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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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LE TOUR DU MONDE. 43

virons de Pékin, qui avaient été arrêtés tout récemment,

et dont l'exécuiion remontait seulement à la veille de

notre promenade. On avait fabriqué des cages neuves

pour l'e.xposition de ces tètes humaines qui, n'ayant

subi aucune atteinte de décomposition, n'e.vbalaient encore

aucune odeur fétide.

« Quelques jours auparavant, à ce qu'on m'a raconti'

depuis, un des jeunes gens de la Légation avait passé par

ce carrefour, et avait été obligé de fuir devant l'odeur

empestée qui s'échappait des débris humains en putréfaction!

Les cages pourries s'étaient disloquées et disjointes.

Quelques têtes pendaient accrochées aux barreaux

par leur longues queues , d'autres étaient tombées

à terre au pied des mâts.

,

<r Tel est l'usage impitoyable de la loi chinoise, indigne

d'un peuple aussi avancé en civilisation. Mais ces

barbares coutumes remontent aux temps les plus éloignés:

elles sont passées dans les mœurs, et les Chinois

vaquent tran([uillement à leurs affaires

au moment des

exécutions. Tandis que nous fuyions ce sinistre spectacle,

la foule affairée des acheteurs et des revendeurs criait,

se disputait, marchandait, sans même daigner jeter un

coup d'œil à ces têtes de mort suspendues au-dessus

des leurs.

« Je respirai enfin quand nous eûmes mis quelques

centaines de pas entre nous et le carrefour des exécutions.

« J'avais hâte, toutefois, de rentrer à la Légation, et

nous tournâmes à gauche pour éviter de faire un grand

détour, en allant rejoindre la Grande Avenue du milieu

de la Ville Chinoise par le carrefour qu'elle forme avec

celle de Cha-Coua, dans laquelle nous nous trouvions.

« Cette rue, dont j'ai oublié le nom, va aboutir à la

Grande Avenue, près de la porte de Tien-Men, mais elle

est tellement étroite, tellement encombrée de gens et

d'animaux, et elle fait tant de détours, que nous mîmes

beaucoup plus longtemps à la parcourir, que si nous

avions suivi tout droit par les avenues.

o: A moins d'avoir du temps à perdre et de vouloir

faire un voyage de découverte, ce qu'il y a de mieux à

Pékin , c'est de ne pas quitter les larges chaussées qui

sillonnent la ville aux quatre points cardinaux. Dans le

cas contraire, on sait quand on part, m,ais on ne peut

jamais prévoir cjuand on arrivera.

« La rue que nous venions de prendre, et rpie j'appellerai

la rue des Birabeloliers ou des Libraires, à cause

du genre de commerce auquel se livrent ses habitants,

est une de celles où la circulation est le plus difficile : à

chaque pas, nous rencontrions des processions, des mariages,

des enterrements, une foule pressée de badauds

entourant des faiseurs de tours, des sorciers, des médecins

ou des revendeurs au rabais.

« Les maisons, à un seul étage, sont toutes formées d'un

magasin avec une arrière-pièce servant de logement; on y

voit des livres empilés dans des rayons ou à terre, des

estampes pendues au plafond, des peintures et des cartes

de géographie en rouleaux , des caricatures et des affiches

collées au châssis de la devanture; dans ces boutiques

de libraires, on vend et on loue des journaux,

entre autres la Gazelle de Pékin; dans cpielques-unes

on remarque à la place d'honneur de vieux livres coloriés

ou des peintures sur feuilles d'arbres; ces peintures

qui sont toujours d'un prix très-élevé, s'obtiennent,

en faisant macérer les feuilles pour en enlever la partie

compacte, après quoi on les couvre d'un enduit en poussière

de talc, et, quand le tout est bien séché et bien

homogène, on y trace des dessins colorés d'une manière

très-vive et très-agréable à l'œil.

i Les boutiques de bimbelotiers et de merciers exposent

des verroteries, des petits bijoux, des boutons,

des épingles, des bracelets en jade, delà mercerie et

tous les objets à bon marché rpii servent aux gens du

peuple.

« Mais C[uelle est cette bruyante musique qui se fait

entendre? Ce charivari de flûtes, de trompes, de tamtams

et d'instruments à cordes a lieu pour célébrer les

funérailles d'un des plus riches marchands du quartier!

ï Voici sa porte devant laquelle l'administration des

pompes funèbres (il y en a une à Pékin) a établi un arc

de triomphe avec une carcasse de bois, recouverte de

vieilles nattes et de pièces d'étoffes. La famille a installé

les musiciens à la porte pour annoncer sa douleur, en

écorcbant les oreilles des passants.

« Nous pressons le ))as pour ne pas nous trouver arrêtés

au milieu de l'interminable cortège d'un enterrement

: le plus beau jour de la vie d'un Chinois, c'est le

jour de sa mort ; il économise, il se prive de toutes les

aisances de la vie, il travaille sans repos ni trêve pour

avoir un bel enterrement.

« Nous ne sortirons pas de celle maudite rue ! Voici

un grand rassemblement qui nous barre le passage: on

vient de placarder des affiches à la porte du chef de la

police du quartier; on les lit à haute voix, on les déclame

sur un ton ampoulé, pendant que mille commentaires,

plus satiriques, plus impitoyables que le texte, se

produisent au milieu des éclats de rire.

1 Qu'a fait ce malheureux pour provoquer la vindicte

populaire '?

« Cette liberté de la moquerie, de la pasquinade, de

la caricature, appliquée aux mandarins et aux dépositaires

de l'autorité est un des côtés les plus originaux

des mœurs chinoises; dans ce pays où un magistrat quelconque

dispose si facilement de la vie de ses administrés,

sous un prétexte de haute trahison ou de lèse-majesté,

il lui est impossible de se soustraire à la satire populaire,

qui le poursuit jusque dans sa maison, dans ses

habitudes , dans son costume , dans ses mœurs.

a En Chine, on est libre d'imprimer et d'écrire ce que

l'on veut; beaucoup de gens ont chez eux des presses

mobiles, dont ils ne se font pas faute défaire usage,

quand ils en veulent à quelque fonctionnaire. Les rues

sont littéralement tapissées d'affiches, de réclames, de

sentences philosophiques. Un poète a-t-il rêvé la nuit

quelque strophe fantastique, vite il l'imprime, en gros

caractères, sur du )}apier bleu ou rouge, et il l'expose

.'i sa porte, c'est un moyen ingénieux de se passer d'é-

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