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LE TOUR DU MONDE 51
veilleurs de nuit, car il y en a dans toutes les grandes
maisons de Pékin. Ils ont soin d'accourir dès qu'ils sont
bien sûrs qu'il y a quelqu'un, et alors ils font assaut
de zèle.
« Je riais en moi-même de voir la manière fanfaronne
avec laquelle l'un d'eux agitait ses bras d'un air
terrible, en indiquant les coins obscurs du jardin à
l'autre qui les fouillait tour à tour avec son trident de
fer, comme s'il eût voulu transpercer tous les voleurs.
S'ils en avaient aperçu un, comme ils auraient pris
la fuite !
a Dieu merci, nos veilleurs de la légation, quoiqu'ils
portent à leur ceinture le tam-tam et la crécelle, insignes
de leurs fonctions, n'en font pas usage à leur grand
regret comme leurs confrères de la rue. Ce vacarme
nocturne leur a été expressément défendu, i
La province de Petche-li, dans laquelle se trouve Pékin
et qui est la plus septentrionale delà Chine proprement
dite, se divise en neuf départements dont chacun
a sa ville capitale. Nous avons eu occasion de parcourii
celui dont Tkn-tsin est le chef-lieu ; le département de
Pékin est moins fertile encore; bordé au nord-ouest par
une chaîne de petites montagnes qui le séparent de
Suan-hoa-fou , il ne se compose guère que de grandes
plaines sablonneuses arrosées par les rivières Pei-ho et
li f !(-/io,
dont les vallées seules possèdent une richesse
naturelle. Mais, si la nature a refusé ses dons aux environs
de Pékin, l'industrie humaine en a changé complètement
l'aspect, à force de travail. Les irrigations, les
transports de terre végétale, l'abondance des engrais ont
formé un sol artificiel ; aux environs du village de
Haiien, les empereurs, en bouleversant le terrain à force
de bras, ont placé un paysage pittoresque au milieu
d'une plaine nue et aride : des collines rocailleuses,
de plantureux vallons, des forêts d'arbres magnifiques,
des lacs, des cascades, toutes les créations de l'art secondé
par le temps y ont avantageusement remplacé
la nature.
Ces immenses travaux de terrassements s'étendent à
plus de quarante kilomètres au nord-ouest de Pékin. Au
nord de la capitale, se trouvent des champs de blé, de
sorgho et d'orge; au sud, d'immenses marais et des rivières
alimentées par les eaux du Wcu-ho ; et enfin,
c'est à l'est que vient aboutir la chaussée de Pa-li-kiao,
sur laquelle est assise la ville de Tong-cheou, que nous
avons décrite précédemment.
Quand on débouche de la capitale par la porte de Piiitse,
on se trouve sur la grande roule du nord-ouest qui
conduit aux ruines du Palais d'été. Au pied des murailles,
une enceinte plantée de grands arbres renferme
l'ancien cimetière portugais , où ont été déposés les
corps des victimes de l'attentat de Tong-cheou et du
général Colliueau.
A quelques kilomètresplus loin, on rencontre le cime,
tière français, qui contient le monument consacré à lamémoire
des officiers et soldats morts pendant la campagne
de Chine. Rien de plus triste que l'aspect de cette nécropole
! On y arrive par une porte dégradée, entourée
de murs qui tombent en ruine ; un frère catholique,
qui est à la fois gardien du cimetière et maître d'école,
y habite une mauvaise masure entourée d'une haie de
sorghos; derrière s'étend un jardin maraîcher, où de
maigres légumes croissent dii'ficilement au milieu des
gravats et des vieilles pierres moussues qui encombrent
le sol.
Après le potager, viennent les tombes. Elles sont alignées
à une distance égale et toutes construites sur le
même modèle adopté jadis par les missionnaires : ce
sont des carrés égaux coiffés d'une demi-sphère avec un
rebord ; on dirait de vastes chapeaux ronds. Ces pierres
blanches sont lugubres à voir dans la monotonie de leur
forme et dans la régularité de leur position. Devant chaque
tombe, un monolithe dressé sur un socle contient
les inscriptions funéraires. Au loin, par les brèches de
la muraille, on aperçoit au-dessus de la plaine les pics
bleuâtres des montagnes. Le sol du cimetière est recouvert
d'une mousse noire toute desséchée par le soleil;
on n'y voit d'autres arbres que d'humbles mélèzes
nouvellement plantés dans les intervalles des tombes, et
qui végètent à peine dans ce terrain ingrat.
Le monument expiatoire élevé à l'armée française par
les soins du capitaine Bouvier se trouve près de l'entrée :
il est carré, plus haut que large, et très-simplement orné;
une grille en fer en entoure la base et en défend l'approche;
devant est l'aigle impérial, derrière deux épées
en croix avec la Légion d'honneur en sautoir. L'un des
côtés porte cette inscription : a A la mémoire des officiers
et soldats morts pendant la campagne de Chine.
— 1860. » Sur l'autre, on lit les noms des victimes de
l'attentat de Tong-cheou et des officiers tués en combattant.
A quelques pas plus loin, une large pierre tumulaire
est posée à plat sur le sol : c'est là qu'a été transporté
le
corps du lieutenant de Damas, tombé au combat de
Tehang-Kia-ouang.
Il y a une mélancolie saisissante dans cet humble cimetière,
où reposent, à quatre mille lieues de la patrie,
quelques-uns des glorieux enfants de la France. Aucun
bruit n'y rappelle le pays natal, et le nasillement des
écoliers chinois, c[ui répètent leurs leçons, vient seul
en interrompre le morne silence.
Le cimetière français est situé à l'ouest-nord-ouest,
à huit kilomètres de Pékin, dans un vallon aride; plus
loin, en avançant vers le village de Hai-tien, on aperçoit
vers la droite le célèbre temple de la Cloche.
L'architecture religieuse des Chinois ne ressemble en
rien à la nôtre. Nous, cherchant à mettre en harmonie
le mystère imposant dont s'entourent nos cérémonies
sacrées avec l'ensemble d'édifices voués au recueillement
et à la prière, nous personnifions la majesté
de Dieu par des églises grandioses, fermées de toute
part, d'un style grave, un peu sombre et mélancolique.
La dévotion des bouddhistes est moins exigeante, et
s'accommode de constructions analogues à celles des
particuliers. Aussi les Chinois choisissent-ils, pour