.
« En visitant le cimetière, je fus frappé de la forme
des tombes qui simulent des pyramides renversées;
voici l'explication qu'on m'en donna : Quand un Lonze
est mort, on l'enterre assis, c'est-à-dire qu'on fait prendre
au cadavre la posture dans laquelle le vivant se
mettait en prière, les jambes repliées, les mains jointes
et la tête pencbée sur la poitrine. Le cadavre ainsi
disposé est mis dans une grande jarre de ferre sur laquelle
on en place une autre de même dimension, mais
lenversée, pour servir de couvercle; le tout est herméliquement
fermé par une maçonnerie en briques de la
hauteur des jarres.
La veille de mon départ, je fus invité à un grand
dineroùje fus tiès-étonné, quoique la règle du Bouddha
établisse l'abstention de tout aliment qui ail eu vie ainsi
que de l'ail et de l'huile, de voir servir des poulets, du
porc rôti, des ragoûts de mouton, du poisson et des nids
d'hirondelles. Mais tous ces plats succulents n'étaient
que des imitations, destinées à plaire aux yeux plutôt
qu'au palais, et que le frère cuisinier était arrivé à produire
par un miracle de l'art culinaire : ces prétendus
plats de viande ne contenaient que des purées de pois,
de fèves et d'autres légumes farineux cuits dans un
moule qui leur avait donné la forme voulue, et recouvertes
au moyen du four de campagne d'une croûte
dorée et appétissante. Des fruits, des confitures, des gâteaux
de farine d'orge sans levain et de l'eau-de-vie de
riz complétaient le repas, auquel j'ajoutai deux bouteilles
de chartreuse qui furent très-bien reçues par les
bonzes.
« La bonzerie de Ho-klcn me confirme dans l'idée que
j'avais déjà conçue des prêtres du Bouddha : c'est qu'ils
sortent tous des classes les plus inférieures de la société
où ils se recrutent parmi les enfants abandonnés ou
vendus par leurs parents, qu'ils sont affreusement sales
et débauchés, et qu'enfin ils n'ont aucune influence ni
crédit parmi le peuple qui les confond tous dans le même
mépris. Gela donne beau jeu îi nos missionnaires, dont
la religion est basée sur une morale plus pure, et qui,
malgré la résistance des mandarins de province, balancent,
aux applaudissements des administrés, les excès du
despotisme des administrateurs,
LA JUSTICE ET L.i POLICE.
Administration judiciaire. — Tribunaux des préfets. — Le droit
d'appel. — Le Code pénal. — Le livre de médecine lég.ile.
Application de la pénalité. — Supplices.
11 y a en Chine nn rapport immédiat entre l'application
pénale de la justice et l'organisation de la famille.
Si l'empereur est le père et la mère de ses sujets, les
magistrats qui le représentent à tous les degrés sont
aussi le père et la mère de leurs administrés. Tout attentat
contre l'autorité est un attentat contre la famille.
L'impiété, un des plus grands crimes prévus et ré|U'iini''s
i
par la loi, n'est autre chose que le mancjue de respect
aux parents, ^'oici comment le Code pénal a défini l'impiété
: Est impie qui insulte ses proches pai-enls, qui leur
intente procès, qui ne porte pas leur deuil, qui ne respecte
pas leur mémoire, qui manque aux soins dus à
ceux à qui il doit l'existence, de qui il tient l'éducation
ou dont il a clé protégé et secouru. Les peines encourues
pour le crime d'impiété sont terribles; nous en parlerons
plus tard.
En transportant ainsi le sentiment de la famille dans
le domaine politique, les législateurs chinois ont créé
une machine gouvernementale d'une force prodigieuse,
qui dure depuis trente siècles et que n'ont pu détruire
ni même ébranler sérieusement les nombreuses révolutions
et changements de dynastie, les oppositions de
race entre le nord et le sud, l'immensité territoriale de
l'Empire, l'incrédulité religieuse, et enfin le culte
égoïste des intérêts matériels développés à l'excès par
une civilisation caduque et immobile.
Nous avons cité, dans un chapitre jirécédent, parmi les
cours suprêmes siégeant à Pékin, la cour d'appel ou de
cassation (Ta-li-sse). Après elle viennent les prétoires
de justice qui siègent dans les chefs-lieux de chaque
province,
et qui sont présidés par un magistrat spécial
portant le titre de commissaire de la cour des délits;
un autre magistrat de grade inférieur y remplit les
fonctions d'accusateur public. On trouve ensuite dans
les villes de deuxième et de troisième ordre des tribunaux
inférieurs qui n'ont qu'un seul juge, le mandarin
ou le sous-préfet du département. Les peines appliquées
par ce dernier sont limitées : quand le crime a
mérité un châtiment plus grand, l'accusé est renvoyé
devant le prétoire siégeant au cbef-Iieu de la pfovince ;
si ce tribunal déclare qu'il a encouru la mort , la procédure
doit être expédiée à la cour d'appel de Pékin ;
celle-ci juge en dernier ressort aux assises d'automne.
Aucun triljunal de province n'a donc le droit de prononcer
la peine de mort; toutefois en certains cas, lorsqu'il y
a révolte à main armée, un gouverneur peut être investi
de pouvoirs judiciaires analogues à ceux que confère en
Europe l'état de siège. Enfin, il y a dans toutes les localités
une salle des instructions où le sous-préfet qui
fait sa tournée trimestrielle doit s'informer de tout ce
(jui se passe, juger les différends, et faire un cours de
morale au peuple ; mais cette excellente institution, qui
a une certaine analogie avec nos justices de paix, est
tombée en désuétude par suite du relâchement des
liens gouvernementaux et de l'incurie des mandarins.
Il résulte de cette organisation judiciaire que le souspréfet
est investi de tous les pouvoirs correctionnels
dans le ressort de sa juridiction administrative, état de
choses très-vicieux et qui a enfanté d'énormes abus.
Il n'y a pas d'avocats en Chine, et, comme on le voit,
très-pou de juges : aussi la manière de rendre la justice
est-elle extrêmement sommaire, et les garanties qu'elle
offre à l'accusé à peu près nulles. Les amis ou parents
peuvent, il est vrai, plaider sa cause, mais il faut que
cela convienne au mandarin chef du tribunal. Quant aux