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46 LK TOUR DU MONDE.
sa lime dont l'autre bout l'tait
mainlenu par un anneau;
il faisait ainsi œuvre de tous ses membres à la fois.
a Le bai-bier était chargé par devant d'une table et
d'un escabeau en bois, auxquels faisait contre -poids par
derrière un lourd bassin en cuivre retenu par trois
cordes, h une desquelles était j)endu un petit tam-tam
annonçant par son tintement continuel sa présence aux
pratiques. Il passait, courbé sous le poids de son bagage !
Un amateur se présente pour se faire raser la tète : en un
clin d'œil le fralcr a iilacé sa table à deux pas du forgeron,
il la cale avec un peu de boue, fait asseoir le patient
sur l'escabeau, la figure tournée vers la forge qui vomit
des étincelles, lui rabat le cou sur son genou en l'empoignant
par sa queue qu'il enroule autour de son poignet,
et, après lui avoir mouillé la tète avec de l'eau tiède, il
lui frotte la nuque à tour de bras ou plutôt de main
pour remplacer le savon absent et lui attendrir l'épidenne,
enfin il tire de sa ceinture un rasoir en fer
non poli qui a l'air d'un sabre, vu sa dimension et sa
forme, et commence l'opération.
" A côté du barbier, un restaurateur ambulant s'est
établi, sans se soucier de ce voisinage compromettant
pour la propreté de sa cuisine qu'il porte suspendue
avec le sac aux provisions h. un long bâton de bambou. 11
allume son fourneau, et annonce avec béatitude qu'il va
ofl'rir au public le thé merveilleux qui donne une longue
vie, les tranches de la pastèque céleste qui inspirent la
sagesse, l'eau -de-vie de sorgho qui donne le courage
aux cœurs faibles, accompagnés de petits poissons et de
gâteaux frits à la graisse, le tout pour le prLx extraordinaire
de vingt sapèques par consommateur.
" Un peu plus loin, l'odorat est désagréablement afi'ecté
par le contenu de hottes portées à dos par deux hommes !
Ils viennent de vider l'intérieur d'une de ces petites
maisonnettes en paille élevées par les soins de l'édilité
sur tous les points poptdeux de la ville. Ces hommes
agitent une sonnette pour avertir de leur présence ; ils
font leur service gratuitement, ce genre d'engrais étant
très-rechcrcbé pour l'agriculture.
<t Une bande de mendiants aveugles, et dans un costume
plus que léger, car ils ont oublié leurs caleçons,
passent en se tenant la main. Des enfants jouent au
Mo7it-de-Picté ; l'un d'eux, qui a orné son nez d'une
énorme paire de lunettes en papier, représente le prêteur
sur gage impitoyable.... Il manie avec dédain les objets
que lui présentent ses camarades, ofl'rc des prix au
rabais, et discute comme un vieux marchand consommé.
Des porteurs d'eau poussent un cri strident, en maintenant
d'une main l'équilibre de leurs seaux suspendus à
un cerceau recourbé, tandis que de l'autre ils s'éventent
avec célérité. Le marteau du forgeron retentit, le tamtam
du barbier tinte continuellcnu'ut, la friture frémit
dans la poêle du restaurateur, les mendiants nasillent
leurs misères, les enfants poussent de joyeux éclats de
rire, la foule trépigne, hurle, se presse, se di'mènel
« Un orateur populaire s'est établi h l'omiu'e d'un
arbre : monlé sur une grosso pierre de taille, il harangue
les passants du haut de cette tribune improvisée; c'est
un aspirant lettré, qui n'a jamais pu se faire recevoir aux
premiers grades, et qui, n'ayant appris aucun métier
manuel, gagne sa vie en récitant les vers des poètes et
les chroniques des sages du temps passé.
« Le Tchou-chou-li ou lecteur public a le privilège
d'attirer la foule autour de lui ; car les Chinois, même
ceux des classes inférieures, ont la passion des choses
littéraires, et quittent volontiers des divertissements
grossiers pour écouter la lecture des passages les plus
intéressants et les plus dramatiqvies de leur histoire
nationale. A l'aspect des physionomies, à l'approbation
qui se manifeste vivement, on comprend tout l'intérêt
que le peuple attache à ces récits historiques. Le Tchouchou-ti
s'arrête, quand il est fatigué, et profite des
enlr'actes pour faire une quête qu'il accompagne, afin
d'exciter ses auditeurs à la générosité, de commentaires
sur la charité et les vertus privées des humbles, sur les
vices et les iniquités des puissants qui oppriment le
monde. Ces esjwces de clubs en plein vent existent partout
en Chine : ils sont tellement passés dans les habitudes
que la police ne songe pas à y mettre olistac'lc.
Voilà qui est singulier dans un pays où le despotisme
a jeté de si profondes racines !
« L'Avenue du Centre ne présente pas un spectacle
aussi animé dans tout son parcours. Dès qu'on passe le
carrefour qu'elle forme avec l'Avenue de Cha-Coua, les
maisons deviennent plus rares et la foule moins nombreuse.
A la hauteur des dernières habitations se trouve
un pont suspendu jeté à une certaine hauteur et qui
fait communiquer ensemble deux rues parallèles. Ce
pont est solidement construit en pierre et en bois.
Je descendis de cheval, et je montai les doux long?
escaliers qui conduisent au sommet pour jouir de la
perspective de l'Avenue du Centre qu'il sépare à peu près
en deux parties égales.
« La première, qui s'étend jusqu'à la porte de Tien,
était celle que je venais de parcourir; c'est le centre le
plus populeux de la Ville Chinoise. L'autre, qui passe
entre les deux enceintes des temples du Ciel et de
l'Agriculture, va aboutir à l'extrémité méridionale des
remparts près de la porte de loung-Ung; elle est presque
inhabitée, ou du moins, si quelques maisons bordent
l'avenue, des champs cultivés s'étendent autour.
Du haut de ce pont, on aperçoit, au-dessus des grandes
futaies de leurs parcs, les coupoles rondes des deux
temples, et à droite et à gauche de vastes plaines plantées
en sorgho, en maïs, et en blé ; des maisonnettes de
paysans, les clochetons de quelques pagodes, et les minarets
du cimetière mulsuman varient un peu la monotonie
du point de vue que bordent à l'horizon comme
un rideau sombre les hautes murailles de la ville.
<x Un industriel d'un nouveau genre s'était établi
avec son attirail au pied du parapet du pont : c'était un
diseur de bonne aventure. Il était assis devant une table,
aux deux bouts de laquelle étaient des lanternes allumées
quoiqu'il fil jilein jour, profusion de lumière dont je n'eus
pas l'occasion de m'expliquer le motif, car il ne le savait
pas lui-môme; tel était l'usage, à ce qu'il m'assura!