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50 LE TOUR DU MONDE.
d'un épais tapis les dalles des escaliers et des avenues;
ces braves gens font dans foutes ces vieilles pierres une
abondante récolte d'excellents champignons qu'ils vont
vendre en ville. C'est, avec le logement et le chauffage,
le
plus clair de leurs appointemenls.
« L'enceinte du temple de l'Agriculture contient en
outre de vastes dépendances : on y voit la plaine, où
chaque année l'empereur et les princes t'e sa famille
viennent, à l'époque des premiers labours du printemps,
préparer de leurs mains augustes une étendue de terrain
déterminée jjar les rites religieux ' ; enfin une des
avenues conduit à des bâtiments abandonnés, entourant
une vaste cour au milieu de laquelle se trouve une tourelle
de dix mètres d'élévation. Jadis les empereurs,
montant sur la terrasse de cet édifice, y sacrifiaient des
brebis au maître du ciel, et les précipitaient la gorge
ouverte sur le parvis de la cour où les devins consultaient
leurs entrailles fumantes. Il y a bien longtemps,
(lit-on, que ces hécatombes sanglantes ont été abandonnées
, cependant on y voit encore les carcasses et
les cendres des victimes.
« Le jour louchait à sa fin, et de nombreuses bandes
de corbeaux, dont les aïeux se nourrissaient sans doute
des restes du sacrifice, et qui ont gardé l'habitude de
nicher dans cette nécropole, arrivaient en croassant se
])ercber sur les corniches : la lune, qui se levait à l'horizon,
blanchissait d'une lueur fantastique les portiques
(le marbre blanc, auxquels les rangs pressés de ces
oiseaux de mort faisaient une couronne funèbre plus
noire que la nuit!
« 11 était temps de rentrer 1 Je savais, par expérience,
qu'il n'est pas commode de circuler dans Pékin
après le coucher du soleil, et je pressai l'allure de mon
cheval, devant lequel courait mon domestique chinois
une lanterne à la main.
« A sept heures du soir, on ferme les portes de la
ville, le gong sonne le couvre-feu, et la garde va occuper
les postes désignés pour la nuit.
" L'avenue du centre présentait un spectacle tout
différent de celui auquel j'avais assisté quelques heures
auparavant : on n'y rencontrait plus que quelques passants
attardés et silencieux, pressant le pas pour regagner
leur logis, et des chiens errants cherchant une
maigre nourriture dans les tas d'immondices.
La police interdit les assemblées nocturnes, qui ne
sont pas du reste dans les mœurs de la population;
deux heures après la tombée de la nuit, tous les habitants
sont couchés, et on ne connaît ni les bals, ni les
concerts, ni les soupers. Les tribunaux, le commerce,
les
opérations financières, les affaires sérieuses s'e.'çpédient
dès le point du jour. A midi tout est terminé.
Le reste de la journée jusqu'à la nuit est consacré au
plaisir. Aux heures où l'on remarque le plus de mouvement
dans les grandes villes d'Europe, celles de
Chine jouissent du calme le plus profond; chacun est
1. J'aurai occa.sion flans un nuire chapitre do donner plus de
détails sur celle cérémonie célchre.
rentré dans sa famille, les boutiques sont fermées, les
lecteurs publics ont terminé leurs séances, les théâtres
ont fini leurs représentations.
» Toutes les ruelles qui viennent déboucher dans
l'avenue du centre étaient déjà fermées par des portes
à claire-voie, que gardait le li-pao chargé de la police
du quartier. Quand on veut rentrer ou sortir, il faut
parlementer avec lui et lui expliquer pourquoi on se
trouve dehors à cette heure indue : quelques sapèques
de gratification sont en général la meilleure explication.
« Il y a un de ces gardes de police attaché à la surveillance
nocturne de chacune des rues de la ville et il est
responsable de ce qui s'y passe ; aussi n'entend - on
presque jamais parler à Pékin de vols avec effraction
et encore moins d'attaques à main armée : il y existe
pourtant un grand nombre de coupeurs de bourse et de
filous d'une adresse étonnante.
' A chaque pas je rencontrais des gardiens de nuit :
ils se promènent en frappant sur un cylindre de bois
(jui produit un son analogue à celui d'une crécelle ; dès
qu'ils entendent du bruit, ou qu'ils voient quelque
chose de suspect, ils ont bien soin de frapper h coups
redoublés sur leur instrument, ce qui veut dire aux
voleurs et aux malintentionnés : Je suis là ! Sauvezvous
I Vous reviendrez un peu plus tard. D'ailleurs,
pour qu'on les voie de plus loin, ils portent une lanterne
allumée à la ceinture.
« Pékin n'est pas éclairé, il est vrai, mais les Chinois
ont une passion inexplicable pour les lanternes;
on ne saurait s'en passer même par
le plus beau clair
de lune. Les porteurs de chaise, les mendiants, les gardiens
de police en sont munis ; les enfants même en 6nt
qui sont proportionnées à leur taille.
« J'ai rencontré, en rentrant dans la ville mongole,
une patrouille de nuit chargée de faire la ronde. L'officier
commandant (jui la précédait à cheval faisait porter
devant lui une énorme lanterne où étaient inscrits son
nom et ses titres; cha([ue homme de la patrouille en
avait une plus jjetite ayant forme de poissons, d'oiseaux,
de chevaux. Toutes ces lumières, s'agitant dans l'obscurité,
et éclairant seulement les jambes des soldats de
police, dont le haut du corps et la tête restaient dans
l'ombre, produisaient l'effet le plus singulier.
« Malheureusement ce spectacle pittoresque fut interrompu
par un vacarme épouvantable, qui me fit
prendre le galop aussitôt : les gardiens de chaque rue
transversale, afin de reconnaître la patrouille et de
prouver qu'ils veillaient, signalaient son passage en
frappant îi tour de bras sur leurs cylindres, et en réponse
les soldats de la patrouille agitaient tous ensemble une
cliquette attachée à leurs bras.
« Ces bruits sont extrêmement incommodes, tant que
l'oreille n'y est pas habituée, et je leur al dû bien des
nuits d'insomnie dans les premiers temps de mon séjour
à Tien-lsin.
c En rentrant à la légation et dès qu'ils ont vu Je la
lumière dans ma chainbi'e, j'ai aptiçu nos deux braves